Prairies à fleurs d`hier et d`aujourd`hui

Transcription

Prairies à fleurs d`hier et d`aujourd`hui
Informations de fond
1
Prairies à fleurs d’hier et d’aujourd’hui
L’appauvrissement de la biodiversité est un processus insidieux dont la population n’a
pas vraiment conscience. Nulle part ce changement ne se manifeste de façon aussi
marquée que sur les terres agricoles. Les modifications intervenues dans l’exploitation
des champs au cours des 50 dernières années ont eu de graves conséquences pour leur
diversité biologique.
La perte de biodiversité en Suisse est très bien documentée sur le plan scientifique. Au cours des
110 dernières années, 36% des zones alluviales, 82% des marais et 95% des prairies et pâturages secs de Suisse ont disparu1. 36% des espèces végétales et animales de Suisse figurent sur
la Liste rouge des espèces en danger, car menacées de disparition ou déjà éteintes. La conclusion que tirent les scientifiques de leurs recherches, c’est que la biodiversité se porte mal en
Suisse. Cependant, la population suisse a une tout autre perception de l’état de la biodiversité,
comme l’a montré en 2010 l’institut de recherche GfS au terme de l’Année de la biodiversité2:
70% des personnes interrogées estimaient que l’état de la biodiversité en Suisse était bon, voire
très bon.
Exploitation intensive
Les prés d’embouche (prés d’engraissage) de Suisse sont un parfait exemple de l’évolution de
la biodiversité en Suisse. Jusqu’au milieu du 20e siècle, les types de prés d’embouche les plus
répandus et les plus productifs du Plateau étaient les prairies à fromental multicolores, avec
des espèces comme le salsifis des prés, la centaurée jacée et la knautie. Celles-ci constituaient
largement plus de la moitié de la surface agricole utile3. Avec la pression croissante exercée
sur l’agriculture pour qu’elle produise à toujours meilleur marché, l’exploitation des prés s’est
intensifiée. En 1905, il fallait 20 heures à une personne pour faucher un hectare de pré en plaine.
Aujourd’hui, cela ne prend plus que 40 minutes à une seule personne4. Dans le même laps de
temps, le rendement d’un pré d’embouche de taille moyenne a presque quadruplé4. L’utilisation
d’engrais chimiques et de lisier entraîne une croissance renforcée des plantes des prairies et une
production plus importante de biomasse dans les prés. Cette situation encourage une fauche
plus précoce et plus fréquente des surfaces. Alors que par le passé les prés les plus productifs
étaient fauchés deux, au maximum trois fois par an, on compte aujourd’hui jusqu’à six fauches
par année. La mécanisation a des conséquences dramatiques pour la faune des prés: durant tout
le processus de récolte (fauche, râtelage, confection des andains et des balles), plus de 80% des
sauterelles vivant dans les prés sont tuées par les machines utilisées pour la récolte de l’herbe5.
1 Walter T., Klaus, G., Altermatt, F., Ammann, P., Birrer, S., Boller B., Capt, S., Eggenschwiler L., Fischer, J., Gonseth, Y., Grünig
A., Homburger H., Jacot Ammann K., Kleijer, G., Köhler, C., Kohler, F. , Kreis, H., Loser, E., Lüscher A., Meyer, A., Murbach, F.,
Rechsteiner, C., Scheidegger, C., Schierschen, B., Schilperoord, P., Schmid, H., Schnyder, N., Senn-Irlet, B., Suter D., Zbinden,
N., Zumbach, S. 2010. Der Wandel der Biodiversität in der Schweiz seit 1900. Ist die Talsohle erreicht? Landwirtschaft : Kapitel 3.
Bristol-Schriftenreihe Band 25. Bern, Haupt Verlag, S. 65-122
2 Bieri U., Agosti S., Longchamp C., Ratelband-Pally S., Tschöpe S. 2010. Wahrnehmung und Einstellung zur Biodiversität.
Schlussbericht. Studie im Auftrag des Bundesamts für Umwelt BAFU, des Forum Biodiversität Schweiz, des Schweizer Vogelschutz SVS/BirdLife Schweiz und der Schweizerischen Vogelwarte Sempach
3 Dietl W. 1995. Wandel der Wiesenvegetation im CH-Mittelland, Zeitschrift für Ökologie und Naturschutz 4, 239-249
4 Office fédéral de la statistique (OFS), Section environnement, développement durable et agriculture, 2006. Agriculture : un
siècle de bouleversements. Quelques observations tirées d’un siècle de recensements des exploitations agricoles
5 Humbert J., Richner N., Sauter J., Walter T., Jaboury, G 2010. Wiesen-Ernteprozesse und ihre Wirkung auf die Fauna.
Rapports ART. 724, 2010, 1-12
Prairies à fleurs d’hier et d’aujourd’hui
2
Pour être moins dépendant des fluctuations de la météo, on recourt toujours plus volontiers à
l’ensilage. L’herbe coupée n’est pas correctement séchée. Les graines des herbes et des graminées arrivées à maturité ne tombent pas sur le sol, mais restent accrochées aux infrutescences
et se retrouvent dans les balles d’ensilage. Cela limite fortement la reproduction de différentes
espèces typiques des prés et donc l’établis- Obersaxen 1981: Prairie à faible végétation avec un paysage de petites
à l’arrière-plan. Des modes d‘exploitation différents ont créé
sement de leurs prochaines générations. Les parcelles
une précieuse diversité des structures (Graphische Sammlung der
prés situés à des endroits trop escarpés sont Schweizerischen Nationalbibliothek © Photohaus Geiger)
convertis en pâturages, ceux qui sont situés
dans des secteurs plus secs sont irrigués et
ceux qui se trouvent dans des secteurs plus
humides sont asséchés par des drainages6.
