spécial élection 2007
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spécial élection 2007
ÉCONOMIE De l’argent pour rentrer au pays REPORTAGE Quand les rappeurs font de la politique ENQUÊTE KICK BOXING, MUAY THAÏ... La laïcité en campagne Les nouveaux sports de combat cartonnent MODE LA BANLIEUE PREND SA REVANCHE N° 3 - Avril 2007 - Le magazine de la communauté maghrébine en France SPÉCIAL ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE 2007 Sarko, Ségo, Bayrou : leurs programmes comparés thème par thème L’élection vue par Mehdi Qotbi, Abdelwahab Meddeb et Yamina Benguigui Trois économistes jugent les promesses Comment on vote dans les cités sommaire 4 L’essentiel Toutes les infos en bref sur le Maghreb, les relations bilatérales et internationales. 18 Décryptage 18 L’aide au retour : des sous pour rentrer au pays 22 L’économie en bref 24 Quand les rappeurs flirtent avec la politique 28 L’argent des émigrés : une manne inépuisable ? 30 La laïcité en campagne 34 Portrait : le patron, ses potes et ses assoc’s 36 Al Jazira, un groupe qui monte, qui monte… 42 40 Algérie : secret défense sur les essais nucléaires français 42 Dossier Présidentielle : comment voter 58 Société 58 La darija, une langue 62 66 Réa - MaxPPP - DR 70 74 qui déchaîne les passions Mode : la banlieue prend sa revanche Kick boxing, muay thaï... Avec les pieds et les poings Ils sont rentrés en Algérie Bidonvilles : on ose enfin en parler 76 Vous 86 Culture 76 Le Ryad : le Maroc en plein 78 80 82 83 84 86 Tendance Bellydance 89 Expo : “Désirs d’Orient” 90 Cinéma : autour de la Guerre cœur de Marseille La Tunisie au meilleur prix Croisières : le Maghreb au fil de l’eau Avis d’expert : question sur le Code de la nationalité au Maroc Le forum des lecteurs et des internautes Pour ou contre les statistiques ethniques d’Algérie 92 Musique : Souad Massi 94 Livres 96 L’agenda culturel 40 18 76 86 Et retrouvez-nous sur www.lecourrierdelatlas.com NUMÉRO 3 AVRIL 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 3 l’essentiel A Casablanca, un héros ordinaire évite un bain de sang A lors que les menaces d’attentats se faisaient de plus en plus lourdes sur Casablanca, deux jeunes kamikazes, Abdelfettah Raydi et Youssef Khoudri, sont venus donner raison aux forces de sécurité actuellement sur la brèche. Dans la nuit du dimanche 11 mars, bardés chacun d’une ceinture d’explosifs, ils ont investi un cybercafé de la ville, avant que l’un des deux ne s’y fasse exploser tandis que l’autre prenait la fuite. Blessé par la déflagration, il sera arrêté quelques heures plus tard dans un quartier limitrophe, alors qu’il se dirigeait vers un hôpital pour y être soigné après s’être débarrassé de sa charge explosive. 4 LE COURRIER DE L’ATLAS Il est près de 21 h 45 dans l’avenue Al Adarissa, quartier de Sidi Moumen, celui-là même d’où étaient issus les treize kamikazes ayant ensanglanté la ville de Casablanca lors des attentats du 16 mai 2003 qui ont fait trente-deux morts, quand deux jeunes entrent dans un cybercafé et s’attablent face à un ordinateur. Devant la rudesse de leurs gestes, le gérant de ce petit commerce familial, Mohamed Fayez, s’approche pour leur demander de “prendre soin du matériel” et remarque qu’ils tentent de se connecter à un site intégriste. Les menaçant d’appeler la police, il est pris à parti par les deux jeunes. Soudain,une déflagration vient secouer le local, faisant un mort, Abdelfettah Raydi, et quatre blessés dont le jeune gérant. Le kamikaze dont la charge s’est déclenchée n’est pourtant pas un inconnu des services de sécurité. Agé de 23 ans, ce chômeur sans domicile fixe avait été arrêté et condamné en novembre 2003 à cinq années de prison ferme dans le cadre de la loi antiterroriste entrée en vigueur après les attentats de la même année, avant de bénéficier, en 2005, de la grâce royale. Il était recherché depuis plusieurs mois pour divers délits. Quant à son alter ego, Youssef Khoudri, bientôt arrêté dans le quartier de Sidi Othmane après l’explosion, il serait âgé de 18 ans et traî- NUMÉRO 3 AVRIL 2007 l’essentiel Billet Les vrais objectifs d’Al-Qaida C a n’est ent admise, l’objectif premier d’Al-Qaid ontrairement à une opinion communém une ande dem riste terro leuse nébu La sulman. pas l’Occident, mais le monde arabo-mu e. Elle sienn la être e estim lle qu’e n régio la libres dans seule chose : qu’on lui laisse les mains victimes oires. Ses premières cibles, ses premières territ de ge parta de sorte une rche reche veut lle qu’e iner, dom Ce sont eux qu’elle veut sont donc les Arabes et les musulmans. ramener vers l’obscurantisme. et les faire iner les populations arabo-musulmanes Al-Qaida poursuit un seul objectif : dom quand il le et ées cloîtr soit, où les femmes seraient vivre sous le système le plus rigoriste qui talibans. des stan hani l’Afg de dite, un peu à l’image faut lapidées, où la musique serait inter Elle ne ma. sché ce dans crit s’ins mars le Maroc ce 11 La tentative d’attaque d’Al-Qaida contre stère mini le ent que les menaces se succédaient et fut pas une surprise. Cela faisait un mom riste. terro on érati d’op ntion sur les risques élevés marocain de l’Intérieur avait attiré l’atte on mais ux, résea des ler ante érables. On peut dém Dans ce domaine, tous les pays sont vuln renve e faibl de ation opér e d’un ou lle tive individue sera toujours sous le risque d’une initia aire, le bilan aurait pu être lourd. gure. Et sans la vigilance d’un citoyen ordin ent le ralliement du GSPC algérien (Groupem ncé anno Il y a quelques mois, Al-Qaida avait tion lanta l’imp er lopp déve de s bat), chargé désormai salafiste pour la prédication et le com e opération Sahel africain. Depuis, il y a eu une gross du et hreb Mag du terroriste dans les pays de terrorisses fusillades en Tunisie où une vingtaine labellisée Al-Qaida en Algérie, deux gros , une tentative au Maroc. tes infiltrés ont été neutralisés, et enfin coopèrent lations sont contre les terroristes. Elles popu les c, Maro En Algérie, en Tunisie et au tement direc oser s’opp à pas t siten n’hé le peuvent et avec les forces de sécurité quand elles sur les rise ont l’occasion. Al-Qaida n’a aucune emp aux terroristes à chaque fois qu’elles en rs exclusif à la violence. populations, c’est ce qui explique son recou ident musulmans doivent comprendre que l’Occ les et es Arab les i, Dans ce combat sans merc les sont ce mis, enne vrais Les mi. enne en aucun cas peut être spectateur ou allié objectif, mais erme l’enf ce, musulmane, les faux savants, l’ignoran interprétations radicalistes de la religion . ment et les réflexes tribaux et claniques Naceureddine Elafrite Joëlle Vassort/MaxPPP Et vous, qu’en pensez-vous ? Votre avis nous intéresse. se.com Ecrivez-nous à contact@dmpres traînerait ses guêtres dans un bidonville de Sidi Moumen. Les enquêteurs plancheraient actuellement sur les conditions de leur rencontre, ainsi que sur leurs connexions avec les réseaux structurés du Groupe islamique combattant du Maroc (GICM) dont le chef militaire, Saâd Houssaïni, vient d’être arrêté le 6 mars dernier dans un cybercafé de Sidi Maârouf, à Casablanca. Le cybercafé où a eu lieu l’explosion ne serait pas le lieu initialement visé, mais un passage obligé où les kamikazes devaient récupérer leurs instructions et les coordonnées de l’endroit où leur acte devait être accompli, ailleurs à Casablanca. Au lendemain des attentats, les forces de sécu- NUMÉRO 3 AVRIL 2007 rité marocaines ont procédé à une rafle massive et arrêté une dizaine de suspects ayant eu des liens potentiels avec Abdelfettah Raydi, dont certains salafistes également graciés en 2005 après avoir été condamnés deux ans auparavant.Deux jours plus tard, ils investiront une chambre de terrasse dans le quartier Moulay Rachid, occupée deux semaines durant par les deux kamikazes, dans laquelle ils trouveront une centaine de kilogrammes de produits ayant servi à la fabrication d’explosifs. Le feuilleton terroriste est à nouveau en marche à Casablanca. Où s’arrêtera-t-il ? Amine Drissi 4, rue Halévy, 75009 Paris Tél. : 01 53 43 33 40. Fax : 01 47 42 06 47 Pour joindre votre correspondant, composez le 01 53 43 33 suivi des deux derniers chiffres entre parenthèses. Par mail, taper l’initiale du prénom suivie du [email protected] Site internet : www.lecourrierdelatlas.com Secrétaire générale de la rédaction : Amélie Duhamel (77) Secrétaire de rédaction : Mireille Peña (78) Chef du service photos : Patrick Launay (63) Chef d’enquêtes : Yann Barte (47) Rubrique économie : Nadia Lamarkbi (73) Rubrique Culture : Yasrine Mouaatarif (75) Rédaction : Céline Fornali (76), Valérie Defournier (70) Ont collaboré à ce numéro : Jean-Philippe Bauer, Myriam Blal, Caroline Boudet, Siham Bounaïm, Myriam Brough, Sandrine Cassagne, Valérie Defournier, Anne Deguy, Laure Deschamps, Céline Develay-Mazurelle, Tristan Duhamel, Antoine Flandrin, Thomas Goubin, Hanane Harrath, Léo Huisman, Mohamed Idrissi, Annie Lebot, Leïla Madani, Odile Malassis, Ali Mekkhaz, Khaled Olhocine, Mireille Peña, Rahma Rachdi, Séverine Renaud, Eléonore Varini, Soumia Zahi Directrice commerciale : Sophie Ageorges (51) Directrice du marketing : Sophie Mazet (50) Régie publicitaire : MediaObs, 44, rue Notre-Dame-des-Victoires, 75002 Paris. 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Les photos de la cérémonie de baptême, organisée sept jours après la naissance, seront publiées en exclusivité par deux revues marocaines, “Nissae” qui est le numéro un de la presse féminine marocaine et “Citadine”. Cette ouverture vers la presse nationale est une nouveauté, les photos de la famille royale, en particulier lors des grands événements (mariages, naissances), ayant été jusque-là réservées à “Paris Match”. Aveux Le Pakistanais Khalid Cheikh Mohamed a revendiqué la responsabilité de 31 opérations terroristes d’Al-Quaïda lors d’un interrogatoire à Guantanamo. Parmi ces opérations, on trouve les tentatives d’assassinat contre Jimmy Carter, Bill Clinton et Jean Paul II. Il a également assumé la responsabilité d’autres actions : le premier attentat de 1993 contre le World Trade Center à New York, les attentats de Bali en 2002. Deux sénateurs américains, témoins des aveux du prisonnier ontdéclaré que les allégations du détenu sur des mauvais traitements à Guantanamo devaient être prises au sérieux et faire l’objet d’une enquête. 6 LE COURRIER DE L’ATLAS Code de la nationalité La folie Marrakech D écidément, les Européens ont le béguin pour Marrakech ! En 2006, le service des étrangers du commissariat central de police de Marrakech a été débordé. Le nombre de demandes de cartes de séjour par des étrangers s’élèverait à quelques dizaines de milliers, dont plus de la moitié par des Français. Vols de voitures Gangs israélopalestiniens Vive l’égalité homme-femme S L aux étrangers. Ce qui se traduit par des ’enfant d’une femme marocaine est aberrations. Par exemple, l’enfant n’a pas marocain quelle que soit la nationalité d’état civil ou doit disposer, à partir de 15 de son père. Après la réforme de la Mouans, d’une carte de résident renouvelable dawana (code de statut personnel), le Matous les ans. roc s’apprête à passer à une autre étape en Au-delà des tracasseries administratives, le amendant le Code de la nationalité qui Code de la nationalité crée de véritables draverra l’égalité femme-homme se concrétiser vis-à-vis de l’octroi de la nationalité. mes sociaux, voire psychologiques. Pour metTandis qu’en Tunisie la femme mariée à un tre fin à ces injustices, les associations de non-Tunisien peut, dedéfense des droits des puis 1997, transmettre CE NOUVEAU CODE EST femmes et de l’enfant sa nationalité à ses enont entamé il y a quatre LE FRUIT DES EFFORTS fants, que l’Algérie a ans un long et patient octroyé ce même droit DES ASSOCIATIONS DE travail d’explication. La en 2005 à ses citoyen- DÉFENSE DES DROITS société civile marocaine nes, au Maroc, l’acquisi- DE LA FEMME. veut aller plus loin. Elle tion de la nationalité estime nécessaire de prodemeurait paternelle. L’article 6 du Code de céder à une révision complète du Code de la nationalité marocaine est clair. “Est ma1958, qui est, selon elle, complètement dépassé. Que dire, par exemple, de l’article 9 rocain, l’enfant né d’un père marocain et qui stipule que “sauf opposition du ministre l’enfant né d’une mère marocaine et d’un père inconnu.” En d’autres termes, la filiade la Justice, acquiert la nationalité marocaine, si elle déclare opter pour celle-ci, toute tion légitime pour l’attribution de la natiopersonne née au Maroc d’un père étranger, nalité marocaine est paternelle. La mère lui-même né au Maroc, lorsque ce dernier se peut conférer la qualité de marocains à ses rattache à un pays dont la fraction majorienfants dans le seul cas où le père de ses enfants serait inconnu ou apatride. Cette taire de la population est constituée par une situation prive du passeport marocain de communauté ayant pour langue l’arabe et très nombreuses personnes, nées de mariapour religion l’islam et appartenant à cette ges mixtes. Qui, à ce titre, doivent se plier communauté” ? aux procédures administratives appliquées (Lire également en page 82 l’avis d’expert) i, si ! Sur plus de 33 000 voitures volées chaque année en Israël, 70 % le sont par des Palestiniens. Ce trafic de voitures s’effectue à partir de Kalkiliya, une ville frontière entre Israël et la Cisjordanie. Les véhicules sont volés à Tel Aviv et dans les grandes villes israéliennes par des jeunes des camps de réfugiés. Ceux-ci parviennent à franchir le mur de béton grâce à des gangs israéliens qui travaillent avec eux. Ces voitures sont ensuite acheminées jusqu’à Naplouse où elles sont ensuite revendues. Un commerce qui prolifère alors que la capitale du Nord de la Cisjordanie n’a jamais été autant surveillée par l’armée israélienne. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Ali Ninh/MAP 11-septembre Ryads l’essentiel Au moment où les Fédérations des communautés marocaines en Europe s’apprêtaient à manifester devant les ambassades d’Arabie Saoudite pour dénoncer la condamnation à mort de Majda Maher, les autorités wahhabites ont gracié la jeune femme la veille de son exécution. Cette Marocaine de 40 ans a été libérée après que les enfants et la famille du prince Farid Ben Abdullah Bin Mishari ont retiré leur plainte pour meurtre, plainte qui avait conduit Majda à la condamnation à la peine capitale par un tribunal saoudien. Selon la loi en vigueur dans ce pays concernant les crimes de sang, seul le pardon de tous les membres de la famille peut sauver un meurtrier, en plus du paiement de la “diya”, sorte d’amende du sang. Majda Maher, croupissait en prison depuis sept ans. Amnesty International avait lancé une campagne pour faire la lumière sur cette affaire . Elle reprochait à la justice saoudienne d’avoir interdit à l’accusée de recourir à un avocat pour sa défense et de faire appel. 8 LE COURRIER DE L’ATLAS droits de l’enfance Le Maroc s’attaque enfin à la mendicité Pour la première fois au Maroc, des enquêtes sur la mendicité ont été réalisées ainsi qu’une évaluation du nombre de mendiants et surtout une politique pour venir à bout de ce fléau. Selon une étude réalisée par la Ligue marocaine pour la protection de l’enfance, en collaboration avec l’Entraide nationale et le ministère de la Santé publique, les enfants sont souvent utilisés pour pousser les âmes charitables à mettre la main à la poche en faisant appel à plusieurs “techniques”. Les femmes utilisent souvent les enfants de moins de 7 ans. Elles les “exposent” sur un lit de fortune dans les plus achalandées des rues commerçantes ou portent des bébés en stationnant toute la journée près des feux rouges. Des handicapés sont amenés (et souvent malmenés) pour faire la quête quotidienne de quelques pièces... Ce sont là quelques scènes d’un spectacle désolant vécu dans les grandes villes du pays. La “récolte” quotidienne oscille en moyenne entre 50 et 100 dirhams (un euro = 11 dirhams). Et ce sont des adultes exploiteurs qui s’accaparent le fruit de ces oboles. L’enquête précise que la santé d’un tiers de ces enfants est loin d’être au beau fixe : maladies chroniques, diabète, hypertension.... Le risque, pour ces enfants, est évidemment de prendre goût à cette “profession” et de reproduire le même scénario dans leur vie d’adulte, d’autant plus que, affaires administratives et qu’il a perdu son portefeuille. dans la majorité des cas, une relation existe entre les enPour faire face à ce phénomène de la mendicité, les autorifants et leurs accompagnateurs. tés marocaines, à travers des plans d’action, focalisent leur La mendicité est un réseau bien démarche sur cinq axes essentiels comportant, outre l’intégration sociale des organisé. On ne peut pas mendier LA SANTÉ D’UN TIERS personnes handicapées, la protection quelque part sans payer une somme DE CES ENFANTS EST de l’enfance, la promotion de la condid’argent aux propriétaires des “conces- ÉVIDEMMENT LOIN tion de la femme, la lutte contre l’exsions”. Pour chaque zone, il y a un proD’ÊTRE AU BEAU FIXE. clusion sociale et le partenariat avec les priétaire auquel les mendiants doivent associations. Une approche qui s’inscrit verser un droit d’occupation. en droite ligne des engagements internationaux pris par le Il existe une autre catégorie de mendiant, celle du menMaroc afin de venir à bout des précarités sociales et de diant gentleman. Il s’agit généralement d’hommes ou de promouvoir les droits des diverses catégories sociales pour femmes d’un certain âge. D’une manière très polie, il deque celles-ci puissent mener une vie digne. Une loi qui crimande si vous pourriez lui donner 10 dirhams pour qu’il minaliserait l’utilisation des enfants pour mendier est sépuisse prendre son ticket de train. Il vous raconte aussi qu’il rieusement envisagée. était de Casablanca, qu’il est venu à Rabat pour régler des musique Nass El Ghiwane en tournée européenne M artin Scorsese les appelait “les Rolling Stones d’Afrique du Nord”. Ils ont révolutionné la musique marocaine et passionné les foules, génération après génération. Près de trente ans après leur création, les légendaires Nass El Ghiwane sont de retour avec un tout nouvel album : Enahla Chama, sorti au Maroc au début de l’année et attendu en France ce printemps. Pour l’occasion, le groupe se lancera dans une grande tournée européenne tout au long du mois de mai, de Lille à Barcelone en passant par Bruxelles, avec un concert exceptionnel le 18 mai à l’Olympia, à Paris. Plus de scoops sur les Ghiwane, leur musique et leurs projets dans notre prochain numéro, avec une interview exclusive. Ils seront à Paris (Olympia) le 18 mai, à Lille le 17, puis à Bruxelles et Madrid. Ils sortent également un nouvel album en France chez EMI. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 A.Senna/AFP Justice Majda Maher graciée en Arabie Saoudite l’essentiel Maroc La culture de cannabis régresse S elon L’Organe international de contrôle des stupéfiants réseaux de trafiquants opérant en Europe. Les recettes (OICS), le Maroc a fait des efforts réels en matière de tournent autour de 214 millions de dollars en 2003. La prolutte contre le trafic de drogue. Il souligne que ces efforts ont duction est vendue à 66 % sous forme brute, transformée permis une “réduction très significative et sans précédent de à 34 % en poudre, représentant 0,57 % du PIB marocain, 40 % de la superficie cultivée du cannabis et la chute consi- estimé à 37,3 milliards de dollars. Le revenu moyen tiré du dérable de la production de la résine du cannabis à environ cannabis par chaque famille est estimé à 2 200 dollars, soit 62 % par rapport à 2004”. Dans son dernier rapport, l’office environ la moitié (51 % de son revenu annuel total évalué des Nations unies contre la drogue et le crime constate une à 4 351 dollars) en 2003. L’Etat a puisé dans ses caisses pour proposer des compensations parbaisse de 10 % en 2004 de la culture illicite du cannabis au Maroc. Fait inha- LES ASPERGES, UN LÉGUME tielles. Il finance des coopératives dans des secteurs alternatifs comme l’olive. bituel : il va même jusqu’à “féliciter le QUI RAPPORTE AUTANT L’idéal serait de planter des fraises, du gouvernement pour ses efforts” . En QUE LE KIF ET NE 2004, la province de Larache produisait DEMANDE PAS PLUS D’EAU. safran, du cumin ou, mieux, des asperges, un légume qui rapporte autant 10 000 tonnes de cannabis brut, soit environ 10 % de la production nationale. Comme c’est le que le kif et ne nécessite pas plus d’eau. Il faudrait aussi cas pour les autres drogues illicites, cette production dé- construire un barrage et goudronner les pistes pour écouler pend de la demande. Certes, les producteurs ne réalisent les marchandises. Depuis quelques mois, une route digne qu’un revenu total de 214 millions de dollars, mais la valeur de ce nom relie Larache à Chefchaouen-la-Blanche. Sa récommerciale globale du cannabis marocain est évaluée à novation a repoussé le kif vers des zones plus reculées. Ces 12 milliards de dollars qui reviennent en grande partie aux efforts sont salués par l’ONU. Le “Courrier de l’Atlas” fête son numéro 2 ...qui s’amuse avec Najwa Confaits, candidate aux élections législatives au Havre. Ci-dessus, Rachid Benzine, un des nouveaux penseurs de l’islam, qui collabore avec le Courrier de l’Atlas. Chaleur humaine, rires, ambiance décontractée dans les locaux du “Courrier de l’Atlas” ce mercredi 28 février. Notre équipe recevait en effet une partie de ses amis. Ecrivains, diplomates, artistes, journalistes... sont venus nombreux soutenir l’équipe et lui souhaiter bon vent. Hassan Ziady, rédacteur en chef, avec Dominique Baudis, président de l’Institut du monde arabe. Le même avec Eric Revel de LCI. Malek Chebel, auteur du “Kama-Sutra arabe”. 10 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Clarisse Rebotier/Barbara Laborde/S.Saustier Gamma. Radio-Orient était représentée en force : Nadia Bencheikh, Leïla Madani... l’essentiel Réseau routier Algérie : l’autoroute Est-Ouest, un chantier colossal e 14 mars dernier, le président de la République qu’elle va pour l’essentiel suivre le tracé des nationales 4 et algérienne, Abdelaziz Bouteflika, a procédé à Ham5, qui rallient Alger à Oran et Alger à Constantine. D’ici madi, dans la wilaya de Boumerdès, à la pose de la pre2009, il ne faudra plus que dix heures de route pour aller mière pierre du projet de l’autoroute Est-Ouest en Algérie. de Tlemcen à Annaba. Quant aux zones sur la côte et les Considérée comme le projet du siècle dans le pays, cette Hauts Plateaux qui ne seront pas directement traversés par autoroute devrait permettre de créer l’autoroute, elles seront desservies par quelque 200 000 emplois et d’améliodes raccordements au réseau principal rer l’attractivité du tissu socio-écono- D’ICI 2009, IL NE FAUDRA ramenant la longueur cumulée du rémique algérien. Le coût global du pro- PLUS QUE DIX HEURES seau à 1 700 km. Elle sera réalisée jet s’élève à plus de 800 milliards de POUR ALLER DE TLEMCEN “aux normes européennes”, en deux dinars (environ 8,5 milliards d’euros). fois trois voies et avec la prise en À ANNABA EN VOITURE. Le chantier devrait durer quarante compte de mesures parasismiques mois. Sur 1 216 kilomètres, l’immense pointues, ce qui coûtera 10 à 15 % en ouvrage reliera El Tarf, à l’extrême est du pays, à Tlemcen, plus du montant total. Onze tunnels devront être percés et wilaya de l’extrême ouest, tout en desservant les princi390 ouvrages d’art réalisés, dont 25 viaducs, pour joindre paux pôles économiques de l’Algérie dans 24 wilayas. les frontières tunisienne, à l’est, et marocaine, à l’ouest. A quand l’autoroute trans-maghrébine ? Cette autoroute ne modifiera pas le paysage routier puis- En juin Cité nationale de l’histoire de l’immigration L ’idée d’un musée de l’immigration a été formulée il y a plus de quinze ans, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration devait être inaugurée ce mois d’avril, à Paris. En raison de la lourdeur des travaux à effectuer dans les 16 000 m2 du palais de la Porte Dorée, son ouverture est repoussée à mi-juin 2007. Il faudra donc faire preuve d’encore un peu de patience pour découvrir l’exposition “Repères” et que l’enrichissement de la culture française par les diverses immigrations fasse enfin officiellement partie du patrimoine de la République. 12 LE COURRIER DE L’ATLAS Flotte aérienne Premier décollage pour la filiale égyptienne charter du Tunisien Karthago Ç a y est ! Le premier vol commercial de la nouvelle compagnie aérienne Koral Blue, filiale égyptienne du Tunisien Karthago Airlines, a décollé le 23 mars dernier. Spécialisée en charter, Koral Blue a été lancée en octobre 2006 pour répondre à la demande croissante des tours-opérateurs couvrant la Mer Rouge et l’Afrique du Nord. Sa base opérationnelle est située à Charm El Cheikh. Koral dispose d’un Airbus A320 d’une capacité de 180 places, premier d’une flotte homogène à venir qui se développera dans les cinq prochaines années. Son management et son business model s’appuieront sur celui de la maison-mère, la compagnie aérienne tunisienne Karthago Airlines, qui affirme ses ambitions à l’international. Services “00 216” un guide gratuit pour les Tunisiens résidant à l’étranger L a communauté tunisienne de France disposera bientôt d’un guide de services dénommé “00 216”. Gratuit, il sera distribué en 100 000 exemplaires via le réseau des consulats tunisiens, dans les agences et les comptoirs Tunisair en France, et à bord des paquebots de la CTN. Ce nouveau support de 52 pages a pour ambition de se placer au cœur des préoccupations des 550 000 Tunisiens de France. Une bonne initiative pour consolider les liens avec le pays d’origine dans le respect de la double citoyenneté francotunisienne. La priorité est donnée aux projets dans le pays d’origine : immobilier, épargne et banque, mariage des descendants, télécoms, vacances… “00 216” prévoit, à partir de 2008, une diffusion progressive auprès des Tunisiens vivant en Europe (Italie, Benelux, Allemagne). Période de distribution en France : du 15 juin au 15 août. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR L En allant à l’école © Anne-Emmanuelle THION - Espace offert par votre support. elles font reculer la pauvreté dans leur village AIDEZ-LES À AGIR, DEVENEZ PARRAIN www.aide-et-action.org 0811 001 003 (coût d’un appel local) Aide et Action, 53 bd de Charonne - 75545 Paris Cedex 11 l’essentiel Discriminations Racisme à l’embauche : les patrons français pointés du doigt Q uatre fois sur cinq, les employeurs français préfèrent embaucher un candidat “d’origine hexagonale ancienne” plutôt qu’un autre d’origine maghrébine ou d’Afrique noire. C’est ce que révèle un rapport du Bureau international du travail (BIT). A CV strictement équivalents en termes de scolarité, formation, qualifications, expérience, mobilité et résidence, le candidat dénommé Julien Roche est choisi dans 78 % des cas, de préférence à celui, tout aussi français, qui a un prénom à consonance maghrébine, comme Kader Larbi, ou africaine comme Binta Traoré. Selon le rapport, une part très importante de la discrimination se passerait au niveau du CV écrit. “Tout travail qui amènerait à neutraliser les stéréotypes véhiculés par le CV pourrait avoir des résultats. Toutefois, le CV anonyme ne serait pas la solution à tout”, estime le BIT. Certains pensent qu’il faudrait codifier au maximum les critères de recrutement. 20 % L e chiffre le plus important des sondages à la mi-mars : le nombre d’indécis. A quoi sert de savoir que Sarko est talonné par Royal quand 25 % des électeurs n’ont pas encore pris leur décision ? VIE PUBLIQUE Dès que sa cote a grimpé dans les sondages, François Bayrou, candidat de l’UDF, est devenu la coqueluche des médias. AVANT… …APRÈS Emmanuelle Mignon Pierre Nora “La France doit réaffirmer son identité. Si l’on vient en France, on doit l’aimer, respecter ses valeurs, et savoir parler français. (…) L’identité nationale s’enrichit aussi par l’immigration.” “Parler ouvertement des problèmes de l’immigration et lancer une discussion sur le thème de l’identité nationale sont deux choses excellentes. Mais les lier est soit un calcul, soit une maladresse, soit une idée à courte vue.” Conseillère de campagne auprès de Nicolas Sarkozy Historien, membre de l’Académie française “Ce que construit Ségolène Royal dans cette campagne présidentielle est mensonger et dangereux, pour la gauche et pour la France. (…) Elle joue de sa victimisation, elle instrumentalise le féminisme, les souffrances des femmes et celles des exclus. (…) Seule sa propre gloire la motive.” Ex-membre du Conseil national du PS dans son livre Qui connaît madame Royal ? 14 LE COURRIER DE L’ATLAS Thomas Hollande “Ma mère a l’image d’une femme qui a des valeurs droites, des valeurs morales fortes. C’est ce qui me plaît chez elle.” Fils de Ségolène Royal Abaca/Tschaen-Sipa Eric Besson Simone Veil “Bayrou, c’est pire que tout. Je connais tout son passé et ses trahisons successives.” NUMÉRO 3 AVRIL 2007 www.lecourrierdelatlas.com ACTUALITÉS - AU MAGHREB - CULTURE Les dernières informations sur l’actualité politique, économique, sociale et culturelle en France et au Maghreb Blogs, Chats, Forums, le nouveau portail interactif de la communauté maghrébine en France www.lecourrierdelatlas.com l’essentiel Fait divers OGM e drame de la famille maroco-belge Moukaddem résinait une vie paisible et les enfants semblaient parfaitement dant à Nivelles en Belgique, suite à l’assassinat par la épanouis. Les faits remontent au 28 février en milieu de mère de ses cinq enfants, a suscité une grande émotion au journée, lorsque Geneviève Lhermitte, enseignante, a égorMaroc où les dépouilles mortelles des victimes ont été ingé successivement ses quatre filles et son fils, le benjamin humées le mercredi 7 mars à Agadir. Les réactions des méde la famille, alors que le père de famille revenait ce même dias et de l’opinion publique ont soir du Maroc où il était rentré été surtout empreintes d’incomfin janvier pour un de ses séjours préhension devant cet acte per- COMMENT EXPLIQUER UN DRAME habituels à Agadir. pétré par une mère, Geneviève PAREIL DANS UNE FAMILLE La mère infanticide, après un Lhermitte, sur le fruit de ses pro- QUI MENAIT UNE VIE PAISIBLE séjour à l’hôpital où elle a été pres entrailles. ET OÙ LES ENFANTS PARAISSAIENT soignée pour la blessure qu’elle Plusieurs centaines de personnes s’était infligée en tentant de PARFAITEMENT ÉPANOUIS ? ont accompagné le père des victimettre fin à ses jours après son mes, Bouchaïb Moukaddem, au forfait, a été inculpée d’assassicimetière du quartier Ben Sergaou où furent inhumés les nat et écrouée dans une maison d’arrêt à Bruxelles. corps des cinq enfants : Yasmina (14 ans), Nora (12 ans), En Belgique également, l’émotion fut extrême parmi la poMyriam (10 ans), Mina (8 ans) et Mehdi (3 ans). pulation, et particulièrement au sein de la communauté marocaine expatriée, ainsi qu’à l’école que fréquentaient Le drame est d’autant plus mystérieux que, selon de nomles enfants assassinés. breux témoins proches des Moukaddem, cette famille me- Histoire Bab Al Maghariba, vestige des “indigènes” marocains au Vietnam I l faut sauver Bab Al Maghariba ! Cette porte marocaine, nichée en pleine campagne, à soixante-dix kilomètres au nord de Hanoï au Vietnam, risque de disparaître si les autorités vietnamiennes et marocaines n’interviennent pas d’urgence. Construite entre 1956 et 1960, cette merveille architecturale est le monument des soldats marocains “indigènes”, ayant combattu pendant la guerre d’Indochine, sous le drapeau de la puissance coloniale française. Ces soldats, gagnés par le discours d’indépendance du héros de la résistance, Ho Chi Minh, avaient pour la plupart déserté l’armée française et rejoint l’armée vietnamienne. Regroupés au sein d’une coopérative agricole avec d’autres “indigènes” algériens, tunisiens, sénégalais et également des Européens, ils n’avaient pas eu d’autre choix que de s’installer dans ce pays où ils ont fondé des familles pour certains d’entre eux. Bab Al Maghribia est située en plein cœur d’une petite ferme dont le propriétaire et sa famille doivent être expulsés par les autorités locales. ONU Crimes contre l’humanité au Darfour L e régime de Khartoum serait coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Darfour. C’est ce qu’affirme le rapport de l’Américaine Jody Wiliams, prix Nobel de la paix, remis le 12 mars dernier au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Khartoum, en armant et en agissant avec les milices arabes, les janjawids (cavaliers), aurait “orchestré et participé à ces crimes”. “Les tueries de civils restent très répandues, y compris lors d’attaques à grande échelle. Viols et violences sexuelles sont systématiques. Les tortures continuent”, précise le rapport. Ce dernier confirme la poursuite de la violente campagne antirebelles menée par Khartoum avec l’appui des milices arabes : des femmes, des enfants et des hommes “tués indistinctement”, des villages “rasés”, des “populations entières déplacées par la force”. Le conflit au Darfour a déjà fait 200 000 morts et plus de deux millions de réfugiés. 16 LE COURRIER DE L’ATLAS Shoah Hommage aux enfants juifs déportés D u 10 au 29 avril 2007, la ville de Paris rend hommage aux enfants juifs français déportés pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre 1940 et 1944, 11 400 enfants juifs furent assassinés dans “la nuit des camps”, avec la complicité des autorités de Vichy. Une exposition, réalisée par Serge Klarsfeld et l’association des Fils et filles des déportés juifs de France, témoignera de la peur et du calvaire de ces enfants anéantis dans les camps de la mort. Gratuite, elle sera ouverte Un maïs transgénique toxique ? Les soupçons sur la toxicité de certains maïs OGM pourraient bien être fondés. Selon le Comité de recherche et d’information indépendant sur le génie génétique (Criigen), le MON 863 est toxique pour le foie et les reins du rat. Astronomie Les ambitions des Chinois La Chine aurait planifié plusieurs missions d’astronomie. Selon le “China Daily”, un plan gouvernemental pour le développement de la science spatiale aurait été mis en place pour les cinq prochaines années. Les scientifiques assurent être prêts à lancer leur première sonde d’astronomie dès 2012. au public à l’Hôtel de Ville de Paris tous les jours, sauf le dimanche et les jours fériés, de 10 à 19 heures. DR Vive émotion pour un quintuple infanticide L NUMÉRO 3 AVRIL 2007 1 an 20€ SEULEMENT ABONNEZ-VOUS ! OFFRE SPÉCIALE LANCEMENT: 3 NUMÉROS OFFERTS Je profite de l’offre spéciale lancement. Je m’abonne pour un an (11 numéros) au prix de 20 € au lieu de 27,50 € (soit 7,5 € d’économie et 3 numéros offerts) Le magazine de la communauté maghrébine en France Bulletin d’abonnement photocopiable, à compléter et à retourner sous enveloppe à Courrier de l’Atlas/Logodata - service abonnements - 50, rue Notre-Dame-de-Lorette - 75009 Paris NOM ET PRÉNOM : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ADRESSE : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CODE POSTAL : . . . . . . . . . . . . . . . . . VILLE : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . PAYS : . . . . . . . . . . . . . . . . . . E-MAIL : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . TÉLÉPHONE : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ci-joint mon règlement de 20 € par chèque bancaire ou postal à l’ordre de DM SARL Paiement par carte bancaire. CB Date d’expiration : Cryptogramme (les 3 derniers chiffres du numéro figurant au dos de la carte bancaire) : / SIGNATURE OBLIGATOIRE : Je préfère m’abonner et payer sur internet sur le site http://abo.logodata.fr Offre d’abonnement réservée à la France métropolitaine et valable jusqu’au 30/04/2007. Pour les tarifs étrangers, appelez le 0033 1 555 31 03 15. Conformément à la loi informatique et libertés du 06/01/1978, vous disposez d’un droit d’accès, de suppression et de rectification des données vous concernant en vous adressant au service abonnements du Courrier de l’Atlas. Celles-ci pourront être cédées à des organismes partenaires, sauf si vous cochez cette case immigration Les services administratifs gérant les papiers pour les étrangers ne désemplissent pas. Ici, à Lille. Des sous pour rentrer au pays SANS-PAPIERS Alors que l’immigration est au cœur des débats présidentiels, l’aide au retour a récemment refait surface, renforcée par une circulaire de décembre 2006. Reportage sur ce dispositif destiné à aider les sans-papiers à rentrer chez eux contre le versement d’un pécule. E xceptionnellement, la remise de l’argent se fera en dehors de la zone internationale de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. “Pour que vous puissiez vous faire une idée”, nous explique Sandrine. Face à la porte d’embarquement C87, cet agent de la cellule voyagiste de l’Anaem, l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations en charge de l’aide au retour, va distribuer la somme de 1 353 euros à trois ressortissants chinois qui ont décidé de bénéficier de cette aide. Direction : Shanghai. Mlle Zhao, étudiante en français à Lyon pendant une année, n’a pas obtenu son renouvellement de visa étudiant. Elle re- 18 LE COURRIER DE L’ATLAS part avec 153 euros au titre de l’aide humanitaire. M. Li, lui, a passé quatre ans dans la clandestinité à Paris. Mme Wu a vécu cinq ans “dans la peur des policiers”. Tous deux n’ont pas obtenu de papiers et repartent, le cœur étonnamment léger, avec 600 euros en poche chacun. Ils toucheront le reste des 2 000 euros de l’aide au retour volontaire une fois rentrés en Chine. Le vol pour Shanghai est dans une heure et demie. Les bagages, remplis à ras bord de cadeaux pour la famille et de quelques restes de leur vie en France, ont été enregistrés. Nos trois voyageurs vont bientôt passer le contrôle, accompagnés de l’agent de l’Anaem qui remet aux policiers leur invita- tion à quitter le territoire “pour bien signaler en préfecture qu’ils ont quitté la France”. En 2006, selon Jean Godfroid, directeur général de l’Anaem, ils ont été près de 2 500, parmi lesquels une grande majorité de Chinois, de Bosniaques et d’Algériens, à rentrer dans leur pays d’origine grâce aux nouveaux programmes d’aide au retour. Deux mille cinq cents à abandonner l’espoir d’une vie meilleure en France. Deux mille cinq cents à avoir tenté leur chance. Deux mille cinq cents à avoir échoué. “Parfois, après des dizaines d’années passées dans notre pays” précise Sandrine, avouant “un petit pincement au cœur quand on imagine tout ce qu’ils peuvent laisser der- NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Ch. Lefebvre/MAXPPP Par Céline Develay-Mazurelle immigration rière eux”. Elle dit au revoir aux trois voyageurs en partance pour Shanghai. Un bref silence, elle se ressaisit : “Mais bon… on n’y peut rien. Ce sont eux qui ont choisi de rentrer !” VIEUX SOUVENIRS... Cette formule aux allures d’évidence donne pourtant à réfléchir. En effet, malgré le fait que rien n’oblige légalement la France à être si “charitable” en finançant et accompagnant le retour de personnes en situation irrégulière, malgré l’impatience souvent admise de ses bénéficiaires de rentrer au pays, malgré le dévouement sincère des agents de l’Anaem à “aider à rentrer”, le retour volontaire suscite des questions. Il ravive aussi de vieux souvenirs, ceux d’une histoire chaotique entre la France et ses immigrés. Retour en arrière. 1974, premier choc pétrolier. Après avoir encouragé les flux de main-d’œuvre salariée, masculine, manuelle et envisagée comme des “oiseaux de passage”, la France suspend toute nouvelle immigration de travail. La question migratoire devient alors un problème et, à la fa- L’aide au retour, volontaire (ARV) Depuis la circulaire du 7 décembre 2006, deux dispositifs majeurs d’aide au retour existent : l’aide au retour volontaire (ci-dessous) et l’aide humanitaire au retour (page suivante). Pour qui Toute personne en situation irrégulière qui est invitée ou obligée de quitter le territoire (après un refus de séjour, de renouvellement de séjour ou un rejet de demande d’asile). Combien 3 500 euros pour un couple, 2 000 euros pour un adulte seul… Plus une aide à l’obtention des documents de voyage, à l’achat des billets d’avion et le paiement d’un excédent de bagages. Comment Cette aide est versée en trois fois : 30 % au moment de l’embarquement en France, 50 % après six mois et 20 % au bout d’un an dans le pays d’origine auprès des autorités françaises. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 MOULOUD, 35 ANS, ALGÉRIEN SANS PAPIERS En France depuis sept ans. “La France n’est plus une terre d’accueil” “Depuis sept ans, je galère en France. Je vis au jour le jour. Je suis exploité. Pendant un an, par exemple, j’ai travaillé aux Souvenirs de Paris. Je vendais des tours Eiffel aux touristes. J’ai milité dans une association de sans-papiers, j’ai vu le vrai visage de la France : les conséquences des politiques d’immigration, les banlieues, la pauvreté, le défaut d’intégration, les discriminations, etc. Contrairement à d’autres sans-papiers qui vivent cachés et travaillent sur les chantiers, j’ai eu la chance de faire des rencontres, d’échanger sur ma situation et j’ai compris… Un jour, j’ai eu un vrai déclic. J’ai regardé autour de moi et j’ai vu mes cousins diplômés bac + 6, qui sont nés ici, avoir du mal à trouver du travail et être encore victimes de discriminations. Je me suis alors demandé : ‘Mais qu’est-ce que je fais là ? Je ne vais pas me planquer ici jusqu’à 40 ans… Je vais perdre ma jeunesse en France et je n’aurai rien fait !’ La France n’est plus une terre d’accueil ! Certaines personnes ne peuvent pas rentrer parce qu’elles n’arrivent pas à dépasser le sentiment d’échec, mais moi, je dis qu’on a le droit de se tromper, c’est humain ! L’aide au retour, c’est une opportunité, un petit cadeau. Mais même sans ces 2 000 euros, j’ai décidé de rentrer. Ce n’est pas une question d’argent. C’est une question de conviction. Je suis convaincu que l’avenir est en Algérie. Le pays a changé. Mes amis algériens ont réussi, ils ont monté des entreprises et gagnent bien leur vie. Moi, je suis ici, et en tant qu’étranger, je n’ai aucun droit ! Dans ma région, en Kabylie, c’est un peu une tradition de venir en France. Mon grand-père a fait la guerre en France, mon père a travaillé en France. J’ai deux frères qui y ont travaillé aussi. Aujourd’hui, j’ai le sentiment qu’on a beaucoup donné, mais qu’on n’a rien reçu en échange. Pour moi, le retour c’est une façon de dire à la France : ‘Tiens, entre nous c’est fini ! Je vais réussir ailleurs, chez moi.’ A mon retour, je veux transmettre ce message aux jeunes. Nous, les Africains, les Maghrébins, nous devons être responsables. C’est à nous de réagir, de développer notre pays et de dire la vérité sur la France.” veur de la crise pétrolière, les licenciements économiques touchent en priorité les étrangers en majorité ibériques et maghrébins. Le gouvernement de l’époque invente l’aide au retour et encourage ses immigrés en situation régulière à quitter le territoire en leur offrant la somme de 10 000 francs, soit 1 500 euros. En échange de l’argent versé, les immigrés doivent rendre leur titre de séjour et, d’une certaine manière, renoncer à la France… C’est ce que l’on a appelé “le million Stoléru”, du nom du secrétaire d’Etat au travail à l’origine de cette aide. Ce cadeau d’adieu connaît un succès relativement important : 94 000 personnes sont ainsi “rapatriées”. Dans le même temps, le ministère des Affaires étrangères tente une convention avec l’Algérie pour un retour d’environ 30 000 familles par an en finançant leur logement. Tentative échouée : en dépit des pressions du gouvernement Barre de ne pas reconduire les cartes de séjour de ses ressortissants, l’Algérie refuse. Pendant les vingt années qui vont suivre, les gouvernements de droite comme de gauche vont tenter de trouver la formule miracle qui ferait rentrer digne- ment les étrangers chez eux. Ainsi, de “l’aide publique à la réinsertion” de Pierre Mauroy en 1984 en passant par la “réinsertion aidée” du gouvernement Cresson en 1991 au “contrat d’insertion” lancé par Samir Naïr, universitaire et grand promoteur du co-développement, au moment des régularisations de l’ère Chevènement en 1997, les dispositifs se succèdent, sans grand succès. Deux orientations nouvelles s’imposent cependant. D’une part, l’aide au retour s’adresse désormais en priorité aux sans-papiers. D’autre part, elle s’inscrit plus globalement dans une politique de co-développement conçue comme une aide aux pays pauvres pour freiner l’immigration. En aidant à la création d’activités économiques génératrices de revenus, il s’agit de dissuader les candidats à l’émigration, mais aussi, et surtout, d’inciter les sanspapiers à repartir pour s’installer durablement dans leur pays d’origine. Fort de ces nouvelles orientations et dans le cadre de sa lutte contre l’immigration clandestine, le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, a décidé de miser à nouveau sur l’aide au retour. Pour cela, il n’a pas hésité à mettre LE COURRIER DE L’ATLAS 19 immigration ZOUBIR, 40 ANS, ALGÉRIEN En France depuis cinq ans. “Les 600 euros au pied de l’avion, c’est humiliant” “Il y a cinq ans, je suis venu en France pour me faire soigner et j’ai obtenu un titre de séjour grâce à mon état de santé. J’en ai profité pour travailler légalement pendant trois ans. J’étais commis de salle et même délégué du personnel dans une entreprise qui m’embauchait en CDI. Récemment, j’ai demandé un renouvellement de mon titre de séjour et là, j’ai eu un refus. J’ai été obligé de démissionner de mon travail. J’ai tout perdu ! Le médecin m’a indiqué que je pouvais faire un recours, mais ça va demander une année. Une année, c’est trop long ! J’ai une femme et trois enfants à ma charge en Algérie et je ne peux pas me permettre de rester comme ça les bras croisés à attendre, sans travailler. Et si je travaille, c’est dans les règles, pas au noir ! Je ne comprends pas pourquoi j’ai eu le droit de travailler pendant trois ans et, aujourd’hui, on me dit : ‘Tu dégages.’ Des fois, je me demande ce que j’ai cherché ici. Je ne sais plus ! Je n’ai pas d’autre choix que de partir. Je suis triste de laisser les cousins, les voisins, mais en même temps, en Algérie, je vais retrouver ma famille. A mon retour, je vais m’occuper un peu plus de mes filles. Elles ne me connaissent pas bien, elles m’appellent tonton ! Et après, je vais essayer de trouver un travail… Je ne comprends pas bien le système de l’aide au retour. Je respecte le principe. C’est rare un pays qui te donne de l’argent comme ça ! Mais on te verse l’argent en trois fois, et en plus, le premier versement de 600 euros se fait juste avant d’embarquer. Je trouve ça humiliant d’être accompagné comme ça jusqu’à l’avion ! Ils n’ont qu’à m’accompagner jusqu’en Algérie et me verser l’argent devant ma mère, tant qu’ils y sont ! C’est comme si la France avait peur que je m’échappe, mais c’est moi qui ai décidé de partir ! Je veux rentrer la tête haute.” sans-papiers malien qui vient de signer sa demande de retour. Il rentre dans une semaine et ne cache pas son impatience de retrouver sa famille. “Je ne peux pas travailler en France et cela fait quatre ans que je vis grâce aux associations. J’en ai un peu marre de cette vie-là ! Je préfère rentrer chez moi, travailler tranquillement et surtout ne plus avoir peur d’être interpellé… Ces angoisses-là, ça joue ! Et puis j’ai ma femme et mon fils derrière moi…”, explique sereinement cet homme d’une trentaine d’années. Avec pudeur, il évoque “le corps qui tremble à chaque fois qu’on croise une voiture de police”, la “honte de rentrer avec les menottes aux mains comme un criminel” et “la vie de misère” des sanspapiers qu’il a lui-même aidés en travaillant bénévolement pour le Secours populaire. Et L’aide au retour humanitaire (ARH) Pour qui la main au portefeuille. Depuis une circulaire du 7 décembre 2006 (voir encadré page précédente), l’aide au retour volontaire est donc passée de 153 à 2 000 euros pour une personne seule. Les conditions d’obtention de cette aide ont été assouplies, étendues. Un système qui se veut, selon Martha Breeze, responsable du pôle retour réinsertion à l’Anaem, “beaucoup plus incitatif” et qui aura “vocation à se développer dans l’avenir”. Enfin, les aides à la réinsertion, destinées à financer des projets écono- aussi et surtout des trajectoires individuelles, des parcours d’exil, des vies de sanspapiers entre peur et amertume. Dans un petit bureau anonyme et sans âme situé au rez-de-chaussée de la délégation parisienne de l’Anaem, Denis Pillon, enchaîne les entretiens avec les candidats. “Ce sont des personnes en grande détresse administrative qui se retrouvent au pied du mur”, indique ce responsable de la cellule retour, entre deux rendez-vous. Une femme tunisienne vient se renseigner. Sa panique est palpable, son histoire complexe. EN 2006, 25 000 EXPULSIONS ONT ÉTÉ PROMISES Avant même de PAR LE GOUVERNEMENT. PARMI ELLES, ON s’asseoir, Mme COMPTE 10 % DE RETOURS VOLONTAIRES. Senhadj s’inquiète de savoir si miques dans le pays d’origine, se multil’Agence a “un lien avec la police”. Elle a replient au Maghreb et ailleurs (voir encadré marqué dans une des pièces à côté un buen page 21). reau de la préfecture. Denis Pillon la ras“Ce qui nous importe, c’est l’accompagnement sure puis l’écoute en prenant des notes. personnel au retour, précise Jean Godfroid, Cette femme, visiblement épuisée, dit avoir de l’Anaem. Nous finançons des projets éconorejoint son mari qui a fui la Tunisie suite à miques qui vont au-delà de la simple aide au une affaire de chèques sans provisions. Elle retour et nous allons passer des conventions de songe à repartir seule avec sa petite fille. partenariat avec le Maroc ou la Mauritanie Elle semble comme échouée dans ce bu(…) C’est ce travail personnalisé qui pourra reau et implore de pouvoir rester en France. permettre de donner toute sa crédibilité à l’aide Denis Pillon lui suggère de voir une assisau retour.” Car, derrière ces chiffres, ces tante sociale avant toute démarche de recirculaires et ces dispositifs se dessinent tour. Vient ensuite le tour de M. Traore, un 20 LE COURRIER DE L’ATLAS Pour toute personne en situation de dénuement, qui ne peut rentrer par ses propres moyens, qu’elle soit en situation irrégulière ou régulière. Combien 153 euros par adulte, en plus de l’aide au voyage. Comment Cette aide est versée au moment du départ en une fois. A savoir : - La circulaire du 13 juin 2006, dite circulaire Sarkozy d’aide exceptionnelle aux familles, proposait aux étrangers, dont au moins un enfant est scolarisé depuis septembre 2005, une aide doublée. Soit 4 000 euros par adulte seul, 7 000 euros pour un couple et 2 000 euros pour les trois premiers enfants. - Les migrants candidats à l’immigration en Angleterre, autrement appelés “calaisiens” ou “ex-Sangatte”, bénéficient d’un statut dérogatoire en matière d’aide au retour. Ils touchent 2 000 euros en une seule fois, en liquide. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Hadj/Sipa immigration comme le fait justement remarquer Alain de Tonquedec, directeur des relations extérieures de l’Ordre de Malte qui intervient auprès des migrants dans le cadre du retour, “malheureusement, la précarité n’est pas en voie de régression et pas seulement au niveau des personnes en situation irrégulière”. Dans ce contexte, M. Traore en vient à saluer le courage de ses camarades d’infortune qui font le choix de rester en France “parce qu’aujourd’hui, c’est quasiment impossible de travailler avec les nouvelles lois du ministère de l’Intérieur. On a plus peur de se faire arrêter et les patrons ne veulent plus nous engager sans papiers.” Cette répression accrue de l’immigration clandestine, que la récente loi sur l’immigration dite loi Ceseda ne saurait contredire, fait d’ailleurs douter certaines associations de la sincérité de la nouvelle politique d’aide au retour et de son caractère strictement volontaire. Pour Claire Rodier, membre du Gisti, Groupe d’information et de soutien des immigrés, et présidente de Migreurop, un réseau européen de chercheurs sur les frontières, “indépendamment de l’intérêt qu’elle peut présenter de façon individuelle, sur un plan philosophique (…), l’aide au retour est une sorte de carotte donnée en échange d’une situation qui est présentée comme moins intéressante pour l’étranger c’est-à-dire de rester en situation irrégulière et à terme de se faire reconduire à la frontière”. Pierre Henry, de l’association France terre d’asile, lui, ne remet pas en cause le principe de l’aide au retour. Il conteste “son inscription dans un programme coercitif – il s’agit de quitter le territoire – et son absence de pensée dans l’aide au développement à la fois du pays d’origine et du migrant”. Effectivement, force est de constater aujourd’hui que les chiffres d’aide au retour sont intégrés à ceux des éloignements effectifs, c’est-à-dire des expulsions. En 2006, 25 000 expulsions ont été promises. Parmi elles, 10 % de retours volontaires. M. Didierlaurent, délégué régional de l’Anaem Paris-Nord, confie d’ailleurs, sans aller plus loin, qu’un tel mélange des chiffres “peut prêter à confusion”. Une confusion qui fait s’interroger Claire Rodier sur la politique migratoire : “Est-on aujourd’hui dans un système qui tient la route (...) quand on constate qu’il aboutit de façon absurde et paradoxale à ce que la France à la fois crée des délinquants puisqu’ils sont en situation illégale, et en même temps les paye pour qu’ils s’en aillent”. Le futur président de la République et son gouvernement sauront-ils répondre à cette question ? NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Certains acceptent l’aide au retour pour mettre fin à une situation irrégulière très difficile à vivre au quotidien. AU PAYS, L’AIDE À LA RÉINSERTION ÉCONOMIQUE… Dans certains pays signataires de conventions spécifiques avec l’Anaem, les migrants rentrés au pays peuvent profiter d’une aide à la réinsertion. Outre un appui au montage de projet économique, ils peuvent bénéficier d’une aide financière s’élevant à 7 000 euros. Au Maghreb, l’Anaem dispose de délégations au Maroc, en Tunisie et vient d’ouvrir une agence à Alger. Cette nouvelle agence aura notamment pour vocation d’accompagner ceux qui rentrent par le biais de l’aide au retour. Selon Rachid Bouzidi, son futur directeur, “il y a beaucoup de gens qui ont envie de rentrer, mais qui ne savent pas quoi faire. Avec l’aide à la réinsertion, nous leur offrons une réelle perspective de retour, une possibilité de se reconnecter à un pays qui a profondément changé ces dernières années”. Pour cet actuel conseiller à l’intégration au cabinet de Jean-Louis Borloo, ministre de l’Emploi et de la Cohésion sociale, ce dispositif de réinsertion profitera aux bénéficiaires, mais aussi “aux Algériens sur place qui verront leurs compatriotes rentrer et monter leur entreprise.” “ Cela va les motiver et dynamiser le marché algérien !” Il ajoute : “J’ai rencontré de nombreux entrepreneurs français d’origine algérienne qui veulent œuvrer pour l’Algérie, mais qui n’y ont jamais mis les pieds. Nous allons les associer en tant qu’experts dans le montage des projets économiques. Ainsi, ils pourront renouer avec leurs origines. Et ça, pour nous, c’est aussi un facteur de cohésion sociale en France.” LE COURRIER DE L’ATLAS 21 économie Transports urbains Alstom, livraisons à Tunis Assurance Algérie : un nouveau venu sur le marché Cardif, filiale de BNP Paribas assurances, a obtenu “des autorisations de contrôle des licences pour la commercialisation de contrats de personne en Algérie”. Cardif El Djazair vient de commercialiser des produits d’assurances des emprunteurs en collaboration avec Cetelem, autre filiale de BNP Paribas implantée dans le pays. Le taux de pénétration de l’assurance y est d’environ 5,6 % pour une population de 33 millions d’habitants. Devises Bank Al Maghrib : pour un meilleur taux de change L a Banque centrale marocaine vient d’autoriser la concurrence entre les intervenants, les banques et les bureaux de change, et poursuit son processus de libéralisation des paiements en devises. A partir du 3 avril 2007, pour échanger billets de banque et chèques voyages, les clients pourront choisir leur opérateur. Ce dernier sera libre d’appliquer le taux de change qu’il désire sans toutefois dépasser les cours limites fixés quotidiennement par la Banque centrale en fonction de l’évolution des devises sur le marché international. DELOCALISATIONS... s’installe au Maroc Best financière (groupe Label Vie) a obtenu le droit exclusif d’exploiter au Maroc des magasins sous l’enseigne Virgin Megastore. L’accord a été récemment signé par Jean-Noël Reinhart, président du directoire de Virgin, et Zouhair Bennani, PDG de Best Financière. Il est prévu d’ouvrir cinq magasins en six ans, ce qui créerait trois cents emplois. (La Vie Eco n° 4403) “Nous avons pris la décision de garder nos usines dans le tiers-monde et de les faire tourner pour les populations locales. On n’exploite pas le Sud pour enrichir le Nord. Il faut industrialiser le Sud pour le Sud.” Jean-François Dehecq, président de Sanofi-Aventis 22 LE COURRIER DE L’ATLAS Finance Des produits islamiques bientôt en France L es négociations sont en cours pour le développement de produits financiers islamiques en France, à l’instar de ceux développés par l’Islamic Bank of Britain (IBB) ouverte à Londres en septembre 2004. Mais la finance islamique a ses codes qu’il convient de comprendre. La spéculation (gharar) est interdite. Tout pari sur l’avenir et toute transaction faisant intervenir les risques, les jeux de hasard et l’incertitude le sont également. Les produits licites sont des montages financiers permettant de contourner l’interdit. Ainsi, la murabaha est un système où l’investisseur fournit tous les capitaux requis pour financer le projet d’un ou plusieurs entrepreneurs privés, c’est une forme de société d’investissement. Dans un montage musharakah, investisseur et entrepreneur sont solidaires aussi bien dans les gains que dans les pertes. Pour ne pas faire de prêts à la consommation, les banques islamiques proposent la murabaha : l’investisseur achète des biens et les revend à son client avec une marge. Le panel de produits offerts est large. Il est temps que les marchés financiers français s’intéressent à cette niche encore vierge et très porteuse. En effet, l’épargne de la communauté maghrébine, clientèle visée par ce type de finance, constitue un flux régulier de 5 à 10 milliards d’euros par an. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR - Graeme Robertson La Transtu, société de transport de Tunis, a reçu le 10 mars les deux premières voitures de métro léger Citadis fournies par la société française Alsthom. Au total, trente voitures devront être livrées, à raison de trois par mois jusqu’en mars 2008. L’acquisition de ces nouvelles voitures s’inscrit dans deux projets d’extension du réseau de métro léger du grand Tunis. Le premier s’étendra sur 6,8 kilomètres pour relier, au sud, les cités d’El Mourouj. Le second permettra d’atteindre le campus Grande universitaire de la Mannouba. distribution Le coût global des deux projets Virgin s’élève à 130,5 millions d’euros. économie Télécoms Méditel : relations tendues entre partenaires R. Gaillarde/Gamma U ne recomposition du capital de Méditel n’est pas à exclure dans un futur proche. En effet, Telefonica et Portugal Telecom, qui détiennent chacun 32 % de l’opérateur marocain et qui en sont les deux partenaires de référence, ont désormais des relations très tendues et seraient en train de négocier une séparation. A l’origine de cette tension, une OPA hostile contre Portugal Telecom lancée par l’opérateur privé portugais Sonae. Une OPA qui a échoué début mars. Le problème, c’est que Telefonica, qui est aussi le premier actionnaire de Portugal Telecom, avait publiquement et fortement appuyé cette OPA hostile. Le management de Portugal Telecom vient d’inviter Telefonica à tirer les leçons de cet échec. La cohabitation des deux opérateurs devient hautement improbable. Ils sont partenaires techniques et stratégiques dans Vivo, le premier opérateur brésilien, et Méditel, le deuxième opérateur marocain. Selon des sources proches de Méditel, des négociations sont en cours pour que Portugal Telecom rachète une part des actions de Telefonica dans Méditel. Mais cette information n’est pas officiellement confirmée. En cas de cession, les actionnaires marocains détiennent un droit de préemption qu’ils comptent bien exercer. Méditel compte 5 millions de clients, le tiers du parc marocain de GSM. Son introduction en Bourse est probable en 2008. Répartition du capital de Méditel : Telefonica (Espagne) 32 % Portugal Telecom 32 % Groupe BMCE (Maroc) 18 % CDG-Akwa 18 % NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Tourisme Le MIT 2007 à Tunis Le 13e Salon méditerranéen international du tourisme, rendez-vous incontournable des professionnels dans le bassin méditerranéen, aura lieu du 10 au 12 mai 2007 à Tunis, au Centre international des foires et des congrès (Cifco). Hormis l’Egypte, l’Algérie, la Lybie, la Palestine, exposants habituels, la République du Yemen, le Burkina Faso et l’Afrique du Sud seront invités cette année pour la première fois. Au total, le salon accueillera 120 exposants, avec plus de 250 marques. Energie Gaz de France-Sonatrach une alliance peu probable L e 8 mars dernier, Nicolas Sarkozy avait proposé d’adosser la compagnie de gaz française, GDF, récemment privatisée, à la Compagnie nationale algérienne d’hydrocarbures, la Sonatrach. Ni les dirigeants de GDF ni ceux de Suez, qui devait fusionner avec GDF, n’avaient alors fait de déclaration. Jean-François Cirelli, PDG de GDF, est sorti de sa réserve lors d’une conférence de presse le 13 mars. Il a souligné que Gaz de France n’a “pas pour projet” de nouer une alliance capitalistique avec le fournisseur de gaz algérien. A Alger, les objectifs stratégiques sont beaucoup plus ambitieux : la Sonatrach souhaite en effet investir dans la distribution en Europe pour maîtriser la chaîne de la production à la commercialisation. L’entreprise publique algérienne fournit déjà 18 % de son gaz à la France, ce qui la place au 3e rang des fournisseurs après la Norvège (30 %) et la Russie (23 %). Gaz algérien, suite… L e ministre algérien de l’Energie, Chakib Khelil, a annoncé que son pays est en cours de négociation avec l’Espagne pour augmenter le prix du gaz d’un dollar par million de BTU (British Thermal Unit), soit un dollar pour 27 m3 de gaz. Alger, via le gazoduc Maghreb-Europe, livre 60 % des besoins espagnols ainsi qu’une part importante de ceux des autres pays européens. L’Union européenne engrange 90 % des exportations de gaz algérien. L’annonce algérienne intervient alors que Gazprom, le géant russe, a soumis ses principaux clients européens à une forte pression à la hausse de ses fournitures de gaz. L’alliance stratégique signée en août 2006 entre Gazprom et la Sonatrach, le gazier public algérien, fait craindre la création d’un “OPEP du gaz” qui ferait grimper les prix et déstabiliserait les économies de l’UE. Le chiffre 10 milliards de dollars c’est la fortune estimée de l’Egyptien Naguib Sawaris, premier Africain du classement Forbes des grosses fortunes. Sa holding, Weather Investments, possède entre autres Wind, la compagnie de télécoms italienne, et la grecque TIM Hellas. Il arrive à la 62e position, loin derrière Bill Gates et ses 66 milliards de dollars. LE COURRIER DE L’ATLAS 23 street Avec Devoirs de mémoire, Joey Starr cherche à faire voter les jeunes en banlieue (ici à Clichy-sous-Bois). SCRUTIN 2007 AGIR Youssoupha, Monsieur R, Axiom, Keny Arkana, Kery James, Soprano, Diam’s... ces rappeurs ont décidé de brandir un rap bulletin de vote. Tantôt militants, tantôt contestataires, ils ont bien l’intention de prouver que la cohabitation entre rap et politique n’est pas un mythe. par Valérie Defournier 24 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Crédits photo QUAND LES RAPPEURS FLIRTENT AVEC LA POLITIQUE street Jacques Guez/AFP L es rappeurs ont franchi un cap. Ils voir “Nicolas Sarkozy arriver au second tour”, ne se contentent plus de chanter il affirme qu’il n’hésiterait pas à voter pour les maux de la société, ils traquent Le Pen. Rost n’a pas peur du poids des de près la machine politique. S’ils mots : “Quitte à aller au chaos, allons au vrai se présentaient aux élections, ils chaos.” La vision de celui qui combattait les seraient, à coup sûr, les coqueluches des skinheads dans les catacombes à Paris a urnes pour les jeunes. Le sort des banlieues sans équivoque comme bête noire Sarkozy : est omniprésent dans leurs textes, thème “Le Pen nous a toujours dit qu’il ne nous majeur qui n’a toujours pas trouvé sa place aimait pas, mais Nicolas Sarkozy, un jour, il dans le discours des candidats malgré la nous aime, un autre il fait passer une loi pour menace d’un nouvel embrasement des bannous réduire à néant. Qu’est-ce qu’on nettoie lieues. Outre le fait de rapper, pour faire au Kärcher ? La merde. On m’a donc traité de passer des messages, il sont passés à l’acmerde (…) A un moment, il faut réagir.” S’il tion et de nombreux collectifs s’invitent est loin d’être frontiste, il joue subtilement maintenant dans le débat. Ainsi, moins méavec le feu. Les jeunes révoltés ou en mandiatisée que l’associaque d’identité qui tion Devoirs de mél’écoutent ont-ils tous moire, à laquelle “J’FAIS PLUS CONFIANCE une compréhension participe Joey Starr À LA DÉMOCRATIE, du fond de sa pen(ancien leader de Susée ? Il prend pourLES DÉPUTÉS QUI prême NTM), Bantant le risque que lieues Actives a déci- M’REPRÉSENTENT SONT TOUS certains restent au dé de publier un ISSUS DE L’ARISTOCRATIE. bord de ses mots. Guide du votant, do- PRIS EN OTAGE, Soprano, quant à lui, cument gratuit de 32 préfère laisser planer LE SYSTÈME NOUS KIDNAPPE, pages distribué dans l’ombre de l’engageles quartiers. Les can- ET J’OUBLIE PAS QU’EN 2002 ment. Dès sa majorididats à la présiden- IL M’A CONTRAINT À VOTER té, il s’est servi de sa tielle y répondent à CHIRAC.” carte d’électeur dans dix questions. (Soprano, extrait de “Les apparences une logique “de resRost, chef de file de nous mentent”, titre EMI) ponsabilité” pour l’association, n’est l’avenir de sa famille, pas là “pour quelques même si, aujourd’hui, semaines”, pour les flashs, il est sur le teril ne se “retrouve pas dans le discours politirain. “N’oubliez pas de voter. C’est là que ça se que”. On se souvient de son intervention passe”, scande le trentenaire à tous les jeucourageuse lors de la cérémonie des Victoines qui voudront bien l’entendre. Pourtant, res de la Musique en 2006 : “La politique, je lui ne peut pas voter, “il revient de loin”. Peu n’en comprends que les grands traits, mais je importe, “devenons acteurs” est son leitmosais que quand je vais sortir mon album, je vais tiv. Rost se sent en “mission” en “tentant de me retrouver à faire des interviews où il faudra représenter le malaise” quand les politiciens que je dise aux jeunes d’aller voter. Je ne dirai “ne tiennent pas les jeunes des quartiers en pas pour qui, mais surtout contre qui.” En considération”. Dans sa tête, comme dans 2007, il explique que “les jeunes dans les celle de la plupart des rappeurs, “l’Etat est quartiers ne sont pas renseignés sur les proresponsable de l’insurrection” des jeunes des grammes”. Il ne veut pas sous-estimer sa banlieues en “ne prenant pas ses responsabiresponsabilité envers les jeunes. lités”. Les voitures brûlées, il les voit plutôt Optimiste dans ses textes, Soprano préfère comme une “forme d’immolation, pour crier les éducateurs aux hommes politiques : “Ils notre douleur”. Mais ces scènes, Rost veut en font beaucoup plus et ne sont pas valorisés.” les éviter. Pousser les jeunes vers le vote, S’il reconnaît la force de la communication oui, mais à quel prix ? Son “vote contre” de Nicolas Sarkozy, il lui reproche son suscite bien des polémiques lorsque, “pour “manque d’humanité” (au-delà du Kärcher) éviter un cas de figure affreux”, c’est-à-dire et n’est pas convaincu par les propos de NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Ségolène Royal. Ainsi, pour faire réagir les jeunes et surtout les faire rentrer dans l’espace politique, il faut, selon lui, tabler sur “des discours moins violents”. “Je suis musulman, je suis pour la paix, et j’aime les Français.” LE RAP, CNN DU GHETTO La réaction, c’est bien ce que veulent Youssoupha et Monsieur R. Dans leurs textes, les mots ne sont pas mâchés. Youssoupha a commencé à écrire en s’inspirant des problèmes locaux, avec une sorte de rap de proximité, avant de devenir “désabusé”. Il souligne des “anomalies qui deviennent des contraintes, comme Chirac dont les idées sont tout ce que je combats aujourd’hui”. Son combat, il le mène par le rap, “le CNN du ghetto”. Les rappeurs doivent savoir “remettre en cause les institutions”. Il faudrait créer une “VIe République car la République telle qu’elle est faite n’est pas encore dans sa meilleure configuration”. Monsieur R, son ami et modèle, tient le même discours. Il précise aimer la politique “au sens noble du terme uniquement”. Jeune, il a été bercé par le hip-hop de Public Ennemy, NTM et Assassin. Le groupe Assassin n’hésite pas, dès 1985, à déclarer la guerre aux médias et à la politique, tout en se faisant connaître comme un candidat à la présidentielle, par une campagne d’affichage. Lui, il préfère “être dans la position de celui que l’on déteste plutôt que de celui que l’on aime”. Il juge “intéressant” le fait que tout le monde s’acharne “contre Ségolène Royal”. Pourtant, on s’est aussi acharné sur lui... François Grosdidier, député UMP de Moselle, l’assigne en justice en août 2006 pour “outrage aux bonnes mœurs” dans la chanson “FranSSe”. Il est débouté. Idem en 2002, avec “La Rumeur”, que le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, attaque pour “diffamation envers la police nationale”. “Pourquoi instruire des histoires comme ça, alors qu’on dit que les tribunaux sont débordés ?” La réponse est claire : les rappeurs, “nous sommes les derniers des Mohicans, ceux qui provoquent encore”. Ils évoquent en effet certaines problématiques politiques que les candidats à la présidentielle ne s’aventurent pas à développer. Même s’il reconnaît que LE COURRIER DE L’ATLAS 25 street “Ségolène Royal a été la seule à l’évoquer à Vilcourrier de Voltaire daté de 1760... Gérard lepinte, il y a des meetings sur tous les thèmes, et Tomy ont eux aussi dit oui à Sarkozy. mais personne ne tient de grands discours sur Avec leur titre Show gars, ils défendent le la politique des quartiers populaires”. C’est candidat “Sarkozy, qui a la sagesse d’un élépour cela que son choix politique s’oriente phant, la destinée des grands dirigeants (…). vers l’extrême gauche, à tel point qu’il signe C’est l’homme qu’il faut à la France (…), Sarko pour le candidat de la LCR, Olivier Besann’est pas Quasimodo”. cenot, une version dédicacée version rapDROITE, GAUCHE, CENTRE : LE VOTE reggae de “l’Internationale”… AVANT TOUTE Dans la campagne CHOSE électorale, il faut aussi Si Diam’s a cessé toucompter sur MAP, le “(…) AUX GROS CONS DE te médiatisation de Ministère des Affaires DROITE, AUX FIGAROS ET Populaires, et leur CHIRAQUIENS, MAIS T’AS CRU son combat pour le vote des jeunes afin “Debout là d’dans !” d’éviter une quelconPetits-fils d’Algériens, QUOI ? QU’ON RESTERAIT que extrapolation ils secouent Roubaix. PLANTÉS LÀ SANS VOIX ? quant à ses opinions Un mélange de violon (…) CH’VIENDRAI JAMAIS politiques, elle reste oriental, de samples et M’EXCUSER COMME FOGIEL une des premières d’accordéon fait que NI FAIRE LE FAYOT, L’DÉMAGO rappeuses à inciter au ces Ch’tis du Nord vote et à s’adresser ditransforment les salles COMME SARKO.” rectement au Front de concert en de véri- (MAP Fallait pas nous inviter, national dans sa “Lettables tribunes mili- album Debout là D’Dans, PIAS) tre à Marine” (Le tantes. L’opération de Pen). “Je ne suis pas de séduction passe par ceux qui prônent la haine, Plutôt de ceux qui une dose d’humour et beaucoup d’imaginavotent et qui espèrent que ça s’arrête.” tion. Quant aux discours des politiques, ils A l’inverse, la jeune Keny Arkana, “la petite les décortiquent avec humour. sœur” des rappeurs, lance un “appel aux LE RAP DE SOUTIEN AUX CANDIDATS sans-voix”. Pour elle, pas de soutien aux Le 2 septembre 2007, le rappeur Doc Gytrois candidats en tête : “Est-ce que Ségolène néco soutient publiquement Nicolas SarRoyal apporte quelque chose de nouveau ? Je kozy : “Je suis fatigué d’être sous perfusion ne trouve pas.” (Politis du 8 mars). sociale et je ne suis pas un assisté. Nicolas Les candidats à la présidentielle ont saisi Sarkozy m’a convaincu de pouvoir être autre l’influence prépondérante des rappeurs. En chose”, explique-t-il. La nouvelle fait un tollé début d’année, la candidate du PS a orgadans la presse et dans le milieu du rap. Pernisé une réunion de travail avec le rappeur çue comme “une trahison profonde”, ce ralKery James sur la question de la réussite liement surprend les rappeurs, dont l’apscolaire dans les cités. Celui que les médias partenance politique est plutôt à gauche. présentent comme “un rappeur repenti grâce Alors, que le “Doc” prenne parti, ça intrià l’islam” a même été cité à Villepinte par gue... “Il l’a fait par provocation, par dépit Ségolène Royal : “Et je ne peux pas me faire (…), à un moment où sa carrière était mal à l’idée qu’il y ait deux jeunesses : l’une qui placée. Je peux comprendre, mais il n’avait pas serait vouée à la réussite et l’autre condamnée besoin de ça. A moins que ce soit Sarkozy qui à l’échec ou, pire, à la violence brute, parce l’ait poussé à dire ça ?”, s’interroge Monsieur qu’au départ elle n’a pas les mêmes chances et R. Pour Rost, “Doc Gynéco s’est trompé de que l’on n’a pas su encadrer à temps les enfants combat”. Le 10 février 2007, sort le livre Les et les faire réussir à l’école, comme le dit très grands esprits se rencontrent où Doc Gynéco bien Kery James.” tente d’expliquer les raisons de son soutien Les résultats du second tour de la présidenà “Sarko”. Le livre n’obtient pas le même tielle accentueront de fait ce nouveau “flirt” succès que Les beaux esprits se rencontrent, le des rappeurs avec la politique… 26 LE COURRIER DE L’ATLAS PAROLES DE RAPPEURS Les rappeurs n’ont pas leur langue dans la poche. A la veille de la présidentielle, nombreux sont ceux qui se sont exprimés sans langue de bois à ce sujet. En voici un échantillon… Sefyu : “Cette élection présidentielle est une belle opportunité de faire passer un message. J’essaye de leur faire prendre conscience de ce devoir civique qu’ils ont en tant que citoyens français. Voter, c’est la seule façon de se sentir responsable.” Diam’s : “Faites pas les cons, prenez votre putain d’carte électorale. Allez voter, allez défendre vos idées si vous savez pas pour qui voter, allez voter contre tous ceux qui nous veulent du mal.” Féfé, du Saïan Supa Crew : “Il faut le passeport et le vaccin pour voyager, et la carte électorale pour exister.” Keny Arkana : “Quand un gouvernement fait n’importe quoi, la désobéissance est un devoir. Le droit de la résistance à l’oppression est inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme. Ce n’est pas au système de fabriquer une société mais à la société de fabriquer le système qui lui convient.” Mac Kregor (Tandem) : “Le vote est aujourd’hui notre seule force, on n’a que cela pour se faire entendre. Il faut empêcher les gens nocifs de nous détruire et que la France ne devienne pas un Etat policier.” Sniper : “Aller voter c’est un droit et un devoir qu’on a, on est né sur le sol français contrairement à nos ren-pa.” Stomy Bugzy, concernant Doc Gynéco : “Là Bruno (prénom de Doc Gynéco), il descend très bas. Il aurait pu soutenir qui il voulait, mais pas Sarkozy. C’est lui qui en France fait la misère aux immigrés, sépare des familles, pourchasse des écoliers… Bruno, il devrait être avec nous à Cachan au lieu de soutenir Sarkozy.” S.B. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 street AXIOM : “Les gens ne savent pas comment réagir devant un type à casquette qui a des idées et qui s’exprime bien car pour eux ce n’est pas normal.” Grâce à sa “Lettre au Président”, un titre qui sample “la Marseillaise”, Axiom a subitement été mis sous les feux de la rampe. Après quinze ans de galères dans le rap, Hicham de son vrai prénom jouit d’une médiatisation qui dépasse celle des médias spécialisés. Le rappeur lillois de 30 ans est aujourd’hui devenu le porte-parole privilégié de la banlieue. Interview. Armen Depuis peu, les médias font souvent appel à toi en ce qui concerne les questions de banlieue en politique. Comment vis-tu ta soudaine surmédiatisation ? Je le vis assez simplement car j’ai beaucoup de recul là-dessus. Je fais de la musique, mais je suis conscient que ce sont plus mes idées politiques et mon engagement avec l’association AC le feu qui intéressent les journalistes. Sur ton titre “Lettre au président”, tu t’adresses directement au chef de l’Etat en lui demandant de trouver des solutions concrètes aux problèmes en banlieue ou de démissionner. Dans quel état d’esprit as-tu fait ce morceau ? J’ai commencé ma “Lettre” avant les révoltes et je l’ai terminée après les émeutes de 2005, puis je l’ai envoyée et le président m’a répondu un mois plus tard. Je ne lui demandais pas seulement de trouver des solutions, mais clairement sa démission car, pour moi, il y a un problème culturel flagrant, voire structurel de la Ve République. Il aurait été trop facile de s’attaquer à Sarkozy, mais il ne faut pas oublier que s’il est là, c’est à cause de Chirac. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Tu proposes une VIe République. Qu’aimerais-tu changer ? Il faudrait commencer par changer les institutions et, en premier lieu, l’école. On ne peut pas rester dans une école qui reproduit les inégalités, L’Education nationale est hors la loi puisque nous sommes dans une République égalitaire. Il faudrait ensuite changer en profondeur la répartition des richesses et des pouvoirs, mais aussi faire une décentralisation réelle, afin qu’il y ait plusieurs villes qui brillent comme Paris. Cela demande de la volonté et des moyens. L’approche économique est donc importante. Par rapport aux clichés qui courent sur les rappeurs, tu arrives avec un discours conscient et tu t’exprimes bien, sans grossièreté… Etait-ce un moyen de te dissocier des autres ? Je ne suis pas vulgaire parce que j’ai des parents et que je veux les honorer. Au bout de mon douzième album, j’ai compris que mes parents n’avaient pas accès à ma propre musique parce qu’en terme de langue, c’était assez difficile à comprendre, mais surtout parce que des mots comme “putain” ou “nique” que les jeunes utilisent facilement pouvaient créer de la répulsion auprès des plus âgés. J’ai donc pensé à mes parents en faisant cet album. Je me suis dit que s’ils ne comprenaient pas tout, je ne voulais pas qu’ils puissent avoir honte en demandant à quelqu’un de leur traduire mes textes. C’est tout simplement dû à mon éducation. Il n’y a aucune réflexion marketing derrière. Je n’essaye pas de jouer le rappeur conscient, je suis comme ça. Mais je risque d’évoluer encore, j’ai aussi des parts sombres, je ne suis pas un ange pur et exemplaire. Je ne suis au-dessus de personne et je ne vaux pas mieux que les autres. Je suis en tout cas très content du respect et du soutien que je reçois du public. On te voit de plus en plus dans des émissions de débats sur les chaînes hertziennes. Les prépares-tu à l’avance ? Je prépare toujours mes émissions, surtout quand c’est politique, car le moindre prétexte est bon pour te détruire. J’arrive sur les plateaux en casquette et j’ai bien conscience de ce que cela représente. A chaque fois que je parle dans ces émissions télé, il y a un silence parce que ces gens ne savent pas comment réagir devant un type à casquette qui a des idées et qui s’exprime bien. Pour eux, ce n’est pas normal. On est en train de changer la grille. ■ Propos recueillis par Siham Bounaïm Axiom, son treizième album éponyme, est dans les bacs depuis octobre 2006 (Label ULM). Les émeutes, “c’est la faute aux rappeurs” Novembre 2005, la mort de Zyed et Bouna, deux jeunes de Clichy-sous-Bois, en SeineSaint-Denis, embrase les banlieues françaises. Cent cinquante-trois parlementaires et cinquante sénateurs de droite trouvent la cause très vite : c’est le rap. A l’initiative du député de Moselle François Grosdidier, ils demandent à Pascal Clément, ministre de la Justice, d’“envisager des poursuites” contre sept groupes de rap. Le 113, Lunatic, Ministère amer, les rappeurs Fabe, Smala, Salif et Monsieur R sont rendus directement responsables de l’escalade de la violence en banlieue par “leur haine de la France et le commerce qu’ils font du racisme”. Le garde des Sceaux demande immédiatement l’ouverture d’une enquête au procureur général de Paris. Les textes incriminés sont pourtant écrits bien avant les émeutes. Ce n’est pas la première fois que des législateurs tentent de limiter les propos les plus violents des rappeurs. En 1996, le groupe NTM avait été condamné à des peines de prison pour avoir écrit “Donne-moi des balles pour la police municipale”. Les choses se sont accélérées avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2002. En 2004, à quelques mois d’intervalle, il porte plainte contre les groupes Sniper et la Rumeur et les propos qu’ils ont tenus à l’encontre des forces de l’ordre. Un an plus tard, c’est un parlementaire UMP, Daniel Mach, qui assigne Monsieur R (déjà lui) pour “outrage aux bonnes mœurs” dans son morceau FranSSe. A chaque fois, la justice a donné raison aux artistes. Pour les juges, “le rap reste avant tout un mode d’expression utilisé par l’auteur pour exprimer la désolation et le mal de vivre des jeunes de banlieues”. Un moyen légal de plus. Léo Huisman LE COURRIER DE L’ATLAS 27 économie L’argent des émigrés : une manne inépuisable ? ARGENT Les jeunes du bassin méditerranéen installés en Europe n’oublient pas ceux restés au pays. Ces flux d’argent poussent les institutions internationales à s’intéresser à leur régulation. par Nadia Lamarkbi D ans le monde, cent vingt-cinq millions d’émigrés transfèrent annuellement quelque 230 milliards d’euros (1) vers les pays d’origine. Pour les pays du Maghreb, officiellement, ce sont plus de 7 milliards d’euros qui traversent la Méditerranée. Les communautés maghrébines européennes sont celles qui transfèrent le plus vers le pays d’origine. Ainsi 85 à 90% des transferts vers l’Algérie, le Maroc et la Tunisie sont en provenance d’Europe. Dans les autres pays, l’Egypte, le Li- ferts des migrants. Devant un parterre de ministres des Finances et de grands argentiers européens, les discussions ont porté sur la réglementation des flux financiers de manière à réduire les coûts pour les migrants et rendre ces transferts plus productifs. Ces envois sont principalement réalisés via des sociétés de transfert d’argent, STA, Money Gram et Western Union principalement, pour 85 % des échanges. Les 15 % restant passent par le circuit bancaire classique ou par courrier. La faible bancarisation des émetteurs et des bénéficiaires exPLUS LE RÉSEAU BANCAIRE EST DÉVELOPPÉ, plique, pour partie, MOINS LES MIGRANTS FONT APPEL AUX RÉSEAUX l’utilisation de ces INFORMELS. modes de transfert. En effet, pour receban, la Syrie ou encore la Jordanie (autres voir l’argent envoyé par un membre de sa partenaires de la Femip), la part relativefamille émigré, il suffit de se présenter dans ment faible des transferts venant de n’importe quel bureau de poste de la caml’Union, de 5 à 10 %, s’explique par l’imporpagne du Rif ou de Tamanrasset. La trantance des populations émigrées dans les saction se fait presque instantanément, en pays du Golfe ou les Amériques. La Femip, toute simplicité, et la fiabilité est quasi asla Facilité euroméditerranéenne d’investissurée. Toutefois, l’absence de transparence sement et de partenariat, qui regroupe les des prix et les coûts élevés (jusqu’à 16 % du interventions de la Banque européenne montant du transfert) font peser une forte d’investissement, BEI, a récemment orgacharge sur les migrants. nisé à Paris une conférence sur les transPour les envois informels, hors des systè- mes de transferts légaux, selon les pays, ils sont jusqu’à quatre fois supérieurs aux envois officiels. Les communautés s’organisent pour la collecte et l’envoi des fonds par des circuits parallèles, pour éviter de payer les frais de transaction souvent très importants. Cet argent alimente abondamment le marché noir où euros et dollars s’échangent à des prix en dessous des tarifs bancaires. Dans des pays comme l’Algérie où près de 80 % des transactions se font encore en liquide, les réseaux informels permettent de faire circuler les devises sans le contrôle des autorités. Plus le réseau bancaire est développé, moins les migrants font appel aux réseaux informels. C’est le cas de la Tunisie où les flux informels représentent 50 % des transferts (voir tableau). Les Marocains d’Europe envoient plus d’argent que les autres. Annuellement, ce sont près de 3 milliards d’euros (voir tableau n° 1) qui sont envoyés au pays, deux fois plus que par les voisins algériens et tunisiens. Pour preuve, le nombre de compagnes publicitaires qui vantent les qualités des investissements locaux, dans l’immobilier principalement. Le pays a compris, avant les autres, l’importance de conserver un lien, même financier, avec sa diaspora. Montant des frais pour le transfert de 100 euros de France vers les pays du Maghreb : 19 € Western Union (dans l’heure) 28 LE COURRIER DE L’ATLAS 10 € Money Gram International (10 minutes ) 6,80 € Mandat Cash Express La Poste (2 jours) NUMÉRO 3 AVRIL 2007 économie Estimation (1) des transferts de fonds des travailleurs émigrés dans l’Union européenne vers les pays partenaires européens en 2003 (en millions d’euros) (1) Source : BEI 6000 € Transferts informels 2900 € Transferts formels 2800 € 2000 € 1350 € 950 € Tunisie Algérie Maroc Utilisation des transferts de fonds des travailleurs émigrés dans l’Union européenne vers les PPM en 2003 18 25 45 34 23 (1) Toutes les données sont tirées du rapport annuel de la BEI : http://www.bei.org/ 52 8 23 D’ailleurs, les transferts des migrants marocains sont la seconde source de revenus pour l’Etat marocain, faisant de l’économie locale une quasi-économie de rente. Quant à savoir ce que font les émigrés de leur argent, la ventilation des investissements montre que la plus grande part va vers des secteurs dits improductifs, puisqu’ils ne génèrent pas directement de revenus. Les transferts sont utilisés pour la consommation des ménages à 51 %, pour l’éducation ou la santé à hauteur de 18 % et pour le logement à 14 %. Les clichés de l’immigré qui dépense sans compter pendant les vacances et qui construit de grosses maisons semblent avoir un fond de vrai. La part des investissements productifs dépasse difficilement les 10 %, sauf pour la communauté tunisienne de France qui semble porter plus d’intérêt aux investissements permettant la croissance économique du pays. Combien de temps encore le Maghreb pourra-t-il bénéficier de cette manne ? Depuis plusieurs années, les analystes prédisent une baisse progressive des transferts. Leurs arguments sont basés sur renouvellement des générations et l’idée que les enfants de migrants enverront moins d’argent dans le pays d’origine. Or, les statistiques montrent une croissance régulière de ces flux financiers. A charge aux gouvernements des pays d’origine d’aider leurs ressortissants à faire de ces transferts un réel levier pour le développement. 23 13 17 45 31 Consommation Education-santé Logement Investissement productif Tunisie NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Algérie Maroc Divers LE COURRIER DE L’ATLAS 29 politique La laïcité en campagne PRÉSIDENTIELLE Discrimination positive, communautarisme, avortement, financement des lieux de culte… Le thème de la laïcité s’invite sans cesse dans la présidentielle sans toutefois jamais devenir un thème central de campagne. Malgré un consensus de façade, d’un bout à l’autre de l’échiquier politique, la laïcité semble aujourd’hui bien mise à mal. Yann Barte Philippe de Villiers dénonce l’islamisme pour mieux vendre l’intégrisme catholique. 30 LE COURRIER DE L’ATLAS semble des présidentiables. La moitié a déjà répondu. Les Laïques s’organisent aussi au niveau international. En février dernier avait lieu à Montreuil une rencontre laïque rassemblant plus de huit cents représentants de trente pays différents, à l’initiative de l’Ufal et de l’association Algérie Ensemble. Pour le président de l’Ufal, Bernard Teper, qui dénonce une “présidentielle affligeante”, cette rencontre était assurément un message adressé à “nos élites françaises qui préfèrent le communautarisme anglo-saxon, pourtant en faillite partout dans le monde !”