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Nos amis les Contacts pharmaciens Une nouvelle fonction des pharmaciens ? Sarah Bernhardt, la passion des planches Interview : Luc Delaunois Bulletin bimestriel de l’association des médecins Alumni de l’Université catholique de Louvain Ne paraît pas en juillet-août P901109 Bureau de dépôt Charleroi X 82 novembre - décembre 2013 sommaire Une nouvelle fonction des pharmaciens ? Contacts Interview de Mme Valérie Lacour N° 82 novembre - décembre 2013 2 Une nouvelle fonction des pharmaciens ? Interview de Valérie Lacour 9 L’assurance qualité des médicaments hier et aujourd’hui Franz Philippart 13 Handicapés célèbres : Sarah Bernhardt (18441923) : La passion des planches René Krémer 16 Les interviews de l’AMA-UCL : Luc Delaunois 21 In memoriam : Dr Claire Vellut 22 Quelques nouvelles du prix Jean Sonnet 2011 Bernadette Michel et Patrick Loodts 23 Souvenirs et anecdotes : Naïveté enfantine (2) René Krémer : Cette loi organisant les « Entretiens de nouvelle médication » ou « ENM » est encore mal connue, au moins si l’on se contente des informations données par les médias. Vous êtes très bien placée pour fournir à nos amis médecins des précisions et votre opinion. Pouvez-vous nous parler d’abord de votre formation et de votre carrière ? Valérie Lacour : J’ai obtenu le diplôme de pharmacien à l’UCL en 1994 ; mon parcours fut ensuite assez varié. Après avoir travaillé pendant 10 ans comme pharmacienne adjointe dans plusieurs officines ouvertes au public, je me suis investie dans la formation continue des pharmaciens, au sein de la Société Scientifique des Pharmaciens Francophones (SSPF). Cette formation n’est actuellement pas obligatoire pour les pharmaciens travaillant dans les officines ouvertes au public et est en outre payante pour les participants : un groupe de travail regroupant tous les intervenants concernés planche sur la mise en forme d’un projet de formation continue obligatoire. Pourtant, depuis plusieurs années, de nombreux pharmaciens et étudiants assistent à ces formations en soirées et/ou en journée afin de mettre à jour leurs connaissances. Grâce à cette collaboration avec la SSPF, j’ai eu l’occasion jusqu’ici de donner des conférences, d’animer des concertations médico-pharmaceutiques, de rédiger des articles ou des questionnaires d’évaluation des acquis. Pendant cette période, j’ai continué à garder un pied dans la pratique de terrain en travaillant quelques jours par semaine dans une officine. Depuis trois ans, tout en maintenant ces deux aspects (travail en officine et formation continue), je donne aussi des cours de suivi pharmaceutique aux étudiants en Master 2 à l’école de pharmacie de l’UCL et y suis également responsable de l’ensemble des stages (8 mois en tout par étudiant tout au long de son cursus à l’UCL). La gestion des stages englobe l’agréation des maitres de stage, la communication avec ceux-ci, le suivi administratif des différentes périodes et documents liés aux stages, mais aussi l’accompagnement des étudiants dans leur choix du type ou lieu de stage ou, plus tard, lorsqu’apparait éventuellement une difficulté, un conflit. C’est à partir de la demande d’un étudiant ou d’un pharmacien qu’est lancée la procédure d’agréation Comité de rédaction : Martin Buysschaert, René Krémer, Dominique Lamy, Dominique Pestiaux, Christine Reynaert et Jean-Louis Scholtes Editeur responsable : René Krémer Rue W. Ernst 11/17 - 6000 Charleroi Coordination de l’édition : Coralie Gennuso 2 Adresse de contact : AMA-UCL Tour Vésale, niveau 0 Avenue E. Mounier 52, Bte B1.52.15 1200 Bruxelles Tél. 02/764 52 71 - Fax 02/764 52 78 [email protected] http://sites-final.uclouvain.be/ama-ucl/ Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. AMA CONTACTS - décembre 2013 Nous appliquons la nouvelle orthographe, grâce au logiciel Recto-Verso développé par les linguistes informaticiens du Centre de traitement automatique du langage de l’UCL (CENTAL). Graphisme : A.M. Couvreur Couverture : Luc Delaunois au cours d’une bronchoscopie d’un maitre de stage, sur base de plusieurs critères de qualité de l’encadrement proposé à l’étudiant. Nous avons actuellement environ 500 maitres de stage agréés actifs. R.K. : Votre poste est très important car la plupart des professeurs de pharmacie n’ont pas de contact direct avec la pratique en officine. V.L. : C’est vrai. Ce qui est riche vient le plus souvent de la complémentarité et de la diversité. Ainsi, faire entrer le milieu professionnel dans nos universités contribue certainement à atteindre un équilibre entre recherche, enseignement et pratique professionnelle, à donner du sens à l’intégration des apprentissages, à s’approcher des attentes et exigences du terrain, dans un esprit d’ouverture à la Société cher à la vocation d’une formation universitaire. Au sein de l’école de pharmacie de l’UCL, plusieurs pharmaciens de terrain sont impliqués ou consultés pour l’animation de certains séminaires, ou par exemple pour l’examen de connaissances générales en fin de cursus. Les étudiants sont demandeurs de cette diversité dans les intervenants, surtout en fin de formation, moment où il leur faut se préparer à transférer leurs acquis universitaires vers la pratique professionnelle. R.K. : Venons-en à cette nouvelle loi. V.L. : C’est une procédure qui pourra être mise en place dès le mois d’octobre. Le but est d’apporter une structure à quelque chose qui existait déjà : les pharmaciens donnaient déjà des conseils personnalisés aux patients, puisque leur rôle essentiel consiste à veiller à une utilisation optimale des médicaments par chaque patient. R.K. : Ce que l’on appelait « la médecine de comptoir», un terme assez méprisant. V.L. : Un terme surtout mal choisi car, non seulement, le pharmacien ne fait pas de médecine mais, il est surtout bien plus qu’un « comptoir »… Dans ce nouveau projet d’ENM, il s’agit surtout de structurer, organiser et rémunérer le temps que passera le pharmacien en accompagnant un patient asthmatique dans la prise de ses médicaments corticoïdes inhalés. C’est un cap important dans l’évolution du rôle du pharmacien, un fameux défi à relever par tous. Les associations professionnelles s’efforcent depuis plusieurs années de faire évoluer la rémunération du pharmacien et de la dégager de la vente pure et simple des médicaments. De plus, le fait de rémunérer le pharmacien pour ces entretiens ne lèsera personne car le budget qui y est consacré fait partie de l’enveloppe attribuée jusqu’ici pour les premières délivrances : il s’agit d’une redistribution d’un même budget, sur fonds propres si on peut dire et absolument pas d’un nouveau montant libéré… L’ensemble de cette démarche correspond mieux à l’évolution du rôle du pharmacien depuis plus de 10 ans : devenir un conseiller plutôt qu’un simple préparateur ou dispensateur. R.K. : Ce sont des avantages pour les médecins : notamment être informé des médicaments incompatibles, des doubles emplois…Surtout depuis l’invasion des génériques. Ce qu’il faudrait c’est que le pharmacien ait accès à l’ensemble des médicaments d’un patient. V.L. : Là aussi, il y a du changement. Actuellement le pharmacien peut visualiser les médicaments pris par son patient, quel que soit le prescripteur. Il peut encoder également les médicaments pris sans prescription, pour que le dossier patient soit le plus complet possible. Ce qui manquait encore, c’est de pouvoir, avec l’accord du patient, accéder aux médicaments fournis par d’autres pharmacies. C’est le projet, presque abouti à l’heure actuelle, de dossier pharmaceutique partagé (DPP), qui permettra au pharmacien de disposer d’un historique médicamenteux plus complet lors de l’analyse de la médication du patient et, en particulier lors de la gestion des effets indésirables ou éventuelles interactions entre ces médicaments. R.K. : Certains patients prennent parfois deux betabloquants prescrits par des médecins différents. V.L. : Cela peut arriver effectivement, notamment après un séjour à l’hôpital lors duquel la médication du patient est modifiée (arrêt d’un médicament, initiation d’un nouveau traitement, changement de posologies, …) - Le pire se présente lorsque le patient sort de l’hôpital un vendredi soir, car il est alors compliqué de joindre un responsable au sein de l’hôpital… Ces moments de transition demandent beaucoup d’attention afin de s’assurer que le patient ait bien compris tous les changements opérés dans son traitement mais aussi de vérifier qu’il n’y ait pas de doublon, de nouvelles interactions… R.K. : Un point important, c’est d’être amené à diminuer la dose de médicament en fonction de l’âge. V.L. : Lors des contacts avec le patient, le pharmacien ne dispose que d’un nombre limité d’informations, et rarement du diagnostic précis. Dès lors, en ce qui concerne les doses des médicaments prescrits, le pharmacien est compétent pour vérifier si les posologies maximales ne sont pas dépassées, pour informer le patient si une initiation ou un arrêt du médicament doit se faire progressivement mais il ne dispose AMA CONTACTS - décembre 2013 3 jamais d’informations suffisantes l’amenant à diminuer la dose d’un médicament qui a été prescrit. Par contre, s’il a un doute raisonnable, il prendra contact avec le médecin pour en discuter avec lui. En ce qui concerne les médicaments disponibles sans prescription, le pharmacien dispose des connaissances lui permettant d‘adapter les posologies ou de préférer un principe actif à un autre en fonction de l’âge (notamment), mais ce n’est pas la même démarche… Le plus souvent, face à une prescription, le pharmacien cherche à comprendre l’intention du médecin et veille à la prise optimale des médicaments, surtout si le malade n’a pas compris ou retenu les informations données par le médecin. R.K. : Si un malade qui prend des beta-bloquants, vous dit qu’il a des vertiges au lever. V.L. : A ce moment, le pharmacien joue son rôle de lien entre le patient et le médecin et dit au patient qu’il en parle au médecin, qu’il faudra sans doute modifier la dose d’un de ses médicaments mais que c’est son médecin qui décidera avec lui. Pensons à l’exemple d’un patient qui n’oserait pas aller chercher son antimycosique ou son antidépresseur dans sa pharmacie habituelle par gêne, et aux conséquences que cela pourrait avoir sur la gestion des interactions avec le reste de sa médication… R.K. : Ne pourrait-on pas créer une salle d’attente ? V.L. : Je n’irais pas jusque-là car il faut préserver l’accessibilité recherchée par les personnes se rendant dans une officine. Certains sont même souvent pressés (et le pharmacien doit jongler entre les attentes du patient et le fait de jouer son rôle pleinement…). Par contre, c’est rare qu’il n’y ait pas