Compagnie HORS SÉRIE
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Compagnie HORS SÉRIE
SEKEL 29 octobre 2004 / Rosita Boisseau Portrait Hamid Ben Mahi, les gestes intimes du hip-hop Le jeune chorégraphe a réussi à donner un nouvel élan au mouvement en faisant place à l ‘émotion et à la parole personnelle. Une quête de singularité qu’il poursuit avec son spectacle « Sekel ». IL EST CALME, si calme qu’on se demande quel est son secret. Son allure, le tempo de sa voix conservent la même tranquillité quoi qu’il dise. Et il en raconte des choses : la vieille dame qu’il croise tous les jours dans sa résidence à Bordeaux, qui ne le reconnaît jamais ou le confond avec le concierge ; la gardienne de l’école de son fils aîné, qui ne répond jamais à leur salut. Détails d’un quotidien qui finissent, comme la goutte d’eau, par faire déborder le vase… On connaît la chanson. Le chorégraphe hip-hop Hamid Ben Mahi aussi. « Oui, je suis trop calme, ce n’est pas normal, ce n’est pas bon. Je suis devenu comme ça avec le temps. Lorsqu’on est enfant d’immigré, il y a toujours le souci de rassurer les gens, d’être doux, de ne pas se faire remarquer. On a peur de faire peur, c’est dire. On doit éviter de s’énerver, sinon on est vite catalogué « racaille », avec toutes les galères qui s’en suivent. » Hamid Ben Mahi, 31 ans, est un homme en colère qui ne s’en accorde pas le droit. Sa sérénité, mâtinée de fatalisme, compose un mélange fascinant. Il peut tout dire, le plus intime, sans qu’on ait le sentiment qu’il se dévoile réellement. Une distance – un détachement – affecte tout ce qu’il dit : un effet de sa voix lisse qui semble commenter une histoire qui ne serait plus vraiment la sienne. « Lorsque j’étais ado, il n’y avait pas le choix, raconte-t-il. On n’allait pas très loin à l’école, on se retrouvait direct à l’usine. Rester à la maison, ne serait- ce que pour tenter de travailler, était quasiment impossible. Ca criait dedans, on allait dehors, c’était la même chose. Difficile de se construire dans ces conditions. Tout petits, certains gosses se sentent déjà grillés. On n’arrête pas de nous dire que nous sommes la France de demain. Nous, c’est d’aujourd’hui qu’on veut parler. Et pas seulement lorsque Zidane fait gagner un match à l’équipe de France. » Comment Hamid Ben Mahi, né à Talence dans les environs de Bordeaux, enlevé par son père à l’âge de 4 ans pour retourner en Algérie, puis récupéré par sa mère deux ans plus tard, élevé ainsi que sa sœur au milieu des sept frères et sœurs maternels à Bordeaux, estil devenu un « privilégié », comme il se définit lui-même ? Par la gymnastique d’abord, dès l’âge de 6 ans, puis très vite par le hip-hop. Il a 11 ans quand il découvre l’émission « H.I.P. H.O.P. » de Sydney sur TF 1 : il traverse toute la ville à pied pour aller danser avec ses potes. Son groupe de rap s’appelle FGP, Fais Gaffe à la Police ou encore Future Génération Possee (possee : la bande, le groupe en langage hiphop). Il en veut : le voilà au conservatoire de région de Bordeaux, où il décroche une bourse du ministère de la culture et choisit l’école de Rosella Hightower à Cannes. Il a 23 ans, les élèves moitié moins. « Au début, on me regardait avec des yeux ronds. Evidemment, la danse classique, c’était très loin de mon milieu d’origine. Ensuite, tout le monde m’a accueilli à bras ouverts. Enfant, la danse me permettait de fuir, d’oublier l’école, la famille, le frigo vide avec toujours le même pot de moutarde. Ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur, mais quand vous n’avez rien pour le Noël des petits, c’est dur. Le plus terrible, c’est la façon dont on n’a pas arrêté de me décourager. A 20 ans, lorsque je déposais des dossiers pour danser, on me répétait qu’il fallait arrêter de rêver. Entre 21 et 25 ans, j’ai plus souvent couché dans ma voiture que dans un lit. La réalité nous rattrape toujours. Qu’est qu’on a réussi au fond ? Pas grand-chose. Comment continuer, creuser le chemin ? » Compagnie HORS SÉRIE SEKEL NE PAS ETRE UN « OBJET EXOTIQUE » Les questions se bousculent sur la route d’Hamid Ben Mahi, qui débusque des réponses saisissantes. En 1998, il conclut son apprentissage par un stage d’un an dans la troupe noire la plus prestigieuse, celle d’Alvin Ailey à New York. « Il fallait s’imposer, sinon on n’existait pas. Ça a été une sacré école. » Il y croise les pionniers américains du hip-hop, revient à Bordeaux pour bosser d’arrache-pied avec la compagnie de danse hip-hop Rêvolution, créée en 1994. L’année 2000, celui qui entend bien ne pas rester sur l’étagère des « objets exotiques des périphéries urbaines » lance sa propre troupe, Hors Série, la bien nommée. Dans la foulée, il met en scène, avec la complicité de Michel Schweizer, dans Chronic(s), un solo de 37 minutes, confession pétrie d’urgence d’un jeune homme du siècle. C’est simple, presque nu, somptueusement porté par une virtuosité dégagée qui sait tenir les rênes aux émotions. Son parcours a enrichi sa gestuelle d’une subtilité et d’une élégance assez rarement vues sur les plateaux de hip-hop. Le succès dure depuis trois ans, les dates de tournée – 80 jusqu’à présent, un vrai phénomène ! – s’additionnent. « Cette pièce me fiche toujours un trac monstre parce que je prends la parole en mon nom pour me dévoiler. Mes parents se sont toujours tus, nous ont appris à ne pas l’ouvrir. L’accès aux mots n’était pas donné, mais il était nécessaire. » Programmé aux Rencontres de la Villette, Chronic(s) rameute le ban et l’arrièreban de la danse, tous styles confondus : sa tendance « documentaire » fait des émules. « On n’avait jamais vu ça, affirme Philippe Mourat, directeur artistique de la manifestation. Ça a changé le hip-hop, qui vivait dans l’autocensure. Les danseurs parlent enfin d’eux-mêmes, de leurs parcours. Hamid Ben Mahi leur a en quelque sorte donné l’autorisation de se raconter. Sans le vouloir, il a impulsé un nouvel élan au mouvement, qui négocie un virage important. » La question du sens obsède Hamid Ben Mahi. Il s’insurge contre la façon dont, depuis vingt ans, le mouvement hip-hop a subi les contrecoups des désirs des autres, s’adaptant à tout. « Dans les années 1980, on dansait dans la colère, et puis on a été domestiqués. On est en train de devenir des bêtes de foire que l’on sort pour présenter leurs exploits acrobatiques. Il nous faut toujours prouver quelque chose. Je dis stop ! On s’est frotté à toutes les techniques chorégraphiques, toutes les musiques, on a même dansé sur Bach, on a métissé tous azimuts, et alors ? Qu’est ce qu’on a à dire au fond ? Comment les gens nous voient ? Comme des robots interchangeables ? J’ai envie qu’ils sachent qui nous sommes. » Plus question de se contenter de danser joli, de virevolter sur la tête au risque de se briser le cou. Il faut créer une nouvelle communauté de danse tendue vers sa singularité. Enfant, Hamid Ben Mahi rêvait qu’il aurait une vie heureuse. Sa mère, qui habite Lyon aujourd’hui, est fière de son fils, mais la danse est-elle vraiment un métier ? De son père, remarié en Algérie, il n’a pas de nouvelles. Avec sa femme, Corinne, il a deux enfants, Kémil (4 ans) et Jibran (5 mois) ; il leur transmet le respect de la famille, renoue en douceur avec sa culture d’origine. Il vit de son art, s’inquiète pour l’avenir. « Danser à 20 ans, c’est évident. Dix ans plus tard ça se complique. Le plus difficile, finalement, ce n’est pas de commencer, c’est de durer. » L’urgence de « Sekel » « C’est un cri », résume Hamid Ben Mahi. Dans les traces brûlantes de Chronic(s), le chorégraphe poursuit sa quête de mots et de sens avec le spectacle Sekel. Cinq interprètes – des personnalités de la scène hip-hop (Babacar Cisse, Guillaume Legras, Sébastien VelaLopez, Stéphanie Nataf, Yasmin Rahmani) – Compagnie HORS SÉRIE SEKEL l’accompagnent dans cette extraction d’émotions enfouies qui réhabilitent leur parcours et celui de leurs parents. A partir d’improvisations autour de thèmes comme l’enfance, les origines, la solitude…, les danseurs, dont Hamid Ben Mahi, ont fouillé leurs souvenirs, gratté