Toutes ces optimisations de l’exploitation entraînent une uniformisation des prés7, avec
une teneur élevée en éléments nutritifs, des
sols toujours plus acides, une humidité du
sol optimale pour la production et des sols
tassés par de lourdes machines.
Perte de biodiversité à tous les niveaux
650 des 3150 espèces végétales qu’on trouve
en Suisse dépendent d’un mode particulier
d’exploitation des prés. La forme d’exploitation actuelle ne permet pas aux espèces des
prés fleuris de survivre. Un tiers d’entre elles
figure sur la Liste rouge. Elles disparaissent
progressivement au profit d’une poignée
d’espèces à croissance rapide et gourmandes
en substances nutritives, comme le paturin
commun, le pissenlit ou le dactyle. Dans Obersaxen 2010: Les graminées élevées ont augmenté, le paysage à
s’est amélioré. La diversité structurelle a été détruite par la
toutes les études comparatives à disposition l’arrière-plan
mécanisation et la rationalisation (© Pro Natura / Nathalie Renevey)
portant sur l’évolution de prairies précises,
on a constaté un recul des indicateurs de la qualité écologique, des espèces figurant sur la Liste
rouge ou des espèces cibles et indicatrices selon les Objectifs environnementaux pour l’agriculture. De même qu’un accroissement simultané de généralistes comme la bugle rampante ou le
trèfle blanc, qu’on trouve dans n’importe quelle pelouse. Tandis que dans les années 1950, les
prés les plus gras du canton de Zurich présentaient encore en moyenne 25 espèces emblématiques des prairies à fromental, ce chiffre est aujourd’hui tombé à 98.
6 Stöcklin J, Bosshard A, Klaus G, Rudmann-Maurer K, Fischer M 2007. Utilisation du sol et diversité biologique dans les Alpes.
Synthèse thématique relative au thème de recherche II du Programme National de Recherche PNR48 «Paysages et habitats de
l’arc alpin». vdf, Zurich
7 Peter, M., Gigon, A., Edwards, P.J., Lüscher, A. 2009. Changes over three decades in the floristic composition of nutrient-poor
grasslands in the Swiss Alps. Biodiversity and Conservation 18, 547-567
8 Bosshard, A., Stähli, I. & Schilli, S. 2010. Verbreitung, Zustand und Erhaltung der Fromentalwiesen in der Schweiz. Rapport
intermédiaire de 2010 destiné à Pro Natura et à la Fondation Bristol (rapport non publié, livre en projet)
Prairies à fleurs d’hier et d’aujourd’hui
3
Au nord-ouest de la Suisse, on a établi sur 187 kilomètres carrés examinés que 10 espèces sur
12 ont subi un recul modéré à très important9. La proportion de prairies à fromental en Suisse
orientale a chuté de plus de 50% en l’espace de 60 ans pour représenter tout au plus 8%8
seulement. Dans la commune de Küsnacht, par exemple, 22% de toutes les espèces végétales
des prés qui ont été répertoriées sur les prairies communales jusqu’en 1915 ont disparu du
territoire de la commune10. Selon une autre étude comparative11 réalisée en 2009, les espèces
de 81 prairies réparties dans toute la Suisse ont diminué de plus de moitié en l’espace de 120
ans. Un travail mené dans des prairies grasses de montagne12 atteste du recul d’au moins 15%
du nombre moyen d’espèces dans un intervalle de 60 ans. Dans le Jura, 39% des populations
locales de plantes spécialistes ont disparu entre 1950 et 1985 sur 26 pelouses mi-xérophites examinées. La surface des pelouses mi-xérophites avoisinantes a diminué de plus de moitié dans
plus de 80% des cas13.
