Dispositions et contrefactuels. De Carnap aux enfants et petits

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Dispositions et contrefactuels. De Carnap aux enfants et petits
Dispositions et contrefactuels. De Carnap aux enfants et petits enfants de
Goodman.
François Schmitz
In : Bruno Gnassounou et Max Kistler (dir.), Les dispositions en philosophie et en sciences,
Paris : CNRS éditions, 2006, p. 29-52.
En bonne orthodoxie frégéenne, un concept (ou une relation) n’est scientifiquement
admissible que s’il est strictement délimité, autrement dit si l’on peut décider, pour tout nom
d’objet remplissant la place vide du terme conceptuel, si la proposition obtenue est vraie ou
fausse. Comme on le sait, cette exigence de stricte délimitation est la conséquence d’une
double thèse : d’une part, un concept n’a pas de subsistance hors d’un contexte
propositionnel, d’autre part, une proposition « scientifique » est vraie ou fausse, le tiers étant
exclu.
En bonne orthodoxie positiviste-empiriste, un concept descriptif n’est scientifiquement
admissible que s’il peut être réduit à une « base phénoménale », ou à des « prédicats
d’observation », puisque la vérité ou la fausseté de toute proposition doit pouvoir être établie,
au bout du compte, sur la base des données de « l’expérience » (sense-data ou caractéristiques
observables).
En bonne orthodoxie russellienne, les entités « inférées » sont décidément suspectes et il
serait souhaitable de pouvoir leur substituer des « fictions logiques », sur le modèle de la
construction des entités mathématiques à partir d’un petit nombre d’entités « logiques »
qu’effectuent les Principia Mathematica ; ce qui revient à les construire comme des classes.
Carnap fut l’un des très rares étudiants admiratifs de Frege. La lecture, en 1921, de Our
Knowledge of the External World l’enthousiasma et les thèses « phénoménalistes » de Mach
ne lui étaient pas antipathiques. Il en résulta Der Logische Aufbau der Welt, rédigé autour des
années 1925 et publié en 1928.
Pour ce qui va nous intéresser, l’exigence frégéenne de stricte délimitation, impose de
recourir, dans la construction / définition des objets ou quasi-objets, aux seules définitions
explicites que sont les définitions explicites au sens strict (« 4 =df 3 + 1 », 4 appartient à la
même « sphère d’objets » que 3 et 1) ou les définitions d’usage (« x est un nombre entier carré
d’entier =df x est un nombre entier et il existe y tel que y est un nombre entier et x = y × y »,
“nombre entier carré d’entier” désigne un quasi-objet relativement aux entiers). De telles
définitions étant traitées comme des équivalences entre definiens et definiendum, on est assuré
de toujours pouvoir éliminer les « objets » construits au profit des « objets » sur la base
desquels ils ont été construits. Ainsi tout énoncé comportant des expressions pour des
concepts « construits » peut être traduit en un énoncé qui ne les comporte plus
Par contre, il est exclu de recourir à des « définitions implicites » (introduction des
concepts par le biais d’un système d’axiomes) puisqu’il n’est pas possible, pour tout objet, de
décider s’il tombe ou non sous un concept ainsi « défini », comme Frege lui-même l’avait
abondamment souligné dans ses articles de 1903 et 1906 sur les Fondements de la Géométrie
de Hilbert et comme Carnap lui-même l’établissait à nouveau dans son article de 1927,
”Eigentliche und Uneigentliche Begriffe“.
Appliquée aux concepts descriptifs qui apparaissent dans les sciences empiriques,
l’exigence frégéenne produit des effets qui peuvent sembler déconcertants : un énoncé
« scientifique » dans lequel apparaissent des concepts « construits » dans le système
constitutionnel esquissé par Carnap dans l’Aufbau se ramène, après substitution des
definientia aux definienda, à un énoncé (le plus souvent terriblement compliqué) qui
n’exprime qu’un état de chose déterminé relatif à la relation de base ; état de choses qui est
constitué d’un nombre fini d’éléments de base (les « vécus élémentaires ») reliés par la
relation de ressemblance mémorielle1. Par là on est assuré qu’il est toujours possible de
décider si l’état de choses en question est réalisé ou non.
Plus concrètement cela veut dire qu’un énoncé scientifique ne « parle » que d’un
nombre fini de vécus passés, même s’il apparaît comme affirmant l’occurrence future d’un
événement ou comme énonçant une loi générale. Comme le disait E. Kaila dans son étude
critique de l’Aufbau : « …s’agissant de sa signification logique –mais non s’agissant de son
« contenu »- aucun concept ne se référant pas directement à ce qui est donné, ne peut dénoter
autre chose que des classes d’éléments de base, des classes de classes ou des classes de
relations entre eux, etc. … Tout comme les mathématiques pures, si l’on admet que les entiers
naturels en constituent la base, ne peuvent rien contenir d’autre que des énoncés portant sur
des classes, des classes de classes, des classes de relations… d’entiers naturels, les sciences
empiriques ne peuvent rien contenir d’autre que des énoncés portant sur des classes, des
classes de classes… de ‘mes’ vécus élémentaires passées »2.
Carnap exprimait cela, en 1936, dans “Testability and Meaning”3 de la manière
suivante : « Les lois de la physique, ainsi que toutes les prédictions étaient interprétées [dans
l’Aufbau] comme des enregistrements d’expériences présentes et passées (remémorées), à
savoir, ces expériences dont on dit habituellement que la loi ou la prédiction en question est
inférée par induction. »
Pourtant, un an avant la publication de l’Aufbau, le physicien P.W. Bridgman4, tirant les
leçons de la formule bien connue d’Einstein (« Cette notion [sc. la simultanéité de deux
événements] n’existe, pour le physicien que s’il a trouvé la possibilité de vérifier dans le cas
concret, si elle est ou si elle n’est pas exacte5 ») développait sa conception « opérationaliste »
des concepts physiques : « En général, nous ne signifions par un concept rien de plus qu’un
ensemble d’opérations ; le concept n’est que le nom (is synonymous with) de l’ensemble des
opérations qui lui correspond. »6. La conséquence immédiate en était qu’à chaque ensemble
d’opérations correspond un concept différent, même si « intuitivement » il pouvait sembler
que l’on eût affaire à un même concept (par ex. le concept de ‘longueur’ éclate en autant de
concepts différents qu’il y a de procédés pour mesurer une longueur) : « Si nous avons plus
qu’un ensemble d’opérations, nous avons plus qu’un concept, et, en toute rigueur nous
devrions avoir un nom distinct correspondant à chaque ensemble d’opérations différent7. ».
Une autre conséquence du point de vue de Bridgman était qu’un concept physique n’a
un sens déterminé que dans le domaine accessible à l’ensemble des opérations auquel il est
équivalent ; là où les opérations ne sont pas effectuées ou pas effectuables, le concept n’a pas
de signification déterminée, puisque les opérations en question doivent être « réelles » : « …le
concepts ne peuvent être définis que dans le domaine des expérimentations effectives (actual)
et sont indéfinis et dépourvues de signification dans des régions restant encore en dehors des
1
cf. Aufbau, § 180.
“Der logistische Neupositivismus” (1930), traduit en anglais in Eino Kaila, Reality and Exprerience, D. Reidel.
(Vienna Circle Collection), 1979, p. 15-16
3
“Testability and Meaning” [T&M], §23, p. 179 ; nous citons d’après le texte de T&M qui figure dans le recueil
édité par R.R. Ammerman, Classics of Analytic Philosophy (Mc Graw-Hill, 1965), p. 130-195. Notons en
passant que la version de T&M qui figure dans le recueil de H. Feigl and M. Brodbeck, Readings in the
Philosophy of Science, (Appleton-Century-Crofts, 1953) n’est pas complète.
4
Sur Bridgman et le Cercle, cf. H. Feigl, “The Wiener Kreis in America” in Inquiries and Provocations, D.
Reidel, (Vienna Circle Collection), 1981, p. 69 sq.
5
cf. La Relativité, trad. M. Solovine, Paris, Payot, p. 31.
6
P.W. Bridgman, The Logic of Modern Science, (The Macmillan Company, 1927, réimpression en 1949) p. 5
(italiques de Bridgman)
7
id. p. 10.
2
expérimentations8. ». En termes frégéens, cela revient à dire qu’un concept physique n’est pas
strictement délimité : on ne peut décider si un objet tombe ou ne tombe pas sous un concept
que si l’objet en question appartient au domaine dans lequel les opérations correspondant à ce
concept, sont effectuables ; pour les autres objets, la question de savoir s’ils tombent ou non
sous le concept, n’a tout simplement pas de sens. Autrement dit, la conception défendue par
Bridgman conduisait à donner à la définition d’un concept physique la forme d’une définition
conditionnelle dont l’antécédent inclut des données expérimentales9.
Les gens du Cercle de Vienne ont pris connaissance du livre de Bridgman10 en 1929 et
ont rapidement reconnu dans son opérationalisme un point de vue en harmonie avec leur
propre empirisme. Après avoir admis, au tout début des années trente, que l’exigence de
traductibilité défendue dans l’Aufbau était trop forte, Carnap se replia, si l’on peut dire, sur
une exigence moins forte, celle de réductibilité (et de confirmabilité), qui était comme la
formalisation d’une version faible de l’opérationalisme de Bridgman.