leurs cicatrices. Sans craindre de se faire peur ni même un peu mal. Pour nourrir cette recherche, Hamid Ben Mahi a collecté des textes, des articles de journaux, des musiques. Il a aussi filmé et interrogé des gens dans la rue à propos de leur rôle dans la société. Leurs images sont projetés pendant la pièce. Colporteur des histoires singulières et collectives de cette France d’aujourd’hui, Ben Mahi dresse le portrait sans fard d’une génération déchirée dont la beauté conflictuelle irradie. « Prendre la parole, c’est toujours un peu dangereux, explique le chorégraphe. Notre culture est généralement associée à des choses négatives. Je veux me battre contre ces clichés et montrer que nous ne sommes pas du tout là où l’on nous attend. » Pour que toute une génération redresse la tête, ait envie de croire en la vie et la rêve selon ses désirs. Compagnie HORS SÉRIE SEKEL er 1 novembre 2004 / Marie-Christine Vernay Danse. A Lille, Rencontres de la Villette hors les murs. A 20ans, le hip-hop se prend un coup de jeune On n’aurait pu craindre que la danse hip-hop s’aseptise et s’uniformise pour n’être plus qu’un pâle divertissement avec des danseurs très techniques mais sans singularité. Depuis la clôture du festival Montpellier Danse en juillet, avec un spectacle fédérateur réunissant une dizaine de compagnies autour de Frank II Louise, la tendance semble s’inverser. De nouveau, le hip-hop propose des formes les plus diverses, preuve de sa capacité de renouvellement. Les Rencontres de la Villette hors les murs, hébergées par Lille 2004, confirment la vitalité d’une danse qui, en France, n’a guère plus de vingt ans. rêve fou, rendant hommage aux premiers smurfers aux gants blancs. Ils ondulent, ils repartent et repartent encore. Ils dansent sur Allez les bleus ! en bleu de travail, montrent leurs tee-shirts-slogans : « En France, 80% des prisonniers sont suédois », portent des perruques blondes. Stéphanie Nataf, rayonnante, propose une danse impétueuse, troublante. Tout cela n’a rien d’exotique, mais semble vital . Ces six-là, ce n’est que du bonheur. C’est ce qui est écrit sur un de leurs tee-shirts. Grillage. Au Grand Bleu, le chorégraphe Hamid ben Mahi présentait Sekel, pièce douce-amère qui donne la parole à chacun des danseurs, et pas n’importe lesquels, tous des pionniers : Babacar Cisse, Guillaume Legras, Sébastien VelaLopez (Lokos), Stéphanie Nataf et Yasmin Rahmani. Ce qui touche le plus dans ce spectacle, c’est la question du vieillissement. Comment le hiphop, jusque-là jeune et virtuose, va-t-il faire avec des corps qui ont vingt ans de danse dans les pattes et dans la colonne vertébrale ? Sekel – le titre n’a rien d’innocent – répond frontalement : derrière un filet qui sépare scène et salle comme un grillage, six danseurs racontent un bout de leur vie, de leur combat. La maturité apporte chez chacun une note grave : le hip-hop n’a plus vraiment envie de faire l’amuseur public. Au sol, des cartons collés rappellent la dureté des premières pistes de danse. Et dans un film, les images d’un centre commercial souligne que, aujourd’hui encore, c’est le seul lieu de travail de biens des danseurs. Un centre commercial, pas un centre chorégraphique. Rien d’amer toutefois : les danseurs s’accrochent à leur danse comme à un Compagnie HORS SÉRIE SEKEL 24 au 30 octobre 2004 / Rosita Boisseau N°236 / Octobre 2004 / Philippe Noisette Supplément sur les Rencontres de la Villette Hors les murs Les nouvelles chroniques d’Hamid Benmahi Hamid Benmahi, chorégraphe Sans peur ni tabous L’artiste phare de la nouvelle scène hip-hop ne fait pas dans l’esthétisme, mais parle sans fausse pudeur des traces que la vie laisse en nous. On a beau presque tout savoir de lui, ses origines algériennes, son kidnapping, organisé par son père lorsqu’il avait 4 ans pour rentrer au pays, ses premiers cours de danse classique à 23 ans, en France, au milieu de gamines moitié plus jeunes, il reste insaisissable. C’est qu’à 31 ans, père de deux enfants, ce chorégraphe hip-hop entend bien ne pas rester