Compagnie HORS SÉRIE

Transcription

Compagnie HORS SÉRIE
SEKEL
29 octobre 2004 / Rosita Boisseau
Portrait
Hamid Ben Mahi,
les gestes intimes du hip-hop
Le jeune chorégraphe a réussi à donner
un nouvel élan au mouvement en faisant
place à l ‘émotion et à la parole
personnelle. Une quête de singularité qu’il
poursuit avec son spectacle « Sekel ».
IL EST CALME, si calme qu’on se
demande quel est son secret. Son allure, le
tempo de sa voix conservent la même
tranquillité quoi qu’il dise. Et il en raconte des
choses : la vieille dame qu’il croise tous les
jours dans sa résidence à Bordeaux, qui ne le
reconnaît jamais ou le confond avec le
concierge ; la gardienne de l’école de son fils
aîné, qui ne répond jamais à leur salut.
Détails d’un quotidien qui finissent,
comme la goutte d’eau, par faire déborder le
vase… On connaît la chanson. Le chorégraphe
hip-hop Hamid Ben Mahi aussi. « Oui, je suis
trop calme, ce n’est pas normal, ce n’est pas
bon. Je suis devenu comme ça avec le temps.
Lorsqu’on est enfant d’immigré, il y a toujours
le souci de rassurer les gens, d’être doux, de
ne pas se faire remarquer. On a peur de faire
peur, c’est dire. On doit éviter de s’énerver,
sinon on est vite catalogué « racaille », avec
toutes les galères qui s’en suivent. »
Hamid Ben Mahi, 31 ans, est un
homme en colère qui ne s’en accorde pas le
droit. Sa sérénité, mâtinée de fatalisme,
compose un mélange fascinant. Il peut tout
dire, le plus intime, sans qu’on ait le sentiment
qu’il se dévoile réellement.
Une distance – un détachement –
affecte tout ce qu’il dit : un effet de sa voix
lisse qui semble commenter une histoire qui ne
serait plus vraiment la sienne. « Lorsque j’étais
ado, il n’y avait pas le choix, raconte-t-il. On
n’allait pas très loin à l’école, on se retrouvait
direct à l’usine. Rester à la maison, ne serait-
ce que pour tenter de travailler, était
quasiment impossible. Ca criait dedans, on
allait dehors, c’était la même chose. Difficile
de se construire dans ces conditions. Tout
petits, certains gosses se sentent déjà grillés.
On n’arrête pas de nous dire que nous sommes
la France de demain. Nous, c’est
d’aujourd’hui qu’on veut parler. Et pas
seulement lorsque Zidane fait gagner un match
à l’équipe de France. »
Comment Hamid Ben Mahi, né à
Talence dans les environs de Bordeaux, enlevé
par son père à l’âge de 4 ans pour retourner en
Algérie, puis récupéré par sa mère deux ans
plus tard, élevé ainsi que sa sœur au milieu des
sept frères et sœurs maternels à Bordeaux, estil devenu un « privilégié », comme il se définit
lui-même ? Par la gymnastique d’abord, dès
l’âge de 6 ans, puis très vite par le hip-hop. Il a
11 ans quand il découvre l’émission « H.I.P.
H.O.P. » de Sydney sur TF 1 : il traverse toute
la ville à pied pour aller danser avec ses potes.
Son groupe de rap s’appelle FGP, Fais Gaffe à
la Police ou encore Future Génération Possee
(possee : la bande, le groupe en langage hiphop).
Il en veut : le voilà au conservatoire de
région de Bordeaux, où il décroche une bourse
du ministère de la culture et choisit l’école de
Rosella Hightower à Cannes. Il a 23 ans, les
élèves moitié moins. « Au début, on me
regardait avec des yeux ronds. Evidemment, la
danse classique, c’était très loin de mon milieu
d’origine. Ensuite, tout le monde m’a accueilli
à bras ouverts. Enfant, la danse me permettait
de fuir, d’oublier l’école, la famille, le frigo
vide avec toujours le même pot de moutarde.
Ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur, mais
quand vous n’avez rien pour le Noël des petits,
c’est dur. Le plus terrible, c’est la façon dont
on n’a pas arrêté de me décourager. A 20 ans,
lorsque je déposais des dossiers pour danser,
on me répétait qu’il fallait arrêter de rêver.
Entre 21 et 25 ans, j’ai plus souvent couché
dans ma voiture que dans un lit. La réalité
nous rattrape toujours. Qu’est qu’on a réussi
au fond ? Pas grand-chose. Comment
continuer, creuser le chemin ? »
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NE PAS ETRE UN « OBJET EXOTIQUE »
Les questions se bousculent sur la
route d’Hamid Ben Mahi, qui débusque des
réponses saisissantes. En 1998, il conclut son
apprentissage par un stage d’un an dans la
troupe noire la plus prestigieuse, celle d’Alvin
Ailey à New York. « Il fallait s’imposer, sinon
on n’existait pas. Ça a été une sacré école. » Il
y croise les pionniers américains du hip-hop,
revient à Bordeaux pour bosser d’arrache-pied
avec la compagnie de danse hip-hop
Rêvolution, créée en 1994.
L’année 2000, celui qui entend bien ne
pas rester sur l’étagère des « objets exotiques
des périphéries urbaines » lance sa propre
troupe, Hors Série, la bien nommée. Dans la
foulée, il met en scène, avec la complicité de
Michel Schweizer, dans Chronic(s), un solo de
37 minutes, confession pétrie d’urgence d’un
jeune homme du siècle.
C’est
simple,
presque
nu,
somptueusement porté par une virtuosité
dégagée qui sait tenir les rênes aux émotions.
Son parcours a enrichi sa gestuelle d’une
subtilité et d’une élégance assez rarement vues
sur les plateaux de hip-hop.
Le succès dure depuis trois ans, les
dates de tournée – 80 jusqu’à présent, un vrai
phénomène ! – s’additionnent. « Cette pièce
me fiche toujours un trac monstre parce que je
prends la parole en mon nom pour me
dévoiler. Mes parents se sont toujours tus,
nous ont appris à ne pas l’ouvrir. L’accès aux
mots n’était pas donné, mais il était
nécessaire. »
Programmé aux Rencontres de la
Villette, Chronic(s) rameute le ban et l’arrièreban de la danse, tous styles confondus : sa
tendance « documentaire » fait des émules.
« On n’avait jamais vu ça, affirme Philippe
Mourat,
directeur
artistique
de
la
manifestation. Ça a changé le hip-hop, qui
vivait dans l’autocensure. Les danseurs parlent
enfin d’eux-mêmes, de leurs parcours. Hamid
Ben Mahi leur a en quelque sorte donné
l’autorisation de se raconter. Sans le vouloir,
il a impulsé un nouvel élan au mouvement, qui
négocie un virage important. »
La question du sens obsède Hamid Ben
Mahi. Il s’insurge contre la façon dont, depuis
vingt ans, le mouvement hip-hop a subi les
contrecoups des désirs des autres, s’adaptant à
tout. « Dans les années 1980, on dansait dans
la colère, et puis on a été domestiqués. On est
en train de devenir des bêtes de foire que l’on
sort
pour
présenter
leurs
exploits
acrobatiques. Il nous faut toujours prouver
quelque chose. Je dis stop ! On s’est frotté à
toutes les techniques chorégraphiques, toutes
les musiques, on a même dansé sur Bach, on a
métissé tous azimuts, et alors ? Qu’est ce
qu’on a à dire au fond ? Comment les gens
nous
voient ?