moyen de trouver en endroit plus calme, à l’abri des oreilles indiscrètes dans une officine… Dans l’espace d’accueil du patient, quelques chaises permettent souvent aussi aux patients qui le souhaitent de s’installer lorsqu’il faut patienter. Certains médecins ont déjà les cheveux qui se hérissent quand on leur parle d’un espace de confidentialité dans l’officine alors je n’ose pas imaginer leurs réactions face à un concept de « salle d’attente»… R.K. : Pour le moment, les données faisant l’objet de l’entretien sont limitées ? R.K. : La confidentialité est importante. Je suis choqué lorsque j’entends un patient donner des détails sur sa maladie devant les clients en attente. V.L. : C’est une grosse difficulté liée à l’agencement de certaines pharmacies d’officine. Certains pharmaciens prévoient un endroit spécifique, un espace de confidentialité, parfois c’est simplement derrière un meuble, à l’écart, dans le bureau du pharmacien ou dans le coin des préparations. Si l’on remarque que le patient parle plus bas ou se retourne pour voir s’il y a des personnes derrière lui, c’est important de lui proposer de se mettre à l’écart, afin qu’il soit plus à l’aise. Si cette confidentialité n’est pas préservée, le risque est de voir les patients se fournir dans une pharmacie où ils sont certains de n’être pas connus, pour certaines demandes de médicaments « tabous». Mais alors, dans ce cas, une partie de l’information globale sur les médicaments du patient est perdue… 4 AMA CONTACTS - décembre 2013 V.L. : Actuellement, dans cette démarche d’entretien de nouvelle médication, ce sont les patients asthmatiques se voyant prescrire pour la première fois des corticoïdes inhalés qui sont ciblés. C’est le cadre fixé pour l’instant, et il est prévu que ces entretiens se passent dans un endroit isolé dans la pharmacie. Ils pourront être organisés suite aux questions posées par le patient, à l’initiative du pharmacien ou du médecin. L’objectif de ces entretiens (deux séances espacées de 3 à 6 semaines) est d’accompagner le patient dans l’utilisation optimale des médicaments à inhaler qui lui ont été prescrits, l’observance à ces traitements étant particulièrement mauvaise. Nous formons nos étudiants à structurer cette démarche et à poser les questions utiles, permettant une analyse la plus complète possible de la situation. Nous les motivons d’ailleurs à le faire face à toute demande du patient (plainte, conseil, demande d’un médicament,…). Après cette analyse, la décision à prendre consiste alors à référer le patient vers son médecin, notamment si des signaux d’alarme ont été mis en évidence, ou à le prendre en charge à l’officine, lorsqu’on se trouve dans le domaine de compétences du pharmacien. Je pense intéressant que ces entretiens soient limités, dans un premier temps, aux corticoïdes inhalés dans l’asthme car cette démarche structurée va entrainer des changements pour tous les acteurs concernés, il faudra donc se donner le temps d’évaluer ce qui est positif, de faire le point, d’envisager ce qui pourrait être fait dans un autre cadre. L’idée des décideurs et des associations professionnelles est de cibler des situations dans lesquelles les chiffres indiquent une mauvaise observance du patient face à ses médicaments. R.K. : Le diabète sera un jour sur la liste. V.L. : Il viendra sans doute dans la réflexion puisque l’on sait que c’est dans les pathologies chroniques asymptomatiques que l’observance médicamenteuse est la moins bonne. R.K. : Doit-on parfois informer la famille ? V.L. : Nous sommes, comme vous, tenus à la confidentialité et au secret professionnel. Nous ne pouvons transmettre une information à la famille qu’avec le consentement du patient. C’est évidemment parfois compliqué, surtout lorsque ce n’est pas le patient luimême qui vient chercher sa prescription. R.K. : Vous intéressez-vous à la position sociale, à un état dépressif ? V.L. : Le pharmacien tente toujours de cerner le patient dans sa globalité et ce, pour plusieurs raisons. Parce que le coût du médicament pour le patient est un des critères de choix entre les spécialités existantes. Parce que des signaux d’alarme (comme ceux de la dépression) peuvent être mis en évidence par le patient. En fonction du degré d’urgence, le pharmacien conseillera un avis médical ou prendra lui-même contact avec le médecin. Face à une situation d’abus mettant en danger le patient (alcool, drogue, tendance suicidaire…), là aussi le pharmacien pourra réagir et prendre contact avec le médecin. Dès qu’il apparait important pour le suivi du patient, un relais vers le médecin doit être réalisé. Et, dans ces cas-là, il faut pouvoir apprécier si le patient est autonome, vigilant, lucide, et peut éventuellement faire le relais lui-même ou pas. R.K. : Vous apprenez aux malades âgés à classer ses médicaments. V.L. : Bien sûr puisque cela concerne l’utilisation optimale des médicaments… Le pharmacien peut proposer de préparer les médicaments de manière individuelle pour le patient. Il lui faut aussi parvenir à intégrer toute nouvelle prescription dans l’ensemble des autres médicaments pris par le patient, vérifier s’il n’y pas de doublons, de posologies inadéquates, d’interactions. Il faut également que la prise des médicaments s’intègre dans le rythme de vie du patient en lui proposant un schéma de médication pour l’ensemble de son traitement. Si les explications orales ne suffisent pas, divers outils peuvent être utilisés comme une fiche avec un calendrier ou encore un pilulier. Quand le patient vient renouveler son traitement, grâce à l’historique médicamenteux, le pharmacien peut d’un coup d’œil vérifier si l’observance est correcte ou pas et essayer de comprendre pourquoi, le cas échéant, le patient ne prend pas tous ses médicaments : êtes-vous gêné quand vous les prenez? Ressentez-vous un effet néfaste ? Est-ce le médecin qui a diminué la dose ou l’avez-vous fait de vous-même ? Oubliez-vous parfois de prendre vos médicaments ? En avez-vous averti votre médecin ? R.K. : Il y a également les médicaments que l’on coupe en deux, parfois en quatre. V.L. : Aussi. Si le patient coupe lui-même ses médicaments pour en diminuer la posologie, il faut rechercher les freins à l’observance. S’il les coupe pour atteindre la posologie prescrite ou parce qu’il a du mal à les avaler par exemple, il faut alors vérifier que la forme galénique permet cette sécabilité ou le broyage, en préservant les propriétés du médicament. R.K. : Pour les ENM, on se limite actuellement aux corticoïdes inhalés, mais à la radio on a déjà parlé de l’hypertension artérielle. V.L. : Il faut faire attention à ce qu’on dit dans les médias. Ces entretiens sont une opportunité pour tous d’améliorer la prise en charge des patients asthmatiques. Il serait vraiment dommage de créer des frustrations ou de déclencher des polémiques à cause d’une mauvaise communication. N’allons pas trop vite… R.K. : Le pharmacien peut être amené à découvrir un diagnostic en examinant : vous ne pouvez pas empêcher un malade de vous montrer par exemple des lésions cutanées, des varices ou des pertes de cheveux. V.L. : C’est le terme diagnostic qui ne convient pas. Le pharmacien n’est pas formé pour poser un diagnostic médical. Par contre, face à une demande du patient, il réalise une analyse de la situation pour décider si une prise en charge à l’officine est possible ou s’il faut référer le patient vers le médecin. R.K. : En cas de blessure, vous pouvez quand même la désinfecter et la panser. V.L. : Oui mais à nouveau après s’être assuré qu’une AMA CONTACTS - décembre 2013 5 prise en charge médicale ou par un service d’urgence n’est pas indiquée car, si c’est le cas, il vaut mieux ne rien appliquer sur la plaie. Le but du pharmacien sera surtout d’évaluer et de repérer les signaux d’alarme. Il pourra donner des conseils face à une brûlure superficielle, une plaie bénigne ou une piqûre d’insecte mais il saura aussi évaluer si une suture est nécessaire par exemple. Les officines sont nombreuses et ouvertes dans des horaires très larges : ce qui fait que le patient arrive souvent en première intention. Le pharmacien joue ainsi quotidiennement son rôle de lien entre le patient et le médecin. R.K. : Vous pouvez palper le pouls ? V.L. : Non, je ne vois pas en quoi cela serait utile dans les compétences du pharmacien... R.K. : Quand le malade vous dit : « mon cœur bat la chamade depuis quelques heures », vous ne bougez pas ? V.L. : Le pharmacien posera des questions pour savoir si c’est inquiétant, si c’est momentané ou lié au stress. Le but est d’évaluer l’urgence. R.K. : Mais si vous palpez un pouls à 130/minute, c’est une réelle urgence et le patient peut ne pas être symptomatique. V.L. : Nous avons des tensiomètres que nous pouvons utiliser et ils donnent également le pouls. Le but sera toujours d’avoir une information supplémentaire. Si une réelle urgence se présente, le médecin est contacté et, s’il n’est pas connu ou joignable, le 112. R.K. : Et face à un tremblement ? V.L. : IL faut se demander ce que cela peut être et juger si le médecin doit être vu. Est-ce que votre médecin connait ce tremblement et êtes vous soigné ? Ce symptôme est-il nouveau, permanent ? Dans le doute, on envoie plus facilement au médecin. Mieux vaut référer trop vite que trop tard. Je pense à un cas que j’ai eu la semaine passée. Un monsieur se présente à l’officine, il dit avoir été piqué par une araignée et me demande un médicament pour soulager la douleur. Je lui ai demandé de décrire ce qu’il ressentait, quand c’était arrivé, ce qu’il avait déjà fait. Il a insisté sur la douleur, ce qui était interpellant. Il a accepté de me montrer l’endroit de la piqûre, dans son dos. A la vue, les lésions ressemblaient à celles d’un zona. Je l’ai engagé à consulter son médecin au plus vite, sans appliquer aucun médicament, d’éventuellement soulager la douleur avec de la glace en attendant la consultation. 