Parce que je le veux bien - Clarence Edgard-Rosa

Transcription

Parce que je le veux bien - Clarence Edgard-Rosa
Enquête
Une femme-objet, un peu salope, franchement bonne et définitivement con-conne… Pourquoi
certains publicitaires, et derrière eux les annonceurs, s’acharnent-ils à se vautrer dans les vieilles
ficelles sexistes ? Comment en est-on arrivé là ? Ou, plutôt, comment en est-on resté là ?
PUBS
SEXISTES
PAR CLARENCE EDGARD-ROSA
!
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Parce que
© CRÉDIT PHOTO
© MYR MURATET/DIVERGENCE
Publicité pour le Printemps,
à la station Gare du Nord,
à Paris, en 2003.
Enquête
Placardée dans les couloirs du métro, une
immense femme allongée, corps huilé,
proportions extraterrestres, petite culotte
au bout de l’orteil. C’est la campagne des
Galeries Lafayette, conspuée le 9 juillet
par la secrétaire d’État chargée des Droits
des femmes, Pascale Boistard!: « On ne
peut pas à la fois lutter contre le harcèlement
sexiste et continuer à produire des images
qui dégradent l’image de la femme, et en plus
font considérer que la femme serait un objet
à disposition de tous. » Anna et Souad, 16
et 17 ans, attendent le métro face à l’affiche. L’une ne voit pas le problème, « des
corps nus, on en voit tout le temps, alors une
de plus ou de moins… Je ne l’avais même pas
remarquée ». L’autre s’emporte!: « Justement, y en a partout. Tu peux me citer un
seul produit qu’on n’a pas déjà essayé de te
fourguer avec une femme à poil"? » Toutes
deux ont, par contre, de concert été agacées par la campagne Renault pour sa
nouvelle Twingo, en février, et sa pénible
« vérité sur les filles ». Une série de spots
vidéo mettait en scène des contradictions
toutes féminines, assortis d’un hashtag
invitant les femmes à lister elles-mêmes
les raisons pour lesquelles leurs congénères sont tartes/futiles/chieuses. « Là,
typiquement, on nous prend pour des débiles,
et en plus, c’est censé nous faire croire qu’on
nous comprend vachement bien et donc nous
faire acheter une petite voiture “de meuf” »,
ironise Souad.
© CASUAL DATING
NE SURTOUT PAS BOUSCULER
Qui sont donc ces pubards qui, pour nous
fourguer une voiture, un fromage ou une
montre, tombent mécaniquement dans
le sexisme lourdingue!? Pourquoi ne parviennent-ils pas à renouveler le genre!?
Et pourquoi rien ni personne ne semble
pouvoir les arrêter!?
Pour Marc!1, fondateur d’une petite
agence de publicité à Marseille, les publicitaires ne peuvent être tenus pour seuls
responsables. La chaîne de fabrication des
pubs est tellement vaste qu’une boulette
peut intervenir à tout moment et ajouter
une dose de sexisme à un propos initialement neutre!: « On a travaillé avec une
enseigne de montres pour femmes. Dans le
brief, nous avions pris soin de ne pas intégrer
de stéréotypes sexistes. Mais la marque a
estimé que le métier de notre personnage
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Penser la jouer original
en comparant une voiture
à une femme.
Casual Dating, 2015 (France)
principal n’était pas adéquat, parce que “pas
assez féminin”. » L’avocate s’est donc transformée en rédactrice de mode. « La responsabilité est totalement diluée, poursuit
Marc. Pour chaque campagne, le photographe
apporte lui aussi son regard": s’il cherche à
faire une photo sexy – œil mutin, pose glamour –, le résultat global le sera, au risque
de brouiller le propos de départ. Même chose
pour le stylisme. Et si c’est un mannequin de
18 ans qui est casté alors qu’on avait écrit le
concept en imaginant une trentenaire, ça
change encore le message final. Ça, ça arrive
plus souvent qu’on ne le pense. »
Solène!1, qui en est à son troisième stage
en agence, a été plusieurs fois confrontée
aux stéréotypes réclamés par les annonceurs!: « Ils veulent des femmes qui travaillent,
parce que leur cible est active. Mais impossible
de donner à un personnage féminin un métier
autre que stéréotypé. Si une femme a un job
à responsabilités, il convient en général de
la montrer crevée et, si elle gagne du pognon,
il ne faut pas qu’elle en gagne trop non plus.
