La reprise des exploitations agricoles en Allemagne

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La reprise des exploitations agricoles en Allemagne
La reprise des exploitations
agricoles en Allemagne
Origine et fonctionnement des usages :
La reprise des exploitations agricoles diffèrent d’un pays à l’autre. Selon une étude de The Institute for Rural future
conduite en 2004 auprès de 5000 exploitants agricoles de différents pays, la transmission par division égalitaire
entre tous les héritiers est un concept très peu ancré dans les esprits des agriculteurs d’Europe du Nord :
seulement 16% des personnes enquêtées y sont favorables en Ecosse, 10% en Angleterre, 4% en Irlande et 6%
en Allemagne.
Selon le droit germanique ou anglo-saxon, l’héritier principal est favorisé. En revanche, on observe des pratiques
égalitaires (code Napoléon), comme en France, en Espagne, en Italie, au Portugal, où il y a partage en nature de
la propriété, ou en Belgique, où il y a partage de l’exploitation.
Selon les usages successoraux en vigueur en Allemagne, les
héritiers de fermes sont favorisés parce qu'un héritier principal reprend l'exploitation entière alors que les cohéritiers
reçoivent un dédommagement financier comparativement
faible. Ce traitement de faveur a pour objectif premier de
conserver ou de créer des exploitations agricoles viables et
compétitives (Doll et al., 2002).
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LA REpRISE DES ExpLOItAtIONS AGRICOLES EN ALLEmAGNE
Si on s’attache à décrire et comprendre le système successoral dans le domaine agricole en Allemagne, on se rend compte
qu’aucun droit ou usage homogène n’a jamais vu le jour et qu’il existe des variantes régionales significatives. La division
réelle en parts égales entre les héritiers (Realtheilung) n’était l’usage que dans quelques régions du Sud du pays, comme
dans le Bade-Wurtemberg. Elle a conduit à un morcellement des terres en parcelles de petite taille, ce qu’on cherche
désormais à éviter.
Aujourd’hui, l’usage de l’héritier principal (Höfeordnung ) qui prévalait au Schleswig-Holstein, en Basse-Saxe et en Rhénanie
du Nord-Westphalie, est répandu, y compris pour les exploitations agricoles des nouveaux Länder dirigées par une personne
physique (Doll et al., 2002). Les usages diffèrent en revanche pour ce qui concerne le dédommagement des héritiers écartés
et la prise en charge des parents.
Certains Länder disposent d’une loi fixant une valeur minimum de dédommagement fixée selon le système de classement
des terres agricoles en fonction de leur rendement théorique (0 à 100 points), d’autres non. Dans ces cas-là, l’arrangement
doit se faire à l’amiable entre les différents membres de la famille restreinte. Cependant, même lorsqu’il existe une valeur
minimale fixée de façon réglementaire, l’arrangement est généralement la règle et la valeur accordée en dédommagement
supérieure à la valeur minimale fixée.
Lors nos enquêtes dans des exploitations agricoles allemandes, nous avons identifié des arrangements différents d’une famille
à l’autre et d’une région à l’autre.
Par exemple, un éleveur du Schleswig-Holstein qui a repris l’exploitation de son père en 2009, avec 115 ha et 99 vaches
laitières, a conclu non sans heurt un arrangement avec ses parents et sa sœur : en guise de dédommagement, sa sœur hérite
de la maison située sur la ferme où ses parents vivent. Ses parents restent dans cette maison sans lui verser de loyer, puisqu’ils
doivent être logés. De plus, l’éleveur verse chaque mois 1 400€ à ses parents en guise de pension. Notons que ses parents
touchent environ 60% de ce montant une fois les assurances et les cotisations sociales prélevées.
Un autre éleveur que nous avons rencontré a versé
un dédommagement minimum en valeur à son frère,
qu’il emploie de façon temporaire mais régulière sur
la ferme.
Il ne verse à sa mère que 300 € de pension par mois,
mais celle-ci a également récupéré deux logements
sur la ferme, une pour elle-même et un deuxième
qu’elle loue, ce qui lui assure un deuxième revenu.
Lors de ces négociations, il n’est pas rare que des
conflits émergent. En outre, les familles font généralement appel à un conseiller financier ou issu du
syndicat agricole pour les aider à fixer le montant
du dédommagement.
