Mécanismes physiopathologiques de l`auto-immunité

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Mécanismes physiopathologiques de l`auto-immunité
Mécanismes physiopathologiques de l’auto-immunité
Chantal André,
Frédéric Batteux, Sophie Desplat-Jego, Marie Agnès Dragon-Durey, Sylvain
Dubucquoi, Guy Gorochov, Lionel Prin
I-Introduction ......................................................................................................................... 2
II-.Les intervenants de la réponse auto-immune .................................................................... 2
II-1.Les auto-antigènes .......................................................................................................... 2
II-2.Les lymphocytes T et les lymphocytes B auto-réactifs..................................................... 2
II-3.Les cellules dendritiques ................................................................................................. 3
III-.Facteurs génétiques, prédisposition génétique................................................................. 3
III-1.Maladies auto-immunes multigéniques........................................................................... 3
III-2.Maladies auto-immunes monogéniques ......................................................................... 4
IV-.Facteurs déclenchants ..................................................................................................... 4
V.Mécanismes hypothétiques de déclenchement de l’auto-immunité .................................... 5
V-1.Activation des cellules auto-réactives ignorantes ............................................................ 5
V-1-a.Auto-antigènes séquestrés : ........................................................................................ 5
V-1-b Antigènes cryptiques :.................................................................................................. 5
V-2.Activation des cellules auto-réactives anergiques ........................................................... 6
V-2-a.Le mimétisme moléculaire ........................................................................................... 6
V-2-b.Activation des cellules présentatrices d’antigènes : ..................................................... 6
V-2-c.Rôle d’une stimulation polyclonale non spécifique : ..................................................... 6
V-2-c.Défaut de délétion des cellules auto-réactives : p ........................................................ 7
V-2-d.Défaut des cellules régulatrices ................................................................................... 7
VI.Les mécanismes lésionnels des effecteurs auto-immuns .................................................. 7
VI-1.Les auto-anticorps : des facteurs lésionnels majeurs ..................................................... 7
VI-1-a.Induction d’une cytolyse de la cellule cible : ................................................................ 7
VI-1-b.Modification de la fonctionnalité de l'antigène cible. .................................................... 8
VI-1-c.Formation de complexes immuns................................................................................ 8
VI-2.Les effecteurs lymphocytaires T ..................................................................................... 9
VI-3.Composante inflammatoire des maladies auto-immunes ............................................... 9
1
I-Introduction
L’auto-immunité résulte de défauts dans la mise en place ou le maintien de la tolérance au
soi (cf. livre L2). Les maladies auto-immunes surviennent quand la rupture de la tolérance au
soi entraîne des lésions cellulaires ou tissulaires induites par des lymphocytes T et/ou des
lymphocytes B produisant des auto-anticorps spécifiques d’autoantigènes.
Les maladies auto-immunes sont fréquentes (prévalence : 5 %) et sont la troisième cause de
mortalité dans les pays développés. Elles sont très hétérogènes et sont classées
habituellement en deux groupes :
-
les maladies spécifiques d’organes dans lesquelles les anticorps ou les
lymphocytes T sont dirigés contre des antigènes restreints à une distribution
tissulaire ou à un organe (exemples : diabète de type 1, thyroïdite de Hashimoto)
-
les maladies non spécifiques d’organe où la distribution des auto-antigènes est
ubiquitaire et où la formation de complexes immuns circulants aboutit à une
maladie systémique avec des atteintes diffuses et polymorphes (exemple : les
connectivites dont le lupus érythémateux systémique) (tableau 1).
Ce
sont
des
maladies
multifactorielles
(terrain
génétique
prédisposant,
facteurs
environnementaux, facteurs hormonaux) mais d’étiologie inconnue dans la majorité des cas.
Leur évolution est le plus souvent chronique sur plusieurs années et les associations de
maladies sont fréquentes. Les traitements actuels ont pour objectifs de réduire la réponse
immune et l’inflammation et de pallier les conséquences fonctionnelles des atteintes
cellulaires ou tissulaires.
Chez l’animal et chez l’homme la rupture de tolérance au soi du système immunitaire conduit
à l’activation de lymphocytes B et T auto-réactifs entraînant la production d’anticorps ou de
cellules effectrices reconnaissant des constituants de l’hôte et responsables de lésions
cellulaires et tissulaires. Différents mécanismes physiopathologiques sont impliqués dans les
maladies auto-immunes.
