sevrage tabagique : un marché prometteur

Transcription

sevrage tabagique : un marché prometteur
40 a c t u a l i t é s
SEVRAGE TABAGIQUE
Marc Cluzel, Senior
vice-président des
opérations scientifiques
et médicales chez
Sanofi-Aventis.
UN MARCHÉ
PROMETTEUR
A l’entrée en vigueur de l’interdiction de fumer dans
les lieux publics, le marché du sevrage tabagique a
bondi ; un envol qui a profité à tous les produits, du
patch au Zyban®, tandis que Champix® décolle dès sa
mise sur le marché. Quelques mois sont nécessaires
pour confirmer ces premières tendances. Face à un
marché d’avenir, 1,3 milliard de fumeurs dans le
monde, les laboratoires fourbissent leurs armes,
avec dans leurs portefeuilles un certain nombre de
médicaments et de vaccins, déjà en phase II ou III.
——————
DOMINIQUE MONNIER
près l’annonce faite par
pond environ au premier mois de
Dominique de Villepin le
traitement. Remboursement condi8 octobre 2006 de la décitionné à une prescription médicale
sion gouvernementale
« sur une ordonnance consacrée exd’interdire de fumer dans les lieux à
clusivement aux substituts nicotiusage collectif, le décret d’applicaniques ». La liste des substituts remtion, publié au Journal Officiel le 16
boursables dans le cadre de ce forfait,
arrêtée au 19 mars 2007, inclut les
novembre, est entré en vigueur le 1er
produits Niquitin® et Niquitinclear®
février 2007. Interdisant notamment
de GSK Santé grand pude fumer dans les «
blic, Nicotinell® de Nolieux fermés et couUn dépendance
vartis Santé Familiale,
verts qui accueillent
physique,
Nicorette® de McNeil
du public ou qui
Consumer Healthcare,
constituent des lieux
gestuelle et
filiale du groupe Johnde travail » ainsi que
psychologique
son & Johnson qui a ra« dans les moyens de
cheté la filière OTC de
transport collectif » ;
avec un report de son application
Pfizer, ainsi que Nicogum®, Nicojusqu'au 1er janvier 2008 pour les «
pass® et Nicopatch®, de Pierre Fabre
débits permanents de boissons à
Santé.
consommer sur place, casinos,
cercles de jeu, débits de tabac, disLes produits de substitution ont
cothèques, hôtels et restaurants ».
fait leurs preuves. L’objectif du traiL’assurance-maladie a annoncé le
tement de substitution nicotinique
16 janvier dernier qu’elle accompa(TSN) est de remplacer la nicotine des
gnerait l’arrêt du tabac avec un
cigarettes. « Il réduit les symptômes
remboursement des substituts nicode sevrage et peut ainsi augmenter la
tiniques de 50€ par an maximum par
probabilité d’abstinence durable »,
bénéficiaire, un montant qui corresexplique la Haute autorité de santé
A
PHARMACEUTIQUES _ MAI 2007
(HAS). Quatre formes sont disponibles en France. Les gommes à mâcher existent depuis 1986. « Leur principe est aussi de diminuer la
dépendance comportementale en
remplaçant le geste de la cigarette par
celui de prendre la gomme », indique-t-on chez Pierre Fabre. Avec les
comprimés sublinguaux et les pastilles à sucer, la nicotine est libérée
avec une pharmacocinétique proche
de celle des gommes. Nicopass® a été
la première pastille à sucer du marché. Ces pastilles peuvent aussi être
utilisées dans une stratégie de réduction du tabagisme comme une étape
vers l'arrêt définitif. L’inhalateur, qui
reste le domaine réservé de McNeil
Consumer Healthcare, apporte une
aide comportementale pour les fu-
DR
41
meurs chez lesquels la gestuelle est
une composante importante. Le
patch est un traitement continu, pouvant être porté pendant 16 ou 24
heures, et permet une meilleure observance que les gommes. Il existe en
trois dosages, conçus pour un sevrage
en trois mois à doses progressivement réduites. Dans son rapport
d’octobre 2006, la HAS établit que les
TSN ont prouvé leur efficacité dans le
sevrage tabagique, comparés à des
traitements placebo. Efficacité que
l’Afssaps évalue à 18 % à un an, contre
10 % pour les placebo. Au total pour
l’Afssaps, « toutes les formes galéniques de substituts nicotiniques ont
une efficacité similaire à posologie
égales » et le rapport bénéfice-risque
du TSN est très favorable.
Deux produits de prescription. Le
bupropion (Zyban®, GSK) est un antidépresseur inhibiteur de la recapture
de la dopamine et de la noradrénaline
au niveau du système nerveux central.
