Santé et bien-être des animaux : équivalence ou
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Santé et bien-être des animaux : équivalence ou
Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 2014, 33 (1), 91-96 Santé et bien-être des animaux : équivalence ou complémentarité ? B. Nicks (1)* & M. Vandenheede (2) (1) Écologie et éthologie vétérinaires, Faculté de Médecine vétérinaire, Boulevard de Colonster, 20, B43, B-4000 Liège, Belgique (2) Éthologie vétérinaire, Bien-être des animaux et éthique animale, Faculté de Médecine vétérinaire, Boulevard de Colonster, 20, B43, B-4000 Liège, Belgique * Auteur chargé de la correspondance : [email protected] Résumé Les concepts de « santé » et de « bien-être », qu’ils soient appliqués à l’homme ou aux animaux, sont de plus en plus souvent associés. Mais sont-ils pour autant indissociables, voire synonymes ? Même si la santé humaine est généralement définie comme un état de complet bien-être physique, mental et social, la santé animale est souvent encore considérée de manière réductrice comme une absence de maladies. Pourtant, l’évolution récente des connaissances scientifiques amène à devoir reconsidérer à la hausse la complexité mentale de l’animal, et à lui reconnaître ainsi la capacité de ressentir des émotions, d’avoir des besoins et d’accéder à un certain degré de conscience. La science du bien-être des animaux a justement pour objectif d’étudier leurs états mentaux ainsi que leurs capacités d’adaptation aux conditions de la domestication. Dans l’attente d’une application globale du concept de « santé », intégrant notamment la santé mentale, aux animaux comme aux humains, la notion de « bien-être » reste un élément important à ajouter aux préoccupations sanitaires classiques. De manière plus globale, cette association permet de nourrir une réflexion éthique relative à l’utilisation de l’animal par l’homme, et par conséquent d’adapter au mieux nos choix de société en la matière. Mots-clés Animal – Bien-être – Éthique – Homme – Santé. Introduction Les notions de « santé » et de « bien-être » se retrouvent au centre de nombreuses préoccupations au niveau mondial, qu’elles soient appliquées à l’homme ou aux animaux. Elles sont en effet intimement associées au sein d’un concept récent appelé « Une seule santé » (One Health), qui y intègre même la santé de l’environnement au sens large (1), notamment dans le cadre d’enjeux planétaires tels que celui de la sécurité alimentaire (2, 3). Des organisations clés en matière de santé (Organisation mondiale de la santé animale [OIE], Organisation mondiale de la santé [OMS], Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture [FAO], Fonds des Nations unies pour l’enfance [UNICEF]) ont très clairement épousé cette problématique du bien-être (4, 5, 6, 7). Appliquée principalement aux animaux domestiques et supportée au départ par des organisations de protection animale (8), elle s’est progressivement étayée scientifiquement au point d’être reconnue actuellement comme la « science du bien-être des animaux » (Animal Welfare Science) (9). Elle s’est petit à petit imposée comme un choix de société (10), au point de figurer aujourd’hui en bonne place parmi ceux prônés pour l’Europe par le Traité de Lisbonne (11). Pourtant, cette symbiose affichée entre « santé » et « bien-être » ne cache-t-elle pas une redondance ? Qu’apporte à la santé de se préoccuper du bien-être ? La santé ne se suffit-elle pas à elle-même? Améliorer le bien-être est-il toujours favorable à la santé et vice-versa? Santé animale ? Depuis 1946, l’OMS définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (12). Plus récemment, le concept de « santé mentale » y est logiquement présenté comme « davantage que l’absence de troubles ou de handicaps mentaux, […] un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les 92 Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 33 (1) tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté » (13). Même si le vocabulaire utilisé semble parfois difficile à appliquer tel quel à l’animal, la santé des animaux n’est-elle pas également plus que l’absence de maladies ou de pathologies ? Force est de constater que cette conception ne s’impose que très progressivement en médecine vétérinaire. Depuis sa création en 1924, les missions de l’OIE sont notamment de surveiller et de contrôler les maladies animales (14). Ce n’est qu’à partir de son 3e Plan stratégique (2001-2005), que l’Organisation inclut « l’amélioration de la santé animale, de la santé publique vétérinaire et du bien-être animal à l’échelle mondiale » dans son mandat, réaffirmé dans les deux plans suivants et s’étendant maintenant jusqu’en 2015 (15). Toutefois, l’analyse des missions spécifiques de l’OIE reflète