1 KLEIN Eugène (1898 - ?) Les Loups Témoignage d`un déporté

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1 KLEIN Eugène (1898 - ?) Les Loups Témoignage d`un déporté
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KLEIN Eugène (1898 - ?)
Les Loups Témoignage d'un déporté Matricule 126026
1) Le témoin :
Eugène Klein est né le 15 juillet 1898 à Budapest en Hongrie, il a un frère ainé, et suivront après
lui cinq frères et deux sœurs. Il vivra quelques années dans sa petite enfance chez ses grandsparents, qui sont juifs pratiquants, son grand-père est gardien de synagogue. En 1903 ses parents
retournent s'installer à Budapest dans l'espoir de gagner de l'argent, son père est cocher de fiacre.
A onze ans il quitte l'école à regret pour trouver un métier qui lui permettra d'aider sa mère à
nourrir ses frères et sœurs. Il entre en apprentissage comme garçon de courses chez un
photographe, puis un coiffeur, un peintre en enseignes, puis finalement chez un quincaillier.
Il a 16 ans lors de l'entrée en guerre de l'Autriche-Hongrie face à la Serbie. Il veut absolument
combattre, mais il est trop jeune, l'année d'après il est déclaré « bon pour le service », et est
incorporé au 32e régiment austro-hongrois. Son régiment passe quelques mois à l'arrière pour les
moissons, puis ils sont envoyés en Transylvanie, puis vers la Bessarabie, et après la défaite des
Russes, vers Judendorf pour mater une insurrection de Croates.
En l'été 1917, il se trouve au bord de la Piave en Italie, quand les Américains font feu, il dépose
sa mitrailleuse et se rend. Fait prisonnier, il est bien traité mais il a la nostalgie de son pays, et il
ne pense qu'à rentrer. Il s'évade en 1918 avec un camarade, mais il se font prendre par des
gendarmes italiens. Ils s'évadent à nouveau, et après plusieurs semaines finissent par retrouver
Budapest. Il est immédiatement incorporé dans l'Armée Rouge, mais il déserte au bout de
quelques semaines.
La guerre se termine enfin, il rencontre Rose, qui a 15 ans. Puis il est incorporé dans l'armée
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blanche de Horthy. C'est la qu'il se met à la course à pied, il remporte des victoires dans le
championnat national.
En 1923 il participe à une épreuve de cross-country internationale en France, on lui offre la
possibilité de s'installer en France ce qu'il accepte. Ses frères Joseph et Désiré le rejoignent en
France. Il épouse Rose le 22 janvier 1926. Leur fils Georges voit le jour en janvier 1929.
Lorsque la guerre éclate en 1939, il est mobilisé dans une usine travaillant à la Défense
Nationale. Après la défaite française il est démobilisé.
Le 1er mai 1943, il est arrêté chez lui avec sa femme et son fils, ils sont internés à Drancy. Le 18
juillet ils font partie du convoi 57 à destination d'Auschwitz. Eugène et Georges sont séparés de
Rose. Puis Eugène est affecté au camp annexe de Jaworzno, il quitte son fils, qu'il ne reverra
plus.
Il se fait remarquer pour ses talents de sculpteur, il est affecté à la menuiserie. Atteint d'un
phlegmon à la jambe, il se fait opérer, et passe plusieurs mois à l'infirmerie, où il continuera à
faire de petits travaux de sculpture pour les SS.
En janvier 1945 il fait parti des 4.000 déportés qui sont évacués de Jaworzno lors d'une « marche
de la mort » jusqu'à Leitmeritz, où il travailleront dans une usine souterraine. Le 5 mai le camp
est libéré, il est transféré à Thersienstadt, où il est hospitalisé pour avoir abusé de la nourriture. Il
rentre à Paris 10 jours plus tard, où il retrouve Rose. Longtemps ils espéreront le retour de
Georges. Sa vie après la seconde guerre mondiale est inconnue.