Il a obtenu une autorisation de mise
sur le marché en France en août 2001
dans l'indication du sevrage tabagique accompagné d'un soutien de
la motivation à l'arrêt du tabac. De
nombreux effets indésirables ont été
décrits, de fréquence variable. Le
risque de convulsion a été estimé à
un an à 0,1 %. Moyennant une bonne
connaissance des effets indésirables
possibles, des contre-indications qui
en découlent et des interactions médicamenteuses à éviter, « le bupropion apporte certainement une
contribution majeure à l’arsenal des
médicaments utilisables pour aider
les fumeurs », indique le Pr P. Bartsch,
pneumologue au CHU Sart Tilman
(Liège). L’Afssaps reconnaît au bupropion « une supériorité légère mais
régulière » par rapport au TSN.
Champix® (varénicline, Pfizer) est
disponible en pharmacie en France
depuis le 12 février 2007. La varénicline est un agoniste partiel sélectif
des récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine 4ß2. Lors de sa liaison à
ces récepteurs, la varénicline agit de
deux façons : elle agit comme la nicotine (effet agoniste partiel), ce qui
aide à soulager les symptômes de besoin impérieux de fumer et de
manque, mais elle agit également
comme antagoniste de la nicotine en
empêchant sa liaison aux récepteurs,
ce qui permet de réduire les effets de
récompense liés au tabagisme. En
clair, « si on craque, on ne ressent pas
de plaisir », explique Jean-Baptiste
Gras, chef de produit de Champix®,
« ce qui limite le risque de rechute ».
Selon les deux études les plus importantes sur l’efficacité de Champix®
impliquant des fumeurs chroniques,
à la fin des douze semaines de traitement, 44 % des sujets étaient abstinents sous varénicline contre 30 %
pour le bupropion (Zyban®) et 17 à
18 % pour le placebo. Champix® devrait être ajouté « dans les prochains
jours voire les prochaines heures » à
la liste des produits de sevrage tabagique remboursables dans le cadre
du forfait de 50 euros, nous confie
Jean-Baptiste Gras. Selon les révélations du Parisien du 23 mars, les experts de la commission de transparence lui ont en effet reconnu le 14
mars « un service médical rendu important ». Jean-Baptiste Gras ajoute
qu’ « un dossier de demande de remboursement classique va également
être déposé », après la publication
des résultats d’une étude comparant
l’efficacité de Champix® à celle des
substituts nicotiniques.
Une explosion des ventes en février. Le tableau de bord mensuel
des indicateurs relatifs au tabac et au
tabagisme en France, réalisé par
l’OFDT (Observatoire français des
drogues et des toxicomanies) à la demande de la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue
et la toxicomanie) montre que les
mesures gouvernementales ont
donné un véritable coup de fouet au MAI 2007 _ PHARMACEUTIQUES
42 a c t u a l i t é s SEVRAGE TABAGIQUE
Ventes totales de produits anti-tabac
nécessité d’efforts continus, par plusieurs « petites mesures successives »
comme éléments déclencheurs
d’une volonté de sevrage, plus que
l’intérêt de « grandes mesures ».
(exprimées en mois de traitement)
350000
300000
250000
200000
150000
100000
50000
0
SOURCE : OFDT
Champix
Zyban
Oraux
Patchs
De nouveaux produits de prescription à l’essai. Plusieurs nouveaux
médicaments pour arrêter de fumer
sont en essai clinique. Si le rimonabant (Acomplia®, Sanofi-Aventis)
s’est vu refuser une autorisation de
mise sur le marché dans l’indication
de sevrage tabagique, du fait d’une
activité insuffisante et de résultats
non reproductibles, le laboratoire
continue de développer dans cette inJanvier Février
Mars
Janvier Février
Mars
dication son « petit frère », le surinabant, un autre antagoniste des récep2006
2007
teurs cannabinoides CB1 dont
l’activité est plus centrale. Le docteur
Marc Cluzel, Senior vice-président,
marché du sevrage tabagique. Il permédicaments d’aide à l’arrêt ont été
opérations scientifiques et médicales,
met d’observer, dès le mois de février,
réalisées en mars, selon l’OFDT (exexplique en effet que le rimonabant
une forte hausse des ventes totales
primées en mois de traitement)
cible surtout les récepteurs endocande traitements de sevrage exprimées
contre 298 977 en février, soit une
nabinoïdes périphériques et le
en mois de traitement : + 41 % par rapchute de 33,4 %. Une diminution qui
surinabant ceux du système nerveux
port à janvier de cette année, + 127 %
concerne d’une part les substituts nicentral. « On en espère donc une actipar rapport à février 2006. Un résultat
cotiniques (- 47,3 % pour les timbres
vité plus importante sur le sevrage taobtenu en un seul mois d’application
transdermiques, - 28,9 % pour les
bagique », plus précisément « une
du nouveau décret. Les ventes
formes orales), et d’autre part le Zyabstinence multipliée par deux par
s’étaient déjà légèrement accrues en
ban® (- 44,0 %). Alors que dans le
rapport au placebo et une absence de
janvier (+ 9,4 % par rapport à janvier
même temps les ventes de Champrise de poids, premier argument des
2006), à l’approche de l’entrée en
pix® continuent à augmenter
femmes européennes pour continuer
vigueur de l’interdiction, et leur aug(+ 45,2 % par rapport au demi-mois
à fumer ». Le surinabant a maintementation globale pour le cumul janprécédent). Les ventes de Champix®
nant atteint la phaseIIb. Le laboravier plus février par rapport à la même
atteignent ainsi 19 % du marché de
toire mise aussi sur la dianicline, qui
période de 2006 atteint ainsi + 70 %.