Cette « libéralisation de l’empirisme », qui prendra de nouvelles formes après la guerre,
prenait acte du fait que nous pouvons avoir intérêt à introduire un nouveau concept sur la base
de régularités constatées, c’est à dire, si l’on est « régulariste », sur la base de lois physiques :
si, pour prendre un exemple rudimentaire, je constate que certains corps toutes les fois qu’ils
sont soumis à une pression et se déforment, reprennent leur forme initiale lorsque la pression
cesse, (alors que d’autres ne le font pas), je pourrais juger opportun de les ranger sous un
même concept, celui de ‘corps élastique’. Par la suite, sollicité par la Royal Academy, je
m’intéresse au comportement de deux corps élastiques lorsqu’ils s’entrechoquent, constate
qu’ils ne se comportent pas comme des corps non-élastiques, et en arrive, expérimentalement,
à la ”loi” selon laquelle, lorsque « deux corps élastiques animés de vitesse égale et opposée se
rencontrent, ils se séparent avec des vitesses égales aux précédentes ». De là, il suit que si un
corps élastique heurte un autre corps élastique au repos, il lui transmet toute sa vitesse et reste
au repos après le choc, etc. Puis j’en arrive peut-être à l’idée qu’un corps élastique est tel que
tout changement de sa forme correspond à un changement dans le système de pression qu’il
subit, et réciproquement, etc.
Une propriété comme l’élasticité n’apparaît, si l’on peut dire, que lorsque l’on constate
que dans certaines circonstances, ou soumis à certains tests, certains objets (ici des corps) se
comportent régulièrement d’une certaine façon déterminée. Cette régularité constatée
expérimentalement suggère d’introduire un nouveau concept pour autant qu’il semble
raisonnable de s’attendre à ce que les objets tombant sous ce concept présentent d’autres
caractéristiques communes dans d’autres circonstances (ici d’obéir à des lois du choc
spécifiques) ; cela est évidemment un pari sur l’avenir et pourrait se révéler erroné, seules des
expériences futures pouvant en décider. Le prototype de tels concepts sont, comme on le sait
bien, les concepts dits « dispositionnels », ceux qui dans la langue commune se terminent
souvent en « able » (malléable) « ible » (combustible) ou « uble » (soluble). L’effort de
Carnap, dans T. & M., est de légitimer l’introduction de tels concepts étant admis que tous les
concepts « théoriques » doivent pouvoir être traités comme des dispositionnels.
Que veut dire « légitimer » ici ? Cela signifie 1. que l’on doit pouvoir continuer à faire
le partage entre des concepts de ce genre qui, quoiqu’ils ne puissent être éliminés au profit des
seuls concepts, ou termes, d’observation, ne sont cependant pas sans support « dans
8
id. p. 7.
On sait que ce genre de définition était vivement critiquée par Frege (cf. Grundgesetze II, § 65, “Über die
Grundlagen der Geometrie”, Jahresbericht der Deutschen Mathematiker-Vereinigung, vol. 15, 1906, p. 379-380,
Lettre à Peano du 29 sept. 1896) mais aussi par Russell (cf. “Les paradoxes de la Logique”, RMM, 1906, tome
XIV, p. 641). De là se tire ce que l’on a coutume d’appeler la conception « universaliste » de la logique.
10
Livre qui ne figure pas dans la bibliographie du Manifeste.
9
l’expérience » et les concepts « métaphysiques» (l’ “entéléchie” de Driesch, par ex.) ; 2. que
le partage entre énoncés analytiques et synthétiques doit pouvoir être rigoureusement marqué.
La situation historique de cette question est assez curieuse. Carnap avait accepté de
sortir du cadre d’une stricte orthodoxie frégéenne et avait fait porter ses efforts sur une
manière de préserver autant que possible l’orthodoxie empiriste. Par la suite, emporté par son
élan, il en vint à reconnaître que la solution, en termes de dispositionnel, du problème
épistémologique posé par les « termes théoriques » n’était pas complètement satisfaisante ; ce
qui le conduisit, par étapes, à reprendre, en lui faisant subir quelques modifications, la
solution esquissée par Ramsey en 192911 ; ce fut le recours aux « énoncés de Ramsey ».
D’un autre côté, l’introduction des dispositionnels par les « énoncés de réduction »
proposée par Carnap dans T&M, a suscité une abondante littérature dans les années quarante
et cinquante autour de l’idée qu’il fallait sortir du cadre de la logique « extensionnelle » pour
traiter des prédicats dispositionnels, la définition de tels prédicats devant prendre la forme
d’implications contrefactuelles12 : ‘b est soluble =df si b était plongé dans l’eau, b se
dissoudrait’..
On sait que par la suite, les développements de la sémantique dite « des mondes
possibles » pour la logique modale, ont conduit certains auteurs, dans les années soixante-dix
(Stalnaker, et D. Lewis étant les plus connus), à reprendre, dans ce nouveau cadre, la question
d’une « logique » des contrefactuels ; l’idée était que les difficultés apparemment
insurmontables rencontrées sur cette question dans les années quarante-cinquante, pouvaient
peut-être trouver par là un début de solution. Ainsi s’introduisit et se développa un thème de
discussion autonome, qui finit par ne plus avoir grand chose à voir avec les préoccupations de
Carnap.
Toutefois, puisque les logiques des contrefactuels trouvent leur origine lointaine dans le
traitement carnapien des dispositionnels dans T&M, il peut être amusant, sinon instructif, de
revenir en arrière et d’examiner la question suivante : le traitement des contrefactuels dans le
cadre de la sémantique des mondes possibles, en particulier dans la sémantique
« ptolémaïque » de D. Lewis, permet-il de faire face aux objections soulevées (par Chisholm
et Goodman en particulier) à l’encontre de l’introduction des dispositionnels par le biais des
énoncés de réduction ? Carnap, en 1963, exprimait une attitude d’attente et déclarait dans sa
réponse aux objections soulevées par A. Pap à l’encontre de sa théorie des prédicats
dispositionnels : « Ce n’est que dans l’avenir, lorsque de plus amples recherches en logique
des modalités auront été menées, qu’il sera possible de juger lequel d’un langage extensionnel
ou d’un langage modal présente le plus d’avantages »13. Le temps d’en juger est peut-être
arrivé.
________________
I. Vices et vertus des énoncés de réduction
Une « propriété » dispositionnelle ne peut être attribuée à un objet que sous la condition
que l’objet en question réponde d’une certaine façon à une sollicitation : tel morceau de cire,
porté à une certaine température, peut être dit flexible et muable à la condition qu’il se
déforme lorsqu’une pression est exercée sur lui. En toute rigueur (et, pour simplifier l’exposé,
en faisant abstraction des conditions de température), on ne peut dire du morceau de cire qu’il
11
cf. F.P. Ramsey, « Theories » in Philosophical Papers (D.H. Mellor, ed, Cambridge U.P. 1990), p. 112-136.
Pour des raisons purement personnelles et donc inavouables, nous appellerons « implication contrefactuelle »
ce qui est le plus souvent appelé dans la littérature « conditionnel contrefactuel ».
13
The Philosophy of R. Carnap (The Library of Living Philosophers, P.A. Schilpp, ed., 1963) p. 951 [Schilpp].
12
est flexible et muable avant d’avoir constaté qu’il se déforme lorsqu’on le soumet à une
pression. Tant qu’il n’a pas subi une telle épreuve, l’affirmation qu’il a cette propriété n’est
supportée par rien. En faisant appel aux ressources de la logique standard, on est donc amené
à introduire un prédicat exprimant une propriété dispositionnelle par une « définition
d’usage » ayant à peu près la forme suivante14 :
x est flexible et muable (à la température T), =df si x est soumis à une pression, alors x
se déforme. En reprenant le symbolisme habituel, cela donne :
∀x[Dx ≡ (Px ⇒ Qx)]
Comme on le sait bien, une telle définition n’est pas satisfaisante puisque, en vertu des
caractéristiques de l’implication « matérielle », le definiens est vrai toutes les fois que
l’antécédent de l’implication (« x est soumis à une pression ») est faux ; ce qui a comme
conséquence contre-intuitive que tout objet qui n’est pas soumis à une pression, pourrait être
légitimement dit flexible et muable ; autrement dit, lorsque ‘Pb’ est faux le definiens est vrai
et donc ‘Db’ est également vrai.
Pour faire face à cette difficulté, Carnap, dans T&M substitue à cette « définition
d’usage », ce qu’il appelle un « énoncé de réduction » permettant d’introduire ‘D’ de la
manière suivante :
∀x{Px ⇒ [Qx ≡ Dx]}
soit :
∀x{{[Px ∧ Qx] ⇒ Dx} ∧ {[Px ∧ ~Qx] ⇒ ~Dx}}15
Il s’agit dans ce cas précis de ce que Carnap appelle un énoncé de réduction bilatéral.
Il peut se trouver que ‘P’ et ‘Q’ ne soient pas les mêmes prédicats dans les deux
membres de la conjonction. On a alors deux énoncés de réduction distincts qui prennent la
forme d’une implication :
∀x{[P1x ∧ Q1x] ⇒ Dx}
∀x{[P2x ∧ Q2x] ⇒ ~Dx}
Si ces deux énoncés sont valides (analytiques ou P-valides16) on a affaire à une “paire de
réduction”.
Carnap ajoute la clause évidente qu’il ne faut pas que les conjonctions dans les
antécédents soient contravalides (contradictoires ou P-contravalides), autrement dit, on ne doit
pas avoir, par ex. :
~∃x[P1x ∧ Q1x]
analytique ou P-valide. Si tel était le cas, cela voudrait dire qu’aucun objet, soit pour des
raisons purement logiques, soit pour des raisons empiriques, ne satisfait les conditions
d’application de la propriété D, qui devient donc elle-même inapplicable.
Ainsi, à la différence de la première tentative d’introduction de ‘D’ par voie de
définition d’usage, lorsque l’on a affaire à un objet b qui ne satisfait pas ‘P1’, par ex.,
l’implication ‘[P1b ∧ Q1b] ⇒ Db’ est certes vraie mais la fausseté de l’antécédent n’autorise
pas à détacher ‘Db’ et on ne peut donc attribuer la propriété D à b. S’agissant d’un énoncé de
14
15
Pour simplifier, nous ne tenons pas compte du temps et ne quantifions donc pas sur des moments.