Accroissement trompeur
Le recul du nombre d’espèces typiques des prairies dans le Jura et les Préalpes est moins
important, mais il s’agit d’un processus encore en cours. La fertilisation permet aux espèces
des prairies grasses de s’installer dans le pré, ce qui entraîne un accroissement temporaire
des espèces, jusqu’à la disparition complète des dernières espèces des prairies maigres. Ce
stade transitoire a également été documenté par le Monitoring de la biodiversité en Suisse14 et
d’autres études1,6,7,11,12,13. Non seulement la disparition des espèces caractéristiques des prairies
entraîne un appauvrissement de la flore et une uniformisation du paysage, mais elle a aussi
des conséquences négatives sur la diversité des petits êtres vivant dans les prés. Avec chaque
espèce végétale perdue, ce sont les conditions d’existence de 10 espèces animales qui disparaissent. Tout à coup, les plantes nourricières de certaines chenilles ont disparu du pré ou alors
des abeilles sauvages spécialisées ne trouvent plus leurs plantes à pollen. L’étude de surfaces
d’observation de 73-100 ha chacune situées dans trois communes du Valais, a montré que le
nombre de couples d’espèces nichant dans les prés (tarier des prés, alouette des champs, pipit
des arbres, bruant proyer, alouette lulu) a reculé de moitié en l’espace de 18 ans15. Dans la commune de Savièse, la date moyenne de la fauche au cours de cette période a été avancée d’un
jour chaque année. Elle tombe ainsi 3 semaines plus tôt qu’il y a 18 ans. Avec une fauche aussi
précoce, les jeunes tariers des prés et alouettes des champs se retrouvent sans protection et sont
déchiquetés par la faucheuse.
9 Zoller H, Strübin S & Amiet T, 1983. La répartition actuelle de quelques espèces de prairies fertilisées. Botanica Helvetica 93
(2): 221–238
10 Stehlik, I., Caspersen, J. P., Wirth, L. und Holderegger, R. 2007. „Floral free fall in the Swiss lowlands: environmental determinants of local plant extinction in a peri-urban landscape.“ Journal of Ecology 95: 734-744
11 Rechsteiner, C. 2009. Wiesen der Schweiz – vor 120 Jahren und heute, travail de master, Université de Zurich, 67 p.
12 Homburger H., 2009. Wandel der Pflanzendiversität in Schweizer Gebirgsfettwiesen, Veränderung und der Artenvielfalt und
der Artenzusammensetzung über sechs Jahrzehnte. Mémoire de l’Institut de géobotanique de l’Université Albert-Ludwigs de
Fribourg-en-Brisgau. Réalisé à l’institut de recherche Agroscope Reckenholz ART, Zurich Affoltern. 53 p.
13 Fischer, M. and J. Stöcklin 1997. „Local extinctions of plants in remenants of extensively used calcerous grasslands 19501985.“ Conservation Biology 11: 727-737.
14 Bureau de coordination du Monitoring de la biodiversité en Suisse, 2009. Etat de la biodiversité en Suisse. Synthèse des
résultats du Monitoring de la biodiversité en Suisse (MBD). Etat : mai 2009. Etat de l’environnement n° 0911. Office fédéral de
l’environnement, Berne. 112 p.
15 Sierro A., Frey Iseli, M., Graf, R., Dändliker G., Müller, M., Schifferli, L., Arlettaz, R., Zbinden, N., 2009. Banalisation de
l’avifaune du paysage agricole sur trois surfaces témoins du Valais (1988-2006). Nos Oiseaux, 129-148
Prairies à fleurs d’hier et d’aujourd’hui
4
Politique et agriculture pas encore d’accord
Même l’introduction de la compensation écologique dans l’agriculture à partir de 1993 n’a pas
mis fin au recul des espèces dans les prés1. La politique agricole menée jusqu’à maintenant
fonctionne avec des incitations défavorables à la biodiversité.
Si l’on poursuit sur cette voie, ce sera un quart supplémentaire des prés de montagne riches
en espèces qui va disparaître au cours des 10 prochaines années6. La nouvelle politique agricole 2014-17, mise en consultation par le Conseil fédéral en mars 2011, prévoit de rendre plus
attractives les prestations en faveur de la biodiversité. Les incitations à la production par des
contributions non spécifiques pour l’élevage de bétail et l’intensification de la pression sur les
prix que cela implique seraient supprimées. Le jour même de l’adoption des documents mis
en consultation, l’Union suisse des paysans critiquait pourtant déjà ces propositions sous leur
forme actuelle et demandait d’importantes corrections équivalant à un retour à la politique
menée jusqu’ici, sans quoi elle opposerait son refus à la nouvelle politique agricole.
Comme le montre l’exemple des prés à fleurs, la perte de biodiversité est aisée à démontrer avec
des chiffres. Pour permettre de visualiser ce que cela implique concrètement pour nos prés, en
2010 Pro Natura a pris des photos comparatives de paysages de cartes postales et d’autres vues
de prés fleuris datant des années 1970 - 1990. Les photos comparatives sur la perte de biodiversité dans les prairies de Suisse sont visibles sous: www.pronatura.ch/biodiversite.
Avril 2011
Wolfgang Bischoff
Chef de projet réserves naturelles et biodiversité
Pro Natura
Dornacherstrasse 192, Case postale, 4018 Bâle
Tél. 061 317 91 91, télécopie 061 317 92 66
www.pronatura.ch
Courriel: [email protected]
CCP 40-331-0
Pro Natura ­— agir pour la nature, partout !
Pro Natura est avec plus de 100’000 membres
la principale organisation de protection de la
nature en Suisse. Elle défend les intérêts de
la nature avec conviction et compétence. Pro
Natura s’engage résolument pour la conservation à long terme des habitats et des espèces
animales et végétales du pays.