II-.Les intervenants de la réponse auto-immune
II-1.Les auto-antigènes
Ils sont soit spécifiques d’organes car présents dans un seul organe (thyroperoxydase dans
les thyrocytes) ou à la surface d’un seul type cellulaire (antigènes de globules rouges dans
les anémies hémolytiques auto-immunes), soit ubiquitaires et présents dans toutes les
cellules (ADN, nucléoprotéines, mitochondries). Les épitopes reconnus sont souvent
communs à plusieurs espèces.
II-2.Les lymphocytes T et les lymphocytes B auto-réactifs
Leur activation et leur expansion sont étroitement contrôlées chez l’individu sain (tolérance
périphérique). En l’absence d’anomalie de la tolérance centrale, les lymphocytes auto2
réactifs sont des cellules dont l’affinité pour l’auto-antigène est insuffisante pour induire leur
délétion au niveau central mais suffisante pour induire leur anergie. C’est la levée de
l’anergie par des mécanismes pathologiques divers qui conduit à leur activation. Dans le cas
d’antigènes séquestrés, les lymphocytes auto-réactifs sont naturellement présents en
périphérie car l’absence de la circulation de l’antigène n’a pas permis leur délétion ou leur
anergie. C’est l’apparition de l’antigène qui déclenchera la réaction auto-immune.
Néanmoins il existe une auto-immunité physiologique non dommageable pour l’organisme et
indispensable au maintien d’un état permanent de vigilance par des auto-anticorps naturels
non pathogènes de faible affinité, généralement polyréactifs car reconnaissant des antigènes
du soi mais également des antigènes étrangers ou des antigènes très conservés entre les
espèces. Il s’agit d’antigènes polysaccharidiques ou glycolipidiques présents sur les
membranes des cellules eucaryotes et procaryotes. Chez la souris, ils sont produits par une
population de lymphocytes B1 (CD5+ ou CD5-) de la cavité péritonéale, chez l’homme ils
représentent environ 20 % des lymphocytes B circulants sans restriction de site.
Les auto-anticorps produits après activation des lymphocytes B2 auto-réactifs de forte
affinité peuvent avoir une action pathogène.
II-3.Les cellules dendritiques
Elles jouent un rôle important dans l’auto-immunité. Elles peuvent être soit tolérogènes
(exemple des cellules dendritiques immatures induisant une délétion de lymphocytes T autoréactifs ou une expansion de lymphocytes T régulateurs), soit immunogènes et stimulantes
des lymphocytes T ou B auto-réactifs après activation par des phénomènes inflammatoires.
Par exemple, la secrétion d’interféron type 1 par les cellules dendritiques plasmacytoïdes
orchestre la rupture de tolérance aux antigènes nucléaires au cours du lupus érytémateux
systémique.
III-.Facteurs génétiques, prédisposition génétique
Le développement de l’auto-immunité dépend de gènes de susceptibilité comme le suggère
l’existence de maladies auto-immunes familiales. La majorité des maladies auto-immunes
sont polygéniques et associées à de multiples loci, mais certaines sont monogéniques.
III-1.Maladies auto-immunes multigéniques
L’association entre le système HLA et les maladies auto-immunes est reconnue. Elle peut
impliquer la tolérance centrale, en influençant la sélection positive ou négative thymique. Elle
peut aussi intervenir au niveau périphérique par l’aptitude de certains allèles HLA à
présenter des auto-antigènes particuliers aux lymphocytes T. On peut citer des exemples
d’associations : spondylarthrite ankylosante et allèle HLA B27, diabète de type 1 et allèles
HLA DR3/DR4, polyarthrite rhumatoïde et allèle DR4, maladie cœliaque et allèles HLA DQ2,
3
DQ8. D’autres gènes non HLA du Complexe Majeur d’Histocompatibilité sont aussi
impliqués. Par exemple, les déficits homozygotes en certaines protéines du Complément
(C1q, C2 et C4) sont fortement associés au développement du lupus érythémateux
systémique (lié par exemple à l’implication du système du complément dans les processus
de clearance des corps apoptotiques).
Des polymorphismes de gènes intervenant dans la régulation des réponses immunes sont
aussi associés à diverses maladies auto-immunes comme les gènes codant des cytokines,
ou des récepteurs au Fc des immunoglobulines (FCRIIb et signaux régulateurs ITIM
altérés).