On peut donner à cette formule la forme équivalente :
∀x{[P(x) ⇒ {Q(x) ⇒ D(x)}] ∧ [P(x) ⇒ {~Q(x) ⇒ ~D(x)}]}
Dans la terminologie de Carnap (à cette époque « pré-sémantique »), un énoncé S est valide ssi S peut être
déduit, en vertu des règles d’inférence, des axiomes admis dans le système. Les axiomes sont de deux sortes :
axiomes logiques et postulats empiriques ; si S est déduit des seuls axiomes logiques, S est L-valide ou
analytique. Si, dans la déduction de S, il est fait usage d’au moins un postulat empirique, S est P-valide. Si un
énoncé S n’est pas valide, il peut être soit L-contravalide, i.e. contradictoire (il y a une déduction à partir des
seuls axiomes logiques pour ~S), soit P-contravalide (il y a une déduction faisant usage des postulats empiriques
pour ~S), soit encore indéterminé (il n’y a de déduction ni pour S ni pour ~S)
16
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Supprimé: si et
seulement si
réduction bilatéral, cela revient à attribuer la propriété D à tout objet qui satisfait à la fois ‘P’
et ‘Q’ et à attribuer la propriété ~D à tout objet qui satisfait à la fois ‘P’ et ‘~Q’, mais à
n’attribuer ni D ni ~D à un objet qui ne satisferait pas ‘P’. En ce dernier cas, dire de b qu’il est
D ou qu’il n’est pas D n’est ni vrai ni faux, mais tout simplement insignifiant ; c’est ainsi que
Carnap déclare : « Si nous admettons comme valide une paire de réduction (ou un énoncé de
réduction bilatéral) pour introduire un prédicat ‘D’, la signification de ‘D’ n’est pas établie
complètement, mais seulement pour les cas dans lesquels la condition expérimentale est
remplie »17. Certes, l’introduction de nouvelles paires de réduction pour ‘D’ ou
l’établissement de nouvelles lois, peut permettre de réduire la « région d’indétermination »,
mais sans que l’on puisse être assuré d’arriver à la réduire complètement.
Une définition explicite apparaît alors comme un cas particulier d’énoncé de réduction :
si un énoncé de réduction bilatéral de la forme ‘∀x{Px ⇒ [Qx ≡ Dx]}’ est analytique avec
‘∀xPx’ également analytique, alors ‘Q(x) ≡ D(x)’ est analytique et fonctionne comme une
définition explicite habituelle de ‘D’ en terme de ‘Q’. c’est pourquoi Carnap estime que
l’introduction d’un prédicat par le biais d’énoncés de réduction n’est qu’une extension de
l’introduction par définition explicite.
On évite donc l’embarras suscité par l’introduction de ‘D’ par une définition d’usage,
mais au prix d’une violation évidente de l’exigence frégéenne de « stricte délimitation »,
puisque l'on ne peut décider de la vérité ou de la fausseté de la proposition ‘Db’ lorsque ‘b’
nomme un objet appartenant à la « région d'indétermination » Il y avait cependant une
échappatoire, celle-la même que Frege utilisait : lorsque, intuitivement, un concept ne semble
pas s’appliquer à tel ou tel objet (César est-il un nombre premier ?), il suffit de poser par
définition que la proposition obtenue en mettant un nom pour cet objet à la place d’argument
de l’expression conceptuelle, est fausse (désigne le Faux).
Carnap se refuse à cet artifice au nom du fait qu’il « ne s’accorde pas avec l’intention du
scientifique concernant l’usage du prédicat [‘D’]. Le scientifique ne souhaite déterminer ni
positivement ni négativement les cas de la troisième classe [sc. par ex. , dans le cas d’un
bilatéral, la classe des objets qui ne sont pas P] ; il souhaite laisser cette question ouverte
jusqu’à ce que les résultats de recherches futures suggèrent de poser une nouvelle paire de
réduction.»18. Plus tard, après avoir abandonné cette solution, Carnap insistera sur le fait que,
même si « cette forme simple [sc. les énoncés de réduction] ne peut suffire à introduire les
concepts des sciences théoriques », elle fut néanmoins « utile car elle manifestait clairement le
caractère ouvert des concepts scientifiques, i.e. le fait que leur signification n’est pas
complètement fixée. »19.
Il y a un deuxième inconvénient formel à introduire un prédicat par des énoncés de
réduction : dans la plupart des cas, de tels énoncés ont des conséquences factuelles, i.e. en
posant comme valide une paire de réduction, par exemple, on affirme qu’un certain état de fait
empirique est réalisé.
Soit, en effet, la paire de réduction
∀x{[P1(x) ∧ Q1(x)] ⇒ D(x)}
∀x{[P2(x) ∧ Q2(x)] ⇒ ~D(x)}
Il est facile de voir qu’en contraposant la deuxième formule et en jouant de la
transitivité, on obtient la conclusion :
∀x~{P1(x) ∧ Q1(x) ∧ P2(x) ∧ Q2(x)}
17
T&M, §9, p. 148.
T&M, §10, p. 151.
19
Schilpp, p. 59, cf. également, “The Methodological Character of Theoretical Concepts”, in Minnesota Studies
in the Philosophy of Science, vol 1, 1956, p 67.
18
Cette formule, que Carnap appelle « l’énoncé représentatif » de la paire de réduction,
exprime simplement qu’un même objet ne peut avoir simultanément les quatre propriétés P1,
P2, Q1, et Q2 puisque cela voudrait dire que l’on pourrait lui attribuer à la fois D et ~D.
Le seul cas où l’énoncé représentatif d’un énoncé de réduction n’a pas de contenu
factuel, est celui d’un énoncé de réduction bilatéral de la forme :
∀x{P(x) ⇒ [Q(x) ≡ D(x)]}
dont l’énoncé représentatif est :
∀x~{P(x) ∧ Q(x) ∧ ~Q(x)}
qui est clairement « analytique » (« L-valide »)20.
Enfin, il résulte également de tout cela que l’introduction d’un terme par des énoncés de
réduction, rend le terme en question inéliminable, ce qui marque une nouvelle et importante
différence avec l’introduction d’un terme par une définition explicite et a d’importantes
conséquences sur la question de l’analyticité.
Les deux caractéristiques de l’introduction des termes par énoncés de réduction, à savoir
donc, signification non complètement établie et conséquences factuelles, ont été sévèrement
jugées, après la guerre, par Chisholm ou Pap comme par Goodman ; ils estimaient que c’était
là un prix trop fort à payer pour faire face à la difficulté, remarquée par Carnap, que posent les
termes dispositionnels dans le cadre d’une logique purement extensionnelle. Chisholm21
estimait étrange que dans un énoncé de réduction comme : ‘si le corps b est plongé dans l’eau
au temps t alors, le corps b est soluble si et seulement si (expression désormais abrégée
« ssi ») le corps b se dissout au temps t’ la première et la troisième sous-propositions soient
signifiantes (en supposant évidemment que les prédicats ‘x est plongé dans l’eau au temps y’
et ‘x se dissout au temps y’ se conforment à l’orthodoxie frégéenne) alors que la deuxième est
ou n’est pas signifiante selon que la première est vraie ou fausse ; dans ce deuxième cas, c’est
l’ensemble de l’énoncé qui devient insignifiant, mais pour le « savoir » il faut attendre de
savoir si l’un de ses composants (le premier) est faux, ce qui est bien singulier !
Goodman estimait quant à lui que l’on ne peut mettre sur le même pied « introduction
par énoncé de réduction » et « introduction par définition » : l’introduction par énoncé de
réduction d’un prédicat est en fait une introduction par postulat du prédicat en question en tant
que prédicat primitif et donc inéliminable22. Il reprochait plus généralement à Carnap d’avoir
cherché à reproduire dans sa machinerie formelle pour les termes dispositionnels l’ordre de
leur « adoption pré-systématique » plutôt que d’avoir cherché à les « expliquer » : « Alors que
l’explication [philosophique] doit respecter l’application pré-systématique des termes, elle n’a
pas à refléter la manière ou l’ordre dans lequel s’effectue leur adoption pré-systématique. »23.
20
Il faut cependant noter avec Hempel (Schilpp, p. 704) que cela ne vaut que si ‘D’ n’est introduit que par un
seul bilatéral ; si on pose deux, ou plus de deux, bilatéraux pour ‘D’, on a de nouveau des conséquences
factuelles. Pour deux bilatéraux, ∀x(Px ⇒ (Qx ≡ Dx)) et ∀x(P’x ⇒ (Q’x ≡ Dx)) l’énoncé représentatif est :
∀x~(Px ∧ Qx ∧ P’x ∧ ~Q’x) ∧ ∀x~(P’x ∧ Q’x ∧ Px ∧ ~Qx)
ou si l’on veut
∀x[(Px ∧ Qx ∧ P’x) ⇒ Q’x] ∧ ∀x[(P’x ∧ Q’x ∧ Px) ⇒ Qx)]
21
Dans l’article paru en 1946 “The Contrary-to-Fact Conditionnal”, reproduit dans Readings in Philosophical
Analysis (Feigl and Sellars, eds, Appleton-Century-Croft, 1949), p. 482-497.
22
Ce que, du reste, Carnap lui-même admettra par la suite et qui le conduira, en 1952, à traiter les énoncés de
réduction (sous une forme un peu différente, nous reviendrons sur ce point ci-dessous) comme des « postulats de
signification » (cf. ”Meaning postulates”, in Meaning and Necessity, p. 228) ; voir également Schilpp, p. 948.