2) Le témoignage :
Le livre d'Eugène KLEIN, Les Loups, Témoignage d'un déporté, Matricule 126026 est publié
pour la première fois le 6 novembre 2009 à Paris, par l'éditeur le Manuscrit, dans la collection
Témoignages de la Shoah. Il n'a pas été réédité depuis. Il ne comporte pas de préface, mais une
petite biographie de l'auteur, qui retrace les grands évènements mentionnés dans le livre.
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C'est Serge Klarsfeld président du comité de lecture de la collection Témoignage de la Shoah qui
remet ce tapuscrit rédigé en 1978 à l'éditeur. La vie de l'auteur après la seconde guerre mondiale
n'est pas connue, et ses ayants droits n'ont pas été identifié à ce jour.
3) L'analyse :
Les Loups est découpé en 12 chapitres présentant chacun un passage précis de la vie de l'auteur,
dans ces chapitres, quatre différentes parties sont à découper, son enfance avant la première
guerre mondiale, ses aventures durant la première guerre mondiale, son entre-deux guerres, et
enfin son récit de la seconde guerre mondiale. Nous nous concentrerons dans cette analyse sur les
chapitres portant sur la guerre.
Durant la première guerre mondiale il est soldat pour l'armée austro-hongroise, il combattra en
Transylvanie, en Bessarabie, en Styrie, en Italie avant d'être fait prisonnier, par les Américains,
puis par les Italiens. Durant la seconde guerre mondiale, il est incorporé dans l'armée française,
avant d'être démobilisé au moment de la défaite, puis il sera déporté au camp d'Auschwitz II-
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Birkenau, puis de Jaworzno.
Cette analyse va se séparer en deux parties, dans un premier temps son récit de la première guerre
mondiale, qu'il vit comme soldat d'abord, puis comme prisonnier, et ensuite le détail de sa
seconde guerre mondiale, durant laquelle il passera près de deux ans en camps de concentration.
La première guerre mondiale :
Durant son récit l'auteur passe régulièrement du « nous » au « je ». Il emploie le « nous » dès qu'il
parle de ses actions de guerre, de la vie au front « Nous avions avec nous » (page 78 ligne 16), «
Notre régiment » (page 84 ligne 4) « Nous sommes arrivés » (page 104 ligne 12). Mais il emploie
le « je », lorsqu'il se lance dans une introspective, ou bien lorsqu'il est seul, « Je me replongeais
dans le passé. » (page 77 ligne 1), « j'essayais de survivre » (page 79 ligne 22) ou dans les
moments où il se souvient de son départ à la guerre, il n'est pas encore intégré dans un corps de
soldats, il se présente donc seul « Je suis parti un beau matin, la fleur au fusil » (page 66 ligne
23), mais au moment où il rejoint son régiment, il emploie immédiatement le « nous », « Après
quatre jours de voyage dans un train de marchandises, nous avons débarqué quelque part en
Transylvanie. » (page 67 lignes 8 à 10). Il s'intègre dans le groupe, il en devient une partie
intégrante.
Dans un premier temps lors de son départ à la guerre, on voit de l’enthousiasme à l'idée de partir
« Quand la guerre a éclaté j'ai été content » (page 65 ligne 7), une vraie volonté de faire la guerre.
Il n'a que 16 ans quand la guerre éclate mais il espère qu'elle durera assez longtemps pour y
participer, et il éprouve un grand soulagement quand un an plus tard il est considéré comme «
bon pour le service » (page 66 ligne 8).
Mais il n'a pas le désir de partir par patriotisme, et il le dit très clairement « Je n'étais pas patriote
» (page 64 ligne 9), il a la volonté de partir pour prouver qu'un juif peut être un bon soldat, « Je
voulais prouver que je n'étais pas un lâche » (page 65 lignes 9-10). La Hongrie est un pays
profondément antisémite, et il veut que cela change, il espère que l'intégration de bons éléments
juifs dans l'armée pourra faire changer les mentalités hongroises.