6 AMA CONTACTS - décembre 2013 R.K. : Avez-vous prononcé le mot zona ? V.L. : Il était important de le motiver à voir son médecin au plus vite, et éviter la contagion. Pour cela, je lui ai expliqué que ses symptômes n’évoquaient pas du tout une réaction à une piqûre d’insecte mais peut-être un zona, que je ne pouvais pas l’affirmer mais que mon rôle était de ne rien lui délivrer et de le renvoyer vers le médecin. Il est revenu le lendemain, reconnaissant, car le médecin avait confirmé qu’il s’agissait d’un zona. R.K. : S’il s’était agi d’une tique, vous auriez quand même enlevé la bête, je suppose, car plus longtemps elle reste en place, plus le risque de maladie de Lime est grand ? Vous vendez d’ailleurs de petits appareils qui permettent aux gens de les enlever eux-mêmes. V.L. : Nous essayons que le patient soit autonome dans ses soins. Nous lui proposerons donc l’appareil adéquat, en lui donnant les conseils adéquats (retirer la tique au plus vite, puis surveiller l’endroit de la piqûre…). S’il est vraiment incapable de s’en sortir tout seul, nous l’aiderons bien sûr. Jusqu’ici, il ne m’est arrivé qu’une fois de retirer une tique moi-même à la pharmacie : il s’agissait d’un jeune scout, sans argent sur lui qui était en hike avec sa patrouille. Les choses sont claires à partir du moment où on réalise que le pharmacien est, certes le spécialiste du médicament, mais qu’il a en outre une formation générale qui lui permet de savoir quand et avec quel degré d’urgence il doit rediriger le patient vers le médecin. R.K. : Est-ce que vous dites aux femmes enceintes les médicaments qu’elles ne peuvent pas prendre ? V.L. : Oui, c’est très important ! Idéalement, même plus tôt, quand la patiente a un souhait de grossesse, si elle a arrêté la pilule, vient chercher un test de grossesse, nous devons lui donner des conseils par rapport aux médicaments à éviter et des mises en garde particulières concernant les aliments à éviter, le suivi par le gynécologue,... R.K. : Avez-vous parfois une suspicion de troubles mentaux chez un patient ? V.L. : Il y a des malades que l’on voit très souvent et l’on peut remarquer que l’un d’eux ne se souvient plus de ce que je lui avais dit quelques jours plus tôt ; il répète ce qu’il a dit une heure avant ; il est venu trois fois dans la journée ou j’ai l’impression qu’il prend ses médicaments très irrégulièrement. R.K. : Dans ces cas là, vous prévenez le médecin qui pourrait ne pas avoir remarqué cette confusion. Pouvez-vous donner des conseils sur les préservatifs, les vaccins, les diverses méthodes anticonceptionnelles ? correctement. Souvent, le patient a reçu l’information mais ne l’a pas retenue ou comprise parmi le flux de données transmises lors de la consultation médicale. Parfois aussi, les questions surgissent en sortant de la consultation. V.L. : Nous avons un rôle d’éducation et de prévention dans le domaine de la santé : informer sur la vaccination anti grippe, essayer de convaincre les personnes qui sont le plus à risque, répondre à leurs angoisses et à leurs questions. Ce qui est fréquent, ce sont des demandes concernant les précautions à prendre et les vaccins en cas de voyages dans certains pays. Nous pouvons donner des informations générales ainsi que des données de contact, comme celles des centres de vaccination agréés ou des « travel clinic ». R.K. : On vous demande parfois de conseiller un médecin. R.K. : Quand le malade dit au pharmacien des choses qu’il ne dit pas à son médecin, pour diverses raisons, quelle peut être l’attitude du pharmacien ? V.L. : Cela dépend de l’importance et du type de confidence... Dans ces cas il faut évaluer ce qui est important pour le bien-être du patient. Garder ou non le secret, selon que la connaissance par le médecin est importante ou non, pour la santé du patient. Le cas échéant, on téléphone au médecin. R.K. : Vous êtes probablement confrontée avec le tabagisme ? V.L. : Oui, avec un rôle de motivation et d’information sur les possibilités d’aide au sevrage, dont les substituts nicotiniques, qui peuvent être obtenus sans prescription, mais qui ont des contrindications, doivent être adaptés à chaque patient et ne sont pas toujours suffisants… R.K. : Est-ce que vous pouvez conseiller des examens biologiques ou autres ? V.L. : Pas nous-mêmes. R.K. : Et si le malade vous montre les résultats ? V.L. : C’est autre chose et cela arrive. S’il nous montre des analyses, des radios ou des courriers en disant qu’il n’y comprend rien, nous pouvons donner une information générale, tenter de répondre à ses questions. Certains patients doivent passer un examen et aimerait des détails : est-ce douloureux, ou dangereux, doit-on m’injecter des produits avant, pourrais-je conduire au retour ? C’est important de bien les informer, de compléter les informations données par le prescripteur s’il n’a pas eu le temps d’expliquer V.L. : Si on nous demande une suggestion de médecin dans les environs, il faut toujours en donner deux ou trois. C’est le patient qui fait ensuite son choix, sans influence. On nous demande de donner des cordonnées de médecin, de kiné, d’infirmières à domicile… R.K. : Même chose pour les hôpitaux, je suppose. Vous ne pouvez pas donner d’appréciation. V.L. : On fera en sorte de ne jamais dénigrer un hôpital ou un médecin, ce qui serait dommageable pour la relation de confiance du patient avec son prescripteur. Pourtant, parfois nous avons besoin d’une porte de sortie. Si l’on remarque que les prescriptions sont de pire en pire, qu’il y a des cumuls et des effets indésirables des médicaments, s’il est clair que le suivi de la maladie n’est pas optimal… En se basant sur les médicaments dont nous avons la responsabilité, la porte de sortie pourra être dans ces cas-là d’expliquer au patient que « pour votre diabète ou pour l’état de votre cœur, il serait bon que vous consultiez un spécialiste ». Parfois la confrontation avec le médecin est inévitable, par exemple quand il y a conflit entre deux médicaments : lorsqu’ils ont été prescrits par des médecins différents, il n’y a pas de problème, le médecin qui voit habituellement le patient est contacté. Par contre, si le risque émane de la prescription d’un seul médecin, il faut préparer le coup de téléphone, disposer d’arguments valides, référencés et proposer des alternatives. La réaction du médecin est variable, certains remercient le pharmacien de cette vigilance, d’autres réagissent assez mal et le pharmacien se trouve devant un dilemme. Si le patient pâtît de la situation, que le risque est trop grand, le pharmacien peut décider malgré tout de ne pas délivrer le médicament et en avertir le médecin. R.K. : Comme je le disais aux étudiants : « Dans des cas sérieux, le bien du patient passe avant la déontologie entre médecins. » Est-ce qu’on apprend les techniques de réanimation au pharmacien ? V.L. : Ce n’est pas inclus actuellement dans le cursus de manière pratique mais il existe un projet d’associer AMA CONTACTS - décembre 2013 7 les étudiants en pharmacie aux cours de premiers secours donnés aux cliniques St-Luc (Arrêt cardiaque, épilepsie, hémorragie etc..) R.K. : Quels sont les cours de médecine en pharmacie? V.L. : Il existe des cours de physiopathologie et de sémiologie mais la formation du pharmacien est surtout centrée, en plus de la chimie et de la galénique, sur la pharmacologie et la pharmacothérapie, avec recommandations de traitement par pathologie. Il y a un cours de pharmacologie pure, avec les classes de médicaments, les effets indésirables, les contrindications, interactions, posologies, puis un cours de pharmacothérapie où l’on repart de cette base pharmaco, pour l’intégrer dans les différentes pathologies. V.L. : J’ai participé à des groupes de ce type comme animatrice, ou comme participante : chaque fois il était flagrant que le fait d’être en petit groupe, de mettre des visages sur des noms ou des voix au téléphone était particulièrement positif et aboutissait à décider qui allait faire quoi et comment tous allaient avancer pour le bien des patients, dans le respect des compétences de chacun. R.K. : Savez-vous comment les choses se passent dans les pays voisins ? (1) V.L. : Le concept d’entretien pharmaceutique a été développé dans les pays voisins, avec notamment l’accompagnement des malades sous anti-vitaminiques K en France, mais aussi au Royaume-Uni ou encore en Australie… On va actuellement vers une meilleure visibilité et valorisation de ce que le pharmacien faisait déjà, avec pour but d’améliorer et d’intensifier la collaboration entre pharmaciens et médecins. R.K. : Est-ce qu’il y a des contacts entre pharmaciens et médecins en dehors des cas qui ont été cités ? V.L. : Oui ça existe mais ces rencontres doivent absolument être développées. Elles existent sur base d’initiatives locales. Un exemple de ces concertations médico-pharmaceutiques s’appelle les cercles de qualité, organisés de manière conjointe par la SSMG et la SSPF : médecins et pharmaciens, localement, se réunissent autour d’un thème scientifique, un dossier de promotion de la compétence validé par le CBIP. L’objectif est de confronter les recommandations de première ligne à la réalité du terrain. Ces soirées sont ensuite l’occasion de discuter d’un cas concret, d’une difficulté locale, d’un conflit, de mettre au point certaines pratiques… En dehors de ces initiatives, tout médecin ou pharmacien peut susciter une réunion, pour discuter du cas d’un patient. Ces ENM sont certainement une belle occasion de se réunir pour que chacun sache précisément comment compter sur l’autre… R.K. : Les médecins se rendront compte que les pharmaciens se trouvent parfois devant des problèmes délicats, mais qu’ils sont attentifs à ne pas outrepasser leurs compétences. 8 AMA CONTACTS -décembre 2013 R.K. : Les pharmaciens actuels ne sont plus des monsieur Homais auquel il arrivait d’exercer illégalement la médecine. (2) Grâce à vous, les médecins ont une meilleure connaissance du travail des pharmaciens, qui exige de la prudence, voire de la diplomatie. Avez-vous quelque chose à ajouter ? V.L. : Je me réjouis vraiment de la mise en place de ces entretiens. Nous avons prévu de préparer nos étudiants à la structure de ces rencontres et je suis persuadée que tout le monde y gagnera, patient, médecin, pharmacien et pouvoirs publics. Mais il faudra que chacun joue le jeu et que la concertation pluridisciplinaire autour du patient fonctionne. R.K. : Merci, madame, de vous être soumise à des questions, parfois un peu naïves, avec autant de bonne volonté. Vous avez la chance de donner cours, mais aussi de pratiquer la pharmacie d’officine, ce qui vous donne une connaissance des problèmes qui peuvent survenir entre médecins et pharmaciens. (1)voir http://www.canadavisa.com/pharmacists-3131.html (2) Une occasion de relire Madame Bovary L’assurance qualité des médicaments hier et aujourd’hui (1ère partie) Franz Philippart Le docteur Franz Philippart a été chirurgien vasculaire à la clinique Notre-Dame de Grâce à Gosselies et président du Conseil de l’Ordre des médecins du Hainaut. Depuis 2009, il est vice-président du musée Couvreur et se passionne pour la pharmacologie. Tel est le thème auquel le Centre d’études d’Histoire de la Pharmacie et du Médicament (CEHPM) avait consacré son symposium annuel qui eut lieu ce 24 mai 2013. Occasion de pénétrer ce vaste monde mystérieux du médicament, les exigences requises pour sa fabrication, les multiples tentations auxquelles elle est soumise. Occasion aussi de mesurer la profonde mutation de la profession de pharmacien et de contempler la longue route des pharmacopées. Il nous a semblé intéressant de présenter la substance de chacun des exposés en un condensé aisé à la lecture. La plupart des orateurs ont développé une introduction historique ; pour écarter les redondances, leur contenu a été réuni en un seul chapitre historique. LA THERIAQUE SOUS LE PLAN DE L’ASSURANCE QUALITE AUX DIFFERENTES EPOQUES C. CHARLOT, Professeur de Pharmacie Université de Montpellier La recherche de la qualité dans la préparation et l’usage de produits à visée thérapeutique n’est pas née à l’époque moderne à l’instar du développement des technologies. La thériaque semble en fournir la preuve. Remarquable par sa longévité (2000 ans d’emploi) et sa composition ( jusqu’à 100 produits), ce polypharmaque fut longtemps consacré à combattre les effets délétères des venins avant de voir élargir ses indications issues de l’humorisme de Galien : un médicament chaud pour des maladies froides. Theriaca est un terme signifiant « qui guérit les morsures des animaux venimeux ». Nicandre de Colophon (IIIe s. a.J.