Comme
des
robots
interchangeables ? J’ai envie qu’ils sachent
qui nous sommes. »
Plus question de se contenter de danser
joli, de virevolter sur la tête au risque de se
briser le cou. Il faut créer une nouvelle
communauté de danse tendue vers sa
singularité. Enfant, Hamid Ben Mahi rêvait
qu’il aurait une vie heureuse. Sa mère, qui
habite Lyon aujourd’hui, est fière de son fils,
mais la danse est-elle vraiment un métier ?
De son père, remarié en Algérie, il n’a
pas de nouvelles. Avec sa femme, Corinne, il a
deux enfants, Kémil (4 ans) et Jibran (5 mois) ;
il leur transmet le respect de la famille, renoue
en douceur avec sa culture d’origine. Il vit de
son art, s’inquiète pour l’avenir. « Danser à 20
ans, c’est évident. Dix ans plus tard ça se
complique. Le plus difficile, finalement, ce
n’est pas de commencer, c’est de durer. »
L’urgence de « Sekel »
« C’est un cri », résume Hamid Ben
Mahi. Dans les traces brûlantes de Chronic(s),
le chorégraphe poursuit sa quête de mots et de
sens avec le spectacle Sekel. Cinq interprètes –
des personnalités de la scène hip-hop (Babacar
Cisse, Guillaume Legras, Sébastien VelaLopez, Stéphanie Nataf, Yasmin Rahmani) –
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l’accompagnent
dans
cette
extraction
d’émotions enfouies qui réhabilitent leur
parcours et celui de leurs parents.
A partir d’improvisations autour de
thèmes comme l’enfance, les origines, la
solitude…, les danseurs, dont Hamid Ben
Mahi, ont fouillé leurs souvenirs, gratté leurs
cicatrices. Sans craindre de se faire peur ni
même un peu mal. Pour nourrir cette
recherche, Hamid Ben Mahi a collecté des
textes, des articles de journaux, des musiques.
Il a aussi filmé et interrogé des gens dans la rue
à propos de leur rôle dans la société. Leurs
images sont projetés pendant la pièce.
Colporteur des histoires singulières et
collectives de cette France d’aujourd’hui, Ben
Mahi dresse le portrait sans fard d’une
génération déchirée dont la beauté conflictuelle
irradie. « Prendre la parole, c’est toujours un
peu dangereux, explique le chorégraphe. Notre
culture est généralement associée à des choses
négatives. Je veux me battre contre ces clichés
et montrer que nous ne sommes pas du tout là
où l’on nous attend. » Pour que toute une
génération redresse la tête, ait envie de croire
en la vie et la rêve selon ses désirs.
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SEKEL
er
1 novembre 2004 / Marie-Christine Vernay
Danse.
A Lille, Rencontres de la Villette
hors les murs.
A 20ans,
le hip-hop se prend un coup de jeune
On n’aurait pu craindre que la danse
hip-hop s’aseptise et s’uniformise pour n’être
plus qu’un pâle divertissement avec des
danseurs très techniques mais sans singularité.
Depuis la clôture du festival Montpellier Danse
en juillet, avec un spectacle fédérateur
réunissant une dizaine de compagnies autour
de Frank II Louise, la tendance semble
s’inverser. De nouveau, le hip-hop propose des
formes les plus diverses, preuve de sa capacité
de renouvellement. Les Rencontres de la
Villette hors les murs, hébergées par Lille
2004, confirment la vitalité d’une danse qui, en
France, n’a guère plus de vingt ans.
rêve fou, rendant hommage aux premiers
smurfers aux gants blancs. Ils ondulent, ils
repartent et repartent encore. Ils dansent sur
Allez les bleus ! en bleu de travail, montrent
leurs tee-shirts-slogans : « En France, 80% des
prisonniers sont suédois », portent des
perruques
blondes.
Stéphanie
Nataf,
rayonnante, propose une danse impétueuse,
troublante. Tout cela n’a rien d’exotique, mais
semble vital . Ces six-là, ce n’est que du
bonheur. C’est ce qui est écrit sur un de leurs
tee-shirts.