Et lorsqu’un personnage féminin sort du
45 Causette # 59
cadre, déplore-t-elle, on est rattrapé par
l’un des maillons de la chaîne": le créatif, qui
va avoir tendance à ramener ça à quelque
chose qu’il estime être réaliste, ou le planneur
stratégique, qui montre chiffres à l’appui que
la cible ne colle pas. » Delphine Quelin est
responsable du planning stratégique chez
Publicis Lyon, justement. Son job consiste
à définir la cible de son client. Par exemple,
s’il s’agit des étudiants, elle recense les
études et travaux à leur sujet, puis va leur
rencontre à la sortie des facs pour observer leurs goûts, leur style de vie, leur
vocabulaire. « Quoi qu’il en soit, on ne peut
Pourquoi ne voit-on
que des femmes manger
des yaourts ?
« Plus les produits sont dérisoires, plus
ce sont les femmes qu’il faut convaincre,
parce que 80 % des tâches ménagères
leur incombent, et ça inclut les courses. »
Deborah Marino, directrice du planning
stratégique chez Publicis
Enquête
pas approfondir pendant des mois, reconnaît-elle, il est donc question dès le départ
de travailler sur des généralités. Nos clients
ont besoin de s’appuyer sur des choses très
segmentées. Du coup, malheureusement, on
étiquette les gens, on crée des typologies!: on
génère des clichés. »
LES FEMMES, CES CHIEUSES
SUPERFICIELLES
Le hic, c’est que l’utilisation de clichés
est souvent le plus sûr moyen d’attirer
l’attention du consommateur!: « La publicité est accusée d’utiliser des représentations
fossilisées, note Karine Berthelot-Guiet,
directrice du Celsa. Mais c’est l’accuser de
faire ce qu’elle ne peut que faire!! Une publicité doit, pour fonctionner, être comprise
très rapidement, en un seul bloc et de surcroît
par une cible qui ne souhaite pas la voir ou
l’entendre, puisqu’elle s’impose dans son
espace. D’où le besoin d’utiliser des stéréotypes déjà bien connus, éprouvés, très présents
dans l’imaginaire collectif. » Pour décrire
ce phénomène, elle utilise d’ailleurs un
slogan de pub pour la lessive!: « L’effet
Mini Mir », c’est « dire le maximum dans
le minimum de temps et d’espace »!2. À l’origine, « stéréotype » désigne, en imprimerie, la reproduction de masse d’un
modèle figé. Et c’est exactement de cette
manière que les stéréotypes sont utilisés
par la publicité. La campagne Renault
qui a tant agacé Anna et Souad l’a joué
“!!Non seulement l’ARPP ne sait pas ce qu’est
le sexisme, mais elle n’a aucune conscience de
l’impact de ces images sur l’imaginaire collectif”
Marie-Noëlle Bas, présidente de l’association Les Chiennes de garde
comme ça!: partant de l’idée socialement
bien ancrée que les femmes sont des
chieuses superficielles, elle envoie ce
cliché pour attirer l’attention de la cible
et « s’imposer dans son espace ». Bilan,
si la campagne a été vivement critiquée
pour son caractère sexiste, aussi bien
dans la presse que sur les réseaux sociaux,
les tweets enthousiastes de femmes
conspuant leurs congénères se comptaient, eux, en milliers!! Morceaux choisis!:
« Le rêve de toute fille n’est pas de trouver
l’amour, mais de manger sans grossir!! »
ou, plus subtil encore, « On est toutes des
salopes dans le fond ». C’est là que le bât
blesse!: « Les tests consommateurs montrent
que le public lui-même n’a pas envie d’être
bousculé. Dans sa majorité, il aime qu’on
lui montre ce qu’il connaît déjà », décrypte
la directrice du Celsa.