mars 2007. Champix® étant présenté
est comme la varénicline (ChamCette embellie du marché profite à
en packs de diffépix®) un agoniste partous les produits, Zyban® inclus,
rents dosages, le
tiel sélectif des récepmême si l’essor des ventes concerne
nombre de « starter
teurs nicotiniques à
De nouveaux
en premier lieu les patchs (+ 140,7 %
packs » ou traitements
l’acétylcholine 4ß2. Le
composés en
par rapport à février 2006), avant de
d’initiation vendus a
composé est actuelleconcerner les formes orales (+ 76 %) et
permis à Pfizer de
ment en phaseIII. Les
développement
le Zyban® (+ 19,3 %). Champix® est
comptabiliser (mirésultats de ces essais
arrivé en France au moment propice.
avril) que « 67 000 pasur le surinabant et sur
Son entrée en lice 11 jours après l’entients ont débuté un
la dianicline sont attentrée en vigueur du décret interdisant
traitement par Champix® en 2 mois
dus « pour la fin de l’année ou le déla cigarette dans les lieux publics lui a
», ajoute Jean-Baptiste Gras. Quant à
but de l’année prochaine », précise
déjà permis pour le seul mois de fél’avenir, « on est très positif chez PfiMarc Cluzel. Les prévisions incluent
vrier de conquérir pas loin de 10 %
zer », souligne-t-il, s’en référant au
le dépôt des dossiers de demande
du marché (exprimé en nombre de
« très bon retour des patients » quant
d’AMM en 2010 et les mises sur le
mois de traitement), exactement
à l’efficacité et à la tolérance du promarché en 2011. « Un autre espoir
8,7 % en 16 jours.
duit. Par rapport à 2006, la hausse des
chez Sanofi-Aventis réside en l’assoventes des traitements anti-tabac se
ciation surinabant et dianicline »,
Mars en demi-teinte, sauf pour
poursuit cependant. Le cumul du
nous confie encore ce dernier. « Pour
Champix®. Cette expansion du marpremier trimestre 2007 reste supétester ce concept, le laboratoire a déjà
ché des produits de sevrage tabarieur de 60,5 % par rapport à la même
débuté un programme évaluant l’asgique se maintiendra-t-elle à ce
période de 2006. Et en comparaison
sociation rimonabant + dianicline ».
rythme ? 4 ou 5 mois sont nécessaires
à mars 2006 les ventes totales de proParmi les autres composés en dévepour le savoir, mais les chiffres du
duits d’aide au sevrage tabagique de
loppement, GSK a dans son pipe-line
mois de mars peuvent en faire doumars 2007 sont en augmentation de
le GW 468816, un antagoniste de la
ter. Globalement 198 998 ventes de
38,3%. Jean-Baptiste Gras souligne la
glycine, qui est en phase II. Il est
PHARMACEUTIQUES _ MAI 2007
43
conçu pour contribuer à l’abstinence
chez les personnes venant d’arrêter
de fumer, retardant le risque de rechute. De son côté la société de biotechnologie genevoise Addex Pharmaceuticals vient de démarrer la
phaseIIa du développement d’un antagoniste sélectif du récepteur D1 de
la dopamine l’ADX 10061, dont les résultats sont attendus pour le
deuxième semestre 2007. Par ailleurs,
Somaxon Pharmaceuticals, compagnie américaine spécialisée dans les
domaines de la psychiatrie et de la
neurologie, a annoncé en juillet 2006
les résultats positifs d’un essai pilote
de phaseII sur le nalmefene, un antagoniste des opioïdes, qui a entraîné
des taux d’abstinence de la cigarette
supérieurs au placebo. Le nalmefene
est déjà utilisé depuis plus de 10 ans
aux USA comme antagoniste morphinique.