Grillage. Au Grand Bleu, le
chorégraphe Hamid ben Mahi présentait Sekel,
pièce douce-amère qui donne la parole à
chacun des danseurs, et pas n’importe lesquels,
tous des pionniers : Babacar Cisse, Guillaume
Legras, Sébastien VelaLopez (Lokos),
Stéphanie Nataf et Yasmin Rahmani. Ce qui
touche le plus dans ce spectacle, c’est la
question du vieillissement. Comment le hiphop, jusque-là jeune et virtuose, va-t-il faire
avec des corps qui ont vingt ans de danse dans
les pattes et dans la colonne vertébrale ?
Sekel – le titre n’a rien d’innocent –
répond frontalement : derrière un filet qui
sépare scène et salle comme un grillage, six
danseurs racontent un bout de leur vie, de leur
combat. La maturité apporte chez chacun une
note grave : le hip-hop n’a plus vraiment envie
de faire l’amuseur public. Au sol, des cartons
collés rappellent la dureté des premières pistes
de danse. Et dans un film, les images d’un
centre commercial souligne que, aujourd’hui
encore, c’est le seul lieu de travail de biens des
danseurs. Un centre commercial, pas un centre
chorégraphique. Rien d’amer toutefois : les
danseurs s’accrochent à leur danse comme à un
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SEKEL
24 au 30 octobre 2004 / Rosita Boisseau
N°236 / Octobre 2004 / Philippe
Noisette
Supplément sur les Rencontres de la Villette
Hors les murs
Les nouvelles chroniques
d’Hamid Benmahi
Hamid Benmahi, chorégraphe
Sans peur ni tabous
L’artiste phare de la nouvelle scène
hip-hop ne fait pas dans l’esthétisme, mais
parle sans fausse pudeur des traces que
la vie laisse en nous.
On a beau presque tout savoir de lui,
ses origines algériennes, son kidnapping,
organisé par son père lorsqu’il avait 4 ans pour
rentrer au pays, ses premiers cours de danse
classique à 23 ans, en France, au milieu de
gamines moitié plus jeunes, il reste
insaisissable. C’est qu’à 31 ans, père de deux
enfants, ce chorégraphe hip-hop entend bien ne
pas rester sur l’étagère des « objets exotiques
des périphéries urbaines ». Depuis son solo
Chronic(s), confession d’un jeune homme du
siècle ourlé de danse souple et aiguisée, cet
autodidacte n’a pas pour rien baptiser sa
compagnie Hors Série. Il refuse tous les
clichés. Dans sa vie, dans sa danse. « Il est
nécessaire d’aller plus loin que le mouvement
pour dépasser le seul registre de la prouesse et
de l’esthétique hip-hop convenue. Il s’agit de
donner enfin un sens à notre danse, pour que
le public quel qu’il soit nous comprenne
vraiment. » Avec Sekel, sa nouvelle pièce pour
six interprètes, Hamid Benmahi passe le micro
pour collecter les histoires singulières de cette
France de demain qu’il s’obstine à enraciner
dans l’aujourd’hui. Plus question de jolis
spectacles ni de beaux numéros de danse
(même si Benmahi lui-même est un danseur à
couper le souffle), mais d’aller au cœur de soi
sans peur ni tabous. « Ce spectacle parle des
traces, des cicatrices que la vie laisse en nous.
Il tente aussi de remonter le cours du temps en
plongeant dans l’histoire de nos familles
déchirées.