toujours bien l’importance des maladies (15), et l’élargissement de la définition de la « santé animale » semble donc plutôt lié à l’ajout du « bien-être animal » que d’une modification de la définition de la santé en ellemême, qui se rapprocherait de celle de l’OMS. Pourtant, les progrès scientifiques dans les domaines de l’éthologie et des neurosciences amènent à devoir reconsidérer à la hausse la complexité mentale de l’animal, comme le montre par exemple la récente « Déclaration de Cambridge sur la conscience » (16). L’animal en tant qu’« être sensible », tel qu’il est décrit dorénavant dans le Traité de Lisbonne (2009), doit être considéré comme étant notamment capable de ressentir des émotions, d’avoir des besoins et d’accéder à un certain degré de conscience (17, 18, 19). Le concept de « santé mentale » devrait donc également s’appliquer à l’animal. Un animal peut par exemple souffrir d’« anxiété » (20), de « dépression » (21) voire de « troubles compulsifs » (22), autant de défis que commence à relever la « médecine vétérinaire du comportement » (23). Outre l’absence de ces pathologies, l’animal en bonne santé mentale serait donc celui qui a « une vie qui mérite d’être vécue » (24), comme le montre l’évolution récente de certaines considérations en matière d’éthique animale (25). vers lequel il faut tendre. Un de ces aspects est la capacité d’adaptation à l’environnement, reflet du fonctionnement biologique de l’animal et s’appréciant de manière zootechnique, sémiologique, physiologique et éthologique (27, 28). L’importance relative accordée à ces différentes facettes du bien-être des animaux dépend des scientifiques. Les biologistes (éthologues, écologues…) ont tendance à privilégier les aspects comportementaux, les zootechniciens considèrent plutôt les mesures de productivité, les physiologistes se focalisent sur le stress alors que les vétérinaires se concentrent souvent sur l’absence de maladies (29). Toutefois, diverses études démontrent tout l’intérêt d’une approche globale de la question, débouchant sur une mesure intégrée du bien-être animal (25, 29, 30, 31, 32, 33), comme illustré par les études récentes menées dans le cadre du programme européen « Welfare Quality » (34). Bien-être des animaux ? De manière générale et au vu de ce qui précède, il apparaît donc pertinent de considérer le bien-être animal comme un état d’équilibre dynamique (homéostasie) entre l’animal et son environnement (interne et externe): les efforts consentis pour maintenir ou retrouver cet équilibre peuvent dépasser les capacités d’adaptation et provoquer ainsi des souffrances physiques et mentales, éventuellement préjudiciables notamment en termes de santé (42). Bien qu’il soit admis depuis quelque temps que « la maladie a un impact négatif majeur sur le bien-être des animaux de production » (29, 31, 33, 43), les aspects relatifs à la santé mentale devraient faire l’objet de plus de recherche scientifique (44). Les progrès récents en matière de « psycho-neuroimmunologie » humaine (45) devraient ouvrir la porte à des applications animales et intéresser la médecine vétérinaire moderne au plus haut point, compte tenu de l’évolution des Lorsque l’OMS définit la santé humaine (12), il est intéressant de noter que se trouve en bonne place le mot « bien-être » (voir plus haut) ! De la même manière, voire presque en miroir, Hughes définissait déjà en 1976 le bienêtre animal comme « un état de parfaite santé physique et mentale, où l’animal est en complète harmonie avec son environnement » (26). Dans un cas comme dans l’autre, il est parfois encore reproché à ces visions leur caractère théorique et illusoire. Ainsi, qui peut se targuer d’avoir été dans un tel état au moins une fois dans sa vie ? Il est donc d’autant plus délicat de l’appliquer tel quel à l’animal. Le concept de « bien-être animal » a évolué ensuite vers des aspects plus pratiques, sans renier toutefois cet absolu Parallèlement à ces considérations pratiques, la notion de bien-être évolue également vers une conception hédoniste, en bénéficiant des avancées récentes en neurophysiologie (35) et en éthologie cognitive (36). Non seulement sont repoussées les limites phylétiques de la douleur pour y inclure par exemple les poissons [37], céphalopodes [38], crustacés et mollusques [39], mais sont également étudiées les émotions positives comme la joie et le plaisir, afin de développer une approche plus directe du bien-être des animaux (40). Cette dernière démarche fait se rapprocher ainsi le bien-être et la santé au sens large, dans une optique qui se veut ainsi plus prophylactique que curative (p.ex. 41). Le bien-être animal : un plus pour la santé animale, voire humaine ? 