Demain un vaccin contre la dépendance à la nicotine ? Les vaccins
contre la dépendance à la nicotine
suscitent un grand espoir. Ils sont
tous basés sur le même principe de
piéger la nicotine dans la circulation
sanguine pour l’empêcher d’atteindre les récepteurs cérébraux, en
induisant des anticorps spécifiques
ajoute encore Cytos Biotechnology.
liant la nicotine circulante. On attend
La suite du développement sera efde ces vaccins d’une part d’empêcher
fectuée par Novartis avec qui un acle processus d’addiction, en minicord de licence exclusif et mondial
misant la dépendance et le sentiment
vient tout juste d’être conclu ; accord
de satisfaction déclenché par le stiqui inclut aussi la production et la
mulus de la nicotine, d’autre part
commercialisation. Novartis est ainsi
d’éviter les rechutes, si fréquentes
devenu le 25 avril le premier « grand »
dans le sevrage tabagique. Un essai
à s’engager sur ce marché des vacde phase II a montré que le vaccin
cins. Qui sera le second ? TA-NIC®,
thérapeutique CYT002-NicQb® de
devenu le candidat-vaccin de Celtic
Cytos Biotechnology permettait
Pharma acquéreur de Xenova en
d’entraîner une abstinence à long
2005, est en phase II. La holding
terme lorsque le patient atteignait
pharmaceutique, intermédiaire entre
une concentration
les biotechs et les laboélevée en anticorps.
ratoires pharmaceu« D’autres essais d’optiques établis, va en anDes essais
timisation ont établi
noncer les résultats
en
avec succès une noudans les semaines qui
cours
velle formulation du
viennent. Les résultats
vaccin, et défini un
d’un essai de phase IIB
protocole thérapeudu candidat-vaccin
tique amélioré », explique la biotech
NicVAX® de Nabi Biopharmaceutisuisse. « Dans ces conditions, les
cals, prévus pour le deuxième trititres en anticorps obtenus sont
mestre 2007, devraient établir la forbeaucoup plus élevés que lors de l’esmulation optimale du vaccin pour la
sai de phase II. Leur moyenne géomise en œuvre d’essais pivots de
métrique est multipliée par 10 ». « Ce
phase III. Essais que la compagnie
qui laisse espérer un effet bénéfique
espère initier avec un partenaire de
sur la demi-vie des anticorps et la dudéveloppement dans la deuxième
rée de l’effet vaccinal et un intérêt
moitié de l’année. I
dans la prévention des rechutes »,
DR
Le point de vue des pharmaciens
Pour Gilles
Bonnefond,
secrétaire
général de
l’USPO (Union
des syndicats
de
pharmaciens
d’officine), on
assiste en
effet en ce moment à un « petit rebond »
du marché des substituts nicotiniques,
mais « pas au-delà de ce qui pouvait être
prévu », ainsi qu’à un « petit
engouement » pour Champix®, et il
faudra attendre quelques mois pour voir
si cette tendance se confirme au-delà de
la période de communication
gouvernementale. De son côté, Danièle
Paoli, responsable de la Commission
exercice professionnel à la FSPF
(Fédération des syndicats
pharmaceutiques de France), note une
« perte de vitesse » après « une poussée
importante » des demandes de produits
de sevrage tabagique en février
concernant surtout les patchs, puis les
gommes, et une « petite demande » pour
Champix®. Tous deux regrettent le
circuit de prescription compliqué mis en
place par l’assurance-maladie qu’ils
considèrent comme préjudiciable. « Une
très mauvaise approche » pour Danièle
Paoli. Un message « un peu embrouillé
pour le public », remarque Gilles
Bonnefond ; qui a conduit les candidats
au sevrage « à demander plus de
renseignements sur les possibilités de se
faire rembourser que d’informations sur
les traitements eux-mêmes ». Le
conditionnement du remboursement à
une prescription médicale, exprime Gilles
Bonnefond, « ne s’inscrit pas dans une
logique de soins cohérente ». Ainsi que
Danièle Paoli, il montre cependant une
certaine confiance dans l’évolution vers
une logique où le patient pourrait
s’adresser directement au pharmacien et
être remboursé de la même façon. Tous
les deux expliquent que la prescription
obligatoire complique la démarche,
alourdit son prix de celui d’une
consultation médicale qui n’est pas
indispensable dans tous les cas, et la
retarde. L’élan impulsif des volontaires au
sevrage, un instant court qu’il ne faut pas
rater, se trouve cassé par l’obligation de
consultation médicale. L’assurancemaladie s’interroge d’ailleurs elle-même
sur le succès de cette procédure, n’ayant
que très peu de demandes de
remboursement. Danièle Paoli insiste par
ailleurs sur la nécessité de campagnes de
communication soutenues de la part des
pouvoirs publics, sans oublier, ajoute
Gilles Bonnefond, un élément de
motivation à ne pas négliger, facteur
déclenchant de l’envie d’arrêter de fumer,
l’augmentation du prix du tabac, « mise
en berne », et qui serait « à réactiver ».