Beaucoup avaient découvert
ce danseur, passant du hip-hop au
classique, à moins que ce ne soit le
contraire, dans Kings de Michel
Schweizer puis dans Chronic(s),
impeccable solo qui n’en finit pas de
rencontrer son public. Sekel, pièce pour six
danseurs, dont le festival de Biarritz avait la
primeur, confirme sans pour autant se
contenter d’éprouver la simple recette
danse+récit de vie. Benmahi comme ses
compagnons de route, tous plus ou moins
surdoués du hip-hop, même si de générations
différentes, alternent des solos comme des
ensembles, presque parfaits, avec des bribes de
films, des photos projetées ou des prises de
paroles. Il y a des bons sentiments à la pelle –
et certains ne manqueront pas de s’en plaindre
– mais surtout une vraie distance qui permet à
Sekel de voir plus loin . Est-on prédestiné
comme à une époque on l’était à l’usine
Peugeot ? semble questionner Hamid Benmahi,
et il a le bon goût de ne pas imposer ses
réponses bien pensantes. La danse est sa
meilleure arme. Mais ici, il n’est pas question
de
destruction
massive,
plutôt
de
(re)construction.
Ça ne sera ni plaisant, ni gentil. Juste
urgent. »
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SEKEL
N°460 / 22 au 28 septembre 2004 /
Philippe Noisette
un seul danseur passera de l’autre côté du
miroir. Affolé sans doute, il regagnera sa
« famille ». Ce filet qui ne cache rien avec ses
mailles extra-larges mais sépare de tout.
Classe tout risque
Hamid Benmahi a survécu au succès
encombrant de Chronic(s) : Sekel, pas
encore un aboutissement mais déjà plus
qu’une suite, s’impose.
En l’espace de quelques semaines on
aura vu un festival (Montpellier Danse) se
clore et une biennale (de Lyon) s’ouvrir au
rythme du hip-hop, entre sampling et Battle
Royal. Une intégration chorégraphique – et audelà politique – à marche forcée. Plus
modestement, Le Temps d’aimer à Biarritz,
festival aux orientations plutôt néoclassiques,
coproduisait Sekel d’Hamid Benmahi : et on
n’est pas loin de penser que les danses urbaines
se joue là, en dehors de ce ghetto « jeune » avec en prime les stucs de casino local où se
donnait la pièce quasi en front de mer ! A
première vue, Benmahi choisit de s’encombrer
de bons sentiments avec ces cinq interprètes de
classe tout risque qui débitent des morceaux de
vie avec femmes, enfants, rejet et respect.
Hamid Benmahi lâche aussi ses
quelques vérités sur le hip-hop puisqu’il est
normal qu’un beur en soit : « Est-ce moi qui
l’ai choisi ou l’a-t-on choisi pour moi ? » Et
déjà il passe à autre chose. Par exemple une
démonstration de danse sur une plainte de Noir
Désir, Nous n’avons fait que fuir… avec des
corps qui s’écrasent un peu trop au sol, comme
un mouvement condamné d’avance. Benmahi
sait que la virtuosité de ses complices est à sa
portée et il se fait un malin plaisir de casser
sans arrêt le rythme de Sekel, au risque,
mineur, de dérouter. Il laisse cela aux autres, il
a bien mieux à faire que de séduire. Il peut
alors reprendre cette phrase lancée en cours de
spectacle : « On est là ! »
Pour longtemps, on l’espère.
On pourrait s’arrêter là, regretter la
fulgurance du solo Chronic(s) et passer à autre
chose, comme ces purs instants de danse sur un
plateau dépouillé. Deux tables, des cartons
scotchés au sol, une paire de micros. Et puis on
repense à l’un des petits films qui parcourent le
spectacle avec cet immigré parlant de sa
condition. Il balance, l’air de rien, que les gens
comme lui apportent de la couleur, du
mélange. La fameuse huile étrangère dans le
moteur France, en gros. Le gus est à demi
sérieux : et il fait mouche ; tout comme la
compagnie qui enfile plus tard ses
combinaisons une-pièce de soudeur-métallo et
improvise une chorégraphie – mais forcément
de bon cœur – sur Allez les Bleus (de travail),
l’un de ses hymnes sportifs cocardiers. Tout
Sekel (séquelle donc) est dans cette distance ;
et puis il y a ce carton, écran interposé qu’on
ouvre comme une boîte de Pandore, un paquetcadeau qui pourrait vous péter à la gueule, ou,
mieux, ce filet qui coupe la scène de la salle :
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SEKEL
4 août 2005 / Philippe Noisette
Le hip-hop revivifié
Révélation « urbaine » et enfant du hiphop, Ben Mahi imagine une danse mêlant
danse africaine, contemporaine, classique
et danse jazz.