-C.) fit un poème en hexamères. Le philosophe allemand Schneider (XVIIIe s.) donna le nom d’iologie à la science des venins. Mithridate VI Eupator, roi hellénistique du Pont (IIe s. a. J.-C.), dans sa hantise d’un empoisonnement par son entourage, se livra à de nombreuses expériences sur lui-même et ses esclaves afin de mettre au point un antidote polyvalent : le mithridateion composé de 54 substances auxquelles il s’était accoutumé. Néron se saisit de la formule et en confia l’adaptation à son médecin Andromaque qui en fit un électuaire auquel il incorpora opium et chair de vipère. À cet électuaire, Criton, médecin de Trajan donna le nom de « thériaque ». La vipère y figurait en partant du principe que ce reptile produit du venin qui est présent dans son corps sans lui causer aucun dommage, ce qui laissait supposer que son corps contenait un antidote particulièrement actif. La formule fut reprise par les Arabes puis revint en Occident où elle connut un grand succès. Celui-ci était dû au mélange de produits des 3 règnes, au cumul de leurs vertus et donc à leur utilité dans un grand nombre d’affections. Cet engouement thériacal induisit deux effets pervers : d’abord, chaque communauté voulut avoir « sa» thériaque ; d’où une grande variété de formules, de AMA CONTACTS - décembre 2013 9 composants et de dosages, notamment pour l’opium. Ensuite apparurent les triacleries et leurs triacleurs, charlatans procédant à des adultérations de la formule pour en réduire le cout et accroitre le bénéfice au détriment de l’efficacité. Ainsi l’opium était remplacé par du suc de chélidoine ou de la gomme arabique. Pour y obvier et rassurer les consommateurs, il fallut contrôler la qualité. Ainsi en arriva-t-on à la préparation en public. Le plus célèbre fut celle de Venise. Mais il y eut aussi celles de Nuremberg, de Montpellier. Les produits étaient d’abord exposés au public. La préparation était assurée par des apothicaires assermentés en présence de 2 médecins qui apposaient leur sceau au terme d’une opération pouvant durer parfois 15 jours. Cette procédure publique peut être considérée comme ancêtre du contrôle de qualité des produits pharmaceutiques à visée humaine. Charas et Lemery (XVIIe) réduisirent le nombre d’ingrédients ainsi que la dose d’opium. En 1884, elle n’était plus que moitié de celle du XIVe siècle. La thériaque fit partie de l’arsenal thérapeutique jusqu’au XXe siècle et disparut du codex en 1907. LA MAITRISE DU RAPPORT EFFICACITE/SECURITE DU MEDICAMENT Madame DEMERBE, Belgian Regulatory Affairs Society (BRAS) Christian Clavier en malade imaginaire L’auteur démontre que l’histoire du médicament illustre la pérennité de la quête d’un rapport efficacité/sécurité maximal. Molière en son « Malade imaginaire » proclamait voici 340 ans que « presque tous les hommes meurent de leurs remèdes et non pas de leurs maladies ». 10 AMA CONTACTS - décembre 2013 Trois cents ans plus tard, Ivan Illich dans « Némésis médicale » (1975) ne dira pas autre chose, en termes moins fleuris. Dans la première moitié du XXe siècle, la Belgique se dote de législations relatives aux stupéfiants, à l’instigation d’organismes internationaux soucieux de réglementer le trafic de l’opium (Loi du 24 février 1921 ; arrêté du Régent du 6 février 1946). Après la guerre 40-45, surviennent deux drames d’ampleur inégalée qui servirent de déclencheurs à l’instauration de mesures visant à maximiser la sécurité. Ce furent : L’affaire du Distilbène, œstrogène de synthèse commercialisé en 1947 comme préventif des avortements spontanés. En 1970 lui sont attribués des cancers génitaux chez des fillettes nées de mères ayant consommé ce produit durant leur grossesse. Le second drame fut l’affaire de la Thalidomide : ce tranquillisant de synthèse est prescrit comme antinauséeux chez la femme enceinte à partir de 1957. Il s’avéra responsable de nombreux cas de phocomélies (12 à 20.000 !) frappant les enfants nés de mère ayant tâté de ce produit. À partir de ces accidents, la Belgique adopta un train de mesures préventives : 1. Renforcement d’exigences pour le dossier d’autorisation de mise sur le marché (A.M.M.) : Quant à la toxicologie, quant aux essais précliniques et cliniques, quant à l’exhaustivité des notices d’information (résumé des caractéristiques du produit : R.C.P.), adoption du Common Technical Document (CTD). 2. Etude de la validité des vieux produits : preuves de leur efficacité et de leur sécurité. 3. Régulation de la publicité et de l’information : A.R. du 9/07/1984 et du 7/04/1995. 4. Installation de la pharmacovigilance : Création d’un centre (CBPH) ayant pour mission de collecter les effets indésirables et de les communiquer aux titulaires de l’A.M.M. et à la Banque européenne (EUDRA-CT) ; au sein des firmes pharmaceutiques, pour obtenir le renouvellement quinquennal de l’A.M.M. 5. Réglementation relative aux essais cliniques : Loi du 7/05/2004 ; inclusion d’études pédiatriques (P.I.P.). 6. Condensation actualisée de toutes ces mesures dans l’A.R. du 14/12/2006 relatif aux médicaments (aussi appelé Arrêté-mammouth). 7. Création de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFPMS) : Loi du 20/07/2006, missions d’inspection et d’évaluation des plans de gestion des risques 8. En 1970, création du Centre belge d’information pharmaceutique (CBIP) par des professeurs de pharmacologie d’universités belges. Il se donne comme mission d’assurer une formation continue aux praticiens de la santé au moyen de mises à jour dans le domaine thérapeutique : répertoire commenté des médicaments, Folia pharmacotherapeutica, fiches de transparence, réunions de consensus. En conclusion : l’auteur souligne qu’un long chemin a été parcouru, mais que la matière du rapport efficacité sécurité est une tâche sans fin. De nombreux défis la perpétue dont les actuels : médicaments ciblés, forums sur internet, extension de la vigilance au sang et aux matériaux. Rigueur et transparence dans la communication entre intervenants, sont impératives. LA QUALITÉ DANS L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE : DU CONTRÔLE À L’ASSURANCE J. SCOUVART, Pharmacien d’industrie, U.C.B. Pharma Belgium Après un rappel historique sur la genèse des pharmacopées, l’auteur souligne que le XIXe siècle vit l’essor de la chimie, ce qui permit d’isoler le principe actif de certaines drogues : 1803, la morphine par Saturner et 1829, la salicyline par P.J. Leroux. La synthèse devient aussi possible, comme celle de l’acide acétylsalicylique en 1853 par C.F. Gerhardt. Ce produit étant impur, Hoffman F. obtint un produit pur en 1894, dans le laboratoire Bayer ; ainsi débuta la production industrielle d’aspirine. Cette époque est donc aussi celle de l’industrialisation. À New York en 1849 est fondée la Société Charles Pfizer & Cie pour commercialiser la santonine, antihelminthique intestinal. À Bâle, en 1896, nait la firme Roche. Voient aussi le jour des machines à produire comprimés et suppositoires. Ainsi nait « la spécialité » qui se définit comme médicament conditionné dont la présentation est destinée à améliorer les qualités pharmacologiques, résultat d’un savoir faire censé en garantir qualité, efficacité et pureté des composants. Quant à la quête de qualité, elle évoluera de manière rétroactive et erratique au prorata d’incidents dont certains se soldèrent par la perte de vies humaines. À chaque épisode, le législateur tenta d’opposer des barrières mais elles s’avérèrent insuffisantes car n’amenant que des résultats partiels et une sécurité illusoire. À la qualité de la substance devait s’ajouter celle du processus de fabrication. En 1968, l’O.M.S. propose un Guide des bonnes pratiques de fabrication calqué sur celui adopté par les U.S.A. en 1963. L’Europe prit le relai en créant en 1970. La « Pharmaceutical Inspection Convention » (P.I.C.) qui publiera en 1989 le Guide européen des bonnes pratiques de fabrication. Dans un souci d’harmonisation, est créé à Paris en 1990 l’International Conference of Harmonisation (I.C.H.) rassemblant U.S.A, Europe et Japon. Depuis sa naissance, l’I.C.H. a réuni des experts qui ont proposé une trentaine de guidances. La série E a trait à l’efficacité des médicaments tandis que la série Q s’attache aux aspects liés à la qualité. Ces guidances deviennent référentielles dans les 3 zones concernées. Mais, au prorata du temps et d’incidents divers, il est apparu que garantir la qualité du produit fini sur la seule base d’un contrôle de qualité final est parfaitement illusoire. La raison en est que le contrôle ne trouve que ce qu’il cherche ; ainsi, si un produit répond à des critères préétablis figurant au dossier d’autorisation de mise sur le marché (A.M.M.), rien ne garantit qu’il ne présente aucun risque pour le patient. Il importe donc que le contrôle de qualité soit intégral et porte sur tous les éléments intervenant dans la fabrication. Actuellement s’impose à l’industrie le système de qualité pharmaceutique décrit par l’I.C.H. Q10 ; celuici inclut l’assurance de qualité, concept très large couvrant toutes les matières qui individuellement ou collectivement influencent la qualité d’un produit. Voilà qui implique connaissance et maitrise du procédé de fabrication tenant compte des risques encourus. Ainsi, le respect conjoint des documents ICH Q8 relatif au développement pharmaceutique, ICH Q9 gestion du risque et ICH Q10 permettrait en cours de production, une surveillance continue des paramètres critiques. Leur maintien dans les limites prescrites garantirait à lui seul la qualité du médicament rendant le contrôle de qualité superflu. Qualité = ICH Q8 + Q9 + Q10 Du contrôle final au contrôle permanent Mieux vaut maîtriser que jeter AMA CONTACTS - décembre 2013 11 LA PHARMACOPEE EUROPEENNE P. LEVEAU, Dr en pharmacie, D.E.Q.M., Conseil de l’Europe cament). En 1967 est publiée la première édition. En 1975 sont rendues obligatoires les monographies de la pharmacopée européenne dans la constitution des dossiers d’enregistrement. Présentation : La pharmacopée européenne en est actuellement à sa 8e édition. Elle comprend : 331 méthodes générales, 2200 monographies spécifiques : vaccins, sérum ; produits dérivés du sang ; produits pharmaceutiques (soit 50% substances chimiques et 11% herbes et végétaux) ; produits radiopharmaceutiques ; préparations d’insuline. La rédaction est assurée par 800 experts européens mis à disposition par les 37 états membres répartis en 74 groupes de travail. Le contenu est disponible : en version papier, en ligne ou sur clé USB. La base juridique est la directive 2001/83/CEE relative aux médicaments à usage humain (et la 2001/82/CEE pour ceux à usage vétérinaire). Genèse : les grandes étapes Le premier Congrès international de pharmacie eut lieu à Brunswick en 1865. On y propose l’unification supranationale des pharmacopées en une qui serait universelle et aurait valeur impérative dans tous les états concernés par le projet. En 1902 se tint à Bruxelles une première réunion ayant pour thème : L’unification de la formule des médicaments héroïques (Héroïques = très actifs). Les conclusions reçurent le nom d’Arrangements de Bruxelles. Le Pacte de la Société des Nations, signé en 1919, crée un secrétariat permanent près de la Commission belge de la Pharmacopée afin d’en mettre au point une commune qui contiendrait 80 médicaments importants. Ce sera un échec. En 1952, dans l’esprit de la Charte des Nations Unies, voit le jour la première édition de la Pharmacopoea Internationalis rédigée sous l’égide de l’OMS par un ensemble d’experts. En 1948 est signé le Pacte de Bruxelles qui réunira 7 pays d’Europe. En son sein, en 1951, est lancée l’idée d’une pharmacopée européenne, dont la rédaction est confiée à un groupe de travail constitué des représentants des Commissions nationales de Pharmacopée. Les travaux se terminent en 1963 alors que les activités ont été transférées au Conseil de l’Europe. Qui confie la finalisation à une commission appelée DEQM (Direction européenne de la qualité du médi- 12 AMA CONTACTS - décembre 2013 Procédure : Demande de création de brevet (ou de révision) kApprobation par la commission qui détermine un programme de travail et fixe les principes généraux applicables à une monographiekÉtude fait par un groupe de travail (experts) en collaboration avec le fabricantkEnquête publique (3 mois) via PharmeuropakAdoption par la Commission = décision immédiate sans transit par une autorité nationalekMise en application endéans les 6 mois. Valeur : Référence officielle pour les services de santé publique ; procédure et contrôle de qualité applicables durant toute la vie du médicament ; application obligatoire à la même date dans tous les états membres. Pour le futur : Monographies sur : Thérapies innovantes : géniques et transfert génétique ; méthodes rapides en microbiologie ; plantes de la médecine traditionnelle chinoise ; médecine ayurvédique; cellules souches autologues. Harmonisation : Extension de normes de qualité à un niveau mondial ; éviter les essais redondants ; surveillance de la libre circulation et du commerce des médicaments. (Suite au prochain numéro) Handicapés célèbres Sarah Bernhardt (1844-1923) La passion des planches René Krémer Sarah Bernhardt est née de père inconnu. Sa mère était une courtisane, juive de naissance, élevée dans la religion catholique. La date et le lieu de naissance de la petite Sarah ont disparu dans le pillage de l’Hôtel de ville de Paris, lors de la Commune. Les médecins la considéraient comme une enfant fragile, avec toutefois une volonté de fer et un caractère très capricieux. Les sœurs de Notre Dame du Grand Champ à Versailles remarquent ses qualités, lorsqu’elle joue l’ange Raphaël dans un scénette organisée par l’école. Elle souhaite devenir religieuse, mais les sœurs, connaissant son caractère têtu et libre, lui proposent de se présenter au conservatoire. A l’examen d’entrée, elle n’a pas trouvé d’interlocuteur pour lui donner la réplique. Elle choisit une fable de Lafontaine et est admise. Sa diction n’est pas parfaite. Pour l’améliorer, on lui fait mettre un petit morceau de caoutchouc en bouche, pour éviter qu’elle parle « les dents closes ». Sa voix n’est pas forte. Sa parole déclamatoire serait difficile à supporter aujourd’hui. Très professionnelle, elle étudie l’anatomie pour découvrir les poses et les gestes qui feront l’originalité de son talent de comédienne. Son visage est très expressif : elle parvient à lever le regard et à ne montrer que le blanc des yeux. Elle a parfois le trac, prête à s’évanouir, mais il s’agit peut-être d’une « mise en scène » ! Elle s’identifie totalement à son personnage. Elle « débraie » parfois, c’est-à-dire qu’elle accélère le débit de parole, quand le texte ne lui parait pas intéressant. Son jeu de scène original et émouvant enthousiasme le public. Elle plait surtout à Londres et aux USA, où elle fait de longues tournées et gagne beaucoup d’argent. Dans Hamlet ou Macbeth, les spectateurs connaissent le scénario et le texte, mais sont séduits par le jeu de scène. En outre sa maigreur lui permettra de jouer des rôles masculins, comme Chérubin dans le Mariage de Figaro et l’Aiglon dans la pièce d’Edmond Rostand. Quand elle est dans une situation difficile, elle simule une syncope ou un crachement de sang, en se piquant la gencive avec une épingle cachée dans un mouchoir. Elle a des amants dont elle accepte et encourage même une participation financière. Maurice, l’enfant L’aiglon du Prince de ligne, gardera le nom de sa mère, le Prince ayant payé, mais n’ayant pas voulu reconnaitre l’enfant. On lui attribue la phrase impertinente : «Quand vous tombez dans un buisson d’épines, vous ne pouvez pas savoir laquelle vous a piqué. » Parmi les conquêtes de Sarah, on cite notamment Victor Hugo, Gabriele d’Annunzio, Monnet Sully, Gustave Doré, Jules Lemaitre, Lucien Guitry… et probablement quelques aventures lesbiennes. Mais personne n’avait tenu la chandelle. Elle eut ensuite la mauvaise idée d’épouser Aristide Damala, un russe morphinomane, qui ne lui causa que des ennuis. Certains biographes pensent qu’elle était frigide. Une lettre de Sarah à Victor Hugo pourrait le faire croire : «Je ne suis pas faite pour le bonheur. Je vis d’émotions sans cesse renouvelées. Je reste aussi inassouvie le lendemain que la veille. » Sarah, aimait sa mère, vivait avec sa sœur qui mourra de tuberculose à 18 ans et adorait son fils Maurice qui refusera l’adoption tardivement proposée par le Prince de Ligne. Patriote exaltée tout en se disant pacifiste, elle visita les blessés pendant la Commune. En 14-18, elle crée au théâtre de l’Odéon une ambulance pour soigner les blessés de la Grande Guerre. Lors AMA CONTACTS - décembre 2013 13 de ses séjours aux Etats-Unis, elle supplie les américains d’entrer dans la guerre. En Australie, son arrivée est saluée par la Marseillaise et des coups de canon. Clemenceau estimait « qu’elle devait être protégée comme un trésor national tel le Louvre ». Elle était, disait-il, sur la liste des otages des allemands (!) Elle recevra la légion d’honneur. Sa devise « Quand même », peut avoir une application très étendue et justifier bien des choses. Au théâtre, elle est tantôt tendre, séduisante et infatigable, tantôt exigeante, d’une volonté sauvage, « féline ». Elle se dispute avec l’administration rigide de la Comédie française. Ses conflits avec les autres acteurs, jaloux, prennent parfois une tournure violente, surtout quand elle veut imposer certains amants comme partenaires. Après avoir été engagées par plusieurs théâtres, dont par deux fois à la Comédie française (1). Elle finit par acheter le théâtre des Nations, auquel elle donnera son nom, qu’il porte encore de nos jours: Théâtre de la ville – Sarah Bernhardt. Elle y habitait et y prenait ses repas dans un décor qu’elle choisissait selon son humeur. Je ne crois pas utile d’ajouter ici les anecdotes apocryphes qu’on attribue à Sarah, car elles sont peutêtre inventées mais certainement corsées par le bouche à oreille. Sarah elle-même racontait des histoires douteuses qui avaient pour but d’entretenir sa réputation selon le principe : « Que l’on parle de vous en bien ou en mal, le principal est que l’on en parle. » Marie Colombier, une ancienne amie de Sarah a publié en 1883 un livre intitulé « Les Mémoires de Sarah Barnum » qui, d’après André Castelot, n’est qu’« un flot d’immondices ». Par contre, il est vrai qu’elle dormait dans un cercueil et s’entourait d’animaux sauvages. Sarah Bernhardt dormant dans son cercueil 14 AMA CONTACTS -décembre 2013 C’est ainsi qu’elle tue un crocodile, qui avait mangé son petit chien, et le fait empailler en disant à tout le monde « c’est la tombe de mon petit chien ». On la photographie aux USA sur une baleine échouée sur le rivage : elle était sponsorisée par un marchand de corsets. Son Handicap Le problème de sa jambe commence dans la petite enfance : lorsque sa mère l’envoie au couvent, elle se jette par la fenêtre et se casse, parait-il, le bras et la rotule. La convalescence est assez longue. Ses jeux de scène, notamment lors des morts subites et des colères, étaient assez violents. « Tout est question de souplesse », disait-elle, « on ne se fait mal que si l’on n’est pas souple ». Elle « tombait » souvent en prière et s’abimait chaque fois un peu plus le genou droit. Ce qui l’obligeait à prendre du repos. Un de ses grands succès fut la Tosca de Victorien Sardou, où elle se suicidait en se jetant du haut du château Saint-Ange, atterrissant sans problème sur des matelas épais. En 1905, à Rio de Janeiro, elle fait une chute brutale sur le sol. Il y a deux versions de cet évènement : soit un oubli ou une mauvaise position des matelas, soit une chute dans l’escalier par lequel elle devait descendre. La douleur fut telle qu’ « elle perdit ses esprits » et ne put remonter sur scène pour saluer le public. En très peu de temps « sa jambe doubla de volume ». Elle jouera encore la Tosca, mais au lieu de se suicider, elle sera poignardée par un spadassin de Scarpia. Elle prend néanmoins le bateau pour les Etats-Unis où une tournée était prévue. En scène, des chaises, tables, guéridons ou commodes sont mises sur son chemin pour lui donner des appuis et elle reste assise le plus longtemps possible. Des cures de bains de boue à Dax se révèlent inefficaces et on doit lui plâtrer le genou. Ne voulant pas rester inactive, elle donne des conférences sur l’art théâtral et pratique la