Le nouveau taux plancher, c`est la parité franc/euro

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Le nouveau taux plancher, c`est la parité franc/euro
 Le nouveau taux plancher, c'est la parité franc/euro 24 Juillet 2015 PAR MATTHIEU HOFFSTETTER Referendum grec, essoufflement de l'économie suisse, incertitudes en Chine,... rien n'y fait: depuis le printemps, le franc reste autour de 1,04 pour 1 euro. Pour François Savary (Reyl & Cie) et Andreas Rühlmann (IG Bank), la BNS agit mais ne peut fixer de taux plancher officiel. Après la chute brutale de l'euro face au franc consécutive à l'abandon du taux plancher à la mi-­‐janvier, de nombreux acteurs de l'économie suisse craignaient que la parité ne soit rapidement atteinte puis durablement dépassée. Pendant plusieurs mois, le cours a fluctué entre la parité et 1,1. Mais depuis fin avril, tous les mouvements se sont opérés dans une fenêtre comprise entre 1,033 et 1,055. Pour certains, cette stabilisation autour d'un taux pivot situé à 1,04 franc pour 1 euro serait l'effet d'une politique active de la Banque Nationale Suisse (BNS). La banque centrale aurait-­‐elle fixé un taux plancher officieux avec une intervention dès que le franc s'envole et s'éloigne du taux de 1,04? Ce n'est pas l'avis de François Savary (Banque Reyl) ni d'Andreas Rühlmann (IG Bank), pour qui Berne dispose d'outils mais devra composer avec des facteurs internationaux. Bilan: Le cours du franc semble s'être stabilisé face à l'euro ces deux derniers mois. Comment expliquer cette tendance qui semble se jouer des crises et des tensions, notamment le psychodrame grec? Andreas Rühlmann: Etudier uniquement l'euro et le franc pourrait être trompeur, il faut regarder le comportement de ces deux devises face à d'autres monnaies et notamment face au dollar pour mieux comprendre ce qui se joue. Rappelons-­‐nous que l'euro s'était renforcé par rapport au dollar. Les premiers signes de reprise de la croissance, même très timide, y avaient contribué. Or, ce qu'on voit désormais, c'est une corrélation inverse entre l'euro et la santé de l'économie des pays concernés. Ainsi, quand les nouvelles ont été mauvaises sur le front grec fin juin, c'était positif pour l'euro. Et quand la signature de l'accord est intervenue, le franc aurait dû s'affaiblir. Or, il s'est renforcé. On peut supposer que la BNS a revendu à cette date une partie des euros achetés ces derniers mois afin de réaliser un profit et d'alléger son bilan. François Savary: Il est clair que le franc suisse n'a pas trop réagi au psychodrame grec. Sur ce sujet, la lassitude a sans doute fini par gagner les investisseurs: les Allemands ont réussi à convaincre les opérateurs que la situation grecque était limitée dans son ampleur et que l'Eurogroupe était capable de limiter la contagion. En soulevant la possibilité d'une sortie, même temporaire de la zone euro pour Athènes, on envoie le message comme quoi cette tension est gérable. Même si ça ouvre d'autres questionnements sur le long terme, cela calme les marchés qui auraient pu tenter de perdre toute confiance dans la monnaie européenne. D'ailleurs, suite aux annonces de François Hollande sur le besoin d'une relance de l'intégration économique dans la zone euro, les Allemands n'ont rien dit. Qui ne dit mot consent. La porte est ouverte à un tel processus. Enfin, la crise grecque n'a pas généré de tension majeure sur les rendements obligataires espagnols ou italiens. Pour le franc, d'autres facteurs ont joué en faveur de son non-­‐renforcement: les taux d'intérêts négatifs, les mauvais chiffres de l'économie suisse et la perspective de voir, pour la première fois depuis longtemps, la zone euro afficher en 2015 une croissance supérieure à celle de la Suisse. La BNS a-­t-­elle joué un rôle actif pour stabiliser le franc? Assisterait-­on à la mise en place d'un taux plancher officieux autour de 1,04? François Savary: Que la BNS ait pu être active ponctuellement oui, ça ne fait aucun doute. Qu'elle ait mis en place un taux plancher officieux? Clairement non. Au mois de mai, on a assisté à des petites pointes avec le franc/euro qui se rapprochait certains jours en cours de séance de 1,03 à 1,02. Là oui, on peut supposer que la BNS a agi. Mais je pense que l'objectif du directeur Thomas Jordan n'est pas 1,04. J'avais déclaré voici quelques mois que si on finissait l'année 2015 autour d'1,10, ce serait un succès pour la BNS. Je maintiens ma position. On devrait fluctuer