III-2.Maladies auto-immunes monogéniques
Des mutations sur les gènes de certains facteurs de transcription sont responsables de
maladies extrêmement rares mais très sévères chez l’homme. Les mutations sur le gène
AIRE (auto-immune regulator, impliqué dans la sélection thymique) sont à l’origine du
syndrome polyendocrinien auto-immun (APS/APECED). Les mutations sur le gène Foxp3
entraînent un déficit en cellules T régulatrices associé au syndrome IPEX (immune
dysregulation, polyendocrinopathy, enteropathy, X linked syndrome). Des mutations sur les
gènes codant pour Fas ou FasL, entraînant une anomalie de l’apoptose, sont à l’origine de
syndromes prolifératifs auto-immuns.
IV-.Facteurs déclenchants
Sur un fond génétique particulier, divers facteurs environnementaux se surajoutent pour
déclencher une auto-immunité pathologique.
Les agents infectieux : dans plusieurs modèles expérimentaux il a été montré que les
infections jouaient un rôle dans l’activation des lymphocytes auto-réactifs selon différents
mécanismes. Des infections aiguës (Mycoplasma Pneumonia et anémie hémolytique à
agglutinines froides) ou des infections chroniques peuvent déclencher une maladie autoimmune. Dans le diabète ont été impliqués des entérovirus (par mimétisme entre antigène
de Coxsackie B4 et glutamic acid decarboxylase (GAD)), dans la thyroïdite de Hashimoto
des réo virus, dans le lupus le virus d’Epstein Barr (EBV). Le rôle de la flore intestinale est
actuellement étudié (rôle régulateur de la flore commensale) .
Différents agents physicochimiques peuvent participer au déclenchement des maladies autoimmunes: les rayons Ultra-Violets dans le lupus, de nombreux médicaments dans le lupus
ou certaines thrombopénies et anémies hémolytiques auto-immunes, le tabac, la silice, mais
aussi des protéines alimentaires (gliadine et maladie cœliaque).
Certaines maladies auto-immunes sont déclenchées par un traumatisme (antigènes exclus
du cristallin et uvéite post traumatique, cf. infra) ou d’origine néoplasique (expression de néo
auto-antigènes liée aux évènements oncogènes).
4
Les maladies auto-immunes sont plus fréquentes chez la femme et le rôle des hormones
sexuelles (œstrogènes) a bien été montré dans divers modèles expérimentaux.
V.Mécanismes hypothétiques de déclenchement de l’auto-immunité
Dès 1897, Paul Ehrlich postulait que toute anomalie dans les mécanismes de tolérance
immunitaire pouvait altérer la reconnaissance du soi et du non soi et déclencher l'apparition
d'une réaction immunitaire contre un ou plusieurs des constituants de l'organisme, entraînant
son auto-destruction. Il venait de définir la pathologie auto-immune (concept d’ « horror autotoxicus ». L'approche fondamentale des mécanismes intervenant dans l'auto-immunité a été
largement facilitée par l’utilisation et la mise au point de modèles expérimentaux animaux (cf.
FLASH). Si les mécanismes immunologiques mis en jeu au cours de l'auto-immunité sont
aujourd'hui mieux connus, les causes du déclenchement de la réaction auto-immune
demeurent en revanche énigmatiques.
V-1.Activation des cellules auto-réactives ignorantes
V-1-a.Auto-antigènes séquestrés :
Un certain nombre d’antigènes sont ignorés du système immunitaire car leur
localisation anatomique ne les met pas en contact avec des cellules immuno-compétentes
(ignorance immunitaire) ; c’est le cas, par exemple, des antigènes du cristallin et des
spermatozoïdes. Leur passage dans le sang au cours d’un traumatisme peut être à l’origine
de l’activation de lymphocytes B et T. Ainsi, un traumatisme à l’un des deux yeux conduit à la
libération de protéines antigéniques intra-oculaires. Les antigènes libérés diffusent par voie
lymphatique jusqu’au ganglion afférent et sont pris en charge par les cellules présentatrices
d’antigènes qui activent les lymphocytes T spécifiques d’antigènes oculaires. Les propriétés
migratoires des lymphocytes T activés leur confèrent la capacité de migrer vers l’œil malade
mais aussi vers l’œil sain et d’induire une ophtalmie sympathique.