23
N. Goodman, Faits, Fictions et Prédictions (Les éditions de Minuit, 1984), p. 66-67
Ces critiques valent ce que valent leurs présupposés et ce sont précisément ces derniers
que Carnap s’autorise à ne plus admettre au nom du principe de tolérance. Il s’agit pour lui de
montrer comment, dans un cadre « libéralisé », il est encore possible de faire le partage entre
analytique et synthétique et entre prédicats admissibles et prédicats « métaphysiques ». L’idée
générale est la suivante : selon l’interprétation que les gens du Cercle avaient donnée de la
position de Wittgenstein dans le Tractatus, un énoncé n’est signifiant que s’il est soit un
énoncé élémentaire dont la vérité et la fausseté est directement décidable sur la base de
« l’expérience », soit un énoncé « moléculaire », dont la vérité ou la fausseté est « fonction »
de celle des énoncés élémentaires qui le composent. Dans cette perspective, il était donc
admis qu’un énoncé élémentaire comme ‘la table est noire’, si tant est que cela en soit un, est
signifiant car il est déterminément vrai ou faux et qu’en droit, il est possible de s’en assurer
définitivement, autrement dit de le « vérifier complètement ». Il était également admis qu’un
énoncé comme ‘les hommes sont méchants’ devait être analysé comme une conjonction
d’énoncés élémentaires ‘Hitler est méchant et Staline est méchant et Mussolini est méchant et
… et Joe Dalton est méchant et…, etc.’ et qu’il n’y avait pas à admettre les quantificateurs à
titre de « constantes logiques » primitives. La distinction entre énoncés analytiques et énoncés
synthétiques ne pose alors guère de problème théorique, pas plus que celle entre prédicats
admissibles et prédicats « métaphysiques », à condition toutefois que les prédicats
« théoriques » soient tous éliminables au profit de prédicats primitifs « observables », ce qui
veut donc dire qu’ils n’ont été introduits que par des définitions explicites (ce que faisait
Carnap dans l’Aufbau).
Il est bien difficile de soutenir jusqu’au bout ces deux thèses : un énoncé élémentaire
comme ‘la table est noire’ n’est pas « complètement vérifiable » puisqu’il est toujours
possible de suspecter la justesse des observations qui ont conduit à l’affirmer et d’avoir ainsi à
poursuivre plus avant les-dites observations. Tout au plus pourra-t-on admettre que cet énoncé
est solidement confirmé et que cela suffit pour l’affirmer. De la même manière, un énoncé
universel, sauf exception, ne peut être transcrit en une conjonction d’énoncés singuliers, et ne
peut donc être conçu comme « fonction de vérité » de tels énoncés. Il ne peut donc être luimême « complètement vérifié » ; tout au plus est-il bien confirmé en fonction du nombre de
ses instances singulières elles-mêmes (seulement) bien confirmées. On est alors conduit à
admettre que « tout énoncé (synthétique) est une hypothèse, i.e. ne peut être jamais être
vérifié complètement ni définitivement »24 et qu’il n’y a que du plus ou moins confirmé, pas
du complètement vérifié.
Comment alors distinguer les prédicats admissibles de ceux qui le sont pas, et les
énoncés synthétiques des énoncés analytiques ?
Sur le premier point, la solution développée par Carnap s’appuie sur l’idée que la
confirmation se transmet par la relation de « conséquence » dans les deux sens, i.e. en
descendant vers les conséquences et en remontant aux prémisses. Il s’agit, en simplifiant, de
généraliser les deux situations suivantes :
1. d’un énoncé élémentaire ‘Pb’, suit, en bonne logique, la conclusion ‘∃xPx’ et en ce
cas on dira que ‘∃xPx’ est complètement confirmée par la prémisse ‘Pb’ ; en généralisant, on
dira que la confirmation d’un énoncé E est complètement et directement réductible à la
confirmation d’un ensemble fini d’énoncés C ssi E est conséquence de C.
2. d’un énoncé universel ‘∀xPx’ suit un ensemble infini C’ d’énoncés de la forme ‘Pa’,
‘Pb’, etc (avec ‘a’, ‘b’, etc. constantes) ; plus nombreux sont confirmés des énoncés de cette
dernière forme, plus l’universel ‘∀xPx’ peut être dit confirmé, tant qu’aucun énoncé de la
forme ‘~Pc’ n’a été confirmé ; en ce cas, on dira que ‘∀xPx’ est incomplètement confirmé. En
24
T&M, §4, p. 136.
généralisant, on dira que la confirmation d’un énoncé E est incomplètement et directement
réductible à la confirmation d’un ensemble infini C’ d’énoncés ssi les énoncés appartenant à
C’ sont conséquences de E par substitution.
Ces deux définitions permettent de définir les relations correspondantes de réductibilité
complète et incomplète indirecte sur le modèle du passage de la relation de paternité à celle
d’ancêtre25.
Ces définitions s’étendent alors à la réduction d’un prédicat à une classe de prédicats. A
la suite de Carnap, appelons ‘énoncé complet’ du prédicat à une place (par ex.) ‘P’ un énoncé
de la forme ‘Pb’ et ‘CP’ l’ensemble formé des énoncés complets de P et de leur négation. Si
l’on a affaire à un ensemble de prédicats D, on formera de la même manière l’ensemble CD
des énoncés complets des prédicats appartenant à D et de leur négation. On peut alors définir
la réduction (complète ou incomplète) de la confirmation d’un prédicat P à celle d’un
ensemble de prédicats D de la manière suivante :
La confirmation de ‘P’ est réductible (comp. ou incomp.) à celle de D ssi la
confirmation de chaque énoncé complet de ‘P’ avec une certaine constante c est réductible
(comp. ou incomp. resp.) à celle d’un sous-ensemble consistant de CD ne contenant que des
énoncés complets et/ou des négations d’énoncés complets des prédicats de D avec la même
constante c.
Si cela vaut également pour ‘~P’ (i.e., si la confirmation de ‘~P’ est réductible à celle de
D), on dira simplement que ‘P’ est réductible à D.
Supposons maintenant que l’on ait introduit un prédicat ‘R’ par la paire de réduction,
admise donc comme valide :
∀x{[P1x ∧ Q1x] ⇒ Rx}
∀x{[P2x ∧ Q2x] ⇒ ~Rx}
et soit D = {P1, P2, Q1, Q2}. Il est clair alors que ‘R’ est complètement réductible à D. En effet,
la confirmation de chaque énoncé complet de ‘R’, i.e. de chaque énoncé de la forme ‘Rb’,
avec ‘b’ constante, ainsi que de chaque énoncé ‘~Rb’, est complètement réductible à la
confirmation d’un sous-ensemble consistant de {P1b, ~P1b, P2b, ~P2b, Q1b, ~Q1b, Q2b, ~Q2b},
i.e. ‘Rb’ est conséquence de {P1b, Q1b} et ‘~Rb’ est conséquence de {P2b, Q2b}.
Il est clair en effet que l’on a, pour toute constante ’b’
P1b, Q1b, ∀x[P1x ⇒ (Q1x⇒ Rx] ╞ Rb
et de la même manière :
P2b, Q2b, ∀x[P2x ⇒ (Q2x ⇒ ~Rx] ╞ ~Rb26.
Si maintenant les prédicats appartenant à D sont des prédicats observables27, alors, en
vertu de la définition de la confirmabilité d’un prédicat28, on peut dire que ‘R’ est
25
Exemple simple de « complètement et indirectement réductible » : soit la phrase ∃x∃yPxy et la classe C
d’énoncés : {Pab} ; on a : la confirmation de ∃x∃yPxy est complètement réductible à la confirmation de la classe
C’ = {∃yPay} et la confirmation de ∃yPxy est complètement réductible à la confirmation de la classe C’’ =
{Pab} ; donc la confirmation de ∃x∃yPxy est complètment et indirectement réductible à la confirmation de C =
{Pab}
Exemple simple de « incomplètement et indirectement réductible » : soit l’énoncé ∃x∀yPxy et la classe infinie C
d’énoncés {Paa, Pab, Pac, Pad, etc…} ; on a : la confirmation de ∃x∀yPxy est complètement réductible à la
confirmation de la classe C’ = {∀yPay} et la confirmation de ∀yPay est incomplètement réductible à la
confirmation de la classe C = {Paa, Pab, Pac, Pad, etc…}, d’où : la confirmation de ∃x∀yPxy est
incomplètement et indirectement réductible à la confirmation de la classe C.
26
C’est ce qu’énonce le théorème 6 p. 147 de T&M.
27
‘observable’ est un prédicat primitif que Carnap se contente d’ « expliquer », cf. T&M, §11.
complètement confirmable. Dans le cas de « soluble » par exemple, on peut même ajouter
qu’il s’agit d’un prédicat testable (peu importe ici).
On voit que c’est la simple relation logique de conséquence qui confère à R sa
confirmabilité (au cas où ‘P1’, ‘P2’, ‘Q1’, et ‘Q2’ sont des prédicats observables ou réductibles
à des prédicats observables). Quelle que soit la vérité factuelle de ‘P1b’, etc., il reste que les
deux micro-inférences ci-dessus sont valides et qu’elles permettent en vertu des définitions de
la réductibilité et la confirmabilité de dire que ‘R’ est confirmable. C’est pourquoi, la
confirmabilité de ‘R’ est formellement assurée même si, à la limite, aucun objet n’est P (ce
qu’exclut de toute façon Carnap au §8).
La confirmabilité de ‘R’ est donc indépendante du fait que sa signification (frégéenne)
n’est pas « complètement déterminée » puisque le fait qu’à ce qui n’est pas P on ne puisse
attribuer ni R ni ~R ne change rien au fait que ‘R’ soit « confirmable » . C’est pourquoi
malgré cette indétermination, ‘R’ est admissible pour un empiriste et a une signification,
contrairement à d’autres prédicats qui se révèlent n’être pas réductibles (complètement ou
incomplètement) à une classe de prédicats observables.
