sermon ccxlvii - La Porte Latine

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sermon ccxlvii - La Porte Latine
 SERMON CCXLVII. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. XVIII. LE
MIRACLE DES PORTES FERMÉES (1).
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ANALYSE. — Plusieurs refusent de croire que Jésus-Christ entra le jour de sa
résurrection dans l'appartement où étaient réunis ses Apôtres, quoique les portes en
fussent fermées. Ils ne considèrent donc pas 1° que ce miracle est analogue à beaucoup
d'autres, 2° que Dieu est tout-puissant, 3° qu'il se fait chaque jour dans la nature des
choses plus admirables, 4° enfin qu'il est plus facile à un homme d'entrer par une porte
fermée qu'à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, ce qui pourtant n'est pas
impossible à Dieu.
1. Il semble que nous ayons fini hier de lire la passion de Notre-Seigneur JésusChrist dans le texte véridique des quatre Evangiles. Le premier jour en effet nous l'avons
lue dans saint Matthieu, le second dans saint Luc, le troisième dans saint Marc, le
quatrième ou hier dans saint Jean. Cependant, comme saint Luc et saint Jean ont écrit sur
la résurrection et sur les événements qui la suivirent, beaucoup de choses qui ne peuvent
se lire en une seule fois, aujourd'hui, comme hier, nous avons lu dans saint Jean et il nous
y restera encore d'autres lectures à faire.
Que vient-on de nous lire? Que le jour même de la résurrection, c'est-à-dire le
dimanche, vers le soir, comme les disciples étaient réunis dans un appartement. dont les
portes étaient fermées à cause de la crainte qu'inspiraient les Juifs, le Seigneur apparut
tout à coup au milieu d'eux. Ce même jour donc, d'après le témoignage de l'Evangéliste
saint Jean, il apparut deux fois à ses disciples, le matin et le soir. On a lu l'apparition du
matin, et nous venons d'entendre lire l'apparition du soir. Je n'avais pas besoin de vous le
rappeler, il vous suffisait d'en faire la remarque; mais en considération de ceux qui sont
ou moins instruits ou plus négligents, j'ai dû faire cette observation ; car il convient que
vous sachiez, non-seulement ce qu'on vous lit, mais encore de quelle partie des Ecritures
on le tire.
2. Qu'avons-nous donc à dire sur la lecture d'aujourd'hui ? Il semble que cette
lecture nous invite à expliquer en peu de mots comment,
1. I Jean, XX, 19-31.
avec ce corps solide que les disciples purent voir et toucher, le Seigneur ressuscité put se
présenter devant eux, quand les portes étaient fermées. Plusieurs sont frappés de ce fait
d'une manière si défavorable, qu'ils sont sur le point de se perdre en invoquant contre les
miracles divins les préjugés de leur raison. Voici en effet comme ils argumentent. Si le
Christ avait son corps, s'il avait de la chair et des os, s'il est sorti du sépulcre avec ce qui
avait été attaché à la croix, comment a-t-il pu rentrer à travers des portes closes? S'il ne
l’a pu, ajoutent-ils, le fait n'a pas eu lieu; et s'il l'a pu, comment l'a-t-il pu ? — Mais si tu
comprenais comment, il n'y aurait point de miracle ; et si tu n'admets pas ce miracle, tues
bien près de nier aussi que ton Sauveur est sorti du tombeau. Remonte jusqu'au
commencement, considère les miracles de ton Dieu et rends-moi compte de chacun
d'eux. Sans s'être approchée d'aucun homme, une Vierge a enfanté : explique comment
une Vierge a pu concevoir de la sorte. Si ta raison est ici impuissante, que ta foi s'y
fortifie. Voilà un mi. racle pour la conception du Seigneur, en voici un autre pour sa
naissance. Sa Mère l'a enfanté Vierge et elle est restée Vierge. Ainsi dès avant sa
résurrection le Seigneur avait passé par des portes fermées.