sculpture et la peinture, sans grand succès. Son médecin, le docteur Pozzi, diagnostique une tuberculose osseuse avec gangrène (2): la douleur devient intolérable. La tuberculose pourrait s’expliquer par le fait que Sarah a logé longtemps avec sa sœur morte de tuberculose. D’autre part, si la blessure de la jambe avait une plaie ouverte, on pourrait penser que la gangrène s’est installée sous le plâtre. Elle écrit à son médecin : « Je veux qu’on m’enlève cette jambe, un peu au dessus du genou, sinon je me tire un coup dans le genou et vous devrez bien enlever la jambe. En retirant ma jambe de bois, je pourrai prendre un bain tous les jours. Je ferai des conférences et donnerai des leçons. » Pozzi l’envoie à un de ses élèves à Bordeaux qui procède à l’amputation. Elle essaie de nombreuses jambes de bois, puis finalement, fait construire une chaise à porteur étroite, style Louis XV. Le cirque Barnum lui offre 100 000 livres pour sa jambe amputée qui serait exposée comme curiosité médicale. Malgré son besoin d’argent, elle refuse en répondant « quelle jambe ? ». (3) Avec un courage extraordinaire, elle continue ses activités même aux USA et en Australie. Assise, elle récite des poèmes. Elle joue des extraits de pièces qui lui permettent de rester couchée ou assise, tels le dernier acte de la Dame aux camélias et la mort de l’Aiglon et de Cléopâtre. Elle joue Athalie appuyée au dossier de sa chaise à porteur, « avec un air si dominateur qu’on oublie qu’elle est assise ». Au théâtre des armées, près du front, elle saute sur une seule jambe. « Je fais la pintade » dit-elle. A 77 ans à Londres, elle représente un poilu couvert de sang rampant sur le sol pour reprendre à l’ennemi le drapeau de son régiment. Sarah Bernhardt au Théâtre des Armées « Elle joue en dehors du temps et psalmodie sur le plan de l’éternité. Son tragique et beau visage témoigne qu’il n’existe pas d’irréparables outrages. » (François Mauriac) On écrit pour elle des pièces de théâtre sur mesure, notamment « Daniel », l’histoire d’un jeune morphinomane dont l’état exige qu’il soit alité, histoire qui lui rappelle sans doute son mari. Dans « la Gloire », elle joue le rôle titre et débite des vers, assise dans une chambre noire. A la reine d’Angleterre qui lui recommande de se reposer, elle répond : « Majesté, je mourrai sur la scène, c’est mon champ de bataille. » Sacha Guitry lui propose un rôle dans une pièce, où il joue lui-même avec Yvonne Printemps. Sarah a de la peine à mémoriser le texte et s’évanouit dans sa loge. Elle est passionnée par le cinéma naissant, «cette manivelle enregistrait tout, sauf le verbe». Elle tourne quelques films muets, notamment «Le duel d’Hamlet, la reine Elisabeth, l’exécution d’Essex et la voyante» avec Marie Marquet et Harry Baur. Dans ce dernier film, tourné à domicile, elle incarne une vieille voyante, une petite guenon dans les bras (de nombreux extraits sont disponibles sur Youtube). Peu avant ses 80 ans, le 23 mars 1923, elle s’éteint, victime, dit-on, d’une crise d’urémie, courageuse jusqu’à son dernier souffle. Ce qui est admirable chez Sarah Bernhardt, c’est son jeu de scène original et son ardeur au travail malgré son grand âge pour l’époque et un handicap qui semblait inconciliable avec le métier d’actrice. Plus jeune, elle serait surement devenue une grande star de ce qu’on appelait le cinématographe. D’où vient, chez les humains, ce besoin de poursuivre un but même quand ils savent que la mort est proche ? Chez l’animal, c’est normal car il ne sait pas qu’il va mourir. Chez nous, c’est probablement dans nos gènes. Ouvrages consultés Sarah Berhnardt. Ma double vie.1907 Sophie Aude Picon. Sarah Bernhardt. 2010 André Castelot. Sarah Bernhardt.1961 Michel Peyramaure. La divine. Le roman de Sarah Bernhardt. 2003 Vidéo, Sarah Bernhardt : her silent films, her recordings, http://youtu.be/o0jM08kgwds Vidéo, Bernhardt : Queen Elisabeth, http://youtu.be/ RbYnGJQ-ku0 Caroline de Costa et Francesca Miller. Sarah Bernhardt’s missing leg. The Lancet, vol. 374, 9686, juillet 2009, p. 284-285 (1) Sarah Bernhardt a joué la dame aux camélias au théâtre de l’Eden à Charleroi en 1892. (2) On retrouvera une jambe étiquetée de son nom dans un service d’anatomopathologie à Bordeaux en 2007, mais c’est une jambe gauche, sectionnée sous le genou. L’employé avait sans doute jeté la vraie jambe et l’avait remplacé par une autre prise au hasard. (3) Récemment, un auteur américain a réétudié la maladie de Sarah. L’auteur évoque le diagnostic d’arthrite inflammatoire récurrente, d’origine probablement tuberculeuse, qui a évolué pendant un quart de siècle : « Sarah’s Knee : A famous actress with chronic, inflammatory monoarthritis » de Pinals Robert, Journal of Clinical Rheumatology, vol. 10, no 1, feb 2004. AMA CONTACTS - décembre 2013 15 Interview de l’AMA-UCL Luc Delaunois Le poumon, le poumon, vous dis-je René Krémer : Je suis heureux de t’interviewer, cher Luc, à l’aube d’un Eméritat plus que mérité. Tu es originaire du Hainaut ? Luc Delaunois : Je suis né dans la banlieue de Mons, à Jemappes en 1947 pour être précis. Je fais partie du babyboom de l’après-guerre. RK : Ton père était médecin ? LD : Oui, médecin militaire. Il n’avait toutefois pas initialement l’intention de poursuivre une carrière militaire, mais bien de partir au Congo. A l’époque, il n’avait pas obtenu, pour l’UCL, la bourse qu’il espérait, ayant mérité la médaille d’or à l’Athénée. En raison de difficultés financières au cours des études, il s’est engagé à l’armée. En 1939, il a suivi les cours d‘hygiène et de médecine tropicale, puis a été mobilisé en 1940. Il a fait la guerre, puis la résistance et les camps de concentration. A la libération, sa santé étant fragile, il est resté à l’armée. Il n’avait toutefois pas une vocation militaire et a continué la médecine générale dans le coron du charbonnage de Ghlin, son village natal où il a pratiqué jusqu’au début des années nonante. J’ai été élevé dans le mythe de Louvain, où l’on apprenait certes la science médicale, mais aussi « la bonne manière de se conduire ». Parmi mes frères et sœurs, sept d’entre eux ont fait leurs études à l’UCL et le 8ème en polytechnique à Mons. Au collège des Jésuites, on me conseillait de commencer ma médecine aux facultés de Namur, mais mon père ne jurait que par Louvain. RK : Comment en es-tu arrivé à la pneumologie ? LD : C’est un long trajet. En doctorat, j’ai fait un stage en maternité au Maroc, sur le conseil de Gaston Verellen ; j’ai été séduit par la mise d’enfants au monde. Arrivé à la fin de mes études, j’envisageais le choix de l’obstétrique, mais sur l’insistance de mon père, j’ai passé malgré tout le concours de médecine interne. Je suis ensuite parti en Israël, à l’hôpital universitaire Hasharon à Tel-Aviv, où les étudiants de l’UCL pouvaient faire une partie de leurs stages. J’ai pu y 16 AMA CONTACTS - décembre 2013 pratiquer l’obstétrique et cela me plaisait beaucoup. C’était un hôpital social : beaucoup de parturientes et d’infirmières étaient des juives séfarades qui venaient d’Algérie ou du Maroc et étaient contentes d’avoir de jeunes médecins qui parlaient le français, leur langue maternelle. C’est là que j’ai reçu une lettre de Jean-Louis Michaux, qui m’annonçait que j’avais réussi le concours et me convoquait en Belgique pour commencer l’assistanat. Mon patron israélien, le Professeur Halbrecht, me conseilla de commencer au moins la première année de médecine interne, quitte à changer d’orientation après : « Un tien vaut mieux que deux tu l’auras » me dit-il. J’ai passé la première année de médecine interne chez Eugène Lebacq, un excellent pédagogue, dont le service était une bonne école et qui m’a donné le goût de la médecine interne. En fin d’année, je pensais choisir la néphrologie, car les cours de Charles Van Ypersele m’avaient beaucoup plu. L’année suivante, j’ai cependant été envoyé en pneumologie à Mont-Godinne. J’ai demandé « Pourquoi Mont-Godinne ? » ; on m’a répondu « parce que tu es célibataire ». RK : Godinne était assimilé à l’occupation belge en Allemagne où les célibataires étaient envoyés à la frontière de la RDA ! LD : Non, je crois que c’était parce qu’on y trouvait plus facilement un logement dans l’hôpital même. J’ai prévenu Jacques Prignot que la tuberculose et la bronchite chronique n’étaient pas ma tasse de thé. Il m’a conseillé d’aller au laboratoire de Jean Lulling, où j’apprendrais le Ph et la PCO2, données qui me seraient utiles en néphrologie. C’est dans ce laboratoire que j’ai pris goût à la recherche. J’ai ensuite été à Leuven dans les services des professeurs Arcq, Michaux, Meunier et Francis. J’avais déjà le virus de la pneumologie, ayant travaillé et publié avec Jean Lulling sur la diffusion à l’oxyde de carbone. On m’a suggéré de partir au Canada. Grâce à des publications dans le Bulletin européen de physiologie respiratoire, j’ai obtenu une bourse pour un séjour à l’Université McGill. RK : Tu étais déjà marié ? LD : Je m’étais marié pendant mes années d’assistanat à l’UCL. Mon épouse, que j’avais connue comme infirmière à Jolimont, m’a accompagné au Canada et y a travaillé un certain temps. Elle a du arrêter brutalement à cause d’une loi canadienne qui décrétait que les étrangers doivent cesser de travailler dans un domaine, lorsque le chômage s’y installe. Or, à ce moment, beaucoup d’hôpitaux fermaient. Ce fut un problème pour nous parce que les bourses de recherche étaient plutôt maigres (650 dollars canadiens par mois). Comme infirmière, mon épouse gagnait beaucoup plus que moi. LD : Non, depuis 1988. Vous-même avez tenté de le relancer en 1990 avec le concours de Jacques Lammerant. Personnellement, j’étais alors chef de service depuis 1989 et ma charge clinique était devenue trop importante. En effet, Robert Renoirte, qui s’occupait de pneumo-allergologie, étant décédé, j’avais été amené à reprendre ses activités cliniques et à apprendre cette partie de la pneumologie que je n’avais jamais pratiquée. En outre, Victor Moia et Joseph Steyaert m’avaient entretemps formé en broncho- et pleuroscopie. Cela m’a bien servi lorsque, 10 ans plus tard, la bronchoscopie à tube rigide est redevenue indispensable aux interventions endobronchiques (laser et prothèses), et que les plus jeunes n’avaient pas connu cette technique. LD : Nous n’avons pas eu d’enfants, mais nous avons pu nous occuper de trois de mes neveux dont les parents vivaient en Afrique. Aucun des neveux que nous avons hébergés n’a choisi la médecine, car ils ne voulaient pas mener ce qu’ils appelaient ma «vie de fou». Jacques Prignot désirant développer le volet biologique des pathologies respiratoires, nous avions encouragé Yves Sibille à partir se former à Yale. Mont-Godinne ne possédant pas les infrastructures