Trilogie celte 1 lettre à un homme comme tout le monde

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Trilogie celte 1 lettre à un homme comme tout le monde
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Dépôt légal en Suisse
Numéro ISBN: 978-2-9700614-7-2
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LES EDITIONS DE L’ESCARBOUCLE
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Trilogie celte I
Lettre à un homme
comme tout le monde
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
L’association littéraire de l’Arc jurassien présente :
Du même auteur aux Editions de l’Escarboucle
Caravane humaine, roman initiatique dans le Rouergue
Quentin la Broussaille, Cévennes de mon cœur, roman Provençal,
hommage à la pierre sèche
Trait de plume, prose
Un vent d’ailleurs, roman philosophique
Lettre à un ami analphabète, étude, témoignage, recherche sur
l’être adulte handicapé, l’éducateur, les classes dirigeantes : Prix
regards 2007
Vadrouille, pensées et lendemains, discours littéraire
L’alcool, entre illusion et réalité, étude, témoignage et recherche sur
l’alcoolisme
La Planète Bleue, considérations sur le salut d’un petit homme
(balade littéraire)
Des mots et des hommes, prose
L’Odyssée Cosmique des Fous, essai
Accroché aux ailes d’un ange, balade littéraire sur le Doubs
Dis-moi mon P’pa, c’est quoi l’homme ? balade littéraire depuis une
oliveraie en Provence
Projets de vie, essai
Le fils de l’aube, balade littéraire en Cornouailles
La vie est un être, livre d’art, pensées et photos
Il ne fait pas bon travailler quand les cigales chantent, balade littéraire
sur un marché de Provence
Ondes et reflets, confessions d’un auteur à ses lecteurs
Le temps Vivaldi, ballade littéraire au pays des quatre saisons
Travailleur social en manque, sciences humaines
Sonate pour un rêve envolé, ballade littéraire entre la poésie et un
autre monde
Les enfants blessés, belles-lettres
L’homme des routes, pensées de l’auteur et linogravures
de Raphaël Arzan
Du peuple mouton à l’homme debout, essai
En chaque homme une révolution, essai
Ces ouvrages sont présentés sur le site Internet www.escarboucle.ch
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Bocampe
Trilogie celte I
Lettre à un homme
comme tout le monde
L’Association Littéraire
de l’Arc Jurassien
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Critique – Une œuvre – Bocampe :
L’intuition de l’intime universel
À
l’endroit d’un commencement, il s’avère toujours
un combat. Il s’agit d’un combat intérieur, primordial, aussi vieux
et même davantage que celui dont nous parlent toutes les légendes
du monde. Mais ce combat pacifique, qui n’en est pas moins âpre,
concerne à la fois le début et la fin, la boucle des recommencements
d’où il faudrait sortir l’être ; en dépasser l’oubli et ses psychés.
C’est donc d’abord à travers l’art et la poésie, leurs
tremblements médiumniques, que l’homme sera toujours poussé
par une impérieuse et profonde nécessité de parler de cette toute
intuitive détermination qui l’anime à vouloir regagner, depuis
la connaissance, les multiples tracés d’un chemin qui dessine
l’enfance d’un univers concevable.
L’artiste, qu’on le veuille ou non, est une sorte de prophète
mais qui n’annonce jamais le chaos, même si parfois, ne nous y
trompons pas, il nous entretient du sien et de celui qui l’entoure ;
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
les ruines résultant de nos faiblesses. C’est sa propre dissémination
-je nous en terre ou dans l’azur- qu’il nous propose, et c’est aussi là
qu’il échoue provisoirement, parfois dans la grâce ou la disgrâce,
rarement dans l’extase.
Consentirions-nous, chantent les voleurs de feu, à évincer le
seul pouvoir des mots d’ordre productivistes, à faire sauter le vernis
narcissique que recouvrent les codes de nos fictions sociales, et la
labiale oméga ne serait plus l’effet d’un songe. Or, sans que nous le
voulions vraiment, de notre suffisance -ses logomachies-, d’écoulent
encore trop d’inconséquences qui, partout ou presque, polluent
ou dénigrent paradoxalement notre besoin vital d’harmonie, de
partage, et qui de leurs hoquets monstrueux influent tant sur
l’Histoire. Cela relève évidement de ce que nous aurons manqué
de vaincre dans les combats précédents. À la lumière de cet effort
de disparition auquel nous invite la poésie, on se doute pourquoi :
Nous progressons.