« Pour les agences et les annonceurs, c’est
compliqué de sortir des codes, justement parce
que les clichés rassurent », relève Sylvie
Chenivesse, directrice déléguée de l’école
Sup de pub Lyon. « En temps de crise, en
sortir, c’est prendre un risque », conclutelle. D’autant que « ça marche », se défend
Isabelle Goetz, porte-parole de l’association de défense des animaux Peta en
France. Sa dernière campagne!: Zahia nue
découpée à la manière d’un « tout est bon
dans le cochon », jouant sur l’idée que
« tous les animaux sont faits des mêmes
morceaux », comme dit le slogan. « Depuis
que je suis chez Peta, je n’ai jamais vu aucune
de nos campagnes faire autant de bruit, nous
faire connaître et nous apporter autant d’adhérents. » Si, pour la première fois, l’association mettait une célébrité française
nue, l’affiche reprenait à l’identique la
campagne américaine avec Pamela Anderson, datant elle de 2010.
LE COUP DE LA « FAUSSE PUB SEXISTE »
Frank Tapiro, ponte de l’industrie de la
pub et patron de l’agence Hémisphère
droit, a allègrement abusé des clichés et
s’en félicite. En 2003, il sort une campagne
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© PETA FRANCE - MYR MURATET/DIVERGENCE
Découper une
femme
en morceaux
« parce que
ça marche ».
Peta, 2015
(France)
46 Causette # 59
Enquête
Pourquoi les pubs pour
les slips montrent-elles
des hommes aux traits
délicats ?
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Parce que « 42 % des hommes sont
“slipo-dépendants” – ils n’achètent pas
leurs sous-vêtements sans une femme –
et que, donc, on caste des hommes qui
présentent des traits fins et doux parce
que la psychologie cognitive montre que
cela plaît davantage aux femmes ».
Carl’s Jr, 2012 (États-Unis)
Deborah Marino, directrice du planning
stratégique chez Publicis
Demander à un mannequin
de simuler un orgasme en
mangeant un hamburger.
Web pour le voyagiste Lastminute.com.
Le concept!: un homme bedonnant, chemise
ouverte, chaîne en or qui brille, accompagné
de deux pépettes de vingt ans ses cadettes
et de l’élégant slogan « Je n’en paie qu’une
des deux »… histoire de dire « une semaine
de vacances achetée, l’autre offerte ». Tapiro
en rigole, dit que c’était « une fausse pub
sexiste ». Ah bon!? « Mais oui, c’était de la
provoc. À l’époque, tout le monde parlait de
sexisme, alors on a voulu prendre le contrepied de ça », argumente-t-il, ravi de s’être
alors attiré les foudres de l’association
féministe Les Chiennes de garde.
« Il est très dur de lutter contre des siècles
d’histoire sexiste, et si personne ne fait volontairement de sexisme, les ressorts de l’égalité
sont mal compris par l’ensemble de la population française, publicitaires et autorité de
régulation compris », note Frédérique Agnès,
fondatrice de l’agence Citizen Republic
et auteure d’une bible des combats féministes en France!3. En 2013, elle mène avec
MediaPrism une étude sur les stéréotypes
de la pub et le ressenti des Français!4. Résultat, 74 % d’entre eux jugent la réclame
sexiste « énervante » ou « intolérable ».
Mais quand on leur en met une sous le
nez, ils sont seulement 12 % à reconnaître
les stéréotypes qu’elle véhicule. Lorsqu’on
leur demande d’observer la pub avec attention, la proportion monte à 20 %. Et quand
on leur pose carrément la question, ils
sont 37 % à acquiescer. « Les Français
semblent avoir une vision un peu caricaturale
du stéréotype sexiste. Pour eux, c’est une
tout en cherchant des hommes protecteurs. »
Convaincu, le Jury juge les plaintes infondées,
arguant avec une ironie pour le moins
déconcertante que le slogan « For you, guys »
(Pour vous, les mecs) ne vise pas la femme, mais
le vêtement, et que « cette publicité ne [la]
montre donc pas comme un objet. » Bah voilà.