La comparaison avec ce que faisait Carnap en 1928 dans l’Aufbau, s’établit ainsi :
Dans l’Aufbau, le recours aux seules définitions explicites, grâce auxquelles il était
toujours possible d’éliminer les prédicats introduits (« construits »), permettait d’être assuré
que ces prédicats étaient « complètement vérifiables », étant admis qu’il était toujours
possible de s’assurer qu’était effectivement réalisé tel ou tel état de choses constitué
d’éléments en nombre fini (les « vécus élémentaires ») reliés par la relation de base
(« ressemblance mémorielle »). Il était donc inutile d’élaborer une notion particulière de
« confirmabilité » ou de « testabilité » : l’éliminabilité des prédicats introduits, garantie par la
procédure de « construction », suffisait à l’affaire.
La « libéralisation de l’empirisme » conduisit, à l’inverse, à dissocier procédure
d’introduction d’un prédicat et confirmabilité/testabilité dudit prédicat ; à partir de ce
moment, la question, pour Carnap, fut de savoir comment codifier des procédures
d’introduction qui reflètent « la manière ou l’ordre dans lequel s’effectue leur adoption présystématique », pour reprendre la formule de Goodman, tout en élaborant parallèlement une
notion de « contenu empirique » (dans T&M cela se fait via les notions de confirmabilité et de
testabilité) qui permette de faire le partage entre prédicats admissibles (pour un empiriste) et
prédicats inadmissibles (« métaphysiques », i.e. tous les autres). Ce que se reprochera par la
suite Carnap, n’est pas d’avoir enfreint l’orthodoxie frégéenne, mais au contraire d’être resté
trop restrictif dans sa manière de codifier l’introduction de prédicats dans les sciences et,
ainsi, de ne pas avoir fait droit à des pratiques scientifiques, certes logiquement peu
avouables, mais épistémologiquement fructueuses.
Qu’en est-il maintenant du deuxième point évoqué plus haut, à savoir de la distinction
entre énoncés analytiques et énoncés synthétiques ; plus précisément, pour ce qui nous
intéresse, dans quelle catégorie classer les énoncés comportant des termes introduits par des
énoncés de réduction ?
De manière générale, s’agissant d’énoncés comportant des prédicats « descriptifs »
primitifs ou introduits par des définitions explicites le critère de l’analycité tel que Carnap
l’avait formulé dans LSL, § 51 est le suivant :
- un énoncé ne comportant que des prédicats descriptifs primitifs est analytique ssi il
est valide et que tous les énoncés obtenus en substituant aux prédicats descriptifs d’autres
prédicats de même type sont valides.
28
Un prédicat est confirmable (comp., incomp.) s’il est est réductible (comp., incomp.), au sens ci-dessus, à une
classe de prédicats observables, cf. T&M df. 18, p. 157.
- un énoncé comportant des prédicats descriptifs introduits par définitions explicites
est analytique ssi l’énoncé obtenu en éliminant les prédicats définis au profit des prédicats
primitifs, est analytique.
La question est évidemment moins aisée à trancher lorsque les prédicats sont introduits
par des énoncés de réduction puisqu’alors, comme on l’a vu, ils sont inéliminables.
Le modèle qui gouverne la « solution » (provisoire) qu’apporte Carnap à cette question
est la suivante : on peut évidemment admettre en général que tout ce qui suit logiquement
d’une définition (explicite) est analytique (par ex. si l’on pose ‘Qx =df Px ∧ Rx’ alors
‘Qa ⇒ Ra’ est clairement analytique). S’agissant des prédicats introduits par énoncés de
réduction, une telle caractérisation n’est plus, en général, possible puisque comme on l’a vu,
d’une paire de réduction (ou d’un ensemble de paires de réduction) suit logiquement un
énoncé ayant un contenu factuel, à savoir celui que Carnap appelle son énoncé représentatif.
On ne peut donc se contenter d’admettre comme analytiques les énoncés qui suivent
logiquement des paires (ou ensemble de paires) de réduction. Il faut ajouter la clause selon
laquelle seuls sont analytiques les énoncés qui suivent logiquement d’ensembles de paires de
réduction qui n’ont pas de conséquences factuelles29 ; ce qui revient pour l’essentiel à
n’admettre comme analytiques que les énoncés qui suivent d’un seul bilatéral, puisque d’un
bilatéral ne suit, en termes de prédicats descriptifs primitifs, qu’un énoncé sans contenu
factuel.
Il reste cependant une difficulté apparente, que n’ont pas manqué de soulever certains
lecteurs de Carnap : qu’en est-il des énoncés comportant des prédicats introduits par des
énoncés de réduction et qui ont la forme d’énoncés logiquement valides ? Pour ne prendre
qu’un exemple simple, qu’en est-il de l’énoncé ‘∀x(Rx ∨ ~Rx)’ lorsque ‘R’ est introduit par
une paire de réduction ? L’embarras vient de ce que la signification de ‘R’ n’est pas
complètement déterminée et que si l’on considère un objet b appartenant à la zone
d’indétermination de ‘R’, il n’y a pas de sens à affirmer ‘Rb ∨ ~Rb’ puisque ‘Rb’ est supposé
ne pas avoir de signification30.
La manière de s’exprimer de Carnap dans T & M conduisait évidemment à poser cette
question31 ; en soulignant que pour un objet b qui n’appartient pas à la classe
(P1 ∧ Q1) ∨ (P2 ∧ Q2), « ni le prédicat [‘R’] ni sa négation ne peuvent être attribués à b » et
16/6/04 00:32
Supprimé: Schillp
16/6/04 00:32
Supprimé: p
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Supprimé: s
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Supprimé: Schillp
16/6/04 00:33
Supprimé:
BRU…, 17/6/04 16:44
Supprimé: c
29
Par la suite, afin de pouvoir se passer de cette deuxième clause, et de simplifier la notion d’analyticité pour un
langage comportant des prédicats descriptifs, Carnap adoptera la stratégie des « postulats de signification » : au
lieu de simplement introduire les prédicats par (ensembles de) paires de réduction (ayant donc des conséquences
factuelles), il les introduira par des postulats de signification ayant la forme ‘Er ⇒ P’, ‘P’ étant la conjonction
des énoncés de réduction introduisant un certaint prédicat R et ‘Er’ étant l’énoncé représentatif de cette
conjonction. De la sorte, à la différence de ‘P’, ‘Er ⇒ P’, bien que n’étant évidemment pas logiquement valide,
n’a plus de conséquence factuelle (Er n’est évidemment pas conséquence de ‘Er ⇒ P’) et l’on peut donc
caractériser comme analytique tout énoncé qui suit de ce postulat (et d’autres postulats du même genre
éventuellement), sans avoir à ajouter la clause que nous venons d’indiquer. Une telle stratégie permettait
également de mieux distinguer les deux fonctions des énoncés de réduction : affirmer un contenu factuel Er
d’une part, et, d’autre part, déterminer la signification de R. Au cas où ‘P’ n’est constitué que d’un seul bilatéral
(dont l’énoncé représentatif est, comme on l’a vu, analytique), ‘P’ est logiquement équivalent à ‘Er ⇒ P’ et il
suffit donc de prendre comme postulat de signification ‘P’ seulement. Voir sur ces points, “Meaning Postulates”,
p. 228, “Reply to Hempel” in Schilpp, p. 947-948 et 964-965, ainsi que l’exposé des vues de Carnap par C.
Hempel dans “Carnap and the Philosophy of Science” in Schilpp, p. 704-705.
30
Rappelons que l’exigence frégéenne de « stricte délimitation » n’est qu’une conséquence de l’exigence que le
tiers exclu vaille sans restriction.
31
cf. en particulier, A. Pap, “Disposition Concepts and Extensional Logic” in Minnesota Studies in the
Philosophy of Science, vol II 1958, p. 211, et “Reduction Sentences and Disposition Concepts” in Schilpp p. 593,
ainsi que G. Hempel, “Carnap and the Philosophy of Science”, in Schilpp, p. 694.
BRU…, 17/6/04 16:44
Supprimé: e
BRU…, 17/6/04 16:44
Supprimé: l
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Supprimé: s
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Supprimé: d
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Supprimé: c
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Supprimé: p
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Supprimé: s
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Supprimé: Schillp
donc que, dans ce cas, ‘R’ « est sans signification »32, il inclinait ses lecteurs à penser que le
tiers exclu ne pouvait valoir pour ce genre de prédicat.
Toutefois, c’était là passer à côté de l’objectif même de T&M qui était précisément de
fournir une notion de signification pour les prédicats non frégéens, ceux qui ne sont pas
« strictement délimités ». Comme on l’a vu un peu plus haut, qu’un prédicat introduit par
paires de réduction ne soit pas « strictement délimité » est parfaitement compatible avec le
fait qu’il soit confirmable (ou même, éventuellement, complètement confirmable) et par là,
pourvu que les décisions adéquates aient été prises, qu’il puisse être admis comme
empiriquement signifiant. Il en résulte immédiatement que le tiers exclu ou le principe de
non-contradiction vaut pour un tel prédicat. Comme le souligne Carnap dans sa réponse à A.
Pap, « si un prédicat dispositionnel est introduit en tant que constante primitive […] alors,
bien qu’il ne soit que partiellement interprété, il est signifiant en un sens plus large puisque
des possibilités de confirmation ou d’infirmation sont données. Cette signifiance ne dépend
pas de faits contingents mais seulement des règles du langage considéré […] En conséquence
les principes logiques comme le tiers exclu ou le principe de non-contradiction, valent sans
réserve pour les termes introduits par énoncés de réduction. »33.