sur l’étagère des « objets exotiques des périphéries urbaines ». Depuis son solo Chronic(s), confession d’un jeune homme du siècle ourlé de danse souple et aiguisée, cet autodidacte n’a pas pour rien baptiser sa compagnie Hors Série. Il refuse tous les clichés. Dans sa vie, dans sa danse. « Il est nécessaire d’aller plus loin que le mouvement pour dépasser le seul registre de la prouesse et de l’esthétique hip-hop convenue. Il s’agit de donner enfin un sens à notre danse, pour que le public quel qu’il soit nous comprenne vraiment. » Avec Sekel, sa nouvelle pièce pour six interprètes, Hamid Benmahi passe le micro pour collecter les histoires singulières de cette France de demain qu’il s’obstine à enraciner dans l’aujourd’hui. Plus question de jolis spectacles ni de beaux numéros de danse (même si Benmahi lui-même est un danseur à couper le souffle), mais d’aller au cœur de soi sans peur ni tabous. « Ce spectacle parle des traces, des cicatrices que la vie laisse en nous. Il tente aussi de remonter le cours du temps en plongeant dans l’histoire de nos familles déchirées. Beaucoup avaient découvert ce danseur, passant du hip-hop au classique, à moins que ce ne soit le contraire, dans Kings de Michel Schweizer puis dans Chronic(s), impeccable solo qui n’en finit pas de rencontrer son public. Sekel, pièce pour six danseurs, dont le festival de Biarritz avait la primeur, confirme sans pour autant se contenter d’éprouver la simple recette danse+récit de vie. Benmahi comme ses compagnons de route, tous plus ou moins surdoués du hip-hop, même si de générations différentes, alternent des solos comme des ensembles, presque parfaits, avec des bribes de films, des photos projetées ou des prises de paroles. Il y a des bons sentiments à la pelle – et certains ne manqueront pas de s’en plaindre – mais surtout une vraie distance qui permet à Sekel de voir plus loin . Est-on prédestiné comme à une époque on l’était à l’usine Peugeot ? semble questionner Hamid Benmahi, et il a le bon goût de ne pas imposer ses réponses bien pensantes. La danse est sa meilleure arme. Mais ici, il n’est pas question de destruction massive, plutôt de (re)construction. Ça ne sera ni plaisant, ni gentil. Juste urgent. » Compagnie HORS SÉRIE SEKEL N°460 / 22 au 28 septembre 2004 / Philippe Noisette un seul danseur passera de l’autre côté du miroir. Affolé sans doute, il regagnera sa « famille ». Ce filet qui ne cache rien avec ses mailles extra-larges mais sépare de tout. Classe tout risque Hamid Benmahi a survécu au succès encombrant de Chronic(s) : Sekel, pas encore un aboutissement mais déjà plus qu’une suite, s’impose. En l’espace de quelques semaines on aura vu un festival (Montpellier Danse) se clore et une biennale (de Lyon) s’ouvrir au rythme du hip-hop, entre sampling et Battle Royal. Une intégration chorégraphique – et audelà politique – à marche forcée. Plus modestement, Le Temps d’aimer à Biarritz, festival aux orientations plutôt néoclassiques, coproduisait Sekel d’Hamid Benmahi : et on n’est pas loin de penser que les danses urbaines se joue là, en dehors de ce ghetto « jeune » avec en prime les stucs de casino local où se donnait la pièce quasi en front de mer ! A première vue, Benmahi choisit de s’encombrer de bons sentiments avec ces cinq interprètes de classe tout risque qui débitent des morceaux de vie avec femmes, enfants, rejet et respect. Hamid Benmahi lâche aussi ses quelques vérités sur le hip-hop puisqu’il est normal qu’un beur en soit : « Est-ce moi qui l’ai choisi ou l’a-t-on choisi pour moi ? » Et déjà il passe à autre chose. Par exemple une démonstration de danse sur une plainte de Noir Désir, Nous n’avons fait que fuir… avec des corps qui s’écrasent un peu trop au sol, comme un mouvement condamné d’avance. Benmahi sait que la virtuosité de ses complices est à sa portée et il se fait un malin plaisir de casser sans arrêt le rythme de Sekel, au risque, mineur, de dérouter. Il laisse cela aux autres, il a bien mieux à faire que de séduire. Il peut alors reprendre cette phrase