MAI 2007 _ PHARMACEUTIQUES
40 a c t u a l i t é s
SEVRAGE TABAGIQUE
Marc Cluzel, Senior
vice-président des
opérations scientifiques
et médicales chez
Sanofi-Aventis.
UN MARCHÉ
PROMETTEUR
A l’entrée en vigueur de l’interdiction de fumer dans
les lieux publics, le marché du sevrage tabagique a
bondi ; un envol qui a profité à tous les produits, du
patch au Zyban®, tandis que Champix® décolle dès sa
mise sur le marché. Quelques mois sont nécessaires
pour confirmer ces premières tendances. Face à un
marché d’avenir, 1,3 milliard de fumeurs dans le
monde, les laboratoires fourbissent leurs armes,
avec dans leurs portefeuilles un certain nombre de
médicaments et de vaccins, déjà en phase II ou III.
——————
DOMINIQUE MONNIER
près l’annonce faite par
pond environ au premier mois de
Dominique de Villepin le
traitement. Remboursement condi8 octobre 2006 de la décitionné à une prescription médicale
sion gouvernementale
« sur une ordonnance consacrée exd’interdire de fumer dans les lieux à
clusivement aux substituts nicotiusage collectif, le décret d’applicaniques ». La liste des substituts remtion, publié au Journal Officiel le 16
boursables dans le cadre de ce forfait,
arrêtée au 19 mars 2007, inclut les
novembre, est entré en vigueur le 1er
produits Niquitin® et Niquitinclear®
février 2007. Interdisant notamment
de GSK Santé grand pude fumer dans les «
blic, Nicotinell® de Nolieux fermés et couUn dépendance
vartis Santé Familiale,
verts qui accueillent
physique,
Nicorette® de McNeil
du public ou qui
Consumer Healthcare,
constituent des lieux
gestuelle et
filiale du groupe Johnde travail » ainsi que
psychologique
son & Johnson qui a ra« dans les moyens de
cheté la filière OTC de
transport collectif » ;
avec un report de son application
Pfizer, ainsi que Nicogum®, Nicojusqu'au 1er janvier 2008 pour les «
pass® et Nicopatch®, de Pierre Fabre
débits permanents de boissons à
Santé.
consommer sur place, casinos,
cercles de jeu, débits de tabac, disLes produits de substitution ont
cothèques, hôtels et restaurants ».
fait leurs preuves. L’objectif du traiL’assurance-maladie a annoncé le
tement de substitution nicotinique
16 janvier dernier qu’elle accompa(TSN) est de remplacer la nicotine des
gnerait l’arrêt du tabac avec un
cigarettes. « Il réduit les symptômes
remboursement des substituts nicode sevrage et peut ainsi augmenter la
tiniques de 50€ par an maximum par
probabilité d’abstinence durable »,
bénéficiaire, un montant qui corresexplique la Haute autorité de santé
A
PHARMACEUTIQUES _ MAI 2007
(HAS). Quatre formes sont disponibles en France. Les gommes à mâcher existent depuis 1986. « Leur principe est aussi de diminuer la
dépendance comportementale en
remplaçant le geste de la cigarette par
celui de prendre la gomme », indique-t-on chez Pierre Fabre. Avec les
comprimés sublinguaux et les pastilles à sucer, la nicotine est libérée
avec une pharmacocinétique proche
de celle des gommes. Nicopass® a été
la première pastille à sucer du marché. Ces pastilles peuvent aussi être
utilisées dans une stratégie de réduction du tabagisme comme une étape
vers l'arrêt définitif. L’inhalateur, qui
reste le domaine réservé de McNeil
Consumer Healthcare, apporte une
aide comportementale pour les fu-
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meurs chez lesquels la gestuelle est
une composante importante. Le
patch est un traitement continu, pouvant être porté pendant 16 ou 24
heures, et permet une meilleure observance que les gommes. Il existe en
trois dosages, conçus pour un sevrage
en trois mois à doses progressivement réduites. Dans son rapport
d’octobre 2006, la HAS établit que les
TSN ont prouvé leur efficacité dans le
sevrage tabagique, comparés à des
traitements placebo. Efficacité que
l’Afssaps évalue à 18 % à un an, contre
10 % pour les placebo. Au total pour
l’Afssaps, « toutes les formes galéniques de substituts nicotiniques ont
une efficacité similaire à posologie
égales » et le rapport bénéfice-risque
du TSN est très favorable.
Deux produits de prescription. Le
bupropion (Zyban®, GSK) est un antidépresseur inhibiteur de la recapture
de la dopamine et de la noradrénaline
au niveau du système nerveux central.