Au début de son service il est heureux de faire la guerre, et il garde la certitude de rentrer chez
lui, il est jeune et se croit invincible « Même quand je faisais la guerre j'étais heureux » (page 77
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lignes 1-2). Puis petit à petit les conditions deviennent difficiles, il se met à penser à sa mère «
J'étais encore très près de ma maman, que j'avais envie d'appeler par moment pour qu'elle vienne
à mon secours » (page 79 lignes 2 à 4). En Italie, il ne supporte plus le combat, la mort de ses
camarades, et il tente de fuir, lorsqu'il est capturé par les Américains il est soulagé « J'éprouvais
un immense soulagement et une indescriptible émotion. Captif, mais bien vivant ! (...) La guerre
était finie pour moi » (page 103 lignes 27 à 30).
Il parle des autres soldats autour de lui comme un groupe, il emploie le « nous », mais également
le terme « camarades », mais il ne présente que très peu de personnes, il reste dans le flou vis à
vis de ses camarades. Le seul qui est nommé est son lieutenant Keleti, « Mon lieutenant était
Keleti qui, par la suite, après la guerre, est devenu mon ami » (page 81 lignes 9-10), ensuite
quand il parle d'une personne en particulier il la désigne toujours comme « le camarade » (page
86 ligne 11) ou « mon compagnon » (page 111 ligne 27).
De même il emploie toujours le terme « l'ennemi » (page 77 ligne 8) pour les désigner ou bien il
se sert de leur nationalité « des Russes » (page 83 ligne 3), « les Américains » (page 103 ligne
21), « les soldats italiens » page 104 ligne 1).
Il n'a pas le même rapport avec tous ses ennemis, les Russes ne sont pas présenté comme
méchants, « La volonté de combattre nos ennemis diminuait chaque jour. Ils approchaient de
nous, et nous d'eux, à tel point que nous cessions de nous considérer comme des ennemis » (page
82 lignes 25 à 29). Ils vont même jusqu'à sympathiser pendant une partie de l'hiver « Par la suite
nous échangions du pain contre du tabac, vraiment dans une grande fraternité » (page 83 ligne 1).
Durant cette première partie de sa guerre, il présente même comme ennemi, le froid terrible « le
véritable ennemi était le froid » (page 77 ligne 19), mais également les loups, qui terrifiaient les
deux camps « ils venaient par horde d'une centaine » (page 78 ligne 14-15). Avec les Russes, il
est possible de concilier, d'échanger, ils ne sont pas si terrifiants, par contre le froid et les loups
sont impitoyables.
Les Américains sont également présentés comme sympathiques « Les Américains une fois
dessoûlés, se sont conduit très correctement » (page 104 lignes 8-9), et il présente sa captivité
comme un moment agréable. L'ennemi n'est pas pour lui assimilé automatiquement à la cruauté,
la méchanceté, il n'éprouve pas forcément de la haine envers eux.
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Ce sont les Italiens qui font la plus mauvaise impression à Eugène Klein, « Non je n'aime pas les
Italiens » (page 106 ligne 20), la captivité est difficile, les conditions sont rudes « Ils nous ont
emmené dans un camp italien de prisonniers de guerre où nous avons été très mal reçu » (page
106 ligne 10 à 12). De plus il méprise les Italiens, car ils n'ont pas été capable de s'occuper eux
même de la défense de leur pays et pour lui l'honneur est une chose essentielle « Dire qu'ils
n'étaient même pas capables de défendre leur pays » (page 104 lignes 4-5).
Il faut également présenter son rapport avec l'arrière, il parle peu de sa famille restée à l'arrière
mais il mentionne tout de même le fait qu'il s'inquiète pour elle car il vit dans une famille
nombreuse et très pauvre, il a peur que sa famille ne réussisse pas à trouver de quoi se nourrir. «
Maman était dans une grande tristesse, ça me faisait mal ; la pénurie était totale » (page 66 lignes
29-30). Il mentionne également l'utilité des lettres de sa mère pour tenir sur le front « Je me
réconfortais en lisant la dernière lettre de maman » (page 102 ligne 8).
