Fiche de correction extrait "Summertime"

Transcription

Fiche de correction extrait "Summertime"
Mme Marie Gueden, Paris 1 Panthéon Sorbonne – Analyse de l’image cinématographique, L1, S1, contrôle continu (correction)
Séquence de « commerce » entre Jane et Renato : « le cœur de Venise »
Summertime / Vacances à Venise (1955), David Lean
Summertime / Vacances à Venise (1955) est un film de transition entre deux périodes de sa carrière pour le
réalisateur David Lean, entre ses films britanniques (Heureux mortels, 1944, par exemple) et ceux hollywoodiens
versés dans le grand spectacle et la fresque historique (Le Pont de la rivière Kwaï, 1957, par exemple). Le film est
aussi le témoin historique du passage à la couleur dans l’histoire du cinéma, filmé en Technicolor. Le format carré
(1.37 : 1) permet en outre de magnifier « l’effet carte postale » procuré par ce film consacré à la Sérénissime que
David Lean considérait comme son préféré.
Dans le film, Jane Hudson, Katharine Hepburn, secrétaire américaine d’une quarantaine d’année et célibataire,
passe ses vacances d’été à Venise, et fait la rencontre d’un antiquaire italien, Renato de Rossi (Rossano Brazzi) avec
qui elle aura une brève aventure ; c’est une « brève rencontre », pour reprendre le titre d’un autre film du réalisateur
en 1945.
Dans la séquence prenant place à la fin du premier tiers du film, il s’agit de la première véritable rencontre entre Jane
et Renato dans la boutique de Renato, celle-ci arrivant par hasard. Ils se sont déjà rencontrés sur la place St Marc, et
un jeu amoureux s’était instauré, mais aucun échange n’avait alors eu lieu. Plus précisément, il s’agit ici d’une scène
de commerce car Jane entre dans la boutique dans la perspective d’acheter un verre à pied au rouge flamboyant. Le
terme « commerce » doit ici s’entendre selon deux acceptions : d’une part, l’activité économique, d’autre part,
l’activité sociale, l’ensemble des relations sociales, amicales ou affectives entre plusieurs personnes et notamment les
rapports intimes. En effet, la séquence présente un double commerce, effectif (l’achat d’un verre) et amoureux (la
rencontre) et pourrait être appelée « le cœur de Venise » (le cœur, c’est le verre mais c’est aussi l’enjeu amoureux).
La séquence présente un mouvement d’ensemble mettant en évidence, sur le modèle du verre, une tension
entre individualité et paire, sachant qu’elle est encadrée par le personnage principal de Jane (voir son entrée de
champ à gauche du cadre et sa sortie de champ à droite du cadre aux limites extrêmes de la séquence, témoins d’une
mise en mouvement, d’une évolution du personnage). On peut considérer trois temps dans la séquence :
1) Jane et le verre : les prémisses de la rencontre
2) Jane et Renato avec le verre : la rencontre dialoguée en champ-contrechamp avec amorce
3) Jane et Renato dans le même cadre : la finalisation de l’achat (le verre est mis en boîte) et les suites de la rencontre
En mettant en scène la première rencontre dialoguée de ces personnages, l’enjeu de la séquence est bien au sein de
l’économie filmique de savoir si Jane et Renato vont constituer une paire, un couple, ou bien s’ils resteront seuls.
La nouvelle rencontre fortuite entre eux va de fait cette fois-ci permettre une vraie rencontre, un dialogue, et la suite
du film confirmera une relation amoureuse, celle d’un amour de vacances temporaire. Il s’agit donc d’appréhender ce
qui est en jeu dans cette vraie première rencontre : en quoi annonce-t-elle la suite ? Au même titre qu’elle met en
scène l’achat d’un verre surestimé, elle annonce l’avenir d’une rencontre ratée.
Ainsi, elle invite à considérer comment, par la mise en scène d’un commerce à deux niveaux
(économique et amoureux), David Lean rend compte d’une double réalité (économique et amoureuse) : un
verre surestimé, un amour impossible. En d’autres termes, le verre éclatant et flamboyant est-il un miroir aux
alouettes, le cœur de Venise un attrape-cœur ?
Nous considérerons tout d’abord comment il s’agit ici d’une scène de commerce effectif et amoureux où Jane,
sur le modèle du verre, est l’objet d’une convoitise. Puis, nous montrerons comment la scène présente, par un achat
survendu, surestimé, l’avenir d’une rencontre ratée.
I.
Une scène de « commerce » effectif et amoureux : « avez-vous la paire ? »
1.
La construction d’un « commerce » ambigu
les jeux de cache et de théâtralisation du commerce (entrée en scène de Jane ; limitation au pouvoir d’observer
dans cadrage du jeune garçon avec le plafond ; entrée en scène de Renato depuis un rideau)
d’un rapport distal (Jane et le jeune garçon filmé en contreplongée) à un rapport proximal (Jane et Renato en
champ-contrechamp en amorce puis dans le même plan, sur un pied d’égalité) : examiner les cadrages qui s’en
font le relais (plans de plein pied, parfois coupés, à plans poitrine/taille) ; examiner comment on passe d’une scène de
commerce à une scène de reconnaissance puis à une scène qui associe négociation commerciale et amoureuse ;
examiner comment la caméra se met en mouvement à partir de la troisième partie de la séquence, accompagnant les
personnes (panoramiques)
le commerce à double entente : la scénographie (un lieu de commerce transformé en écrin amoureux) ; les
ressorts comiques dans les dialogues (mots à double sens ; comique de mots)
2.
Le parallèle entre le verre à pied et Jane : le verre à pied convoité par Jane, et Jane par Renato
le jeu de cadre, d’encadrement et de recadrage en ouverture entre le verre et Jane en gros plan ; l’analogie