Quelle que soit la subtilité dont fait preuve Carnap dans T&M, il est clair que
l’introduction de prédicats par énoncés de réduction est une procédure plutôt scabreuse. Peuton prétendre qu’une telle procédure n’est qu’une extension de la procédure classique
d’introduction par définition explicite alors qu’elle consiste, parallèlement à l’admission d’un
nouveau prédicat, à « postuler » que tel ou tel état de fait est réalisé ? La question des
« conséquences factuelles » des énoncés de réduction est évidemment cruciale et en a conduit
plus d’un34 à remarquer qu’il n’y a pas vraiment de raisons déterminantes à chercher à
distinguer radicalement énoncés de réduction (ou, par la suite, « postulats de signification »)
et postulats empiriques ordinaires. Il n’est pas dans notre propos d’entrer dans les discussions
sur ce sujet mais seulement de remarquer que pouvait sembler particulièrement bien venue
une procédure permettant d’éviter les énoncés de réduction et d’en revenir à une honnête
introduction par définition explicite. C’était peut-être l’espoir de Carnap qui notait dans sa
réponse à A. Pap : « Lorsque le problème de l’explication de la forme nomique aura été résolu
et qu’une logique des modalités causales aura été construite, il sera possible d’utiliser ces
modalités pour l’explication […] des implications contrefactuelles. Il sera alors sans doute
également possible d’introduire les termes dispositionnels par des définitions explicites. »35
A défaut de disposer d’une logique des « modalités causales » satisfaisante, nous
envisagerons donc sommairement ce que deviennent les embarras carnapiens lorsque l’on
définit explicitement un dispositionnel en usant de l’implication contrefactuelle, dont la
« logique » a, elle, connue des développements intéressants.
II. Disposition et implication contrefactuelle.
En schématisant à l’extrême, on peut dire que les « logiques » des contrefactuels sont
autant de manières de broder autour de ce que l’on a fini par appeler le « test de Ramsey » et
qui s’énonce de la manière suivante : « En général, nous pouvons dire avec Mill que « si p
alors q » signifie que q peut être inféré de p c’est à dire, évidemment, de p et de certains faits
et certaines lois qui ne sont pas énoncés mais qui sont indiqués d’une manière ou d’une autre
par le contexte. […] Si deux personnes discutent de « si p, sera-t-il le cas que q ? » et sont
32
16/6/04 00:32
33
Supprimé: Schillp
T&M §9, p. 149 et §10, p. 152.
Schilpp, p. 948.
34
A commencer évidemment par Hempel et Quine.
35
Schilpp, p. 952.
16/6/04 00:32
Supprimé: Schillp
toutes deux dans le doute concernant p, elles ajoutent hypothétiquement p à leur stock de
connaissances et argumentent sur cette base à propos de q »36. L’idée est la suivante : on ne
peut évaluer un contrefactuel comme « si Hitler n’avait pas envahi l’URSS, l’Allemagne
n’aurait pas perdu la guerre » que si l’on considère qu’entre l’antécédent « Hitler n’a pas
envahi l’URSS » et le conséquent « l’Allemagne n’a pas perdu la guerre », il y a un « lien »
plus fort que celui qu’exprime l’implication philonienne de la logique standard et qui tient à
ce que ce n’est pas seulement l’antécédent qui implique le conséquent, mais l’antécédent plus
un ensemble H de conditions supplémentaires implicitement admises. Au départ, dans la
perspective « dérivabiliste » de Chisholm et Goodman, l’objectif était « de rendre un
conditionnel subjonctif […] par un énoncé à l’indicatif disant la même chose »37, autrement
dit de pouvoir exprimer en termes classiques ce que le langage ordinaire exprime en usant de
tournures comme « si p était (avait été) le cas alors q le serait (l’aurait été) également ». Il
s’agit donc de savoir si l’on peut fournir des critères logiques (classiques) pour le choix des
conditions H à ajouter à l’antécédent pour obtenir le conséquent, avec la condition minimum
que H ne doit pas avoir pour conséquent la négation de l’antécédent. Le grand intérêt de
l’article de Goodman de 1947 fut de montrer que l’on se heurtait dans une telle recherche à
trois difficultés majeures et difficilement solubles :
- non-déductivisme : on ne peut préciser en termes purement déductifs (classiques) le
contenu de l’ensemble H ;
- circularité : pour préciser H il faut recourir à des contrefactuels ; c’est le problème dit
de la « cotenabilité » ;
- changement (« shifting ») : pour un même antécédent, l’ensemble H peut changer
selon les conséquents (problème du kangourou, sensibilité au contexte)38.
Avec l’introduction d’une sémantique dite « des mondes possibles » les choses ne
changent pas fondamentalement et l’on retrouve à peu près les mêmes difficultés. Le succès
de ce genre d’approche tient plus, en fait, à ses charmes pour l’imagination qu’à ses qualités
intrinsèques, même si l’attention qui lui fut portée a suscité de multiples travaux sur les
logiques « déviantes ».
Nous nous contenterons de reprendre quelques idées de base de la sémantique
« ptolémaïque » de D. Lewis. A la place de l’idée empruntée à Ramsey que pour évaluer un
contrefactuel il faut considérer l’ajustement minimal de nos « croyances » lorsqu’on leur
ajoute l’antécédent, on peut figurer les choses de la manière suivante : on suppose que
l’ensemble des mondes possibles se dispose en un système de sphères concentriques
emboîtées autour de notre monde, ce qui permet de figurer les « distances » que les mondes
ont à notre monde. Chaque sphère contient l’ensemble des mondes qui « ressemblent [à notre
36
Il s’agit là de la citation que fait Chisholm de Ramsey dans son article pionnier de 1946, “The Contrary-toFact Conditional” (in Readings in Philosophical Analysis, H. Feigl. et W. Sellars, ed., Appleton Century Croft,
1949 p. 489). Notons que les deux passages qui sont ainsi mis bout à bout sont distants de plusieurs pages dans
l’article de Ramsey. Stalnaker a repris cette référence à Ramsey dans son article de 1968 qui a lancé la mode du
traitement des contrefactuels en termes de « mondes possibles » et formule ainsi, à sa manière, ledit « test » :
« En premier lieu, ajoutez l’antécédent (hypothétiquement) à votre stock de croyances ; puis, faites les
ajustements nécessaires, quels qu’ils soient, pour rester consistant (sans modifier la croyance hypothétique dans
l‘antécédent) ; enfin, considérez si le conséquent est vrai ou non. », (“A Theory of Conditionnals”, in Ifs, W.L.
Harper, R. Stalnaker et G. Pearce, eds, D. Reidel, 1981, p. 44)
37
Chisholm, “The Contrary-to-Fact Conditional” p. 486.
38
Ajouter une phrase pour expliquer le problème du kangourou. Nous ne suivons pas ici la présentation de
Goodman lui-même mais celle, claire et concise, de S.O. Hanson, “The Emperor’s New Clothes” (in
Conditionals : from Philosophy to Computer Science (G. Crocco, L. Fariñas de Cerro, A. Herszig, eds) Oxford
Science Publications, Clarendon Press, 1995, p. 13-31).
16/6/04 08:28
Supprimé: n
16/6/04 08:29
Supprimé: n
16/6/04 08:29
Supprimé: s
16/6/04 00:36
Supprimé:
monde] à au moins un certain degré »39, et donc contient tous les mondes appartenant à ses
sphères intérieures. Si l’on note un contrefactuel ‘ϕ 2→ ψ’ (‘ϕ’ et ‘ψ’ étant des
métavariables), et que l’on appelle ϕ-monde un monde dans lequel ϕ est vrai, on a alors, pour
l’essentiel40, comme condition de vérité pour ϕ 2→ ψ :
- ϕ 2→ ψ, est vrai dans notre monde si et seulement s’il existe une sphère S qui contient
au moins un ϕ-monde m et que ψ est vrai dans tous les ϕ-mondes appartenant à S .(ou si l’on
veut : ϕ ⇒ ψ est vrai dans tous les mondes appartenant à S, ‘⇒’ désignant l’implication
classique). Plus intuitivement, cela revient à dire que ψ est vrai dans tous les ϕ-mondes qui
sont au moins aussi proches du nôtre (y compris ce dernier) que m.
Il résulte de cette manière de présenter une logique pour les contrefactuels que des
propriétés importantes de la notion classique de conséquence logique se trouvent en défaut :
affaiblissement (monotonie), transitivité et contraposition41. Il s’agit donc d’une logique
déviante et l’on va voir dans un instant que cette « déviance » conduit à des effets plus
étranges encore que ceux de l’introduction des prédicats dispositionnels par énoncés de
réduction.
Nous nous proposons donc d’examiner rapidement ce que deviennent les deux
« défauts » reprochés à la procédure carnapienne d’introduction des prédicats dispositionnels
(zone d’indétermination de la signification, conséquences factuelles) lorsque l’on définit de
tels prédicats en termes de contrefactuels. De surcroît, nous considérerons également ce qu’il
en est de la distinction analytique / synthétique dans la perspective contrefactualiste.
Dans ce qui suit nous considérerons que dans un « cadre linguistique » qui comprend
une logique pour les contrefactuels (ce qui, rappelons-le, n’a rien de scandaleux pour Carnap,
bien au contraire), on peut définir explicitement un prédicat dispositionnel ‘D’ de la manière
suivante :
∀x[Dx ≡ (Px 2→ Qx)]
Par exemple : x est soluble dans l’eau (‘Dx’) =df si x était plongé dans l’eau (‘Px’), x se
dissoudrait (‘Qx’).
A. La question de la zone d’indétermination de la signification
On se souvient que Carnap développe dans les §9 de T&M un exemple visant à montrer
que même si l’on peut déterminer plus avant la signification d’un prédicat introduit par une
paire de réduction, il peut rester une région d’indétermination. Reprenons cet exemple qui
avait particulièrement chagriné Chisholm.