Presque en douce, le hip-hop, danse
venue des banlieues et pratiquée avec plus de
passion que de soutien officiel à ses débuts, a
fêté ses vingt ans. Au cours de cette période,
elle a révélé des talents comme Mourad
Merzouki ou Accrorap. Pourtant, le propos
semblait tourner en rond, proposant plus de
virtuosité que d’idées en scène. Hamid Ben
Mahi est alors apparu, tel un « sauveur ». En
2000, il créé sa compagnie Hors Série, et
depuis il enchaîne les tournées. Enfant du hiphop, qu’il a découvert en autodidacte dans les
années 1980, mais conscient du danger du
repli, il s’est ouvert à d’autres pratiques : la
danse contemporaine, la danse africaine, les
stages à New York chez le pape de la danse
jazz, Alvin Ailey. Et même le classique, à
l’école de danse de Rosella Hightower à
Cannes. Hamid Ben Mahi en a fait le propos de
son solo, « Chronic(s) », sur les conseils avisés
de Michel Schweizer, metteur en scène au
regard acéré. On voit ainsi et on entend – Ben
Mahi est un formidable conteur – ce décalage
entre le « beur de service » et les ballerines du
cru. Lorsqu’il raconte ces exercices où il se
retrouve seul, prince abandonné un peu trop
sombre de peau, on est partagé entre le rire et
l’effroi. En moins d’une heure, le danseur et
chorégraphe se livre, sans plainte, et propose
un hip-hop revivifié.
« Chronic(s) ». Mais « Sekel » tient sa force de
ces tranches de vie jouées et dansées sur le
plateau. Un fille et cinq garçons racontent un
quotidien banal, étranger à l’univers de la
danse. Les bons sentiments ne sont pas loin,
mais lorsque un danseur évoque ces galères et
la joie de tout oublier le temps d’un spectacle,
on comprend mieux où Hamid Ben Mahi veut
en venir. Le rythme de « Sekel » est tout entier
dans des solos farouches, danse au sol,
pardessus tête, du vrai hip-hop que vient
seulement « dérégler » l’environnement : un
filet placé entre le public et la compagnie. Il y
a des trouvailles tout au long de cette heure
que l’on ne voit pas passer : les petits films
projetés, les danseurs qui passent une
combinaison sur l’air de : « Allez les Bleus »,
l’utilisation de la musique de Noir Désir…,
loin des clichés du genre hip-hop, basses à
fond et mots scandés. Hamid Ben Mahi nous
dit, entre autres, cette chose-là : « Je suis d’ici,
de France, autant que d’ailleurs. » Et en écho :
« Je viens du hip-hop, autant que du
contemporain que du classique. » Seul bémol :
l’interprétation de Ben Mahi est nettement
supérieure à celle de ses cinq camarades. Aux
dernières nouvelles, deux créations devraient
voir prochainement le jour : une commande du
Ballet de Lorraine tout d’abord, une excompagnie néo-classique ouverte à sa façon au
monde extérieur (création à Cannes, en
novembre prochain). Et mieux encore, un solo
de et avec Hamid, sous le regard de Guy
Alloucherie, un de ces hommes de théâtre qui
adore les mélanges. Hamid Ben Mahi n’a pas
fini de brouiller les pistes.