lancée en cours de spectacle : « On est là ! » Pour longtemps, on l’espère. On pourrait s’arrêter là, regretter la fulgurance du solo Chronic(s) et passer à autre chose, comme ces purs instants de danse sur un plateau dépouillé. Deux tables, des cartons scotchés au sol, une paire de micros. Et puis on repense à l’un des petits films qui parcourent le spectacle avec cet immigré parlant de sa condition. Il balance, l’air de rien, que les gens comme lui apportent de la couleur, du mélange. La fameuse huile étrangère dans le moteur France, en gros. Le gus est à demi sérieux : et il fait mouche ; tout comme la compagnie qui enfile plus tard ses combinaisons une-pièce de soudeur-métallo et improvise une chorégraphie – mais forcément de bon cœur – sur Allez les Bleus (de travail), l’un de ses hymnes sportifs cocardiers. Tout Sekel (séquelle donc) est dans cette distance ; et puis il y a ce carton, écran interposé qu’on ouvre comme une boîte de Pandore, un paquetcadeau qui pourrait vous péter à la gueule, ou, mieux, ce filet qui coupe la scène de la salle : Compagnie HORS SÉRIE SEKEL 4 août 2005 / Philippe Noisette Le hip-hop revivifié Révélation « urbaine » et enfant du hiphop, Ben Mahi imagine une danse mêlant danse africaine, contemporaine, classique et danse jazz. Presque en douce, le hip-hop, danse venue des banlieues et pratiquée avec plus de passion que de soutien officiel à ses débuts, a fêté ses vingt ans. Au cours de cette période, elle a révélé des talents comme Mourad Merzouki ou Accrorap. Pourtant, le propos semblait tourner en rond, proposant plus de virtuosité que d’idées en scène. Hamid Ben Mahi est alors apparu, tel un « sauveur ». En 2000, il créé sa compagnie Hors Série, et depuis il enchaîne les tournées. Enfant du hiphop, qu’il a découvert en autodidacte dans les années 1980, mais conscient du danger du repli, il s’est ouvert à d’autres pratiques : la danse contemporaine, la danse africaine, les stages à New York chez le pape de la danse jazz, Alvin Ailey. Et même le classique, à l’école de danse de Rosella Hightower à Cannes. Hamid Ben Mahi en a fait le propos de son solo, « Chronic(s) », sur les conseils avisés de Michel Schweizer, metteur en scène au regard acéré. On voit ainsi et on entend – Ben Mahi est un formidable conteur – ce décalage entre le « beur de service » et les ballerines du cru. Lorsqu’il raconte ces exercices où il se retrouve seul, prince abandonné un peu trop sombre de peau, on est partagé entre le rire et l’effroi. En moins d’une heure, le danseur et chorégraphe se livre, sans plainte, et propose un hip-hop revivifié. « Chronic(s) ». Mais « Sekel » tient sa force de ces tranches de vie jouées et dansées sur le plateau. Un fille et cinq garçons racontent un quotidien banal, étranger à l’univers de la danse. Les bons sentiments ne sont pas loin, mais lorsque un danseur évoque ces galères et la joie de tout oublier le temps d’un spectacle, on comprend mieux où Hamid Ben Mahi veut en venir. Le rythme de « Sekel » est tout entier dans des solos farouches, danse au sol, pardessus tête, du vrai hip-hop que vient seulement « dérégler » l’environnement : un filet placé entre le public et la compagnie. Il y a des trouvailles tout au long de cette heure que l’on ne voit pas passer : les petits films projetés, les danseurs qui passent une combinaison sur l’air de : « Allez les Bleus », l’utilisation de la musique de Noir Désir…, loin des clichés du genre hip-hop, basses à fond et mots scandés. Hamid Ben Mahi nous dit, entre autres, cette chose-là : « Je suis d’ici, de France, autant que d’ailleurs. » Et en écho : « Je viens du hip-hop, autant que du contemporain que du classique. » Seul bémol : l’interprétation de Ben Mahi est nettement supérieure à celle de ses cinq camarades. Aux dernières nouvelles, deux créations devraient voir prochainement le jour : une commande du Ballet de Lorraine tout d’abord, une excompagnie néo-classique ouverte à sa façon au monde extérieur (création à Cannes, en novembre prochain). Et mieux encore, un