. Si, dans les discours, plus aucun politique n’ose aujourd’hui ouvertement remettre en cause la laïcité, les définitions que chacun se fait du mot restent redoutablement élastiques. Pour Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de l’Observatoire de l’immigration et de l’intégration au Haut Conseil à l’intégration et ancienne membre de la Commission Stasi, il s’agit surtout de ne plus faire de vague : “Plus personne ne veut s’empailler sur des histoires de voile. Il y a manifestement un apaisement sur ces questions. Mais l’intégrisme continue à faire peur : celui des musulmans, mais aussi celui des évangélistes protestants, des cathos qui s’agitent sur les questions de famille, de bioéthique, les sectes… En fait, personne n’a vraiment envie d’agiter ces questions en période électorale.” Le thème n’apparaît alors qu’“en demiteinte” dans la campagne. Faut-il pour autant parler de consensus ? “La célébration du centenaire de la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat a en effet été très consensuelle, se souvient Martine Barthélemy, chercheuse au Cevipof. Mais la loi a été aussitôt remise en question, très directement. Il est finalement bien difficile de parler de consensus. Il y a une méconnaissance de ce qu’est la laïcité dans son principe. La laïcité est bien plus que la protection des libertés des religions. Elle est aussi la séparation entre ce qui relève de la confession religieuse et de la citoyenneté et des droits de la personne.” La confusion règne. UNE QUESTION QUI TRANSCENDE LES CLIVAGES POLITIQUES La laïcité, une valeur de gauche ou de droite ? “C’est de plus en plus compliqué. Historiquement, c’est clair, la laïcité a été quelque chose de caractéristique et de symbolique du combat républicain et de la gauche. Elle s’est construite en France contre l’influence de l’Eglise catholique, le cléricalisme. Mais elle s’est depuis diffusée, y compris au sein de l’Eglise catholique, remarque la chercheuse du Cevipof. Aujourd’hui, la question fait conflit à gauche comme à droite.” Pour Robert Albarèdes, “la laïcité transcende les clivages politiques traditionnels. Rien d’étonnant à cela puisqu’elle est un principe de droit politique qui vise le peuple tout entier. Elle propose un ordre politique et sociétal de concorde, d’équilibre, d’égalité entre tous, quels que soient les options spirituelles ou les choix idéologiques de chacun”. Le militant loue d’ailleurs aussi bien les convictions laïques de Jacques Chirac, “à l’origine de la loi sur les signes religieux à l’école” que “l’action exemplaire du sénateur Delfau”, à gauche. Les politiques de gauche comme de droite savent d’ailleurs à l’occasion s’unir lorsque cela s’avère nécessaire. Seize députés (quatre PS, quatre PC, quatre UDF, quatre UMP) avaient ainsi formulé dans un appel, le 26 octobre dernier, leur opposition au rapport Machelon sur la laïcité et réaffirmé leur attachement à la loi fondatrice de 1905. Tous les partis, y compris les plus grands, sont aujourd’hui traversés par des courants contraires sur la question de la laïcité. C’est ainsi que les chiraquiens ont quelquefois aussi peu d’enthousiasme à faire campagne NUMÉRO 3 AVRIL 2007 AFP L es candidats à l’élection présidentielle ont, semble-t-il, décidé de parler le moins possible de ‘laïcité’, tout en s’affirmant, la main sur le cœur, laïques.” Robert Albarèdes, président de l’association Les Laïques en réseau, est plutôt sceptique quant aux déclarations des candidats. Il y a quelques mois, le militant décidait de fédérer les initiatives afin de faire de la laïcité un véritable enjeu de société et “un thème essentiel du débat électoral”. Plus de quarante structures attachées à la laïcité en France rejoignaient le réseau, bien décidées à peser sur la campagne. En effet, pour le réseau qui interpelle les candidats, il y a péril en la demeure. Un questionnaire (de vingt-neuf questions) dont les réponses seront rendues publiques sur le site du réseau (1) a été adressé à l’en- politique Ortola/REA Le clientélisme politique, les communautarismes, l’Europe... feront-ils voler en éclat notre socle laïque centenaire ? pour Nicolas Sarkozy que les Fabusiens pour Ségolène Royal. Les uns voient d’un mauvais œil l’apologie du modèle anglosaxon, de la discrimination positive, d’une gestion communautariste et religieuse des conflits, voire la complaisance à l’égard des sectes que le ministre de l’Intérieur appelle les “nouveaux mouvements spirituels”. Les autres s’arrachent les cheveux à écouter les discours ponctués d’“ordre juste” (une expression empruntée à Benoit XVI), de morale de leur chef de file, et désespèrent de voir le peu de cas que leur candidate fait de la laïcité dont elle donne d’ailleurs une définition des plus restrictives : “La vraie notion de la laïcité, ce n’est pas le refus des religions, mais le respect de toutes les religions et de ceux qui les pratiquent.” “Et pourquoi croyez-vous que Bayrou ait des réponses si alambiquées sur le mariage homosexuel ?, questionne Jacqueline CostaLascoux, du HCI. Il y a quinze ans, il aurait dit simplement ‘parce que je suis chrétien’. Aujourd’hui, on se situe beaucoup moins par rapport à des traditions philosophiques ou religieuses.” Nicolas Sarkozy a pourtant franchi le cap dans son livre La République, les religions, l’espérance. Il y affiche ses convictions et met le religieux au centre du débat politi- NUMÉRO 3 AVRIL 2007 que. Dans une approche très similaire aux Républicains américains, le candidat va jusqu’à opposer les valeurs républicaines aux valeurs religieuses : “La dimension morale est plus solide, plus enracinée lorsqu’elle procède d’une démarche spirituelle, religieuse, que lorsqu’elle cherche sa source dans le débat politique ou dans le modèle républicain.” Car la pensée laïque est bien attaquée sur trois fronts, explique Catherine Kintzler, professeur de philosophie à Lille III, qui vient de sortir un essai Qu’est-ce que la laïcité ? (Vrin Editions) : “Par des visées politiques menées au nom d’une religion monothéiste, par la remise en cause du modèle politique républicain au profit d’un modèle communautariste, enfin par l’idée qu’il n’y aurait pas de vie politique sans une forme de lien religieux, l’idée que le lien religieux est le modèle de toute vie sociale et politique.” LA LOI DE 1905 PASSERA-T-ELLE LE PROCHAIN QUINQUENNAT ? Rien n’est moins sûr. En proposant de réinstaller le religieux dans l’espace politique en gommant les notions de “sphère privée” et de “sphère publique”, en permettant toutes les formes de financement public pour la construction des lieux de culte, le rapport Machelon sur la laïcité comman- dé par Nicolas Sarkozy s’avère être bien plus, selon ses détracteurs, une “kärchérisation de la loi de 1905” que le “toilettage” annoncé. C’est bien à l’essence même de la loi (le non-financement public des cultes) que ce texte s’attaque. Mais si ce texte a concentré les critiques à gauche comme à droite, peu ont commenté le texte socialiste équivalent. Le 22 juin 2006, en effet, Jean Glavany déposait au nom du PS, sur le bureau de l’Assemblée nationale, un projet de loi visant à “promouvoir la laïcité dans la République”. Un texte ambigu dans lequel l’article 2 “la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte” devenait “la République ne reconnaît ni ne privilégie aucun culte”. Un texte un peu fourre-tout aussi dans lequel était en outre prévue la création d’un Centre national de la mémoire de l’immigration, comme s’il fallait compenser l’application de la laïcité y compris aux “immigrés” en leur donnant “en échange” un centre mémoriel ! Enfin, comme dans le rapport Machelon, le texte rejette toute possibilité d’uniformiser l’application de la loi de 1905 sur l’ensemble du territoire, réaffirmant même le concordat d’exception d’Alsace-Moselle. Les associations laïques restent aussi souvent LE COURRIER DE L’ATLAS 31 politique PARTOUT, DES ATTEINTES GRAVES À LA LAÏCITÉ C’est sans doute l’accolade entre José Bové et Tariq Ramadan au Forum social européen 2003 qui a sonné symboliquement le début de cette alliance surprenante entre une partie de la gauche et des mouvements islamistes. “Le néo-laïque, explique Catherine Kintzler, apparu sous le label ‘laïcité ouverte’, est une figure tourmentée, authentiquement laïque lorsqu’il est confronté à un intégrisme de droite ou du Nord et étonnament communautariste lorsqu’il est confronté à un totalitarisme du Sud.” Toute l’extrême gauche française est traversée aujourd’hui par cette schizophrénie. Une vraie fracture est née au sein même des partis entre une gauche antitotalitaire, attachée aux principes universalistes, aux droits de l’Homme, et une gauche tiers- Tariq Ramadan et José Bové au Forum social européen 2003 : le début d’une étrange alliance à gauche. mondiste, alter-mondialiste et adepte du relativisme culturel (entre autres sur la question du port du voile). Si cette gauche radicale ne s’est pas ralliée dans son ensemble aux thèses d’un Socialist Workers Party (SWP) britannique, par exemple, prônant une alliance ouverte avec les islamistes dans un même front anticapitaliste, elle reste dangereusement tentée par cette option. Le journal Rouge, de la LCR, se fait ainsi le témoin d’affrontements entre trotskistes partisans d’un soutien sans condition au Hamas et de militants dénonçant le totalitarisme du parti islamiste. Fautil alors s’étonner de voir, comme durant les bombardements au Liban, les drapeaux rouges de la LCR se mêler à ceux du Hezbollah en plein Paris ? La thèse des Indigènes de la République qui assimile ni plus ni moins la laïcité à une forme de colonialisme et de racisme a touché presque toute l’extrême gauche. Seuls les Verts (et dans une moindre mesure Lutte ouvrière) ont finalement – et depuis peu – réussi à imposer une ligne laïque (voir encadré). Mais des gestions Technique classique des sectes : approcher les personnes influentes. A Bercy, Tom Cruise, VRP de sa secte, et Nicolas Sarkozy parlent scientologie. 32 LE COURRIER DE L’ATLAS extrêmement communautaristes demeurent dénoncées par des militants, comme Messaoud Bouras qui s’est fait une spécialité de traquer l’“islamo gauchisme” dans la région de Roubaix. Quant au Parti communiste, la nomination de Mouloud Aounit à la coprésidence du comité de soutien de Marie-George Buffet a eu à peu près le même effet que la nomination de Christine Boutin comme conseillère politique de Sarkozy. Encore un coup dur pour la laïcité ! Pour le président de l’Ufal, Bernard Teper, c’est d’autant plus absurde que “les politiques néolibérales sont alliés des communautarismes et intégrismes religieux. Le néolibéralisme a besoin des communautés ethniques et religieuses pour substituer à la solidarité sociale, la charité”. A l’extrême droite, la laïcité est aussi malmenée. Si le FN amorce depuis quelques années un virage dans sa communication, sur le fond, peu de choses ont réellement changé. La laïcité s’affiche, mais la référence religieuse reste sous-jacente et les intégristes catholiques, des lobbies qu’il convient encore de ménager. Comme le MPF de de Villiers, le FN rejoint ainsi les catholiques traditionalistes sur la question de l’avortement. L’interdiction du droit à l’avortement reste bien à l’ordre du jour des deux partis. Prisonnier d’un rapport compliqué avec le monde arabe, le Front National a finalement laissé le créneau stratégique du combat contre l’islamisation à de Villiers. Mais les deux partis ont bien plus à cœur de promouvoir les valeurs chrétiennes que les valeurs républicaines. LA QUESTION INSTRUMENTALISÉE DU FINANCEMENT DES MOSQUÉES “La laïcité est condamnée à évoluer avec le religieux dans l’espace public.” Mohamed Mestiri, président de l’Institut international de la pensée islamique, parle de la loi de 1905 comme d’une “bonne loi” tout en affirmant paradoxalement que “l’Etat peut et doit accompagner les religions vers une certaine autonomie”. C’est cela qu’il aimerait voir aborder dans la campagne : “La reconnaissance des droits des cultures musulmanes”, “la place du CFCM (Conseil français du culte musulman) en crise”, “la mise en place avec l’aide de NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Le Floch Gamma/Abaca perplexes face aux partis ayant voté “oui” au TCE, un traité dans lequel le mot “laïcité” ne figurait pas même une fois et où le dialogue entre les religions était institutionnalisé. Pour Robert Albarèdes, “ces partis sont poussés à accepter dans le cadre d’une construction politique européenne, à faire passer notre pays d’une situation de laïcisation à une situation de sécularisation, à un espace sociétal émietté, à une structure politique régionalisée rompant avec l’unité de la Nation.” politique Laïcité chez les Verts : un virage à 180° Philippe Namias revient sur les errements de son parti qui lui ont fait perdre nombre de militants. Partisans du relativisme culturel, pro-voile, proches de mouvements communautaristes, voire islamistes…, les Verts n’ont pas fini de payer leurs prises de position antilaïques. Dernièrement, le parti écologiste redressait la barre, se ralliant à la motion “laïcité” proposée par le groupe Laïcité, Ecologie, Association (LEA). Dérive Il y a trois ans, les Verts prenaient des positions très discutables pour nombre d’entre nous, notamment en rapport avec le féminisme. Ils s’étaient ainsi opposés à la loi sur les signes religieux à l’école (avant même son application). Certains avaient aussi signé des appels comme celui des Indigènes de la République, de L’Ecole pour Tous ou des Féministes pour l’Egalité. Nous avons perdu beaucoup de monde sur ces questions, c’est pourquoi il fallait réagir vite. Un vrai clivage s’est créé entre ces personnes et les militants laïques.” “ Culpabilité post-coloniale Longtemps, l’idée a persisté chez les Verts que, en se réclamant de la République, de l’universalisme, on était nécessairement contre la diversité, voire même raciste. C’était la position un peu facile qui prévalait chez les Verts : ‘on est copain avec tout le monde’. A gauche, on traîne souvent une certaine culpabilité à l’égard DR “ de la question coloniale. Au lieu de l’assumer clairement, on est resté dans les généralités et dans l’impossibilité de discuter de tout ce qui venait du Sud ou d’une autre religion (un peu le syndrome de l’ouvrier pour le PC). Chez les Verts, l’islam était avant tout ‘la religion des opprimés’. C’est très explicite chez les ‘Indigènes’, mais c’est sous-jacent chez nos adversaires internes au sein des Verts qui accusent de coloniales des positions simplement laïques. Nous avons de gros problèmes avec des personnes comme Alain Lipietz qui prend des positions pro-hijab au niveau du Parlement européen. Au nom d’un antiaméricanisme, beaucoup ont vu, sans qu’ils l’expriment aussi clairement, les islamistes comme des alliés naturels. Et pourquoi aura-t-il fallu deux ans et demi pour exclure des Verts une antisémite notoire comme Ginette Skandrani ?” Motion laîcité Face à ces positions très communautaristes, nous avons “ l’Etat de fondations cultuelles ou culturelles à vocation d’intérêt général”… Pourtant, si le chercheur parle de religion presque comme d’un service public, il se dit dans le même temps attaché au modèle français : “La laïcité à la française favorise davantage le droit à la liberté et à l’expression religieuse que les systèmes multiculturalistes anglo-saxons. On voit peu de reconnaissance de l’altérité culturelle dans ces pays : les communautés vivent les unes à côté des autres dans la marginalité, l’indifférence presque totale.” Aziz Sahiri, président du Mouvement des NUMÉRO 3 AVRIL 2007 donc créé, en 2005, le groupe LEA. Nous prenions aussi contact avec des associations placées différemment que nous sur l’échiquier politique comme l’Ufal, SOS Racisme, Ni Putes Ni Soumises. Au dernier congrès, la motion “liberté, laïcité, diversité” est passée (à 53 %) face à d’autres motions qui étaient très proches des Indigènes de la République. La laïcité s’est finalement imposée chez les Verts comme une question essentielle, au même titre que le réchauffement climatique, et c’est la position qui prévaut pour deux ans.” Présidentielle Ecologiste, mais pas verte, Corinne Lepage est extrêmement laïque. Rien à redire ! Dominique Voynet est d’accord sur le fond, mais elle cherche des alliances. Elle est passée tellement limite en interne en nombre de votes (50,59 %) qu’elle préfère sans doute ne pas créer de nouveaux clivages. Sur la question de la laïcité, il n’existe pas vraiment de clivage droite gauche, même si le multiculturalisme reste une vision très libérale, au sens économique du terme.” “ Demain Nous avons encore des combats à mener en interne, contre la discrimination positive par exemple. Si on considère qu’il n’y a qu’un seul groupe humain et que les diversités “ laïques musulmans de France, est quant à lui farouchement opposé à tout financement public des lieux de culte. Quant au CFCM, “il a ridiculisé tous les musulmans avec ce procès contre Charlie Hebdo. Mon représentant à moi, ce n’est pas Boubaker, c’est le député que j’ai élu”. Pour ce militant, l’argent est là : “Les musulmans de France en 2007, ce n’est pas une communauté pauvre. C’est une communauté inorganisée où l’argent circule. A eux de se prendre en main !” “A moins que l’on veuille continuer à ghettoïser cette population pour la rendre toujours plus culturelles ne sont pas à ériger en murs contre les personnes, la discrimination positive n’a pas de sens. Pour nous, les principes fondamentaux de la loi de 1905 sont toujours valables, puisque basés sur des principes universels. On nous accuse de défendre une ‘laïcité de combat’. Nous le revendiquons : la laïcité se défend aussi. Nous souhaitons une laïcité vivante. Parler de ‘laïcité ouverte’ signifie ‘pas de laïcité du tout’. La laïcité est bien plus que la simple coexistence entre les religions qui peut d’ailleurs très bien se faire sur le dos des femmes ou contre les homosexuels. Les trois religions s’accordent parfaitement dans tous les pays pour nier les droits des homosexuels.” Mosquées Nous ne sommes, bien sûr, pas opposés aux constructions de mosquées. A Bagnolet, nous avons des militants de l’association, adjoints au maire, qui ont voté pour la construction d’une mosquée, mais dans le cadre de la loi. Contrairement à Nicolas Sarkozy, je ne pense pas que l’origine du financement soit un problème. Il doit y avoir un travail de vigilance, c’est tout. A contrario, on peut très bien, en effet, avoir des imams français, un financement français et des positions totalement extrémistes.” “ manipulable, je ne pense pas que ce soit vraiment une priorité, renchérit Rachid Benzine auteur des Nouveaux Penseurs de l’islam. Si les musulmans n’ont pas les moyens aujourd’hui de construire des mosquées, ils attendront. Ils doivent savoir s’ils veulent leur autonomie ou préfèrent être achetés aujourd’hui pour être revendus demain. Le problème des musulmans est celui de tous les autres Français, tant qu’ils n’auront pas compris cela, ils resteront manipulés.” (1) http://www.laic.fr LE COURRIER DE L’ATLAS 33 entreprise PORTRAIT Le patron, ses potes et ses assoc’s par Caroline Boudet A “ voir des difficultés, ça ne peut qu’aider. Quand on arrive à les surmonter, la réussite est encore plus gratifiante.” Le message est positif et celui qui le lance sait de quoi il parle. A 32 ans, Abdellah Aboulharjan, originaire du Maroc, a été récompensé par la fondation Ashoka comme l’un des cinq entrepreneurs sociaux de l’année dans l’Hexagone. Un beau symbole pour ce fils d’ouvrier qui a grandi à Mantes-la-Jolie. VINGT ENTREPRISES EN UN AN Si Abdellah Aboulharjan a été remarqué par cette fondation qui soutient dans le monde entier des entrepreneurs sociaux, c’est en tant que responsable et cofondateur de Jeunes entrepreneurs du Mantois, une association dont le but est de susciter chez les jeunes des quartiers en difficulté l’envie de créer leur propre entreprise, puis de les accompagner dans leur projet. Et ça marche : dès 2002, vingt entreprises sont nées. Trois ans plus tard, les trois quarts d’entre elles fonctionnent toujours. C’est fin 2006, après avoir été couronnée lauréate de la bourse Ashoka, que l’association est rebaptisée “Jeunes Entrepreneurs de France”. Entrepreneur dans l’âme, comme son médiatique ami Aziz Senni qui dirige l’entreprise de taxis collectifs ATA (Alliance, transport, accompagnement) basée à Mantes-la-Jolie, Abdellah Aboulharjan est loin d’être un débutant. En 1999, il fut l’un des premiers à ouvrir un site Internet de vente par correspondance, spécialisé dans les produits marocains : medinashop.com. Et cela a marché. En- 34 LE COURRIER DE L’ATLAS fin, pas trop mal, relativise-t-il dans un sourire, “nous avons subi un an plus tard le dégonflement de la bulle Internet”. Il en aurait fallu plus pour décourager celui qui, contrairement à son ami Aziz, ne croit pas en “l’ascenseur social”. “Je ne pense pas qu’il existe un système où l’on appuie sur des boutons pour aller d’un étage à l’autre. Quel que soit le parcours, il faut prendre des escaliers. C’est plutôt la raideur des marches qui change selon que l’on a des relations ou pas. Mais plus les escaliers sont raides, plus on a les mollets solides quand on arrive en haut.” DU VIETNAM À MANTES-LA-JOLIE En 2002, il est primé Talents des cités, toujours en duo avec Aziz Senni. A l’époque, il est encore étudiant. C’est au cours d’un voyage au Vietnam que va naître le projet Jeunes entrepreneurs du Mantois. “Nous avons rencontré de jeunes chefs d’entreprise vietnamiens. Au retour, nous avons compris qu’il fallait faire quelque chose pour nous organiser dans nos quartiers.” En effet, les deux compères, qui faisaient figure d’emblèmes de la cité, étaient constamment sollicités par des jeunes pour avoir des conseils. “Nous nous sommes dit qu’il fallait créer une vraie structure pour répondre à leurs attentes.” Pour se substituer aux administrations qui existent déjà ? Pas du tout, assure Abdellah Aboulharjan. “Ces structures sont efficaces et professionnelles, mais le problème est que les jeunes des quartiers ont une véritable défiance vis-à-vis de tout ce qui porte la marque de l’administration.” La solution ? La motivation par l’exemple. “Toute l’identité de Jeunes entre- preneurs du Mantois était résumée dans le nom de l’association”, raconte-t-il : des entrepreneurs originaires de la même ville que ceux qui cherchent leur voie, en qui ils peuvent se reconnaître et qui les aident à prendre confiance en eux-mêmes. L’action de l’association comporte trois volets. Sensibiliser les jeunes dans les écoles, les foyers. Leur faire comprendre que ce n’est pas parce qu’ils sont plus pauvres que d’autres qu’ils ne peuvent pas créer leur propre entreprise. JEF organise ainsi des rencontres avec des créateurs d’entreprise issus des quartiers. Une fois le projet monté, “nous nous concentrons sur l’aide au développement”. L’association répertorie tous les acteurs existants et dirige les jeunes vers les structures qui sont en mesure de leur octroyer des crédits. Elle les aide aussi à monter leur dossier et à le présenter. AGENDA DE BUSINESSMAN Quand il repense à son parcours, Abdellah Aboulharjan se prend, dans un sourire, à citer Molière : “Comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, je suis devenu entrepreneur social sans le savoir.” Une activité qui réconcilie deux mondes à première vue incompatibles : celui du business et celui du social. Loin d’être des doux rêveurs, les entrepreneurs sociaux utilisent les outils pragmatiques de l’entreprise pour changer les choses, même au niveau local. L’agenda d’Abdellah Aboulharjan doit avoir l’épaisseur des pages jaunes : sept antennes de JEF vont ouvrir en France cette année. D’autres sont déjà prévues. Il continue en parallèle à s’occuper de ses autres activités, comme medinashop ou le magazine Respect, même s’il a appris à déléguer. Le tout sans oublier “du temps pour sa petite famille”. Un homme pressé ? Non, un homme engagé, passionné et généreux. ■ medinashop.com et respectmag.fr NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR Abdellah Aboulharjan ne se contente pas de faire du business. Avec son association, il aide les jeunes des quartiers à créer leur propre entreprise. Avec succès. médias Al Jazira, un groupe qui monte, qui monte... TÉLÉVISION Al Jazira English, chaîne d’information internationale en continu, vient de boucler son 4e mois. En donnant une petite sœur anglophone à Al Jazira, ses fondateurs veulent séduire ceux qui ne se retrouvent pas dans CNN ou la BBC. Bilan et analyse. par Anne de Malleray D es journalistes asiatiques parlent de l’Asie, des Africains de l’Afrique. Nous aurons au total vingt bureaux, et nous pourrons compter, en cas de besoin, sur le soutien des soixante bureaux de la chaîne arabe”, déclarait Nigel Parsons, le directeur d’Al Jazira in english, au moment de son lancement en novembre dernier. Comme Al Jazira en arabe, le siège d’AJE est à Doha, au Qatar. La chaîne émet en continu depuis quatre grands bureaux qui se passent l’antenne tour à tour : Doha, Kuala Lumpur (Malaisie), Washington et Londres. Elle compte environ trois cents journalistes, de cinquante nationalités différentes. Sur le terrain, les correspondants sont souvent des anciens de BBC World qui travaillent dans leur propre pays. L’ambition affichée par Al Jazira English est de concur- rencer CNN et la BBC. Elle veut faire entenmoyens”, souligne Riz Khan, journaliste au dre, comme son aînée, une voix singulière bureau de Washington et présentateur veet un autre point de vue, mais vise plus dette d’une émission d’interview, One to large que le Moyen-Orient. AJE s’est posiOne. Le but est de séduire, par le choix des tionnée en Asie du Sud-Est, où vit un musujets, les téléspectateurs délaissés par CNN sulman sur cinq, en faisant de Kuala Lumou la BBC. Ainsi, selon le journal pakistapur, capitale de la Malaisie, un de ses nais The Nation, la demande de retransmiscentres névralgiques. Elle est en Afrique AL JAZIRA ENGLISH A PLUS DE subsaharienne, elle est CORRESPONDANTS À L’ÉTRANGER QUE à Gaza, à Ramallah. AJE a plus de corres- TOUTES LES CHAÎNES AMÉRICAINES pondants à l’étranger que toutes les chaînes américaines. En s’apsion d’Al Jazira auprès des opérateurs de puyant sur le réseau tissé par Al Jazira decâble est très forte dans le pays. Si le réseau puis 1996, elle possède des relais d’inford’Al Jazira est mis à profit, les rédactions mation partout dans le monde. “La valeur sont bien distinctes et ne collaborent pas ajoutée d’AJE, c’est de couvrir des zones où les vraiment. “Al Jazira est au second, AJE est au autres chaînes internationales déploient peu de 7e étage, nous ne voyons jamais les journalis- Quatre personnalités d’AJE Sir John Frost, la star parmi les stars Ancien présentateur vedette de la BBC, né en 1939, Frost est le seul journaliste à avoir interviewé les sept derniers présidents des EtatsUnis et les six Premiers ministres anglais. Il présente une émission hebdomadaire, Frost Over the World, avec des reportages et des interviews de décideurs, d’artistes et une table ronde “mondiale” qui réunit des journalistes et des experts depuis différents points du globe. 36 LE COURRIER DE L’ATLAS Josh Rushing, l’ancien GI, a retourné sa veste militaire pour devenir journaliste au bureau de Washington d’AJE. Autant dire que son recrutement est un symbole fort pour la chaîne qui compte s’adresser aussi aux Américains. En 2004, le GI était le héros d’un documentaire, Control Room, sur le traitement de la guerre en Irak par les médias. Son expérience de la couverture du conflit “américano-centrée” et la pression à laquelle le soumettait sa hiérarchie l’ont fait rejoindre la chaîne. Riz Khan D’origine yéménite, ce journaliste a grandi à Londres. Il a participé au lancement de BBC World et de CNN. Sur Al Jazira English, il anime une émission d’interview, One to One, qui fait intervenir le public. Il a expliqué qu’“aucun projet de cette ampleur n’avait été tenté avant en actualité internationale”. Il reçoit souvent Ismaël Hanijeh, Premier ministre palestinien, et Shimon Peres, vice-Premier ministre israélien, qui ont été ses premiers invités et qui incarnent de réels enjeux. Kamal Hyder, spécialiste de l’Afghanistan Correspondant d’Al Jazira in English à Islamabad, il a couvert l’invasion américaine en Afghanistan pour de nombreux médias comme le magazine Time, le New York Times, CNN, Channel Four, des télévisions japonaises et sud-américaines. Il vient de sortir un livre, basé sur sa connaissance de l’Afghanistan et intitulé Les derniers jours des talibans. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR/Gamma/Camerapress “ médias tes”, raconte une jeune stagiaire du bureau de Washington. A Paris, on déclare que la chaîne “n’a rien à voir avec nous”. AJE espère toucher 80 millions de téléspectateurs. Pas seulement des musulmans anglophones. Elle vise aussi les “jeunes décideurs, qui ont souvent une vision cynique des médias, qu’ils jugent peu crédibles”, souligne Nigel Parsons. Des téléspectateurs non arabes et insatisfaits. Pour les rassurer et les séduire, elle a débauché quelques présentateurs vedettes des chaînes concurrentes. PREMIER SCOOP, AVEC TONY BLAIR Sir John Frost notamment, vétéran de la télévision anglaise dont l’émission éponyme, Frost over the world, a lancé la chaîne avec une interview fracassante de Tony “C’est un peu l’école de la BBC” DR Olfa Lamloum, enseignante à l’université de Paris X et auteur d’un livre paru en 2004, intitulé Al Jazira, miroir rebelle et ambigu du monde arabe, analyse la stratégie de la nouvelle chaîne d’Al Jazira. Pourquoi le Qatar mise-t-il sur une chaîne en anglais ? La stratégie de Doha, après le succès d’Al Jazira en arabe, est de créer un pôle médiatique puissant. Il y a eu la chaîne pour les enfants, la chaîne sportive, documentaire… Al Jazira English cherche à atteindre les musulmans non arabophones de l’étranger, mais aussi à concurrencer les chaînes d’information en continu comme CNN et la BBC. La chaîne a eu les moyens de recruter des vedettes de la télévision qui apportent leur savoir-faire. Elle investit des zones peu couvertes par les autres médias, notamment l’Afrique subsaharienne. Elle est la seule à NUMÉRO 3 AVRIL 2007 avoir un bureau permanent au Zimbabwe, par exemple. Trouvez-vous Al Jazira English “rebelle”, à l’image de sa grande sœur arabe ? C’est difficile à dire. La chaîne vient d’être lancée. Pour l’instant, le projet éditorial n’est pas très clair. Mais on peut d’ores et déjà dire qu’elle est différente de la chaîne arabe parce que le public visé n’est pas le même. La composition ethnique n’a rien à voir. Bon nombre de journalistes sont anglais ou américains. Est-ce que vous avez remarqué une prise de position partisane dans le traitement du conflit israélo-palestinien par exemple ? Blair, où le Premier ministre britannique reconnaissait que la guerre en Irak était “un désastre”. On retrouve aussi des journalistes de la BBC, de CNN et même de Fox News, la chaîne conservatrice et proBush américaine. “Al Jazira cherche à plaire à un public arabe, nous, à un public global. Notre champ d’intérêt est beaucoup plus large. Nous sommes très pré- Le but d’Al Jazira est de faire entendre la voix des Arabes dans le monde arabe et celui d’AJE est de la faire entendre sur la scène internationale. Est-ce qu’Al Jazira English est pro-palestinienne par exemple ? Par rapport à un média pro-israélien, comme la plupart le sont, je trouve que oui. Mais je conteste le terme “partisan”. Tous les médias suggèrent des connexions, des représentations, il n’y a pas de média neutre. D’ailleurs, j’apprécie AJE, comme Al Jazira, pour sa capacité à multiplier les regards. Ils donnent la parole au petit peuple, des familles irakiennes qui parlent de leur quotidien, des reportages aux checkpoints palestiniens… C’est un peu l’école de la BBC. Le traitement est beaucoup moins institutionnel que les autres grands médias. Comme Al Jazira, ils privilégient l’information alternative et donnent beaucoup de place aux victimes. Quel impact pensez-vous qu’elle puisse avoir ? Pour moi, l’impact sera forcément moindre qu’Al Jazira. Lorsque cette dernière a été lancée, en 1996, il n’existait pas dans le monde arabe de chaîne qui parle de démocratie, de censure, de droits de l’Homme. Tout était hyper contrôlé. L’impact d’Al Jazira sur les populations arabes, d’abord, a été retentissant. Elle a brisé le tabou de la vérité officielle incontestée et incontestable des élites au pouvoir et elle a donné à voir les débats, religieux principalement, entre réformateurs et traditionalistes. A l’extérieur aussi, la diffusion des messages de Ben Laden en 2001 a forgé à la fois sa renommée et son caractère polémique. Il faut attendre un peu encore pour mesurer l’impact d’AJE. Je pense qu’un véritable enjeu d’actualité internationale, une crise aiguë, montrera où se place Al Jazira English par rapport à la BBC, à CNN et aussi à Al Jazira en arabe. LE COURRIER DE L’ATLAS 37 médias sents dans le monde arabe, mais nous ne nous adressons pas directement aux Arabes dans leur langue. Il y a la distance de la traduction”, souligne Riz Khan. Plus proche de la BBC alors ? AJE y ressemble par le style et le contenu de son site Internet, son goût pour le reportage et l’actualité vue du côté de ceux qui la vivent autant que de ceux qui la font. D’Al Jazira, elle garde sa vision excentrée par rapport à CNN, la BBC ou France 24. Sur la chaîne en arabe, le sujet le plus traité est le conflit israélo-palestinien et l’homme dont on parle le plus, Ismaël Haniyeh, Premier ministre Hamas du gouvernement palestinien. Ils sont présents sur AJE, mais il y a aussi la Chine, l’Asie, l’Afghanistan, le Darfour… AJE souffre de la mauvaise image d’Al Jazira en arabe, aux Etats-Unis notamment. Si elle est accessible à peu près partout sur le câble dans le reste du monde, elle reste confidentielle outre-Atlantique. Les plus gros opérateurs n’ont pas encore accepté de la diffuser. Al Jazira en terre ennemie Abderrahim Foukara, jeune Marocain de 37 ans, a été nommé à la tête du bureau d’Al Jazira en arabe à Washington il y a un an tout juste. Depuis son arrivée, il travaille à nuancer l’image que projette la chaîne des Etats-Unis. A l Jazira est-elle antiaméricaine ? “Oui, dans certains cas, oui”, reconnaît Abderrahim Foukara, le nouveau patron du bureau de Washington. “A Doha, ils ont leur propre conception des EtatsUnis. Ici, on comprend le caractère et la mentalité des Américains, au siège moins. Mais, souligne-t-il, Al Jazira laisse beaucoup de liberté à ses correspondants. C’est un bien et un mal à la fois. C’est surtout risqué d’un point de vue politique.” La devise de la chaîne est “l’opinion et son contraire”. C’est la confrontation entre les différentes tendances religieuses et politiques qui fait l’intérêt d’Al Jazira, selon Abderrahim Foukara. Mais c’est aussi ce qui nuit à son image. Il aimerait qu’elle parvienne à “uniformiser sa ligne éditoriale” et affirme vouloir “nuancer l’antiaméricanisme” qui s’y exprime parfois. “Le traitement des sujets est très chargé en émotion, beaucoup plus qu’à la BBC par exemple”, ajoute cet ancien reporter de la chaîne anglaise. De 1999 à 2002, il a travaillé à Londres. “Je suis arrivé de la BBC avec un certain bagage éditorial et j’ai dû m’adapter. Je dois garder constamment à l’esprit que je m’adresse à un public arabe.” Mais il défend le point de vue d’Al Jazira : “Si l’on veut montrer ce qui se passe réellement en Irak, les gens ici Elle rompt avec la vérité officielle des élites au pouvoir. Mais peut-on pour autant ignorer les courants idéologiques qui la traversent et qu’elle diffuse ? D ’abord par la relation ambiguë qu’elle entretient avec le Qatar qui l’abrite et la finance. Son lancement en 1996 exprime les ambitions démesurées de l’un des plus petits pays arabes. La monarchie au pouvoir tire profit de la chaîne, qui lui sert de voile pour masquer son alliance stratégique avec les Etats-Unis. Al Jazira sert de preuve de la “démocratisation” du micro-Etat pétrolier. Elle parle ainsi de tous les voisins du Qatar, encore plus librement des pays plus lointains, tel le Maroc, mais bien peu du Qatar lui-même... En faisant son fer de lance de l’ethnie et de la religion, Al Jazira participe largement au courant idéologique communautariste. Elle affirme un mythe, une unité basée sur le clan ou la religion en consolidant un sentiment de familiarité culturelle. Les Arabes ne représentent pourtant que le quart environ de l’ensemble des musulmans, et plus de 10 millions d’Arabes sont chrétiens (Proche-Orient). Al Jazira en arabe ne contientelle pas un non-sens de base en s’adressant à une communauté arabo-musulmane qui n’a pas de communauté de langue ? La chaîne s’exprime en effet en arabe littéraire, 38 LE COURRIER DE L’ATLAS registre surtout utilisé à l’écrit pour la communication officielle ou transfrontalière, par les écrivains et une partie de la presse. Cette version modernisée de l’arabe classique est la langue du Coran et du discours religieux, langue qui s’apprend à l’école et qui n’est pas encore généralisée malgré les efforts de scolarisation. Sans oublier les pays où les filles restent en grande partie analphabètes. La distance qui sépare le niveau de l’expression littéraire et savante de celui de l’expression courante est très grande. Et que dire des musulmans non arabes qui sont nombreux à la regarder. BEN LADEN Y TROUVE UNE TRIBUNE EXCLUSIVE Consciente de cette impasse, Al Jazira mise tout spécialement sur la force du visuel et sur le pouvoir de l’image brute. Quelle force émotionnelle peut prendre ces images quand les mots ne sont pas ou mal compris ? CNN n’a plus le monopole, elle ne peut plus faire croire qu’une guerre est propre, comme elle a tenté de le faire lors de la première guerre du Golfe. Al Jazira a pris le contre-pied en montrant que la guerre est sale et sanglante. Mais le téléspectateur a-til besoin de démonstration ? Ne mérite-t-il pas plutôt des outils et des bases de réflexion ? Ne reste-t-il pas une sorte d’otage ? Al Jazira, en utilisant l’humiliation faite aux musulmans face à des actes comme l’exécution de Saddam Hussein le premier jour de la fête musulmane de l’Aïd Al Adha, renforce une identité panarabe qui revendiquerait une communauté de destin. Parce qu’elle propose des débats ouverts et qu’elle laisse toute sa place à la contradiction, sous prétexte de donner la libre parole aux Arabes, elle offre au cheikh islamiste Youssef Al Qaradawi une émission hebdomadaire de libre expression, La charia et la vie. Al Qaeda et ses ramifications y bénéficient d’un traitement privilégié, Ben Laden y trouvant une tribune exclusive. Dans un contexte à vif, l’absence d’un traitement critique de ces images fait qu’est restitué tel quel le travail de propagande effectué par les organisations terroristes. La question mérite d’être posée : le monde arabo-musulman n’a-t-il pas plus que jamais besoin de s’interroger sur lui-même de manière ouverte et constructive sans subir aujourd’hui ce média comme il a subi, hier, les télévisions occidentales. Mireille Peña NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR Une chaîne qui suscite des questions et des réserves... médias considèrent que c’est anti-américain.” Vu de l’extérieur, aux Etats-Unis, les journalistes d’Al Jazira semblent travailler en terrain hostile. Vu de l’intérieur, le blocus qu’on imagine n’existe pas. “A Washington, c’est plus difficile d’avoir ses entrées qu’à New York. Dans les milieux politiques, surtout pendant les élections, je suis confronté à des réactions négatives. Mais pour certains hommes politiques, c’est un moyen de communiquer avec le monde arabe, souligne le journaliste. C’est comme les Français après leur refus d’intervenir en Irak. Pour les Américains, ils étaient devenus presque arabes”, lâche-t-il en riant. EN PROJET, DES SUJETS SUR LA VIE QUOTIDIENNE DES AMÉRICAINS Al Jazira consacre près de la moitié de son temps d’antenne aux Etats-Unis. “Avant, la couverture était plus restreinte, la guerre en Afghanistan a tout changé.” L’actualité est surtout politique : “80 % à 85 % des sujets tournés par le bureau”. Mais le directeur cherche à faire évader les quinze reporters pour réaliser des sujets sur la vie quotidienne des Américains. “La société arabe en a assez de la politique. Tout ce qu’on montre des Etats-Unis sur Al Jazira, c’est la politique et Wall Street. Depuis que je suis là, j’essaie de faire bouger les choses.” Un exemple : “Pour les élections de mi-mandat, nous sommes allés tourner des sujets sur la religion pour montrer à quel point elle compte dans ce pays.” Une émission quotidienne d’une heure est en projet, avec uniquement des reportages. “Au siège, ils ont compris qu’il fallait montrer la diversité des Etats-Unis. C’est une question de concurrence aussi. De plus en plus de chaînes arabes le font.” UN PETIT EMPIRE MÉDIATIQUE 1996 Création d’Al Jazira en arabe 2003 L’Arabie-Saoudite réplique avec Al Arabiya Lancement du site Internet aljazeera.net et d’Al Jazira Sport 2004 Al Jazira ouvre un centre de formation de journalistes Le Congrès Américain lance Al Hurra (la libre), une chaîne en arabe au succès limité 2005 Création d’Al Jazira enfants 2006 Al Jazira documentaires et Al Jazira English Al Jazira en arabe : 45 millions d’auditeurs AJE espère toucher 80 millions d’auditeurs dans le monde ... et qui dérange beaucoup de monde Plébiscitée par les peuples arabes, la chaîne qatarie bouscule les dictatures de la région, dérange les “démocraties occidentales”, offense les islamistes et exaspère Américains et Israéliens. L ’idée de son fondateur, l’émir du Qatar Hamad Ibn Jasem Al Thani, arrivé au pouvoir en 1995, était d’illustrer la démocratisation du pays et de contrer l’influence de son voisin saoudien. La chaîne recrute les anciens journalistes arabes de BBC World Service qui vient de fermer son antenne dans la région après des différents avec l’Arabie Saoudite. Dix ans après son lancement, Al Jazira est regardée par environ 35 millions de téléspectateurs dans le monde. D’abord vue d’un bon œil par l’administration américaine, elle acquiert, après les attentats du 11-septembre, la réputation sulfureuse de chaîne inféodée à Ben Laden. Des dirigeants d’Al Qaeda adressent leurs messages sur ses ondes. C’est à ce momentlà aussi qu’elle entre dans les foyers occidentaux avec un point de vue différent sur la NUMÉRO 3 AVRIL 2007 guerre en Afghanistan puis en Irak. Alors que les chaînes occidentales mettent l’embargo sur les images violentes ou gênantes de la guerre, elle montre des prisonniers et des cadavres de soldats américains. Ses journalistes sont là où les autres ne vont pas. En mars 2003 notamment, Al Jazira est seule à contester, par la voix du ministre de la Défense irakien, sur son antenne, l’information d’une source militaire britannique au sujet d’un soulèvement populaire dans la ville de Bassorah en Irak. La chaîne est reconnue par les autres médias pour son professionnalisme. La même année, la BBC signe un accord de coopération avec Al Jazira. Son ton nouveau suscite aussi des remous dans le monde arabe. Si elle ne s’intéresse pas de trop près aux affaires du Qatar, Al Jazira invite tous les opposants politiques de la région. Démocrates tunisiens, dissidents syriens ou irakiens, communistes en exil, islamistes aussi, comme Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah libanais. Jamais retransmises sur CNN, les conférences de presse d’Ismaël Haniyeh, chef du Hamas et Premier ministre du gouvernement palestinien, le sont sur Al Jazira. Interdite en Irak depuis 2004, la chaîne dérange souvent les dirigeants de pays peu habitués à la critique. En octobre dernier, la Tunisie a fait fermer son ambassade à Doha en réaction à une interview de l’opposant Moncef Marzouki, qui appelait à la “résistance civile”. Sa devise, “l’opinion et son contraire”, se traduit dans ses programmes, qui montrent des aspects peu médiatisés des sociétés arabes et invitent au débat politique sur ses plateaux. Parmi les émissions phares de la chaîne, The opposite direction (La direction opposée) met face à face deux personnalités sur un thème de politique ou de société. For women only (Pour les femmes uniquement) est la première émission consacrée aux femmes à la télévision arabe. On y discute vie quotidienne et questions de société. Le débat est en interaction avec les téléspectateurs, concept cher à Al Jazira et décliné ailleurs. Dans Open dialogue (Dialogue ouvert) ou Without bounds (Sans aucun frein), les téléspectateurs peuvent appeler pour poser leurs questions à une personnalité politique ou religieuse. Le public d’Al Jazira est musulman à 96 %, urbain à 69 %, et relativement éduqué, selon le sondage d’Allied Media Corporation. Si la chaîne est connue en Occident, elle est toutefois peu regardée. En France, l’institut Médiamétrie n’a pas de chiffres disponibles concernant sa part d’audience, mais parmi les 180 chaînes satellitaires en arabe accessibles, les plus prisées sont les chaînes nationales. L’arabe classique constitue un obstacle pour beaucoup de téléspectateurs. LE COURRIER DE L’ATLAS 39 affaire d’Etat JACQUES MULLER 65 ans, militaire de carrière, mécanicien pilote sur hélicoptère en Algérie de 1953 à 1964 Secret défense sur les essais nucléaires français BOMBE A Quarante-sept ans après les premiers essais nucléaires français au Sahara, Alger organise un colloque international sur le sujet et exige mollement réparation pour les victimes. De part et d’autre de la Méditerranée, les associations se mobilisent, mais “la Grande Muette” fait la sourde oreille. Par Yann Barte L e 13 février 1960, la France effectuait son premier test nucléaire à Reggane, sous le nom de code “La Gerboise bleue”. Une bombe atomique trois à quatre fois plus puissante que celle d’Hiroshima, qui entraîna des pluies noires jusqu’au Portugal ! Officiellement pourtant, selon les autorités françaises, tout s’est bien passé. Quatre essais aériens et treize tests souterrains se succéderont de 1960 à 1966, les accords d’Evian de 1962 prévoyant l’utilisation par la France des sites, cinq ans après l’indépendance. Dix-sept essais (certaines victimes parlent aussi de trois autres non déclarés aperçus par satellite). “NOUS AVONS SERVI DE COBAYES HUMAINS” “La nécessité de la reconnaissance de la responsabilité de la France coloniale” a été abordée lors du colloque international sur les conséquences des essais nucléaires dans le monde qui s’est déroulé à Alger mi-février. Une première ! Sous les auspices du président de la République Abdelaziz Bouteflika, le colloque abordait largement le cas du Sahara algérien. Mais il n’a été suivi d’aucune initiative officielle de la part des autorités algériennes. Fin février, au Sénat, les victimes françaises des essais nucléaires en Algérie se mobilisaient à nouveau lors de la projection du film Vive la bombe, de Jean-Pierre Sinapi (1), une histoire inspirée de l’accident de Beryl (nom de code du second essai souterrain) du 1er mai 1962 qui avait vu s’échapper de la montagne, contre toute attente, un nuage radioactif. Créée en 2003, l’Association française des vétérans des essais nucléaires (Aven) dénonce les accidents classés “secret défense”. Pour la France, il n’est à déplorer aucun accident, aucune conséquence grave sur l’environnement, ni sur le personnel exerçant sur les sites ou les habitants des hameaux environnants. Une version confirmée lors d’un rapport parlementaire et transmis encore dernièrement par l’ambassade de France à Alger sous le nom de “Dossier de présentation des essais nucléaires et leur suivi au Sahara”. Mais de quel suivi parle-t-on ? Tandis que les victimes commencent à s’organiser en Algérie, sans moyens, dans l’Hexagone, elles tentent de donner de la voix : “La France cache la vérité et nous avons servi de cobayes.” Le combat n’est pas encore gagné. 40 LE COURRIER DE L’ATLAS “J’ai assisté à quatre essais nucléaires, mais rien de comparable à celui du 1er mai 1962. Nous savions que cette bombe n’était pas tout à fait prête, mais il fallait montrer la puissance nucléaire française pour l’arrivée de Khrouchtchev en France. Deux ministres assistaient aussi à l’événement, Pierre Messmer, ministre des Armées, et Gaston Palewski, ministre de la Recherche. On nous avait dit lors d’une brève formation sur l’atome : ‘Approchez-vous au plus près. Vous ne risquez rien. Vous verrez comme c’est splendide !’ Ce que j’ai fait : j’étais au premier avant-poste à trois kilomètres, en short et chemisette. La bombe a pété à 11 h 30. C’était joli, en effet : nous avons assisté à une ondulation de la terre et la montagne est devenue blanche. Puis un gros nuage est parti à l’horizontal, avant de tourner vers la base. Rien n’était prévu puisque tout devait bien se passer. Quand je suis rentré à la base, j’ai été arrêté par des cordons sanitaires et on m’a mis à la douche. Depuis, je n’ai plus jamais vu personne pour un suivi. Ça fait vingt ans que je suis en procès avec l’armée. Je suis le vétéran des vétérans ! En trente-trois ans d’armée, je n’aurais, paraîtil, aucun dossier militaire ou médical ! J’ai été brusquement atteint d’une cataracte sous-capsulaire, première maladie des irradiés. Aveugle, je ne pouvais plus piloter. En 2002, j’ai eu un cancer de la prostate. Pas rancunier, je me suis fait traiter par radiothérapie. En 2005, j’ai eu un cancer du poumon gauche. Une fois de plus, ma demande de pension a été refusée. On me confirme pourtant l’origine de cette maladie : les poussières radioactives absorbées. ‘Non imputable au service’, me répondra-t-on pourtant suite à mes demandes de pensions. En 2006, nouveau cancer, au poumon droit, et il y a deux mois, un quatrième. A la vessie.” MICHEL HERY 67 ans, aux transmissions en Algérie de 1961 à 1962 “Je m’occupais des transmissions et du cinéma. Je faisais des projections. J’ai assisté à l’essai du 1er mai. J’étais alors au poste de transmission. Quand j’ai vu le nuage, j’ai NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR ALGÉRIE En Algérie, les victimes s’organisent aussi SCÈNE DE “VIVE LA BOMBE”, UN TÉLÉFILM QUI RECONSTITUE L’ACCIDENT DE BÉRYL, LE 1ER MAI 1962, DANS LE SAHARA ALGÉRIEN. sauté sur le standard pour prévenir partout de fermer portes et fenêtres. C’était la panique, la débandade. Tout le monde s’est sauvé en courant. Mais les jours qui ont suivi, tout le monde est reparti dans la montagne comme si de rien n’était. L’ordre était de ne rien dire. Officiellement, c’est une réussite complète, tout s’est bien passé. Aujourd’hui, nous avons tous des problèmes gastriques ou de circulation du sang. Beaucoup sont déjà morts de ces problèmes. Moi, j’ai eu une ablation de 7 centimètres du colon, j’ai un pontage de l’artère à la jambe… On voudrait que les médias parlent enfin de ce qui s’est passé.” DR - Photo extraite du film “Vive la bombe” CHRISTINE LECULLÉE 68 ans, veuve de Bernard Lecullée, décédé le 4 janvier 1976 “J’ai eu l’occasion d’être invitée sur des plateaux de télé et de voir de près M. Messmer. Comme il a été le plus irradié de tous, protégé comme il l’était, comment les autres n’auraient-ils pas été irradiés, sans protection, abandonnés comme étaient nos maris ? Le mien était parti pour quinze mois en Algérie. Chef du service eau, il a été en contact avec des boues radioactives. J’ai eu la certitude que ses problèmes NUMÉRO 3 AVRIL 2007 étaient liés à Reggane quand j’ai eu accès, grâce à la loi Kouchner, au dossier médical en 2002. Il serait descendu à quatre reprises dans une cuve contenant des eaux contaminées par des produits radioactifs. Couvert d’un érythème cutané et pris de vomissements, il aurait été transporté à l’infirmerie de Reggane. Et puis ils en ont remis une couche ! Foutu pour foutu, ils se sont dit : on l’achève. On va me dire après qu’ils n’ont pas servi de cobayes ? Bien sûr que j’ai la haine. Lui qui croyait avoir servi la France. J’ai une carte ici : ‘Reggane aux heures glorieuses’. La gloire, il l’a emportée dans la tombe ! Il est mort il y a trente et un ans. L’armée, ‘la Grande muette’, s’est faite plus muette que jamais. Il n’a même pas été reconnu ancien combattant ! C’était un beau garçon de 30 ans quand je l’ai quitté. Quand je l’ai retrouvé sur le quai de la gare avec mes quatre petits… les dents déchaussées, les cheveux… Il était transparent… et je passe sur les détails intimes.” MICHEL DESSOUBRAIS 65 ans, en Algérie d’avril à mai 1962, militaire appelé, grade brigadier “Je fais partie du groupe de gars qui ont été irradiés le 1er mai 1962. J’ai été dans le “Un colloque bidon qui a surtout voulu mélanger le problème avec la politique franco-algérienne. On nous a mis en vitrine, c’est tout !” Mohamed Ben Djebbar, président de l’Association algérienne des victimes des essais nucléaires français au Sahara, dénonce, de concert avec les victimes françaises de l’Aven, une utilisation de la question par l’Algérie par rapport aux méfaits du colonialisme, sans volonté politique sincère d’ouvrir le dossier des essais. “Cela fait quarante ans que l’on attend. En quarante ans, ils n’ont jamais agi ! Et ils entretiennent un culte de la mémoire que nous n’avons pas.” Des victimes algériennes, on ne sait pas grand-chose aujourd’hui. M. Ben Djebbar déplore ces hommes qui “meurent à 40, 50 ans”, des hommes qui ont travaillé avec lui durant quatre ans pour le démantèlement des bases (des centrales électriques, hydrauliques…), “des nomades aussi qui ont traversé régulièrement les points zéro” car “le désert n’existe pas ici. Tout est habité !” Même les nouvelles générations payent : “Des enfants naissent un membre en moins ou aveugles. Une véritable bombe à retardement !” Association algérienne des victimes des essais nucléaires français au Sahara 189, cité Jourdain, Les Castors, 31007 Oran. Tél. : 00 213 41 46 54 42 nuage même de la bombe, sans combinaison, avec un masque à gaz, pendant presque trois heures. Le compteur Geiger était bloqué avant même que le nuage arrive sur nous : on savait qu’on allait être irradiés. On a passé des messages radio pour pouvoir partir, mais il n’y avait plus personne au bout du fil. On nous avait tout simplement abandonnés. Plus tard, nous avons été rapatriés à l’hôpital militaire de Percy, à Clamart. Là, on s’est bien occupé de nous, mais après… plus aucun suivi, ni médical ni psychologique, rien, jusqu’à maintenant. Il aurait pourtant fallu un suivi par des spécialistes en médecine nucléaire. En fait, on a cherché à étouffer l’affaire.” ■ (1) Vive la bombe, téléfilm projeté sur Arte le 16 mars dernier. Une diffusion sur France 2 est prévue pour les semaines à venir. LE COURRIER DE L’ATLAS 41 dossier ÉLECTION Des trois principaux prétendants à la succession de Jacques Chirac (page 51), on connaît évidemment les programmes. Ce n’est pas suffisant pour juger lequel fera le meilleur chef d’Etat. En revanche, on peut comparer les discours et les promesses (page 43). Trois experts décortiquent aussi pour vous les trois programmes économiques (page 48). Et comment se positionner en tant que Maghrébin ? “Je pense qu’il ne 42 LE COURRIER DE L’ATLAS faut pas encourager de vote communautaire maghrébin, insiste l’écrivain et poète Abdelwahab Meddeb, les Français d’origine maghrébine se retrouvent dans toutes les sensibilités” (page 56). Dans les cités de la banlieue parisienne, à la mi-mars, c’est le nom de François Bayrou qui est sur toutes les lèvres (page 52). Au final, chacun votera selon ses convictions et ses intérêts, conclut Mehdi Qotbi (page 56). NUMÉRO 3 AVRIL 2007 B.Hanna/Rea Comment voter ? dossier DOSSIER RÉALISÉ PAR YANN BARTE, NADIA LAMARKBI, ANTOINE FLANDRIN, FARID MOKTAR, SOUMIA ZAHI, ÉLÉONORE VARINI, MYRIAM BROUGH. Sarkozy, Royal et Bayrou à l’épreuve de l’économie DR L ’enjeu économique et social est au centre de tous les programmes des candidats. Ils seront jugés sur leurs capacités à redonner confiance aux Français et à relancer une économie essoufflée qui peine à dépasser les 2 % de croissance annuelle. Les hypothèses de croissance du PIB avancées par les trois candidats principaux, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy et François Bayrou, restent timides. Pour Bayrou, le PIB augmenterait de 2 % par an alors que Royal et Sarkozy tablent sur une croissance annuelle autour de 2,5 %. Signe que, même en période électorale, les économistes de chacun des partis n’osent pas rêver à mieux. Il est vrai que l’état des finances de la France ne laisse pas de marge au rêve. Avec un déficit de la Sécurité sociale (maladie, vieillesse, famille) égal à 9,6 milliards en 2006, un déficit budgétaire de près de 36,5 milliards d’euros et une dette publique de 1 000 milliards d’euros, les présidentiables devront avoir des arguments forts pour convaincre les plus pessimistes. Nicolas Sarkozy est plébiscité chez les “élites” : 89 % des top leaders (les 52 très hauts dirigeants) estiment qu’il ferait un bon président, selon le sondage Harrison & Wolf pour Le Figaro du 14 mars. Son programme économique est basé sur la flexibilité du travail et la relance par l’allégement des charges des entreprises. Pour les aspects plus sociaux, l’accent est mis sur la responsabilisation des individus. En d’autres mots, les Français porteront une part plus importante des charges et le plafond des minima sociaux sera réévalué. Plus nuancé, François Bayrou est partisan de la “sociale-économie”, un NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Retraites Ségolène Royal • Augmentation des petites retraites de 5 % et rapprochement des petites retraites du Smic. N’exclut pas de revoir les régimes spéciaux. • Abrogation de la loi Fillon. Santé Ségolène Royal • Création d’une Sécurité sociale professionnelle. • Une carte Santé jeunes pour les 16-25 ans. • Garantie du financement de l’hôpital. Logement Ségolène Royal • Service public de la caution. • Faciliter l’accès à la propriété pour les personnes ayant occupé une HLM durant au moins quinze ans. • Construction de 120 000 logements sociaux par an. • Durcissement des sanctions à l’encontre des communes qui ne respectent pas les quotas d’HLM. • Loyers plafonnés pour les nouvelles constructions. • Etendre les prêts gratuits pour l’accès à la propriété. Nicolas Sarkozy • Suppression des régimes spéciaux. • Améliorer les retraites des femmes ayant cessé leur activité pour éduquer leurs enfants. François Bayrou • Système de retraite à points permettant d’individualiser les dates de départ et d’introduction des bonifications. • Retraite minimale égale à 75 % du SMIC et passant à 90 % à la fin du quinquennat. Nicolas Sarkozy • Egalité de traitement entre privé et public. • Autoriser les dépassements d’honoraires des généralistes. • Imposer une franchise annuelle pour les dépenses de santé. • Instituer une franchise sur les actes médicaux. François Bayrou • Régionaliser le système de soins par la création d’un conseil régional de la santé créé avec les soignants, les gestionnaires des caisses et les associations d’usagers. Nicolas Sarkozy • Rendre déductible de l’impôt sur le revenu la totalité des intérêts d’emprunt et développement du crédit hypothécaire. • Vente de 40 000 logements sociaux par an à leurs occupants. • Seront comptées dans les 20 % de logements sociaux les opérations d’accession sociale à la propriété. • Modulation des loyers selon les revenus des locataires. • Mise en place d’une garantie des risques locatifs et suppression du dépôt de garantie et de la caution. François Bayrou • Confier provisoirement aux préfets le pouvoir de délivrer les permis de construire dans les communes qui ne font rien pour atteindre les 20 % de logements sociaux. • Réserver un quart de la surface des programmes immobiliers nouveaux aux logements sociaux. • Modulation des loyers en fonction des revenus du ménage dans les HLM. • Suppression du dépôt de garantie et de la caution et, à la place, mise en place d’un système d’assurance. LE COURRIER DE L’ATLAS 43 dossier savant dosage d’interventionnisme social et de libéralisme économique. Il prône la décentralisation des instances décisionnaires. Pour l’hôpital ou pour le logement, par exemple, il propose la création de conseils régionaux dédiés. Ségolène Royal rejoint ses concurrents sur la nécessité de mettre en avant les PME en leur accordant des avantages fiscaux notamment. Mais son programme se singularise lorsqu’il aborde le droit du travail. Alors qu’elle prône une législation plus protectrice envers les salariés et les jeunes arrivant sur le marché du travail, Nicolas Sarkozy propose pour sa part un contrat unique. Cette formule remplacerait le CDI, avec la possibilité de licencier sans préavis ni motivation. Sur la question de l’emploi, le programme UDF se situe à mi-chemin entre la flexibilité du programme UMP et la protection des salariés proposée par les socialistes. Les employeurs seront exonérés totalement de charges pour les deux premiers CDI et les salariés verront l’augmentation de la rémunération des heures supplémentaires. Autre point commun entre ces trois candidats : le silence sur le maintien ou non des 35 heures. our ce qui est du chiffrage du programme des candidats, les données varient selon la source, ce qui alimente encore la polémique autour du creusement de la dette publique. L’Institut de l’entreprise, proche des idées de l’UMP, estime le coût du programme socialiste à 60 milliards, 50 milliards pour Nicolas Sarkozy et 27,5 milliards pour François Bayrou. Pour financer son programme, Ségolène Royal table sur une augmentation des dépenses des administrations publiques de l’ordre de 2,2 % par an sur la durée de la législature, à peine plus que Nicolas Sarkozy qui, lui, verrait une augmentation de 1,8 %. François Bayrou souhaiterait, pour sa part, inscrire dans la Constitution l’interdiction pour un gouvernement de présenter un budget en déficit de fonctionnement. Dans les tableaux suivants, nous avons répertorié les propositions faites par les différents candidats sur la question des retraites, de la santé et du logement, et la politique économique pour ce qui concerne la politique sociale. Pour les aspects de politique économique, nous avons retenu l’emploi, la fiscalité et les réformes liées aux entreprises, comme significatifs du programme de chacun des candidats. A vous de faire votre choix. 44 LE COURRIER DE L’ATLAS Emploi Ségolène Royal • Relever le Smic à 1 500 € d’ici 2012. • Renforcer le droit à la formation professionnelle. • Suppression du CNE et primauté au CDI. • Création de 500 000 emplois tremplins. • Droit au premier emploi pour les jeunes. Fiscalité Ségolène Royal • Particuliers : réviser la politique d’exonération de cotisations sociales pour favoriser les bas salaires. • Supprimer les niches fiscales. • Impôt sur les sociétés : encourager les éco-industries par une TVA tendant vers zéro. Nicolas Sarkozy • Exonérer de charges sociales et d’impôts les heures supplémentaires. • Remettre à plat les 35 heures dans le secteur public. • Conditionner le maintien des exonérations de charges à la politique salariale des entreprises. • Instauration d’un contrat de travail unique. François Bayrou • Exonération des charges sociales pour les deux premiers CDI créés par chaque entreprise. • Exonération des charges sociales pour compenser la hausse de 35 % du coût des heures supplémentaires. Nicolas Sarkozy • Particuliers : abaisser le bouclier fiscal à 50 % et déduire de l’ISF les sommes investies dans les PME à hauteur de 50 000 €. • Exonération de 95 % des droits de succession. • Défiscalisation des emplois de service à la personne. • Impôt sur les sociétés : moduler l’impôt sur les sociétés en fonction de l’allocation des bénéfices. François Bayrou • Particuliers : exonérer les successions en ligne directe jusqu’à 200 000 € et relever l’abattement par part d’enfant. • Plafonner les niches fiscales de l’impôt sur le revenu. • Impôt sur les sociétés : défiscalisation des revenus liés aux brevets déposés par les chercheurs. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Chamussy/Sipa P dossier E n matière de sécurité, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy ont un peu joué la surenchère. Mettre l’armée autour des jeunes, supprimer les allocations familiales… Qui a dit quoi ? On ne sait plus Entreprise AP/Sipa Ségolène Royal • Moduler le taux de l’imposition sur les sociétés en fonction de la stratégie d’investissement des bénéfices. • Soutenir les PME par la création de fonds publics régionaux de participation. • Mettre en place un régime social pour les indépendants. • Faciliter l’accès au crédit des PME en leur accordant la garantie de l’Etat. • Favoriser fiscalement les entreprises de l’économie sociale. • Soutien des formes économiques alternatives. Nicolas Sarkozy • Apporter la caution de l’Etat aux entrepreneurs sans ressources. • Abaisser à 5,5 % le taux de TVA dans la restauration. • Création d’une agence de réindustrialisation. • Généralisation des plans de stock-options. François Bayrou • “Small business act” : proposer un package à l’américaine permettant de favoriser les PME par la simplification de l’environnement juridique, la réduction des délais de paiement, la concentration des exonérations de charges, tout marché public de moins de 50 000 € leur sera réservé et 20 % des marchés supérieurs. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 trop. Les deux sans doute. Les trois candidats proposent un service civique (obligatoire et soumis à référendum pour François Bayrou). Comme en 2002, le thème a largement été développé par les candidats. Ségolène Royal • Instaurer un service civique obligatoire de six mois effectué en une ou plusieurs fois. • Soutenir les familles en difficulté via par exemple la mise sous tutelle pour aider à la gestion d’un budget et faire face à une rébellion des enfants. • Mettre en place, quand les incivilités se multiplient, un système d’obligation pour les parents de faire des stages dans des écoles spécifiques et prévoir des systèmes de mise sous tutelle des allocations familiales. • Enseigner la civilité aux enfants, par le biais de programmes d’éducation au respect de l’autre. • Développer les internats-relais pour les enfants en difficulté de familles défavorisées. • Développer des centres éducatifs renforcés, si besoin avec un encadrement militaire. • Adopter une loi-cadre sur les violences conjugales. • Créer une nouvelle police de quartier. Nicolas Sarkozy • Instaurer un service civique par lequel chaque jeune Français de 18 à 30 ans donnera aux autres six mois de son temps. • Réformer l’ordonnance de 1945. • Instaurer des peines plancher pour les délinquants multirécidivistes. • Envisager le repérage précoce des troubles du comportement dès 3 ans. • Permettre aux maires pour lutter contre l’absentéisme scolaire, la mise sous tutelle des allocations des familles défaillantes. François Bayrou • Soumettre au référendum un service civique obligatoire de six mois pour les jeunes. • Compenser l’engagement au service de la société et du lien social par une validation des acquis ou une aide aux études. • Réimplanter l’Etat dans les quartiers pour y incarner la sécurité et le service public. • Réagir, face à la délinquance juvénile, par une sanction rapide et éducative. • Légiférer en faveur de la protection des victimes. LE COURRIER DE L’ATLAS 45 dossier S ur ce thème, nos trois candidats restent assez frileux. Aucune régularisation massive n’est prévue, mais “du cas par cas” est recommandé chez François Bayrou et Ségolène Royal, tandis que Nicolas Sarkozy prévoit une poursuite des expulsions. L’“immigration choisie”, le thème cher au candidat UMP dénoncé par ses deux compétiteurs, pré- voit plus de restrictions des droits d’accès au territoire, un serrement de vis supplémentaire, notamment pour le regroupement familial. François Bayrou et Ségolène Royal sont totalement opposés à l’idée de mêler la question de l’immigration à celle de l’identité nationale. Enfin, les trois candidats – c’est à la mode – parlent de co-développement. Ségolène Royal • Instaurer un visa autorisant les allersretours sur plusieurs années. • Réformer le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. • Rétablir la règle des 10 ans comme critère de régularisation. • Régulariser les sans-papiers à partir de critères fondés sur la durée de présence en France, la scolarisation des enfants et la possession ou la promesse d’un contrat de travail. • Instaurer un droit à l’aller et au retour pour l’immigration de travail, sur plusieurs années. • Renforcer la politique de codéveloppement en particulier avec l’Afrique. Nicolas Sarkozy • Recourir à l’“immigration choisie” (avec fixation de plafonds annuels d’entrées). • Poursuivre les expulsions d’étrangers en situation irrégulière. • Créer un grand ministère de l’“Immigration et de l’Identité nationale”. • Renforcer la lutte contre les mariages blancs. • Etablir des conditions de logement et de ressources plus strictes pour le regroupement familial. François Bayrou • Maîtriser l’immigration clandestine, expulser les étrangers non admis en France, lutter contre le travail clandestin. • Régulariser les sans-papiers sur critères : “contrat de travail, maîtrise de la langue et de nos valeurs”. • Créer un ministère chargé de l’Immigration. • Participer à une aide internationale au développement pour les pays respectant l’Etat de droit. 46 LE COURRIER DE L’ATLAS ce”, pleine d’occasions nouvelles. Ségolène Royal et François Bayrou feront du ministre de l’Environnement le n° 2 du gouvernement. Si chacun perçoit très différemment l’urgence environnementale, tous trois ont cependant signé le Pacte de Nicolas Hulot. Ségolène Royal • Créer un poste de vicePremier ministre du Développement durable, et de l’Aménagement du territoire. • Ramener la part de la production d’électricité nucléaire à 50 % d’ici 2020. • Réformer la PAC en offrant une juste rémunération aux producteurs fournissant des produits de qualité et interdire des OGM en plein champ. • Développer des énergies renouvelables qui devront atteindre 15 % de la production d’énergie d’ici 2012 (20 % d’ici 2020). Cela devrait permettre de créer des emplois (40 000 pour l’éolien, 25 000 pour le solaire...). • Isoler 400 000 logements anciens par an. • Recourir au solaire thermique pour les nouveaux logements sociaux, écoles et hôpitaux. • Intégrer le développement durable dans les programmes scolaires. • Promouvoir la création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement (OME). • Appliquer systématiquement le principe pollueurpayeur. Nicolas Sarkozy • Créer un ministère de l’Ecologie regroupant énergie, environnement, transports, équipement, eau et prévention des risques industriels. • Réduire la TVA sur les produits propres. • Créer une pastille bleue pour les véhicules propres, ouvrant droit au stationnement gratuit… • Encourager l’agriculture biologique en finançant la reconversion des agriculteurs, pendant 5 ans. • Imposer une “redevance” aux camions étrangers. qui entrent en France. François Bayrou • Nommer un numéro deux du gouvernement spécialisé dans les questions de développement durable. • Instaurer une taxe carbone. • Lancer un grand plan national d’économie d’énergie dans les bâtiments et les transports. • Développer une politique d’éducation et de sensibilisation sur les enjeux et les éco-gestes. • Renforcer la recherche et le développement des énergies renouvelables. • Développer le féroutage et la motorisation mixte thermiqueélectrique. • Réduire de 10 km/h la vitesse sur les routes. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Hadj/Niko/Sipa/Superstock/Sipa/Hartmann/Sipa A ncien ministre de l’Environnement, Ségolène Royal choisit la voie de “l’excellence environnementale”. Nicolas Sarkozy préfère dénoncer les excès de l’écologie dressée en “idéologie totalitaire”. François Bayrou perçoit la crise écologique comme une “chan- dossier A llocations, prêts à taux zéro, aides à la formation… les jeunes n’ont pas été oubliés dans la campagne électorale. Relativement développé dans le programme de Ségolène Royal, le thème “jeunesse” est encore faiblement abordé dans celui de François Bayrou. résidences. • Créer une allocation d’autonomie pour les jeunes qui font des études et n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins. • Financer le permis de conduire pour les jeunes qui ont réussi leur CAP. • Créer des “bourses tremplins” pour les jeunes qui pourront aller jusqu’à 10 000 € pour les aider à créer leur première activité, leur premier projet de vie. • Offrir aux jeunes l’accès à un prêt gratuit de 10 000 €. Nicolas Sarkozy • Créer une allocation de formation pour les jeunes. • Créer un prêt à taux zéro pour les jeunes, garanti par l’Etat. François Bayrou • Rendre plus juste le système des bourses. • Améliorer la formation professionnelle de ceux qui quittent l’école. Crédits photo Ségolène Royal • Mise en place d’une carte santé jeune, pour que les 16-25 ans jeunes bénéficient de consultations médicales gratuites. • Promouvoir le logement étudiant avec un doublement du nombre des NUMÉRO 3 AVRIL 2007 L es candidats se sont finalement assez peu exprimés sur le sujet de la politique internationale. Ségolène Royal est visiblement plus à l’aise sur le volet social tandis que Nicolas Sarkozy s’était jusqu’à présent abstenu d’intervenir dans un domaine “réservé” au président de la République. Mais leurs sites complètent ces lacunes. Ségolène Royal • Lancer avec les partenaires européens une initiative pour une Conférence internationale de paix et de sécurité au Proche-Orient. • S’opposer à l’accès de l’Iran au nucléaire civil. • Etre à la pointe de la vigilance sur le non-respect des droits humains ou des droits de l’Homme en Chine. • Rétablir immédiatement les aides européennes aux Palestiniens. Nicolas Sarkozy • Assurer la sécurité de la France et des Français d’abord, de nos amis et alliés ensuite. • Promouvoir les droits de l’Homme en Chine et en Russie. • Créer une “Union méditerranéenne” sur le modèle de l’Union européenne. • Promouvoir les intérêts de la France aux plans économiques et commerciaux. • Relancer le processus de paix au Proche-Orient, dont l’objectif est la création d’un Etat palestinien indépendant et viable et le renforcement de la sécurité d’Israël, sans lequel le candidat ne fera pas de gestes politiques majeurs. François Bayrou • La France se doit de soutenir activement les opposants à toutes les tyrannies. • L’Iran pose une question grave aux démocraties qui ne peuvent accepter la prolifération nucléaire. LE COURRIER DE L’ATLAS 47 dossier Le hall de montage des satellites à l’usine Alcatel Alenia Space de Cannes La Bocca. PROGRAMMES Ségolène Royal, François Bayrou et Nicolas Sarkozy partagent la même ambition : faire retrouver à la France sa compétitivité. Pour y parvenir, leurs approches sont toutefois différentes. Entre propositions séduisantes et promesses intenables, comment s’y retrouver ? Trois économistes analysent les forces et les faiblesses des trois professions de foi. 48 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Ian Hanning/REA Pari impossible ? dossier “Trois analyses similaires, mais trois philosophies différentes.” Xavier Timbeau, directeur du département Analyse et prévision à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Sciences-po Paris. DR C es trois programmes économiques partent tous de la même analyse : il faut réformer la France. Leur philosophie est toutefois différente. Nicolas Sarkozy propose un programme libéral centré sur l’individu et la valorisation de son travail à travers le salaire. Il envisage de le faire par la réduction des charges fiscales et l’instauration d’heures supplémentaires. Toutefois, on ne suit pas très bien le mécanisme de cette dernière mesure. La question est de savoir si ces heures supplémentaires seront prises en compte au moment du calcul des charges sociales au niveau des droits associés. Seront-elles comptées pour le calcul des allocations chômage et retraite ? Si ce n’est pas le cas, cela revient à supprimer les exonérations de charges patronales et salariales du système de protection sociale. Dès lors, comment financer ces exonérations ? Si c’est par une augmentation du coût du travail, on baisse le coût des heures supplémentaires. Si on baisse le coût du travail de ces heures, cela ne sera pas un plus pour l’emploi. Cette mesure mérite d’être précisée au niveau des droits associés. Quant à l’abaissement du bouclier fiscal de 50 % et la possibilité d’une exonération fiscale de 95 % des personnes qui déclarent l’impôt sur la fortune (ISF), ils ne garantissent pas un retour des grandes fortunes. En fait, cette mesure suppose ni plus ni moins la suppression de l’impôt sur la fortune. Certes, cela permettra à Johnny Hallyday de revenir en France, mais cela ne générera en aucun cas croissance ou emploi. La recherche et l’innovation ne sont pas qu’une question d’argent François Bayrou pense que l’Etat ne peut pas grand-chose ; il vaut mieux garder l’équilibre en attendant de récupérer une marge de manœuvre pour agir. Son programme économique propose de s’attaquer à la dette financière qui s’élève à 22 milliards d’euros. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Il fixe en valeur la dépense publique et prévoit de réaliser de nombreuses économies. Dans la mesure où il ne prévoit pas de dépenses extraordinaires, c’est de l’ordre du réalisable. Cela dit, est-ce que ce sera suffisant pour faire repartir la croissance par la suite ? C’est la véritable question. En ce qui concerne la recherche, François Bayrou ne va pas plus loin que les autres candidats. Certes, il est bien de proposer d’augmenter le budget de la recherche et d’établir des incitations fiscales, mais la recherche et l’innovation ne sont pas qu’une question d’argent. Il faut répondre aux véritables interrogations : comment utiliser l’argent ? Faut-il davantage encourager l’autonomie de la recherche en créant des mini CNRS ou doit-on conserver une structure centralisée ? Il existe une grande contradiction dans le programme de François Bayrou : on ne peut proposer de supprimer les niches fiscales tout en exonérant les brevets déposés. Cela revient à créer une nouvelle niche. Ségolène Royal défend une approche plus collective basée sur une plus forte protection sociale pour faire face à la précarité et la mondialisation. Les 100 propositions de Ségolène Royal prévoient toutefois un alourdissement des dépenses, notamment au niveau de la santé. Son programme veut avant tout augmenter la protection sociale. La France a-t-elle besoin de remettre à plat son système de protection sociale déjà performant ? Faut-il offrir aux Français plus de protection sociale ? Est-ce une réponse aux salariés qui se sentent menacés par la précarité et la mondialisation ? Ce programme est ambitieux. S’il est réalisé, cela pourrait conduire à un “grand soir” de la protection sociale. Se pose toutefois la question du financement de ce programme par l’augmentation du coût du travail. “Le grand problème, c’est celui de la retraite.” Marc Touati, président de l’Association pour la connaissance et le dynamisme économiques (ACDE) et maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris. S égolène Royal et Nicolas Sarkozy partagent le même diagnostic : il faut changer le modèle français pour relancer la croissance. Toutes les propositions ne sont pas crédibles pour autant. Ségolène Royal propose d’augmenter les dépenses publiques alors qu’elles représentent déjà 54 % du PIB, un des niveaux les plus élevés du monde. Pour financer ces dépenses, elle compte augmenter certains prélèvements obligatoires, ce qui peut être dangereux, voire catastrophique à terme. Nicolas Sarkozy propose, lui, de baisser des impôts, ce qui est une bonne chose, mais à condition de ne pas augmenter les dépenses publiques. Or son programme n’offre pas de garanties d’optimisation des dépenses. C’est là où il pêche. L’application de son programme aboutirait également à une augmentation du déficit. Selon nos calculs, l’application des trois programmes devrait de toute manière aboutir à un creusement du déficit public pour 2008. De l’ordre de 4 % dans le cas de Ségolène Royal, de 3,5 % dans le cas de Nicolas Sarkozy et de François Bayrou. Dans les trois cas, c’est trop élevé. Pour relancer la croissance, il faut baisser les impôts sur les entreprises Les candidats sont passés à côté de réels problèmes, comme celui des retraites. La question du trou de la branche vieillesse de la Sécurité sociale va se poser d’ici cinq ans, alors qu’on n’a pas résorbé celui de la branche maladie. Si, d’ici 2010, des solutions ne sont pas trouvées pour les retraites, on court à la catastrophe. En effet, la loi Fillon, qui tablait sur un taux de chômage de 4,5 % d’ici 2010, ne pourra limiter le problème. De toute évidence, les candidats Royal et LE COURRIER DE L’ATLAS 49 dossier Sarkozy espèrent que la croissance va revenir pour financer le déficit public, mais tel ne sera malheureusement pas le cas. De son côté, François Bayrou ne propose pas de changements majeurs, tout juste de limiter le déficit public, partant du constat que la France n’a pas les moyens de mener des plans ambitieux. Ce n’est évidemment pas satisfaisant. La France a une des croissances économiques les plus faibles d’Europe. En 2005, elle était dixième sur douze. On ne peut pas rester là à ne rien faire. Pour relancer la croissance, il faut baisser les impôts sur les entreprises. L’entreprise est l’un des grands enjeux de cette élection. On doit permettre aux chefs des petites et moyennes entreprises d’embaucher plus facilement. Il n’est pas normal que, chaque année, 300 000 offres d’emploi ne soient pas satisfaites. Il serait nécessaire de baisser également les impôts des ménages les plus aisés comme des plus défavorisés, notamment pour soutenir la consommation. D’autre part, il faut réduire les dépenses publiques en modernisant l’Etat. Les dépenses de fonctionnement qui augmentent d’environ 10 milliards d’euros par an sont beaucoup trop élevées. Avant de parler d’Europe, trop peu présente dans les trois programmes économiques, il faut réformer le modèle français. Les Allemands ont accepté de le faire, ce qui leur permet aujourd’hui d’avoir une croissance qui repart. Pour l’heure, ces programmes sont trop empreints de dogmatisme et ne font pas assez de place au pragmatisme économique. Du côté de Ségolène Royal, cela se traduit par une volonté de taxer les riches et les entreprises. Du côté de Nicolas Sarkozy, on privilégie certes la volonté d’alléger la pression fiscale, mais il n’y a pas de profondes réformes de l’Etat en vue. “Les programmes sont surtout politiques. En matière économique, la cohérence n’est pas évidente.” économiste, membre du Conseil d’analyse économique (CAE), directeur de recherche au CNRS. L es programmes sont essentiellement politiques. En matière économique, la cohérence des propositions n’est pas évidente. Le programme de Nicolas Sarkozy est basé sur un pari ; en libérant le travail, on réussira à stimuler la croissance et on retrouvera des marges de manœuvre budgétaires. Le problème, c’est que Sarkozy fait comme si cette proposition était évidente et, à partir de là, distribue les dividendes d’une croissance à venir. Or si on se base sur le taux de croissance potentiel qui est de 2 %, on se rend compte que nombre de ces propositions ne sont pas tenables. On ne peut baisser l’impôt, accroître des dépenses, réduire la dette et augmenter le pouvoir d’achat. Nicolas Sarkozy part d’une idée juste : les Français travaillent un tiers de temps de moins que les Américains et la richesse par habitant est un tiers moindre. La tentation est donc grande d’allonger la durée du travail pour augmenter les revenus, mais les choses sont plus compliquées. Par exemple, toutes les expériences d’assouplissement des 35 heures ne marchent pas. Son idée phare qui 50 LE COURRIER DE L’ATLAS consiste à exonérer les heures supplémentaires de prélèvements fiscaux et sociaux risque donc d’être inutile et coûteuse. Cette mesure, au même titre que la suppression de l’impôt sur transmissions de patrimoine, ou l’augmentation de 50 % des crédits de la recherche, fait partie des dépenses nouvelles qui se chiffrent à plus de 50 milliards d’euros. La croissance par la confiance retrouvée Ségolène Royal fait le même pari politique, celui de la confiance retrouvée. C’est la méfiance qui mine le pays. Il faut rassurer les Français sur leur avenir et pour cela s’attaquer à l’emploi des jeunes. La confiance retrouvée libérera l’investissement, rendra possible la réforme et permettra le retour de la croissance. Contrairement à Nicolas Sarkozy, elle ne pense pas que le salut passe par plus de travail. Pour elle, en augmentant le salaire minimum et en améliorant les petites retraites, on parviendra à libérer un potentiel de croissance. Ces discours sont essentiellement politiques. En matière économique, la cohérence des propositions n’est pas évidente. Si l’on fait une projection sur cinq ans, on constate que l’Etat dispose d’une marge de manœuvre de 205 milliards d’euros. La moitié est dédiée aux dépenses publiques. Il subsiste donc 102 milliards, dont 80 vont aux dépenses de fonctionnement. Il ne reste plus que 22 milliards. Sachant que pour faire reculer la dette d’un point de PIB, il faut 8 milliards d’euros par an, en trois ans on aura épuisé les réserves sans avoir pu engager de politique nouvelle ! François Bayrou prévoit 22 milliards de dépenses nouvelles par an, mais compensées par les recettes. Il dit que son plan ne coûtera rien. Or, si l’on regarde de près son programme, on se rend compte que ce n’est pas sérieux. Sa grande mesure est de permettre aux entreprises de créer deux emplois nouveaux sans charges sociales : coût 4 milliards d’euros par an. En fait elle en coûtera vraisemblablement le double. Comment compte-t-il financer cette mesure ? En supprimant les aides versées aux entreprises… pour créer des emplois pour un montant de 9 milliards d’euros. En clair, ou bien cette mesure détruit des emplois ou elle les déplace. En réalité ce discours est avant tout symbolique et vise à lui donner l’image du candidat le plus sérieux sur le plan fiscal et budgétaire. Les trois candidats partagent le même diagnostic : la France rencontre un problème de compétitivité. Le commerce extérieur est en chute, le coût du travail chargé est élevé, la fiscalité est lourde. Les trois candidats pensent que pour que la France soit plus compétitive, il faut stimuler la croissance des entreprises. Mais aucun ne tire les conséquences de ce diagnostic. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Abraham/Neco/Sipa Elie Cohen, dossier Chirac, “l’ami des Arabes” PRINCIPAL opposant occidental à l’intervention américaine en Irak, soutien à Yasser Arafat… En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ces positions font percevoir le chef de l’Etat comme un allié. ABD Rabbo/Sipa D eux fois président, deux fois Premier ministre et dix-huit ans maire de Le président Paris… Jacques Chirac doit cette lonChirac accueille gévité à sa capacité de capter les attentes des Yasser Arafat Français et de rebondir après ses échecs. à l’Elysée, le En 1995 et 2002, il déjoue tous les pronos29 juillet 2000. tics en remportant deux victoires présidentielles qui le maintiendront douze ans à la tête de l’Etat dont cinq en cohabitation avec Lionel Jospin, l’obligeant, lui qui se réclame de De Gaulle, à s’éloigner des institutions de la Ve République. Ce qui lui vaudra, à lui, fondateur du RPR, des critiques pour ses revirements ou sa supposée absence de de l’Etat une tentative de ressusciter une convictions. Pour certains experts, chiragrandeur perdue. Il a durant des décennies quisme rime avant tout avec pragmatisme. tissé des liens solides avec des dirigeants du Aux idéologies qui lui répugnent, aussi bien monde arabe, témoin l’amitié qui le liait l’ultra-libéralisme que le communisme, il avec l’ancien Premier ministre libanais Rapréfère un système de valeurs. Le refus d’alfic Hariri, assassiné à Beyrouth. Il fut liance avec le Front national en 1998, le trad’ailleurs le seul chef d’Etat occidental à se vail de mémoire sur l’esclavage ou encore le rendre à ses obsèques. rôle de l’Etat français dans la déportation des Le Liban garde le souvenir de la visite offijuifs en sont les meilleures illustrations. cielle de Jacques Chirac en 1996, la preOn connaît sa passion pour le sumo et pour mière d’un président français. L’été dernier, la culture chinoise. L’Afrique n’est pas en c’est lui qui prit la direction de la force inreste. La salle de réunion qui jouxte le buternationale au Liban, lors de la guerre lanreau présidentiel est un véricée par Israël contre le Heztable musée miniature où bollah. Ses relations avec Des liens solides sont exposés des objets d’arts l’Egyptien Hosni Moubarak avec les dirigeants du monde arabe premiers. L’ouverture du sont excellentes. Idem pour Quai Branly l’an dernier en les dirigeants d’Arabie Saouest encore une preuve. dite, il bénéficie d’un solide réseau de relaDans les forums, Chirac plaide volontiers la tions avec les Emirats Arabes Unis… Et cause du continent noir et la nécessité de Abou Ammar ! Jacques Chirac a longuefaire plus dans la lutte contre la pauvreté et ment soutenu Yasser Arafat. D’autres situales pandémies comme le sida. Il s’y rend au tions donnent le ton de son septennat en moins une fois par an. “J’aime l’Afrique, ses matière internationale : l’esclandre qu’il fit territoires, ses peuples et ses cultures”, dit en à Jérusalem le 22 octobre 1996, face au février, lors du sommet de Cannes, celui comportement brutal de la police israélienqu’on surnomme parfois “Chirac l’Afrine. La même année, dans un discours, il cain”. Et pourquoi pas “Chirac l’Arabe” ? confirme la relance de la politique arabe et Deux journalistes, auteurs d’un livre qui lui méditerranéenne de la France. Quant au est consacré, ont opté pour “Chirac d’AraMaroc, il reste l’une de ses destinations fabie” et voient en la politique arabe du chef vorites en fin d’année ou l’été, à la Gazelle NUMÉRO 3 AVRIL 2007 d’Or à Taroudant. Sa Corrèze marocaine en somme ! Pendant un quart de siècle, il poursuivit des relations pleines d’estime avec Hassan II. Quant au roi Mohamed VI, son portrait figure dans les salons de l’Elysée. Mais sa présidence reste marquée par son opposition à l’intervention américaine en Irak en 2003 où il se dresse contre le géant américain à la tribune de l’ONU, tenant tête à l’administration Bush et boudant un temps le gouvernement de Tony Blair. Sur la scène européenne, son succès est plus mitigé. Il perd son pari lorsque les Français disent non au Traité constitutionnel. Lors du dernier sommet européen, Chirac plaide en faveur d’une Europe forte politiquement. En tirant sa révérence dimanche 11 mars 2007, il annonce aux Français qu’il ne briguera pas de troisième mandat. On s’y attendait mais… L’heure est au bilan et aux recommandations. Il exhorte ses compatriotes à refuser l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme et le rejet de l’autre. Une façon de mettre en garde contre un scénario similaire à celui du 21 avril 2002 et les dangers du Front national. Chirac promet de continuer à mener “les combats de toute [sa] vie, pour la justice, pour le progrès, pour la paix, pour la grandeur de la France”. Un programme qui n’a rien d’une retraite paisible. LE COURRIER DE L’ATLAS 51 dossier Ni Ségo, ni Sarko, la ban LA BANLIEUE vire au centre, qui l’eût cru ? Ainsi, c’est François Bayrou, ancien ministre d’Edouard Balladur, qui fait figure de provocateur. Le chef de l’UDF, catholique bon teint, est, semble-t-il le dernier à faire rêver les électeurs. G rand soleil ce matin. Les rues d’Epinay-sur-Seine paraissent, du coup, bien plus gaies : 50 000 habitants, taux de chômage 18 %, soit près du double de la moyenne nationale. Pas de quoi se réjouir quand on habite cette ville de SeineSaint-Denis. Le centre est fait de magasins délabrés et d’HLM miteux. En revanche, au “Point chaud” d’Epinay, on peut trouver la baguette la moins chère d’Ile-de-France : 55 cents d’euros, qui dit mieux ? Juste à côté, le cybercafé : 2 euros l’heure de connexion. Dans le 9-3 aussi on a le droit à la toile ! Enfin, le poumon vital de ce magnifique exemple d’architecture urbaine : le centre commercial. Celui d’Epinay est quasi indescriptible. A mi-chemin entre le bunker et la galerie commerciale rescapée de l’époque des soviets. En tout et pour tout, on y compte moins d’une dizaine de magasins à bas prix. C’est là que travaille Safia, 27 ans. Au- xiliaire de gériatrie dans une maison de retraite, elle avoue ce matin avoir toujours voté à gauche. Mais voilà, cette fois-ci, son cœur balance. D’un air de conspiratrice, elle chuchote presque : “Et si c’était François Bayrou !” Avant d’ajouter, ravie : “Il a une bonne bouille, vous ne trouvez pas ?” Des campagnes électorales, la jeune femme en a suivi plusieurs. Celle-là lui semble particulièrement terne. “Des promesses, juste des promesses, explique-t-elle. On se demande où sont les résultats.” Pour le moment, Safia savoure ses derniers instants de répit avant de prendre son service. Attablée à la terrasse d’un café, elle profite du soleil de cette matinée. Cette habitante d’un quartier sensible de Clichy-la-Garenne (92) soupire en pensant à la journée qui l’attend : 10 heures21 heures, des horaires difficilement compatibles avec la vie de famille. Mais ce n’est pas tant de sortir tard du travail qui l’an- 52 LE COURRIER DE L’ATLAS Chamussy/Sipa Bain de foule dans les rues de Saint-Denis le 13 mars 2007. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 dossier lieue vote… Bayrou ! goisse que la perspective de rentrer seule en de la France. Cet homme-là ferait raser sa hardy, le café où elle a ses habitudes, ses transports en commun. “A partir d’une cerbarbe au père Noël !”