93 Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 33 (1) connaissances relatives aux capacités mentales des animaux. Chez eux également, des états de souffrance mentale (phobie, anxiété, compulsion, dépression…) pourraient très bien limiter les capacités immunitaires et fragiliser ainsi leur santé physique. Il est déjà clairement démontré que les stress psychologiques subis par les animaux de production affectent leur santé physique (46, 47). Un lien avec la santé humaine peut même déjà être tissé, puisque ces stress combinés à ceux du transport et de l’abattoir affectent grandement les qualités organoleptiques (goût, odeur, aspect) et sanitaires des viandes, avec de possibles répercussions sur la santé humaine (48) ! Se préoccuper du bien-être animal, voire bientôt de la santé mentale des animaux, ne peut donc qu’améliorer la santé des animaux au sens large, mais aussi la qualité des produits de l’élevage. Toutefois certaines mesures, a priori favorables au bien-être des animaux (accès à l’extérieur, litière, regroupements…), pourraient s’avérer problématiques en termes sanitaires. Il convient donc de les appliquer de manière raisonnée et prudente. Il a été ainsi conclu, après plusieurs années d’études, que les inconvénients des cages conventionnelles en batterie pour poules pondeuses, préjudiciables en matière de bien-être des animaux et désormais interdites en Europe, l’emportent sur certains avantages sanitaires a priori (49). À l’inverse, il faut reconnaître que certaines mesures de police sanitaire (quarantaine, dépopulation…), censées être salutaires en matière de santé globale, peuvent poser néanmoins questions en termes de bien-être et d’éthique. Là aussi, une réflexion intégrant la notion élargie de la santé se doit d’éclairer le chemin à parcourir, débouchant déjà sur certaines balises (50, 51). Conclusions Si la santé humaine au sens large est présentée comme synonyme du bien-être, il n’en va pas (encore) de même pour les animaux. La santé animale est encore bien souvent considérée uniquement comme l’absence de pathologies physiques, malgré notamment les progrès scientifiques en matière de complexité cognitive et émotionnelle, et donc de santé mentale appliquée à l’animal. Aussi le bien-être des animaux ne peut-il se limiter à cette définition restreinte de la santé, et doit donc rester le complément scientifique indispensable de celle-ci, permettant de respecter cet « être sensible » dans toute sa globalité, de nourrir notre réflexion éthique relative à l’utilisation de l’animal par l’homme, et par conséquent d’adapter au mieux nos pratiques en la matière. Salud y bienestar de los animales. ¿Equivalencia o complementariedad? B. Nicks & M. Vandenheede Resumen Cada vez más los conceptos de «salud» y «bienestar», ya se apliquen al hombre o a los animales, vienen asociados. Ahora bien: ¿son por ello indisociables, o incluso sinónimos? Aunque por un lado se suele definir la salud humana como un estado de completo bienestar físico, mental y social, por el otro aún se asimila con frecuencia la salud animal, de forma harto reductora, a la mera ausencia de enfermedad. La reciente evolución del saber científico, empero, obliga a reconsiderar al alza la complejidad mental del animal y a reconocer en él la capacidad de sentir emociones, experimentar necesidades y acceder a un cierto grado de conciencia. La ciencia del bienestar animal tiene justamente por objetivo estudiar los estados psíquicos de los animales, así como sus mecanismos de adaptación a las condiciones que impone la domesticación. En espera de una aplicación global del concepto de «salud», que integre especialmente la salud mental, tanto en animales como en personas, la noción de «bienestar» seguirá siendo un elemento importante que añadir a las consideraciones sanitarias clásicas. De modo más general, esta asociación permite alimentar una reflexión 94 Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 33 (1) ética sobre el uso del animal por el hombre, y por consiguiente adaptar mejor las decisiones que como sociedad tomamos en la materia. Palabras clave Animal – Bienestar – Ética – Hombre – Salud. Références 1.One Health Initiative (2013). – The One Health Initiative: mission statement. Page web : www.onehealthinitiative.com/ mission.php (consultée le 11 avril 2013). 2.Kelly A.M., Ferguson J.D., Galligan D.T., Salman M. & Osburn B.I. (2013). – One health, food security, and veterinary medicine. J. Am. vet. med. Assoc., 242 (6), 739–743. Page web : avmajournals.avma.org/doi/pdf/10.2460/javma. 242.6.739 (consultée le 11 avril 2013). 3.Berthe F., Vannier P., Have P., Serratosa J., Bastino E., Broom D.M., Hartung J. & Sharp J.M. (2012). – The role of EFSA in assessing and promoting animal health and welfare. 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