Premier forum franco-russe de santé publique L`Académie veut
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Premier forum franco-russe de santé publique L`Académie veut
2 L’événement LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN Lundi 11 juillet 2016 – n° 9512 LA SANTÉ DE PARIS À MOSCOU AFP Le 1er Forum franco-russe de santé publique et d’innovation médicale a été l’occasion pour la Fondation de l’Académie nationale de médecine et pour l’Académie des sciences de Russie de relancer la coopération médicale entre les deux pays notamment dans le domaine du diabète et de l’oncologie. En marge de l’événement, « le Quotidien » est allé à la rencontre des associations qui œuvrent pour la réduction des risques et dans la lutte contre le sida. Après le Brésil, la Chine, l’Inde et le Mexique, la Fédération de Russie est l’un des derniers pays parmi les grandes puissantes émergentes à recevoir la visite de la fondation de l’Académie de médecine. L’objectif : relancer une coopération médicale en plein effondrement entre les deux pays. Premières disciplines en ligne de mire, la diabétologie et l’oncologie. ●●Plus de 10 000 hospitalisations par an, environ 100 000 visites de jour dans des locaux tenus 900 personnels médicaux ou non. Le centre d’endocrinologie de Moscou, crée en 1922, fait partie des établissements que le ministère fédéral de la Santé a massivement modernisés pour servir de porte-étendard à « l’excellence médicale russe ». C’est aussi là que s’est tenu le premier forum franco-russe de santé publique et d’innovation médicale rassemblant l’Académie de médecine française et l’Académie des sciences de Russie. La poignée de main ce jeudi 30 juin entre le Pr Claude Jaffiol, de l’Académie de médecine, endocrinologue, et le Pr Ivan Dedov, vice président de l’Académie des sciences de Russie scelle un accord entre les deux institutions qui doit redonner des couleurs à une coopération médicale atone entre les deux pays. « On part de loin » « La particularité des relations entre l’Académie de médecine et l’Académie des sciences de Russie, est qu’elles étaient proches de zéro », plaisante le Dr Yves Juillet, secrétaire général de la fondation de l’Académie de médecine et chef d’orchestre de l’accord, nous considérons ces forums comme le point de départ d’une coopération. Nous allons tous prendre des notes, et une clause de l’accord prévoit que nous fixerons dans 6 mois les thématiques précisent de notre collaboration. » Pour l’instant, ce sont essentiellement la cancérologie et le diabète qui semblent se détacher. « En Russie, 70 % des dépenses de santé concernent les maladies non transmissibles, précise le Pr Dedov. Ce n’est donc pas un hasard si nous avons souhaité insister sur ces deux thématiques. » Cet accord intervient à un moment où la collaboration franco-russe en matière de recherche scientifique marque le pas, et surtout en ce qui concerne les thématiques médicales. « On peut même parler d’effondrement », constate le conseiller pour les sciences de l’ambassade de France en Russie Alexis Michel. Le 7e programme-cadre de l’Union Européenne (PCRD7, 2007-2013) autorisait les équipes russes à percevoir directement des financements européens. « Les règles ont changé, avec Horizon 2020 qui est un programme plus exi- geant : toutes les équipes des pays tiers qui souhaitent participer doivent apporter leur propre financement », précise Alexis Michel. De plus, la Russie ne fait pas partie des pays dans lesquels l’Agence nationale de la recherche (ANR) peut subventionner des programmes de recherche labellisés. « Pour compenser cela, le ministère russe de l’éducation et de la science publie ses propres appels d’offres pour les équipes qui souhaitent participer à Horizon 2020, poursuit Alexis Michel. De plus, la commission européenne s’est également dotée d’une procédure d’exception : Si elle considère qu’une équipe russe est essentielle à la réalisation d’un projet, alors elle peut financer sa participation. » √ Nous avons besoin de développer nos échanges dans le secteur de la santé et de l’humanitaire afin de restaurer la stabilité et la qualité des relations diplomatiques entre la Russie et la France Dr Veronika Skvortsova, ministre de la Santé de la Fédération de Russie. Malgré ces dispositifs, seulement 31 participations russes ont été enregistrées depuis 2014 dans le cadre d’Horizon 2020 et aucune dans le domaine de la santé. La Fédération de Russie se retrouve reléguée à la 5e place derrière les États Unis, l’Afrique du Sud, la Chine et le Canada, alors qu’elle trustait la première place du podium avec 513 participations dans le PCRD7, dont 24 dans des projets santé. Terre d’émigration médicale Au-delà des freins internationaux, la recherche russe doit affronter ses propres démons intérieurs, à commencer par un manque chronique de financement de la recherche académique. « Nous parvenons facilement à participer à des essais cliniques financés par des laboratoires, note le Pr Sergey Tjulandin, chef du département d’oncologie clinique du centre scientifique d’oncologie Nikolaï Blokhine, mais nous n’avons quasiment pas de recherche publique en ontologie ». Entre 2009 et 2014, un programme fédéral d’essai clinique de 50 milliards de roubles (environ 700 millions d’euros) a bien été