Soit l’introduction de ‘soluble’ par le bilatéral : si x est plongé dans l’eau alors x est
soluble ssi x se dissout. Comme on l’a déjà vu, cela conduit à ne permettre d’appliquer les
prédicats ‘soluble’ et ‘insoluble’ que dans les cas où l’antécédent est vrai, i.e. que dans les cas
39
D. Lewis, Counterfactuals, (B. Blackwell, 1973) p. 14.
Nous négligeons le cas où aucune sphère ne contiendrait au moins un ϕ-monde (auquel cas ϕ 2→ ψ serait
« trivialement (vacuously) » vrai) ; dans un tel cas, on retrouverait la difficulté carnapienne classique posée par
les définitions explicites de la forme ∀x[Dx ≡ (Px ⇒ Qx)] ; supposons un objet b tel qu’aucune sphère autour de
notre monde ne contienne de Pb-mondes, alors le contrefactuel ‘Pb 2→ Qb’ serait vrai dans notre monde et on
pourrait donc attribuer la disposition D à b. D. Lewis écarte des contrefactuels de ce genre comme étant
insoutenables (« unentertainable ») (Counterfactuals, p. 16).
41
Si l’on note la relation de conséquence par ‘╞’, la règle d’affaiblissement (qui permet de dire que la relation de
conséquence est ‘monotone’) revient à admettre que si l’on a Δ0ϕ, on a également Δ, Δ’0ϕ, avec Δ’ quelconque
(Δ, Δ’ étant des ensembles de formules) ; la transitivité signifie que si l’on a Δ 0ϕ et Δ,ϕ 0ψ on a également
Δ 0ψ (si Δ est vide, on retrouve le modus ponens habituel, d’où le nom de “règle de coupure” que l’on donne
parfois à cette règle).
40
16/6/04 00:37
Supprimé: vacuously
16/6/04 00:38
Supprimé: 0
où il s’agit d’un objet plongé dans l’eau. Mais supposons que sur la base d’investigations
diverses, on en soit arrivé à établir comme vraie la loi générale: « tous les objets qui sont de
même substance sont soit tous solubles, soit tous insolubles dans l’eau ».
Soit maintenant un objet O1 de substance S qui n’est pas plongé dans l’eau. Si un autre
objet de la même substance est, ou a été, plongé dans l’eau et s’est dissout, on peut appliquer
‘soluble’ à O1 : O1 est soluble.
Soit maintenant un objet O2 de substance S2 qui n’est pas plongé dans l’eau. Si aucun
objet de la même substance n’est, ou n’a été, plongé dans l’eau, on ne peut appliquer ‘soluble’
pas plus qu’ ‘insoluble’ à O2. O2 est dans la « région d’indétermination » où la signification de
‘soluble’ n’est pas fixée, en ce sens que l’on ne peut dire si O2 est soluble ou non. Voilà ce qui
choque le sur-moi frégéen de tout logicien sérieux !
La question est maintenant de savoir ce que devient cette « indétermination » quand l’on
passe au contrefactualisme. A la place du bilatéral, nous avons donc la définition explicite : x
est soluble dans l’eau ssi x était plongé dans l’eau, x se dissoudrait.
Admettons, comme ci-dessus que l’objet O2 de substance S2 n’est pas plongé dans l’eau,
et qu’aucun objet de cette même substance n’a été jusqu’alors plongé dans l’eau. Qu’en est-il
de ‘O2 est soluble’ ? Cet énoncé a-t-il des conditions de vérité ?
Tentons de répondre à cette question dans les termes ptolémaïques de Lewis. Il s’agit
d’évaluer l’énoncé : ”si O2 était plongé dans l’eau, O2 se dissoudrait”. Pour ce faire, on
considère les mondes les plus proches dans lesquels O2 est plongé dans l’eau, i.e. ceux qui ne
diffèrent du nôtre que minimalement, juste ce qu’il faut pour tenir compte du fait que dans ce
ou ces mondes O2 est plongé dans l’eau ; puis on examine si dans ces mondes, O2 se dissout
ou pas.
La question est donc de savoir si un monde dans lequel O2 est plongé dans l’eau et se
dissout est plus proche ou moins proche qu’un autre dans lequel O2, plongé dans l’eau, ne se
dissout pas. On peut supposer que dans ces mondes, la loi générale sur la solubilité ou
l’insolubilité des objets de même substance est encore valable, puisqu’ils ne diffèrent du nôtre
que minimalement.
L’embarras est que pour établir la plus ou moins grande proximité à notre monde, d’un
monde où O2 est plongé dans l’eau et se dissout relativement à un monde dans lequel O2,
plongé dans l’eau, ne se dissout pas, il faudrait déterminer si un monde dans lequel les objets
de substance S2 se dissolvent est plus proche du nôtre qu’un monde dans lequel ils ne se
dissolvent pas. On voit cependant tout de suite que pour répondre à cette dernière question, il
nous faudrait des informations sur la solubilité dans l’eau des corps de substance S2 dans notre
monde, or c’est précisément ce que nous n’avons pas. Il nous est donc impossible de décider
si un monde dans lequel les objets de substance S2 se dissolvent est plus proche du nôtre
qu’un monde dans lequel ils ne se dissolvent pas ; en conséquence nous ne pouvons, par
principe, décider de la valeur de vérité dans notre monde du contrefactuel “si O2 était plongé
dans l’eau, O2 se dissoudrait”. La signification du prédicat ‘soluble’ n’est donc pas déterminée
dans le cas de O2, exactement comme dans l’analyse carnapienne.
Il est facile de voir que si, à l’inverse, on avait affaire à l’objet O1 de substance S1, alors
l’évaluation du contrefactuel, ne poserait plus de problème : il est clair qu’un monde dans
lequel O1 est plongé dans l’eau et se dissout est beaucoup plus proche du nôtre qu’un monde
dans lequel, plongé dans l’eau, O1 ne se dissout pas : car cela signifierait que dans ce
deuxième monde la loi générale sur les substances ne vaudrait pas.
En général, ces quelques considérations reviennent à cela que pour pouvoir juger de la
proximité comparative des mondes dans lesquels l’antécédent d’un contrefactuel est vrai, il
faut disposer d’informations sur notre monde ; or ce sont précisément ces informations dont
nous manquons lorsque nous sommes dans la « région d’indétermination » qui rend le
prédicat inapplicable pour Carnap. Cela ne fait que traduire cette caractéristique des modèles
du type de ceux de Lewis, à savoir qu’il n’y a aucune mesure purement logique de la
proximité d’un monde à un autre monde qui ne soit triviale. On retrouve là ce qui, en termes
« dérivabilistes », avait été remarqué par Goodman, à savoir que l’on ne peut préciser en
termes déductifs classiques le contenu de l’ensemble H à ajouter à l’antécédent pour en tirer le
conséquent.
On voit donc que l’on n’est guère plus avancé, que l’on s’adonne aux délices du
contrefactualisme ou que l’on accepte la scandaleuse indétermination carnapienne : un
prédicat dispositionnel n’est applicable au sens de Carnap que si le contrefactuel
correspondant est évaluable et réciproquement. Ou, si l’on veut, « la région de signification »
du dispositionnel est précisément celle dans laquelle on peut déterminer la valeur de vérité des
contrefactuels correspondants.
B. La question des conséquences factuelles
A la différence de ce qui se passe avec un seul bilatéral, l’introduction d’un
dispositionnel avec deux bilatéraux a des conséquences factuelles. Formellement cela veut
dire que si l’on introduit D par
∀x(P1x ⇒ (Q1x ≡ Dx)
∀x(P2x ⇒ (Q2x ≡ Dx )
on a comme conséquence :
∀x~(P1x ∧ Q1x ∧ P2x ∧ ~Q2x)) ∧ ∀x~(P2x ∧ Q2x ∧ P1x ∧ ~Q1x)
ou si l’on veut
∀x[(P1x ∧ Q1x ∧ P2x) ⇒ Q2x] ∧ ∀x[(P2x ∧ Q2x ∧ P1x) ⇒ Q1x]
Ces énoncés ne comportent plus le dispositionnel ‘D’ et, pour simplifier, on peut
considérer que les prédicats ‘P1’, ‘Q1’, ‘P2’, ‘Q2’ sont des primitifs descriptifs.
Exemple : soit le dispositionnel ‘irritable’ introduit pas les deux bilatéraux :
B1 : quel que soit x, si x est bousculé, x est irritable ssi x crie,
et :
B2 : quel que soit x, si x est sous la pluie, x est irritable ssi x pleure.
Les conséquences factuelles sont d’une part que si un individu quelconque est à la fois
bousculé, sous la pluie et crie, alors il pleure et d’autre part que si un individu quelconque est
à la fois bousculé, sous la pluie et pleure, alors il crie également. Il n’est peut-être pas
déraisonnable, pour un contrefactualiste, d’exprimer cela sous une forme du genre « si x était
bousculé, sous la pluie, et criait, alors il pleurerait »
Supposons maintenant que nous rencontrions une personne, disons Adèle, qui soit
bousculée, sous la pluie, pleure mais ne crie pas, nous serions alors contraint d’admettre que
l’extension du prédicat ‘irritable’ introduit par B1 ne coïncide pas avec celle du prédicat
homophonique ‘irritable’ introduit par B2 . En effet, Adèle, sous la pluie, pleure : nous
pouvons donc la traiter d’ ‘irritable’ en vertu de B2. Adèle, bousculée, ne crie pas : nous ne
pouvons la traiter d’ ‘irritable’ en vertu de B1. Nous devons donc admettre qu’il y a deux
prédicats : ‘irritable1’ et ‘irritable2’, là où nous pensions qu’il n’y en avait qu’un.
C’est cela, comme on l’a vu, qui constitue la rançon de l’introduction de prédicats par
des énoncés de réduction : nous ne sommes pas certains a priori que le prédicat introduit
puisse s’appliquer de manière conséquente, cela dépend de la vérité factuelle des
conséquences ci-dessus. Il en résulte que nous pourrions être amenés à modifier l’extension
des prédicats ainsi introduits si de plus amples investigations nous convainquaient de la
fausseté de ces conséquences factuelles.