Mais on voit également la grande volonté d'Eugène et des soldats de pouvoir passer quelques
jours à l'arrière peu importe le moyen employé pour y arriver. « Celui qui en avait encore (des
bestioles) était envoyé à l'arrière pour la désinfection. Cela durait deux jours ; toujours ça de pris
! » (page 80 lignes 6 à 8). A la fin d'un hiver interminable, quand il fait assez chaud pour pouvoir
se laver les hommes sont infestés de « bestioles », et un commerce se met en place, certains
revendent leurs « bestioles » pour permettre aux autres de se poser quelques jours à l'arrière.
Eugène lui n'a pas besoin d'avoir recours à ce système, il est envoyé six jours à l'arrière pour un
pied gelé, et il en garde un très bon souvenir « c'était merveilleux. (...) J'étais comme dans un rêve
» (page 80 lignes 16 à 18).
Petit à petit s'insère dans son récit la peur de mourir, et de mourir trop jeune « Nous avions peur,
mourir à vingt ans, c'est idiot » (page 104 lignes 6-7). Mais on voit également la présence de la
mort de ses camarades, « Il n'y avait pas deux minutes que j'étais sorti qu'une bombe a anéanti la
casemate, tuant mes deux camarades » (page 103 lignes 1-2), « les hommes tombaient comme
des mouches de part et d'autre » (page 103 ligne 7-8). L'auteur présente ses morts de manière très
détachée, comme si elles ne le touchaient pas, mais il ne faut pas oublier qu'Eugène Klein rédige
probablement son récit au cours des années 70, il y a près de cinquante ans d'écarts avec les faits
et cela se voit tout le long de son récit, dans lequel il semble très détaché des évènements.
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Pourtant une mort semble l'avoir marquée plus que les autres. « J'ai toujours devant moi l'image
de notre premier mort : un Juif de Budapest qui avait eu la malchance d'être choisi par l'adjudant
comme tête de Turc » (page 81 lignes 15 à 18), ce soldat a fini par se suicider sous les brimades
de son officier. Cet événement paraît gravé dans la mémoire de l'auteur, peut être par la difficulté
de cette mort, mais surtout par le fait de la condition juive de ce soldat. Eugène est très touché par
la place des juifs dans la société hongroise et comme on l'a vu c'est la raison pour laquelle il a
tellement envie d'entrer dans l'armée hongroise. C'est cette mort qui entraine chez Eugène une
renaissance de sa volonté de donner l'air d'être un bon soldat, le meilleur possible. « Je faisais
bien attention de garder mon image de marque de bon soldat. Je devais toujours tenir compte que
j'étais un juif dans une armée antisémite, et composer un personnage qui, par son courage à toute
épreuve, imposait la considération » (page 81 lignes 15 à 18).
Durant sa captivité il est bien traité par les Américains qui lui proposent d'émigrer aux EtatsUnis, mais il refuse car sa seule obsession dans les derniers mois de la guerre est de rentrer chez
lui. Cette guerre a assez durée, il est jeune et sa mère lui manque. « J'avais la nostalgie du pays et
puis des aventures j'en avais assez » (page 105 lignes 6-7). Il va donc mettre en place une
tentative d'évasion avec un camarade, et même s'ils réussissent à sortir du camp, ils sont repris
par des soldats italiens, et c'est l'enfermement pour un deuxième camp, moins accueillant cette
fois-ci. Mais à nouveau sa seule volonté est de fuir. Leur seconde tentative sera la bonne.
