Brancolar et Saint-Maurice, campagnes et villégiatures niçoises

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Brancolar et Saint-Maurice, campagnes et villégiatures niçoises
Brancolar et Saint-Maurice, campagnes et
villégiatures niçoises
Longtemps, c’est à dire de ses origines grecques jusqu’au XVIIIe siècle, la ville de Nice se limita au
triangle compris entre la colline du Château, le torrent Paillon et la mer. Au-delà, mise à part une
étroite frange de faubourgs, la présence humaine se limitait à des fermes ou à des résidences
campagnardes de l’élite locale. Le souvenir même de la ville romaine de Cemenelum, abandonnée
semble-t-il dès le Ve siècle, était oublié. En revanche, le riche terroir de la vaste plaine centrale,
son irrigation suffisante par les eaux descendant de la colline de Gairaut, l’exposition favorable des
pentes des collines de Cimiez et Rimiez et, plus tard, le panorama qu’elles offraient et la fraîcheur
de leurs vallons ont fait des ces quartiers du terroir niçois un espace dévolu à l’agriculture et, avec
la naissance du tourisme, à la villégiature.
DES CULTURES ANTIQUES
Le voisinage de la ville romaine de Cemenelum a donc conditionné l’entrée dans l’Histoire de ces quartiers
situés à l’occident de la ville. Deux éléments y contribuent. Le passage de la via Julia Augusta (1) est le
premier d’entre eux. Cette voie militaire romaine, destinée à relier l’Italie à l’Espagne, est un axe majeur de
l’Empire et, sur le parcours qui nous intéresse, elle est assimilable au chemin dit de la Galère/avenue des
Mimosas, avenue Gravier qui descend de la colline de Cimiez jusqu’au quartier du Ray. Notons toutefois que ce
nom n’a rien à voir avec une quelconque embarcation antique, mais doit tout à une corruption du patronyme
du propriétaire majeur des lieux, M. Galera, sur les terres duquel, au XVIIe siècle, les érudits, dont l’abbé
Gioffredo, trouvèrent nombre de vestiges antiques. Cette voie principale était croisée, semble-t-il au niveau
de l’actuel château Valrose, par une voie secondaire reliant la ville à la colline de Gairaut en longeant à
l’ouest le pied de la colline de Cimiez. Ce réseau de voirie (2) important conditionna le développement de la
plaine voisine et des coteaux, où un parcellaire régulier, géométrique, se déploya de part et d’autre de
chacune de ces chaussées et se maintint quasiment jusqu’à l’urbanisation. Voies de communication
importantes et parcellaire géométrique laissent penser que cette partie de la plaine centrale niçoise était donc
déjà largement cultivée (3) à l’époque antique, sans doute au profit de cultures maraîchères, tandis que
l’olivier s’épanouissait sur les contreforts de la colline. On ne s’étonnera donc pas de voir les toponymes se
référer d’abord, dans le temps, à des éléments naturels (comme Brancolar semble renvoyer au niçois brancoulà
qui signifie chanceler, au sens de terres instables ou Fouònt-cauda, la source chaude) plutôt qu’à des
dénominations " touristiques " (Valrose ou vallon des Fleurs). Un seul nom s’appuie sur la présence d’un édifice
religieux, de datation incertaine (XVIIe siècle ?) et aujourd’hui disparu, Saint-Maurice, le saint protecteur de la
maison de Savoie.
DE L’AGRICULTURE À LA VILLÉGIATURE
Le relatif éloignement du quartier par rapport au centre de la ville, c’est à dire l’actuel Vieux-Nice, nous
interdit de mieux connaître son histoire jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, mais l’absence de structure paroissiale
semble alors indiquer une faible densité d’habitation. Un plan topographique des années 1780 ne laisse voir
que quelques maisons importantes, principalement autour de la chapelle Saint-Maurice, aux alentours de
l’actuelle place Alexandre-Médecin. Ces deux faits conjugués se traduisent par l’absence de plan d’urbanisme
lorsque, entre 1832 et 1858, le Consiglio d’Ornato s’emploie à organiser le développement urbain de Nice et
son franchissement du Paillon. De ce fait, ce secteur de Nice conserve une structure relativement plus
désordonnée qui, conjuguée au lotissement des grandes propriétés et à la force des reliefs, tranche sur la
régularité viaire de la plaine centrale voisine. Parmi ces grandes propriétés, celle des Caïs de Pierlas (4) se
signale comme la plus ancienne puisque la maison est datée de 1688, ce qui n’exclut pas une origine
antérieure. Son vaste domaine, occupant tout l’actuel lotissement du parc Chambrun, est en fait le premier à
l’est d’une longue série de propriétés de la noblesse niçoise qui s’étend en couronne vers le couchant,
englobant les villégiatures des Peyre de Châteauneuf (à Gairaut), des Galléan de Châteauneuf (au Temple), des
Renaud de Falicon (idem), des Arson (à Saint-Barthélémy), des Spitalieri de Cessole (idem), des Grimaldi de
Beuil (à la Mantéga) et des Cays de Gilette et Bermond (au Piol). Mais c’est le comte Hippolyte Caïs de Pierlas
(1787-1868), un érudit sculpteur et peintre qui transforma véritablement la demeure et son parc de onze
hectares en y établissant dès 1840 ce qui semble bien être le premier jardin exotique privé de Nice. En 1878, il
vend l’ensemble au comte Joseph de Chambrun (1821-1899), humaniste et époux de l’héritière des cristalleries
de Baccarat, lequel confie à l’architecte niçois Philippe Randon (1833-1904) le soin de transformer le parc puis,
semble-t-il, la villa en château néo-gothique (1878-1880) (5). C’est dans ce contexte que les mêmes
construisirent dans le parc le Temple de Diane (6) connu aujourd’hui sous le nom de Temple de l’Amour (18851890). La ville affirmant sa vocation de loisirs, on érigea aussi, toujours dans le parc, en 1906, un Palais de
Glace et un parc des sports, détruits après la Seconde guerre mondiale. La propriété fut vendue et lotie en
1927. C’est à cette occasion que la ville de Nice acheta la partie du parc contenant le Temple et l’ouvrit au
public.
