Commentaire composé Emile Zola, L`œuvre, chapitre VIII
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Commentaire composé Emile Zola, L`œuvre, chapitre VIII
1 FLE - Lettres et arts contemporains Excellent devoir, commentaire et propositions d’exploitation pédagogique. Un seul petit reproche, vous débordez un peu trop du seul texte. Félicitations, on perçoit à vous lire une littéraire…et des qualités d’écriture. 19/20 Commentaire composé Emile Zola, L’œuvre, chapitre VIII Tout concourt dans ce passage du chapitre VIII à faire de la description un moment d’inspiration sublime et de révélation tragique. Il est vrai que, après l’épisode de bonheur de la retraite amoureuse à Bennecourt, le roman entame une longue descente vers les sombres abîmes des tourments de la création et des difficultés financières. Rentrant à Paris, Claude oscille entre euphorie et anéantissement, ce dernier état psychique l’emportant la plupart du temps. Ses crises de travail se soldent alors par des échecs, par d’incessants refus du jury du Salon. Mais il regagne un été son enthousiasme : il entame alors une promenade en compagnie de Christine le long des quais de la Seine, lieu de leurs premiers amours, après un accès de nostalgie. C’est alors qu’il aperçoit, dans le crépuscule, l’île de la Cité : le texte proposé à notre lecture est la description de ce que Claude voit à cet instant. La pause descriptive est un moment essentiel du roman naturaliste, qui se veut transcripteur du réel. Les descriptions de Paris sont légions dans le roman, une dizaine au total, à la fois parce que Zola voulait proposer à ses lecteurs un roman parisien, les descriptions de la ville lui permettant alors de poser un décor, mais également parce qu’il écrivait un roman sur des artistes de la nouvelle école dont le sujet de préoccupation était la capitale française. Pourtant, ces descriptions n’ont pas simple valeur d’information : elles sont un moment privilégié pour l’écrivain, où le prosateur va rivaliser avec le peintre, notamment lorsqu’il s’attèle à écrire des descriptions en forme d’ekphrasis. De plus, la description n’est jamais une pause dans le récit dans le roman zolien : elle participe pleinement à l’action. Si la vue de l’île de la Cité est un moment de révélation sublime, où Claude prend conscience qu’il vient de trouver le sujet de son chef-d’œuvre recherché depuis tant d’années, elle est aussi le tournant du roman, annonçant le drame à venir. Mais comment Zola parvient-il à restructurer le genre topique de la description pour en faire le lieu privilégié d’intenses réflexions esthétiques et de dramatisation du récit ? Tout d’abord, nous verrons que cette description qui prend l’allure d’une ekphrasis fait figure de moment sublime, à la fois pour le peintre-personnage et pour l’écrivain. Puis, nous envisagerons le fait que le chef-d’œuvre qui nous est ici présenté est dès à présent en péril, destiné à tomber dans l’écueil de l’hétéroclite, oscillant entre allégeance à l’école du Plein air et retour au romantisme. Enfin, nous verrons que cette description possède de nombreux enjeux dramatiques, apparaissant comme le tournant du roman devant conduire Claude à sa déchéance finale. 1) Une description teintée de l’aura du sublime : la révélation du peintre et l’écriture-artiste a) Un moment d’inspiration sublime, pendant à la description initiale de Paris vu par Christine Au tout début du roman, quand Claude rencontre Christine pour la première fois, un orage s’est abattu sur la ville de Paris. Adoptant alors le point de vue de Christine, Zola nous offre une description terrible d’un Paris infernal entrevu à la lumière des éclairs, terrorisant la jeune provinciale nouvellement arrivée dans la capitale. Zola, aimant les doublons, les effets de symétrie, les architectures romanesques clairement orchestrées, crée alors un pendant à cette description, la description du chapitre VIII que nous étudions, qui nous offre une vision nouvelle des quais de Seine : l’Enfer laisse place à un Eden de quiétude baigné de la douce lumière des soirs d’été. Il nous faut à Commentaire [t1]: Oui, bien de mettre l’accent sur le point de vue Commentaire [t2]: Très bien Commentaire [t3]: Vrai, mais cela implique une connaissance complète du roman alors que le commentaire ne devrait porter que sur le texte-lui-même. 2 cet égard rappeler