Les « Terres de poésie » de Nadia Tueni Une vie, une œuvre

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Les « Terres de poésie » de Nadia Tueni Une vie, une œuvre
Les « Terres de poésie » de Nadia Tueni
Une vie, une œuvre
Epouser les différences : cultures partagées
Nadia Hamadé Tueni est née en 1935 à Baakline (‫‬‫( بعقلين‬, dans un village sur les
hauteurs du Mont-Liban. Fille d'un diplomate et écrivain de religion druze, et d'une mère française
agrégée de grammaire, elle partage deux cultures et deux langues. Elève des Soeurs de Besançon
puis de La Mission Laïque Française, elle poursuit des études de droit à l'Université Saint- Joseph
de Beyrouth. Lorsqu'elle épouse Ghassan Tuéni, brillant intellectuel issu de la petite communauté
grecque orthodoxe, elle saura surmonter les barrières religieuses et culturelles d'une société
libanaise conservatrice. Ensemble, ils affirmeront leurs convictions humanistes. Chacun dans une
voie propre, ils se feront ambassadeurs d'ouverture et de dialogue : à la voix de l'homme politique,
du journaliste et du diplomate, celle de Nadia Tuéni n'aura de cesse de redire la même « répulsion
de la violence ». Comme rédactrice littéraire, elle écrira d'abord dans le grand journal Al Nahar (Le
Jour), reconnu pour son indépendance, avant de se consacrer à la poésie et composer une œuvre.
Elle reçoit le prix de l'Académie Française en 1973. La « Maison du poète » que deviendra leur
demeure sur la colline de Beit Mery ouvrira ses portes à de nombreux artistes et intellectuels
libanais et arabes, tels Onsi el-Hajj, Talal Haidar, Youssef el Khâl, et tant d'autres, avec lesquels elle
collabore. Les livres illustrés où les poèmes entrent en écho avec les images en témoignent. Nadia
Tueni participe ainsi à la création d'un des cercles littéraires les plus vivants de Beyrouth, et devient,
avec son mari, une actrice de la scène culturelle dont la force tient à sa beauté et sa générosité, ainsi
qu'à ses aspirations, tournées vers l'universalisme.
Une poésie destinée : écrire contre la mort
Le portrait et l'aura que l'on garde de Nadia Tueni inscrivent une beauté tragique, celle que
les vers de Georges Shéhadé ont gravée dans la pierre de la « Maison du poète », pierre tombale et
pierre vive :
Son destin est marqué par la mort, et sa poésie naît de l'expérience de la souffrance et de la perte.
Son premier recueil, L'Age d'écume, plus tard Les textes blonds, publiés en 1963, s'écrivent après la
mort de sa petite fille Nayla, âgée de 7 ans. Les mots de deuil disent la douleur, « neige emmurée »,
pour vivre encore, auprès des vivants : J'ai retenu la vie. Elle disparaît en 1983 et ne saura pas la
mort de son fils Makram en 1987, à l'âge de 21 ans dans un accident de voiture ni l'assassinat de son
fils Gebran, en 2005. Sa poésie est traversée par ces drames qui bouleversent sa famille. Egalement
par les conflits qui déchirent son pays. Elle se poursuit pourtant, dans le refus du renoncement, dans
la volonté de ne céder ni aux armes ni aux larmes. La guerre secoue alors le Liban. Ses poèmes la
retracent pour la décrier, quand la plainte, la révolte ou la prière demeurent des chants d'amour.
Juin et les Mécréantes (Seghers, 1968(, Le Rêveur de Terre (Seghers, 1975(, La Terre arrêtée
(posthume, Belfond, 1984(, Liban : vingt poèmes pour un amour (An-nahar, 1979( : autant de titres
pour renouveler l'espérance.
L' « Arrière-pays » : des visages-paysages
La poésie de Nadia Tueni est à la fois un chant d'amour et un chant de la terre. Sous sa
plume, les paysages sont des visages qui entonnent la nécessité d'accepter et d'aimer :
Argiles de l'Euphrate, résines de Syrie, araignées du désert, Djebel où commence la terre, ô
mon arrière pays. Est-il chanson si vaste qu'elle puisse contenir tes larmes et tes nuits ?
Archives sentimentales d'une guerre au Liban, 1982
Son arrière-pays fait se rencontrer des jardins dont les territoires s'échangent et les identités se
répondent :
Ainsi viendra la pluie royale et qui dérive de terre en terre parce que nos sanglots ont
mêmes frontières.
Dahôur la Juive
Tidimir la Chrétienne
Sabba la Musulmane
Sioun la Druze
(« Voix de Femmes », Juin et les mécréantes, 1968)
… il suffit d'un regard pour se tordre et s'enfuir
et d'un regard aussi pour que gicle le rêve !
Appelle-moi terre
Sache que je suis vivante
(« Jérusalem »)
Ses vers en écho effacent les frontières. Ainsi, à travers le motif récurrent de la terre, Nadia Tueni
écrit une poésie qui célèbre le passage et la vie.

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