V-1-b Antigènes cryptiques :
Normalement, seuls quelques fragments peptidiques issus de l’apprêtement d’un
antigène sont présentés par les molécules de CMH. Les cellules lymphoïdes ne sont
tolérantes qu’à ces épitopes présentés par les molécules de CMH. D’autres épitopes,
appelés épitopes cryptiques, sont ignorés du système immunitaire, non en raison de leur
localisation histologique ou anatomique, mais à cause de leur localisation au sein de la
molécule antigénique. Ces épitopes présents au sein des auto-antigènes, mais vis-à-vis
desquels les cellules lymphoïdes n’ont pas acquis de tolérance, peuvent susciter une
réaction auto-immune si, à l’occasion d’une réaction inflammatoire, ils se trouvent présentés
par les molécules du CMH. C’est le cas, par exemple, de certains peptides cryptiques de la
protéine basique de la myéline dans la sclérose en plaques.
5
V-2.Activation des cellules auto-réactives anergiques
V-2-a.Le mimétisme moléculaire
La théorie du mimétisme moléculaire repose sur le fait que certains antigènes d’un
agent infectieux viral ou bactérien peuvent partager des épitopes communs avec des
antigènes du soi. Ainsi, certaines infections virales sont parfois associées au déclenchement
ou à l’exacerbation de maladies auto-immunes. Il est vraisemblable que, dans ces cas,
l'agent infectieux présente simultanément des épitopes identiques à ceux d’auto-antigènes
de l'organisme infecté, et des épitopes qui lui sont propres. Ces derniers entraînent une
réponse immunitaire vigoureuse car les lymphocytes T spécifiques d’antigènes du microorganisme ne sont pas tolérants. La réponse immunitaire qui se développe favorise la
présentation des déterminants auto-antigéniques dans un contexte propice à la levée de
l’anergie des lymphocytes T auto-réactifs (expression de molécules de co-stimulation par la
cellule présentatrice d’antigène, production de cytokines par les lymphocytes T auxiliaires
spécifiques d’épitopes xénogéniques). Parmi les exemples de mimétisme moléculaire, on
peut citer l’auto-antigène GAD impliqué dans le diabète auto-immun qui partage un épitope
commun avec le virus Coxsackie ou les classiques cardiopathies (valvulopathies) faisant
suite aux angines streptococciques.
V-2-b.Activation des cellules présentatrices d’antigènes :
Certaines maladies auto-immunes peuvent être induites expérimentalement en
immunisant un animal par l’auto-antigène émulsionné en adjuvant complet de Freund. Cet
adjuvant favorise la présentation de l’auto-antigène en augmentant sa phagocytose par les
cellules présentatrices d’antigènes. La présence, au sein de l’adjuvant, de mycobactéries
tuées stimule les récepteurs Toll-like favorisant l’activation des cellules présentatrices
d’antigènes et leur maturation. Ces dernières produisent alors des cytokines proinflammatoires et des niveaux élevés de molécules de co-stimulation. Ce phénomène
conduit à la levée de l’anergie des lymphocytes T spécifiques de l’auto-antigène et à
l’apparition des stigmates cliniques d’auto-immunité. En pathologie humaine, l’interféron-
(IFN-), utilisé notamment dans le traitement de l’hépatite C, peut favoriser l’activation des
cellules dendritiques et in fine des lymphocytes T auto-réactifs induisant l’émergence de
maladies auto-immunes, en particulier de thyroïdite (2 à 10% des patients traités avec de
l’IFN-).
V-2-c.Rôle d’une stimulation polyclonale non spécifique :
Si, dans les deux mécanismes précédents, la levée de l’anergie est liée au
renforcement des capacités de présentation des auto-antigènes aboutissant à l’activation
des lymphocytes auto-réactifs, on peut aussi induire expérimentalement l’apparition d’autoanticorps, et même de manifestations cliniques d’auto-immunité, par une stimulation
6
polyclonale non spécifique des lymphocytes B. Cette activation polyclonale peut, si elle est
suffisante, conduire à la levée de l’anergie de cellules potentiellement auto-réactives.
V-2-c.Défaut de délétion des cellules auto-réactives : p
Plusieurs études ont montré que le couple Fas/FasL est impliqué dans la délétion
périphérique des clones T auto-réactifs et dans la délétion des lymphocytes T activés par un
antigène exogène. Les mutations des gènes Fas et FasL des souris MRL lpr et glp sont
associées à un phénotype auto-immun avec levée de l’anergie des lymphocytes B autoimmuns qui se caractérise par un syndrome de type lupique.
V-2-d.Défaut des cellules régulatrices
Des déficits dans le nombre ou dans les fonctions des lymphocytes régulateurs ont
été prouvés au cours de maladies auto-immunes. L’’élimination de lymphocytes T
régulateurs CD4+, CD25+, FoxP3+, ou la thymectomie trois jours après la naissance
(empêchant leur développement) entraîne chez les animaux le développement de
nombreuses manifestations auto-immunes : diabète insulino-dépendant, thyroïdite, gastrite.