CQFD. Le fait que Christophe Lafarge fasse partie
du conseil d’administration de l’ARPP n’a
évidemment rien à voir avec cette décision. 2
© CAPTURE D’ÉCRAN DEPUIS YOUTUBE - LES GAULOIS
DISSECTION : EDEN PARK
PAR LES GAULOIS
Jusque-là, Eden Park, c’était des rugbymen
sapés chic avec un œil au beurre noir. Quand la
marque frappe à la porte de l’agence Les
Gaulois, elle veut « mêler sophistication et force,
jouer avec cette image évidemment caricaturale
du rugbyman macho », raconte Christophe
Lafarge, patron de l’agence. Il flaire que la
campagne pourra être perçue comme sexiste,
« sinon, on ne l’aurait pas faite », balance-t-il,
tel quel. Comme prévu, donc, l’Autorité de
régulation professionnelle de la publicité (ARPP)
reçoit son lot de plaintes dès la diffusion en
juin 2014. Pour répondre à ces injustes critiques,
l’agence adresse une lettre offusquée à la
présidente du Jury de déontologie publicitaire
de l’Autorité. « À l’heure où la société et les
rapports homme-femme sont en pleine
mutation avec des études et des vraies
questions “L’homme est-il le nouveau sexe
faible ?”, […] nous nous sommes à notre tour
posés [sic] une question fondamentale :
comment Eden Park et son ADN d’inspiration
rugby peut continuer à exister et donc à vendre
alors qu’on ne sait plus où sont les hommes ? […]
Contrairement à ce qu’affirme [sic] les
plaignants, les visuels […] présentent des
femmes indépendantes et qui le revendiquent,
47 Causette # 59
Enquête
“!On étiquette les gens,
on crée des typologies!:
on génère des clichés!”
Delphine Quelin, responsable du planning
stratégique chez Publicis Lyon
Candia, 2000 (France)
secrétaire qui séduit son patron!! » relève
Frédérique Agnès. Rappelons-nous la publicité « Babette, je la lie, je la fouette et parfois
elle passe à la casserole » de Candia [cidessus]!: « Elle est extrêmement problématique
et pourtant la majorité des gens ne voit pas
en quoi elle encourage les inégalités. » Idem
chez l’annonceur. Babette assurait à
l’époque au journal Les Échos que sa campagne ne pouvait pas être sexiste, forcément!: « Nous étions une équipe de femmes,
chez l’annonceur comme à l’agence. » Jacques
Caillaud, alors directeur de la communication du groupe Candia, précisait, quant
Pourquoi les pubs pour
les voitures s’adressentelles aux hommes ? *
Parce que « la première voiture neuve
des Français est en moyenne achetée
à 50 ans, majoritairement par des hommes.
On estime que c’est une forme
d’aboutissement et que l’objet doit être
symbole de puissance. » Rappelons
quand même que 93 % des femmes sont
impliquées dans la décision d’achat
automobile du foyer et que 33 % décident
sans un monsieur (étude GMC Factory
publiée en 2015).
Deborah Marino, directrice du planning
stratégique chez Publicis
* Exception faite des petites citadines trop mignonnes.
à lui, que le slogan devait au départ être
« Je la lie, je la fouette, je la bats et ensuite je
la passe à la casserole », avant d’être modifié,
non pas par déontologie… mais par souci
de place!! « Comme c’était trop long, on a
enlevé “je la bats”. »
JUGES ET PARTIES
Il existe pourtant une noble et vertueuse
autorité censée parer les dérives des publicitaires et des annonceurs!: l’Autorité de
régulation professionnelle de la publicité
(ARPP), et son organe de sanction, le
Jury de déontologie publicitaire (JDP),
qui traite les plaintes du public. Selon la
charte de l’Autorité sont exclues « toute
forme de discrimination », de nudité
lorsqu’elle « peut être considérée comme
avilissante et aliénante », de « réduction
d’une personne à la fonction d’objet ». Dans
son dernier rapport d’activité, l’instance
se félicite d’ailleurs que ces « règles […]
permettent de lutter contre [les] stéréotypes
y compris dégradants ». L’ARPP agit avant
la diffusion. Agir est un grand mot, sachant
qu’elle ne conseille les agences que si
elles la sollicitent et se contente de juger
de la conformité de la réclame avec ses
principes. Autre frein, et non des
moindres, son conseil d’administration
est constitué de professionnels de l’industrie de la pub (agences, annonceurs, régies
publicitaires, médias…), qui sont donc
48 Causette # 59
LE MARKETING DÉMIURGE
Parfois, le jargon marketing devient réalité.