techniques permettant des analyses moléculaires de haute précision, Yves Sibille, à son retour en 1985, développa sa recherche à Woluwe et la clinique à MontGodinne. Grâce à ce nouveau soutien, j’ai pu alors ralentir un peu mes activités cliniques et terminer ma thèse d’agrégation sur « Le contrôle cholinergique de la ventilation régionale et collatérale dans un modèle canin ». Le sujet de mon travail de thèse est depuis revenu à la mode : on sait aujourd’hui que la dyspnée dans la bronchite chronique s’améliore en diminuant l’air trappé, et pas seulement en améliorant le débit bronchique, d’où l’intérêt d’appréhender la ventilation collatérale. Pendant les années 80, il y eut par ailleurs une explosion de nouvelles techniques cliniques en pneumologie comme le laser, l’endoscopie interventionnelle, l’oxygénothérapie et la ventilation assistée à domicile, et la médecine du sommeil, techniques auxquelles il fallut nous adapter. Par après, ce fut le tour de la transplantation pulmonaire, développée à Mont-Godinne depuis plus de vingt ans. RK : N’as-tu pas pensé à rester au Canada ? RK : Quel était le sujet de ta leçon publique ? LD : Si ! Au bout de deux ans à McGill, l’Hôtel-Dieu de Montréal a développé un laboratoire de recherche et m’a proposé une année de plus chez eux. Jacques Prignot a probablement eut peur que je ne revienne pas et m’a dit : « c’est maintenant ou jamais ». Il est venu à Montréal pour discuter avec mes patrons. En arrivant à Mont Godinne, j’ai créé un laboratoire de physiologie respiratoire animale. LD : Justement sur la prise en charge des apnées du sommeil. RK : Vous aviez des enfants ? RK : Il n’y a plus de labo actuellement ? RK : Et ensuite ? LD : Jacques Prignot a pris sa retraite en 1989. Son successeur, Charles Francis a eu un terrible accident peu après, et nous avons dû nous partager la responsabilité du service de pneumologie de l’UCL et de l’enseignement, Daniel Rodenstein et moi. AMA CONTACTS - décembre 2013 17 RK : Tu as également donné des cours aux Facultés de Namur ? LD : Oui, de 1985 à 92. Cet enseignement commun de la physiopathologie respiratoire avec Namur remonte maintenant à 50 ans, depuis Victor Moia. En 1992, Daniel Rodenstein partant en année sabbatique, j’ai du prendre en charge tous les cours et cliniques de pneumologie à Woluwe et j’ai dû me faire remplacer aux FNDP par Patrick Weynants, puis par Eric Marchand après le décès de Patrick. La charge des cours UCL suffisait. Je n’ai d’ailleurs jamais tenu à donner seul la totalité du cours, non seulement pour garder un équilibre Godinne-Woluwe, mais aussi parce que tel ou tel collègue connaissait mieux une matière précise. RK : Il faut toutefois que quelqu’un assure la plus grande partie du cours pour qu’il y ait une école, que ceux qui ne donnent qu’un cours n’aillent pas trop loin dans les détails et qu’il n’y ait pas plusieurs fois le même exposé ou des contradictions. LD : C’est vrai que pour donner un enseignement cohérent, il faut une certaine unicité. Mais en ce qui concerne la chirurgie thoracique par exemple, il eut été injuste de donner le cours à la place des chirurgiens : j’allais donc assister à leurs cours, pour que les questions d’examen correspondent à ce qu’ils avaient enseigné. Nous avons pu ainsi réaliser un enseignement diversifié en associant non seulement les chirurgiens, mais également les radiologues, les anatomopathologistes, les pharmacologues et les pédiatres : en collaborant, nous avons pu donner un cours d’école. Lors de mon éméritat, une généraliste m’a dit que notre syllabus était un des rares qu’elle ait gardé. Les premières leçons étaient consacrées à la propédeutique, car il faut se dire que nous formons environ 50% de médecins généralistes, pour lesquels l’approche clinique de base est primordiale. Par exemple Jonathan Pardee, le cardiologue, a décrit un indice qui additionne l’intensité du bruit de la respiration devant, derrière et le côté du thorax qui peut ainsi prédire s’il s’agit d’un emphysème ou d’une autre maladie respiratoire. Voici donc un signe simple, riche de renseignements. RK : Je me souviens d’une conférence, cours où tu mimais les différentes formes de toux. Cela m’avait impressionné. 18 AMA CONTACTS - décembre 2013 LD : Il n’y a pas moyen de faire autrement, si on n’a pas d’enregistrement. J’ai depuis amélioré la documentation par l’audiovisuel. En pneumologie, l’examen clinique et l’anamnèse sont extrêmement importants. RK : Quelles ont été tes relations avec l’étranger ? LD : J’ai, bien entendu, participé à de nombreux congrès, dont ceux de l’American College et de l’American thoracic society dont j’étais membre, et à de multiples réunions scientifiques de pneumologie. La majorité des travaux qui ont été réalisés dans le service ont été présentés à de grands congrès américains. J’ai fait partie du conseil d’administration de la Société de Pneumologie de Langue Française à Paris et ai collaboré aux divers congrès qu’elle organisait. J’ai également fait partie des premiers membres de l’European Respiratory Society. Mes voyages ont été presqu’entièrement consacrés à des activités scientifiques. Je n’ai pas participé à des activités d’aide à des pays en voie de développement comme toi en Bolivie. RK : C’est Charles Chalant qui m’a entrainé à ce genre d’activités qui me plaisait d’ailleurs beaucoup, également au Zaïre et en Roumanie. LD : Nous avons certes eu des assistants venus de différentes parties du monde, mais je n’ai jamais eu le temps suffisant pour participer sur place à ce genre d’activité, étant donné la charge clinique très importante. Les congrès sont très importants : ils vous motivent pour terminer les travaux en cours. RK : On y fait des relations ; on apprend des choses dans les couloirs. LD : Certainement. On y rencontre aussi des collègues que l’on n’a plus vus depuis des années et avoir l’idée de travailler à nouveau avec eux. Un certain nombre de travaux que nous avons faits ici, comme l’oxygénothérapie au long cours, son retentissement sur la survie des patients et l’apparition du cœur pulmonaire chronique ont été réalisés avec d’autres universités d’Europe. Nous avions également des contacts assez étroits avec l’ULB. Mon copain de laboratoire à Montréal était Roger Sergysels qui a été patron à l’Hôpital Saint-Pierre de Bruxelles ; j’ai ainsi appris à connaitre les gens du laboratoire de recherche d’Erasme. Nos rapports étroits ont mené à des travaux communs et à concevoir un enseignement interuniversitaire de la pneumologie. Cet enseignement commun (DES) s’est rapidement élargi à Liège puis à Lille, qui était déjà en accord avec Amiens, Rouen et Caen. Depuis 15 ans, les cours des assistants de pneumologie de 4e, 5e et 6e années de nos sept universités sont communs et il nous arrive d’aller donner cours dans une de ces universités ou de recevoir les étudiants des autres universités, pour des périodes de 48 heures. Cela existe toujours : je crois que les prochains cours ont lieu à Amiens. Les frais de déplacements et de séjour sont pris en charge par des firmes pharmaceutiques. Ce sera probablement plus difficile avec la nouvelle législation. RK : Les sujets étaient-ils choisis d’avance? LD : Oui, en commun. Lors de ma dernière participation, les cours avaient lieu à Woluwe, sur les maladies interstitielles du poumon. Ils remplissaient un grand auditoire clinique. Certains professeurs extérieurs s’étaient déplacés vu leur compétence particulière dans certains sujets. Le lieu et le sujet de ces réunions étaient fixés deux à trois ans à l’avance. Nous avons fait connaitre ce type de collaboration : nos universités font partie du projet Hermes dont le but est l’uniformisation de la formation en pneumologie dans toute l’Europe. Nous nous rencontrions à l’aéroport de Munich. Ce groupe a produit un syllabus de formation générale pour toute la pneumologie en Europe. Depuis l’an dernier, lors du congrès européen, les jeunes peuvent passer un examen qui leur donne un diplôme européen de pneumologie, qui n’a pas encore de valeur légale. C’est un gros effort d’uniformisation de la pratique de la pneumologie. RK : Tu avais la chance d’avoir appris l’anglais à McGill. LD : Oui, mais cela m’a fait perdre le flamand ! Quand j’étais président de la société belge, si je me risquais à donner un exposé en flamand, je voyais soudain sourire certains auditeurs parce que j’étais passé à l’anglais sans m’en rendre compte. RK : As-tu une réflexion à faire sur ta conception de la médecine ? LD : C’est un métier qui remplit complètement la vie. Je sais bien que ce n’est plus à la mode aujourd’hui. Beaucoup estiment actuellement que ce métier peut être fait à temps partiel ou en le partageant avec d’autres activités de la vie. La médecine a dévoré ma vie. J’estimais que les médecins universitaires qui doivent assurer la clinique, l’enseignement, la recherche et la gestion ne sont plus seulement des médecins : ce sont des « moines » de la médecine. RK : C’est sans doute pour cela que nous avons gardé l’adjectif « catholique » au nom de notre université: j’aurais préféré « chrétien ». La chose essentielle à mes yeux, c’est que le médecin ne mette jamais l’argent en priorité et qu’il fasse toujours à ses malades « ce qu’il voudrait qu’on lui fasse ». Un défaut dangereux pour un médecin est l’orgueil. LD : J’ai peur que la vocation de médecin ne se perde et que la médecine devienne un métier comme les autres. Mais je suis très heureux d’avoir laissé après moi une équipe idéaliste, compétente et dévouée. Je pense que la médecine doit être pratiquée à 100%. C’est peut-être le fait de l’avoir pratiquée du matin au soir et même la nuit qui m’a valu mes ennuis de santé. Je ne le regrette pas pour autant, c’était primordial pour moi. C’est pourquoi, ne pouvant plus assurer physiquement un tel service actuellement, je ne vois plus de malades, me limitant à assister à des conférences et des débats. RK : Au début de l’éméritat, quels sont tes projets ? LD : J’ai l’impression d’avoir fermé les yeux sur la littérature et la philosophie pendant mes 41 ans de médecine active. Je me suis mis à relire Aristote, Pla- AMA CONTACTS - décembre 2013 19 ton, Descartes, Nietzsche, etc. Actuellement, je lis Sénèque, qui dit qu’à un moment de la vie, tu ne dois plus t’occuper que de toi et des gens que tu aimes. RK : J’ai une position un peu différente. Lors de la promotion 2012, les jeunes médecins avaient demandé à chacun de nous de citer une phrase qui leur tenait à cœur et j’avais écrit de manière anonyme « que je souhaiterais rester utile, si modestement que ce soit et dans n’importe quel domaine, jusqu’à mon dernier souffle ». LD : Oui, mais le livre de Sénèque qui me parait le plus beau est « La brièveté de la vie ». RK : Tu