Chez ces animaux, l’injection de cellules régulatrices CD4+, CD25+, FoxP3+ inhibe la
réaction auto-immune. L’existence de déficits en lymphocytes B régulateurs a aussi été
démontrée.
VI.Les mécanismes lésionnels des effecteurs auto-immuns
VI-1.Les auto-anticorps : des facteurs lésionnels majeurs
Dans un certain nombre de maladies auto-immunes (mais pas toutes car l’auto-anticorps
peut être seulement un marqueur), l’effet lésionnel des auto-anticorps sur le tissu cible est
prépondérant. Le caractère pathogène des auto-anticorps est prouvé par la capacité de
transférer la maladie, chez l’animal par le sérum des porteurs de maladies auto-immunes, ou
dans l’espèce humaine de la mère au fœtus par le transfert transplacentaire des autoanticorps IgG de la mère. Ainsi, la myasthénie, l’hyperthyroïdie, le pemphigus peuvent-ils
être induits chez la souris par le transfert d’IgG isolées à partir du sérum de malades. Il
existe quatre principaux mécanismes par lesquels les auto-anticorps induisent des lésions
cellulaires ou tissulaires.
VI-1-a.Induction d’une cytolyse de la cellule cible :
Cette cytolyse peut être réalisée par l’activation du complément. Au cours des anémies
hémolytiques les anticorps anti-I fixés à la surface des érythrocytes activent la voie classique
du complément ce qui aboutit à la formation du complexe d’attaque membranaire qui forme
des pores dans la membrane du globule rouge et induit la lyse cellulaire.
La cytolyse peut aussi faire intervenir des cellules monocytaires/macrophagiques. Ces
dernières peuvent fixer par leurs récepteurs du fragment Fc des IgG (FcR) les cellules
cibles recouvertes des auto-anticorps spécifiques d’un antigène qu’elles expriment, les
7
phagocyter et enfin les détruire. La phagocytose des plaquettes par les macrophages au
cours des thrombopénies auto-immunes illustre ce mécanisme.
Enfin, le mécanisme de cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps (ADCC) peut aussi
être mis en jeu. Cette cytotoxicité est exercée par des cellules mononucléées en particulier
les cellules NK (‘‘natural killer’’). Elles s’activent via l’interaction entre leurs FcR et les autoanticorps recouvrant les cellules-cibles et libèrent des granules lysosomiaux, contenant de la
perforine et des granzymes (sérines-estérases), qui induisent la mort de la cellule cible. Ce
mécanisme interviendrait dans la destruction des cardiocytes au cours des myocardites.
VI-1-b.Modification de la fonctionnalité de l'antigène cible.
Certains auto- anticorps ont la capacité de se lier à des récepteurs membranaires et d’en
modifier l’expression ou les fonctions biologiques. Dans la myasthénie, les anticorps dirigés
contre le récepteur à l’acétylcholine en fournissent l’illustration. Des cultures de lignées de
cellules musculaires exprimant le récepteur à l’acétylcholine réalisées en présence de sérum
de malades atteints de myasthénie ont montré que le pontage des récepteurs par les autoanticorps s’accompagne de leur internalisation et d’une augmentation de leur dégradation.
Un second mode d’action de ces auto-anticorps pourrait être le blocage par encombrement
stérique de la liaison de l’acétylcholine à son récepteur. Ces modifications entraînent le
défaut de transmission du signal synaptique qui caractérise la maladie.
Au contraire, dans la maladie de Basedow, les auto-anticorps anti-récepteurs de la TSH
(Thyroid Stimulating Hormone) sont capables d’activer ces récepteurs et ainsi d’induire une
hyperthyroïdie avec sécrétion accrue d’hormones thyroïdiennes.
D’autres auto-anticorps sont dirigés contre des antigènes solubles dont les fonctions sont
alors perturbées : c’est le cas des anticorps anti-facteur intrinsèque ou anti-insuline.
VI-1-c.Formation de complexes immuns.
Les complexes antigène-anticorps peuvent se former dans la circulation puis se déposer au
niveau des tissus (rôle de l’endothélium vasculaire avec des zones filtres critiques comme
les glomérules ou le plexus choroïde). Parfois, l’antigène se dépose en premier lieu sur les
tissus avant d’être reconnu par les auto-anticorps circulants. Ces mécanismes de formation
de dépôt de complexes immuns in situ conduisent à l’activation du complément, à la
libération des anaphylatoxines C3a et C5a capables de recruter et d’activer les
polynucléaires
neutrophiles
qui
participent
aux
lésions
inflammatoires.