Si la perspective humaniste tracée par les écrits de
Bocampe – puisque de mon point de vue, il est important de
ne pas présenter une telle démarche émancipatrice comme s’il
s’agissait d’un simple exutoire littéraire-, ne participe ni ne procède
d’une réflexion purement philosophique ou anthropologique, elle
s’inscrit néanmoins pleinement dans le champ de cette progression,
puisqu’elle témoigne ardemment de cette volonté de dépassement
des oppositions.
En évitant (un peu) l’ornière de la question du but et
donc des fins (précisément pour ce que ces dernières recèlent
d’infinis antagonismes), d’une destinée humaine, l’œuvre de ce
non-conformiste choisit délibérément de se camper dans la réalité
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Préface
immédiate de l’action et des comportements dans ce qu’ils sont
étroitement liés à notre capacité de ressentir ou non, du mystère
et du sensible, ce qui nous attache, tous autant que nous sommes,
au sens universel.
C’est donc bien vers l’ambitieux projet d’être, que tend
l’irrépressible désir de Bocampe. Être de vie avec les autres. Dans
les émanations, la réalisation de l’être.
Chez Bocampe, tout passe en fait par l’intime universel.
N’ergote, ni ne pinaille. Pas de pavane ni de fauxsemblants, il va du simple au simple, non de façon simpliste,
mais en transposant le principe d’une complexité redoutable (la
conscience), tant redouté par les promoteurs du «peut-être», à
l’amour et à ses gestes ; dans le ressenti et la prodigalité de sa
pratique.
Qu’à l’enseignement de l’homme par le cosmos (la
connaissance), ait pu succéder en retour le mépris des entreprises
humaines visant à l’asservissement de l’espèce, jusqu’à même
son avilissement (thèse alimentant l’idée d’un paradis perdu et la
peur du progrès dont auront largement fait les choux gras des
générations entières de prêtres et autres conservateurs dominants),
est une assertion sans fondement qu’ironise à sa façon l’auteur de
La Planète Bleue, quand ce n’est pas s’en dégageant dans un rire qui
ne juge pas autant qu’il jure et ne laisse place à aucun malentendu :
Pas de poétique ésotérique ou métaphysique à deux balles que
sous-tendrait une économie de l’occulte et de l’inquiétude, mais le
simple objet de la joie ; la prosodie du monde.
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Agir ici et maintenant, dans les inflorescences du cœur et
de l’esprit.
On a donc vite fait de comprendre que derrière la
façade, certes, un peu moraliste de la fable et autres récits ou
considérations, la nostalgie du passé, tout comme l’espoir benêt
d’un avenir radieux n’y délimiteront pas trop le champ d’action de
l’œuvre.
À la lecture de Quentin la Broussaille, du Monologue d’un citoyen
du XXIème siècle ou de L’Alcool, on voit bien, me semble-t-il, que
les limites sont ailleurs. Elles voisinent avec les bords gazeux d’un
cosmos de conscience où l’amour, c’est-à-dire la vie, s’applique
à répandre sa puissance bienfaitrice, même si parfois, il est vrai,
le poète s’y découvre un peu nostalgiquement pataud, évoquant
«la conscience presque éteinte de homme moderne» ; maladresse(s) que
sauve néanmoins toute la charge de sincérité bienveillante qui y
est contenue et qu’un artisan éprouve pour sa matière première ;
la tendresse.
Tout ce qui nous incline à aimer Bocampe, est précisément
là, cristallisé dans la spontanéité et la tendresse, dans cette part
de douce folie qu’il ne renie pas et même en revendique les effets
d’enthousiasme, tant dans l’énonciation que dans l’action.
Bocampe est vrai. Même si pour certains cela peut paraître
gênant. Il mène son combat d’homme parce qu’il a commencé
ou recommencé subjectivement, mais non sans quelque
autodérision, de parler de sa quête spirituelle qui fut indissociable
de l’apprentissage puis de l’exercice du difficile « métier d’homme ».