entre 1,05 et 1,10 jusqu'à la fin d'année. Il ne faut pas rëver: on ne reviendra pas à 1,20 dans les mois qui viennent. Andreas Rühlmann: Je ne pense pas que la BNS soit énormément intervenue: l'euro s'est apprécié tout seul avec notamment les premiers signes de reprise dans certains pays membres et a contrario le ralentissement observé en Suisse. Ceci dit, la banque centrale n'est pas restée totalement inactive: le 29 juin, elle reconnaissait à demi mots être intervenue. Pendant le week-­‐end et suite à l'échec des négociations entre Alexis Tsipras et ses partenaires de la zone euro ayant mené à l'annonce du referendum, les marchés ont chuté de près de 4%. L'euro aurait pu dégringoler et le franc s'apprécier énormément: il semble fort probable que la BNS ait agi pour freiner la chute de l'euro. Quant à un nouveau taux plancher, je n'y crois pas, qu'il soit officiel ou caché. Cependant, la parité représente une limite que Berne ne veut pas atteindre et je crois qu'il y aura intervention à chaque fois qu'on pourrait s'en approcher. Quels sont les principaux dangers et motifs d'espoirs pour le franc? Andreas Rühlmann: Le gros de la crise grecque est derrière nous pour quelques temps au moins: cela peut générer un regain d'optimisme dans les semaines et mois à venir et donc une tenance à l'affiblissement du franc. Et cet affaiblissement ne devrait pas uniquement se matérialiser face à l'euro, mais aussi vis-­‐à-­‐vis du dollar, du yen ou de la livre Sterling. Dans les semaines à venir, nous pourrions assister à une hausse des taux aux Etats-­‐Unis, ce qui était attendu, et sans doute au Royaume-­‐Uni, ce qui l'était moins. Or, avec le retour de l'appétit du risque sur les marchés, le franc ne devrait pas se renforcer face au dollar. Idem face à la livre et au yen, avec les récentes annonces des dirigeants des banques centrales britannique et japonaise sur un resserrement de leur politique monétaire. François Savary: Effectivement, la Fed (réserve fédérale américaine) devrait agir en septembre avec une remontée des taux d'intérêt: le dollar va se renforcer, ce qui est une bonne chose pour le franc. En face, la BNS devrait poursuivre sa politique de taux d'intérêts négatifs. Et si on parle beaucoup de l'euro/franc, n'oublions pas le franc/dollar très important car de nombreuses entreprises dépendent de marchés où leurs ventes sont libellées en dollars, comme la pharma notamment. Avec les pays émergents, certaines incertitudes demeurent. Ainsi, nous avons une tendance à la baisse des taux d'intérêts en Chine: cela pourrait amener une importante volatilité sur le marché des changes et maintenir l'attractivité du franc. Le statut de valeur refuge du franc pourrait se renforcer le cas échéant en fonction des situations grecques et chinoise. Le risque grec est momentanément écarté (même si on ne peut rien exclure à plus long terme). Mais la pire des choses qui pourrait arriver serait une crise en Chine à long terme. De quels outils dispose la BNS pour agir contre une nouvelle appréciation du franc? François Savary: L'outil principal est la patience. Car il y a beaucoup de facteurs extérieurs sur lesquels la BNS n'a que peu d'influence voire pas du tout. Il faut donc attendre que la situation économique de la zone euro s'améliore pour que l'on s'éloigne un peu plus de la parité. Attendre que la Fed remonte ses taux pour que le dollar se renforce. Idem pour le Japon avec le yen et le Royaume-­‐Uni avec la livre Sterling. Certes, les taux d'intérêts constituent un levier, mais ils sont déjà négatifs et la marge de manoeuvre est réduite. Il reste les discours: Thomas Jordan va continuer à répéter que le franc est surévalué et tout faire pour que les investisseurs se tournent vers d'autres valeurs refuges. Andreas Rühlmann: Il semble compliqué de conserver des taux négatifs sur le long terme car c'est mauvais pour l'économie du pays. Il va donc falloir trouver d'autres outils. On peut supposer que la BNS va accumuler des réserves pour faire face à des attaques spécualtives éventuelles contre l'euro. Il y a moins d'efforts à faire dans ce domaine aujourd'hui qu'à l'époque du taux plancher car on peut laisser fluctuer légèrement le cours. En septembre devrait sortir le chiffre du PIB suisse du 2e trimestre: en cas de risque de récession, la BNS pourrait intervenir. Mais elle ne peut pas lâcher tous ses outils d'un coup: il faut garder l'artillerie lourde en réserve pour les situations de crise grave.