Les
glomérulonéphrites observées au cours du lupus érythémateux systémique en constituent un
bon modèle. Les auto-anticorps se fixent à leurs cibles, notamment l’ADN libre et les
constituants du nucléosome, insérés dans la membrane basale des glomérules. L’altération
de la membrane basale glomérulaire est due à plusieurs mécanismes. Un mécanisme direct
implique le dépôt et l’accumulation de complexes immuns. Les anticorps et le complément
modifient les propriétés électrostatiques de la membrane basale, avec pour conséquence la
8
fuite de protéines du sérum dans les urines et la perte du pouvoir filtrant des glomérules. Un
mécanisme indirect met en jeu le recrutement de polynucléaires neutrophiles qui secrètent
des enzymes digérant la membrane basale.
VI-2.Les effecteurs lymphocytaires T
Le diabète de type 1 et la sclérose en plaques représentent deux prototypes de maladies
auto-immunes provoquées par des lymphocytes T. Les modèles de diabète de type 1
spontané (chez la souris NOD ou chez les rats BB) ont démontré que la destruction des
cellules β, caractéristique de la maladie humaine, est dépendante et assurée par les
lymphocytes T, les cellules T CD4+ et CD8+ étant toutes deux nécessaires. Le diabète de
type 1 est caractérisé chez l’homme par l’infiltration cellulaire des îlots pancréatiques
(insulite). Le rôle prépondérant des effecteurs T dans le développement de la maladie est
démontré par son transfert adoptif à l’aide de lymphocytes T. Des lymphocytes T purifiés à
partir de la rate de souris diabétiques peuvent en effet transférer le diabète à des souris
receveuses syngéniques non atteintes dépourvues de lymphocytes B et T, les souris NODSCID. L’induction du diabète chez l’animal receveur n’est possible que si les deux
populations T CD4+ et CD8+ sont transférées et ne nécessite la présence pas de
lymphocytes B, ni du donneur, ni du receveur.
Un mécanisme lésionnel provoqué par des lymphocytes T est également impliqué dans le
développement de la sclérose en plaques chez l’homme, et dans l’encéphalomyélite autoimmune expérimentale qui reproduit cette maladie auto-immune chez la souris. Cette
affection peut également être induite passivement par le transfert de lymphocytes T CD4+
auto-réactifs à des animaux syngéniques.
Il est toutefois essentiel de rappeler que ces maladies s’accompagnent aussi de la
production d’auto-anticorps, par exemple d’anticorps anti-insuline ou anti-îlots de
Langerhans au cours du diabète, anticorps anti-MOG au cours de la sclérose en plaques qui
constituent de bons marqueurs d’une réponse auto-immune spécifique et peuvent être utiles
au diagnostic.
VI-3.Composante inflammatoire des maladies auto-immunes
L’inflammation est une réponse des tissus vivants, vascularisés, à une agression. Elle
accompagne pratiquement toujours le processus auto-immun. C’est un phénomène
dynamique qui évolue sur un mode chronique au cours des maladies auto-immunes sans
tendance à la guérison spontanée. La première phase de l’inflammation, la phase aiguë
vasculo-exsudative, passe souvent inaperçue car elle est brève ou asymptomatique. Dans
d’autres cas, elle se traduit cliniquement par les quatre signes cliniques cardinaux de
9
l’inflammation (douleur, tumeur, rougeur, chaleur). C’est par exemple le cas des poussées
actives de synovite au cours de la polyarthrite rhumatoïde. A côté de la congestion active et
de l’œdème inflammatoire, la diapédèse leucocytaire est un phénomène majeur de cette
phase puisqu’elle permet l’accumulation des cellules immunitaires dans le ou les foyers
lésionnels. Dans la plupart des maladies auto-immunes, ces cellules s’organisent ensuite en
un granulome inflammatoire avec une prédominance de lymphocytes et de plasmocytes.