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Préface
Désormais défait de l’influence de ses chimères casse-gueule, c’est
d’une ressouvenance tellurique et cosmique qu’émane son chant
de pierres et de fleurs.
Tendue vers le tactile et l’émotion, la langue de Bocampe
est vivante parce que nous l’entendons et la reconnaissons. C’est
qu’elle fut aussi la nôtre ; ancrée à la terre. Je veux dire qu’elle est
également celle que nous avons probablement abandonnée à la
terre par oubli, non par négligence, mais par sottise.
Et parce que tout y germe prodigieusement, c’est à la terre,
au chant résurgent des pierres et de l’eau, qu’il nous faudra bien
sûr revenir.
Voilà le toupet de Bocampe, sa subversion : L’intention
pratique de sa langue. Une langue d’instinct, pleine et solaire, mue
sans concession par une âme de berger, de paysan conteur.
Et l’audace de cette âme, c’est de montrer l’élan qu’elle sait
impulser au corps qui l’accepte, pour que l’être soit comme le
beau visage d’un mur en pierres sèches, en prise totale avec le sens
qui l’entoure, couronné par le sens ; dans une solide et mutuelle
compréhension.
Régis Nivelle
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
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Le premier décembre 2010,
à Yverdon-les-bains
T
rès cher, Jehan, ta lettre est un festin toujours
poursuivi et quelle part fidèle de ton amitié que je considère
aujourd’hui comme une construction au-dessus de nous. Comme
tu le dis, vivre sur la boule bleue est un grand défi. Dans cette cour
de l’homme debout, accompagné d’un bourdonnement à l’âme, je
vois s’allumer l’alphabet sur un tas de pierre chaude. M’en voici
l’âme tiédie. Tes pensées sur lesquelles tu assoies ta quête de l’âme
humaine, me délassent et me régénèrent, alors que ton naturel
marginal m’enthousiasme. Ardeur et bon sens d’un côté et amour
et révolution de l’autre.
Ah ! Je me souviens de ce temps où tu portais l’outre de peau
de chèvre sur les hauts plateaux, où tu n’avais de cesse d’aspirer à
une rencontre intime avec « l’Existé ». « Lâche tes résistances à la
vie, que tu me rabâchais sans cesse, entre dolmen et menhir ». Il
s’en est passé des choses.
En effet, à tes premiers mots, je lis qu’il n’y a de chemin
que celui de l’instant où toutes nos intentions se lancent en avant
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
pareilles à des vagues qui roulent dans l’océan. Devant cette porte,
dans ce qui me reste encore à vivre ici-bas, très cher ami du genre
humain, je ne peux qu’entrer sans frapper dès les premiers jeux de
l’aube.
Ton message me nourrit l’esprit et de certains morceaux
choisis, t’y répond, inlassablement dans cette perspective qui nous
est familière et contemplative : témoins de la vie et de sa face
cachée, nous savons peu de l’intelligence de la vie. Or, en ce lieu
indomptable de l’ « Existé » qui ne se laisse pas facilement décrire,
il est vrai que nous savons si peu. Toutefois, la vie nous connaît si
profondément. Il semble que nous sommes dotés d’une mémoire
quasi squelettique qui se fait langage dans notre corps d’os.
Rappelons-nous à propos que la Terre est bien là, sous nos
fondements, et même si nous ne la sentons guère adhérer à notre
chair, elle nous transporte en danse et en ronde d’infinitude en
infinitude. Cela ressemble à une seule et même route diversifiée
par un éternel exercice d’équilibre toujours rassemblé en une
attraction d’interdépendance. En quelque sorte, nous sommes
dépendants du réseau de l’instant pour être libre et heureux. Et
dire que le genre humain est invité d’honneur à cet immense jeu
de cache cache cosmique. Où est l’homme ? Où est l’amour ? Par
ici, et encore par là !
Et Ciel encore, ce que qu’il fait bon vivre, lorsque content
de se retrouver, poésie et cœur d’homme s’unissent à nouveau.
Assurément, Jehan, lorsque les idéologies du « moi » flambent dès
les premiers feux du jour, l’ADN vibre alentour. Le temps s’arrête.
Exister en partenariat avec cette énergie toujours en mouvement,
prend alors une toute autre signification. On s’expose à des choses
inédites.