as évoqué ton accident cardio-vasculaire ? Qu’en était-il ? LD : Quand au terme d’un cours interuniversitaire particulièrement fatigant, j’ai ressenti une violente douleur thoracique, j’ai cru à un infarctus : c’était sous-estimer le problème, car mon aorte s’était disséquée de la valve aux iliaques : je dois la vie aux cardiologues, chirurgiens et réanimateurs qui m’ont sorti du marasme. Mes confrères et amis ont été extrêmement collaborant dans la manière de m’aider à reprendre progressivement mes activités, pendant les deux ans qui me restaient avant la retraite. Ils m’ont suggéré de main- 20 AMA CONTACTS - décembre 2013 tenir l’indispensable, à savoir la clinique et l’enseignement, mais de confier à d’autres la Société Belge de Pneumologie et les conférences un peu partout en Belgique. Après une telle maladie, on ne se sent pas malade, mais on est terriblement fatigué pour des efforts minimes et cela pendant au moins un an. RK : Le mot de la fin ? LD : Je tiens à dire que la direction de l’hôpital a toujours suivi nos projets si nous parvenions à les justifier. Cela nous a permis de suivre le progrès et d’arriver à nous spécialiser par exemple en transplantation pulmonaire depuis 5 ans. Cette spécialité attire à Godinne des maladies pulmonaires très rares. Nous avons pu également incorporer dans notre équipe des spécialistes dans tous les domaines que nous voulions développer, qu’ils aient été formés à l’UCL ou ailleurs. Chacun de mes anciens adjoints a aujourd’hui un secteur spécialisé particulier, tout en étant bon pneumologue général. RK : Merci, cher Luc de t’être soumis à cette revue rapide de ta carrière. Cela nous a donné aussi l’occasion de nous revoir et de mieux nous connaitre. LD : Merci à toi. In Memoriam Dr Claire Vellut (1926-2013) Nous avons appris récemment le décès de madame le docteur Claire Vellut, qui fait partie de nos anciens et qui a été interviewée dans l’Ama Contacts n°67. Voici un extrait, transmis par Jacques Vellut, de l’un des témoignages de sa famille lors de la célébration d’ « A-Dieu » qui a eu lieu le 26 septembre dans la chapelle des Petites Sœurs des Pauvres à Bruxelles, où elle a vécu ces 4 dernières années à son retour de l’Inde. Ce que nous retenons aujourd’hui de Claire, c’est évidemment avant tout ces 55 années au service des malades de la lèpre. Arrivée en Inde en 1954, elle rejoignit – l’année suivante – le Dr Hemerijckx, et avec deux autres AFIs infirmières – Simone Liégeois et Hélène Eenberg –, et commença alors la formidable aventure de Polambakkem. le Nord, la supervision de nouveaux essais thérapeutiques dans le Sud, et des missions de consultance au Bangladesh, en Chine, etc. Et à l’âge où – ici - nous sommes pensionnés, elle a réduit ses responsabilités médicales pour s’intéresser davantage à l’important travail d’éducation des dalits – les intouchables – dont s’occupait le Père Suresh. Parce qu’il inaugurait de nouvelles méthodes de lutte contre la lèpre – les fameuses cliniques sous les arbres, qui permettaient de traiter le malade dans son village plutôt que de l’isoler dans une léproserie – ce Centre a vite acquis une renommée nationale en Inde et internationale. Mais à côté des centaines d’Indiens et des dizaines d’Africains et d’Asiatiques qui venaient se former, le livre d’or de Polambakkam est témoin aussi des dizaines de Belges et autres occidentaux que Claire accueillait, qu’elle écoutait et auxquels elle transmettait son enthousiasme. Comme une bonne indienne, n’ayant pas d’enfants, elle avait «adopté» – si on peut dire – une famille indienne amie qui pourrait prendre soin d’elle dans ses vieux jours. Malheureusement, les deux parents sont partis avant elle, et d’autres départs autour d’elle ont aussi bouleversé sa vie. En 2008-2009, elle a beaucoup hésité entre l’Inde et le retour en Belgique. Voulant être indienne avec les Indiens, Claire fit d’énormes efforts pour acquérir la nationalité indienne en 1979 : d’infinies démarches, mais surtout elle devait prouver qu’elle se débrouillait en Tamil, et on soupçonne l’examinateur d’avoir été bienveillant. A partir de 1980, son champ d’action s’étendit à toute l’Inde : la création de nouveaux centres dans Ce que nous retenons d’elle après ces 4 années passées dans ce home des Petites Sœurs, c’est l’image d’une léprologue compétente, d’une femme qui a été jusqu’au bout de son engagement, puisant sa force dans sa foi profonde, dans le silence et la prière. Elle a voulu vivre simplement, en appréciant chaque moment de rencontre. Nous tous ici présents, réjouissons-nous d’avoir croisé sa route et d’avoir pu faire un bout de chemin avec elle, pendant quelques temps ou durant de nombreuses années. AMA CONTACTS - décembre 2013 21 Quelques nouvelles du prix Jean Sonnet 2011 Dr Bernadette Michel et Dr Patrick Loodts Il y a deux ans, en novembre 2011, nous avons eu la chance de recevoir le Prix Jean Sonnet pour notre projet de « Renforcement du secteur santé dans la commune de Houa Nam Bak » mené au côté de l’ASBL Houa Nam Bak. La commune de Houa Nam Bak est composée de 3 villages de montagne situés au nord du Laos, non loin de la frontière chinoise. Les trois milliers d’habitants de ces villages sont principalement de petits cultivateurs appartenant aux ethnies minoritaires Khmu et Hmong dont la vie est parsemée de nombreuses difficultés tant pour l’accès à l’éducation, à l’eau potable ou à des services de santé de base. L’ASBL Houa Nam Bak travaille dans ce village depuis 2009 à travers le parrainage de l’école et via son projet « Santé » depuis 2011. Ce dernier est constitué de trois phases distinctes visant à améliorer les conditions d’accès de tous les habitants à des services santé de base. Photos © Etienne Gehin La première phase visait à la rénovation du dispensaire de Houa Nam Bak, à l’achat de matériel médical pour celui-ci et à la formation complémentaire de son personnel en obstétrique et néonatalogie. Grâce au prix Jean Sonnet, elle a pu être initiée fin 2011 et terminée dans le courant de l’année 2012. Le toit du dispensaire a par exemple été complètement remplacé et une nouvelle table d’examen a été installée. Une trousse de petite chirurgie et une trousse d’obstétrique ont été fournies à l’équipe qui, grâce à sa formation complémentaire, peut maintenant pratiquer la plupart des accouchements de la région. 26 accouchements ont eu lieu au sein du dispensaire en 2012 et 31 femmes étaient suivies en juillet 2013 pour leur grossesse. 22 Remise du matériel médical AMA CONTACTS - décembre 2013 Cette première phase terminée avec succès, nous cherchons maintenant à financer la phase suivante de notre programme santé, à savoir la formation d’équipes de santé de proximité, mixtes et multiethniques, dans les trois villages de la commune de Houa Nam Bak. Les équipes de santé de proximité sont généralement composées de trois groupes : • Les Assistants de Santé Villageois chargés principalement de la prévention à travers l’éducation à l’hygiène, des conseils nutritionnels et de la lutte contre le paludisme. • Les Matrones, sages femmes, chargées du suivi de grossesses. • Les Phèt Ban, « médecins » de village chargés du diagnostique des maladies courantes, du dépistage de signes critiques devant conduire à une évacuation vers un centre de santé, et dispensant certains soins et médicaments spécifiques. L’ASBL Houa Nam Bak, avec le soutien de la Fondation Roi Baudouin, lance un appel à dons pour financer ce projet. Nous vous invitons à effectuer vos dons sur le compte de la Fondation Roi Baudouin BE10 0000 0000 0404 (BIC BPOTBEB1) avec la communication ***128/2571/00043***. Tout don de minimum 40 € donnera droit à une attestation fiscale délivrée par la Fondation Roi Baudouin. Nous vous remercions d’avance, chers confrères, pour votre aide. www.houanambak.org Le dispensaire de Houa Nam Bak Souvenirs et anecdotes Naïveté enfantine (2 et dernière partie) e La Saint-Nicolas était une des joies de ma mère. C’était un grand jour pour les arlonais : les enfants des chasseurs ardennais étaient invités au Mess des officiers. Le grand Saint les prenait à part et leur donnait un cadeau : le père fouettard était présent pour la forme. Un jour, je rentre à la maison et je dis à ma mère : « Des camarades de classe ont vu leurs parents déposer les cadeaux de Saint-Nicolas sous leur lit ». Ma mère m’a répondu du tac au tac : « C’est probablement parce que leurs parents ne vont pas à la Messe », et me voila reparti pour au moins un an ! Mon père ayant été déplacé d’Arlon à Namur avec l’état-major des Chasseurs ardennais, j’ai poursuivi ma 5ème primaire dans la future capitale de la Wallonie. Je me suis aperçu rapidement que j’avais déjà eu ce programme en quatrième. Avec l’accord du directeur et de mes parents, j’ai été transféré en 6ème. Je suis déguisé en «Zwarte Piet» lors d’une Saint-Nicolas dans le service de chirurgie des enfants, à l’hôpital Saint-Pierre à Leuven dans les années 50. J’apprends aujourd’hui par l’OMS que j’étais raciste. Dois-je faire des excuses officielles comme Hollande l’a fait pour le rassemblement au Vel d’Hiv ? L’instituteur de 6ème était un remarquable enseignant, mais avait une haute idée de sa personne, ce qui ne l’empêchait pas de se tailler les ongles pendant le cours. En arrivant dans la classe pour la première fois, je lui avais naïvement tendu la main : il avait brusquement retiré la sienne. J’étais très vexé. Un jour, il nous dit : « Vos parents vous ont-ils fait de beaux cadeaux pour la Saint-Nicolas ? ». Il remarqua ma réaction et parmi les rires des élèves, s’exclama « A votre âge, on ne croit quand même plus à SaintNicolas ? ». Rentré à la maison, j’ai raconté l’épisode à ma mère qui, un peu gênée, m’a expliqué que c’était une fête familiale très ancienne. Je lui ai demandé « Le père Noël c’est quand même vrai ? », « Non plus» m’a-t-elle dit. Ceci eut des conséquences importantes. Alors que j’avais terminé la sixième en tête de classe, ce même instituteur est parvenu à persuader mes parents, que je n’étais pas mûr pour le secondaire et qu’il était préférable que je double ma sixième primaire ; ce qui fut fait. Je n’ai plus guère de souvenir de cette année inutile. René Krémer Dans le prochain Ama Contacts : L’assurance qualité des médicaments hier et aujourd’hui (2e partie) Handicapés célèbres : Robert Schumann (1810-1856) Interview : René Van Tiggelen AMA CONTACTS - décembre 2013 23 Musée Couvreur Découvrez l’histoire de la pharmacie et du médicament au travers des objets et des livres de la Collection pharmaceutique Albert Couvreur sur le site UCL-Bruxelles Pot à canon (Anvers, 1595) Mortier en bronze d’origine germanique Pilulier (années 1950) Pharmacopoeia Bruxellensis. Bruxelles, J. Mommart, 1641 Dioscoride et Andromaque