Ceci s’observe notamment dans les thyroïdites, les hépatites auto-immunes ou encore la
maladie cœliaque. Des tentatives de réparation tissulaire peuvent avoir lieu, souvent peu
efficaces et s’accompagnant de fibrose. De nombreux médiateurs chimiques interviennent à
tous les stades de l’inflammation: amines vaso-actives, monoxyde d’azote, médiateurs
lipidiques, protéases plasmatiques, protéines du système du complément, notamment C3a
et C5a, facteurs de croissance et cytokines. Les cytokines ont un intérêt particulier dans les
maladies auto-immunes car elles constituent depuis quelques années des cibles
thérapeutiques de première importance. Ainsi, le traitement de la polyarthrite rhumatoïde a
été transformé par l’introduction des molécules anti-TNF alpha.
Les explorations biologiques à effectuer dans le cadre du diagnostic des maladies autoimmunes vont comprendre des explorations qui ne sont pas spécifiques de l’auto-immunité
mais vont apporter des données pouvant faire évoquer une anomalie auto-immune et les
explorations qui vont cibler plus spécifiquement la réaction immunitaire Cf FLASH.
Le tableau 2 regroupe divers mécanismes physiopathologiques impliqués dans les
principales maladies auto-immunes.
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A retenir.

L’auto-immunité résulte de la rupture de tolérance aux antigènes du soi.

Les
réactions
auto-immunes
apparaissent
chez
des
sujets
prédisposés
génétiquement sous l’influence de divers facteurs environnementaux dont les
infections.

Différents mécanismes des réponses immunitaires classiques sont impliqués dans les
phénomènes d’induction de l’auto-immunité ainsi que dans la production d‘effecteurs
qui mènent aux lésions cellulaires ou tissulaires.

Les mécanismes physiopathologiques impliqués sont étudiés et expliqués par de
nombreux modèles expérimentaux et leur meilleure connaissance est à la base des
traitements actuels visant à diminuer l’activation immunitaire.

Les explorations de l’auto-immunité dites «de routine» sont basées essentiellement
sur la recherche d’auto-anticorps circulants et sur l’étude, dans les biopsies
tissulaires accessibles, de l’infiltrat cellulaire et des dépôts d’immunoglobulines et de
complément
11
Tableau 1 Comparaison des maladies auto-immunes dites spécifiques d’organes et
non spécifiques d’organe
Spécificité d’organe
Antigène
Pas de spécificité d’organe
essentiellement localisé dans répandu dans l’organisme entier
un organe donné
Lésions
l’antigène tissulaire est la cible dépôts de complexes immuns
de l’attaque immunologique
circulants, en particulier dans les
reins et les articulations
Associations
12
avec d’autres anticorps ou des avec d’autres anticorps ou des
maladies spécifiques
maladies non spécifiques
d’organes
d’organes
Tableau 2 : Maladies auto-immunes et mécanismes physiopathologiques impliqués
Maladies auto-immunes monogéniques
Nom
Anomalie génétique
IPEX : Immune
dysregulation,
ployendocrinopathy,
Mécanismes
phsyiopathologiques
Défaut des
Gène Foxp3
lymphocytes T
Phénotype
Entérocolite sévère, diabète
auto-immun, thyroïdite
régulateurs
enteropathy, X linked
APECED : Autoimmune
Défaut d’expression
Diabète de type I, thyroïdite
polyendocrinopathy,
Gène AIRE (facteur de
thymique des antigènes
et parathyroïdite auto-
candidiasis ectodermal
transcription thymique)
du soi, absence de
immunes, uvéite, candidose
dysplasia
tolérance centrale
Anémies hémolytiques et
ALPS : Autoimmune
lymphoproliferative
syndrome
Fas, Fas ligand
Défaut d’élimination
thrombopénies auto-
des lymphocytes auto-
immunes,
réactifs
Prolifération lymphocytaire T
(CD4-CD8-)
13
Tableau 2 : Maladies auto-immunes et mécanismes physiopathologiques impliqués (suite)
Autres maladies auto-immunes
Prédisposition /
Maladie
Lupus
Erythémateux
Systémique
Polyarthrite
Rhumatoïde
déclenchement
Maladie génétique
multifactorielle
Maladie génétique
multifactorielle
HLADR4
Thyroïdite autoimmune : maladie
-
Prédominant aux
articulations,
possiblement
systémique
thyroïdiens,
hypothyroïdie
Hyper-thyroïdie
maladie de Graves
Systémique
Microsomes
d’Hashimoto
auto-immune
Atteinte tissulaire
Récepteur de la
-
TSH,
hyperthyroïdie
Basedow
Mécanismes
primaires
Production d’autoanticorps
Mécanismes secondaires
complexes immuns,
anticorps
Antigènes non connus (Collagène II ?)