De retour en Hongrie, il est immédiatement incorporé dans l'Armée rouge, ce régime ne lui plait
pas, ce n'est pas le changement qu'il avait espéré que la guerre apporte « C'était un régime de
grande misère » (page 113 ligne 8). Dès qu'il apprend l'avancée de l'Armée Blanche, il quitte
l'Armée Rouge, il a peur de ce qui pourrait lui arriver en restant dans cette armée « Il ne fallait
pas qu'ils me trouvent en uniforme de l'Armée Rouge » (page 114 ligne 3). Il espère profiter d'un
nouveau régime, et il ne veut pas être taxé de Rouge par cette armée Blanche. Il sera ensuite
intégré dans l'Armée Blanche, « Je me serais bien passé de ce privilège d'être soldat dans une
armée fasciste » (page 115 lignes 10-11). Le régime mis en place par l'armée Blanche est
profondément antisémite, de part sa condition de juif, il ne supporte pas ce régime alors même
qu'il n'est pas pratiquant « Bien sur les rites de la religion étaient abandonnés. On mangeait du
porc – quand il y en avait. Il fallait survivre » (page 79 lignes 19 à 21). Il n'y adhère pas.
Quelques mois après son service, il part s'installer en France.
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La seconde guerre mondiale :
Dans cette deuxième partie du récit, l'auteur jongle également entre le « nous » et le « je » pour
raconter son histoire. Dès son départ dans le train il s'intègre aux autres déportés, et les débuts de
son récit dans le camp sont tous à la première personne du pluriel. Il se considère comme une
partie du groupe, il vit avec le groupe, il ne fait qu'un avec le groupe « Nous nous regardions,
nous ne nous reconnaissions plus » (page 31 lignes 17-18). Mais à partir de son entrée dans
l'atelier de menuiserie, l'emploi du « je » prend le dessus sur le « nous », il ne veut plus s'intégrer,
il semble vouloir rester seul « Mes rapports avec les autres déportés étaient très réduits. Je
m'isolais de plus en plus » (page 87 lignes 7 à 9). A mesure que la guerre avance, qu'il passe du
temps dans le camp, il se referme sur lui même, il a besoin de rester seul pour se raccrocher à ce
qui lui reste, et puis les amis qu'il avait en arrivant, sont tous morts « Nous étions arrivés au
printemps 44. J'avais perdu tous mes amis » (page 56 lignes 24-25). Voir petit à petit tous ses
proches disparaître l'entraine à se refermer sur lui même.
Les autres prisonniers du camp sont décrits en fonction de leur nationalité et de leur confession, «
les Polonais non juifs » (page 52 ligne 4), « des Français » (page 73 ligne 17), « les Polonais »
(page 73 ligne 14), « des Juifs de Hongrie » (page 71 ligne 19). Il crée des catégories, il les
stigmatise, il n'y a pas de personnalités, juste des groupes.
A nouveau dans cette partie très peu de camarades sont présentés, « Un jeune camarade parisien,
Georges. (...) Nous entretenions depuis longtemps des rapports de grande amitié » (page 87 lignes
11 à 13), « C'est là que nous avons connu l'avocat Valensi, et que nous sommes devenus amis »
(page 22 lignes 28-29). Encore une fois Eugène met de la distance dans le récit qu'il écrit, il
raconte des évènements qui sont anciens dans sa mémoire. Il ne présente que les éléments
essentiels à l'histoire, il raconte très peu ses rapports avec les autres personnages, surtout les
autres prisonniers, dont il se tient très vite à l'écart.
Les rapports à l'ennemi eux sont présent dans ce texte, et ils différent en fonction de la personne.
Il ne méprise pas tous les SS, et même s'il les méprise, il reconnaît qu'il peut être utile de les
fréquenter pour survivre. La plupart du temps, l'ennemi est désigné par le terme « les SS » (page
41 ligne 3), parfois il les décrit comme « cet officier inculte et médiocre » (page 60 ligne 18), «
nos persécuteurs » (page 56 ligne 29). La plupart des descriptions de SS sont péjoratives, mais
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certains sont mieux présentés que d'autres car ils ont permis à Eugène de survivre.
Le Kapo de l'atelier dans lequel il travaille au début du récit, qui n'est pas un SS mais un juif, a
pitié de son fils qui est le plus jeune, cela provoque chez lui un immense soulagement. « Mon fils
que je savais entre de bonnes mains avec Steg » (page 37 lignes 17-18).