A chacun de nos pas, nous pouvons nous émerveiller de
vivre en compagnie de la semence de l’instant. En ce lieu de la
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Le premier décembre 2010, à Yverdon-les-bains
poussière au pied, parmi des sens qui ne sont plus messagers
d’interprétation du grand voyage à entreprendre. Ce voyage est
l’expression complète de « ce qui est ».
N’est-ce pas la vocation de l’esprit que d’être en relation
et en communion vivante avec ce réseau de l’instant ? D’une
grâce radieuse, passionnés d’évidence, comme l’un pour l’autre,
l’homme pour l’instant, l’homme pour l’étoile, la béance pour la
vie, la vie pour la béance.
Ceci étant, malgré cette difficulté majeure que nous avons
d’exister ici-bas avec nos semblables, en réponse à tes pensées,
je te partagerai à chaque fois qu’il me sera possible que nos
changements d’états de conscience sont aussi l’équilibre même
de notre condition humaine où se joue l’extension de la vie dans
le système de la coproduction conditionnelle.1 Dans ce cas, de
cette continuité, nous sommes tous coresponsables du sens de la
vie qui nous définit infinis.
Entre étoile et homme, cet équilibre de joie pure que
l’intellect terni sans relâche entre autre par le calcul, la comparaison
et le culte du « moi »2, se situe au-delà du continuum espacetemps. Comme tu le sais, la vie ne donne pas une sensation de
sécurité à ses enfants. Nul doute, nous trouverons-là, en ce grand
saut, pour avancer, chaussures à nos pieds, ainsi que les intentions
appropriées à l’ensemble de la Terre habitée.
Tout de même, quel beau métier à tisser !
Apprendre à Exister aux fugues de l’impermanence, sans
se cantonner dans l’enceinte d’airain d’une caste inventée par la
pensée. Une pensée qui se voyant naître dans un vide près de
tout et de rien ne peut rien donner d’autre que son écho, que son
reflet.
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Vie ! Les ans ne vaincront jamais le peuple de l’instant. Le
« respir de l’instant », toujours le même, nous apparaîtra toujours
nouveau, car notre constant échange et interéchange avec le réseau
de l’instant est tout simplement en exercice d’équilibre avec l’axe
de « ce qui est. » Et seul, nous devons découvrir par nous-mêmes
ce que veut dire « ce qui est ». Dès lors, en nous, le silence aux
yeux de lumière recevra la vie sans en prendre autre chose que
l’amour.
***
Simultanément, à notre siècle d’attachement et de dualisme,
l’ère du pétrole et de l’autovénération du « Je », à demi paralysé
face à la vie, touche à son seuil. Le temps de la sourde oreille est
ébranlé. Quant à l’édifice économique qui dépend de la croissance
énergétique, lui aussi, il va rencontrer ses limites.
Les solutions nouvelles ne viendront pas du marché luimême mais de l’homme sociable, abasourdi par la joie de vivre. De
cette mutation enracinée jaillira l’homme debout d’où s’élancera
son envol.
N’est-ce point là, tout le mérite de notre époque que de
nous aider à en prendre conscience, tout en étant à la fois, le
compositeur et l’auditoire d’un nouvel état de présence. Rien de
plus grand, positivement parlant, que de changer par des actes
libres, par une innocence du cœur et des intentions nobles.
Je reconnais au passage, que le monde change, Jehan, gaz,
pétrole, charbon, nucléaire. Par la force des choses et par nature
des yeux dessillés, il sera bien différent ces prochaines décennies.
Je ne t’apprends rien à ce sujet, trop de changements déclenchent
une perte d’équilibre. La nouvelle résonnance vient nous cueillir
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Le premier décembre 2010, à Yverdon-les-bains
au fond du rêve matérialiste. La somme des images et des concepts
que nous nommons réalité ne sera plus.
Il nous faudra trouver de nouvelles coproductions
conditionnelles, de nouvelles formes sociales, de nouvelles
stabilités. En fait, nous ne pourrons plus rester indolents et rétifs
à notre changement et à l’indispensable coalition des différents
peuples. Pour ce faire, nous disposerons d’un tout autre genre
d’énergie que procurent le culte et la garde du « moi ».