que les crépuscules sont souvent assimilés à des moments glorieux dans L’Œuvre, et que notre description participe de cette tendance. On peut par exemple penser à la scène où Claude et trois de ses amis, dont Sandoz, remontent Paris jusqu’à l’Arc de triomphe. Mais si l’on poursuit la comparaison entre la description liminaire de Paris qui ouvre le roman, et la description de l’île de la Cité perçue à travers le regard de Claude, nous pouvons noter que la terreur laisse place à une vision enchanteresse, polychrome (« fouettée de blanc, de bleu et de rose »), éclairée (« plongeant dans la clarté »). Nous sommes loin du Paris « violâtre », vidé de ses habitants, battu par les vents et la pluie. Ici, les Parisiens s’activent d’une manière harmonieuse (« égayé par les éclats des derniers baigneurs de la saison »). De plus, de nombreux éléments nous incitent à voir dans ce tableau les symboles d’un désir d’ascension de la part du peintre, sûr qu’il va enfin parvenir à réaliser ce chef-d’œuvre qu’il attendait tant. Premièrement, le regard effectue un parcours allant du bas vers le haut. Les diverses locutions adverbiales que nous trouvons au fil du texte nous indiquent clairement ce mouvement : « En bas », « Plus haut », « Plus haut », « Plus haut, plus haut encore ». Dans un second temps, nous pouvons remarquer que certains bâtiments aperçus incitent le spectateur à lever les yeux vers le ciel : « deux flèches s’élançaient, […] plongeant dans la clarté, en plein ciel ». Enfin, Claude insiste sur la légèreté des architectures des bâtiments qui se trouvent sous ses yeux : nous ne voyons plus rien des pesanteurs de la description initiale (« le pont des Arts […], d’une légèreté de dentelle noire » ; « le flèche de la Sainte-Chapelle, d’une élégance si fine »). Lumières, couleurs, finesses des détails, regard attiré vers le ciel, tous les éléments présents dans cette description font de ce moment un instant de révélation sublime de l’œuvre à venir. La description n’est donc pas neutre, purement informative : elle est porteuse de tous les espoirs de l’artiste. Commentaire [t4]: oui Commentaire [t5]: vous avez tendance à trop sortir du seul texte. Comment feriezvous avec un texte d’un roman inconnu de vous ? Commentaire [t6]: oui, bien, c’est cependant un élément qui pourrait figurer dans une autre partie de votre commentaire Commentaire [t7]: comme pour la lecture d’un tableau b) Une ekphrasis ? La vision hallucinée du chef-d’œuvre à venir Les descriptions chez Zola ne sont jamais gratuites ou le fait d’un narrateur pris de la lubie subite de décrire un décor. Elles sont toujours extrêmement motivées, et souvent faites à partir du point de vue d’un des personnages du roman. Ici, nous adoptons le point de vue de Claude, qu’Henri Mitterand qualifierait de « professionnel du regard ». La description est dès lors située et l’on y observe les marques de ce regard particulier que possède l’artiste quand il observe le réel. Le réel n’est plus simplement le réel, il est déjà organisé à la manière d’un tableau. L’architecture du texte rend compte de ce regard d’esthète que Claude porte sur l’île de la Cité : ce qu’il voit, c’est déjà le tableau qu’il va pouvoir concevoir. Les connecteurs dans ce texte participent à l’organisation de ce texte à la manière d’une peinture déjà constituée : « D’abord, au premier plan, en-dessous d’eux » ; « tandis que, de l’autre côté de l’eau » ; « Puis, au milieu » ; « un second plan » ; « en-dessous » ; « Tout le fond s’encadrait là, dans les perspectives des deux rives : sur la rive droite […] ; sur la rive gauche […] » ; « le centre de », etc… De même, les longues énumérations, de plusieurs lignes, rappellent la juxtaposition des éléments dans un tableau. La description se change alors en véritable hallucination : le tableau est vu dans le paysage. Difficile alors de faire la distinction entre topographie des quais de Seine et ekphrasis : les deux types de descriptions se mêlent sans qu’il soit aisé de les distinguer. Le lecteur a en effet véritablement l’impression d’avoir un tableau sous les yeux, notamment en raison des très nombreuses notations de couleurs et de formes. Pourtant, les mouvements des personnes aperçues, des baigneurs, des débardeurs, le « va-et-vient perpétuel des piétons », la course des omnibus, nous incitent à penser que nous sommes dans le