La version contrefactualiste de cette petite affaire est assez curieuse. Le premier
bilatéral devient une définition explicite de ‘irritable’ :
x est irritable =df si x était bousculé, x crierait.
∀x[Dx ≡ (P1x 2→ Q1x)]
Le deuxième :
x est irritable =df si x était sous la pluie, x pleurerait.
∀x[Dx ≡ (P2x 2→ Q2x)]42
Le déconcertant est alors qu’il est très possible d’avoir les deux contrefactuels intérieurs
vrais alors même que les contrefactuels correspondant à ceux évoqués ci-dessus à savoir :
∀x[(P1x ∧ Q1x ∧ P2x) 2→ Q2x] ou ∀x[(P2x ∧ Q2x ∧ P1x) 2→ Q1x]
seraient faux ; autrement dit, pour une constante b, on pourrait avoir simultanément :
P1b 2→ Q1b
P2b 2→ Q2b
~[(P1b ∧ Q1b ∧ P2b) 2→ Q2b] ou ~[(P2b ∧ Q2b ∧ P1b) 2→ Q1b]
et même éventuellement le contrefactuel (P1b ∧ Q1b ∧ P2b) 2→ ~Q2b, par exemple. Ce qui
revient à dire, par exemple, que, dans notre monde, les deux contrefactuels
C1 : ‘si Adèle était bousculée, Adèle crierait’
et
C2 : ‘si Adèle était sous la pluie, Adèle pleurerait’
peuvent être vrais (ce qui permet de dire sans inconséquence qu’Adèle est irritable), alors
même que le contrefactuel
C3 : ‘si Adèle était bousculée, sous la pluie et criait, elle pleurerait’
ne le serait pas. Cela peut sembler étrange et paradoxal, et d’un point de vue classique cela
l’est effectivement : C3 ne fait qu’affaiblir l’antécédent de C2 et, classiquement, de la vérité de
C2 suit nécessairement celle de C3. Ce n’est justement plus le cas dans la « logique » des
contrefactuels : la règle d’affaiblissement n’y est pas admise, comme nous l’avons indiqué
plus haut, ce qui signifie simplement que C2 peut être vrai et C3 faux car rien ne garantit alors
que, si l’on affaiblit l’antécédent de C2, l’implication contrefactuelle reste vraie.
On peut figurer ainsi la situation envisagée ci-dessus :
42
Il peut sembler étrange d’introduire par deux définitions explicites un même prédicat. Sans que cela ne change
grand chose, nous pouvons supposer que la deuxième formule est le résultat d’une investigation empirique
subtile menée par un psychologue averti, qui poserait donc que toute personne qui, si elle était sous la pluie,
pleurerait, est aussi une personne qui, si elle était bousculée, crierait ; et réciproquement.
En raison de A, ‘P1b 2→Q1b’ est vrai dans m.
En raison de B, ‘P2b 2→Q2b’ est vrai dans m.
En raison de C, ‘(P1b ∧ Q1b ∧ P2b) 2→Q2b’ est faux dans m et ‘(P1b ∧ Q1b ∧ P2b) 2→~Q2b’
est vrai dans m.
m
16/6/04 08:12
Supprimé: <sp><sp>
<sp><sp>
Il nous reste à jeter un bref regard sur la question du tiers-exclu. Comme nous l’avions noté,
T&M visait à concilier deux perspectives qui peuvent sembler antinomiques à première vue :
d’une part, introduire des prédicats qui ne sont pas « déterminés » pour tout objet et qui
violent donc l’impératif frégéen de stricte délimitation ; d’autre part, n’accepter que des
prédicats ayant une « signification empirique ». C’est la définition des différents types de
« réductibilité » des prédicats (et des choix de langage correspondants) qui permet à Carnap
de prétendre que même si un prédicat ‘R’ n’a pas une « signification » (au sens frégéen)
complètement déterminée, il est cependant signifiant en un sens plus large et est donc
justiciable du principe du tiers exclu.
Les choses ne sont pas aussi simples si l’on considère la version contrefactualiste de
l’affaire. A ce moment, on peut éliminer ‘R’ et donc on en revient au critère standard, valant
pour les énoncés dont les prédicats sont introduits par définition explicite.
L’embarras, comme on sait, vient de la manière de comprendre la négation d’un
contrefactuel.
Dire que la Tour Eiffel n’est pas soluble dans l’eau, c’est dire sans doute (?) que si la
Tour Eiffel était plongée dans la Seine, elle ne se dissoudrait pas ; autrement dit, nier un
contrefactuel ce n’est pas, semble-t-il, nier l’ensemble de la formule Pb 2→ Qb (i.e.
~(Pb 2→ Qb) ) ; une telle négation externe voudrait seulement dire, en termes ptolémaïques,
que dans la sphère (autour de notre monde) contenant au moins un Pb-monde, la Tour Eiffel
ne se dissout pas dans l’un au moins des Pb-mondes de cette sphère, mais cela n’exclut
nullement que dans d’autres Pb-mondes de la même sphère, la Tour Eiffel se dissolve. Or il
n’est pas déraisonnable de penser qu’en affirmant que la Tour Eiffel est insoluble dans l’eau,
on veuille exclure le cas où, plongée dans l’eau, la Tour Eiffel se dissoudrait. Cela revient
alors à nier le conséquent contrefactuel en conservant l’antécédent, i.e. Pb 2→ ~Qb. Si l’on
accepte cette analyse, alors la négation de ‘Pb 2→ Qb’ n’est pas ‘~(Pb 2→ Qb)’ mais plutôt
‘Pb 2→ ~Qb’. C’est ce que remarquaient aussi bien Goodman que Chisholm et ce
qu’acceptait Stalnaker dans son article fondateur de 196843.
Pour ce qui concerne notre petit problème, une fois éliminé ‘R’ dans ∀x(Rx ∨ ~Rx), on
obtient l’énoncé (« tiers exclu conditionnel ») :
∀x[(Px 2→ Qx) ∨ ( Px 2→ ~Qx)].
L’embarras est que, pour qu’une telle formule soit valide, en termes de « mondes
possibles », il faudrait pouvoir sélectionner le seul monde le plus proche (du monde où l’on
évalue le contrefactuel) dans lequel l’antécédent est vrai (ce que fait « la fonction de
sélection » de Stalnaker) pour y évaluer l’implication matérielle correspondant au
contrefactuel à évaluer. C’est là une « hypothèse » tout à fait discutable que D. Lewis
n’acceptait pas pour de bonnes raisons (quel est le monde le plus proche où Nantes serait « à
moins de 400km de Paris » ?). Si l’on admet une telle « hypothèse », la formule ci-dessus est
« analytique » . Si on la récuse, comme Lewis, elle ne l’est plus44.
Ainsi, ce qui était analytique du point de vue carnapien, devient problématique du point
de vue contrefactualiste et dépend de ce que l’on admet, ou pas, le tiers exclu conditionnel.
43
Si l’on accepte la thèse de Stalnaker que l’évaluation d’un contrefactuel ‘ϕ 2→ ψ’ doit se faire dans le monde
le plus proche (ce qui suppose donc que l’on admette qu’il n’y en ait qu’un) alors les deux négations sont
équivalentes.
44
Soit le contrefactuel ‘ϕ 2→ ψ’. Il peut très bien se trouver que parmi les ϕ-mondes de la sphère « la plus
proche » certains soient des ψ-mondes et d’autres des ~ψ-mondes ; auquel cas les deux contrefactuels ‘ϕ 2→ ψ‘
et ‘ϕ 2→ ~ψ‘ sont tous les deux faux.
Conclusion
L’élaboration des « logiques » des contrefactuels n’était pas explicitement destinée à
éviter les caractéristiques, considérées comme désagréables, de la solution carnapienne au
problème des prédicats dispositionnels consistant à les introduire par des « énoncés de
réduction » ; on ne saurait donc conclure des remarques qui précèdent à un quelconque
« échec » de ces tentatives. Puisque ces logiques assument le caractère résolument déviant de
l’implication contrefactuelle, il n’est pas vraiment surprenant qu’elles ne fassent que
retrouver, sous d’autres habits, les mêmes difficultés, si tant est qu’il s’agisse de difficultés.
Un des mérites - tout négatif ! - des travaux en matière de logique des contrefactuels est,
pour ce qui nous concerne ici, d’avoir montré que l’on peut bien revenir à l’orthodoxie des
définitions explicites habituelles mais que cela ne change pas grand chose à l’affaire. A la
« zone » d’indétermination du prédicat introduit par énoncés de réduction correspond, comme
on l’a vu, l’impossibilité d’évaluer par principe le definiens contrefactuel.
On pourrait certes reconnaître que l’introduction d’un prédicat dispositionnel (pour en
rester à ce cas paradigmatique) par définition explicite, rendrait inutile la théorie de la
confirmation que Carnap développe au paragraphe six de T&M, puisqu’il suffirait d’exiger,
pour qu’un tel prédicat ait une « signification cognitive », que les prédicats figurant dans le
definiens contrefactuel soient des observables (ou éliminables au profit d’observables). Là
encore cependant le gain n’est qu’apparent : contrairement à ce qui est le cas pour la face
cachée de la Lune, rien n’assure logiquement que la notion de prédicat observable conserve la
même signification lorsque l’on « passe » d’un monde à l’autre.
Carnap, on l’a déjà signalé, cherchait à concilier le caractère « ouvert » des concepts
dont usent les scientifiques, avec ce qu’il considérait comme étant les exigences de
l’empirisme. Ce faisant il s’engageait, hors des sentiers de l’orthodoxie frégéenne, sur un
chemin que certains, comme Quine, ont pu estimer glissant. A tout le moins, il l’était plutôt
moins que celui sur lequel se sont engagées par la suite les logiques des contrefactuels. C’est
tout ce que ce petit papier cherchait à montrer.