Leslie Coulson (1889

Transcription

Leslie Coulson (1889
Leslie Coulson (1889-1916)
Dans le cimetière de Grove Town, à Méaulte, la
tombe de Leslie Coulson ne se distingue en rien de celles des
1391 autres soldats britanniques, canadiens, australiens et
néo-zélandais qui reposent dans ce coin verdoyant de la
Somme. La Commission des Sépultures de Guerre en a
décidé ainsi. Les soldats morts au combat doivent être égaux
devant la mort, qu’ils aient été ouvriers, étudiants, avocats ou
journalistes. Le registre du cimetière indique cependant que
Leslie Coulson était un journaliste et un poète de renom. A
sa mort, le Sunday Times indique dans sa notice nécrologique
qu’il était un de nos plus brillants jeunes écrivains. A 27 ans,
Leslie Coulson avait certainement un bel avenir littéraire devant lui. En octobre
1916, il n’était cependant que le sergent Coulson du 12ème régiment de Londres et sa
seule préoccupation était de rester en vie.
Le père de Leslie Coulson, magasinier dans une maison de confection,
décide en 1894 d'abandonner son métier pour se consacrer à la littérature et au
journalisme. Son premier recueil de poèmes paraît en 1899. Fier du succès qu’il
rencontre dans sa nouvelle carrière, il transmet son enthousiasme pour l’écriture à
ses fils. Leslie est un garçon à la santé fragile, qui aime s'échapper de la vie
londonienne pour aller se balader dans la campagne, laquelle devient vite pour lui sa
principale source d'inspiration poétique. Son père l'aide à se frayer un chemin dans
le monde de la presse. Leslie fait ses premières armes dans des journaux provinciaux
avant de revenir à Londres et d’intégrer la rédaction du Morning Post, un des
quotidiens les plus vendus en Grande-Bretagne. Il se met également à écrire des
nouvelles, des pièces de théâtre et des poèmes, où l'on sent planer une sorte de
prémonition, une angoisse de l'avenir, qui reflètent à la fois les préoccupations
personnelles du jeune journaliste et la tension générale qui régnait dans les années
précédant la guerre.
En août 1914, son frère, également journaliste, part en Belgique en tant que
correspondant de guerre, mais Leslie préfère s'engager comme simple soldat,
refusant de suivre la formation pour devenir officier. Il déclare à l’époque : Je ferai
ce qui est juste. Je prendrai ma place dans la troupe. La veille de Noël, il embarque
pour Malte, où est basée la flotte méditerranéenne britannique. Les soldats y
poursuivent leur entraînement loin de la guerre. Coulson profite de son temps libre
pour créer une revue bimensuelle dont les bénéfices seront versés à la Croix-Rouge :
The Garrison Goat. Il y fait paraître quelques poèmes ayant notamment pour thème
les blessés de Gallipoli qui affluent dans les hôpitaux de l'île.
Le 26 août 1915, il part pour l’Égypte, où son régiment se repose plusieurs
semaines avant de mettre le cap sur Gallipoli. Il atteint l’île grecque de Lemnos le 8
octobre et fait sa première expérience du combat quelques jours plus tard. Les
violents orages transforment les tranchées en bourbiers. Les conditions climatiques
font presque autant de victimes que les combats contre les Turcs. Les unités
britanniques ne tardent pas à être évacuées. Les hommes du régiment de Londres
passent ensuite deux mois en Égypte, pour récupérer, avant d’embarquer pour
Marseille et de rejoindre Rouen. La brigade est réorganisée. Coulson est promu
sergent et envoyé à Hébuterne, un peu au nord du secteur où se déroulera la bataille
de la Somme.