Il a obtenu une autorisation de mise
sur le marché en France en août 2001
dans l'indication du sevrage tabagique accompagné d'un soutien de
la motivation à l'arrêt du tabac. De
nombreux effets indésirables ont été
décrits, de fréquence variable. Le
risque de convulsion a été estimé à
un an à 0,1 %. Moyennant une bonne
connaissance des effets indésirables
possibles, des contre-indications qui
en découlent et des interactions médicamenteuses à éviter, « le bupropion apporte certainement une
contribution majeure à l’arsenal des
médicaments utilisables pour aider
les fumeurs », indique le Pr P. Bartsch,
pneumologue au CHU Sart Tilman
(Liège). L’Afssaps reconnaît au bupropion « une supériorité légère mais
régulière » par rapport au TSN.
Champix® (varénicline, Pfizer) est
disponible en pharmacie en France
depuis le 12 février 2007. La varénicline est un agoniste partiel sélectif
des récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine 4ß2. Lors de sa liaison à
ces récepteurs, la varénicline agit de
deux façons : elle agit comme la nicotine (effet agoniste partiel), ce qui
aide à soulager les symptômes de besoin impérieux de fumer et de
manque, mais elle agit également
comme antagoniste de la nicotine en
empêchant sa liaison aux récepteurs,
ce qui permet de réduire les effets de
récompense liés au tabagisme. En
clair, « si on craque, on ne ressent pas
de plaisir », explique Jean-Baptiste
Gras, chef de produit de Champix®,
« ce qui limite le risque de rechute ».
Selon les deux études les plus importantes sur l’efficacité de Champix®
impliquant des fumeurs chroniques,
à la fin des douze semaines de traitement, 44 % des sujets étaient abstinents sous varénicline contre 30 %
pour le bupropion (Zyban®) et 17 à
18 % pour le placebo. Champix® devrait être ajouté « dans les prochains
jours voire les prochaines heures » à
la liste des produits de sevrage tabagique remboursables dans le cadre
du forfait de 50 euros, nous confie
Jean-Baptiste Gras. Selon les révélations du Parisien du 23 mars, les experts de la commission de transparence lui ont en effet reconnu le 14
mars « un service médical rendu important ». Jean-Baptiste Gras ajoute
qu’ « un dossier de demande de remboursement classique va également
être déposé », après la publication
des résultats d’une étude comparant
l’efficacité de Champix® à celle des
substituts nicotiniques.
Une explosion des ventes en février. Le tableau de bord mensuel
des indicateurs relatifs au tabac et au
tabagisme en France, réalisé par
l’OFDT (Observatoire français des
drogues et des toxicomanies) à la demande de la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue
et la toxicomanie) montre que les
mesures gouvernementales ont
donné un véritable coup de fouet au MAI 2007 _ PHARMACEUTIQUES
42 a c t u a l i t é s SEVRAGE TABAGIQUE
Ventes totales de produits anti-tabac
nécessité d’efforts continus, par plusieurs « petites mesures successives »
comme éléments déclencheurs
d’une volonté de sevrage, plus que
l’intérêt de « grandes mesures ».
(exprimées en mois de traitement)
350000
300000
250000
200000
150000
100000
50000
0
SOURCE : OFDT
Champix
Zyban
Oraux
Patchs
De nouveaux produits de prescription à l’essai. Plusieurs nouveaux
médicaments pour arrêter de fumer
sont en essai clinique. Si le rimonabant (Acomplia®, Sanofi-Aventis)
s’est vu refuser une autorisation de
mise sur le marché dans l’indication
de sevrage tabagique, du fait d’une
activité insuffisante et de résultats
non reproductibles, le laboratoire
continue de développer dans cette inJanvier Février
Mars
Janvier Février
Mars
dication son « petit frère », le surinabant, un autre antagoniste des récep2006
2007
teurs cannabinoides CB1 dont
l’activité est plus centrale. Le docteur
Marc Cluzel, Senior vice-président,
marché du sevrage tabagique. Il permédicaments d’aide à l’arrêt ont été
opérations scientifiques et médicales,
met d’observer, dès le mois de février,
réalisées en mars, selon l’OFDT (exexplique en effet que le rimonabant
une forte hausse des ventes totales
primées en mois de traitement)
cible surtout les récepteurs endocande traitements de sevrage exprimées
contre 298 977 en février, soit une
nabinoïdes périphériques et le
en mois de traitement : + 41 % par rapchute de 33,4 %. Une diminution qui
surinabant ceux du système nerveux
port à janvier de cette année, + 127 %
concerne d’une part les substituts nicentral. « On en espère donc une actipar rapport à février 2006. Un résultat
cotiniques (- 47,3 % pour les timbres
vité plus importante sur le sevrage taobtenu en un seul mois d’application
transdermiques, - 28,9 % pour les
bagique », plus précisément « une
du nouveau décret. Les ventes
formes orales), et d’autre part le Zyabstinence multipliée par deux par
s’étaient déjà légèrement accrues en
ban® (- 44,0 %). Alors que dans le
rapport au placebo et une absence de
janvier (+ 9,4 % par rapport à janvier
même temps les ventes de Champrise de poids, premier argument des
2006), à l’approche de l’entrée en
pix® continuent à augmenter
femmes européennes pour continuer
vigueur de l’interdiction, et leur aug(+ 45,2 % par rapport au demi-mois
à fumer ». Le surinabant a maintementation globale pour le cumul janprécédent). Les ventes de Champix®
nant atteint la phaseIIb. Le laboravier plus février par rapport à la même
atteignent ainsi 19 % du marché de
toire mise aussi sur la dianicline, qui
période de 2006 atteint ainsi + 70 %.