cadre d’une description de ce qui est réellement sous les yeux de Claude. Ainsi se superposent le réel et le tableau à venir, le tangible et le fantasmé, le palpable et l’halluciné. c) Faire du réel un tableau : le savoir-faire de l’écrivain Pourtant, Zola ne se contente pas de rédiger une ekphrasis fantasmée : cette description est pour lui l’occasion de rivaliser avec le peintre lui-même à l’aide de divers procédés littéraires. Zola tente d’insuffler à cette description ce que Claude peine à y instiller : la vie. Loin du statisme des postures Commentaire [t8]: bien Commentaire [t9]: oui Commentaire [t10]: qui transfigure le réel Commentaire [t11]: très bien 3 figées, Zola rend aux personnages et aux objets leur mouvement : l’emploi de l’imparfait permet d’inscrire la description dans une durée (aspect sécant), quand le tableau présentifie éternellement une scène. L’écrivain possède ce pouvoir de suggérer des procès : « les peupliers de terre-plein verdissaient en une masse une puissante ». Nous n’avons pas ici qu’une simple indication de couleur, puisque c’est la texture même de la matière avec ses changements de tons, ses reflets, qui nous est présentée. Des adverbes temporels comme « éternellement » (« cette proue de l’antique vaisseau, éternellement dorée par le couchant ») participent également à cette infusion de la durée dans la description. De plus, une épaisseur est donnée aux choses par l’intermédiaire des métaphores : l’écrivain tente alors de dépasser le peintre en ouvrant pour le lecteur le champ de l’imaginaire. Les choses ne sont plus simplement des éléments du réel : elles trouvent une équivalence métaphorique dans une autre réalité, fantasmatique. Deux univers se superposent donc, quand le peintre ne serait confiné qu’à un seul. Nous ne citerons qu’un exemple : « c’était la Cité, cette proue de l’antique vaisseau, éternellement dorée par le couchant ». Par ce jeu de la métaphore, la Seine semble se transmuer en océan, déclenchant la rêverie du voyage, des aventures en mer. L’univers maritime est ainsi convoqué, tout comme les temps anciens : le voyage est alors double, dans le temps et l’espace. Ainsi, si Zola, fidèle à la tradition de l’écriture-artiste, décrit à la manière d’une ekphrasis, ce n’est pas sans chercher à rivaliser, à la fois avec le peintre et avec les autres écrivains qui l’ont devancé dans ce domaine, comme Balzac ou les frères Goncourt. Mais si la description que nous propose Zola paraît être l’espace du sublime, à la fois pour le poète et pour le romancier, les apparences ne doivent pas tromper. Le texte laisse entrevoir des lignes de faille, notamment sur le plan de la théorie picturale, qui plongent le lecteur dans le doute quand à la pérennité du projet de tableau. 2) Le chef-d’œuvre en péril : l’écueil de l’hétéroclite théorique a) Un sujet moderne : conformité à l’école du Plein air et manifeste naturaliste Le sujet du tableau, la vue des quais de Seine et de l’île de la Cité, se conforme au premier abord avec le projet pictural de Claude, qu’il a mis en œuvre dans son tableau Plein air. Le thème du tableau est contemporain, puisque Claude décide de peindre Paris tel qu’il le voit à cet instant, au coucher du soleil. Cette modernité du sujet est d’ailleurs pointée par une sorte de mise en abyme du tableau : « une colossale affiche bleue, peinte sur un mur, dont les lettres géantes, vues de tout Paris, étaient comme l’efflorescence de la fièvre moderne au front de la ville ». En effet, la peinture deviendrait comme ces affiches, œuvres picturales en soi, qui exposent la modernité aux yeux de tous. En désirant représenter la vie des humbles sur les quais (« peuple de débardeurs », « baigneurs », « piétons »), Claude répond à une exclamation qu’il avait émise plus tôt dans le roman : « Ah ! tout voir et tout peindre ! […] Hein ? la vie telle qu’elle passe dans les rues, la vie des pauvres et des riches […]. Oui ! toute la vie moderne ! ». Le tableau même, fourmillant de détails, s’accorde avec cet impératif d’observation méticuleuse et scientifique de la réalité. Le panorama se décompose en effet en notations très précises : dans la première phrase nous est tout d’abord donné ce qui tiendrait lieu d’hyperonyme, « le port Saint Nicolas ». Puis, le regard se rapproche et scinde l’espace par des indications plus détaillées, qui forment