Interprète Hors pair
Ben Mahi est un interprète hors pair. Il
délaisse les figures très libres pour montrer un
corps tout en souplesse et exposer des
combinaisons d’une rare variété. Paris Quartier
d’été, festival pluridisciplinaire, ne pouvait
qu’inviter sa nouvelle pièce pour six danseurs,
« Sekel », une étape dans le parcours d’Hamid
Ben Mahi. Cette fougue partagée, cette volonté
de prise de parole ont fait le succès de
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SEKEL
19 mars 2005 / Lise Ott
Un « Sekel » virtuose et préoccupant
Pas de doute, la dernière création
d’Hamid Benmahi et des cinq chorégraphes
qu’il a rassemblés autour de lui, mardi dernier
au Chai du Terral, a fait la preuve d’une
vitalité qui, désormais, excède les frontières
des banlieues. Même si, en tendant un filet
vertical, devant la scène, les interprètes ont fait
sentir qu’il y avait encore des voiles à
soulever, aussi léger soient-ils.
Conçu comme une performance
improvisée, Sekel fait la part de la spontanéité
chevillé au hip-hop et du désir de proférer de
conséquentes paroles. Hamid Benmahi avait
dit qu’il allait dire « qui on est, d’où on vient,
où on va ». Chaque participant a ainsi décliné
son identité et avoué, avec force
remerciements, l’épanouissement de la
personnalité que la danse a secrétée. Sur une
scène, à la fois espace théâtral et de danse
(sorte de local désaffecté et aménagé avec les
moyens du bord), étaient projetés des
reportages où s’exprimaient des habitants des
banlieues, effleurant avec pudeur la réflexion
politique et la rébellion. Un rien inquiétant.
Pour Hamid Benmahi et sa compagnie du
moment, le hip-hop n’est pas seulement
exercice talentueux de virtuosité. Du reste, l’un
d’entre eux se produit avec des béquilles,
tandis que la seule danseuse du groupe avouait
sa difficulté à développer des sentiments
féminins libérés des stéréotypes.
Autre fait préoccupant : en coiffant une
perruque blonde, représentant l’idéal de la
civilisation dominante sur celle des immigrés,
même issus de la deuxième génération, chaque
danseur, exprimant son rejet d’un modèle
unique, a pointé (à son corps défendant ?) le
danger d’un racisme à l’envers. Celui que
professent aujourd’hui certains gamins en
déroute s’attaquant aux têtes blondes qu’ils
nomment « bolos ». Vivement que le hip-hop
tisse des liens avec tous ceux qui se sentent les
exclus du progrès et du profit, et ce, quelle que
soient la couleur de leur peau, leurs origines
sociales et leurs identités.
28 septembre 2004 / Céline Musseau
Hamid Benmahi a une fois de plus
réussi son pari : faire entendre la voix du hiphop. Une voix sincère et émouvante,
passionnée et passionnante. « Sekel », c’est
l’histoire d’un semi-échec, celui de la
reconnaissance artistique, mais surtout une
histoire d’amour ; l’amour de la danse, d’un
mouvement qui a aidé de jeunes gens à se
construire. Trop souvent considéré comme une
sous culture, le hip-hop et les artistes qui en
sont issus, ne sont toujours pas pris au sérieux.
Et ça les blesse, forcément. Hamid Benmahi,
depuis quelques années, a axé son travail
autour de cette quête de légitimité. Avec la
compagnie Hors Série, il a invité Babacar
Cissé, Guillaume Legras, Sébastien Vela
Lopez, Stéphanie Nataf et Yasmin Rahmani,
tous figure de proue du genre dans leur villes
respectives, à venir raconter leur histoire.
On est face à un spectacle de danse qui
pourrait être un documentaire-fiction, mêlant
considérations
intimes
et
abstraction.
L’émotion est palpable, la sincérité transpire.
Les parcours croisés se ressemblent, avec leur
lot de déceptions qui ont suivi un enthousiasme
incroyable. Mais « Sekel », spectacle sur la
désillusion, le vieillissement et les stigmates
d’une génération en quête identitaire, n’est pas
pour autant triste. On y rit souvent (jaune,
certes) de cet humour qui permet de supporter
les humiliations. Un art à part entière.
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