On parle de prophéties autoréalisatrices,
comme pour les « fashionistas » : « C’est un
terme issu du marketing pour décrire une
catégorie de population qui n’existe pas »,
explique Karine Berthelot-Guiet, directrice du
Celsa. « Il ne serait jamais entré dans le langage
courant s’il n’avait pas été abondamment
repris par la presse féminine. Il est même
devenu une catégorie de population :
certaines femmes se qualifient elles-mêmes
de fashionistas, d’autres souhaitent en être. »
© JACK GUEZ/AFP
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Ne pas voir plus loin que le
bout de son jeu de mots.
juges et parties, décidant des règles qu’ils
estiment devoir eux-mêmes respecter.
Le Jury de déontologie traite quant à
lui des plaintes du public, après la diffusion
d’une publicité. Comme en avril 2014. À
cette date, des particuliers se plaignent
de l’affiche de la marque de location de
voitures Budget. Elle montre un petit cul
sans aucun lien avec le produit, accompagné du slogan « Nous louons des voitures ».
Le Jury juge les plaintes infondées arguant
que le visuel ne montre « ni le véhicule dont
on aperçoit qu’une très petite partie, ni la
femme dont on ne voit que les fesses de profil
et les jambes, celles-ci étant masquées en grande
partie par l’encadré dans lequel est inscrit le
slogan ». Notez l’ironie de l’argumentaire.
Il estime, en outre, que puisqu’il y a « une
cohérence entre la tenue de plage et l’idée de
vacances et de liberté », tout roule.
Bon, considérer qu’un bout de fesse
pour vendre une voiture n’est pas avilissant
est un point de vue déjà discutable, mais
comment le Jury a-t-il réagi lorsque la
campagne de la marque Eden Park a, on
ne peut plus clairement, utilisé un cliché
sexiste comme argumentaire de vente
(voir encadré page 47)!? On vous le donne
en mille!: puisque les femmes sourient,
c’est qu’elles ne sont pas soumises, et
Enquête
Pourquoi
les cosmétiques pour
hommes ne protègentils pas la peau ?
« J’ai travaillé sur un gel à raser aux
propriétés protectrices. Ça ne marchait pas
du tout, parce que les hommes disaient
avoir besoin du feu du rasoir le matin
pour ressentir cette dimension de combat,
et ensuite soulager la peau avec un autre
produit, genre repos du guerrier. »
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Appâter la cible
en s’adressant à son pénis.
Organ Donor Foundation, 2008
(Belgique)
Deborah Marino, directrice du planning
stratégique chez Publicis
« l’image de la personne humaine » est
intacte. Si Valérie Michel-Amsellem, présidente du Jury, reconnaît avoir été
« gênée » que les plaintes contre la campagne Eden Park aient été jugées non
fondées, elle n’a rien pu faire, la campagne
ayant recueilli l’avis favorable des jurés
d’une « courte majorité ».
En s’intéressant à la composition de
ce Jury de déontologie, on comprend
mieux pourquoi il lui est parfois difficile
de rappeler à l’ordre les publicitaires!: les
jurés sont nommés par les présidents du
conseil d’administration de l’Autorité de
régulation professionnelle de la publicité (ARPP), du Conseil paritaire de la
publicité et du Conseil de l’éthique publicitaire. Le premier est composé de professionnels de l’industrie de la pub et des
médias (Nestlé, EDF, TF1, M6, BETC),
le deuxième l’est pour moitié et a pour
vice-président le patron de L’Oréal France,
et le vice-président du troisième n’est
autre que… le président de l’ARPP. Bilan,
tous les membres du Jury sont indirectement nommés par des représentants
du monde de la publicité, selon une
« Devenir donneur est probablement votre seule chance
d’entrer en elle »
gymnastique administrative à la frontière
de la consanguinité. On n’est jamais mieux
servi que par soi-même.