solo de et avec Hamid, sous le regard de Guy Alloucherie, un de ces hommes de théâtre qui adore les mélanges. Hamid Ben Mahi n’a pas fini de brouiller les pistes. Interprète Hors pair Ben Mahi est un interprète hors pair. Il délaisse les figures très libres pour montrer un corps tout en souplesse et exposer des combinaisons d’une rare variété. Paris Quartier d’été, festival pluridisciplinaire, ne pouvait qu’inviter sa nouvelle pièce pour six danseurs, « Sekel », une étape dans le parcours d’Hamid Ben Mahi. Cette fougue partagée, cette volonté de prise de parole ont fait le succès de Compagnie HORS SÉRIE SEKEL 19 mars 2005 / Lise Ott Un « Sekel » virtuose et préoccupant Pas de doute, la dernière création d’Hamid Benmahi et des cinq chorégraphes qu’il a rassemblés autour de lui, mardi dernier au Chai du Terral, a fait la preuve d’une vitalité qui, désormais, excède les frontières des banlieues. Même si, en tendant un filet vertical, devant la scène, les interprètes ont fait sentir qu’il y avait encore des voiles à soulever, aussi léger soient-ils. Conçu comme une performance improvisée, Sekel fait la part de la spontanéité chevillé au hip-hop et du désir de proférer de conséquentes paroles. Hamid Benmahi avait dit qu’il allait dire « qui on est, d’où on vient, où on va ». Chaque participant a ainsi décliné son identité et avoué, avec force remerciements, l’épanouissement de la personnalité que la danse a secrétée. Sur une scène, à la fois espace théâtral et de danse (sorte de local désaffecté et aménagé avec les moyens du bord), étaient projetés des reportages où s’exprimaient des habitants des banlieues, effleurant avec pudeur la réflexion politique et la rébellion. Un rien inquiétant. Pour Hamid Benmahi et sa compagnie du moment, le hip-hop n’est pas seulement exercice talentueux de virtuosité. Du reste, l’un d’entre eux se produit avec des béquilles, tandis que la seule danseuse du groupe avouait sa difficulté à développer des sentiments féminins libérés des stéréotypes. Autre fait préoccupant : en coiffant une perruque blonde, représentant l’idéal de la civilisation dominante sur celle des immigrés, même issus de la deuxième génération, chaque danseur, exprimant son rejet d’un modèle unique, a pointé (à son corps défendant ?) le danger d’un racisme à l’envers. Celui que professent aujourd’hui certains gamins en déroute s’attaquant aux têtes blondes qu’ils nomment « bolos ». Vivement que le hip-hop tisse des liens avec tous ceux qui se sentent les exclus du progrès et du profit, et ce, quelle que soient la couleur de leur peau, leurs origines sociales et leurs identités. 28 septembre 2004 / Céline Musseau Hamid Benmahi a une fois de plus réussi son pari : faire entendre la voix du hiphop. Une voix sincère et émouvante, passionnée et passionnante. « Sekel », c’est l’histoire d’un semi-échec, celui de la reconnaissance artistique, mais surtout une histoire d’amour ; l’amour de la danse, d’un mouvement qui a aidé de jeunes gens à se construire. Trop souvent considéré comme une sous culture, le hip-hop et les artistes qui en sont issus, ne sont toujours pas pris au sérieux. Et ça les blesse, forcément. Hamid Benmahi, depuis quelques années, a axé son travail autour de cette quête de légitimité. Avec la compagnie Hors Série, il a invité Babacar Cissé, Guillaume Legras, Sébastien Vela Lopez, Stéphanie Nataf et Yasmin Rahmani, tous figure de proue du genre dans leur villes respectives, à venir raconter leur histoire. On est face à un spectacle de danse qui pourrait être un documentaire-fiction, mêlant considérations intimes et abstraction. L’émotion est palpable, la sincérité transpire. Les parcours croisés se ressemblent, avec leur lot de déceptions qui ont suivi un enthousiasme incroyable. Mais « Sekel », spectacle sur la désillusion, le vieillissement et les stigmates d’une génération en quête identitaire, n’est pas pour autant triste. On y rit souvent (jaune, certes) de cet humour qui permet de supporter les humiliations. Un art à part entière. Compagnie HORS SÉRIE