Dans sa volonté de survie, il doit se rapprocher des SS et leur être utile « Etre bien avec les SS
était vital dans ma position » (page 71 ligne 3), après avoir été remarqué pour ses talents de
sculpteur, il entre au service du « maitre après Dieu de ce lieu, le tout-puissant Kommando
Führer » (page 58 lignes 20-21). En entrant à l'atelier de menuiserie, il échappe un peu à sa vie
de prisonnier, le Kapo, de l'atelier est sympathique, il mange mieux. Et surtout, il risque moins
d'être tué ou torturé par un SS, qui cherche ainsi à « tuer le temps » (page 54 ligne 18).
De même quand il découvre que l'un de ses amis entretient un relation avec son Kapo, il
comprend son geste, sait de quoi l'homme est capable pour survivre « cela s'appelle aussi :
adaptation aux circonstances » (page 88 lignes 20-21).
Eugène est un homme plein de valeurs, et son entrée dans le camp a fait naitre en lui une volonté
irrépressible de survie, et de ne pas perdre pied. Aussi quand un de ses camarades vole des
légumes, et qu'Eugène est battu pour dénoncer son camarade, il refuse de céder, il ne veut pas
plier devant la domination nazie. « Dans le tréfonds de moi même, j'étais content ; c'était une
question d'amour propre » (page 55 lignes 30 à 32). Et si lui a le courage de résister la lâcheté de
son camarade le dégoute au plus haut point « L'attitude indigne de mon camarade qui pleurait
comme un enfant m'a donné la nausée » (page 55 lignes 25-26).
Il y a tout de même un élément de démoralisation dans le camp, la faim. La faim qui devient une
obsession, qui rend fou. Très vite, l'esprit ne pense plus qu'à se nourrir. « Manger n'était pas
seulement l'objet prédominant de nos pensées, c'était aussi le sujet essentiel de nos conversations
» (page 42 lignes 2 à 6).
Pourtant Eugène ne se rend pas, malgré la faim, il continue à garder espoir, d'ailleurs le mot
espoir est présent tout au long de son récit, il s'accroche à l'espoir que cela va se terminer, à
l'espoir de retrouver sa femme vivante, mais aussi son fils. « En moi, un faible espoir tourne dans
un cœur fatigué, mais je n'abandonne pas » (page 51 lignes 12-13), « Encore très faible mais
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plein d'espoir » (page 72 ligne 24), « Un mélange d'espoir et de crainte. Pour le moment il fallait
vivre » (page 87 lignes 5-6), « Lorsque nous avons quitté Jaworzno par une soirée glaciale, un fol
espoir est réapparu, même chez les plus sceptiques d'entre nous » (page 89 lignes 24 à 26).
Partout dans le texte, est donc présent cet espoir, qu'il faut survivre coute que coute, et continuer
d'y croire.
Même quand le sculpteur dont il a pris la place, lui annonce pour le blesser probablement, que sa
femme, Rose est morte, même s'il sait qu'il y a de fortes chances pour que cela soit vrai il écrit
tout de même « Je voulais espérer, malgré et contre tout » (page 74 ligne 27).
Cet espoir s'explique pour lui par le fait que dans le camp on n'a plus de couverture, on n'a plus
les apparats de la société pour se protéger, on est nu, et c'est la « force de l'âme » (page 56 ligne
22) qui fait toute la différence. Et pour Eugène cette force est certainement là, grâce à toutes les
épreuves qu'il a vécues par le passé. La difficulté de son enfance, sa première guerre mondiale, le
froid, les loups, la captivité, l'antisémitisme. Tous ces éléments l'ont poussé à toujours donner le
meilleur de lui même. Et son histoire, lui a peut-être permis de garder espoir durant les deux
années qu'a duré sa détention à Jaworzno.
Eulalie CANTOURNET (Université Paul-Valéry, Montpellier III)