“Cependant, reconnaît amis sont marocains, algériens, portugais… taine heure, déplore-t-elle, on ne se sent plus Djoudi Dendoune, 20 ans, comédien et étuUn melting-pot. l’image de Saint-Denis, avec son maren sécurité en banlieue, surtout lorsqu’on est diant en théâtre, on aimerait bien voter pour ché antillais, ses mamas africaines et une femme.” Safia ajoute cependant : “Je Olivier Besancenot (LCR), mais à quoi ça serses boucheries hallal autour de la ban’irai quand même pas voter pour Nicolas virait puisqu’il n’a aucune chance ?” Djoudi silique où sont enterrés les rois de France. Sarkozy ! Ce nom me donne plutôt envie de déclare donc avoir bien du mal à se décider. Ce métissage, Christine l’apprécie. Même sortir le Kärcher.” Non, décidément, son faIl déplore la surmédiatisation de Ségolène si, pour elle, le problème reste l’insécurité. vori, pour l’instant, c’est François Bayrou. Royal et de Nicolas Sarkozy. “Quant à Fran“Après mon agression, au commissariat, raLe président de l’UDF lui çois Bayrou, explique cet habiconte-t-elle, ils ont refusé de se déplacer. Le semble franc et honnête. tant de la cité des Prévoyants, “De Villiers ? nom des Franc-Moisin suscite la crainte jusque “Quand on le voit à la télé, il a à Stains, ses discours sont intéIl est tellement ressants, mais l’homme reste de dans la police ! Pourtant, reconnaît-elle, nous une façon de parler, une honnêparlons des problèmes de la ville avec les élus. teté dans le regard, une convicdroite, il ne faut pas l’oublier.” obsédé par Ils viennent régulièrement à la rencontre de la tion qui me laissent penser qu’il Lucie, elle, envisage néanl’islamisme population.” De là à élargir ce comporteest le seul à même de faire boumoins de voter pour le présiqu’il ferait ment au niveau national... D’autant que, ger les choses.” Bref, Safia le dent de l’UDF. Tout en reconselon Christine, les programmes des canditrouve crédible. Même si elle naissant que Royal a une fibre raser sa barbe dats sont opaques. Cela dit, elle constate avoue ne pas du tout connaîplus sociale. De toute façon, au Père Noël.” tout de même une avancée par rapport à tre son parcours politique. s’indignent les trois amis, Foudel, étudiant 2002. “Que le FN ait éliminé les socialistes a “Mais bon, assène-t-elle avant aucun candidat ne connaît la été un électrochoc. Des gens qui pensaient que de saisir son sac, l’important banlieue. “Même Nicolas voter ne servait à rien se sont rendu compte de c’est de voter. Pour barrer la route à Sarko.” Et Sarkozy, qu’est-ce qu’il entend à nos quartiers ? l’importance de ce geste.” Cependant, elle la jeune femme d’ajouter, en secouant sa Il a déjà mangé un grec (sandwich) à midi ?”, avoue être dubitative. Et se prépare à lire longue chevelure rousse : “A tout prendre, je rigole Foudel qui ajoute, moqueur : “Il est attentivement les programmes de chacun. préférerais voir Le Pen arriver au pouvoir. Au quand même soutenu par Steevie (ex-lofteur), Surtout celui de François Bayrou. “Il est le moins, lui, il a toujours été cohérent. S’il deDoc Gynéco et Faudel. On peut dire qu’il est seul à sortir du lot, mais c’est vient président, on sait ce qui nous attend !” bien entouré !” Non, décidée n’est pas une campagne présidentielle, ment, l’actuel locataire de la “Qu’est-ce qu’il sans doute parce que c’est celui c’est la Star’Ac.” C’est Foudel, 22 ans, que je connais le moins.” Et ses place Beauvau n’est pas en entend à étudiant venu d’Aubervilliers (93), convictions de gauche ? La odeur de sainteté du côté de nos quartiers, qui tonne ainsi. Nous sommes face à l’unijeune femme éclate de rire : Saint-Denis ! versité Paris-8 de Saint-Denis, à quelques “Je ne vais quand même pas Le nom de Rachid Nekkaz, Sarkozy, il a encablures de la cité Stalingrad. Une marvoter pour Ségolène juste parce candidat indépendant, fuse déjà mangé un que c’est une femme. Elle prochande des quatre saisons attend le chaland alors. Sur les trois jeunes gens devant son étal. Le soleil a disparu, le temps met aides et allocations, mais présents, seul Foudel le grec à midi ?” s’est rafraîchi. Le petit groupe de jeunes elle devrait bien nous expliquer connaît. Il cite l’anecdote du Foudel, étudiant rassemblés près des abribus n’en a cure. En où elle va trouver l’argent !” parrainage vendu aux enchèquelques mots, Foudel décrit les candidats. “Bayrou est en train de devenir le troisième res par le maire d’une petite commune, et “On a la gentille Ségo, le sauveur Bayrou, homme, d’incarner le vote protestataire.” C’est que Nekkaz a déchiré sous l’œil des camél’anti-héros et, enfin, l’anti-évolution Sarko.” Mohamed, 45 ans, chauffeur de taxi, qui ras. Un geste que les jeunes semblent apLe jeune homme poursuit : “C’est le plus s’exprime ainsi. Pour cet habitant de Vitryprécier. “Mais ce n’est pas pour autant que je voterai pour lui”, tient à préciser Foudel. dangereux, il joue sur la paranoïa, l’insécurité, sur-Seine (94), le chef de l’UDF sert de ca“J’ai été agressée le 28 décembre, à 20 heures, et fait croire que les banlieues c’est le Bronx.” talyseur aux mécontentements, à droite en rentrant chez moi. On m’a jetée par terre et “Tout à fait”, opine sa camarade Lucie. La comme à gauche. “Dans ma cité, poursuit volé mon sac. C’étaient trois jeunes Maghréjeune fille habite une cité HLM du 19e arronMohamed, les jeunes ont vu Bayrou en bandissement de Paris. Sentencieuse, elle pourbins.” C’est Christine, 47 ans, qui raconte. lieue à la télé, et partout il était bien accueilli. suit : “Sarkozy veut appliquer le système améDepuis treize ans que cette gestionnaire de De plus, il s’oppose à Sarkozy, et ça c’est bien ricain en gardant les institutions françaises, ce stock habite la cité des Franc-Moisin, à perçu.” Quant à la gauche, que devient-elle ? qui est incompatible.” Quant à ceux que FouSaint-Denis, elle n’avait jamais eu de proLe chauffeur de taxi est catégorique : “Holdel appelle “les petits candidats”, ils ne troublèmes. Mais elle l’avoue, ce soir-là, elle, la lande n’aurait jamais dû laisser sa femme lui vent pas plus grâce à ses yeux. “Prenons de gauchiste convaincue, aurait voté Le Pen si passer devant. Ça ne fait pas sérieux !” Voilà Villiers, par exemple, plaisante à moitié le l’élection avait eu lieu le lendemain. Chrisen effet un argument dont les socialistes jeune homme. Il est obsédé par l’islamisation tine aime pourtant sa banlieue. Au Coq pourraient tenir compte, n’est-ce pas ! A C NUMÉRO 3 AVRIL 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 53 dossier Il s’appelle Rachid et a failli être candidat E tre candidat avec des idées anciennes ne sert à rien”, affirme Rachid Nekkaz, 35 ans, candidat à l’élection présidentielle. Né de parents algériens installés dans l’Hexagone dans les années 50, neuvième d’une famille de douze enfants, le petit candidat qui n’appartient à aucun parti a de beaux idéaux. “Mon épouse, originaire des États-Unis, me parle souvent du rêve américain ; je veux prouver qu’il existe un rêve français.” Ce rêve tel qu’il l’imagine ne se résume pas à atteindre le sommet de l’Etat. Rachid Nekkaz ne sort pas de nulle part. Si son père, mineur, était analphabète, il a, quant à lui, suivi de brillantes études d’histoire et de philo à la Sorbonne avant de fonder sa startup et de diriger deux entreprises florissantes. Sa réussite, il l’attribue surtout à son éducation : “Nous n’avions qu’une seule table pour manger et pour faire les devoirs, mais nos cher ceux qui ne font plus confiance à aucun parents nous demandaient de garder le silence des partis politiques. On compte en effet plus et de travailler, et c’est ce que nous faisions. d’abstentionnistes que d’électeurs des trois Enfin, j’ai toujours eu confiance en moi.” grandes tendances réunies ! Ma candidature Selon lui, c’est ce dont manquent les jeunes s’adresse surtout à ces 17 millions de personnes. de banlieue. “Ils veulent gagner de l’argent, Les Français se fichent que je m’appelle Ravite et sans effort. Ils vivent dans chid, Mamadou ou Marc, ce une société d’illusions. Il faut qu’ils veulent, c’est savoir si je “Les Français qu’ils apprennent à prendre des suis sincère, si j’ai quelque chose se fichent que risques, à mener leurs projets à à apporter et si je suis compéterme et à rebondir en cas tent. J’ai réussi à convaincre des je m’appelle d’échec. Il faut croire aux lendecentaines de maires français, et Mamadou, mains, dans tous les domaines, ce malgré mon prénom, je ne Marc ou Rachid. vois pas ce qui freinerait des celui de la présidentielle aussi.” L’objectif de Rachid Nekkaz millions de Français à voter La question est en effet de créer un moupour moi.” Il insiste : “Je suis n’est pas là.” vement dans la durée, et donc passé d’une cité du Val-de-Marde présenter des candidats ne à des entretiens avec les aux législatives puis aux municipales. “La grands du G7, c’est bien qu’il n’existe pas de présidentielle n’est qu’un point de départ.” Car freins ! Je refuse la victimisation et la stigmatiRachid Nekkaz a su séduire un nombre imsation dans laquelle se complaisent souvent les portant de Français, outre les maires qui Français d’origine maghrébine.” l’ont suivi dans l’aventure présidentielle. C’est au lendemain du 21 avril 2002 que Qui veut-il séduire ? “Je veux rassembler la naît l’engagement politique de Rachid Nekmasse des oubliés de la classe politique et toukaz. Il crée alors le Club des élus Allez 54 LE COURRIER DE L’ATLAS France pour défendre une proposition de loi sur l’inscription automatique sur les listes électorales. Fin 2005, la crise de banlieue le pousse à constituer le collectif Banlieue respect. C’est là qu’il décide de se présenter aux élections. Rachid Nekkaz se définit à la fois de droite et de gauche, à la fois militant associatif et chef d’entreprise, et nous détaille son surprenant programme : “J’ai séduit les maires de communes rurales, notamment parce que je propose un véritable statut des élus avec un salaire minimum – la plupart des maires sont retraités, travaillent beaucoup et ne perçoivent que 300 euros par mois. Trop de candidats leur demandent un soutien et n’ont même pas la décence de s’intéresser à leurs difficultés…” “Les partis politiques ne sont plus en prise avec la vraie vie, moi si. J’ai grandi dans une cité, je suis donc sensible aux problèmes du chômage, des discriminations et de l’inégalité sociale. Je propose de détruire toutes les cités de France car on ne peut pas les rénover. Je souhaite aussi mettre en place un registre des logements publics disponibles car les villages regorgent de logements inoccupés. Une autre de mes idées est le prêt emploi à taux zéro pour les 18-25 ans qui consiste à faire, en quarante ans, de tous les citoyens à la fois des salariés et des actionnaires. Le demandeur d’emploi sera harcelé par les entreprises pour qu’il vienne travailler chez elles et investir la somme de 15 000 euros qu’il aura pu emprunter à la banque à cette fin. Le salarié aura, en plus d’une valeur travail, une valeur capitale. Ce système permettrait de réduire le chômage de 50 % en trois ans ! Enfin, j’ai la fibre écolo, je suis le seul candidat à circuler avec une voiture qui fonctionne à 25 % à l’eau. Les écologistes parlent beaucoup et ne font rien. C’est le problème avec les gens qui se présentent : trop de discours et peu d’actes. Moi, je fais ce que je dis.” Le seul problème, c’est qu’encore une fois, il n’y aura pas de Rachid candidat à la présidentielle. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR PRÉSIDENTIELLE Il a fait 500 000 km pour collecter ses signatures, clamé qu’on pouvait devenir président en s’appelant Rachid… Il a vendu sa maison pour financer sa campagne. Et il est presque arrivé au but avec… 467 signatures. Rencontre avec un homme à suivre. dossier Rachida Dati à Créteil, cité des Tarterets. Najat VallaudBelakacem à Lyon en février dernier. LE VOTE COMMUNAUTAIRE Réalité électorale ou leurre stratégique ? E. Grégoire/Gamma - Fayolle/Sipa A ppartenance à un groupe minoritaire, rejet d’un groupe majoritaire et revendications spécifiques pour son groupe” : c’est la définition classique de la notion de communautarisme. Une notion qui revient abondamment dans le débat public depuis quelques années, comme une menace pesant sur la cohésion nationale qui repose sur le lien politique entre des citoyens égaux en droits et en devoirs. Pourtant, la crainte semble infondée puisque toutes les enquêtes sociologiques récentes le disent : seule une dérisoire minorité de Français dits “issus de l’immigration” se reconnaît dans cette définition du communautarisme et ces revendications particularistes liées aux origines ou aux pratiques culturelles et religieuses (4 %). D’où vient alors que les discours publics et les pratiques sociales accréditent l’idée d’une catégorisation de l’électorat en fonction des origines, des appartenances culturelles ou religieuses ? Les responsables politiques ne sont pas étrangers à cette situation, mais sans avoir tous adopté la même logique ni la même rhétorique pour désigner l’électorat “issu de l’immigration”, le capter et le fidéliser. Il y a une vingtaine d’années, on parlait plutôt d’électorat “maghrébin”, alors même que des associations comme France Plus revendiquaient leur attachement à une conception de l’intégration républicaine pure et dure au nom de ce qu’on appelait alors “le droit à l’indifférence”. Depuis, le glissement s’est opéré de la caractéristique ethnique “beure”, à la caractéristique sociale “enfant d’immigré”, et enfin à la caractéristique religieuse de “musulman”, surtout ces cinq NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Bien que le vote musulman, beur ou maghrébin ne corresponde à aucune réalité concrète, l’idée est présente dans les discours et les pratiques politiques. Analyse. dernières années. La création d’une institution censée représenter les musulmans de France, la nomination – plus que maladroite – d’un “préfet musulman”, le soutien à des associations comme le Conseil national français des musulmans laïcs ou le Cercle des démocrates musulmans : tout cela a conforté l’idée d’une manne électorale “musulmane”. Pourtant, au regard des enquêtes et des sondages récents, miser sur un “électorat musulman” risque d’être peu productif. En effet, parmi les Français issus de l’immigration maghrébine et africaine, qui représentaient 3 % du corps électoral en 2005, 59 % sont musulmans, soit presque comme le pourcentage de catholiques dans le reste de la société française. L’appartenance religieuse se délite avec le renouvellement des générations. Près de 75 % d’entre eux se disent proches d’un parti de la gauche, et près d’un sur deux proche du PS. Les propositions politiques adressées à cette partie de l’électorat ne semblent pas avoir été convaincan- tes : cela montre que s’adresser aux enfants de l’immigration au travers du seul critère religieux ne paie pas. D’ailleurs, la religion n’est pas ce qui compte le plus dans leur rapport à la nation, elle pèse moins dans la détermination du vote que l’aspect social classique. Hommes politiques et acteurs associatifs communautarisent donc l’électorat en faisant de certaines demandes sociales qui ne sont ni fortement exprimées ni centrales aux yeux des citoyens issus de l’immigration – d’abord préoccupés par l’emploi et la croissance – des enjeux électoraux majeurs. S’il existait un clivage politique déterminé par l’appartenance religieuse, les tentatives de constitution d’un parti musulman n’auraient pas échoué ! Aujourd’hui, le seul du genre à exister, le Parti des musulmans de France, est rejeté par une très grande majorité d’entre eux ! Enfin, même si le vote communautaire est un fantasme, il produit des effets sociaux puisque s’instaure un jeu de stratégies complémentaires entre des responsables politiques et des entrepreneurs communautaires rabatteurs de voix. Démarche et gestion clientélistes sont de mise : Abderrahmane Dahmane, secrétaire national chargé des relations avec les associations de Français issus de l’immigration à l’UMP, multiplie les réceptions place Beauvau : Africains, Maghrébins, Libanais, tous ont été reçus. Pourtant, Nicolas Sarkozy martelait au Congrès annuel de l’Union des organisations islamiques de France le 19 avril 2003 : “Il n’est pas admissible qu’en France un musulman soit considéré comme un citoyen différent.” Reste à ne pas l’oublier ! LE COURRIER DE L’ATLAS 55 dossier La présidentielle vue par ECLAIRAGE Quels sont les critères que la communauté franco-maghrébine doit prendre en compte pour voter lors de la prochaine élection présidentielle ? Réponses de trois personnalités qui comptent dans le rapprochement entre la France et le Maghreb. Abdelwahab Meddeb Écrivain et poète “Que ceux qui se sentent exclus et victimes sortent de cette exclusion et de cette victimisation.” 56 LE COURRIER DE L’ATLAS tolérables à la distance qui les en sépare. Or, jamais les hommes politiques qui ont gouverné la France, depuis 1945, ne s’en sont trouvés aussi loin. Mis à part Giscard, l’histoire de la Ve République a été marquée par l’empreinte de présidents lettrés. Or, d’évidence, Nicolas Sarkozy n’est pas nourri par la tradition textuelle qui initie l’esprit à une forme de sagesse que rien ne remplace. Par son discours du 14 janvier 2007, il a voulu donner le change. Ainsi a-t-il prononcé un discours parsemé de constellations littéraires qui n’a manifestement pas été composé par lui. Certes, nous savons que les hom- mes politiques s’attachent à d’autres plumes. Mais ce qui m’a amusé, c’est que ce discours a introduit des opérations intellectuelles et des procédures rhétoriques et poétiques qui ne correspondent pas au personnage. C’est cette inauthenticité qui m’a proprement irrité. Comment voulez-vous que nous croyions à cette créature qui, de toute façon, échappera au Pygmalion qui l’a sculptée ? Je dois vous avouer que, de manière générale, je suis consterné par la faiblesse intellectuelle de la campagne présidentielle. Le même néant se retrouve chez Ségolène Royal. C’est attristant. L’huma- NUMÉRO 3 AVRIL 2007 J.Foley/Opale P arler de communauté française d’origine maghrébine me gêne. Je pense qu’il ne faut pas encourager un vote communautaire maghrébin. Les Maghrébins de France sont très partagés et se retrouvent dans toutes les sensibilités politiques. D’ailleurs les porte-parole des deux principaux candidats, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, sont des femmes maghrébines : Rachida Dati et Najat Vallaud-Belkacem. La rivalité est donc portée par deux noms du Maghreb. Les Français d’origine maghrébine doivent assumer les droits que leur octroie la citoyenneté. Il faut parfaire leur adoption en jouant à fond la carte de la démocratie. Certains Français d’origine maghrébine sont souvent décrits comme timorés. Il faut que ceux qui se sentent exclus et victimes sortent de cette exclusion et de cette victimisation, et s’expriment par le bulletin de vote. J’appelle à ce que chacun vote selon ses convictions et sa sensibilité. Je n’exclus de ce choix que Sarkozy. Cet homme est proprement inauthentique. Il fait feu de tout bois. Il est capable de dire un jour une chose et le lendemain son contraire. Il incarne tout ce que je méprise, notamment cette envahissante non-culture diffusée par les supports audiovisuels, celle qui exhibe les ersatz que propose Disneyland. Avec lui, on s’éloigne de la sainteté de l’esprit, la seule à laquelle je crois. Non pas que les hommes politiques l’incarnent. Mais il y a des limites DR/Lydie/Sipa des artistes nisme a été aboli par l’arrogance des ignorants. Je ne retrouve plus cette grande culture française qui m’a incité à choisir ce pays. La France s’éclipse de la France. Au vu des candidats qui se proposent à notre choix, je doute que le futur président puisse exaucer mon vœu premier, celui de restaurer l’école républicaine dans sa splendeur. Car il faut bien avoir les moyens de revenir à l’exigence et de mettre fin à ces réformes qui rabaissent à force de vouloir s’adapter au siècle. J’entends dire qu’on est allé jusqu’à attribuer à l’école la vocation de l’éducation routière ! Il faut revenir à la chanson de geste, à Rabelais, Ronsard, Molière, Corneille, Diderot, Voltaire, à tous les grands noms de la littérature française auxquels j’ai été introduit à Tunis, dans une langue qui n’était pas la mienne. Ce sont de tels textes qui m’ont conduit à mener l’existence d’un homme libre. Sur le plan international, je ne distingue pas non plus de candidats capables de restaurer le rang européen dans le monde. Les soixante dernières années ont été marquées par une conjoncture exceptionnelle. Par un travail sur soi des plus constants, l’humanité européenne a acquis une forme d’exemplarité. Mais, hélas ! une conjoncture aussi favorable risque de nous échapper. Le politique ne nous a-t-il pas appris qu’il est capable du pire, à savoir l’évitement du possible et l’avènement de l’évitable ? Vis-à-vis du Maghreb, je demanderais au président de faire preuve d’une grande fermeté envers les régimes politiques qui ne respectent pas les principes universels qui éclairent la conscience moderne. D’autre part, je pense qu’il serait bon de renforcer la coopération entre nos pays, notamment par la langue que nous avons en partage. Il faut néanmoins surmonter le contentieux de la colonisation et n’en retenir que ce qui apporte le ferment d’une communauté à venir. Qui doute que finalement l’histoire nous a légué un patrimoine que nous avons le devoir de ne pas laisser périr afin qu’il nous engage vers un futur qui nous rassemble? NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Yamina Benguigui Réalisatrice, membre du Haut Conseil à l’intégration “Décloisonner une fois pour toutes ces territoires bannis” L a priorité, c’est une politique sociale pour l’égalité des chances. Aujourd’hui, il y a des territoires bannis en France. Ce n’est plus un tabou de le dire. Des Français d’origine maghrébine ou africaine vivent dans ces quartiers et ces banlieues. Même si on assiste à l’émergence d’une classe moyenne qui a fait des études, ils ne peuvent toujours pas s’intégrer vraiment car ils ont le sceau du territoire “d’outre-ville” comme tatoué sur leur front. Il faut donc voter pour l’homme ou la femme politique qui proposera de décloisonner une fois pour toutes ces territoires. La société française a changé et il faut l’accepter. Le futur président devra commencer par détacher cette communauté de son pays d’origine. Quand on pense à ceux qui sont nés en France depuis deux ou trois géné- Mehdi Qotbi Peintre, fondateur de Trait d’union Maroc-Europe “Nous devons être des acteurs et non plus des spectateurs.” L a communauté française d’origine maghrébine doit s’impliquer dans cette élection. C’est un devoir de voter afin de peser sur les décisions que rations, évitons de faire systématiquement référence à leur pays d’origine comme s’ils étaient toujours de passage. Il faut les considérer comme des Français à part entière ayant des problèmes. Ceux-ci sont souvent liés à leurs noms ou l’adresse de leur domicile, ce qui les empêche d’accéder à des stages, des emplois ou des logements. C’est un vrai frein à leur évolution. Tout comme un Corse, un Breton ou un Auvergnat, le pays d’origine de ces gens reste dans leur cœur comme un attachement culturel, mais leur quotidien est ici. Ceci n’a rien à voir avec la citoyenneté française. Fédérons avec la différence des sociétés. Il faut donc impérativement faire voter des lois et légiférer, surtout sur les racismes invisibles qui polluent cette société. Impliquons les entreprises avec des lois précises pour les inciter à embaucher ces gens qui sont des pépites de talents et de savoir dans ces banlieues bannies. Le mot “intégration” voudra vraiment enfin dire quelque chose !” prendront le président et son gouvernement. Nous devons être des acteurs et non plus des spectateurs. Les Français d’origine maghrébine doivent voter selon leurs convictions et leurs intérêts. De préférence pour le candidat qui s’intéresse à leur condition et répond à leurs préoccupations. Il faut que les membres de toutes les générations se sentent pleinement français. Nous ne voulons pas être considérés comme un groupe à part. J’attends du prochain président qu’il nous rassure sur ce point. La France est ce qu’elle est grâce à nos grands-parents qui ont versé le sang et à nos parents qui se sont impliqués pour construire la France d’aujourd’hui. Il serait bon que cela soit reconnu par un acte symbolique fort. Depuis plusieurs années, l’association Trait d’union Maroc-Europe souhaite créer une stèle du souvenir à Paris avec le nom de tous les Maghrébins et Africains morts pour la France. LE COURRIER DE L’ATLAS 57 parler LA DARIJA Crédits photo UNE LANGUE QUI DÉCHAÎNE LES 58 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 parler LANGUE Au Maroc, les publicitaires se sont emparés du dialecte (la darija). Les chanteurs, les romanciers, les journalistes et même les politiques les ont suivis. Certains s’inquiètent : que va devenir la langue du Coran ? Explications. par Ali Mekkhaz PASSIONS Crédits photo Hemis.fr/Christian Heeb Q NUMÉRO 2 MARS 2007 uand Wana (et moi ? en darija), le dernier opérateur télécoms arrivé sur le marché marocain, décide de baptiser son premier pack “Bayn” (clair ou transparent), Méditel, son concurrent direct, réplique en promettant qu’une “fourça jaya alkhwane” (approximativement : une occasion est à saisir, les gars). Maroc Telecom, l’opérateur historique, attend quant à lui quelques semaines avant de balancer “Sma3ni” (Ecoute-moi). Un clip réunissant trois grosses pointures de la nouvelle scène musicale, censé faire la promotion d’un nouveau service de communications à bas coût. Des rappeurs aux mots crus y côtoient une belle brune qui revisite un répertoire musical populaire, le tout sur fon◊ds RnB et en dialecte marocain. Une première ! “L’utilisation de la darija (dialecte marocain) dans les messages publicitaires est peut-être le seul terrain d’entente entre les opérateurs télécoms marocains. Mais il n’y a pas de mystère puisque tous veulent toucher le plus grand nombre de clients potentiels. Et puis n’oubliez pas qu’une accroche en darija est une nouveauté qui interpelle ou qui dérange, mais elle laisse rarement indifférent”, explique, sourire en coin, un créatif d’une grande agence de publicité à Casablanca. Depuis quelques mois, le débat autour de la place de la darija dans l’espace public fait rage dans les salons de la capitale ou sur quelques plateaux de télévision. “La langue du peuple” fait un retour fracassant qui déchaîne les passions. Alors que certains l’érigent en véritable langue nationale, d’autres y voient une menace pour “l’identité arabe et islamique du Maroc”. Rien que ça ! Lors d’une récente conférence de presse, Abbas El Fassi, secrétaire général du parti de l’Istiqlal (troisième force au parlement), ne s’est par exemple pas gêné pour affirmer qu’“il y a aujourd’hui un complot pour mettre à mal l’unité des peuples arabes, en encourageant chaque pays à utiliser son propre dialecte. Il y a même un budget spécial pour ce plan machiavélique”, a-t-il affirmé. Au cœur de la polémique : le passage (plus ou moins brutal) de la darija du statut de banal dia- lecte oral à celui de langue de création et d’écriture. Après les publicitaires et les rappeurs, de plus en plus de professionnels des médias exploitent ce précieux filon linguistique. “Certains Marocains ne comprennent pas 50 % de ce qui s’écrit dans les journaux ou de ce qui se dit à la télévision en arabe classique, c’est un fait. Pour toucher mon public, je me dois donc d’utiliser un discours compris par le plus grand nombre”, affirme Kamal Lahlou, président du groupe La Gazette (qui compte trois titres et quatre radios). L’homme parle en connaissance de cause. Dans les années 70, il a été l’un des tous premiers journalistes sportifs à commenter les matchs de football en dialecte marocain. Cela a fait de lui une star. “La recette est encore valable aujourd’hui. Un message est beaucoup plus fort en darija, plus intense ou plus subtil. L’usage du dialecte marocain renvoie à des codes culturels spécifiques qui parlent aux gens. Dire harrag est dix fois plus expressif que de dire émigré clandestin par exemple”, analyse Redouane Erramdani, journaliste à l’hebdomadaire Nichane, le premier à faire de l’usage du dialecte marocain un positionnement éditorial. ENTRE ARABE OFFICIEL ET FRANÇAIS Mais entre l’épopée médiatique de Kamal Lahlou et le récent retour en force de la darija dans les médias, beaucoup de choses ont changé. “Il y a d’abord eu cette arabisation de l’enseignement, puis des médias publics. Pendant des années, le Marocain lambda n’a été exposé, d’un côté, qu’à un arabe officiel stéréotypé, compliqué, et en partie inaccessible. De l’autre, il y avait le français, réservé à une élite et plutôt recommandé pour les transactions commerciales et financières. Son dialecte a longtemps été considéré comme une forme corrompue de l’arabe”, analyse un sociologue. Des générations entières de Marocains ont donc appris que l’arabe classique est la langue du Coran, de la littérature et de la politique. Une langue sérieuse et châtiée à l’opposé d’une darija “vulgaire et méprisable”. “D’ailleurs, explique un journaliste à la deuxième chaîne marocaine, quand vous LE COURRIER DE L’ATLAS 59 parler La darija, une langue maghrébine ? Quand Khaled chante Dour biha a chibani au cœur du quartier Sidi Bernoussi, à Casablanca, il ne peut pas s’empêcher de lâcher aux foules venues l’accueillir : “Ce genre de chanson, nous sommes les seuls Arabes à pouvoir en décoder les paroles mes amis.” Déjà conquis par la fougue et la fraîcheur de la star algérienne, le public marocain est définitivement sous le charme. Remplacez Khaled par Abdelhadi Belkhayt ou Latifa Raafat, mettez-les en Algérie, et vous aurez des réactions à peu près identiques. En plus du talent, Khaled, Belkhayat et Raafat ont en commun un profond attachement à un dialecte local qu’ils manient avec maestria et qui fédère au-delà des frontières, qu’elles soient fermées ou jalousement gardées. Quoique légèrement différent, le dialecte tunisien reste, lui aussi, largement accessible à la majorité des Marocains et des Algériens. Bizarrement, c’est dans ces trois pays que la question de la reconnaissance du dialecte local se pose avec insistance. tendez un micro à un M. Tout le monde, il aura toujours tendance à répéter maladroitement des phrases toutes faites en arabe classique, mais qui ne veulent rien dire au lieu de s’exprimer simplement en darija parce que, dans sa tête, le dialecte ne passe pas à la télévision.” UNE LANGUE VIVANTE Dans l’ombre, pourtant, ce même dialecte a poursuivi son évolution “naturelle”. De nouveaux mots et de nouvelles expressions se sont créés au fil des années. Le dialecte s’est adapté aux différentes générations qui l’ont manié. Au milieu des années 90, quelques groupes de rap tentent même pour la première fois des compositions en marocain. Mais, faute d’accompagnement, l’expérience reste sans lendemain. Les “darijophones” ne baissent pas les bras pour autant. Des chroniqueurs de renom continuent d’intégrer des expressions du quotidien dans leurs billets. Abderrafie Jouahri à Al Ittihad Al Ichtiraki puis Rachid Nini à Assabah doivent en partie leur notoriété à l’usage du dialecte marocain dans leurs écrits. Plus tard, l’apparition (massive) des nouvelles technologies de l’information n’a pas détrôné la darija pour autant. Des millions de SMS sont chaque jour libellés en arabe dialectal. Et quand la graphie latine peine à transcrire certaines lettres comme le qaf ou le ha, on remplace cela par un 9 ou un 7. “La darija a toujours été LA langue de communication des Marocains, c’est une évidence. Aujourd’hui, son usage dans les domaines de la création provoque un tollé parce qu’il s’accompagne d’une question centrale mais qu’on ne pouvait pas poser avant: qui sommes-nous ? Nous sommes quand même l’un des rares pays où on ne comprend pas son hymne national”, explique Réda Allali, vocaliste de Hoba Hoba Spirit, un groupe de fusion qui en est déjà à son troisième al- 60 LE COURRIER DE L’ATLAS bum. Identité, le mot est lâché. Dans l’esprit de plusieurs puristes de l’arabe classique, toucher à la darija, c’est justement toucher à la langue de la révélation coranique et à ce mythe de l’unité arabe. C’est secouer plusieurs tabous à la fois et reconnaître, de fait, les différentes influences qui forgent l’identité plurielle des Marocains. “Un mot comme Koumir (baguette de pain) viendrait du mot espagnol comer (manger), bellarej (la cigogne) vient de l’appellation grecque pellagros, alors que des mots comme saroute (clé) et lalla (madame ou maîtresse) sont des mots 100 % berbères”, démontre un linguiste à la faculté de lettres de Rabat. Pour les puristes, l’enjeu est donc de taille. Il y va, selon eux, de l’unité de la Oumma et de l’un de ses plus forts repères identitaires. Partout où ils sont invités pour en débattre, ils remettent sur la table les mêmes arguments. Pêle-mêle, ils soutiennent que l’arabe n’est pas une langue parce qu’il n’est pas codifié et qu’il ne s’écrit pas, que c’est une langue “zankauouia” (langue de rue) et qui ne sied par conséquent pas à la création. La darija est-elle une langue ? Une tentative de réponse nous vient de l’historien Pierre Vermeren : “Le français et l’espagnol sont des langues à part entières qui se sont détachées du latin au fil des siècles. Pourquoi, dans ce cas, ne pas penser que le dialecte marocain ou algérien finisse lui aussi par dériver de l’arabe pour constituer un jour une langue à part entière ?” Le débat est ouvert. La darija ne s’écrit pas ? “Faux, répond Dominique Caubet, professeur d’arabe maghrébin à l’Inalco, la darija s’est écrite à chaque fois que le besoin de l’écrire s’est exprimé.” D’ailleurs, le musée du judaïsme marocain à Casablanca conserve des écrits datant du dixième siècle où le dialecte marocain de l’époque est rédigé… en hébreux. Et puis, poursuit Dominique Caubet, “il est injuste de taxer le dialecte d’être la langue de la rue. Comme dans toutes les langues, il y a deux niveaux : le quotidien et le littéraire, le familier et le soutenu.” Sinon, comment expliquer des siècles de malhoun et de zajal et un patrimoine oral (proverbes, contes, etc.) d’une rare finesse linguistique ? Soit, répondront quand même les puristes de l’arabe classique. Comment expliquez-vous dans ce cas que les défenseurs du dialecte marocain soient presque tous francophones quand ils ne sont pas français ou américains ? “Ils Littérature Choukri, le Mahfouz marocain En écrivant Le pain nu vers la fin des années 70, Mohammed Choukri s’en prend violemment à plusieurs tabous. Son texte est l’une des toutes premières autobiographies marocaines. L’enfant terrible de Tanger y raconte son enfance, ses misères et ses “amours”. Le verbe est cru, presque blasphématoire puisque Choukri n’hésite pas à décrire, en détail, ses ébats amoureux dans la langue du Coran. Puis quand la scène devient plus forte, limite surréelle, le Rifain pure souche puise dans une darija urbaine et dépouillée pour dresser un tableau sombre et sans concessions des bas-fonds tangérois. Seul Naguib Mahfouz avait, à l’époque, transgressé le tabou de l’arabe classique, suivi par quelques timides tentatives en Tunisie. Après Choukri, il y a eu Mohamed Berrada, auteur d’un authentique roman 100 % marocain, Le jeu de l’oubli. Passant allègrement d’un arabe littéraire à une subtile darija fassie, l’œuvre de Berrada a même fini par intégrer les manuels scolaires de quelques classes littéraires. Aujourd’hui, de plus en plus d’écrivains s’essayent à la darija, et pas seulement les arabophones. En 2005, Youssouf Amine Elalam, auteur d’Un Marocain à New York et de Paris mon bled, signe un roman entièrement en darija : Tqrqi nab (papotage), reprise de son dernier ouvrage, Miniatures. Lors de la dernière édition du salon du livre de Tanger, un prix littéraire a même été créé pour récompenser “la meilleure œuvre en prose rédigée en darija”. NUMÉRO 2 MARS 2007 parler Après des décennies de journaux en arabe classique (ici, Al Alam), apparaissent des titres en arabe dialectal. SIPA/Blondin n’ont pas tout à fait tort, reconnaît Redouane Erramdani, pourtant arabophone accompli et “darijophone” convaincu. Un Français ou un francophone ne subit pas la sacralité excessive de la langue arabe classique. Il aura donc moins de mal à transgresser le tabou et à questionner la langue d’une manière objective ou académique.” DARIJA, LANGUE D’ETAT ? Fait notable cependant, malgré les attaques des uns et des autres, la darija gagne du terrain là où s’y attendrait le moins : dans les appareils de l’Etat et chez quelques politiciens. Au lendemain des attentats terroristes du 16 mai, quand l’Etat annonce sa volonté de réformer le champ religieux, il commence par prendre deux mesures très significatives : la création d’une chaîne de télévision qui parle simplement de la religion (Assadissa) et la programmation de cessions de “recyclage” pour les imams des différentes mosquées du royaume. Lors d’une de ces toutes premières sessions de formation continue, Ahmed Abbadi, alors directeur des affaires islamiques au ministère des Habous (du culte), tient un discours qui méduse l’assistance composée d’imams plus ou moins jeunes et de grands oulémas. “Sortez, parlez avec les gens, comprenez leurs douleurs, leurs bonheurs et ce qui les fait vibrer, tonne le professeur Abbadi. Sachez que Knive veut dire couteau, naika renvoie à balafre et scoud veut dire joint ou pétard. Chers frères et sœurs, si vous n’arrivez pas à comprendre ce langage, c’est que vous êtes NUMÉRO 3 AVRIL 2007 out, c’est-à-dire complètement déconnectés de dans le cadre d’un programme américain la réalité.” Les politiciens ont également fini de lutte contre l’analphabétisme. “Passer par par comprendre l’astuce. “Ils sont d’ailleurs la darija permet d’apprendre à décoder les letde plus en plus nombreux à s’exprimer dans tres en évitant, dans un premier temps, des un arabe plus accessible, truffé d’expressions du obstacles tels que le vocabulaire, la grammaire terroir quand ils veulent passer un message ou le chakl (la vocalisation), explique une électoral. Mais l’arabe classique reste pour eux responsable du programme américain, un excellent moyen pour fuir les débats qui les mené conjointement avec le secrétariat dérangent. Ils en ont fait une formidable land’Etat chargé de la lutte contre l’analphabégue de bois”, ironise cet académicien casatisme. blancais qui poursuit : “Mehdi Ben Barka a Langue ou dialecte, littéraire ou familière, été un grand orateur parce qu’il adaptait son la darija finit donc par s’imposer, du fait langage à ses interlocuteurs. Une analyse des même de sa simplicité et de son efficacité. discours de Hassan II montre également qu’au Mais de nouvelles questions se posent avec lendemain de chaque tension sociale et de chainsistance : jusqu’où pourra-t-elle aller, que crise, le roi s’adressait à son peuple en cette “langue” ? Y a-t-il, par exemple, un darija. En temps normal, il se permettait d’utijuste milieu entre la darija crue et métissée liser un arabe châtié qu’il maîtrisait parfaitedes rappeurs, le dialecte soigné des publiciment.” Du coup, sans en faire une revendicaAU LENDEMAIN DE CHAQUE TENSION SOCIALE tion identitaire (comET DE CHAQUE CRISE, LE ROI DU MAROC me pour l’amazigh), S’ADRESSE À SON PEUPLE EN DARIJA. les défenseurs de la darija voient plus grand. Et si on intégrait le dialecte marocain à taires et la darija tantôt sensationnelle tantôt l’école ? Lorsqu’il découvre l’arabe classiinformative des journaux ? Sans oublier que, un enfant se retrouve face à une lancette problématique majeure du parler mague étrangère. Il ne comprend pas comrocain : la difficulté de déchiffrer un texte ment une namoussia devient un sariroune et entièrement écrit en darija. Nous n’avons pourquoi un sarout se dit miftah dans cet pas encore été habitués à visualiser puis à lire arabe si spécial. Selon des spécialistes de le dialecte, c’est tout. Presque tout le monde l’éducation, “accompagner l’apprentissage de s’accorde à considérer que c’est une langue, l’arabe classique par ce que les enfants savent mais il existe encore de grandes divergences déjà en dialecte nous ferait gagner deux ou quant à sa retranscription.”, explique Retrois ans. Cela se fait déjà dans les régions berdouane Erramdani. Il faut laisser le temps bérophones”. L’expérience a déjà été tentée au temps, estime-t-il. Et si c’était vrai ? Langue ou dialecte ? Le précédent amazigh A l’occasion de chaque match disputé par le Hassani d’Agadir (club de foot de la capitale du souss), il est désormais normal de voir des banderoles d’encouragement en tifinagh flotter ici et là dans le stade. Pareil pour les correspondances de l’Ircam (Institut royal de la culture amazigh) dont l’en-tête est rédigé en arabe, en français et en tifingh. Le tamazight revient de loin. Plus ou moins banni dans les années 70 et 80, le parler berbère fait une timide entrée dans les médias publics à travers le Journal des dialectes ou Nachrat allahajat, vers la fin des années 90. Aujourd’hui, le tamazight est considéré comme une langue à part entière. Il y a quelques années, quand les défenseurs de la cause amazigh revendiquaient la transcription de leur langue en tifinagh, les adeptes du caractère arabe se rebiffaient. Atteinte à la langue sacrée du Coran, complot contre l’unité marocaine… les mots utilisés à l’époque rappellent à s’y méprendre ceux que certains emploient encore aujourd’hui pour reléguer définitivement la darija en dialecte de seconde zone. Le tamazight a pourtant résisté, grâce à une ferme décision politique de reconnaître officiellement cette composante de l’identité marocaine. Aujourd’hui, les premières classes d’amazigh ont vu le jour, et une télé berbère serait en cours de constitution. LE COURRIER DE L’ATLAS 61 la banlieue, dernière muse des créateurs français. la mode comme réinterprétation de la rue. stylisme Les nouveaux créateurs ne s’appellent plus Yves ou Jean-Paul, mais Hedi ou Salouha. Le Carrousel du Louvre, ils s’en foutent. Ils investissent la rue par l’intermédiaire des stars. Leur nouveau credo, ce n’est pas le luxe, c’est le culot. Street défilé. par Anne Deguy 62 LE COURRIER DE L’ATLAS NUmÉRO 3 AVRIL 2007 Flore Aîl-Suru/Tendance floue Mode : la banlieue prend sa revanche mode L DR a fourrure ? Nicole Kidman ? Hedi Slimane ? Non, la star de la dernière fashion week parisienne n’était pas ces habituels, mais la… cagoule. Celle-là même qu’arborent depuis dix ans les jeunes hommes et filles des banlieues françaises. En ce mois de février, c’était bien les top modèles d’Yves Saint Laurent, Chanel, Jean-Paul Gaultier, Paule Ka… qui défilaient toutes chiquement capuchonnées. Ce que n’ont pas manqué de remarquer les reporters de mode en titrant, quasi tous, leur article d’un “Fous ta cagoule” (1). Clin d’œil au tube de Fatal Bazooka, du printemps dernier. Alors, la banlieue, la dernière muse de nos grands créateurs français ? Oui… mais là, rien de nouveau sous le soleil. La rue est depuis la nuit des temps l’inspiratrice des stylistes. “La mode c’est la réinterprétation de la rue. Sa sublimation”, explique tout simplement Christine Walter-Bonini, directrice de la prestigieuse école de mode Esmod. Laurent Cotta, du Musée de la mode à Paris, fait remonter cette sublimation au XVIIIe siècle, où l’aristocratie britannique a abandonné paillettes et fanfreluches pour aller visiter plus aisément ses terres et usines. “Elle s’est revêtue d’habits plus adaptés à ce type d’activité. Elle a alors adopté la couleur noire, s’est mise à porter des vestes…” Laurent Cotta rappelle, plus proches de nous, les Zoot Suiters américains avec leurs vestes ultra-épaulées, leurs chapeaux extra-larges, ces jambières de pantalon surdimensionnées… (comme dans le film Mask). Arboré par les Latinos et les blacks de Los Angeles et de New York dans les années 30, ce look est repris au début des années 40 par les élégants Américains des beaux quartiers. “Il fut cependant vite abandonné à cause de la guerre. C’était en effet le temps des restrictions, aussi porter tout ce trop-plein de tissus, même chez la population aisée, aurait-il été mal vu.” POUR RENIFLER L’AIR DU TEMPS... Laurent Cotta raconte également les années 20 où les grands bourgeois s’habillaient aussi décontractés que les gens de la rue pour aller écouter les concerts de jazz. Dans les années 50, le chic du chic était d’arpenter les cocktails dans des pantalons non repassés et des sweat-shirts de coton fatigués. “Un style qui, quelques décennies plus tard, deviendra la signature artistique de Gap, constate en souriant Laurent Cotta. Evidemment, il n’y a rien chez Gap de transgressif. Contrairement à un très chic Balenciaga qui s’inspire, lui, dans des NUmÉRO 3 AVRIL 2007 pages de mode du rap, ou encore à un très classique Lacoste qui n’hésite pas présenter ses polos en taille extra large façon hip-hop et à avoir ‘argenté’ son croco pour séduire la génération bling-bling” (voir encadré page 65). Pour la créatrice Sakina M’sa, originaire de Bagnolet, qui a fait défiler au cours de la dernière fashion week des mannequins professionnels en plus de cinq femmes de la rue, la banlieue est de toute évidence une des principales sources d’inspiration de l’univers de la mode. “Un grand nombre de ‘tendanceurs’ vont dans ces quartiers pour renifler l’air du temps afin de chasser les grands mouvements que l’on retrouve la saison suivante dans les boutiques branchées de toutes les grandes villes.” Défilé de la styliste sakina m’sa pendant la dernière Fashion week avec des mannequins de la rue. Saliha Achourane habille les vraies filles “Vous devriez changer de nom. Dans ce milieu, le vôtre est trop dur à porter, m’a dit un jour une journaliste mode d’un grand quotidien français * alors que je l’invitais à mon défilé.” saliha Achourane, 30 ans et créatrice de mode depuis sept ans, n’en revient évidemment toujours pas de s’être entendu prodiguer un tel conseil. “ J’aurais préféré que la journaliste me dise franchement que mes créations ne sont pas intéressantes, plutôt que d’accuser mes origines d’être une entrave à mon succès.” et de se désoler d’une façon plus générale : “si dans la presse on parle toujours des mêmes créateurs, c’est parce que ces derniers ne cessent d’inviter les rédacteurs à déjeuner, à dîner et qu’ils les couvrent de cadeaux. moi, je n’en ai pas les moyens. Je sais donc par avance que je vais avoir du mal à les attirer.” Heureusement, la dynamique saliha n’a jamais baissé les bras : connue donc des seuls initiés, la maison saliha Achourane défilait à Paris le 26 mars. Après avoir déjà “pris” les années précédentes la Villette, la Grande mosquée, le Cabaret sauvage…, la jeune femme attaquait le mois dernier le très beau théâtre de l’Atelier, dans le 18e arrondissement, sur le thème de “montmartre est à nous”. si cette fois-ci ses créations étaient toutes accessoirisées de boutons des années 1925 – 1930 (chinés à montmartre, quartier du bouton…), les mannequins étaient, elles, remarquables à la fois pour leur élégance et par le fait que les filles, sur le podium ce jour-là, n’étaient pas des professionnelles. “Je fais du casting de rue à la fois pour des raisons financières et pour coller à la réalité : les vraies femmes ne font pas 1,76 mètre et 36 de taille… mes clientes apprécient cet état d’esprit.” si le rêve de saliha est d’avoir une adresse à Paris, la styliste reste néanmoins très surprise du succès que remporte sa boutique de saint-Ouen (93). Non loin d’une librairie et d’un centre basque (!), avec sa large vitrine derrière laquelle saliha a installé des robes de couleurs, des mini-mannequins de bois habillés de tissus brillants, des bérets, des bijoux… “les accords de Cristal” a été primée la plus belle boutique de seine-saintDenis. “les gens sont étonnés de voir ici un espace avec un tel cachet”, avoue-t-elle toute fière de son exploit. C’est par pur hasard que saliha tombe dans la mode. en 2000, alors installée à Chicago, la jeune fille, assise à la terrasse d’un café, est en train de dessiner la robe de sa grandmère kabyle. “Je venais de sortir d’une exposition où j’avais été surprise par un bijou du XiXe siècle kabyle, du style de ceux que portait la mère de mon père. instinctivement, j’ai repris sur le papier ce vêtement. Un réalisateur de film, à une table à côté, a remarqué mes croquis. Quelques instants plus tard, il me proposait de créer les costumes de son film.” De retour à Paris, saliha décide de se lancer dans la confection de bijoux, jusqu’à ce que, véritablement touchée par le prêt-à-porter, elle dessine ses propres collections. “Je ne lis aucun magazine de mode – qui ne s’intéressent pas aux jeunes créateurs – car c’est très limité. Je suis également totalement déconnectée de ce qui se fait chez mango, H&m… Je m’inspire du XiXe siècle, des années 30, de l’histoire de mes origines. D’où ces drapés et fibules que je retravaille façon occidentale et XXie siècle… Ça a un succès fou.” Un succès qui sied bien au nom de saliha Choubira. A.D. * la journaliste a-t-elle prodigué ce conseil, un jour, à un certain Hedi slimane ? LE COURRIER DE L’ATLAS 63 mode mode de la rue qui consistait à remonter une jambière d’un pantalon. Selon la styliste, pour qui Bagnolet est le centre du monde, la banlieue est une muse car elle vit dans l’authenticité : “Elle n’a rien à perdre. D’où cette débrouillardise qui a donné naissance à une inventivité extrême.” Inventivité extrême qui a été reprise jusqu’au Japon où, dans le quartier tokyoïte très chic de Gynsa, toutes les fashion victims portent des casquettes. “Comme chez les ouvriers de 1936”, note en souriant Sakina. C’est cette débrouillardise banlieusarde qui, d’après elle, Flore Aîl-Suru Défilé Jean-Paul Gaultier, collection automne-hiver 2007-2008. a fait pousser la basket aux pieds des stars de la télé et du cinéma dans les années 80 : “Historiquement, c’était les quartiers Nord de Marseille qui portaient ce type de chaussures. Alors quand, il y a vingt ans, elles se sont retrouvées portées par des célébrités… Là, la banlieue s’est dit : on a gagné.” Si d’un côté le hip-hop, le rap et l’univers du graf ont donné naissance à un style de vêtements, le sport, avec ses stars vénérées par les jeunes de banlieue, est lui aussi un déclencheur de tendance pour une grande flopée de créateurs. C’est donc au son sonnant et trébuchant des revenus qu’ont engendrés des marques comme Nike et Adidas que des Stella McCartney, Gucci, Castelbajac, Chanel, Vuitton, Dior… – cette dernière allant jusqu’à styliser des snowboards – se mirent tous à dessiner des collections de sport portées par les Madonna et consorts. Les griffes de luxe des belles avenues parisiennes ont ainsi très bien compris où se nichaient leurs nouveaux aficionados, plus connus sous le nom de bling-bling (voir encadré ci-contre). “L’argent n’appartient plus aujourd’hui à une élite à la Agnelli et Aga Khan…, explique Marie Chauveaux, de l’agence de tendance Mafia (2). Il est désormais dans les poches des stars de foot, des MC Solar, Puff Daddy, Beyoncé, Debbouze qui portent très à l’aise fourrures et diamants.” Vuitton, Dior & Cie n’ayant plus qu’à s’adapter à cette nouvelle population argentée. Et d’aller même jusqu’à se donner comme égérie, chez Dior, une très sexuelle Jennifer Lopez… “Aujourd’hui, on a affaire à une génération de mode et d’apparence qui n’existait pas auparavant, remarque Christine Walter-Bonini. On voit ainsi des tas de marques portées dans les banlieues. C’est un style qui arrive tout d’abord par la musique et ensuite avec les people. Cela crée des vagues et se répercute à très grande vitesse.” Avec parfois des effets non désirés : “La très chic marque britannique Burberry ne veut plus se voir portée par les filles du 9-3, raconte Laurent Cotta. La marque réfléchirait donc à un moyen très discret d’apposer sur ses créations son si célèbre motif écossais. Avec comme objectif qu’elle n’attire plus ce type d’adeptes des logos.” De l’art de se débarrasser de ses aficionados… (1) D’après le vendeur de la boutique Distinct, dans le 1er arrondissement parisien, si les jeunes de banlieue portent tous une cagoule, “c’est qu’il pleut tout le temps dans ces quartiers. Et vous ne nous voyez tout de même pas en train de porter des parapluies ?” ! (2) Magazine Marie France, juin 2004. 