RETOUR DE BÂTON MERDEUX
Mais il y a des exceptions qui confirment
la règle, et il arrive que le Jury de déontologie fasse preuve d’une indépendance
exemplaire. En 2013, la mutuelle étudiante
Smerep diffuse une série de spots mettant
en scène des étudiantes présentées comme
des clichés ambulants. Le Jury arbitre
cette fois en faveur des plaignants (Les
Chiennes de garde et le ministère des
Droits des femmes), jugeant effectivement
que ces spots présentent les femmes
comme « futiles, irréfléchies, sottes, voire
agressives ». Au final, « non seulement la
© REBORN TO BE ALIVE
LA FABRIQUE DES PUBARDS
Mais au fait, qu’est-ce qu’on
apprend, sur les bancs de l’école, à
ceux qui feront les pubs de demain ?
Sur la vingtaine d’étudiants en pub
à laquelle on a posé la question,
seize ont fait les yeux ronds : « Je
n’ai pas souvenir d’un seul cours
durant lequel on a traité la question
des stéréotypes de genre », note
Loïck, qui a étudié trois ans
au Cesacom, à Paris. « Il y a bien
eu des analyses de visuels où les
métaphores sexuelles flirtaient avec
le soft porn. Mais il n’était que
question d’analyser les techniques
pour toucher la cible. » Marie, en
plein BTS design graphique à Sup de
pub Lyon, est dans sa classe la seule
à s’interroger sur le sexisme :
« J’avais essayé, en cours, d’ouvrir
le débat sur la campagne Renault
“La vérité sur les filles”, mais j’étais
la seule à y voir un souci. » Il existe
toutefois de bonnes pratiques,
heureusement pour l’avenir de
nos rétines assaillies. Sup
de pub Lyon, justement, a une
directrice féministe pour laquelle
il est évident que le sexisme
n’est pas une option. « C’est une
interdiction formelle : le credo de
l’école est la créativité et on
n’y accède pas en cédant à la
facilité. Donc pas de femme nue,
pour vendre quoi que ce soit. »
Au Celsa, Stéphanie Kunert,
49 Causette # 59
spécialiste des études de genre,
donnait jusqu’à peu un cours
sur les stéréotypes. Pour elle, les
enseignants ont un rôle à jouer :
« Sensibiliser les étudiants aux
dimensions d’éthique liées à leurs
futurs métiers de communicants. »
Elle enseigne maintenant
à l’université Lumière-Lyon II,
et le Celsa attend de trouver
une spécialiste de la même veine
pour relancer ce cours. 2
Enquête
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Croire qu’il est moderne de
faire d’un homme un objet,
pour changer.
“!Les tests consommateurs montrent que le public
lui-même n’a pas envie d’être bousculé!”
Karine Berthelot-Guiet, directrice du Celsa
mutuelle étudiante n’a pas retiré sa campagne,
mais elle a porté plainte contre l’ARPP pour
diffamation. Et a gagné », déplore la présidente du Jury de déontologie. En clair,
quand bien même le Jury prendrait parti
contre une pub sexiste, il n’a de toute
façon strictement aucun pouvoir décisionnel sur le retrait d’une publicité, aussi
choquante soit-elle.
L’ENJEU DU « BAD BUZZ »
POUR ALLER
PLUS LOIN
Contre les publicités sexistes, de Sophie Pietrucci,
Chris Vientiane et Aude Vincent. Éd. L’Échappée,
2012. Un excellent petit ouvrage qui décortique
l’impact de la publicité sexiste.
Macholand.fr. Le site participatif d’action
citoyenne contre le sexisme, initié par Caroline
de Haas, propose des réponses piquantes
aux annonceurs.