alors une série hyponymique : « les cabines basses des bureaux de la navigation, la grande berge pavée qui descend »… En étudiant la syntaxe, on remarquerait que les différentes notations s’enchâssent pour ne créer qu’un espace unifié (jeu des participes passés et des subordonnées relatives). Ce souci du détail se retrouve également dans le choix du lexique, spécialisé : « grue de fonte », « charpentes de fer », « les poivrières du Palais »… Ainsi, on observe un consensus idéologique entre Zola et son personnage : ce dernier appuie ses propres théories littéraires, les incarne. Le chef-d’œuvre à venir fait alors figure de manifeste naturaliste, à un moment où la doctrine du maître de Médan perd rapidement du terrain. Commentaire [t12]: très bien Commentaire [t13]: encore très bien vu… Commentaire [t14]: le roman est bien ce lieu d’expérience préconisé dans Le roman expérimental. 4 b) Touches impressionnistes : évocation des couleurs et des lumières Mais dans ce tableau affleure tout de même des touches d’impressionnisme, notamment dans le traitement de la couleur et des lumières. Si Claude n’est pas un impressionniste à proprement parler, il en possède certaines caractéristiques. En effet, Claude envisage d’employer une palette de couleurs franches pour le tableau qu’il projette de peindre : « les drapeaux de toile grise », « des petits flots dansant, fouettés de blanc, de bleu et rose », « Pont-Neuf, bruni de la rouille des pierres », « de grands omnibus jaunes, des tapissières bariolées », « cette proue de l’antique vaisseau, éternellement dorée », « les maisons vermeilles », « une colossale affiche bleue »… Les notations de lumière sont également importantes. Tout d’abord, les couleurs de la Cité ne sont pas ses couleurs réelles mais les couleurs perçues dans le soleil du couchant : la Cité revêt alors son habit d’or (« la Cité, […] éternellement dorée par le couchant »). Il semblerait que ce poudroiement du soleil à cette heure crépusculaire donne également un ton doré à la cathédrale Notre-Dame : « les tours jumelles de Notre-Dame, d’un ton de vieil or […] ». Notons que l’or se décline lui-même en plusieurs teintes : l’or et le vieil or. L’œil distingue, dissocie, scinde la lumière pour lui donner toute sa puissance évocatoire. De même, le coucher du soleil enflamme Paris : « le soleil […], éclairant d’une flambée les maisons vermeilles ». Zola intègre alors le chromo-luminarisme dans cette description, trait majeur de la peinture impressionniste. Pourtant, l’extrême composition de la description et du tableau à venir s’oppose à la spontanéité recherchée par les impressionnistes : l’architecture semble finalement prévaloir. c) Des relents de romantisme : l’échec annoncé Enfin, le tableau annoncé ne parvient pas à s’émanciper du fond de romantisme qui continue à s’imposer à Claude. S’il choisit de représenter la vie moderne des habitants de Paris, il n’en aboutit pas moins à esquisser les contours des vieux monuments parisiens. Ces bâtiments ont d’ailleurs pour certains été investis par les romantiques : on peut citer par exemple la cathédrale Notre-Dame, prise pour lieu du grand récit romantique de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris. La description des flèches gothiques participe de ce mouvement de retour vers le courant romantique. Les allusions à l’antique, au séculaire (« cette proue de l’antique vaisseau », « hautaine mâture du vaisseau séculaire ») inscrivent également ce tableau dans un temps long, mythologique. La modernité se conjugue à un retour vers les temps originels, vers l’histoire ancienne. A la spontanéité de la vision va donc s’ajouter la superposition des couches temporelles. Le jeu des métaphores accentue cette impression : les piétons sont par exemple comparés à des héros de la mythologie ou des chansons de geste (« des piétons, une chevauchée de fourmis »). L’épopée, même dérisoire, vient donc s’insinuer dans la modernité de la vision impressionniste et naturaliste : le vieux romantisme, poison des modernes, se laisse donc percevoir. De plus, Zola privilégie dans cette description le colossal, le gigantesque, trait de l’écriture romantique par excellence : « le bras gigantesque d’une grue », la Cité, qui s’impose au centre de l’immense tableau, « lettres géantes »… L’œuvre hybride de Claude devient une sorte de monstre tricéphale, combinant naturalisme, impressionnisme et romantisme. Un quatrième élément s’ajoutera par la suite, quand il décidera de peindre au premier plan une immense baigneuse : le symbolisme. Il faudra alors relire entièrement le tableau comme une allégorie de la ville de Paris, femme aux yeux du peintre. L’hybridité des techniques et des thèmes au cœur de ce tableau rend l’accomplissement du chefd’œuvre illusoire. Se détacher de la poisse romantique s’érige alors en entreprise utopique. L’échec de Claude est dès lors entrevu par le lecteur, même si d’autres indices de cet avortement à venir sont discernables. 