mars 2007. Champix® étant présenté
est comme la varénicline (ChamCette embellie du marché profite à
en packs de diffépix®) un agoniste partous les produits, Zyban® inclus,
rents dosages, le
tiel sélectif des récepmême si l’essor des ventes concerne
nombre de « starter
teurs nicotiniques à
De nouveaux
en premier lieu les patchs (+ 140,7 %
packs » ou traitements
l’acétylcholine 4ß2. Le
composés en
par rapport à février 2006), avant de
d’initiation vendus a
composé est actuelleconcerner les formes orales (+ 76 %) et
permis à Pfizer de
ment en phaseIII. Les
développement
le Zyban® (+ 19,3 %). Champix® est
comptabiliser (mirésultats de ces essais
arrivé en France au moment propice.
avril) que « 67 000 pasur le surinabant et sur
Son entrée en lice 11 jours après l’entients ont débuté un
la dianicline sont attentrée en vigueur du décret interdisant
traitement par Champix® en 2 mois
dus « pour la fin de l’année ou le déla cigarette dans les lieux publics lui a
», ajoute Jean-Baptiste Gras. Quant à
but de l’année prochaine », précise
déjà permis pour le seul mois de fél’avenir, « on est très positif chez PfiMarc Cluzel. Les prévisions incluent
vrier de conquérir pas loin de 10 %
zer », souligne-t-il, s’en référant au
le dépôt des dossiers de demande
du marché (exprimé en nombre de
« très bon retour des patients » quant
d’AMM en 2010 et les mises sur le
mois de traitement), exactement
à l’efficacité et à la tolérance du promarché en 2011. « Un autre espoir
8,7 % en 16 jours.
duit. Par rapport à 2006, la hausse des
chez Sanofi-Aventis réside en l’assoventes des traitements anti-tabac se
ciation surinabant et dianicline »,
Mars en demi-teinte, sauf pour
poursuit cependant. Le cumul du
nous confie encore ce dernier. « Pour
Champix®. Cette expansion du marpremier trimestre 2007 reste supétester ce concept, le laboratoire a déjà
ché des produits de sevrage tabarieur de 60,5 % par rapport à la même
débuté un programme évaluant l’asgique se maintiendra-t-elle à ce
période de 2006. Et en comparaison
sociation rimonabant + dianicline ».
rythme ? 4 ou 5 mois sont nécessaires
à mars 2006 les ventes totales de proParmi les autres composés en dévepour le savoir, mais les chiffres du
duits d’aide au sevrage tabagique de
loppement, GSK a dans son pipe-line
mois de mars peuvent en faire doumars 2007 sont en augmentation de
le GW 468816, un antagoniste de la
ter. Globalement 198 998 ventes de
38,3%. Jean-Baptiste Gras souligne la
glycine, qui est en phase II. Il est
PHARMACEUTIQUES _ MAI 2007
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conçu pour contribuer à l’abstinence
chez les personnes venant d’arrêter
de fumer, retardant le risque de rechute. De son côté la société de biotechnologie genevoise Addex Pharmaceuticals vient de démarrer la
phaseIIa du développement d’un antagoniste sélectif du récepteur D1 de
la dopamine l’ADX 10061, dont les résultats sont attendus pour le
deuxième semestre 2007. Par ailleurs,
Somaxon Pharmaceuticals, compagnie américaine spécialisée dans les
domaines de la psychiatrie et de la
neurologie, a annoncé en juillet 2006
les résultats positifs d’un essai pilote
de phaseII sur le nalmefene, un antagoniste des opioïdes, qui a entraîné
des taux d’abstinence de la cigarette
supérieurs au placebo. Le nalmefene
est déjà utilisé depuis plus de 10 ans
aux USA comme antagoniste morphinique.