64 LE COURRIER DE L’ATLAS NUmÉRO 3 AVRIL 2007 Abaca Et la créatrice d’illustrer ce propos par l’exemple du pantalon baggy qui, dans les années 90, a envahi les magazines de mode, recouvert les jambes des populations de la planète, pénétré les espaces les plus en vue : “Ce vêtement extra large porté par tous les jeunes du monde est à la base un hommage au prisonnier à qui le port de la ceinture est interdit. Les jeunes mecs n’ont eu qu’à reprendre ce style, qui voulait dire à leurs yeux être un dur.” Ce prisonnier était évidemment, au départ, américain. Sakina signale aussi Calvin Klein qui n’a pas hésité à travailler cette mode Forum des Halles : RlKi, fashion-fashion et bling-bling Casquette, pantalon large, t-shirt moulant, ceinture argentée, logo, blouson de cuir… le samedi, le Forum des Halles est à lui seul un véritable défilé de mode. D’après les fashion victims que sont nos guides improvisés pour la journée, les jeunes Karim, mohammed, mamadou, Arnold… – ils se baladent dans le quartier avec pour objectif de faire du shopping et draguer –, il y a ici trois looks, tous nés dans la banlieue. en plus du très classique street wear, la planète fringue mâle serait donc partagée entre R1Ki, fashionfashion, bling-bling. le R1Ki (verlan de ricain pour américain) porte des pantalons (que l’on appelle des bas) et des polos XXXl, il marche en baskets et coiffe son crâne d’une casquette. le K1Ri a emprunté ce style au monde du rap et du hiphop américain, tout spécialement aux rappeurs 50 cents et P. Diddy. si les vêtements sont portés aussi large en France, c’est qu’ils ont repris la taille des “Ricains”, naturellement beaucoup plus costauds et plus grands que les européens. transposés sur un Français, cela donne une apparence extra surdimensionnée… Pour Arnold, 22 ans, l’un de nos guides lors de cette visite mode aux Halles, le K1ri est plutôt black car c’est une mode dérivée des Noirs du rap américain. le fashion-fashion est lui un street wear très Armani, souligne Karim… C’est-à-dire élégant. ses “bas” sont serrés. le garçon de cette catégorie – surnommé par certains fashion-voyou – porte des marques en petites touches mais visibles, une ceinture Dolce Gabbana, une minisacoche louis Vuitton, une casquette Gucci… C’est généralement de la contrefaçon. selon Arnold, le fashionfashion est plus européen (comprendre qu’il n’est pas black), et très jet-set. C’est une dérive de la starification des footballeurs et des Jamel Debbouze. s’il affiche des logos, le fashion-fashion n’entre pas néanmoins dans la catégorie des bling-bling…, ces derniers étant très portés sur les marques (pas de la contrefaçon) qui font du bruit. D’où la nomination bling-bling qui rappelle tous ces bijoux qu’ils arborent. si quasi tous portent la casquette – quelle que soit la catégorie de modeux à laquelle ils appartiennent –, quelquesuns arborent aussi le du-rag. Une espèce de filet qui recouvre les cheveux. D’après Arnold, 22 ans, élève dans une école de cinéma, ce fichu est apparu dans les années 90, aux etats-Unis. Certains garçons qui voulaient maintenir leur coiffure très stylisée dormaient avec ce tissu sur leur crâne. “et comme les Ricains sont très street, ils ne l’enlevaient pas la journée.” manquait plus que les clips les affichent pour qu’aussitôt la rue l’adopte… A. D. DR Il était une fois Benmaz by H “On est peut-être de la banlieue, mais on est français, donc on bénéficie de la noblesse française”, commente slimane pour expliquer ces fleurs de lys sur les poches des pantalons de sa marque Benmaz by H. Ben pour (slimane) Bensala, maz pour (Ouissan) mazhoud et H pour (michel) Hang, les trois créateurs de cette jeune marque de street wear qui a débarqué il y a trois mois dans les boutiques françaises et anglaises. “très vite, on a été en rupture de stock”, se réjouit le très volubile slimane, 24 ans. les trois garçons se rencontrent il y a un an dans un Carrefour où ils travaillent – en roller – pour payer leurs études universitaires. “On a réalisé qu’on était des entrepreneurs, mais pas des carriéristes. Donc, hors de question de travailler pour un patron. On a d’abord ouvert une agence commerciale… Jusqu’au jour où l’on s’est dit ‘quitte à vendre des produits, vendons les nôtres’, raconte slimane. Pourquoi pas des fringues, puisqu’on adore la mode ?” michel, 26 ans, diplômé d’un Bts de design, s’attelle alors à dessiner des croquis. “On est plutôt fashion et smart”, commente slimane. traduire : “du street wear haut de gamme”. NUmÉRO 3 AVRIL 2007 les femmes étant autant gâtées que les hommes dans leurs collections. l’inspiration ? “l’art dans les banlieues, ce n’est pas Versailles à tous les coins de rue. Nos sources d’inspiration, ce sont aussi bien nos discussions dans un mcDo que nos regards sur les filles, cette envie de fonder une famille…” les choses de la vie en somme. “On aurait pu faire du énième street-wear, mais on préfère revendiquer la jeunesse, la force…” Ce qui explique ces traces de sang sur une série de t shirt : “en banlieue, les jeunes sont des petits anges à qui on a arraché les ailes. le sang coule, mais ils veulent tout de même réussir et voler de leurs propres ailes.” C’est donc dans cet état d’esprit que fin 2006, sur un site de production en seine-saint-Denis, que naquit la marque Benmaz by H. Faute de moyens pour annoncer dans la presse mode la naissance de Benmaz, la bande des trois applique alors des tactiques ultra modernes : ils bombardent les attachés de presse des ViP, voire même les people directement, de leur t-shirt. Conclusion : c’est Will smith qui porte leur création et Claire Chazal sur tF1 qui les convie sur un plateau. “le Parisien” se met à parler d’eux. le trio, aujourd’hui parrainé par le père du street wear français, mohammed Dia, conseillé par la créatrice sakina m’sa, influencé par Robert de Niro (“Quelle élégance cet homme. surtout dans ‘Casino’”), attend avec impatience un rendezvous avec Jean-Paul Gaultier : “il pourrait tellement nous aider en nous parlant, par exemple, du mariage des matières.” et le conte de fée deviendrait réalité. A. D. LE COURRIER DE L’ATLAS 65 sport COMBAT Situés aux frontières de la boxe et des arts martiaux, les sports de piedspoings font fureur. Qui en sont les champions ? Tour d’horizon de ces disciplines en vogue dont les Maghrébins sont les rois. par Léo Huisman AVEC LES ET LES U n footing le matin, un entraînement le midi, un autre le soir. Entre temps, il faut aller travailler. Voilà à quoi ressemble la vie d’un champion de boxe de pieds-poings. Sous cette appellation sont regroupées quatre disciplines, la boxe thaïlandaise, la kick-boxing, le full-contact et la boxe française. A la croisée des che- mins entre les arts martiaux et la boxe anglaise (où l’on n’utilise que les poings), elle suscite un engouement énorme de la jeunesse des quartiers. Mais pas seulement. En banlieue, en province, rares sont les villes qui n’ont pas un ou deux clubs de boxe. Et des milliers d’adhérents pour presque autant de champions. Parmi eux, les Tuni- Crédits photo Mourad Sari 66 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 sport siens, Algériens et Marocains d’origine dominent ce sport. Qu’ils soient entraîneurs comme Saïd Bouzid, l’entraîneur-romancier qui boxe contre le fanatisme religieux, promoteurs ou boxeurs évidemment, il faudrait un dictionnaire pour tous les répertorier. Ils sont pourtant une exception ceux qui arrivent à faire parler d’eux au-delà de leur microcosme. Dida Diafat, ancien champion de boxe reconverti dans le cinéma, apparaît bien seul comme porte-étendard’une armée de champions. Voici les portraits de quatre d’entre eux, pour mettre en lumière tous les représentants d’un sport que l’on voit trop rarement. Les quatre disciplines La boxe pieds-poings regroupe quatre disciplines avec chacune des règles différentes. Elles ont en commun d’associer des techniques de pieds aux techniques de poings et aux règles de compétition de la boxe anglaise. La boxe thaïlandaise : on a le droit d’utiliser ses coudes, ses genoux, de saisir son adversaire et d’utiliser le corps à corps. Le kick-boxing : on ne peut utiliser ni les coudes ni les genoux, et on ne peut pas saisir son adversaire. Par contre, comme en boxe thaïlandaise, on utilise les tibias pour taper. La boxe française : les boxeurs sont en combinaison et chaussures avec lesquelles ils portent les coups de pieds soit avec la pointe soit avec l’intérieur du pied. Le full-contact : on ne porte des coups de pied qu’au-dessus de la ceinture. Les quatre incontournables Mourad Sari Plus que des titres, champion de France, d’Europe, du monde, la valeur d’un boxeur pieds-poings se mesure aux combats qu’il a livrés et aux adversaires qu’il a rencontrés. S’il ne fallait retenir qu’une compétition en boxe thaïlandaise, ce serait le championnat du Lumpini Stadium à Bangkok, le stade Maracana de la boxe thaïlandaise. En 1999, le premier non-Thaïlandais à avoir décroché la ceinture du Lumpini est franco-algérien. Il s’appelle Mourad Sari. Le “gaucher d’Argenteuil” combat au plus haut niveau depuis 91. A 34 ans et après avoir connu l’âge d’or de la boxe pieds-poings en France à la fin des années 90, il continue d’arpenter les rings en s’adaptant à la nouvelle réalité. Kamel Jemel Le profil de Kamel Jemel est un peu similaire. Ce Tunisien de 31 ans est avant tout un kick-boxeur, un redoutable puncheur, très fort en boxe anglaise. Comme Sari, il ne faut pas chercher un palmarès écrit noir sur blanc pour définir la force de Jemel. Cela fait bien longtemps qu’il ne s’intéresse plus aux titres qui n’ont de valeur qu’aux yeux de ceux qui les distribuent, il se concentre sur ses performances face à des adversaires de grande valeur. Et ses performances sont éloquentes, 109 combats, 100 victoires et deux titres de champion du monde. Samir Mohamed Le Marocain Samir Mohamed est plus jeune que les deux autres, il n’en est pas moins redoutable. A 26 ans, c’est le surdoué de la boxe pieds-poings. A ce jour, il a disputé plus de 110 combats toutes disciplines confondues et n’en a toujours pas perdu un seul ! Le journaliste Pascal Igliki l’a suivi lors d’un combat en Martinique alors qu’il avait 14 ans. Dans le premier round, il est compté et dans le second, il renverse la tendance et met KO son adversaire. Igliki le surnomme alors le petit prince des rings. A le voir combattre, on comprend pourquoi le surnom est resté. DPPI/Pano Farid Khider Farid Khider : “un mec speed, venu des terres arides”. C’est sur ce son écrit spécialement pour lui par Tunisiano du groupe Sniper que le compère d’entraînement de Sofiane Allouache rentre sur les rings. Venu de la boxe française, Khider est un boxeur complet comme en témoigne son palmarès : 160 combats, 102 victoires, 55 KO. Douze fois champion d’Europe, champion du monde de boxe française, de kickboxing et de boxe thaïlandaise, il combattait le mois dernier en Algérie pour devenir champion du monde de full-contact. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 AZIZA OUABAÏTA Styliste le jour, boxeuse le soir et le week-end 35 ans, championne du monde de boxe française, 3 combats professionnels en boxe anglaise, 3 victoires. “Adolescente, mon seul lien à la boxe, c’était Les brigades du tigre. Parfois, j’ai l’impression que c’est l’histoire qui m’a choisie.” Aziza Oubaïta est née il y a trente-cinq ans à Casablanca. A 6 ans, elle débarque en Normandie. Là, elle pratique tous les sports collectifs, de la danse et du théâtre, mais il n’est pas question de boxe. Diplôme de styliste en poche, elle vient à 21 ans exercer son métier à Paris . Il n’est toujours pas question d’activité physique. Très vite, pourtant, Aziza ressent le besoin de se dépenser autrement qu’au travail. Une amie lui LE COURRIER DE L’ATLAS 67 sport SOFIANE ALLOUACHE Il porte les couleurs de ses deux pays 30 ans, champion du monde de boxe thaïlandaise version Wako pro, 121 combats, 104 victoires dont 44 avant la limite. “Mon kif, ce serait de partir au Japon, faire du K-1 max.” Le K-1 est assurément la discipline de boxe pieds-poings la plus médiatisée dans le monde, la plus lucrative aussi. Elle se pratique au Japon, destination rêvée de nombreux boxeurs français en mal de reconnaissance. Comme Sofiane Allouache, spécialiste du kick-boxing. “Au foot, tu mets une frappe, tu gagnes des millions. En boxe, tu mets plusieurs frappes, tu ne gagnes rien. Tout travail mérite salaire. C’est aussi pour ça que je veux partir au Japon.” Car Sofiane ne boxe MOUNIR BOUTI Il est devenu boxeur pour se venger d’un mauvais coup 22 ans, champion du monde amateur de boxe thaïlandaise, 38 combats, 35 victoires, dont 17 avant la limite. Autour du ring, le public raille un jeune boxeur. Il effectue une danse étrange, un RamMuay qui précède tous ses combats. Le match commence, les attitudes changent. Mounir a commencé la boxe par hasard. “J’accompagnais des amis à leur entraînement. En me voyant sur le côté, l’entraîneur m’a dit 68 LE COURRIER DE L’ATLAS ‘soit tu boxes, soit tu dégages’. Je n’avais rien à me mettre. Il m’a prêté un short. Ça devait être un cours d’essai, mais en faisant un combat avec un des amis qui m’avait amené, j’ai pris un coup qui m’a sonné. Je suis rancunier. Je me suis entraîné pendant six mois et on a refait un combat. Je me suis vengé et c’était parti.” A 19 ans, en 2004, il devient le plus jeune professionnel de France et se retrouve face aux boxeurs qu’il admirait plus jeune. Mounir ne pratique que la boxe thaïlandaise. Grâce à son entraîneur, Guillaume Kerner, il s’est plongé au plus profond de ce sport qui va bien au-delà des seuls combats. Trois voyages en Thaïlande, pour comprendre les origines de son sport et se mesurer aux meilleurs Thaïlandais. Si son ambition est de devenir champion du monde, il veut faire reconnaître son talent par les Thaïlandais. Sans renier ses origines, Oujda, à la frontière algérienne, l’autre objectif de Mounir, plus affectif celui-là, c’est de combattre au Maroc, pour les couleurs du Royaume. pas que pour l’argent. En France, vivre de sa boxe est exceptionnel, mieux vaut assurer ses arrières. C’est ce qu’a fait Sofiane en devenant éducateur pour la ville de Bagnolet. Du Japon, il retient aussi le respect qu’on accorde à tous les combattants, qu’ils gagnent ou qu’ils perdent. Sofiane rentre tout juste d’Algérie, son pays d’origine. A Tizi-Ouzou, il combattait pour un titre de champion du monde de kick-boxing. Champion du monde de boxe thaï, champion d’Afrique de boxe française, trois fois champion de France de kick-boxing et vice-champion du monde de full-contact, à 30 ans, il totalise 104 victoires pour 121 combats. Comme beaucoup de boxeurs, il pratique tous les styles de boxe pieds-poings. Contrairement au football, la boxe permet de porter les couleurs de deux pays lorsqu’on est titulaire d’une double nationalité. Un privilège dont Sofiane ne se prive pas. “Je suis professionnel. Je boxe d’abord pour moi. Boxer pour la France et pour l’Algérie, c’est pour moi la même chose. Cela me permet de représenter ce que je suis. Quand je boxe, je veux être à la fois un exemple pour les jeunes des cités d’ici et un exemple pour les jeunes au bled.” Car le sport permet au moins cela, trouver une place décente dans la société qu’elle soit ici ou là-bas. La Nuit des Superfights VII •Avant de retourner à nouveau à bercy en juin pour un “gros” gala, le promoteur Ali Ouagueni retourne à Villebon (Essonne) le 7 avril pour la 7e édition de la Nuit des Superfights, événement majeur de muay thaï en France. Au programme de cette édition, un Grand tournoi dans la catégorie 70 kilos et les traditionnels Superfights, où les meilleurs boxeurs français s’affrontent entre eux. Renseignements : 06 26 79 06 89 NUMÉRO 3 AVRIL 2007 L.Préau/DPPI parle de la boxe française. Elle cherche un club et se met à ce sport dont elle ne connaît rien. “Un soir, je boxais avec une fille d’un très bon niveau qui me faisait mal. J’ai répliqué comme je pouvais.” Dix jours plus tard, la fédération l’appelle. Ils pensent qu’elle a des aptitudes au combat. Sa seconde carrière commence là : Aziza a 24 ans. En une année, elle rencontre ses entraîneurs, Fathi Mira et Mustapha Ouicher. Très vite, elle devient championne de France, d’Europe et du monde de boxe française. Elle passe ensuite professionnelle de boxe anglaise. Aujourd’hui, elle mène ses deux carrières de front, “petite styliste le jour, boxeuse professionnelle le soir”, parce qu’en France, a fortiori pour une femme, on ne vit pas de la boxe. Ce qui rattache Aziza à ce sport, ce n’est pas l’argent, mais les challenges qu’il lui offre. Pour l’heure, elle s’en est fixé deux : devenir championne du monde de boxe anglaise et aller combattre au Maroc. Car elle n’oublie pas d’où elle vient et fait tout ce qui est en son pouvoir pour aider son pays d’origine. société TEMOIGNAGES C’est une véritable vague de retour au pays qui semble s’emparer de la diaspora algérienne ces temps-ci. Près de 6 000 par an selon une récente étude (1). Ce sont souvent des hommes, ils choisissent généralement la capitale et sa région, 94 % d’entre eux viennent de France et, grande nouveauté, un quart d’entre eux sont nés à l’étranger. Nous en avons rencontré quelques-uns. par Yasrine Mouaatarif Je suis rentré en Algérie HACÈNE BOUDJEMA 29 ans, Paris-Alger “La première fois que j’ai posé le pied sur le sol algérien, j’avais tout juste 11 ans. Ce qui m’a d’abord frappé, c’est la chaleur des gens et l’accueil qu’ils vous font. Depuis, j’y suis retourné régulièrement en vacances avec mes parents. Très vite, je me suis fait la promesse de m’y installer un jour… Entre-temps, j’ai poursuivi mes études. D’abord un BTS de gestion PME-PMI, puis une maîtrise en développement des ressources humaines à l’université Paris-13 que j’ai obtenue en 2002. A l’époque, ce n’était pas encore le bon moment pour moi de tenter l’Algérie. Nous étions encore dans une période de transition. J’ai donc décidé dans un premier temps de rechercher du travail en France, mais j’étais loin de m’imaginer toutes les difficultés que cela pouvait représenter. Au bout de deux années de recherches très intensives, je me suis fait une raison. J’avais envoyé près de 5 000 candidatures, pour seulement deux entretiens, dont aucun n’a abouti ! J’ai donc décidé de compléter ma formation par un DEA en dynamique des organisations et transformations sociales que j’ai obtenu à Paris-Dauphine en 2005. Avec un diplôme aussi prestigieux, j’imaginais que les portes allaient enfin s’ouvrir devant moi. Les recherches d’emploi qui suivirent furent à peine plus concluantes. Cette fois-ci, j’ai passé une année à envoyer quelque 2 000 candidatures, qui ont donné lieu à cinq entretiens… et une proposition de stage. Entretemps, j’ai fait la connaissance des membres du Reage, le Réseau des Algériens diplômés des grandes écoles françaises, et j’ai participé avec eux à la création du premier forum pour l’emploi en Algérie qui aura lieu le 26 mai prochain. A partir de là, j’ai entamé sérieusement ma recherche d’emploi en Algérie. Et dès lors, tout est allé très vite. En l’espace de deux mois, j’ai obtenu de nombreuses réponses encourageantes, très différentes des lettres de refus que je recevais jusqu’à présent. J’ai d’abord eu des entretiens téléphoniques et, actuellement, je suis à Alger pour environ trois semaines, le temps de passer une autre série d’entretiens pour des postes tout aussi intéressants les uns que les autres. Pour l’instant, j’ai postulé exclusivement à Alger, le poumon économique du pays, et essentiellement auprès de multinationales, ce qui ne signifie pas que j’exclus de travailler pour une entreprise algérienne si l’occasion se présente.” (1) Une étude du Centre algérien de recherche en économie appliquée (Cread) rendue publique en 2006 estimait entre 5 000 et 6 000 le nombre annuel de ressortissants algériens rentrant définitivement au pays, soit deux fois plus qu’en 1998. La même étude trace également un profil de ces “ré-immigrants”. 70 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR/G.Mathieu/editindserver.com “En deux mois, j’ai eu plus de propositions d’emploi en Algérie qu’en deux ans en France.” société MEHDI BENABDALLAH 35 ans, Washington D.C. “Cette première expérience n’a pas été concluante, mais je ne me décourage pas pour autant.” ZAHIA B. 26 ans, Alger “Cela faisait trois ans que je n’étais pas rentrée. J’ai été sidérée de voir combien les choses avaient changé !” “Je suis née et j’ai grandi à Rouen. Depuis toute petite, je m’imaginais travailler en Algérie, ou du moins en relation avec le pays. Après une classe préparatoire HEC, j’ai intégré l’école de commerce Euromed à Marseille. J’ai sciemment choisi cette ville pour son ouverture sur le bassin méditerranéen et sur le Maghreb en particulier, et j’avais toujours en tête d’y tenter ma chance. On m’a d’ailleurs proposé un poste au Maroc, que je n’ai pas pu accepter pour des raisons personnelles. Je suis partie en échange au Canada, puis en stages à Paris dans le secteur automobile. Et alors que je pensais plus ou moins devoir abandonner mes projets de carrière en Algérie, mon école a diffusé une annonce pour un poste de chargé de communication interne à l’Ecole supérieure algérienne des affaires d’Alger. C’est une école franco-algérienne, créée en 2004, qui est un consortium de grandes écoles françaises et qui forme les futurs cadres en management et les grands cadres dirigeants du pays. Je trouvais ce projet fabuleux car NUMÉRO 3 AVRIL 2007 ce type de formations parfaitement adaptées aux réalités du marché permet d’endiguer la fameuse fuite des cerveaux. Je me suis donc empressée de postuler dès l’obtention de mon diplôme en octobre 2006, j’ai passé quelques entretiens à Marseille, puis j’ai été embauchée. Me voici donc en poste à Alger depuis février 2007. Je suis en VIE (Volontariat international en entreprise) pour une durée de douze mois. C’est encore tout frais mais, pour le moment, je suis enchantée. Moi qui ne connaissais pas la ville – je suis originaire de Kabylie – et qui n’étais pas venue en Algérie depuis trois ans, j’ai constaté d’énormes changements. En tant que fille, je n’ai pas de souci particulier. Je connais les codes et je m’adapte. Je sais par exemple qu’il est plutôt mal vu de se balader seule le vendredi après-midi, jour de prière, et donc j’évite. Quant à mes parents, ils sont très fiers de moi. Il faut dire qu’ils nous ont toujours encouragés à travailler pour l’Algérie. Même leur appréhension de me savoir seule à Alger a aujourd’hui disparu.” “J’ai vécu à Alger jusqu’à l’âge de 10 ans. Mon père étant diplomate, nous sommes allés vivre par la suite à Niamey, puis à Washington où j’ai poursuivi ma scolarité au lycée français. Après mon bac, j’ai fait une année en France à l’Insa de Lyon, puis je suis revenu aux Etats-Unis où je me suis inscrit à l’université George-Washington. J’y ai obtenu un Bachelor of Science, puis un Master en génie électrique, option télécommunications. Durant toutes ces années, l’Algérie me manquait terriblement. Nous ne rentrions que tous les deux ans, et entre la distance et le décalage horaire, il est très difficile de rester en contact avec le pays. Mais je m’étais juré d’y retourner à la première occasion. Je pensais le faire après mes études, mais c’était au début des années 1990 et la situation avait déjà commencé à se détériorer sérieusement. J’ai donc réfléchi à une possibilité de me rapprocher de l’Algérie en attendant des jours meilleurs, et c’est ainsi que j’ai vécu trois ans à Düsseldorf, en Allemagne. C’était une sorte d’étape transitoire qui me permettait de faire des voyages plus fréquents dans mon pays et de voir plus souvent ma famille qui était rentrée quelques années plus tôt. Puis, l’année dernière, j’ai appris qu’une grande société informatique américaine était sur le point d’ouvrir un bureau à Alger. J’ai postulé et j’ai commencé en juillet 2006. Le poste était intéressant car j’étais chargé de vendre des solutions dans le secteur des opérateurs téléphoniques. Mais, très vite, les problèmes ont commencé. LE COURRIER DE L’ATLAS 71 société HAKIM AÏT WARTILANE 27 ans, Alger “Au bout d’un an, le bilan est plus que satisfaisant !” “Je suis né en et j’ai grandi en France, mais j’avoue que l’idée de vivre un jour en Algérie m’a toujours attiré. Après des études de gestion dans un IUT à Sceaux, j’ai eu une première puis une deuxième expérience professionnelle dans le courtage de crédit immobilier en France. Au bout de deux années, j’ai pris la décision de franchir le MONCEF MAMMAR 26 ans, Alger “Ça bouge énormément en Algérie, et je ne veux pas passer à côté de tout ça.” “J’ai d’abord obtenu une licence de management à Alger avant de venir en France en 2005 pour faire un Master en administration et échanges internationaux, option Entreprenariat et PME à l’université Paris-12. Parallèlement à mes études, je travaillais avec mon père dans l’entreprise familiale d’agroalimentaire, et je représentais également quelques multinationales qui faisaient affaire avec nous. Actuellement, je suis en train de passer mes derniers examens, puis je rentrerai définitivement en Algérie à la mi-avril. Je compte 72 LE COURRIER DE L’ATLAS élargir mon portefeuille clients, mais surtout bénéficier du dispositif de l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej) pour créer une filiale et compléter l’activité de l’entreprise familiale. Outre mon diplôme, mon expérience en France m’aura permis de rencontrer des gens des quatre coins du monde, issus de cultures très différentes, ce qui n’était pas le cas quand j’étais étudiant à Alger. Mais, même si le mode de vie en France présente de nombreux avantages, je sais que le marché de l’emploi y est saturé, alors qu’en Algérie, il y a beaucoup à faire, et que j’y ai beaucoup plus d’opportunités, surtout dans mon domaine d’activité. Nous sommes en pleine expansion, et j’aimerais y participer à ma façon.” pas et j’ai commencé à rechercher sérieusement du travail au pays. C’est finalement par le bouche à oreille que j’ai décroché un poste dans une entreprise française installée à Alger, qui m’a embauché en contrat local. Je suis donc chargé d’affaires d’entreprise, je fais l’interface avec des sociétés algériennes et étrangères, et je tente de répondre à leurs besoins, notamment en matière de crédit d’entreprise. En cela, ma double culture est un véritable atout. Aujourd’hui, cela fait exactement un an que je vis ici. Mon premier bilan est plus que satisfaisant. En ce qui concerne la qualité de vie, cela correspondait tout à fait à ce que je pouvais m’imaginer. Quant à ma vie professionnelle, elle prend tout son sens : je me sens bien plus utile ici qu’en France où tout est déjà fait, et c’est vraiment motivant de participer à son échelle au développement du pays. Le seul bémol que je mettrais, c’est pour les démarches administratives où tout est bien plus compliqué qu’en France et où il n’y a pas de transparence. Quant au fait que je sois franco-algérien, cela ne m’a jamais posé de problèmes avec les gens, même si je sais que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Il peut certes exister certains préjugés, mais c’est sans commune mesure avec ceux qu’il y a en France. Et puis, de l’autre côté de la Méditerranée, aussi on était ‘d’origine’, donc on a l’habitude…” NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Hemis.fr L’ouverture du bureau algérien de la boîte ne s’est pas faite dans les normes, nous croulions sous les problèmes administratifs, et même nos salaires tardaient à arriver parce que les managers n’avaient pas fait le nécessaire pour les conversions du dollar en dinar… Sans compter les autres désagréments dus aux cultures d’entreprises américaine et algérienne qui sont très différentes. En Algérie, par exemple, les délais de décision sont très longs alors que les Américains attendent beaucoup plus de réactivité. De plus, il y a une certaine opacité qui fait que les organigrammes ne reflètent pas toujours la réalité. Du coup, les décisionnaires ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Tous ces problèmes accumulés m’ont donc poussé à claquer la porte en janvier 2007, et à retourner aux Etats-Unis. Mais cette expérience n’a en rien changé mes plans de retour au pays, disons qu’elle n’a fait que les retarder. Car, comme beaucoup d’Algériens qui vivent ici, je ne me vois pas fonder une famille et finir mes jours aux Etats-Unis. Avec le recul, je me dis que si je m’étais mis à mon compte, j’aurais peut-être pu surmonter ces problèmes. Ce n’est donc que partie remise.” histoire TRENTE GLORIEUSES Une exposition retrace l’histoire des bidonvilles en Seine-Saint-Denis dans l’entre-deux-guerres. Une histoire liée au monde ouvrier, à l’immigration, et très présente dans celle de la guerre d’Algérie. par Nadia Lamarkbi On ose enfin en parler… Crédits photo Dans les années 1950-60, le bidonville de la Campa, à La Courneuve, a vu s’installer des gitans puis des travailleurs espagnols et enfin des Algériens. 74 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 2 MARS 2007 histoire T ôles ondulées, murs en bois et ferraille récupérés, enfants en guenilles marchant pieds nus dans la boue… les images se succèdent et se ressemblent pour attester de la misère. Cette exposition nous plonge dans cette histoire de France qui n’est pas racontée dans les livres scolaires. Cette série d’images en noir et blanc témoigne des conditions dans lesquelles se sont entassées des générations entières d’Espagnols, d’Italiens, de Polonais, d’Algériens, mais aussi de Français pendant la période des trente Glorieuses où le pays était en pleine ébullition économique. “Loin de toute vision misérabiliste”, l’exposition présente le travail de vingt photographes dont Cartier-Bresson, Dityvon, Doisneau ou Lartigue ainsi que des extraits de divers films de réalisateurs tels Eli Lotar, Jacques Prévert et Edouard Luntz. Les clichés tentent de “restituer la complexité du phénomène des bidonvilles”. Elle montre divers aspects de la vie quotidienne dans ces bidonvilles de Noisy-le-Grand, d’Aubervilliers ou des Franc-Moisin, l’un des sites les plus importants à Saint-Denis. La dernière partie de l’expo est consacrée aux photos en provenance des quatre coins de France. De Lyon ou de Marseille, les clichés récents se confondent avec ceux des années 60. Preuve, s’il en est, que le problème du mal-logement n’a pas pris une ride. Du 9 mars au 31 avril 2007 Aux Archives départementales de la Seine-SaintDenis, 18, avenue Salvador Allende, 93200 Bobigny En juin 2007 : Institut de l’histoire sociale CGT, 263, rue de Paris, 93100 Montreuil Claude Dityvon - F. Douzenel Initiative produite et réalisée par le conseil général (direction de la culture, du patrimoine du sport et des loisirs et direction des archives), en partenariat avec Périphérie-centre de création documentaire et l’Institut CGT d’histoire sociale. La vie des bidonvilles est rythmée par les incendies. Ici, au Franc-Moisin (Saint-Denis.) NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Les bidonvilles étaient surtout situés dans la banlieue nord-est de Paris : Saint-Ouen, Saint-Denis, Pantin, Drancy et ci-dessous, La Courneuve. LE MAL-LOGEMENT, UNE HISTOIRE QUI SE RÉPÈTE Jean-Barthélemi Debost a conçu l’exposition pour le conseil général de Seine-Saint-Denis. Interview. nelle autour des photos, qui, de fait, deviennent un déclencheur de parole pour ceux qui se sont longtemps tus. Cette histoire n’est visible nulle part, elle a une valeur et réhabilite les anciens habitants. La parole se libère. Les gens osent parler sans se sentir méprisés. L’histoire des bidonvilles est-elle liée à celle de l’immigration ? Ces deux histoires ne sont pas liées. Il y avait beaucoup de Français qui vivaient également dans les bidonvilles de Seine-Saint-Denis. Mais on peut rapprocher l’évolution des bi- Comment a germé l’idée d’une exposition sur les bidonvilles ? Au sein du service du patrimoine culturel, nous travaillons depuis cinq ans sur l’histoire et le patrimoine du logement social. Cette problématique croise la question du mal-logement. D’ailleurs, un certain nombre de grands ensembles sont situés sur l’emplacement des bidonvilles. Nos collègues du service des arts visuels avaient récupéré un “L’EXPOSITION EST UN DÉCLENCHEUR certain nombre d’images DE PAROLE POUR CEUX QUI SE SONT TUS. de bidonvilles en SeineELLE RÉHABILITE LES ANCIENS HABITANTS.” Saint-Denis. Ces images sont devenues des sources donvilles et la guerre d’Algérie. Le mot luiprivilégiées de témoignages. Ce projet même, bidonville, vient d’Afrique du Nord croise la résurgence des bidonvilles sur le et a été importé en métropole avec les preterritoire national. Au moment de l’inaumiers immigrés algériens et les colons. À guration de l’exposition, Médecin du Monl’époque, ces lieux abritaient de nombreux de distribue des tentes aux SDF sur le groupuscules indépendantistes qui luttaient principe qu’il faut être visible pour sensicontre la présence française en Algérie. Ces biliser les instances politiques. De l’appel quartiers sont vite apparus comme un lien de l’abbé Pierre en 1954 sur Radio-Luxemprivilégié de développement de cette résisbourg au travail d’ATD-Quart Monde, l’obtance parce qu’il était difficile de les maîtriser jectif est identique : être visible pour attirer et de contrôler ce qui s’y passait. La chronol’attention sur la question, et la résoudre. logie de la guerre d’Algérie coïncide avec L’histoire se répète. Quel accueil a reçu cette exposition? celle des bidonvilles. Et si l’Etat français a Des gens qui n’ont pas l’habitude de se dédécidé de s’attaquer à cette question, c’était placer dans les expos viennent nous voir. également pour couper l’herbe sous les pieds Chacun parle de son expérience persondes indépendantistes. LE COURRIER DE L’ATLAS 75 Le Maroc en plein cœur de Marseille Crédits photo pause Un coin de paradis posé tout près de la Canebière. Délicieusement isolé de l’agitation de la cité phocéenne, le Ryad, l’hôtel le plus dépaysant et le plus original de la ville, est recommandé par le prestigieux guide des hôtels de charme 2006. Une réussite pour sa propriétaire, Fatiha Ouichou, très attachée à la promotion et au développement de son pays d’origine, le Maroc. Par Myriam Blal 76 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 3 AVRIL 2007 vous U “ n petit jardin où chante une fontaine”, “un dépaysement au cœur de Marseille”... La presse ne tarit pas d’éloges pour décrire le Ryad, un hôtel ouvert à l’automne 2005 par Fatiha Ouichou. Même son de cloche du côté de l’Office de tourisme de Marseille : “Le Ryad vient répondre à une demande de petits hôtels de charme de catégorie supérieure que nous n’avions pas jusqu’à présent”, explique le directeur de promotion de l’Office, Stéphane Sogliuzzo. Il est vrai que, de charme, l’établissement ne manque pas. Pourtant, avant de se porter acquéreuse des lieux en 2004, Fatiha Ouichou n’imaginait pas qu’il lui faudrait près d’un an de travaux pour restaurer l’endroit. Il est vrai que l’immeuble marseillais, avec ses tommettes rouges, abritait autrefois un hôtel vétuste à la mine délabrée. Au final, le résultat est là : un ryad à la marseillaise où s’allient savamment l’architecture locale et l’esthétique marocaine. Ainsi, contrairement aux vrais ryads (“jardin clos” en arabe) marocains où toutes les pièces s’ouvrent sur un patio intérieur à ciel ouvert, certaines fenêtres donnent sur la rue et la bâtisse s’élève sur quatre étages (alors qu’un ryad n’en compte traditionnellement qu’un ou deux). Mais les différences s’arrêtent là : dès la porte d’entrée poussée, le dépaysement est assuré. UNE CHAMBRE, UNE ATMOSPHÈRE Dix chambres composent le Ryad, chacune baptisée d’un prénom arabe et dotée d’une décoration qui lui est propre. La jolie Moga- dor fait honneur à Essaouira avec ses touches de bleu indigo qui habillent la pièce, du jeté de lit au pouf en cuir, sans oublier l’assiette en terre cuite ornée de métal argenté pendue au mur. Ahlem, qui promet de doux rêves, fait la part belle aux objets en fer forgé, de la chaise à la table basse en passant par le lit à baldaquin. Arz est un retour aux sources avec un style très épuré digne d’un ryad de luxe. “Les tissus et objets proviennent des souks de Marrakech, les meubles ont été fabriqués sur mesure par des artisans casablancais triés sur le volet”, précise Fatiha qui voue une passion à la décoration d’intérieur. “J’ai toujours eu en tête de développer un concept autour de l’artisanat et de la déco de mon pays d’origine, le Maroc.” UNE CLIENTÈLE D’ARTISTES Tous les artisanats marocains s’y retrouvent : la tôle travaillée, le bois sculpté, les tissus berbères, les tapis aux couleurs chaudes jusqu’aux salles de bains “façon tadelakt”, précise Fatiha avant de développer : “Le tadelakt est un enduit à base de chaux, de poudre de marbre et de pigments naturels que l’on applique sur les murs à l’aide d’un galet de rivière. Cette technique ancestrale que l’on retrouve sur les murs des hammams est assez coûteuse et nécessite beaucoup de savoir-faire. Nous avons préféré nous limiter à une simple imitation.” Qu’importe, le résultat est là. Au rez-de-chaussée, nous retrouvons le salon, avec ses banquettes chaleureuses invitant à la paresse, qui s’ouvre sur le jardin intérieur. L’endroit rêvé pour siroter un thé à la menthe préparé par Raja, la cuisinière. Car le Ryad propose également un service de table d’hôtes pour réaliser des agapes marocaines. “Je me limite à quelques soirs par semaine”, indique Fatiha, même si elle sait bien que le Ryad “pourrait afficher salle comble tous les jours”. Vie de famille oblige. Après des débuts timides, le bilan après deux ans d’activité est plutôt positif. “Je reçois beaucoup d’artistes, des personnalités du monde des médias, des salariés en congrès et, bien sûr, des touristes étrangers”, poursuit la maîtresse des lieux au sourire franc et à la bonne humeur communicative. Une gentillesse hors pair et de douces attentions qui enchanteront le voyageur qui n’aura plus qu’une seule envie : revenir ! ■ Le Ryad, 16, rue Sénac de Meilhan, 13001 Marseille. Tél. : 04 91 47 74 54, www.leryad.fr Chambres de 75 à 120 euros. Table d’hôtes sur réservation. Fatiha Ouichou, sur tous les fronts Georges Majolet F atiha Ouichou est née en algérie de parents marocains originaires du Rif. “Mes grandsparents font partie de cette vague d’immigrés qui ont fui le nord du Maroc pour l’algérie afin d’échapper à la famine et à la misère des années 1940.” après sa naissance, ses parents quittent l’algérie pour Tétouan et émigrent à nouveau, pour se NUMÉRO 3 AVRIL 2007 poser définitivement en France, lorsque Fatiha a deux ans. La Rifaine grandit à paris et étudie la publicité dans une école parisienne. elle travaille dans de grandes entreprises comme publicis et L’Oréal avant de codiriger sa propre agence de publicité. s’ensuit une expérience professionnelle de trois ans à Casablanca. C’est là qu’elle rencontre son futur mari, saïd Ouichou. De retour à paris, Fatiha retourne sur les bancs de la fac et se spécialise en marketing opérationnel à l’ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication (Celsa). C’est ensemble que Fatiha et saïd décident de quitter paris pour Marseille voilà deux ans avec leurs trois enfants. pour les atouts que la ville propose : “Le soleil et la mer !” a 40 ans, cette femme comblée n’entend pas s’arrêter en si bon chemin. Très attachée au Maroc où elle se rend plusieurs fois dans l’année, Fatiha est impliquée dans la vie de son pays. en 1996, le couple crée depuis paris l’association Maroc entraides dans le but de mener des actions humanitaires au royaume. Dans ces projets, la construction d’un dispensaire de santé dans la province de Ouarzazate. a Marseille, la propriétaire du Ryad a donné naissance tout récemment à l’association France Terre d’avenir. “Nous souhaitons venir en aide aux jeunes issus de l’immigration en perte d’identité et qui se sentent déracinés, en les soutenant dans leurs objectifs professionnels.” Fatiha Ouichou puise dans son carnet d’adresses bien rempli pour constituer un réseau de professionnels marseillais prêts à parrainer ces jeunes et à les accueillir en stage dans leurs entreprises. a côté de cela, l’association souhaite également agir en faveur de l’éducation avec les parents d’enfants en difficulté avec la discipline. M. B. LE COURRIER DE L’ATLAS 77 vous Destination Tunisie aux meilleurs prix AVION Après le Maroc et l’Algérie, pour clore notre tour du Maghreb, voici pour vous une sélection de tarifs aériens pour la Tunisie. par Caroline Boudet VOLS SECS OU SÉJOURS ? Pour ceux qui désirent se rendre en Tunisie pour les vacances, le choix entre la liberté d’un vol sec et les économies d’un séjour tout compris peut s’avérer difficile. En effet, et surtout en période creuse, les prix des séjours d’une semaine en club sont souvent égaux, voire inférieurs, à ceux des vols secs. Et en été, les vacanciers ne sont pas les seuls à s’envoler, les tarifs aussi. Un bon conseil : réservez votre vol le plus tôt possible. Plus les réservations sont effectuées à l’avance pour les périodes de pointe, moins les tarifs sont élevés. C’est pour cette raison que dans notre comparatif, sur certaines compagnies, les différences entre période creuse et période de pointe apparaissent minimes. 