3) Les ressorts du drame : la description comme tournant romanesque du récit Commentaire [t15]: Oui, c’est une vision intéressante que je n’ai pas développée mais à laquelle je souscris. Commentaire [t16]: Très bien 5 a) Une description de Paris qui s’inscrit dans une série : reprise des éléments dramatiques des descriptions antérieures Comme nous le disions dans l’introduction, cette description de Paris s’inscrit dans une série que compose Zola. Zola, qui structure très précisément ses œuvres, privilégie souvent la répétition avec variation, créant ainsi de nombreux effets de symétries ou établissant des couples antithétiques. Nous retrouvons ainsi dans cette description des quais de Seine et de la Cité des éléments dramatiques que nous trouvions déjà dans d’autres descriptions de Paris, et notamment dans la description liminaire : Paris devient alors l’espace d’une tragédie en germe, qui s’actualisera par la mort de Jacques et le suicide de Claude. En effet, nous retrouvons dans cette description le thème de l’aveuglement. Une apposition comme « une fuite de miroir d’un raccourci aveuglant » illustre la prégnance de ce thème, mais on notera également que la vue est bouchée dans le tableau : « l’écluse de la Monnaie semblait boucher la vue de sa barre d’écume ». Dès lors, il est impossible de voir, alors que la peinture est l’art visuel par excellence. Nous pouvons également supposer que cet aveuglement est celui de Claude face à ses capacités à réaliser un chef-d’œuvre. De plus, on retrouve le lexique de la coupure et de la déchirure, qui n’est pas sans faire penser à une blessure béante qui traverserait le tableau : « une trouée s’ouvrait à gauche ». Enfin, le tableau est éclairé par un incendie qui ronge les édifices aperçus : « le soleil […], éclairant d’une flambée les maisons vermeilles du quai des Orfèvres ». Cette flambée nous replonge dans l’atmosphère du Paris pris dans l’orage que nous avions au début du roman : des éclats fantastiques apparaissent ainsi dans cette description qui se voulait à l’origine naturaliste. Un feu infernal embrase la scène, laissant présager le dénouement dramatique. Trouée, couleur vermeille : le sang semble donc couler d’une blessure au cœur même de ce tableau. L’ascension vers le sublime qui nous était annoncée ne peut donc s’achever que sur une fatale chute. b) Rebroussement et cyclicité : l’impossibilité d’avancer De plus, ces répétitions, avec leurs innombrables reprises, inscrivent le roman dans un temps cyclique, qui ne parvient jamais à se détacher d’une image originelle : la vision d’un Paris tragique revient à intervalle régulier dans le roman, l’empêchant de développer un fil narratif linéaire. Les échecs de Claude ne sont que la répétition de ses échecs précédents : l’inaccomplissement est alors un trait fondamental de la trajectoire d’un peintre enfermé dans un cercle d’éternels recommencements. Notons par ailleurs que cette description est l’aboutissement d’un cheminement du couple formé par Claude et Christine vers leur bonheur déjà ancien : ils refont en effet, non sans une immense nostalgie, la promenade qu’ils faisaient au moment de leur rencontre. Ils remontent alors vers le temps des origines, qui est aussi le début du roman : la description est marquée du sceau de ce retour. Le tableau de Claude ne pourra dès lors n’être qu’un rebroussement , qu’une remontée vers l’ancien, comme l’ajout de la figure d’une femme nue sur la toile, rappelant la femme de Plein air, le prouvera. Claude ne possède plus la possibilité d’avancer, il est condamné au surplace. A cet égard, le fait qu’il décide de peindre l’île de la Cité est assez révélateur : la vue qu’il nous propose ne peut être perçue que si l’on tourne le dos à l’Arc de