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Conséquences :
Dans une enquête réalisée auprès de 1000 exploitations de plus de 30 ha en 1998 (Doll et al., 2002), des chercheurs ont
tenté de chiffrer ces pratiques en les rapportant à l’ha de terres afin de comparer le total des sommes versées d’une région à
l’autre. Ces montants variaient de 12 500 €/ha dans le Bade-Wurtemberg, à 3800 €/ha en Basse-Saxe.
Il faut noter que lorsque qu’une valeur minimum est prévue par la loi, la valeur d’usage est toujours plus élevée. En comparant
les résultats d’enquêtes avec le prix moyen d’achat d’un ha de terres agricoles (qui était alors de 12 000 à 25 000/ha selon
les Länder), Doll et al. ont montré que l’avantage pour l’héritier principal variait de 150 000 à 750 000 €, soit de 8 000 à
23 000 €/ha, si on divise par la taille moyenne des exploitations dans chacun des Länder.
Dans une autre étude datant de 2003, à partir d’un échantillon de 348 fermes enquêtées au Schleswig-Holstein, Glauben et
al. ont montré que 82% des chefs d’exploitation enquêtés ont l’intention de continuer à travailler sur l’exploitation après la
transmission, et que 70% d’entre eux continueraient à vivre sur l’exploitation. 84% d’entre eux toucheront une pension de
leur successeur, ce qui compterait pour un peu plus du quart de leurs revenus. En effet, les agriculteurs qui partent en
retraite comptent aussi beaucoup sur les revenus issus de leurs propres investissements plutôt que sur le système de
retraite publique agricole, qui représente une faible part de leurs revenus.
GRAPHIQUE 1 :
Valeurs des compensations et prestations par hectare de surface transféré
V
Source : Doll et al, 2002, d’après une enquête auprès de 1000 exploitations de plus de 30 ha en 1998
(1€ = 1,95583 DM)
Basse Saxe
Rhénanie du Nord
Westphalie
Rhénanie- Palatinat
Bade- Wurtemberg
Bavière
0
5000
10000
15000
20000
25000
DM/ha de SAU
Education des héritiers écartés
Compensation des héritiers par d'autres actifs
Prestations aux parents et fermages familiaux
Compensation des héritiers par des terrains
Transfert de dettes
Conclusions :
Cet usage permet de maintenir des exploitations non morcelées et de ne pas pénaliser le jeune repreneur qui évite ainsi de
devoir s’endetter pour le rachat des terres à ses parents ou à ses frères et sœurs. Hors l’aide à l’investissement (AFP) qui est
majorée pour les jeunes agriculteurs, nous avons en effet observé qu’il n’existe pas de véritable politique fédérale d’installation en Allemagne (il n'y a notamment pas de Dotation Jeune Agriculteur).
Cet avantage permet de ne pas mobiliser la capacité financière de l'exploitation et favorise l’agrandissement des exploitations lors de la reprise. Il est fréquent dans le Nord d’observer que le fils qui reprend double la taille le cheptel. Cet usage de
succession serait un facteur supplémentaire qui encouragerait la croissance des exploitations, en particulier au Nord.
En revanche, le coût total de la succession pour le repreneur est difficilement comparable entre la France et l’Allemagne, du
fait du versement de la pension aux parents sur une période par définition indéterminée. Autre conséquence importante :
cet usage génère de nombreux conflits au sein des familles, mais cela ne semble pas suffisant pour le remettre en question.
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La reprise des exploitations agricoles en Allemagne
Bibliographie :
• Le bail rural en Europe : des législations disparates, Thibault Delacour, Agriculteurs de France n°150,
03-04/2004.
• La transmission des exploitations agricoles en Europe, Thierry de l’ESCAILLE, SAF – Agriculteurs de France,
19 novembre 2003.
• Droit d'héritage, droit du fermage et contrôle des structures agricoles en Allemagne. Doll Helmut, Fasterding
Ferdinand, Klare Klaus. In: Économie rurale. N°268-269, 2002. Agricultures et politiques publiques en
Allemagne et en France. pp. 103-118.
• Farm succession patterns in north Germany and Austria: A survey comparison. Glauben, T., Tietje, H., Vogel,
S. (2004) in: XI World Congress of Rural Sociology, IRSA, Trondheim, Norway, 25-30 July, WG 18 paper.
• Farm Succession And Inheritance: An International Comparison, Elaine Barclay, The Institute for rural future, 2004.
• Wehrlin Anne. La politique agricole allemande en mouvement : le chemin de l'avenir. In: Économie rurale.
N°224, 1994. pp. 27-31.
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