Genrimages.org. Conçu par le Centre audiovisuel
Simone de Beauvoir, ce site est un outil
d’éducation à l’image, avec des exercices et
des décryptages pour y déceler les stéréotypes.
Dans ces conditions, pourquoi les associations comme Les Chiennes de garde
continuent-elles à s’en remettre à l’ARPP"?
C’est que le manque de recours face aux
publicités sexistes est criant. Certes, le
Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)
a la possibilité de suspendre un spot,
mais uniquement s’il est diffusé en télé
ou radio. La presse, le Web et l’affichage
échappent à son contrôle. Reste comme
seul recours la justice, mais, faute de loi
contre le sexisme (qui pourrait pourtant
se calquer sur le modèle de celle existante
contre le racisme, de 1972), une plainte
ne peut s’appuyer que sur la diffamation,
l’injure ou l’incitation à la haine en raison
du sexe. Ce qui écarte d’emblée une foule
de publicités problématiques. « Je vais
échanger avec les professionnels à la rentrée
sur ce sujet pour voir comment faire en sorte
que certaines publicités ne passent pas au
travers des mailles du filet », nous promet
Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée
des Droits des femmes. « Je pense que nous
avons besoin d’une large mobilisation des
consommateurs, des consommatrices et des
citoyennes et citoyens pour se saisir des outils
de signalement ou de plainte existants": pour
des marques, l’enjeu du “bad buzz” devient
de plus en plus important. » Chacun jugera
de l’efficacité des « outils » disponibles,
en tout cas, une chose est sûre": ce sont
les consommateurs qui distribuent les
bons et les mauvais points. Si la société
civile pointait davantage du doigt les
pubs sexistes, l’industrie serait alors forcée de reconsidérer la question, ne seraitce que pour s’assurer les faveurs de leurs
« très chers » consommateurs. 2
1. Les prénoms ont été changés.
2. Paroles de pub, la vie triviale de la
publicité, de Karine Berthelot-Guiet.
Éd. Non Standard, 2013.
3. 100 ans de combats pour la liberté des femmes,
de Frédérique Agnès. Éd. Flammarion, 2014.
4. Sondage réalisé par le Laboratoire de l’égalité
et MediaPrism.
LEXIQUE DU PUBARD
Florilège du jargon utilisé pour vous
vendre un tas de trucs que vous avez
probablement déjà achetés.
Ethno : sorte de J’irai dormir chez vous consistant
à attraper au réveil un panel correspondant à la
cible, et à filmer ses usages et ses déclarations.
Taux de confusion : c’est l’indicateur qui mesure
toutes les fois où on s’est bien rappelé de cette
pub super drôle pour Coca-Cola, sauf que c’était
une pub Pepsi.
Femme générique : c’est la « femme normale »
que l’on voit dans les pubs. Elle n’est ni
mannequin, ni belle, ni moche… Enfin, souvent,
elle est quand même jeune, mince et blanche.
par Patrick Dempsey selon L’Oréal, qui a sorti
le concept.
Fée du logis moderne : c’est la femme d’intérieur,
celle pour laquelle le cocon, la famille et les
bougies parfumées sont des valeurs refuges.
Digital natives : on pourrait dire les « jeunes »,
mais non. Ce sont, en gros, ceux qui n’ont jamais
connu un monde sans haut débit.
Princesse fashionista : elle flambe son pognon
et est terriblement attirée par ce qui brille
(les marques de luxe, le bling).
Slashie : femme superactive, à la fois blogueuse
à tiers-temps, juriste à mi-temps, DJ le samedi,
prof de cuisine moléculaire le dimanche
et éditrice dans son temps libre.
Novocasual : au « métrosexuel » (rasage
de près, crème de jour, de nuit) a succédé
le « ubersexuel » (barbe rugueuse, odeur virile),
puis lui. Un doux mélange des deux incarné
50 Causette # 59
Bourgeoise alternative : elle a un gros capital
économique et culturel, est hyperconsommatrice
– tout en rejetant les diktats. 2
© CAPTURE D’ÉCRAN DEPUIS LE WEB
Reversa, 2006 (Canada)

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