triomphe, but des balades de Claude et ses amis quand ils pensent encore pouvoir prendre Paris grâce à leurs talents dans leurs arts respectifs. La figure du rebroussement est ainsi doublement représentée : la promenade avec Christine en est une première, et le fait de se retourner pour contempler l’île de la Cité en est une seconde. Les allusions omniprésentes à l’antique dans ce texte corroborent cette idée. A partir de cette description, Claude ne pourra plus rien produire de superbe : il est voué à l’échec, au retour, tournant le dos au destin triomphal qui lui était promis. c) L’apparition d’une figure féminine problématique : la concurrence tragique entre Paris et Christine Commentaire [t17]: Très bien Commentaire [t18]: Le tableau final, lacéré 6 Enfin, nous trouvons dans ce texte de nombreux indices pouvant nous faire penser que Paris est personnifiée dans cette description, prenant alors les atours d’une femme. Nous savons que la baigneuse qu’il ajoutera à sa toile incarnera la capitale (Claude fait « incarner dans cette nudité la chair même de Paris, la ville nue et passionnée, resplendissante d’une beauté de femme »), mais dès cette description, la ville est féminisée jusqu’à se transformer en femme. Certaines métaphores participent de ce mouvement de personnification de la ville : « le pont des Arts […], très haut sur ses charpentes de fer, d’une légèreté de dentelle noire […] », « la dentelure des cheminées ». L’allusion à la dentelle nous fait penser aux vêtements de femme : Paris semble elle aussi parée de ces attributs féminins. La mention d’un miroir (une fuite de miroir d’un raccourci aveuglant ») est également révélatrice, car ce dernier pourrait également être considéré comme un emblème de la féminité. La personnification est encore plus apparente dans cette comparaison : « les lettres géantes, vues de tout Paris, étaient comme l’efflorescence de la fièvre moderne au front de la ville ». La ville possède alors un front, est découpée comme s’il s’agissait d’un corps humain. Christine ne peut donc plus rivaliser avec cette capitale-femme qui lui emporte son époux : le drame se noue donc définitivement dans cette description, moment où Claude détourne définitivement le regard de sa femme pour le poser sur la capitale qu’il chérit davantage. Pour conclure, nous pouvons voir dans ce texte que Zola ne se contente pas d’appliquer des règles traditionnelles en matière de description naturaliste. Oscillant entre topographie et ekphrasis, ce passage nous convie à nous plonger dans une vision hallucinée d’un tableau à venir. En effet, à l’image de nombre de descriptions zoliennes, le texte est fortement motivé. La description n’est jamais gratuite, le narrateur s’efforçant toujours d’adopter le point de vue de l’un des personnages. Mais ce travail sur la description se double d’une réflexion esthétique : tout en mettant en valeur ses théories naturalistes, Zola s’immerge dans différents courants artistiques et littéraires. La description devient alors le lieu où peuvent se confronter différentes théories, le naturalisme, l’impressionnisme ou le romantisme. Cet amas théorique hétéroclite n’aboutira pas à un chef-d’œuvre, l’hybridité conférant à une confusion inféconde. Ce drame de l’artiste sera d’ailleurs largement mis en scène dans cette description placée sous le sceau de l’infernal et d’un avortement inéluctable. L’entreprise de personnification de la ville nouera également ce nœud dramatique, la peinture et Paris l’emportant définitivement sur la femme réelle. La description est alors un lieu essentiel dans l’œuvre zolienne, non comme mise en place d’un décor, mais comme espace où faire preuve de ses talents de peintre de la vie moderne et comme moment d’intense dramatisation. Les avancées (ou les redondances) dans le roman se mesure d’ailleurs à l’arrivée de chaque nouvelle description. Propositions d’exploitation pédagogique Ces propositions d’adressent à un public d’étudiants de français avancé : c’est un public auquel j’ai l’habitude d’enseigner, il est alors plus facile pour moi de me rendre compte de leur niveau et de savoir quoi leur proposer. Nous considérons qu’ils comprendront globalement le sens du texte, même si nous serons obligés de revenir sur certaines expressions et sur certains mots de vocabulaire. Nous proposerons de faire lire ce texte dans le