lancé mais c’est encore insuffisant pour les médecins. « Ces dernières années, seuls 4 essais cliniques publics ont été lancés dans notre centre regrette le Alexander Petrovsky, également au centre Nikolaï Blokhine qui dirige l’association des oncologistes de Russie. L’autre gros problème de la Fédération de Russie est le départ régulier de ses élites médicales et scientifiques. « Tous nos mathématiciens partent aux USA ou au Canada, tous nos grands médecins quittent le pays pour le Royaume Unis. Nous subissons une véritable hémorragie de jeunes chercheurs », s’inquiète le Pr Dedov. Le constat est plus contrasté pour Alexis Michel : « Je pense qu’un jeune chercheur russe qui commence aujourd’hui a tout intérêt à rester ici. Les budgets sont de nouveaux au niveau, et il y a un véritable vide générationnel à combler, et donc l’assurance de progresser rapidement. » Pour tenter d’enrayer la dégringolade, le ministère russe de la santé a ouvert 12 centres d’excellence entre 2006 et 2012 à l’image du centre Nikolaï Blokhine, dont 7 centres spécialisés dans la chirurgie cardiaque, 3 spécialisés dans la chirurgie orthopédique et 3 consacrés à la neurochirurgie, pour un investissement de 3 à 5 milliards de roubles (42 à 70 millions d’euros au taux actuel, sachant que le prix du rouble a chuté depuis) par centre. Depuis 2010, les différentes académies scientifiques russes ont par ailleurs été rassemblées sous la bannière de l’Académie des sciences, dotées de moyens conséquents et d’équipes de recherche. Formations en ligne bilatérales Autre objectif des accords : préparer le terrain à la mise en place de programmes communs d’enseignements en ligne via les MOOC (massive open online course). « Le plus grand producteur de MOOC est le site américain Coursera du MIT qui propose des cours dans toutes les langues, explique le Pr Albert Claude Benhamou conseiller pour le développement numérique auprès de la commission nationale française pour l’UNESCO. Nous pourrions tout à fait monter des cours d’endocrinologie avec les équipes du Pr Dedov et les importer chez nous après traduction. Les Russes et les Français sont aussi très forts en épigénétique des cancers, on pourrait imaginer des MOOC faisant intervenir des spécialistes russes et français. » L’accord prévoit la mise en place d’une plateforme internationale de diffusion et d’un plan de coproduction de ressources numériques d’enseignement, de formations en ligne et de MOOCS multilingues offrant diplômes et certifications. « Nous avons créé 8 universités numériques dont celle des Sciences de la santé et du sport (UNF3S), précise le Pr Benhamou. Nous sommes en train de devenir une référence pour les pays francophones puisque nous comptabilisons 12 millions de suiveurs rien que pour UNF3S. » Damien Coulomb DAMIEN COULOMB Premier forum franco-russe de santé publique L’Académie veut réanimer la coopération médicale Le Pr Claude Jaffiol (à gauche) et le Pr Ivan Ledov pour un nouvel accord Plus de la moitié des diabétiques russes ignorent leur maladie ●●L’étude épidémiologique « Nation » est un exemple réussi de collaboration franco-russe. Ce travail mené entre 2013 et 2015 par des chercheurs du centre russe de recherche en endocrinologie et l’institut de cardiométabolisme et de nutrition (ICAN) de la Pitié-Salpêtrière, devait répondre à une carence : malgré l’épidémie montante de diabète de type 2 en Russie, aucune étude épidémiologique sérieuse n’avait été menée sur ce sujet. « Il y a eu plus 2,2 millions nouveaux diabétiques en 10 ans, explique le Pr Marina Shestakova, directrice qui a présenté les résultats lors du forum franco russe de santé publique. Cela représente 365 nouveaux patients chaque jour, et 15 par heure. » Selon le Pr Shestakova, « le réseau de soin est très hétérogène en Russie, nous ne pouvions pas nous appuyer dessus pour mener notre travail, aussi nous sommes tous simplement aller inviter des personnes dans la rue à faire une prise de sang ». Au total, 26 620 personnes ont été interrogées et testées. Les auteurs ont estimé que 19,3 % d’entre elles étaient en état de prédiabète, avec un taux d’hémoglobine gliquée compris entre 5,7 et 6,4 % ; 5,4 % étaient diabétiques (HbA1c supé- rieur à 6,5 %) et 75,3 % avaient une glycémie normale. Un diabète bien contrôlé… à condition qu’il soit connu L’information la plus importante de l’étude est que 54 % des personnes en état de diabète ou de prédiabète ignoraient leur état de santé. Rapportée à la population générale, cette étude indique qu’un cinquième des Russes sont prédiabétiques. « Environ 6,5 millions de Russes sont menacés par le diabète de type 2, explique le Pr Shestakova, et la classe d’âge la plus touchée est celle des 65 à 69 ans dont 13,63 % sont diabétiques ». « La bonne nouvelle c’est que 54 % des gens connaissant leur diabète étaient bien compensés, avec une hémoglobine gliquée inférieure à 7 %, poursuit le Pr Shestakova, mais la mauvaise est que 21,4 % de ceux qui ignoraient leur maladie avaient un taux d’hémoglobine gliquée supérieur à 9 % », souligne-t-elle. Sans surprise, l’étude a identifié l’âge et l’obésité comme deux facteurs de risque de diabète. Les auteurs doivent encore analyser les données sur la situation sociale et le lien avec le risque de diabète et de prédiabète. D. C.