Demain un vaccin contre la dépendance à la nicotine ? Les vaccins
contre la dépendance à la nicotine
suscitent un grand espoir. Ils sont
tous basés sur le même principe de
piéger la nicotine dans la circulation
sanguine pour l’empêcher d’atteindre les récepteurs cérébraux, en
induisant des anticorps spécifiques
ajoute encore Cytos Biotechnology.
liant la nicotine circulante. On attend
La suite du développement sera efde ces vaccins d’une part d’empêcher
fectuée par Novartis avec qui un acle processus d’addiction, en minicord de licence exclusif et mondial
misant la dépendance et le sentiment
vient tout juste d’être conclu ; accord
de satisfaction déclenché par le stiqui inclut aussi la production et la
mulus de la nicotine, d’autre part
commercialisation. Novartis est ainsi
d’éviter les rechutes, si fréquentes
devenu le 25 avril le premier « grand »
dans le sevrage tabagique. Un essai
à s’engager sur ce marché des vacde phase II a montré que le vaccin
cins. Qui sera le second ? TA-NIC®,
thérapeutique CYT002-NicQb® de
devenu le candidat-vaccin de Celtic
Cytos Biotechnology permettait
Pharma acquéreur de Xenova en
d’entraîner une abstinence à long
2005, est en phase II. La holding
terme lorsque le patient atteignait
pharmaceutique, intermédiaire entre
une concentration
les biotechs et les laboélevée en anticorps.
ratoires pharmaceu« D’autres essais d’optiques établis, va en anDes essais
timisation ont établi
noncer les résultats
en
avec succès une noudans les semaines qui
cours
velle formulation du
viennent. Les résultats
vaccin, et défini un
d’un essai de phase IIB
protocole thérapeudu candidat-vaccin
tique amélioré », explique la biotech
NicVAX® de Nabi Biopharmaceutisuisse. « Dans ces conditions, les
cals, prévus pour le deuxième trititres en anticorps obtenus sont
mestre 2007, devraient établir la forbeaucoup plus élevés que lors de l’esmulation optimale du vaccin pour la
sai de phase II. Leur moyenne géomise en œuvre d’essais pivots de
métrique est multipliée par 10 ». « Ce
phase III. Essais que la compagnie
qui laisse espérer un effet bénéfique
espère initier avec un partenaire de
sur la demi-vie des anticorps et la dudéveloppement dans la deuxième
rée de l’effet vaccinal et un intérêt
moitié de l’année. I
dans la prévention des rechutes »,
DR
Le point de vue des pharmaciens
Pour Gilles
Bonnefond,
secrétaire
général de
l’USPO (Union
des syndicats
de
pharmaciens
d’officine), on
assiste en
effet en ce moment à un « petit rebond »
du marché des substituts nicotiniques,
mais « pas au-delà de ce qui pouvait être
prévu », ainsi qu’à un « petit
engouement » pour Champix®, et il
faudra attendre quelques mois pour voir
si cette tendance se confirme au-delà de
la période de communication
gouvernementale. De son côté, Danièle
Paoli, responsable de la Commission
exercice professionnel à la FSPF
(Fédération des syndicats
pharmaceutiques de France), note une
« perte de vitesse » après « une poussée
importante » des demandes de produits
de sevrage tabagique en février
concernant surtout les patchs, puis les
gommes, et une « petite demande » pour
Champix®. Tous deux regrettent le
circuit de prescription compliqué mis en
place par l’assurance-maladie qu’ils
considèrent comme préjudiciable. « Une
très mauvaise approche » pour Danièle
Paoli. Un message « un peu embrouillé
pour le public », remarque Gilles
Bonnefond ; qui a conduit les candidats
au sevrage « à demander plus de
renseignements sur les possibilités de se
faire rembourser que d’informations sur
les traitements eux-mêmes ». Le
conditionnement du remboursement à
une prescription médicale, exprime Gilles
Bonnefond, « ne s’inscrit pas dans une
logique de soins cohérente ». Ainsi que
Danièle Paoli, il montre cependant une
certaine confiance dans l’évolution vers
une logique où le patient pourrait
s’adresser directement au pharmacien et
être remboursé de la même façon. Tous
les deux expliquent que la prescription
obligatoire complique la démarche,
alourdit son prix de celui d’une
consultation médicale qui n’est pas
indispensable dans tous les cas, et la
retarde. L’élan impulsif des volontaires au
sevrage, un instant court qu’il ne faut pas
rater, se trouve cassé par l’obligation de
consultation médicale. L’assurancemaladie s’interroge d’ailleurs elle-même
sur le succès de cette procédure, n’ayant
que très peu de demandes de
remboursement. Danièle Paoli insiste par
ailleurs sur la nécessité de campagnes de
communication soutenues de la part des
pouvoirs publics, sans oublier, ajoute
Gilles Bonnefond, un élément de
motivation à ne pas négliger, facteur
déclenchant de l’envie d’arrêter de fumer,
l’augmentation du prix du tabac, « mise
en berne », et qui serait « à réactiver ».
MAI 2007 _ PHARMACEUTIQUES