Tu pousses plus loin tes questions. S'il est entré, dis-tu, par des portes closes,
qu'est de. venue la nature de son corps? Je te réponds: S'il a marché sur la mer, qu'est
devenu le poids de son corps ? — C'est comme étant le Seigneur que le Seigneur y a
marché. — Mais en ressuscitant a-t-il cessé d'être le Seigneur?
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N’a-t-il pas même fait marcher Pierre sur les flots (1)? Ainsi Pierre a pu par la foi ce que
faisait Jésus par sa divinité; avec cette différence toutefois que Jésus avait la puissance en
lui-même et que Pierre ne pouvait rien que par la secours de Jésus. Ah ! si tu te mets à
discuter la nature des miracles avec ton sens humain, que je crains pour ta foi ! Ignores-tu
que rien n'est impossible à Dieu? Quand donc on viendra te dire : S'il est entré par des
portes fermées, c'est qu'il n'avait pas de corps, réponds, dans un sens contraire: Ah !
plutôt, si on l'a touché, c'est qu'il avait un corps; s'il a mangé, c'est qu'il avait un corps ; et
s'il est entré ainsi, c'était par miracle et non pas en suivant les lois de la nature.
Quelle merveille aussi que ce cours ininterrompu de la nature ! Tout y est plein de
miracles; mais leur continuité même les a dépréciés. Réponds-moi, je rie vais t'interroger
que sur ce qui se reproduit chaque jour : Comment le figuier, un si grand arbre, vient-il
d'une semence si petite qu'on a peine à la voir, taudis que l'humble courge produit un fruit
énorme? Sur cette graine si fine, à peine visible, applique non pas ton regard mais ton
attention; eh bien ! dans ce corps si petit, si étroit, tu verras réunis et la racine qui se
cache, et le tronc qui se fixe; et les feuilles qui s’y attachent; le fruit même que l'on verra
suspendu aux rameaux est déjà dans la graine. Inutile de multiplier les exemples : nul ne
rend compte de ce qui arrive chaque jour, et tu prétends que j'explique des miracles ! Lis
donc l'Évangile et crois accompli tout ce qui s’y étonne. Car Dieu a fait plus que tout ce
que
1. Matt. XIV, 25-29.
tu y vois, et tu n'en es pas surpris : en effet, rien n'existait et le monde est aujourd'hui.
3. Cependant, poursuis-tu, il a été impossible au corps, en raison de son volume,
de pénétrer à travers des portes qui restaient fermées. — Quel était ce volume, je t'en prie
? Il avait sans doute les dimensions que nous voyons dans les autres corps humains :
mais avait-il les dimensions d'un chameau ? Assurément non. Eh bien ! lis, écoute
l'Évangile. Le Sauveur prétend montrer combien il est difficile au riche d'entrer dans le
royaume des cieux, et il dit : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une
aiguille, qu'à un riche de pénétrer dans le royaume des cieux». Persuadé qu'il était de
toute impossibilité pour un chameau de passer ainsi par le trou d'une aiguille, les disciples
s'attristèrent profondément et ils se disaient : « S'il en est de la sorte, qui pourra se
sauver? » Admettons qu'il est plus facile à un chameau d'entrer dans le trou d'une aiguille
qu'à un riche de pénétrer dans le royaume des cieux. Or, un chameau ne saurait d'aucune
manière entrer dans le trou d'une aiguille ; donc aucun riche ne peut non plus se sauver.
Le Seigneur répondit alors : « Ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu (1) ».
Dieu donc peut tout à la fois faire passer un chameau par le trou d'une aiguille et faire
entrer un riche dans le royaume des cieux. Pourquoi m'accuser maintenant à propos de
portes fermées? Dans ces portes fermées il y a au moins quelque fente légère; rapproche
cette fente du trou d'une aiguille, la taille de l'homme de la taille d'un chameau, et gardetoi d'attaquer la divinité des miracles.
1. Luc, XVIII, 25-27.