78 LE COURRIER DE L’ATLAS TUNISAIR Première rivale d’Air France pour les liaisons entre l’Hexagone et la Tunisie, la compagnie fêtera en 2008 ses 60 ans. Et elle pèse lourd : la doyenne s’octroie 48 % du marché national. Avec une moyenne de 47 vols par jour et une flotte de 29 avions, elle a pour de nombreux voyageurs l’image rassurante d’une compagnie fiable et ponctuelle. “Voyager avec Tunisair, c’est devenu une habitude pour moi, raconte Martine, qui vient de rendre visite à sa fille installée à Tunis. C’est un bon rapport qualité-prix.” AIR FRANCE La compagnie tricolore ne dessert directement de France que l’aéroport de Tunis. Mais avec cinq vols quotidiens depuis Paris, l’offre est importante. Pour les autres destiA/R KARTHAGO AIRLINES Entourée d’une réputation un peu plus sulfureuse, Karthago Airlines concentre ses activités sur la très touristique Djerba. Cette compagnie charter tunisienne, qui fait partie de Nouvelles Frontières, est souvent choisie par les voyagistes proposant des séjours tout compris en Tunisie. Créée en 2002, elle dispose de six appareils. Et ça marche bien pour elle : son chiffre d’affaires a augmenté de plus de 23 % en 2006. Signe d’une certaine confiance, mais aussi conséquence de tarifs attractifs. Et pourtant, sur les forums Internet de voyageurs, une question revient souvent : “Peut-on faire confiance à Karthago Airlines ?” En 2005, la compagnie a été victime d’une très mauvaise publicité après que des passagers ont refusé d’embarquer dans un appareil loué à la compagnie turque Fly Air, en raison de son mauvais état apparent. Pourtant, certains ne trouvent rien à redire. Comme Nelly, une habituée, qui a effectué l’été dernier avec cette compagnie “un vol agréable, ponctuel et avec un personnel sympathique”. En somme, la compagnie souffre simplement des doutes qui entourent encore et toujours les compagnies charters. ■ BASSE SAISON HAUTE SAISON Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277,16 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 413,72 € PARIS-TUNIS Air France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391,29 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513,21 € Alitalia (avec escale) . . . . . . . . . . . . . .240,35 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316,35 € Lufthansa (avec escale) . . . . . . . . . . . 271,99 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 359,99 € PARISDJERBA PARISMONASTIR Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332,36 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 434,14 € Aigle Azur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 375,29 € Karthago Airlines . . . . . . . . . . . . . . . . .385,29 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 448,84 € Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .258,07 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 409,72 € Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215,58 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 492,49 € MARSEILLE- Air France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203,71 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 648,18 € TUNIS Alitalia (avec escale) . . . . . . . . . . . . . .228,82 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 296,75 € Lufthansa (avec escale) . . . . . . . . . . . 292,46 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302,46 € MARSEILLE- Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335,49 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 588,99 € DJERBA Air France (avec escale). . . . . . . . . . . . 861,91 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 861, 91 € MARSEILLE- Tunisair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .303,49 € . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 723,49 € MONASTIR NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR S ix millions et demi de touristes par an pour un pays de dix millions d’habitants. La Tunisie est la destination star du Maghreb pour les vacanciers, juste devant le Maroc. Thalassothérapie à des prix défiant toute concurrence européenne, équipements touristiques très développés, plages de rêve : le pays mise beaucoup sur cette ressource économique. Le tourisme représente aujourd’hui 6 % du PIB et fournit 340 000 emplois directs et indirects. Et ce n’est pas fini : l’Etat prévoit la création de nouvelles zones touristiques avec près de 200 000 lits supplémentaires d’ici 2015. Quand on parle de tourisme de masse… La Tunisie est d’ailleurs, sur Internet, la destination la plus demandée grâce à ses tarifs imbattables. Les sept aéroports internationaux, avec leur capacité d’accueil de plus de 13 millions de passagers par an, proposent de nombreuses liaisons avec l’Europe, plus des deux tiers des vols commerciaux. Nous avons choisi de comparer les vols vers les trois aéroports les plus importants : Tunis-Carthage, Djerba-Zarzis et Monastir-Habib Bourguiba, à partir de Paris et Marseille. nations, si vous tenez à voyager sur Air France, il faudra compter avec des escales… pour 1 000 euros pour Paris-Djerba. EN VENTE ACTUELLEMENT EN KIOSQUE vous Croisières : le Maghreb au fil de l’eau VOYAGE Et oui, vous pensez à “la Croisière s’amuse” et vous vous dites que cela n’est pas pour vous ! Pourtant, même les jeunes couples et les familles avec enfants s’y mettent. Et le Maghreb n’est pas en reste. V acances de riches, loisir de seniors : telle est en deux mots l’image de la croisière. Pourtant, partout en Europe, cette formule se développe et la clientèle tend sérieusement à rajeunir. Trois millions trois cent mille Européens sont ainsi partis en 2005 sillonner les mers du monde, un chiffre qui a triplé en dix ans. En France, on s’y met tout doucement avec 233 000 passagers et une clientèle nouvelle, celle des jeunes couples et des familles. La Méditerranée constitue une destination phare avec une vraie facilité d’arrivée aux ports d’embarquement via le TGV ou l’avion. Les départs se font depuis Marseille, Saint-Tropez ou encore Gênes et Savone, en Italie – avec transfert par car depuis Nice. TUNIS EN TÊTE Les circuits proposés en Méditerranée occidentale passent très souvent par l’un des ports du Maghreb, Tunis en particulier. Plus de 500 000 passagers y débarquent en effet tous les ans. “C’est la ville qui fonctionne le mieux sur le Maghreb, explique Jacques Truaud, président du Club de la croisière 80 LE COURRIER DE L’ATLAS Marseille-Provence. Le gouvernement tunisien a beaucoup investi dans le domaine portuaire ; le pays est sûr et les sites de Carthage sont très demandés.” Un autre argument, plus mercantile, oriente sur le choix de Tunis, particulièrement bien positionnée sur les routes maritimes : “En touchant un port hors de la Communauté européenne, explique Jacques Truaud, les croisiéristes échappent à la TVA communautaire. C’est un argument essentiel !” Après la Tunisie, le Maroc constitue également une destination solide, d’autant plus que c’est le premier des pays du Maghreb à avoir accueilli des bateaux de croisière. Les activités maritimes de Tanger sont en plein boom et le projet de nouveau port va permettre l’accueil de plus nombreux navires. “Les villes de Casablanca et Agadir rencontrent également du succès. Même si ces destinations nécessitent des croisières plus longues, elles sont assez courues”, remarque Georges Azouze, PDG de Costa Croisières France. L’Algérie, pour sa part, fait encore peur aux croisiéristes. Enfin, la Libye ouvre progressivement ses côtes aux touristes de la mer, à Tripoli essentiellement, mais aussi à Benghazi. A BORD D’UN HÔTEL FLOTTANT Tentés par l’expérience ? Une fois l’embarquement réalisé – après souvent quelques heures d’attente –, vous voici à bord de ce qui pourrait ressembler à un hôtel flottant. Imaginez tout de même que le plus grand navire de notre tableau peut accueillir 3 700 passagers et compte dix-sept niveaux de ponts ! Même les navires plus modestes transportent souvent cinq cents passagers. C’est sûr, vous ne serez pas seuls à bord de votre voilier… Ludovic, 33 ans, a testé une première croisière en Méditerranée, sans grande conviction au départ : “J’avoue que je me posais énormément de questions auparavant, j’avais surtout peur d’une sollicitation permanente. Pour moi, j’allais me retrouver dans La Croisière s’amuse. Mais en réalité, tu vis ta vie à bord comme bon te semble.” Au final, il a plutôt apprécié ces vacances, vécues comme reposantes. Il est vrai que tout est prévu : quatre à cinq repas par jour – sur ce type de bateau, un dernier repas est servi à minuit –, un catalogue d’excursions toutes faites aux escales et des loisirs multiples. Cela dit, les seules contraintes sont celles des horai- NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR par Laure Deschamps vous res de descentes et de remontées sur le bateau et des services des repas. Rien à voir avec un voyage de groupe organisé. “Personnellement, je ne prends quasiment jamais les excursions proposées. Je les prépare à l’avance par mes propres moyens”, témoigne Véronique, 47 ans, une multirécidiviste de la croisière en Méditerranée avec huit circuits à son actif en six ans. “La croisière, ça a toujours constitué un rêve pour moi, même si maintenant c’est la routine !, lance-t-elle. Je trouve qu’il y a un esprit particulier sur un bateau. Et surtout c’est un dépaysement total : on arrive chaque matin dans une nouvelle ville ou dans un nouveau pays. C’est assez magique.” LES ASTUCES À CONNAÎTRE Si vous aimez la mer et que vous avez envie de découvrir, de manière fugace, quelques villes ou pays, la croisière est plutôt adaptée. A condition de bien se renseigner auparavant. Car le joli rêve peut se transformer en enfer sur un bateau trop ancien, avec des cabines mal insonorisées – et un bruit de moteur permanent – ou sur une compagnie peu regardante sur la qualité de la restauration ou de l’hygiène. Vérifiez ainsi la date de construction ou de rénovation de votre futur bateau. Et prenez le temps de vous renseigner sur le Web. Les fans de croisières échangent conseils et astuces avec les novices sur les forums (1). C’est une excellente manière de dénicher des promotions et de repérer les pratiques des croisiéristes : certains offrent la place du second passager ou ne font pas payer les enfants, par exemple. QUESTION DE BUDGET Par ailleurs, ficelez bien votre budget avant de partir. Pour une semaine en Méditerranée, vous débourserez en moyenne 1 500 euros à 1 800 euros par personne. En sachant que les tarifs indiqués ne comprennent pas tout. Il vous faudra rajouter au prix de base au moins les taxes portuaires et les pourboires. Car les pourboires sont en quelque sorte obligatoires : certains croisiéristes les prélèvent d’ailleurs directement sur votre note – à moins que vous ne le refusiez expressément. Comptez environ 7 euros supplémentaires par jour et par personne. “Les pourboires, c’est une tradition dans la marine marchande, un mode de rémunération spécifique. Vous trouvez sur un bateau une qualité de service qui n’existe pas ailleurs. Sur les petits bateaux, il y a un membre d’équipage pour deux passagers. C’est du sur-mesure”, assure Georges Azouze. Pensez aussi aux escales : en moyenne, les passagers dépensent 50 euros par escale, qu’ils fassent ou non les excursions proposées. Vous hésitez ? Dans ce cas, un petit conseil : optez pour la première fois pour une minicroisière, avec trois ou quatre nuits seulement à bord. Cela vous laissera le temps de voir dans quel camp vous vous situez : car la croisière, c’est rarement de la demi-mesure : on aime ou on déteste ! ■ (1) Forums et conseils de passionnés de croisières : www.lemondedescroisieres.com Forum Croisières du Guide du Routard : www. routard.com/forum/croisieres/219.htm L’Algérie, une croisière atypique Seul le voyagiste Plein cap croisières, une société niçoise, explore par la mer les côtes algériennes. Il embarque sur ses bateaux 220 passagers. Ici, les escales sont privilégiées et des conférenciers spécialistes font partie du voyage. Au programme 2007, le circuit de 11 nuits, “Entre Terre et Désert”, au départ de Nice, suit la côte algérienne et s’arrête à Bejaia, Annaba, Skikda, Alger et Oran, avant de retourner sur Nice en passant par les Baléares et l’Espagne (entre 1 310 € et 2 730 €). Une seconde offre, “Terres Berbères”, relie en 12 nuits Alger et Oran, au départ de Nice, avant de poursuivre sur Tanger, Casablanca, Safi et Agadir et de finir aux Canaries, à Las Palmas, avec un vol retour sur Paris (de 1 390 € à 2 900 €). “Cela fait seulement deux ans que nous avons ouvert cette destination. La situation évolue beaucoup car ce pays ne connaissait pas du tout notre marché, explique Christine Bugarin, directrice commerciale. Bien sûr, des mesures de sécurité sont imposées. Mais c’est la même chose en Libye et dans de nombreuses destinations mondiales !” Aujourd’hui, 80 % de la clientèle de Plein cap croisières pour l’Algérie est constituée de fans de culture. Mais 10 % à 20 % des passagers sont aussi des pieds-noirs, qui retrouvent ainsi contact avec le pays où ils ont vécu auparavant. EXEMPLES DE CIRCUITS PROPOSÉS EN MÉDITERRANÉE MOIS DE DÉPART CROISIÉRISTE ESCALES DU MAGHREB DÉPART PAYS RALLIÉS BATEAU MAI MSC Croisières Tunis Départ et arrivée à Saint-Tropez Italie, Tunisie, MSC Melody, Espagne 532 cabines JUILLET NOVEMBRE NOVEMBRE DÉCEMBRE Costa Croisières Croisifrance Costa Croisières Croisifrance Casablanca, Départ et arrivée à Savone en Espagne, Maroc, Costa Romantica, Agadir Italie (transfert possible de Nice) Canaries, Madère 678 cabines Tunis et Tripoli Tunis Tanger et Départ de Nice, arrivée Italie, Tunisie, Sapphire, à Marseille Libye, Malte 288 cabines Départ et arrivée à Savone en Espagne, Baléares, Costa Concordia, Italie (transfert possible de Nice) Tunisie, Malte, Italie 1 500 cabines Maroc, Espagne, Coral, Italie 344 cabines Départ et arrivée à Gênes, Espagne, Maroc, MSC Musica, Italie (transfert en car de Nice) Canaries, Madère 1 275 cabines Départ et arrivée à Marseille Casablanca JANVIER MSC Croisières NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Casablanca LE COURRIER DE L’ATLAS 81 vous CONSEIL. Les deux chambres du Parlement marocain viennent d’adopter le nouveau Code de la nationalité, très attendu par les couples mixtes. Fatena Sarehane, professeur à la faculté de droit de Casablanca et spécialiste du droit marocain de la famille, répond ci-dessous à vos questions sur ce Code. l’enfant doit être né soit d’un père marocain, soit d’une mère marocaine et d’un père inconnu. Mais, dans le cas d’espèce, on constate que, d’une part, bien que né d’un père marocain, votre enfant ne peut pas bénéficier des effets de cette filiation, notamment la nationalité. Car, pour avoir la nationalité marocaine par la filiation, le Code de la nationalité exige que cette filiation soit établie en application de la loi marocaine en la matière. Or, en droit marocain de la famille, “la filiation illégitime ne produit aucun des effets de la filiation légitime vis-à-vis du père” (article 148 du Code de la famille). Donc, votre enfant ne peut pas avoir la nationalité par sa naissance d’un père marocain. Cette solution demeure valable même avec le nouveau Code de la nationalité. D’autre part, pour bénéficier de la nationalité marocaine par la mère, l’article 6 du Code de la nationalité de 1958 exige que l’enfant soit né “d’une mère marocaine et d’un père inconnu”. Or, votre enfant ne remplit pas cette condition puisque son extrait d’acte de naissance porte votre nom ; il n’est donc pas né d’un père inconnu, mais d’un père naturel. Le problème de cet enfant se complique encore puisque, comme vous le signalez dans votre question, il ne peut pas bénéficier de la nationalité de son pays de naissance. Il est sans nationalité, donc apatride. L’avènement du nouveau Code de la nationalité apporte une solution au cas de votre enfant. En effet, selon l’article 6, est marocain l’enfant “né d’un père marocain ou d’une mère marocaine”. L’application de ce texte au cas de votre enfant ne peut rencontrer aucun obstacle, il est en conformité avec le droit de la famille en matière de filiation. Car, contrairement au père, “la filiation, qu’elle résulte d’une relation légitime ou illégitime, est la même par rapport à la mère, en ce qui concerne les effets qu’elle produit” (article 146 du Code de la famille). Par conséquent, dès l’entrée en vigueur du nouveau Code de la nationalité, vous pouvez vous adresser aux autorités consulaires marocaines du lieu de votre résidence pour avoir un passeport pour votre enfant. Quand le nouveau Code de la nationalité entre-t-il en vigueur au Maroc ? J’ai appris que le projet du Code de la nationalité a été adopté par les deux chambres. J’aimerais savoir si, après ce vote, on peut l’invoquer pour bénéficier de ses dispositions. Je suis née d’une mère marocaine et d’un père jordanien. Wafaa, une Marocaine de cœur et pas de droit Fatena Sarehane : L’adoption du projet du Code de la nationalité par les deux chambres, parlement et chambre des représentants, ne confère aucune effectivité à ses dispositions. Les intéressés ne peuvent invoquer la nouvelle loi pour bénéficier des innovations qu’elle a apportées qu’après sa promulgation par dahir et sa publication au Bulletin officiel. Ce qui n’a pas encore été fait, à ma connaissance. C’est la loi portant promulgation du Code qui fixe la date de son entrée en vigueur. Généralement, c’est à partir du jour qui suit la publication de la loi au bulletin officiel que ses dispositions s’imposent aussi bien aux justiciables qu’aux juges. Le cas d’espèce est régi par l’article 6 qui considère désormais comme marocain “l’enfant né d’un père marocain ou d’une mère marocaine”. Ainsi, les enfants nés d’une femme marocaine ont la nationalité marocaine de droit. Le Code n’a posé aucune autre condition, comme la naissance sur le territoire marocain ou la résidence au Maroc. Il suffit pour bénéficier de la nouvelle disposition d’apporter la preuve que la personne est née d’une mère marocaine (un extrait d’acte de naissance et une pièce d’identité de la mère suffisent). Par conséquent, dès l’entrée en vigueur du nouveau Code, si l’intéressée réside au Maroc, elle peut s’adresser aux autorités marocaines compétentes pour demander sa carte d’identité nationale et son passeport. Si elle réside à l’étranger, c’est aux autorités consulaires marocaines du lieu de sa résidence qu’il faut s’adresser. Quelle nationalité pour les enfants naturels ? Je suis de nationalité marocaine. J’ai vécu avec une Marocaine dans un pays européen hors mariage. De cette relation est né Anas qui a maintenant 10 ans. Au vu de l’extrait de son acte de naissance où il est indiqué qu’il est enfant naturel né de père et mère marocains, les autorités consulaires marocaines refusent de le mettre sur mon passeport ou de lui fournir un passeport individuel. Pour eux, notre enfant n’est pas marocain. Mon problème, c’est que je ne peux plus voyager avec lui puisqu’il ne peut pas non plus avoir la nationalité du pays de notre résidence, donc de passeport de ce pays. Que faire ? Le nouveau Code de la nationalité a-t-il apporté une solution pour ce cas, sachant que ma compagne est décédée à la suite d’une longue maladie ? Driss Fatena Sarehane : Sous l’empire du Code de la nationalité de 1958, votre enfant se trouve entre deux situaL’article 6 considère comme marocain l’enfant né tions. En effet, pour être marocain, d’un père marocain ou d’une mère marocaine. 82 LE COURRIER DE L’ATLAS TOUTES VOS QUESTIONS : [email protected] NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Sipa Questions sur le Code de la nationalité marocain vous Courrier des lecteurs JE MILITE POUR QUE LES MAROCAINS RÉSIDANT À L’ÉTRANGER PUISSENT PARTICIPER AUX SCRUTINS DU MAROC D’abord merci à toute votre équipe pour ce journal ; il était grand temps. Je voudrais compléter le point de vue de monsieur Ali El Bas, concernant le droit de vote des Marocains résidant à l’étranger (Le Courrier de l’Atlas n°1). Je suis tout à fait d’accord et je milite en ce sens (pour que les citoyens résidant à l’étranger puissent participer aux scrutins du Maroc). Nous sommes citoyens de deux pays, nous avons des obligations envers ces deux pays, nous devons aussi jouir de TOUS les droits des deux constitutions, simple prin- cipe de base du droit international. Beaucoup de pays le permettent à leurs citoyens, alors il est temps que le Maroc en fasse autant, d’autant plus si on tient compte de l’évolution démocratique du pays. Je ne pense pas que le fait de donner aux citoyens marocains, ayant ou non la double nationalité, le droit de s’intéresser à l’évolution du Maroc va à l’encontre de leur intégration dans leur pays d’accueil, bien au contraire. Je constate dans mon environnement que les personnes qui ne connaissent pas de problèmes sont celles qui ont une très forte connaissance de leur pays et donc de leur culture et identité marocaine. (…) Naima Korchi, chargée de relations internationales (ONU/ONG) COMMUNAUTÉ, RELIGION “Je suis étonné de voir que, selon les patronymes, l’équipe de la rédaction du magazine de la communauté maghrébine n’est pas représentative de cette communauté...” Hami Nakim (Saint-Ouen) “Votre magazine est épuré de religion. Vous n’êtes pas représentatifs des Maghrébins en France qui sont en majorité attachés à leur religion. C’est mal d’être laïc... Allez, soyez plus commerciaux, mettez quelques fatwas et articles de religion, vous vendrez plus.” Samy Hache (Paris) Ces deux mails nous étonnent vraiment. Comment la DR LE DÉBAT SUR LE VOILE Je voudrais m’exprimer sur l’article intitulé “Pour en finir avec le débat sur le voile” (publié dans le numéro 1 du Courrier de l’Atlas). (…) Il serait utile de rappeler que le port du voile est apparu bien avant l’avènement de l’islam. Tout comme l’Ancien Testament et le Talmud, le Nouveau Testament affirme la chose suivante : “Si la femme ne porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre.” (Ecrit de saint Paul). Je voudrais également souligner que le Coran est un texte sacré et sibyllin, d’où la nécessité d’une explication interprétative dans son ensemble et surtout sur les passages concernant le port du foulard. A mes yeux, les mots foulard ou voile sont polysémiques. Je considère que le voile ne doit être porté que lorsqu’il est le signe d’une émancipation spirituelle. Il ne doit pas être imposé car le Coran dit bien : “Nulle contrainte en religion.” Malheureusement, encore aujourd’hui, beaucoup de femmes subissent le diktat parental. Pour d’autres, il est un moyen de s’autono- NUMÉRO 3 AVRIL 2007 miser par rapport à leur famille. Enfin, d’autres encore l’utilisent pour se protéger des agressions extérieures (surtout les jeunes filles issues des banlieues). A l’heure actuelle, un grand nombre de jeunes filles portent le voile dans le seul but de s’approprier une identité par une attitude différencialiste dans une société en perte de repères. Je voudrais citer un hadith du prophète Mohamet : “Allah ne regarde pas vos apparences ou vos actions, mais il regarde vos cœurs.” Pour moi, l’islam ne peut se résumer au port du foulard. Tout croyant et croyante se doit d’accomplir l’Ijtihad, de comprendre le livre céleste en s’appuyant sur le tafsir et le tawil (commentaires et explications du Coran). Chercher la vérité, comprendre le Coran est une obligation de foi pour tout musulman et musulmane. Félicitations aux créateurs de ce nouveau mensuel. Longue vie à ce magazine. Souhaitons que vous ne soyez pas taxés de dérives communautaristes. Karima (Londres) communauté maghrébine peut-elle se plaindre du regard de l’autre, des discriminations, des préjugés, et plaider pour l’enfermement ? Nous sommes un magazine français qui s’adresse à la communauté maghrébine en France. Nous sommes donc communautaires, mais nous ne serons jamais communautaristes. Au lieu d’éplucher les patronymes, jugez le fond. Pour ce qui concerne la religion, nous avons effectivement un point de vue. D’abord, nous ne pensons pas que la laïcité soit quelque chose de mal, bien au contraire. Ensuite, nous sommes contre ces prétendus savants qui se prennent pour Dieu et qui émettent des fatwas. Nous pensons que la foi est une question individuelle. Nous savons que les Maghrébins sont en majorité attachés à leur foi, et nous pensons que les questions relatives à la religion doivent être traitées d’une manière rationnelle, c’est-àdire en faisant appel à la Raison. Nous vous invitons à relire attentivement les sujets que nous avons traités dans les deux premiers numéros et à participer aux débats. VOS AVIS : [email protected] Le Courrier de l’Atlas 4, rue Halévy, 75009 Paris LE COURRIER DE L’ATLAS 83 Pour ou contre Les statistiques ethniques, un tabou qui a la peau dure Législation Pour certains, l’introduction de critères de distinction ethnique dans les statistiques nationales rappelle les “fichiers scélérats” établis par la France de Vichy ou celle de l’époque coloniale. Pour d’autres, ils sont inévitables si l’on veut mesurer la pertinence des politiques antidiscriminatoires. Tour d’horizon des arguments des deux camps. par Hanane Harrath tes-vous noir, arabe, asiatique, métis ?”... Aux Etats-Unis, il y a déjà bien longtemps que cette question ne choque plus. Là-bas, on utilise la collecte de données ethniques et raciales depuis 1790, date du premier recensement de la nouvelle république ! A l’époque, l’objectif était de fixer un nombre de députés par Etat devant siéger à la Chambre des députés, tout en évitant que les Etats possédant un grand nombre de Noirs ou d’Indiens ne dominent le Congrès. Aujourd’hui, elles permettent surtout de mesurer régulièrement la progression ou la résorption des inégalités : c’est ce qu’on appelle le monitoring, un outil pour évaluer la réussite ou l’échec des politiques de lutte contre les discriminations. En France, parler de “statistiques ethniques” est encore largement tabou, à en juger par la vigueur des débats suscités par la publication dans Libération, le 22 février, 84 LE COURRIER DE L’ATLAS d’un appel intitulé “Engagement républicain contre les discriminations”, lancé entre autre par Jean-François Amadieu, professeur à l’université Paris-I et directeur de l’Observatoire des discriminations, et Patrick Weil, chercheur au CNRS. Cet appel, auquel ont souscrit des chercheurs, des syndicalistes et des militants associatifs (SOS-racisme, Mrap, Licra), est fermement opposé à l’utilisation de statistiques ethniques, rappelant que certaines méthodes comme le testing, consacré par une loi de 2005, permettent déjà de mesurer les discriminations à l’emploi, au logement et aux loisirs. La réponse ne s’est pas faite attendre, puisque le 13 mars, un autre texte, “Statistiques contre discriminations”, initié par Patrick Simon, démographe à l’Institut national d’études démographiques (Ined) et soutenu par une trentaine de chercheurs, était publié dans le Monde. la loi et l’usage La loi du 6 janvier 1978 interdit de “collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques” Certaines études la contournent en se référant au lieu de naissance de l’interrogé ou de ses parents : ainsi, en 1998, la démographe Michèle Tribalat publiait une recherche dans laquelle elle combinait un critère “d’appartenance ethnique” défini à partir de la langue maternelle et un critère d’“origine ethnique” à partir du lieu de naissance des parents. Elle avait ainsi mis en évidence que les jeunes d’origine algérienne avaient un taux de chômage de 40 %, contre 11 % pour les Français dits de souche. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Ingo Boddenberg/Corbis E “ vous Pour Patrick simon, démographe à l’ined, auteur du texte “statistiques contre discriminations”. “La question de savoir quelles sont les statistiques nécessaires à la lutte contre les discriminations n’est pas simple. Ce qui est en revanche certain, c’est qu’il nous faut aujourd’hui, en France, créer un outil afin de comprendre enfin les mécanismes de la discrimination et leurs conséquences. Nous ne savons pas mesurer ces discriminations, pas plus que nous ne pouvons juger l’impact des politiques visant à les résorber. En tant que démographe, quand je veux évaluer un risque particulier pour une population donnée (risque de maladie par exemple), je rapporte le nombre de personnes potentiellement soumises au risque au nombre de celles effectivement victimes du risque. Si on veut donc évaluer les discriminations, on doit pouvoir faire de même. On disposerait ainsi d’un système de monitoring afin de suivre l’évolution des inégalités contrE à des intervalles réguliers. Je suis bien y aura en effet de plus en plus de parents conscient que le terme de statistiques “ethnés en France ! De même, se baser uniqueniques” peut heurter certains défenseurs ment sur le patronyme des interrogés n’est du modèle républicain d’intégration à la pas pertinent : on sait que près du tiers des française, tout comme je suis conscient des parents d’origine maghrébine donnent des précautions à prendre pour empêcher les prénoms ‘français’ ou ‘internationaux’ à utilisations et les interprétations xénopholeurs enfants. Cela ne permet pas non plus bes de cet instrument. Mais, devant les disde distinguer les originaires des DOMcriminations qui persistent, nous ne pouTOM qui sont aussi discriminés tout en vons plus faire l’économie de cet outil. Un ayant des patronymes ‘français’. Nous dechiffre notamment a beaucoup fait bouger vons entrer dans la boîte noire du modèle les consciences : une enquête a montré qu’à d’intégration, qui n’a pas tenu ses promesdiplôme égal et origine sociale équivalente, ses. Les arguments consistant à dire que les personnes définies comme ‘d’origine ma- “IL NOUS FAUT CRÉER UN OUTIL QUI PERMETTE ghrébine’ ont deux fois ENFIN DE COMPRENDRE LES MÉCANISMES DE et demi moins de chan- LA DISCRIMINATION ET LEURS CONSÉQUENCES.” ces de trouver un emploi que des personnes ‘d’origine française’. nous stigmatiserions certaines catégories Pour réaliser ce type de travaux, on a rene sont pas tenables : c’est justement parce cours au lieu de naissance des parents ou que les discours publics et les pratiques sodes grands-parents, mais cela reste encore ciales stigmatisent certaines populations très marginal : on ne l’a utilisé que dans que se pose la question des moyens pour trois enquêtes sur environ cent cinquante ! les contenir et les conjurer ! Les statistiques Et ce critère de lieu de naissance, qui est le ethniques sont un de ces moyens, car elles seul moyen dont nous disposons en l’abpermettraient d’identifier les blocages, de sence de catégories ethniques et raciales, ne sensibiliser l’opinion, de fixer des objectifs sera plus tenable dans quelques années : il et d’évaluer les effets des politiques.” rique instituée dans ces pays était une réponse à la ségrégation ethnique qu’ils avaient institutionnalisée. Aujourd’hui, ce système de catégories ethniques est remis Jacqueline costa-lascoux, en cause par la plupart des pays qui l’ont directrice de l’Observatoire expérimenté. Les catégories ethniques corstatistique de l’immigration et respondent à un découpage socio-anthropode l’intégration, membre du Haut logique souvent contesté (citons, par exemple, les juifs, introduits, puis enlevés de la Conseil à l’intégration, rapporteur liste des minorités ethniques aux Etatsde l’avis “Les indicateurs de Unis, ou les Irlandais apparus dans le rel’intégration”, remis au Premier censement britannique, ce qui a déclenché ministre en février 2007. récemment la revendication des Ecossais et “S’il est essentiel d’évaluer les inégalités et des Gallois). Le caractère réducteur du criles discriminations qui persistent malgré tère ethnique se fait au détriment de la plules mesures en faveur de l’égalité des droits ralité des origines et des appartenances, de la complexité et de “‘LA CATÉGORISATION ‘ETHNIQUE’ RISQUE DE l’évolution des trajectoiMENER À LA SURENCHÈRE DE CERTAINS GROUPES res individuelles. Cela DANS LEUR VOLONTÉ DE RECONNAISSANCE.” est particulièrement vrai pour la France, et l’égalité des chances, le recours à des cadont la conception de la nation repose estégories de population en raison de leur sentiellement sur le lien politique et la ciorigine ethnique semble aussi archaïque toyenneté. Raisonner en termes de catégoqu’illusoire. Le lien historique entre catégories ethniques va à l’encontre d’une ries ethniques et sociétés de ségrégation construction historique. (comme l’Inde, l’Afrique du Sud ou les Par ailleurs, la catégorisation ‘ethnique’ Etats-Unis) montre que la réparation historisque d’accentuer les phénomènes ‘reven- NUMÉRO 3 AVRIL 2007 dication du stigmate’ (selon l’expression du sociologue américain E. Goffman), qui conduisent à la surenchère de certains groupes dans leur volonté de reconnaissance, comme cela s’exprime à travers la ‘guerre des mémoires’. Ceci engendre des conflits interethniques, voire un racisme intercommunautaire, ainsi que des phénomènes d’ethnic leadership et de clientélisme peu favorables au développement de la démocratie. Enfin, l’aggravation des inégalités risque de se développer avec la perpétuation de modèles d’explication et de logiques ethnicisantes qui deviennent rapidement discriminatoires. La pensée par stéréotypes prend appui sur des schémas de comportement, des modes de vie ou des coutumes religieuses lus comme autant de déterminants de l’identité collective. Cela conduit à ignorer ou à minimiser le nombre des personnes qui choisissent un parcours individuel d’intégration, qui refusent ‘la fatalité des origines’. Comme le remarquait l’écrivain François Cheng, ‘un pays n’est pas un ramassis de personnes ou de groupes. Tous ses membres sont impliqués dans le réseau organique d’une aventure commune’”. LE COURRIER DE L’ATLAS 85 culture TENDANCE BELLYDANCE Comment s’est faite votre découverte de la danse orientale ? J’ai grandi dans le sud de la Tunisie et, toute petite déjà, j’étais littéralement passionnée par cette danse. Je passais mon temps à imiter les grands, et je pouvais aller voir dix fois le même film de Tahia Carioca ou de Naïma Akef, juste pour apprendre un pas. A l’âge de 18 ans, mes parents m’ont envoyée faire des études de langues, d’abord en France, puis en Angleterre. Je me destinais Leila Haddad réinvente les danses traditionnelles d’Afrique du Nord. 86 LE COURRIER DE L’ATLAS alors à être interprète. En réalité, ma seule passion c’était la danse, mais je ne pensais pas que j’allais en faire un métier. Une fois à Londres, j’ai découvert le théâtre Zulu et les mouvements de l’African National Congress pour la libération de Nelson Mandela, auxquels j’ai adhéré. Un jour, alors que j’assistais aux répétitions, un metteur en scène m’a interpellée et demandé si je voulais essayer. Je suis donc montée sur scène et, dès lors, je n’ai eu qu’une seule certitude : c’était sur les scène de 20 mètres sur 10, on planches que je voulais être ! ne peut pas se contenter de resPlus tard, je suis revenue à Paris ter au beau milieu, face au puet j’ai commencé à proposer des blic. Certains ne sont pas d’acspectacles de danse orientale à cord avec moi et me disent que, des directeurs de théâtre et à sans la proximité du public, on des festivals, ainsi que des cours ne peut pas faire passer l’émode danse à des écoles. Nous tion. Ce à quoi je réponds : un étions alors au milieu des an- pianiste qui joue dos à son punées 80 et personne n’ensei- blic ne fait-il pas passer d’émognait l’orientale. Où que j’aille, tions ? Faut-il avoir la hanche dans le nez du on me répondait spectateur pour unanimement : apprécie le “Pas de ça chez “ON A RETROUVÉ qu’il spectacle ? Mon tranous !” En réalité, vail consiste aussi à je ne saisissais pas DES PEINTURES e n c o r e l ’ i m a g e RUPESTRES DONT lutter contre bon nombre de préjuq u ’ i l s m e r e n - LES POSTURES gés de ce genre, et voyaient, j’ignorais RAPPELLENT je pense que seule tout des préjugés la scène permettra qui entouraient CELLES DES de rehausser cet cette danse car je DANSEUSES art, de le hisser au n’en connaissais ORIENTALES.” rang qu’il mérite. qu’une forme noBéjart, que j’aime ble, celle des artistes des films égyptiens en noir beaucoup, disait que “le XXIe sièet blanc. C’est finalement une cle sera le siècle de la danse”. Et la artiste américaine qui avait danse orientale ne doit pas être ouvert une école de danse qui en reste. On oublie souvent m’a donné ma chance. La nou- qu’elle a inspiré d’autres couveauté ne lui faisait pas peur. rants comme la danse contemporaine, à commencer par sa C’est ainsi que j’ai débuté. Vous avez été la première à en- pionnière Isadora Duncan. Et seigner cette danse en France, que c’est l’une des danses les mais également la première à la plus anciennes au monde… produire au théâtre, comment y Il existe différentes versions quant aux origines de cette danêtes-vous parvenue ? J’ai toujours estimé qu’entre la se. Quelle est la vôtre ? danse que l’on peut pratiquer Personne à ce jour ne peut réchez soi ou en famille, et celle pondre avec certitude à cette que l’on peut voir dans les caba- question. La danse orientale rets, il en existe une troisième. telle qu’on la connaît auEt la voie royale vers cette danse- jourd’hui est une danse très là est incontestablement le théâ- métissée, presque hybride, qui tre. C’est ce que j’ai commencé a subi énormément d’influenà faire, en tentant de la moder- ces. On peut en avoir une idée niser par un travail à la fois de en suivant le parcours des chorégraphie et d’espace. Car Tziganes qui sont venus du lorsque l’on évolue sur une Rajasthan et ont suivi la route NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR “La danse du ventre” : cette expression péjorative empreinte de clichés est souvent utilisée à tort pour désigner la danse orientale. Pour Leila Haddad, danseuse et chorégraphe, ce lieu commun a la vie dure. Interview. culture A travers ses chorégraphies, l’artiste a redonné à la danse orientale ses lettres de noblesse. de la soie avant de s’installer un peu partout, notamment dans le monde arabo-berbère. Mais si on ne peut pas situer géographiquement son lieu de naissance, on sait où elle s’est développée et où elle s’est épanouie : en Egypte. Cette Egypte elle-même empreinte d’influences ottomanes et traversée par un Nil qui puise sa source très loin au cœur de l’Afrique noire. C’est dire si les influences sont multiples. Quant à la dater, cela me semble impossible. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est plusieurs fois millénaire et, contrairement à ce que l’on croit, bien antérieure à l’ère pharaonique. D’après mes recherches, elle a des origines sacrées puisqu’elle participait de rituels dédiés à des divinités. Mais le fait est que l’on a retrouvé des personnages de peintures rupestres, dont les postures rappellent fortement celles de nos danseuses orientales, dans des grottes au Zimbabwe comme en Inde… Vous évoquiez les préjugés dont souffre encore cette danse. Pourquoi, à votre avis, confondon encore aujourd’hui “danse du ventre” et danse orientale ? En réalité, on ne confond pas : A voir, à lire Spectacles Leila Haddad sur scène Crédits photo • Zikrayat, le 27 avril à Saint-Sébastien-sur-Loire (44). • Sur les traces des Ghawazee, le 11 mai à Istres (13) et le 12 mai à Grasse (06). Toutes les informations sur : www.leilahaddad.com NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DVD Cours de danse orientale La danseuse et chorégraphe Ottilie édite un DVD didactique pour apprendre les bases de la danse orientale. Une heure trente de cours, découpée en 19 séquences, versions française et anglaise – 28,97 €. REVUE Passion Orientale. Une revue trisannuelle créée en octobre 2005 par des passionnés – 7,50 €. LIVRE La Danse du ventre Ce premier roman de Laurence Pythoud raconte les émois d’une femme à la découverte de la danse orientale. Ed. Le Grand Souffle – 11,80 €. LE COURRIER DE L’ATLAS 87 culture mes, ne sachant pas comment appeler cette danse à leurs yeux choquante, l’ont appelée “la danse du ventre”. C’est un terme étranger à la culture de la danse elle-même. En arabe, on dit bien “raqs charqi” (danse orientale), il n’a jamais été question de “raqs el badan” (danse du ventre). Autre préjugé : c’est une danse féminine et sensuelle, donc pas faite pour les hommes… Totalement faux ! Le mouvement n’est ni féminin ni masculin. D’ailleurs, dans les fêtes, hommes et femmes dansent. Mais si on a cette image de LA Où danser ? Karine Ghalmi, une touche contemporaine Elle danse depuis si longtemps qu’elle en a oublié la date exacte de ses premiers déhanchements. C’était il y a une vingtaine d’années. Après une formation en danse classique et modern jazz, cette Mancelle d’origine se consacre corps et âme à la danse contemporaine, au Centre de développement chorégraphique de Toulouse. A 19 ans, elle découvre la danse orientale égyptienne lors d’un stage à Rennes. “Une véritable révélation”, se souvient-elle. Puis c’est la rencontre avec la danseuse Leila Haddad, à Paris. Son assistante, Caroline Achouri, l’introduit alors dans sa propre compagnie, Al-Raqs. “L’occasion pour moi d’améliorer ma technique et d’affiner ma gestuelle.” 88 LE COURRIER DE L’ATLAS danseuse orientale, c’est peutêtre parce que cette danse a aussi beaucoup évolué dans des cabarets, avec donc un public essentiellement masculin. Quoi qu’il en soit, les hommes ont toujours dansé. Et si la sensualité fait partie de la danse orientale, elle n’en est pas la composante principale. La danse, pour moi, doit être à la fois sensuelle, intellectuelle, émotionnelle et spirituelle. C’est ce savant dosage qui fait la danse orientale, cet art d’un immense raffinement. Propos recueillis par Yasrine Mouaatarif Pour se rapprocher de son art, elle se forme au Caire auprès de l’artiste égyptienne Freiz et de Diana, une professeure franco-algérienne. Elle renoue alors avec sa culture arabe qui lui vient de son père, originaire de Maghnia, en Algérie. De spectacles en créations, la danseuse prend son envol et propose au public ses chorégraphies solo. Sur scène, une danse de Karine Ghalmi s’apparente à un subtil et sensuel mariage entre danses orientale et contemporaine. Une fusion détonante à laquelle elle ajoute “une bonne dose d’improvisation”. Ses sources d’inspiration, Karine les trouve dans les danses du monde, au gré de ses voyages, de la danse kabelya du Rajasthan aux pas tziganes d’Europe de l’Est. Une réappropriation de la danse orientale que l’on retrouve dans le choix de ses musiciens, comme lorsqu’elle ose le duo Zigzag avec le contrebassiste PierreJean Trouette. Par là même, la danseuse atypique révèle sa propre définition de la danse orientale : “Elégante, aux multiples facettes, loin des a priori de danses de cabarets glauques et de femmes aguicheuses qui lui ont longtemps collé à la peau.” Installée à Marseille depuis 2005, la chorégraphe-interprète enseigne son art dans différents coins de la ville, tout en continuant ses représentations, dont la dernière, El Cabaret Oriental. Mais, pour l’heure, Karine Ghalmi doit mettre entre parenthèses sa vie d’artiste : la jeune femme attend un heureux événement, avant un retour sur scène “dès cet automne !”, nous promet-elle. Myriam Blal www.karineghalmi.com Evénements 2e Festival de danse orientale La danseuse Leïla et l’association Nasma proposent la 2e édition de leur grand Festival de danse orientale à Paris, le 19 mai. Infoline : 06 14 04 72 03 Awadi : hommage aux danses d’Egypte Un spectacle interprété par la danseuse et chorégraphe Alexia Martin et sa partenaire Jazia Hamidi, accompagnées par quatre musiciens. Les dimanches 29 avril, 27 mai et 24 juin 2007 à Paris. www.awadi.fr “Corps et Métaphores”, de Douchka Derouin Elle a été petit rat de l’Opéra d’Alger avant de venir s’installer dans le Nord-Pas-de-Calais où elle a créé une association de danse orientale il y a tout juste un an. “DES danses orientales”, corriget-elle. Car Douchka met un point d’honneur à enseigner et à transmettre les différentes danses des quatre coins du Maghreb, avec chacune son énergie, son mouvement et son identité propre. Petit tour d’horizon des différents styles :“La danse algéroise a des airs précieux. La femme est une colombe qui glisse plus qu’elle ne bouge. La chaouie est tout aussi élégante, mais elle permet des figures plus libres. Dans la danse kabyle, il y a de la tonicité, les femmes s’affirment dans le mouvement. C’est aussi la plus ancienne des danses. L’oranaise est à l’image de sa musique, lascive et teintée d’Andalousie. Le chaâbi marocain est énergique, on y sent l’influence de l’Afrique subsaharienne et de la tradition des gnawas, alors que la tunisienne bouge au son de la cornemuse et se réfère à la tradition bédouine. Et pour finir, l’égyptienne : le péplum, celle qui fait rêver. C’est également celle que les femmes occidentales appréhendent le plus facilement même si je tente de leur faire découvrir toute la diversité des danses de chez nous.” Y. M. Corps et Métaphores , 15, Place du Général-De-Gaulle, Saint-André (59). Tél. : 03 20 78 73 42. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Emilie Cayre il n’y a qu’une seule et même danse. C’est le nom qui n’est pas approprié. Quand Bonaparte a mené sa fameuse campagne d’Egypte, il y a envoyé ses savants, ses intellectuels et ses militaires. L’Europe était alors extrêmement puritaine, et la danse était particulièrement mal perçue. Il ne faut pas oublier que même les danseuses d’Opéra étaient considérées comme des demi-mondaines. Alors, forcément, en découvrant la beauté de ses femmes, en les voyant onduler, dansant aussi bien dans les rues et les fêtes que dans les bordels, ces hom- exposition Désirs d’Orient, de Delacroix à Dufy Sources d’inspiration, sujets d’observation, les pays du Maghreb se révèlent dans leur diversité. Dans son hommage rendu au peintre Sébastien, le Musée des Beaux-Arts de Bordeaux nous fait revisiter un Orient abondamment fantasmé. M.B.A. de Bordeaux/Lysiane Gauthier A utour du “Maroc de Sébastien”, la production d’artistes majeurs de la mi-XIXe à la première moitié du XXe siècle laisse entrevoir une perception évolutive de ces contrées lointaines et méconnues. Bataillons ennemis guerroyants, chasses aux lions, esclaves prisonnières offertes à l’émir… Adrien Dauzats, Pierre-Nolasque Bergeret, Antoine-Louis Barye et leur incontestable chef de file, Eugène Delacroix, déclinent toutes ces thématiques fortement représentatives de l’ère romantique. A travers une peinture travaillée, ils expriment les grandes recherches qui caractérisent leur art : les sentiments tragiques de la vie, sa violence, mais aussi sa richesse et sa lyrique plénitude. Alors que l’on s’achemine vers la fin du LA DÉCOUVERTE XIXe siècle, les couleurs s’estompent, le trait D’UN MONDE se fait moins dense. L’apogée de l’inspiration NOUVEAU orientale se fait alors sous l’impulsion de DE LUMIÈRE noms, pour ne citer que ceux-là, tels que Jean-Désiré Bascoulès, un inconditionnel des ET DE COULEURS scènes du port d’Alger, Henri Clamens, auteur CONSTITUE de nombreuses productions autour de Fez LA SOURCE (Souk à Fez, Vue de Fez) Jean Launois, moins DE L’ÉVOLUTION tenté par les paysages que par les spectacles humains où l’on voit se croiser tous les âges ARTISTIQUE DE SÉBASTIEN. et toutes les conditions. Autre séquence de l’exposition, côtoyant huiles, aquarelles, gouaches et encres de Chine, une très belle collection de lithographies d’Eugène Guérard sur le thème de la vie au sérail éditées par la célèbre maison d’éditions bordelaise Goupil, ainsi qu’une série de photographies de femmes dardant toutes un fier regard, réalisées durant la seconde moitié du XIXe siècle. Les œuvres de Sébastien et de Raoul Dufy (début du XXe siècle) marquent la fin de cette incursion dans les pays du Maghreb que l’on devine moins exubérants qu’au siècle précédent. L’exaltation du départ fait place à l’apaisement (La Marocaine de Dufy) et à un trait plus dépouillé (Le barbier de Sébastien), très représentatif de la série de personnages à l’esprit naïf dessinés par Sébastien. Apprivoisé, l’Orient du XXe siècle s’est débarrassé de ses clichés au risque de perdre toute sa suavité. Annie Lebot Désirs d’Orients au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux jusqu’au 28 mai. Ouvert tous les jours de 11 heures à 18 heures sauf mardi et jours fériés. Musée des Beaux-Arts, 20, cours d’Albret, Bordeaux. Tél. : 05 56 10 20 56 5 euros, tarif réduit 2,50 euros NUMÉRO 3 AVRIL 2007 “Le café arabe”, par Sébastien (1931). “Le marchand de pois chiches”, par Sébastien (1931). Toute une ville L’univers de Sébastien, de son vrai nom Gabriel Simonet (1909-1990), qui mêle peinture, céramiques et dessins, est scindé entre un avant et un après-Maroc, pays qu’il visita entre 1930 et 1931, et qui inspira fortement son œuvre. C’est à partir de ce séjour nordafricain que son style se dépouillera à l’extrême. Initiée à l’occasion du don des œuvres de Sébastien par sa compagne, cette exposition est l’occasion pour le Musée des BeauxArts de Bordeaux de dévoiler la richesse des collections bordelaises. Elle a été organisée avec le concours du Musée des arts décoratifs, le musée d’Aquitaine, le musée Goupil, la bibliothèque municipale et les archives municipales. LE COURRIER DE L’ATLAS 89 cinéma Le petit Samy Seghir dans le rôle de Messaoud, dit Michou d’Auber (Aubervilliers). La guerre d’Algérie en scène et à l’écran D ernier long-métrage en date : Michou d’Auber, de Thomas Gilou, dans les salles depuis le 28 février. Inspiré de l’histoire de Messaoud Hattou, coauteur du scénario, qui à 9 ans, a été confié par son père à l’Assistance publique. La distribution réunit Nathalie Baye et Gérard Depardieu, Gisèle et Georges, dans le rôle de la famille d’accueil qui vit dans le Berry. L’omniprésence du contexte politique, avec les discours télévisés du général de Gaulle vénéré par Georges ou les actions de l’OAS, évite au film de tomber dans le piège de la bonne conscience. Même si la conversion de Georges à un idéal du “On est tous égaux” semble un peu miraculeuse. Au théâtre, ce n’est pas un hasard si Bernard-Marie Koltès entre aujourd’hui au répertoire de la Comédie française avec Le retour au 90 LE COURRIER DE L’ATLAS désert (1988) qui, même s’il s’en est toujours défendu, est son texte le plus politique. Une sœur de retour d’Algérie avec ses deux enfants s’installe dans sa maison, héritage paternel, occupée par son frère. Le lieu : une ville bourgeoise de province, la ville natale de l’auteur, Metz. Koltès y était élève au collège Saint-Clément, dans le quartier arabe de la ville, lorsque l’OAS y dynamita les bistrots. Ce contexte historique affleure sous les mots, mais le jeu des acteurs dessert la langue de Koltès et le propos politique s’en trouve appauvri. Pourquoi le rôle d’Aziz n’est-il pas tenu par un Maghrébin, malgré les recommandations formelles de l’auteur ? Les ratés de la mise en scène ne feront donc pas un événement de cette entrée à la Comédie française de l’un des plus grands dramaturges français contemporains. Les productions autour de la guerre d’Algérie ne sont pas nouvelles. “Il y eut plusieurs films tournés pendant la guerre, mais la censure interdisait les allusions directes à celle-ci” , explique l’historienne Raphaëlle Branche, maître de conférence à l’université Paris-I et auteure d’un ouvrage sur la guerre d’Algérie au cinéma. “Il y était donc question plutôt du départ des soldats, puis de leur retour d’Algérie. Mais de la torture, certainement pas.” Dans les années 1970, les films sont plus ambitieux et la censure plus discrète. C’est en 1977 que Laurent Heynemann porte à l’écran La question, d’Henri Alleg. Ce même texte est aujourd’hui repris au théâtre de Chaillot. La mise en scène s’attache à transmettre ce témoignage décrivant l’engrenage de la torture. Un thème difficile qui sera également le sujet du prochain film de Florent Emilio Siri, L’ennemi intime, dont la sortie est prévue en septembre prochain. Cinéma et théâtre, en puisant dans les témoignages d’époque, s’appliquent ainsi à mettre en lumière des faits méconnus. C’est le cas de La trahison, de Philippe Faucon, sorti au cinéma en 2006. Ce film, tiré du livre du journaliste Claude Sales, raconte comment quatre appelés de “souche nord-africaine” se préparent à attaquer leur régiment. Mais le film parle en arrière-plan, et c’est une nouveauté, des déplacements de population paysanne algérienne. Il a été entièrement tourné en Algérie pour plus de réalisme, tout comme certaines scènes de Mon colonel de Laurent Herbiet, également sorti l’année dernière sur grand écran. Autre point commun, Mon colonel a été lui aussi adapté d’un roman. L’histoire commence avec la mort NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR Depuis quelques mois, films et pièces de théâtre autour de la guerre d’Algérie se multiplient. Un regard souvent neuf et sans concessions sur un sujet jugé jusque-là délicat. Petite rétrospective. cinéma Relecture des événements Si les productions cinématographiques françaises des années 1980 à 1990 ont permis une réelle prise de conscience d’une histoire tragique, l’année 1999 marque un tournant politique notoire, avec la reconnaissance par l’Etat français des événements d’Algérie comme une véritable guerre. Mais ces deux dernières années, les films sur le sujet se multiplient. Entre 2006 et 2007, on dénombre au moins trois films par an contre un au début des années 1990. Pourquoi un tel intérêt, et pourquoi maintenant ? “C’est le temps qu’il a fallu pour fabriquer des films dont l’idée a surgi quand le sujet a refait surface entre 2000 et 2003”, explique Raphaëlle Branche. On assiste donc aujourd’hui à une relecture de certains épisodes de la guerre. Les points de vue sont plus divers et mettent en scène des regards nouveaux, ceux d’enfants, de combattants d’ici ou de là-bas… On revient sur des sujets difficiles, y compris la torture. Mais d’autres épisodes de l’histoire coloniale restent méconnus. En s’inspirant de faits historiques qui se déroulent durant la Seconde Guerre mondiale, Indigènes, de Rachid Bouchareb, fait ainsi exception. DR Séverine Renaud Le Retour du désert, une pièce de Bernard-Marie Koltès, mise en scène par Muriel Mayette. Jusqu’au 9 juin 2007 à la Comédie française, 2, rue de Richelieu, Paris 1er Infoline : 0825 10 1680 (0,15 TTC la minute) NUMÉRO 3 AVRIL 2007 “Morituri” d’Okacha Touita Adapté du roman éponyme de Yasmina Khadra, ce film est une intrigue policière haletante sur fond de guerre civile algérienne. Voici l’histoire de Brahim Llob (interprété par Miloud Khetib) – commissaire quinquagénaire et écrivain à ses heures – qui, à force de traquer les islamistes en est devenu la cible. Son supérieur le charge de retrouver la fille d’un ancien potentat du régime, mystérieusement disparue. Le commissaire Llob va mener l’enquête avec ses adjoints, les lieutenants Lino (Azzedine Bouraghda) et Serdj (Rachid Fares), avant de s’apercevoir qu’il avance en terrain miné, entre groupuscules terroristes et mafia politico-financière… Un film noir qui nous replonge dans des années tout aussi noires, sur une bande originale signée Rachid Taha. Y.M. Morituri, par Okacha Touita, avec Miloud Khetib, Azzedine Bouraghda, Boualem Benani, Ahmed Benaissa, Rachid Fares, Malika Belbey, Sid Ali Kouiret et Sid Ahmed Agoumi. Sortie au cinéma en France le 27 avril www.morituri-lefilm.com Le “court” marocain à Pantin MARSAVRIL Pour sa seizième édition, le festival du film court “Côté court” donne carte blanche à la nouvelle cinémathèque de Tanger et propose pour l’occasion une grande rétrospective du court-métrage marocain, de 1995 à nos jours. Une dizaine de programmes et de tables rondes sont prévues et trentequatre films seront projetés, parmi lesquels les œuvres des réalisateurs Yasmine Kassari, Laïla Marrakchi, Mounir Fatmi, Leïla Kilani, Faouzi Bensaïdi, Mohamed El Baz ou encore Narjiss Nejjar. Festival “Côté Court”, jusqu’au 6 avril, Ciné 104, 104, avenue Jean-Lolive, 93500 Pantin, Tél. : 01 48 91 24 91 www.cotecourt.org E &E S T I VA L D U F I L M C O U R T E N 3 E I N E 3 A I N T $ E N I S 0A N T I N ! 5"%26),,)%23s"!'./,%4s"/")'.9s,!#/52.%56%s3!).4$%.)3s3!).4/5%. W W W C O T E C O U R T O R G ¥%LLIOTCHKA0HOTO'AÑLLE$ILL du colonel Raoul Duplan à Paris et l’envoi d’un mot mystérieux aux enquêteurs renvoyant au trouble passé algérien du colonel. Et le jeune coproducteur du film, Salem Brahimi, s’est dans la foulée lancé dans la production d’un autre long métrage sur les événements : Les cartouches gauloises, de Mehdi Charef, qui raconte les trois derniers mois avant l’indépendance vus à travers les yeux du petit Ali, 10 ans, marchand de journaux à Alger. Sortie annoncée pour le 29 juin 2007. LES DVD DU MOIS “Indigènes” Le film de Rachid Bouchareb n’a pas remporté la statuette du meilleur film étranger aux Oscars, mais il est enfin en DVD. On y découvre quatre héros oubliés de l’histoire, interprétés par Jamel Debbouze, Sami Bouajila, Samy Naceri, et Roschdy Zem. Des “indigènes” qui vont s’engager dans l’armée française afin de libérer la mère patrie de l’ennemi nazi… Un beau film. Indigènes, de Rachid Bouchareb, sortie le 5 avril dans un coffret collector “Fatma” Ce film, inspiré d’une histoire vraie, raconte les tourments de Fatma, une jeune sfaxienne victime d’un viol, qui décide de se faire recoudre l’hymen pour épouser l’homme qu’elle aime. Un film poignant, œuvre du réalisateur tunisien Khaled Ghorbal, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes à sa sortie en 2001. En bonus du DVD : une interview de Khaled Ghorbal et un de ses courts-métrages : El Mokhtar. Fatma, de Khaled Ghorbal, sortie le 12 avril “L’immeuble Yacoubian” Tiré du best-seller éponyme de l’Egyptien Alaa Al Aswany, le film raconte l’histoire d’un immeuble bourgeois décrépi du Caire, et des familles qui y vivent sans se côtoyer, entre nobles déchus et paysans exilés. En toile de fond se déroule l’histoire de l’Egypte de ces cinquante dernières années, depuis la fin du règne du roi Farouk jusqu’à l’arrivée des Frères musulmans. Un casting servi par les stars égyptiennes Adel Imam, Yousra et Nour El Chérif, et par la jeune Tunisienne Hind Sabri. L’immeuble Yacoubian, de Marwan Hamed, sortie le 17 avril LE COURRIER DE L’ATLAS 91 musique Souad Massi : balle au centre C’est en studio, au dernier jour du mixage de son album live acoustique – à sortir en septembre 2007 – que Souad Massi répond à nos questions. Dynamisée par une tournée marathon qui s’achèvera en juin prochain, elle nous raconte son actualité musicale et, plus étonnant, sa passion pour le football. Interview. ourquoi avoir opté pour un live acoustique ? Au départ, je penchais pour un live classique, mais le résultat des concerts acoustiques que nous avons donnés en janvier-février m’a tellement plu que ce choix s’est imposé comme une évidence. La formation est composée de deux guitares, un percussionniste et un luth. Leur interprétation m’a apporté beaucoup et m’a reposée dans la dernière ligne droite de notre tournée qui dure depuis plus de deux ans. Le CD-DVD comprendra des titres enregistrés lors d’une dizaine de concerts. On y retrouvera des chansons de mes trois albums. Tu as dû vivre énormément de moments forts pendant cette tournée... Oui, notamment mon retour en Algérie en avril 2006. J’ai renoué avec un public qui me réclamait depuis de nombreuses années. J’ai été très bien reçue. Là-bas, le public est dif- 92 LE COURRIER DE L’ATLAS férent, il comprend mes paroles, elles leur parlent, certains ont vécu les mêmes épreuves que moi. J’ai hâte de retourner y jouer. Je me souviendrai également toujours du Soudan. Le pouvoir a voulu annuler le concert. Qu’une femme donne un spectacle ne plaisait pas à certains ministres. Avec des écrivains, des journalistes soudanais et le soutien du Centre culturel français, on a dû batailler pour jouer. Et même pendant le concert, des miliciens islamistes veillaient à ce que les spectateurs, et surtout les femmes, n’expriment pas trop librement leur joie, ne dansent pas, ne crient pas. Finalement, le public a fini par bouger et ça a été un moment magique. Quels sont tes projets au terme de ta tournée ? En fait, après mon dernier concert en juin prochain, je compte faire un break d’un an pour me ressourcer. Je voyagerai sans doute un peu, j’irai passer du temps en Algérie. Rien n’est encore prévu pour mon quatrième album. Je ne reprendrai la guitare que si je sens l’inspiration venir. L’unique chose que j’ai vraiment programmée, c’est de prendre une licence en 2007 dans le club de foot de Drancy. J’adore jouer au foot, c’est agréable, ça permet d’avoir la forme. Ça me fait beaucoup de bien. A quand remonte cette passion ? Quand j’étais enfant, j’étais un peu garçon manqué, et je jouais au foot avec mon frère. On jouait surtout dans la rue avec des bouts de chiffons, même pas avec un vrai ballon. Je n’étais pas au niveau des garçons, donc je gardais les buts. Contrairement aux clichés que l’on colporte sur l’Algérie, jamais on ne m’a dit de ne pas jouer au nom de la religion. Les gens s’en foutaient. En revanche, quand j’allais à mes cours de guitare, là, je me faisais insulter. C’était mal vu par certains. As-tu des souvenirs de la victoire des Fennecs sur l’Allemagne à la Coupe du monde 1982 ? J’avais 10 ans et je me rappelle encore du cri du commentateur quand Madjer a marqué. Ça va me rester à vie. J’ai pensé qu’il allait avoir un arrêt cardiaque tellement il était heureux. C’était un exploit, mais surtout le jeu était beau. Ce côté artistique des joueurs, aujourd’hui, ça me manque. D’ailleurs, je vais rarement au stade à cause de cela. Tu suis quand même le championnat algérien ? Non. Je n’aime plus le football de club algérien. Je suis très déçue du niveau des joueurs, alors que dans les années 80, ils étaient vraiment au summum. C’est pareil pour l’équipe d’Algérie. Pourtant, il existe un vrai potentiel, il y a vraiment de très bons jeunes, mais il faudrait les prendre en charge dès leur plus jeune âge pour qu’ils soient mieux encadrés. Les jeunes NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR P musique Si Zebda m’était conté… qui jouent, c’est l’âme de l’Algérie. Il n’est pas normal que notre niveau soit aussi bas. En tant qu’Algérienne, quel regard portes-tu sur Zidane ? En fait, son coup de tête en finale de la Coupe du monde m’a beaucoup contrariée. Pour moi Zidane, avec Pelé, c’est LE dieu du foot. Mais en même temps, je le comprends. Personnellement, si quelqu’un insulte ma mère, je suis capable de le frapper. Je sais que cela peut choquer, mais pour moi, on doit défendre son honneur. D’ailleurs, j’éprouve toujours un très grand respect pour Zidane. J’aime son attitude. Lui n’insulte jamais personne sur le terrain. Sa réussite donne une très bonne image du Maghreb et je pense que ça peut même faire évoluer des personnes racistes. L’image qu’il dégage est plus forte que tous les discours. Zidane dit tout par son jeu. DR Il pourrait aussi s’engager politiquement… Je ne crois pas. Il n’est pas préparé pour tenir un discours politique. C’est souvent si mal interprété. En revanche, je sais qu’il aide beaucoup d’associations en Algérie. Et il n’a pas attendu son voyage médiatisé en décembre pour cela. D’ailleurs, à mon niveau, j’ai aussi envie d’aider les jeunes en Algérie. Et ça passera sans doute par le sport. Propos recueillis par Thomas Goubin Le 17 avril à Vénissieux au théâtre, 8, boulevard Laurent Guerin, 69200 Vénissieux. Tél. : 04 72 90 86 68 Le 27 avril à Strasbourg, parc des expos Wacken, avenue Schutzenberger, 67000 Strasbourg. Tél. : 03 88 37 67 67 www.souadmassi.artistes. universalmusic.fr NUMÉRO 3 AVRIL 2007 Zebda (le beurre en arabe), c’est près de vingt ans de ragga joyeux et de dub furieusement engagé, avec deux Victoires de la musique et un prix de l’Académie Charles Cros au compteur, et des tubes inoubliables comme Le bruit et l’odeur, Motivés, Oulalaradim ou encore Tomber la chemise. Depuis, les sept Toulousains se sont séparés. Les frères Mouss et Hakim cartonnent depuis deux ans avec leur album Mouss et Hakim ou le contraire, et Magyd Cherfi sort ce mois-ci son album solo, Pas en vivant avec son chien. Quant au guitariste Pascal Cabero, il vient de publier un livre racontant les backstages de Zebda, depuis la naissance du groupe en 1982 jusqu’à sa dissolution. Des amis, des succès, mais également pas mal d’emmerdes... Zebda : Tomber la Chemise. Label Danger Public, 14,50 € Mouss et Hakim : Mouss et Hakim ou le contraire. Album. Label Atmosphériques, 2005, 9,99 € Magyd Cherfi : Pas en vivant avec son chien. Album, sortie le 10 avril Pascal Cabero : Tomber la chemise. Livre. Ed. Danger public, 14,50 € DANS LES BACS Gnawa Home Songs S’il ne fallait garder qu’une compilation de musiques gnawas, ce serait sûrement celle-ci. Aux manettes, on retrouve la fine équipe du festival de musiques gnawas d’Essaouira, à savoir Emmanuelle Honorin, Karim Ziad et Loy Ehrlich. Ensemble, ils nous ont réuni la crème des mâalems, les maîtres gnawis, des quatre coins du Maroc, avec Abdelkader Merchane, Hamid El Kasri, Abdelkebir Amlil, Hassan Boussou et son père Hmida Boussou qui nous a quittés en février dernier... Gnawa Home Songs. CD album, 22,26 € L’Algérino “Mentalité Pirate” Le rappeur revient dans les bacs avec son deuxième opus : Mentalité Pirate. Dans la continuité du précédent, cet album est toujours aussi conscient et engagé. Mais pas seulement. On y découvre des titres concepts, où l’Algérino Jack Sparow (en référence au film Les Pirates des Caraïbes) s’essaie à de nouveaux délires. Le rap de ce beau Marseillais aux yeux bleus fait mouche. Mentalité Pirate. CD album, 12,85 € Karima Skalli “Wasla” En musique, la wasla est une suite de pièces vocales et instrumentales composées ou improvisées dans le même mode dit “maqâm”. Mais le mot signifie également “ce qui relie”. Cet album est ainsi une magistrale “wasla” entre trois artistes de talent : la chanteuse marocaine Karima Skalli, le compositeur tunisien Lotfi Bouchnak et son compatriote le poète Adam Fethi, qui nous livrent ici un pur moment de musique arabe classique comme il ne s’en fait plus. Wasla, CD. Harmonia Mundi. Produit par l’Institut du monde arabe. 17 € No Blues “Ya Dunya” Un album entre deux mondes, estampillé 100 % pur arabicana, cette musique métissée de blues et d’Orient. Une musique tantôt lascive, tantôt festive, mêlant sans complexe la guitare d’Ad Van Meurs et la contrebasse d’AnneMaarten Van Heuvelen aux oud et vocalises de Haytham Safia, et y invitant parfois d’autres sonorités nomades, des Balkans au Golfe persique en passant par les rives du Jourdain. No Blues : Ya Dunya. Label Rounder Europ, 16,84 € LE COURRIER DE L’ATLAS 93 livres Faïza Guène un truc de “ouf” On connaissait “Kiffe Kiffe demain”, son premier roman vendu à 200 000 exemplaires. Avec “Du rêve pour les oufs”, la plume de Faïza gagne en maturité. Zoom sur cette jeune romancière à la prose décapante et sur son dernier roman. A Ivry, les filles sont des “bouguettes”, les “keufs” sont “relous”, les “crevards s’engrainent”, l’injustice c’est “cheum”. Et pour le rêve ? Inchallah. Son quotidien, c’est dans un mélange de verlan, d’arabe et de proverbes africains que nous dépeint Ahlème (qui signifie “les rêves” en arabe), l’héroïne du dernier roman de la jeune Faïza Guène. Dans Du rêve pour les oufs, Faïza nous raconte l’histoire de cette jeune femme de 24 ans qui vit dans une cité à Ivry avec son père et son petit frère. Sa mère a été assassinée en Algérie. Elle-même est arrivée en France à l’âge de 11 ans. Pas facile pour elle de s’occuper de son père – qu’elle appelle “le patron” et qui a perdu la boule dans un accident de chantier – et de son “chétane” de frère qui tourne mal. Entre une mission d’intérim de comptage de clous chez Leroy Merlin et un poste de vendeuse dans un magasin de chaussures, ses rendez-vous amoureux foireux et ses heures d’attentes pour obtenir une carte de séjour à la préfecture, Ahlème tente tant bien que mal de joindre les deux bouts. Et c’est avec humour et cynisme qu’elle continue de se battre pour faire exister ses rêves. “Les gens qui remplissent leur frigidaire en faisant ce qu’ils aiment ont bien de la chance. Si c’était mon cas, je rendrais grâce au bon Dieu bien plus de cinq fois par jour, ça mériterait au moins ça.” Derrière les mots, parfois violents, il y a cette parade : un humour acide et poétique qui épargne le récit de tout misérabilisme. Faïza Guène a réussi un pari délicat : mettre la “lexicologie” des cités au service d’une prise de conscience. La discrimination et la délinquance menacent chaque jour les immigrés qui doivent se battre deux fois plus que les autres. Et au-delà de son jargon bien particulier, résonne une double dimension… “J’ai la conviction que le changement passera par les femmes”, affirme la jeune romancière. Et sa dernière héroïne, Ahlème, incarne à la perfection cette volonté. Elle est à la fois la mère qui éduque un adolescent et protège un père sénile, la jeune femme ; celle qui aspire à l’amour et se berce d’illusions, la confidente et le chef de famille, celle qui ramène de l’argent et qui prend des décisions. Et malgré l’importance accordée à la féminité, aucun féminisme n’affleure dans sa représentation. Aux côtés d’Ahlème, on rit, on sursaute, on s’indigne, mais jamais on ne compatit. Une leçon de vie que l’on partage, à la force des mots. Romy Ducoulombier “Du rêve pour les oufs”, Hachette Littératures, 211 p., 16 €. VIENNENT DE PARAÎTRE “Lettre ouverte à un fils d’immigré” “Initiation au tachelhit”, langue berbère du sud du Maroc “S’il y en a que cela gêne de vivre en France, qu’ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment pas.” Lorsqu’il entend cette phrase de Nicolas Sarkozy, Nadir Dendoune, délinquant repenti devenu journaliste, est d’abord sidéré. Jusqu’à présent, il avait plutôt l’impression que c’était la France qui ne l’aimait pas. Il décide de répondre sous forme d’une lettre ouverte pour raconter une réalité des quartiers sensibles bien différente de celle décrite par le candidat ministre. Do you speak tachelhit ? Si ce n’est pas le cas, voici un moyen à la fois ludique et instructif de se mettre au berbère du Sud-Ouest marocain grâce à ce manuel d’apprentissage accompagné d’un CD audio. A l’origine de cet outil pédagogique interactif : Abdallah El Mountassir, qui a longtemps enseigné cette langue ancestrale, notamment à l’Alliance franco-marocaine d’Agadir et à l’Institut nationale des langues et civilisations orientales de Paris. Nadir Dendoune, “Lettre ouverte à un fils d’immigré”. Ed. Danger Public, 14,50 € Abdallah El Mountassir, “Initiation au tachelhit”. Ed. Langues Mondes L’Asiathèque, 30 € “La Kahina” “Ma boîte noire” Près d’un an après sa sortie au Maroc, le dernier roman du journaliste et dramaturge Driss Ksikes – ex-rédacteur en chef des hebdomadaires Tel Quel et Nichane – vient d’être publié en France par les éditions Le grand souffle. Le narrateur – un certain Mokhtar B. – revient au domicile paternel après une fugue qui aura duré vingt ans. L’occasion pour lui d’explorer sa boîte noire, d’égrainer ses souvenirs enfouis – entre premiers émois charnels et pressions familiales – et de renouer avec les fantômes du passé. Gisèle Halimi, “la Kahina”, Ed. Plon, 21 € Driss Ksikes, “Ma boîte noire”, Ed. Le Grand Souffle, 11,80 € 94 LE COURRIER DE L’ATLAS DR Avocate, écrivaine et fervente militante des droits des femmes, Gisèle Halimi a choisi de clore son cycle semi-autobiographique initié par le Lait de l’oranger, et complété par la Cause des femmes avec une épopée historique consacrée elle aussi à une figure féminine. Et quelle figure ! Dans ce roman passionnant et richement documenté, l’auteur retrace l’épopée de la plus célèbre amazone d’Afrique du Nord : la Kahina, reine des Aurès, farouche guerrière et femme passionnée. Un personnage à son image. NUMÉRO 3 AVRIL 2007 livres “L’hiver, le vent, le froid, et la lumière.” “Tintin en terres d’ocres.” “Kairouan : la grande mosquée.” “Tunisie(s) : l’autre voyage” E scale à Kairouan, arrêt à Tozeur, détour par Tatahouine, puis halte à Sfax, et découverte de Tamerza, Kerkouane, Chott El Jerid, Sidi Youssef, et des oasis de Nefta, Douz, ou encore Ksar Ghilane… Dans Tunisies, Voyages en terre d’ocre, l’invétéré globe-trotter Jean-Christophe Vila nous propose un journal de bord pas comme les autres, sortant des sentiers battus pour mieux nous entraîner sur les chemins de traverses, des déserts de sables et de sels aux archipels de Kerkennah en passant par la visite de mosquées centenaires et de vestiges antiques... C’est d’ailleurs sciemment que Jean-Christophe Vila a conjugué la Tunisie au pluriel. Après avoir traversé le pays à moto, il découvre, rencontre et interroge, évoquant à chaque détour l’histoire d’Yfrikya, mais aussi tous ces grands voyageurs et autres écrivains qui l’y ont précédé. Dans cet ouvrage très personnel, ce sont ses propres impressions qu’il nous livre, illustrées de ses photographies, tantôt images de la vie quotidienne, tantôt prises de vues poétiques et artistiques. Un carnet de voyage tout en sensibilité – et non dénué d’humour – préfacé par le journaliste Salvatore Lombardo, loin, très loin des guides de voyage, brochures touristiques et autres livres de photographie classiques. Yasrine Mouaatarif Jean-Christophe Vila, “Tunisies, voyages en terre d’ocre”. Editions Transbordeurs, 15 € “203 dans la nuit sfaxienne.” NUMÉRO 3 AVRIL 2007 “Sur la route d’un retour qui n’en est pas un.” LE COURRIER DE L’ATLAS 95 culture AGENDA J’aime l’Amérique L’artiste marocain Mounir Fatmi a dédié cette installation au philosophe de la déconstruction Jacques Derrida. Pour les besoins de cette exposition, il a travaillé sur le thème du drapeau américain, “En terre inconnue” Dans le cadre des manifestations “Lyon 1800, 1914 : l’esprit d’un siècle”, le Musée africain de la ville propose une exposition intitulée “En terre inconnue, regards des missionnaires sur l’Afrique”. Objets inédits, documents d’époque, photos, récits personnels et Jusqu’au 24 juin FESTIVAL “Made in Maroc” Après le Brésil et le Mali, c’est au tour du Maroc d’être mis à l’honneur par l’association Zutique. Et pour l’occasion, les Di$)*/. $5-!23!5*5). jonnais ont fait les choses en grand en invitant une centaine d’artistes venus de tout le royaume et des quatre coins de l’Hexagone. Au programme des réjouissances : Darga, Aïcha Redouane, Cherifa, Touria Hadrioui, les rappers Bigg et H Kayne, le maître gnawi Majid Bekkas, le DJ Zayan Freeman, mais aussi les Gnawa Diffusion, Dee Nasty, DJ Click et bien d’autres… Toute la programmation au 03 80 28 80 42 ou sur www.zutique.com/madein 5NREGARD SURLESCULTURESMAROCAINES -53)15%#).³-!6)$³/0(/4/#/.4%!2430,!34)15%3$!.3% w ).&/,).%\WWWZUTIQUECOMMADEIN construisant puis déconstruisant la bannière étoilée, la transformant en un énorme obstacle impossible à surmonter. Paris 12e, La Maison rouge Fondation Antoinede-Galbert 10, boulevard de la Bastille Tél. : 01 40 01 08 81 supports multimédias racontent l’itinéraire des anciens missionnaires lyonnais partis à la découverte du Continent Mère. A Lyon, Musée africain 150, cours Gambetta Tél. : 04 78 61 60 98 Jusqu’au 31 juillet EXPOSITION Jeremy Fisher n’est pas un enfant comme les autres. Il Jusqu’au 6 avril JEUNESSE “Un enfant pas comme les autres” est né palmé, et jour après jour il se transforme en poisson. Ses parents ont de plus en plus de mal à le faire accepter avec sa particularité. Une jolie fable des temps modernes sur la différence et la tolérance écrite par le comédien, metteur en scène et scénariste Mohamed Rouabhi. Spectacle pour enfants à partir de 7 ans. . Paris 20e, Théâtre de l’Est Parisien 159, avenue Gambetta Tél. : 01 43 64 80 80 Le 3 avril CONCERT Rabih Abou Khalil Le jazzman libanais au oud enchanté est en France le temps de quelques concerts. L’occasion de savourer ses arabesques jazzy et son style très personnel en direct live. A Bondy (93), salle André Malraux 23, cours de la République Tél. : 01 48 47 94 15 Le 3 avril CONCERT IAM Faut-il encore les présenter ? Les grands frères du rap français signent un nouvel opus intitulé Saison 5 qui sera dans les bacs dès le 2 avril et montent le présenter sur la scène du Bataclan pour un concert qui s’annonce d’ores et déjà phénoménal ! Paris 11e, Le Bataclan 50, boulevard Voltaire Tél. : 01 43 14 00 30 Les 3 et 4 avril THEATRE “Avec toute l’expression de ma Kabylie distinguée” Un jeune homme, Mohamed, cherche à réconcilier ses deux identités, Moh et Ahmed, en puisant dans ses racines et dans ses différentes origines. Une pièce de Moussa Lebkiri mise en scène par Smaël Benabdelouhab. Ile-Saint-Denis (93), Centre Jean-Vilar 3, rue Lénine Tél. : 01 49 22 11 09 Du 3 avril au 12 mai ONE-MAN-SHOW Smaïn Le doyen de “l’humour beur” remonte sur scène avec un nouveau one-manshow. Près de deux heures de palabres sur le zinc d’un bistrot pendant lesquelles il passe tout en revue : du mariage mixte à la police en passant par la psychanalyse ou encore le racisme. Paris 10e, Théatre du Gymnase 38, boulevard BonneNouvelle Tél. : 01 47 70 04 27 Et le 27 avril à Carquefou (44) Théâtre de La Fleuriaye Rue Léonard-de-Vinci Tél. : 02 40 68 72 72 Du 4 au 6 avril CONCERT Lo’Jo Tu connais Lo’Jo ? Ce n’est pas une question mais le titre du nouvel album de ce groupe inclassable, au style hybride et métissé. Une musique à la fois euphorisante et complètement baroque, quelque part entre le bal musette, la fiesta berbère et la nouba tzigane. A consommer sans modération. Paris 10e, La Maroquinerie 23, rue Boyer Tél. : 01 40 33 35 05 Du 4 au 21 avril TOURNEE Chimène Badi La petite chanteuse qui monte, qui monte… Après l’Olympia à Paris, Chimène Badi entame une tournée un peu partout en France pour présenter son dernier album Le Miroir. Elle sera : Le 4 avril à la Patinoire Meriadeck de Bordeaux, le 5 au Zénith de Limoges, le 6 au Zénith d’Orléans, le 11 au Zénith de Lille, le 12 à l’Elispace de Beauvais, le 13 avril au Zénith de Rouen, le 17 au Forest National de Bruxelles, le 19 au Zénith de Caen, le 20 au Musikhall de Rennes et le 21 au Zénith de Nantes. Toutes les dates sur : www.chimenebadi.fr Du 10 au 14 avril FESTIVAL “Alliances Urbaines” à Bagneux La 10e édition du “Festival des alliances urbaines” de Bagneux se tiendra du 10 au 14 avril. Comme chaque année au programme, du sport, de la danse, de l’humour et trois dates de concerts. Entre autres têtes d’affiche : Method Man, Sefyu, Youssoupha, Sofiane et Eklips du Remède et la chanteuse Perle Lama partageront la scène avec les jeunes rappeurs de la ville. Infoline : 01 42 31 60 50 www.alliances-urbaines.com 96 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR Jusqu’au 13 mai EXPOSITION culture Du 4 au 29 avril TOURNEE Tinariwen Les “rockers bleus du désert” nous reviennent en force avec un nouvel album, Aman Iman (l’eau c’est la vie), et une grande tournée un peu partout en France. Au programme : guitare électrique, vibes touaregs, blues des sables et musique nomade qui déménage ! Le 4 avril au Grand Mix de Tourcoing (59), le 6 au Festival Garorock de Marmande (47), le 7 au Bataclan de Paris (11e), le 8 à L’Autre canal de Nancy (54), le 9 au Théâtre 145 de Grenoble (38), le 14 au Kao de Lyon (69), à 19 à L’Abordage d’Evreux (27), le 20 à l’Olympic de Nantes, le 21 au Le Vauban de Brest (29), le 25 au Chabada d’Angers (49), le 26 au Château Rouge d’Anemasse (74), le 27 au Festival Artefact de Strasbourg (67), le 28 au Victoire 2 de Montpellier (34) et le 29 à El Mediator de Perpignan (66). Toutes les infos sur www.tinariwen.artistes. universalmusic.fr Le 6 avril CONCERT Amina DR Si la chanteuse tunisienne, interprète entre autre de la chanson “C’est le dernier qui a parlé”, se fait rare sur scène, chacune de ses apparitions reste un véritable enchantement. Saint-Loubes (33), La Coupole 36, chemin de Nice Tél. : 05 56 68 67 06 tion organise à Paris un grand festival en présence de nombreux artistes de la scène kabyle tels que Alilou, Iguercha, Mourad Guerbas, Célina, Nourinas et le groupe Tighri. Paris 19e, Cabaret Sauvage Parc de la Villette 59, boulevard Mac Donald Tél. : 01 46 58 29 99 Du 7 au 9 avril LITTERATURE Du 7 au 9 avril FESTIVAL La chanson kabyle Salon des littératures francophones de Balma A l’occasion du Printemps berbère, Akfadou produc- Le Maghreb est à l’honneur à l’occasion du 8e Sa- lon des littératures francophones de Balma, près de Toulouse. Parmi la cinquantaine d’auteurs francophones invités, l’Algérien Boualem Sansal, la Tunisienne Hélé Béji, le Mauritanien M’Bareck Ould Beyrouck et le Marocain Fouad Laroui. L’entrée est libre. Mairie de Balma 6, avenue FrançoisMitterrand Renseignements : 05 61 24 92 74 Du 7 au 14 avril CONCERT El Gafla Chaâbi algérois, jazz manouche ou chanson française… Pourquoi s’embarrasser avec un seul style musical quand le monde regorge d’influences diverses et de rythmes variés ? C’est le constat des membres de El Gafla (en arabe : la caravane) qui ont, chacun à leur façon, apporté dans cette musique un petit bout d’ailleurs, qui de France, qui du Cameroun, qui de Pologne et qui d’Algérie. Le 7 avril au Festival “Pay ta Tong” à La Ferrière (85) Infoline : 06 84 30 33 30 7 avril THEATRE “Confession d’un musulman de mauvaise foi” Le 7 avril CONCERT “100% Tunisie” C’est la grande “rboukh party” annuelle ! La soirée “100 % Tunisie” organisée au Zénith de Paris offre cette année encore une programmation de folie, avec Walid Tounsi, Alia Belaïd, Fatema Bouseha, Hedi Dounia, Achraf, Ouled Jouini, Hichem Nagati et Faïza El Mehrezi. Et la soirée sera animée par une star du petit écran tunisien : le comédien hilarant Sbouai. Zénith de Paris, 211 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris. Paris info line : 01 43 46 82 88 Dans l’Algérie des années 1960, Karim tombe éperdument amoureux de Micheline, qui doit le quitter pour rejoindre la France. Une pièce écrite, mise en scène et interprétée par Slimane Benaïssa, accompagné sur scène par Damien Bernard, Erwan Dujardin et Hala Ghosn. Albertville (73), Dôme Théâtre Place de l’Europe Tél. : 04 79 10 44 88 Le 12 avril CONCERT Gnawa Diffusion Menés par le charismatique Amazigh Kateb, les Gnawa Diff’ mettent le feu sur scène ! Le groupe de gnawis grenoblois et leur ragga déjanté continuent la tournée d’anniversaire de leur dix printemps qui devrait s’achever cet été. Rouen, Hangar 23 Quai de Rouen www.gnawadiffusion.com Jusqu’au 7 avril EXPOSITION “Rétro-Perspective” L’univers artistique de Zaim Atid est une grande mosaïque humaine, un grand puzzle de couleurs et de sentiments que cet artiste plasticien – adepte de la technique du collage – agence avec beaucoup de sensibilité, de sens et d’intelligence. Bordeaux, galerie Alcheringa 42, rue Bouffard Tél. : 05 56 52 55 36 Les 13 et 14 avril CLUBBING DJ Abdel Même les étrangers des dance floors connaissent ses mix, devenus célèbres Du 17 au 22 avril FESTIVAL “Le printemps de Bourges” Le rendez-vous de tous les mélomanes et autres amateurs de musiques actuelles fête cette année ses 30 printemps ! Raison de plus pour venir célébrer les musiques, toutes les musiques, tous genres et toutes générations confondues. De cette programmation monumentale, citons entre autre madame Juliette Gréco, Abdel Malik, Jacques Higelin, Joey Starr, Mano Solo, Malouma, Gotan Project, Khalid K, Miossec, Rocé, Alki D ou encore Oxmo Puccino & The Jazzbastards. Tout le programme www.printemps-bourges.com ET PLEIN DE BONS PLANS SUR LE SITE LECOURRIERDELATLAS.COM DANS LA RUBRIQUE “SORTIES” NUMÉRO 3 AVRIL 2007 LE COURRIER DE L’ATLAS 97 culture Du 1er au 29 avril EXPOSITION “Bordeaux-Nouakchott, road-movie” Le photographe Jérôme Buchholtz a décidé de prendre la route goudronnée flambant neuve qui relie depuis peu le Maroc à la Mauritanie. Pour cela, il s’est embarqué dans un convoi de voitures françaises tout juste échappées de la casse et envoyées en Afrique pour y vivre une seconde jeunesse. De cette expédition pas comme les autres sont nées plusieurs séries de photos saisissantes de vie et de couleurs, dont certaines sont présentées en plein air, sur les grilles du Jardin public, dans le cadre de l’exposition “Itinéraires des photographes voyageurs”. Bordeaux, Jardin public, cours de Verdun Tél. : 05 56 92 65 30 Le 14 avril ONE-MAN-SHOW Hicham Hicham, c’est un jeune comédien plein d’humour, originaire de Bouzonville, près de Metz. Un talent en herbe qui monte sur scène depuis l’âge de 14 ans, raconte sa vie en stand up et l’illustre en musique avec les mix et autres charts du moment. Talent à suivre. 98 LE COURRIER DE L’ATLAS MJC de Bouzonville (57) Foyer de Vaudreching Infoline : 03 87 69 04 80 Le 19 avril CONCERT Dikes Le chanteur et guitariste Dikes fait son grand retour sur scène. Entouré de musiciens d’horizons éclectiques, il se fait l’interprète d’une nouvelle chanson française, aussi réaliste, servie sur une musique à la fois sucrée et métissée. Paris 13e, Péniche El Alamein Quai François-Mauriac, face à la BNF Tél. : 01 45 86 41 60 Le 21 avril DANSE “Flamencoriental” C’est le chorégraphe An- tonio Najarro qui a imaginé ce magnifique spectacle, célébrant les noces de la fougue flamenca et de la sensualité orientale, et mis en musique par des musiciens espagnols, arabes et indiens. Montauban (82) à L’Eurythmie Rue Salvador-Allende 82000 Montauban Tél. : 05 63 91 03 61 Le 26 avril THEATRE “Enfant de harki” Ce n’est pas encore une pièce aboutie mais plutôt un projet théâtral, œuvre de Dalila Kerchouche, qui tente ici d’adapter son propre ouvrage intitulé Mon père ce Harki, l’étayant de témoignages de victimes du camp de Bias et d’un texte dans lequel elle dénonce leurs conditions de vie. Entrée libre et réservation conseillée. Bordeaux, Le Molière 33, rue du Temple Tél. : 05 56 01 45 66 Du 26 au 28 avril DANSE “Flamenco Al Andalus” Un spectacle haut en couleurs qui nous mène sur les traces du flamenco, danse gitane et nomade, depuis l’Inde où elle est née, jusqu’en Andalousie où elle s’est épanouie, en passant par l’Egypte et les pays du Maghreb où elle a puisée son inspiration. Lyon 3e, Bourse du Travail 205, place Guichard Tél. : 04 78 60 11 77 Le 27 avril CONCERT Camel Zekri Cet artiste de génie, originaire du Sud algérien, est passé maître de la fusion, mêlant les musiques traditionnelles et électroniques, et mariant les différentes rythmiques africaines – du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. A (re)découvrir d’urgence ! Alençon, Théâtre Scène nationale 2, avenue de Basingstoke Tél. : 02 33 29 02 29 ET PLEIN DE BONS PLANS SUR LE SITE LECOURRIERDELATLAS.COM DANS LA RUBRIQUE “SORTIES” NUMÉRO 3 AVRIL 2007 DR depuis ces apparitions sur Canal+ et ses émissions sur Radio FG. DJ Abdel sera aux platines du Millénium le temps de deux soirées à ne pas rater. Othis (77), Millenium Club Rue Mauricia-Coquiot Tél. : 01 60 54 92 30 2 mois pour tester un crédit ça ne coûte rien d’essayer ! Et ensuite, que choisissez vous ? Vous remboursez par petites mensualités fixes à partir du 3ème mois. Votre crédit est remboursé en douceur. Vous remboursez à la fin du 2ème mois la totalité de la somme empruntée. Sans frais supplémentaires. 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INFORMATIONS CONSOMMATEURS : Offre valable du 24/03/2007 au 30/04/2007 . (1) Crédit reconstituable d'un an renouvelable consenti par COFIDIS SA sous réserve d'acceptation de votre dossier. Le coût total du crédit dépend de son utilisation : il varie suivant le montant, la durée du découvert effectif du compte et le montant des mensualités. Perceptions forfaitaires de 0�. Vous bénéficiez d ’un délai légal de rétractation de 14 jours suivant la signature de votre contrat. Conditions en vigueur au 19/03/07. (2) Les mensualités intègrent le remboursement du capital, les intérêts ainsi que l'assurance du compte si vous y avez souscrit. Exemple : Pour un financement de 1000�, demandé le 15/04/07, avec des mensualités de 30� le coût total du crédit s’élève à 408.02� hors assurance. Vous bénéficiez de 2 mois de report gratuit. Plus la mensualité est faible, plus la durée de remboursement est longue, plus le coût du crédit est élevé. (3) A l’issue de la période de report, vos remboursements s’effectueront au taux en vigueur à cette période et qui vous aura été préalablement communiqué. Le report de mensualités allonge la durée de remboursement du crédit. (4) Dans le respect du délai légal de rétractation. “Offre de crédit réservée aux personnes résidant en France métropolitaine.” Les informations recueillies nécessaires pour le traitement de votre demande, seront utilisées par COFIDIS SA pour les seules nécessités d’actions commerciales et pourront être communiquées à des tiers. Vous pourrez ainsi recevoir des offres commerciales d’autres entreprises. Pour vous y opposer ou exercer votre droit d’accès ou de rectifications (loi du 06/01/78), écrivez à COFIDIS SA, Services consommateurs, 59866 VILLENEUVE D'ASCQ CEDEX. COFIDIS SA au capital de 50 000 000€ - Siège social : Parc de la Haute Borne - 61 AVENUE HALLEY 59866 VILLENEUVE D’ASCQ CEDEX - SIREN 325 307 106 - RCS LILLE. 7ZD DEMANDE D’INFORMATION DE L’OFFRE DÉCOUVERTE GRATUITE ET SANS À retourner sous enveloppe non affranchie à : COFIDIS - Libre réponse N°44080 - 59869 VILLENEUVE D’ASCQ CEDEX Mme Mlle ENGAGEMENT M NOM (en majuscules) : .......................................................................................... Prénom (en majuscules) : ................................................................................................................................................. Nom de jeune fille : ................................................................................................................................................. Date de naissance : I I I I I I 19 I I I Dept I I I à .................................................. Adresse : ........................................................................................................................................................................... ..................................................................................................................................................................................................... Code postal : I I I I I I Ville : ................................................................................................................ Tél. : I I I I I I I I I I I I I I I Tél. port : I I I I I I I I I I I I I I I E-mail : ................................................................................................................................................................................. J’accepte de recevoir les bons plans Internet de COFIDIS. CODE PRIVILLÈGE : 7ZD U A E UV © 2007 WESTERN UNION HOLDINGS, INC. Tous droits réservés. 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