chromatique (le rouge à lèvres puis le rouge aux joues de Jane par reflet du verre sur son visage)
les jeux de regards : de Jane sur le verre ; de Renato sur Jane.
le verre est le témoin d’un attrait, d’un éclat, d’un objet à posséder, mais il est présenté comme unique (tension
joie, gaîté et tristesse, trouble, dans jeu de Jane).
Transition : le plan d’ouverture donne à voir l’éclat au sens propre du verre convoité, semblable au visage de Jane,
mais aussi celui inscrit sur la vitrine de la boutique à travers une petite fêlure.
II.
Un achat surestimé, à l’image de l’avenir d’une rencontre ratée : tension « si je vous trouve un autre
verre » / « non, il n’y en a qu’un »
1.
Jeux de décalage
avant la scène de commerce effectif dans le champ/contrechamp entre Jane et le jeune garçon (rapport distal),
puis dans la non-négociation pour le prix du verre surestimé (rapport proximal)
un duel amoureux ? entre union et séparation
! examiner précisément les plans du champ/contrechamp (nombre de plans, durée, personne qui a la parole,…) et
le passage aux plans d’ensemble qui sont des plans moyens : celui-ci se fait par la question de Jane « Vous avez
la paire ? » à laquelle répond Renato « Non, je regrette » puis il énonce au sein d’un plan d’ensemble « C’est le
seul que j’ai ». Alors qu’ils sont réunis dans le plan (et non plus sur le mode de la présence en amorce), la
possibilité de constituer une paire ou un couple est impossible.
l’amorce dans le champ-contrechamp permet de montrer l’attraction entre les personnages, les jeux de regards et de
séduction mais aussi une forme d’ascendant du commerçant pour qui est inauguré le dispositif en champcontrechamp. Voir comment le dispositif revient par ailleurs précisément au moment de la négociation.
Voir pour le champ/contrechamp comme technique du court de tennis (Laurent Jullier, L’analyse de séquences) :
« La stratégie du court de tennis permet d’adopter à peu près, alternativement, les points de vue respectifs des protagonistes,
(…). C’est pourquoi son arme favorite est le champ-contrechamp ».
Ici, la joute est matérialisée par le barreau de la vitrine qui sert à encadrer le verre à pied (2 premiers plans), lien,
union entre les personnages qui se le passent de mains en mains, puis à séparer les personnages au sein du cadre (et
de la vitrine dans un procédé de surcadrage) dans un effet semblable au split-screen.
!
examiner les différentes positions des personnages par rapport à la barre, et comment Renato finit par franchir
la « barre » en fin de séquence.
!
les personnages sont donc filmés comme des individus qui restent seuls, isolés, malgré la réunion.
2.
Le verre à pied, un miroir aux alouettes ?
> voir le premier plan du verre à pied (scission ombre/lumière), et voir les jeux lumière/ombre dans la séquence
le passage de la petite profondeur de champ à la grande profondeur de champ dans la séquence permettant
de focaliser dans un premier temps sur le verre puis dans un deuxième temps sur l’ensemble de la vue, avec un
étagement de la mise en scène dans la profondeur. Le recours à une grande profondeur de champ permet en effet de
raconter plusieurs choses en même temps. David Lean fait ainsi jouer l’avant-plan par rapport à l’arrière-plan, et
invite à se détacher du seul verre à pied.
ainsi, l’examen de l’arrière-plan de la vitrine dans la profondeur du champ permet de révéler des passants au
sein d’une ville agitée, touristique, seuls ou accompagnés, en couple. Un examen attentif de ces passants est à faire
en fonction de leur passage derrière le verre, mais aussi en fonction des répliques des personnages, se faisant le relais
du couple à venir mais aussi de la solitude finale de Jane.
il faut par extension considérer les fonds du champ qui révèlent un fond littéralement barré par Renato mais
aussi par instances pour Jane (champ-contrechamp, plan final).
Venise n’est pas une toile de fond de carte postale mais un fond signifiant, au même titre que la boutique
d’antiquités de Renato et son dispositif scénographique, qui donnent les clefs de la relation à venir. De même, le
verre n’est pas du XVIIIème siècle. La confrontation ultérieure à la réalité confirmera la double impasse de cette
séquence (commerciale et amoureuse). Le verre flamboyant, magique, représente une forme de masque coloré, celui
de la passion amoureuse, mais témoigne d’une réalité moins éclatante.
David Lean présente avec ce verre, comme avec la vitrine (voir comment elle montre des surimpressions naturelles
avec les jeux de reflets), le miroir dans lequel Jane se reflète, mais aussi les lunettes, la caméra, autant de dispositifs
intermédiaires entre le monde et soi, des « médiums ». S’il en montre l’attraction, la magie, permettant de magnifier
la réalité, ils permettent de se cacher (lunettes), et la trahissent aussi (le verre rouge de l’amour).
David Lean opte pour un montage transparent et classique ; mais il dissimule et révèle en même temps, malgré cette
transparence, l’impossibilité de la relation. Le cœur de Venise est en fait un attrape-cœur. Ainsi, si le verre est un
médium, il figure aussi ici l’art cinématographique de David Lean, le mettant en abyme : malgré sa transparence
éclatante, il joue avec le spectateur pour lui livrer les clefs du film, et révélant ainsi son issue.
Termes à revoir ou à approfondir :
- insert ; plan de coupe
- profondeur de champ
- champ-contrechamp (avec amorce)
- hors-champ
- panoramique (et non panorama) ; travelling
- recadrage, surcadrage
- raccord dans le mouvement
- plan de réaction ou reaction shot
- surimpression
- split-screen
!

Documents pareils