Inflammation systémique
Infiltration lymphocytaire T
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Thyropéroxydase, thyroglobuline
Production d’autoanticorps
-
TSH stimulants
Thyropéroxydase, thyroglobuline
Cellules β des ilots de Langerhans :
(HLA DR3/DR4)
Cellules β des ilots
Infections virales
de Langerhans
Coxsackie)
(FR), anticorps anti-peptides cycliques
Auto-anticorps anti-récepteur de la
multifactorielle
(Entérovirus,
Auto-anticorps : Facteur Rhumatoïde
citrullinés (CCP)
Maladie génétique
Diabète de type I
Constituants des noyaux, dont l’ADN
activation du Complément
granulomes
Production d’auto-
les plus fréquents
Formation et dépôts de
Médiation cellulaire,
formation de
Antigènes cibles/Auto-anticorps
Médiation cellulaire
Pro-insuline, insuline, antigènes GAD,
Production d’auto-anticorps
IA-2, ZnT8
Maladie cœliaque
HLA DQ2DQ8
Villosités
Ingestion de gluten
intestinales
Peptides déamidés de la gliadine /
Prolifération intravillositaire de
Production d’auto-anticorps
lymphocytes T
Anticorps anti-transglutaminase
tissulaire (IgA +/- IgG)(anticorps antiendomysium)
Maladie génétique
multifactorielle
Myasthénie
Association à un
thymome
Synapses neuro-
Production d’auto-
Activation du complément
musculaires
anticorps
Rôle des lymphocytes T ?
IgG anti-récepteur de l’acéthylcholine
Anticorps anti-MusK, anti-titine
Membrane basale
Syndrome de
Goodpasture
HLA-DR2
des glomérules
Facteurs
rénaux et des
environnementaux
alvéoles
Production d’autoanticorps
Activation du Complément
Chaine α3 du collagène IV
Activation du Complément
Desmogléine 3, ou 1
pulmonaires
Pemphigus
Pemphigoïde
bulleuse
Sclérose en plaques
Anémie de Biermer /
Gastrite auto-
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HLA-DR4
(médicamenteux)
Desmosomes,
(jonctions des
kératinocytes)
Hemi-desmosomes
-
(jonction dermoépidermique)
HLA DR2
Rôle de l’EBV ?
-
Production d’autoanticorps
Production d’autoanticorps
Activation du Complément
Médiation cellulaire,
Oligodendrocyte
LT CD4+ et CD8+
Bullous pemphigoid antigen : BPAG1
(BP230) et BPAG2 (BP180 )
Protéines de la myéline : MAG (myelin
Production d’auto-anticorps
associated glycoprotein), MOG
(myelin oligo-dendrocyte glycoprotéine
Cellules pariétales
Médiation cellulaire,
gastriques
LT CD4+ et CD8+
Production d’auto-anticorps
Anticorps anti-ATPase H+/K+
Anticorps anti-facteur intrinsèque
immune
Prise
médicamenteuse
Anémies
Infections
hémolytiques auto-
(mycoplasma
immunes
pneumoniae)
Globules rouges
Production d’auto-
Activation du Complément
Antigènes des systèmes Rhésus, P ou
anticorps
Phagocytose
I
Production d’auto-
Activation du Complément
anticorps
Phagocytose
Mutation Fas/FasL
dans l’ALPS
Infections virales
Purpura
Prises
thrombopénique
médicamenteuses
idiopathique
Mutation fas/Fas
Plaquettes
Antigènes plaquettaires (GPIIb/IIIa)
ligand dans l’ALPS
Anticorps antinucléaires, anti-muscles
Hépatites autoimmunes
lisses (F actine), anti-LKM1
HLA-DR3
Hépatocytes
Médiation cellulaire
Production d’auto-anticorps
(Cytochrome P2D6), anti-cytosol du
foie (une cyclodésaminase, LC1), antiSLA (soluble liver antigen, tRNP ser)
Cirrhose biliaire
primitive
-
Canaux biliaires
Médiation cellulaire
Production d’auto-anticorps
Vascularites à
ANCA (anti-
Prise
cytoplasme des
médicamenteuse/
polynucléaires
infections
neutrophiles)
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vaisseaux
Production d’autoanticorps
Activation des
polynucléaires neutrophiles
Anticorps anti-mitochondries de type 2
(pyruvate deshydrogénase, PDC-E2)
Anticorps anti-cytoplasme des
polynucléaires neutrophiles,
myéloperoxydase (MPO), Protéinase3
(PR3)
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