Dans la Somme, il retrouve un paysage qui lui évoque son Angleterre natale :
ondulations de collines verdoyantes et petits bois. Peu avant la bataille de la Somme,
il écrit à sa famille : Si je dois tomber, ne pleurez pas. Je ne serai plus qu’un avec le
vent et le soleil et les fleurs. Il survit à l’offensive du premier juillet et passe deux
mois dans le secteur d’Hébuterne. C’est pendant cette période qu’il écrit L’Arc-enciel, poème où il exalte la force de la nature malgré ses interrogations de plus en plus
grandes sur le bien-fondé de la guerre. Ses derniers poèmes reflètent sa tristesse de
voir la guerre meurtrir les paysages de la Somme.
Curieusement, son métier de journaliste ne l’a pas poussé pas à écrire sur la
guerre autrement que par le biais de la poésie et dans ses lettres. Il est tué d’une balle
dans la poitrine au cours d'une attaque en octobre 1916 et meurt le lendemain à
l’hôpital d’évacuation de Grove Town. On retrouve deux poèmes sur lui, dont Who
Made the Law ?, où éclate sa colère et son incompréhension face à la guerre. Pour sa
tombe, son père choisira une épitaphe tirée de Milton qui exalte la noblesse de sa
mort. On peut douter que Leslie Coulson eût approuvé ce choix.
L’arc-en-ciel
The Rainbow
Face à l’aube blanche qui scintille
Sous le tonnerre des canons camouflés,
J’entends les obus crier leur rage
Dans des cieux doux comme le rêve
Où percent les premiers rayons argentés
du jour,
Lueurs de poignard,
Qui tailladent le blanc immaculé.
Mais au fond de moi, je sens l’ancienne et
noble exultation,
Et je remercie les dieux que l’aube n’ait
rien perdu de sa beauté.
Watch the white dawn gleam,
To the thunder of hidden guns.
I hear the hot shells scream
Through skies as sweet as a dream
Where the silver dawn-break runs.
And stabbing of light
Scorches the virginal white.
But I feel in my being the old, high,
sanctified thrill,
And I thank the gods that the dawn is
beautiful still.
La mort qui dégringole d’en haut
M’oblige à baisser la tête dans la
tranchée,
Mais de la terre où nos morts sont
étendus
Une alouette rousse s’élève avec son
chant
Vers un ciel sans nuages.
From death that hurtles by
I crouch in the trench day-long,
But up to a cloudless sky
From the ground where our dead men lie
A brown lark soars in song.
Through the tortured air,
Elle fend l’air que déchire
Le feu des shrapnels
Et chante à l’envi au-dessus des morts
placides,
Et je remercie les dieux que les oiseaux
n’aient rien perdu de leur beauté.
Rent by the shrapnel's flare,
Over the troubleless dead he carols his fill,
And I thank the gods that the birds are
beautiful still.
Là où le parapet est bas,
Juste à hauteur de regard,
Des coquelicots et des bleuets ont des
reflets chatoyants
Tandis que les blés oscillent mollement,
Liseré frémissant du ciel.
Les tiges d’or dissimulent
Les corps de ceux qui sont tombés,
Ils ont chargé à l’aube, pour tuer ou être
tués.
Et je remercie les dieux que les fleurs
n’aient rien perdu de leur beauté.
Where the parapet is low
And level with the eye
Poppies and cornflowers glow
And the corn sways to and fro
In a pattern against the sky.
The gold stalks hide
Bodies of men who died
Charging at dawn through the dew to be
killed or to kill.
I thank the gods that the flowers are
beautiful still.
Quand la nuit tombe, nous rampons
En silence vers nos morts.
Nous creusons la terre
Et les laissons dormir là –
Mais le sang la nuit est rouge,
Oui, même la nuit,
Le visage d’un mort reste cependant
blanc.
Et je me sèche les mains, qui elles aussi
sont expertes à tuer,
Et je regarde les étoiles – car elles n’ont
rien perdu de leur beauté.
When night falls dark we creep
In silence to our dead.
We dig a few feet deep
And leave them there to sleep But blood at night is red,
Yea, even at night,
And a dead man's face is white.
And I dry my hands, that are also trained
to kill,
And I look at the stars - for the stars are
beautiful still.