cadre d’un cours de civilisation française, qui aura pour but de leur donner un aperçu des différents mouvements artistiques et littéraires que nous pouvons trouver en France au XIXème siècle. L’objectif est avant tout de leur donner les grandes lignes de l’histoire littéraire et artistique de la France à cette époque, riche en productions picturales dont ils doivent avoir connaissance, même s’il ne paraît pas non plus inapproprié de travailler sur le genre de la description avec eux à partir de ce texte. Les cours avancés sont en effet un lieu où l’on approfondit les connaissances des grandes catégories littéraires des apprenants : la description entre alors parfaitement dans ce programme. Commentaire [t19]: oui 7 1/ Tout d’abord, nous pensons qu’il sera nécessaire de replacer le texte dans son contexte, et ce à divers plans (cela pourra constituer une première séance de travail) : Rappeler qui est Zola, revenir sur sa biographie. Il ne sera pas non plus inutile de revenir sur le mouvement naturaliste dont il est le principal théoricien. Nous parlerons ensuite de son amitié de jeunesse avec un peintre comme Cézanne, et de ses relations avec nombre d’artistes de son époque… Un point pourra alors être fait sur les liens de Zola avec l’impressionnisme. Ce sera l’occasion de montrer quelques peintures de Monet, et notamment Le déjeuner sur l’herbe, qui inspire Zola pour le tableau de Claude, Plein air. Le but sera alors de leur proposer un cours d’introduction sur la peinture impressionniste et sur le naturalisme afin d’éclaircir leurs idées sur le sujet (techniques, emploi des couleurs, quels sujets…). Nous pourrons alors leur montrer d’autres peintures, d’autres mouvements (Delacroix, Courbet…) afin qu’ils mesurent les différences. Il faudra également revenir sur l’histoire à proprement parler du roman, sur le personnage de Claude et de Christine, et expliquer ce qui précède la scène que nous proposons à leur lecture. Il sera de même nécessaire de parler du dénouement du roman et de l’échec de Claude à réaliser ses ambitions. Nous donnerons ensuite à lire le texte, puis travaillerons en classe sur le lexique difficile, les particularités grammaticales… Commentaire [t20]: Monet pour les séries, Manet pour Le Déjeuner sur l’herbe 2/ Nous reviendrons ensuite sur le statut de cette description un peu particulière, en rappelant que le narrateur épouse le point de vue de l’artiste, qu’il voit à travers ses yeux : Comment est organisé le texte le texte ? Recherchez les termes qui structurent le passage (adverbes, connecteurs logiques, locutions adverbiales…). Qu’est-ce qu’ils indiquent ? Qu’avons-nous l’impression de voir ? L’objectif est alors de leur faire dire que la description est organisée comme un tableau. Quelle figure littéraire est majeure dans ce texte ? (l’énumération) Pourquoi ? Ce paysage est-il décrit avec des techniques impressionnistes ? Lesquelles. Retrouvons-nous des thèmes naturalistes ? Lesquels ? A chaque fois, un relevé des éléments du texte leur sera demandé. 3/ Enfin, nous pourrons leur proposer d’observer les tableaux qui ont pu inspirer Zola pour cette description, et de voir quelles différences ou quelles ressemblances il existe entre les tableaux et le texte : Les Déchargeurs de charbon (1872), de Manet. Vue de la Seine du quai des Tuileries (1875), de Guillemet. Cela leur permettra surtout de fixer dans leur esprit une image, comme le texte le suggère. Nous aurons alors introduit, à l’aide ce texte, différents courants artistiques et littéraires du XIXème siècle, très fortement liés les uns aux autres (il faut alors leur rappeler que les arts s’interpénètrent, qu’ils se réfléchissent les uns les autres). Ils auront vu différentes œuvres, notamment picturales, ce qui avait pour objectif d’ancrer dans leur mémoire des exemples de tableaux issus de divers courants. De plus, nous serons revenus sur un type particulier de description, celle qui prend la forme d’une ekphrasis : ils prendront alors conscience que la description n’a pas seulement pour but de situer un décor dans un roman. Un travail plus poussé et systématique pourra alors être mis en place sur la description, à partir de textes descriptifs différents de celui étudié. Commentaire [t21]: Vous pouvez aussi aller voir des tableaux parisiens d’Albert Marquet, même si ce peintre est un peu postérieur.