UNE " FOLIE " PIONNIÈRE : LE CHÂTEAU VALROSE
Cet " éloignement " du centre de la ville procurait aussi un avantage : la séduction exercée sur les riches
hivernants qui voulaient établir à Nice leur villégiature et y créer la demeure de leurs rêves dans un paysage
préservé. C’est ainsi qu’en 1867, un industriel russe d’origine balte, le baron Paul Georgevitch von Derwies (7)
acheta entre Brancolar et Cimiez un vaste domaine où il fit construire la troisième en date (après le château
de l’Anglais et la villa Vigier) des extravagantes " folies " qui parsèment le territoire de Nice : le château
Valrose (adaptation romantique de la dénomination niçoise du val aurous, ou vallon venté). Le bâtiment, de
style Renaissance, se composera du Grand château initial (8), de la salle de concert (ajoutée en 1869), du Petit
château, d’un vaste parc de douze hectares avec étang et authentique isba (9) transportée à grand frais
d’Odessa et d’une porte monumentale à tours médiévales ouverte au sommet du domaine pour le relier au tout
nouveau boulevard de Cimiez. Plusieurs architectes s’y côtoient : certains, comme Grimm ou Crocci (dit
Crochet), Maraini ou Bérenger, accompagnent le projet dès sa création ; d’autres comme Makaroff ou le Niçois
Sébastien-Marcel Biasini, rejoignent l’entreprise en cours de route. Quant au parc, il fut conçu et géré par le
jardinier niçois Joseph Carlès, avec pour objectif d’offrir à son commanditaire la plus grande variété végétale
possible, puisant dans tous les répertoires paysagers et exotiques. Il fut semé de copies d’œuvres sculptées
fameuses sous le ciseau du Russe Fabrikant. Ajoutons que la vie mondaine, en particulier musicale, rendit le
domaine fameux dans toute l’Europe. Passant ensuite à d’autres propriétaires, il devint enfin en 1965 le siège
de la présidence de l’Université de Nice et fut classé monument historique en 1991.
LA VILLE GAGNE LES VALLONS
Au début des années 1880, le choix par Henri Germain (1824-1905), fondateur du Crédit Lyonnais d’une
villégiature à Nice, dans le quartier de Brancolar, allait précipiter l’urbanisation tant des coteaux occidentaux
de Cimiez que de la plaine voisine. Sébastien-Marcel Biasini, déjà à l’œuvre au château Valrose, concevra alors
pour Germain (10) la très classique villa Orangini (11), dans ce même quartier de Brancolar, tandis que le
Crédit Lyonnais devient propriétaire des terrains couronnant la colline de Cimiez sur lesquels seront construits
hôtels et villas bourgeoises. L’établissement conjoint, en 1882, des deux plans régulateurs de Cimiez et du
quartier dit Saint-Maurice annonce l’arrivée de la ville par le percement des futurs boulevards homonymes (le
boulevard Saint-Maurice est l’actuelle avenue Borriglione) qui doubleront ou effaceront les antiques chemins.
Mais, dans un premier temps, ils ouvrent aussi au peuple industrieux de Nice, augmenté chaque année d’une
laborieuse immigration ombrienne, piémontaise et toscane, de nouveaux accès à une campagne qui se
rapproche avec la création des premières lignes de tramway (1900). C’est ainsi que, non loin des fastes et des
mondanités des villas Chambrun, Valrose et Orangini, dans un vallon qui devient celui des Fleurs, se multiplient
bientôt auberges et baleti, jeux de boules et longues tablées printanières et estivales où, à l’abri de la laupia,
on savoure pan-bagnat et vin de framboise. Se construisent alors dans la campagne environnante nombre de
ces " maisons niçoises " à plan carré si joliment caractérisées par leurs frises fleuries sous l’avant-toit. À cette
nouvelle vie, il faut un centre spirituel jusqu’alors absent. Lancé sur un schéma très classique dès 1914, il se
concrétisera par la construction, en 1933, de l’audacieuse église Sainte-Jeanne-d’Arc (12), premier édifice
cultuel de France à utiliser la technique du voile de béton armé due à l’inventivité de l’architecte Jacques
Droz (1882-1955). Ses formes ovoïdes, l’élégance de son clocher aux entrelacs inspirés par le gothique créèrent
en leur temps la polémique mais aujourd’hui, cet édifice est reconnu comme un des plus emblématiques des
recherches et des expériences architecturales d’une période riche en innovations esthétiques et techniques.