Et comme certitude : l’homme ne pourra plus se refuser à
la vie, à l’hiver et à l’amour. Pour peu qu’on lui donne du sens et
de la création, le Renouveau Social se fera dans la coexistence et le
partenariat des cultures où chaque culture préservera son identité,
offrant ainsi à l’humanité le don de ses différences. De ce fait, de
multiples aspects sont encore à découvrir à propos de l’intelligence
de la vie. Ce n’est qu’ainsi que l’homme vivra au repos de luimême, par une participation consciente à une évolution autre que
celle d’un « petit je » qui n’a de cesse de chercher des stimuli à tout
bout de pensées pour nourrir une coproduction conditionnelle
affamée de « moi ».
Il va de soi que pour le moment, les forces qui coproduisent
nos conditions humaines ne cohabitent plus avec l’impulsion
créatrice de la vie et cela creuse un fossé qui nous projette dans
une fragmentation active dans les complexes aspects de la vie
quotidienne que nous avons créés et dont nous tirons tous nos
malheurs.
Voilà, aveugles ici et sourds à l’autre bout du monde, où
tout est gêne, aussi intellectuels et ignorants que la masse de nos
savoirs aigres, nos aptitudes au changement ne se réaliseront ni par
la pensée ni par un quelconque miroitement d’une vérité du passé
dont le moi s’enjouerait sans égal. Dans une telle optique que celle
des années à venir, seule une relation consciente avec les forces
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
de vie nous accomplira d’actes de vie avec notre milieu naturel.
Et cette présence sacrée à la vie ne sera en rien une expérience
mystique où une quête du savoir reposant sur de blanches épaules
du passé. Ce qui transforme l’existence, c’est notre présence au
souffle de « ce qui est » d’où vient le rêve de vie. De toutes parts,
réalisons nos rêves, Jehan. Dès maintenant. Sommes-nous assez
fous pour cela ? Oui, il semble bien que oui.
Par ailleurs, dans le domaine de la compréhension et du
sens de la vie, il n’y a qu’un axe actif du monde. C’est un monde
à redécouvrir à l’intérieur de notre vie intérieure. Un monde
aux mains ouvertes, sans explications, dont les rides racontent
une histoire d’amour. Cette part de découverte, cette qualité de
présence, n’est pas une propriété de la pensée, de chiffres, de
carrière, d’indéboulonnables probabilités ou de croyances en des
Dieux qui renvoient jusqu’à l’extrême clôture mentale ouverte à
tous les vents.
Prenons avec soin de la distance, Jehan, je te prie. Brûlons
tous nos diplômes amassés durant notre pèlerinage. Voici du feu…
Redevenons consciemment des poètes hors-la-loi. Réintégrons de
ce fait, le mouvement de notre esprit. Que de fois, ce feu a su nous
ramener à « ce qui est », nous rappelant ainsi immédiatement à nos
intentions pures. Désobéir est nécessaire à l’évolution. Retirons
ensemble les épines cachées qui rendent si difficiles la condition
humaine.
Serait-ce vraiment quand Terre et Ciel en nos profondeurs
se rencontrent que nous existons vraiment, le plus simplement du
monde, le plus naturellement de la vie ?
Chaque siècle, chaque civilisation, chaque génération, c’est
à chaque fois un apprentissage, une poésie, un élixir, une grandeur,
des guerres, des cultures et des races, un témoignage, une rupture,
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Le premier décembre 2010, à Yverdon-les-bains
une ingérence, une rencontre, un passé, une continuité, un défi,
des liens de sang, de l’effroi, une séparation, de la tendresse, une
mort abritée de silence.
En attendant, l’histoire de l’homme semble se faire en se
défaisant. Etrange fragment sous nos pieds ! Cela discerné, le
conflit de vivre déposé, on retrouve constamment ces thèmes
existentiels au fond de nos vies : vie amoureuse, solitude, plaisir
sexuel, reconnaissance de « p’tit je », prestige dans le contexte
social, insécurité, maladie, etc. Il va sans dire qu’à mesure que nous
nous désempêtrons des filets du « moi », nous sommes poussés
de l’avant au cosmos. Le voici, il est là. Sentons-le vivre dans nos
cœurs. Il cultive ses étoiles et se souvient de chacun de nous.
Au-dessus de nos têtes, vu d’en haut, cela ressemble à une
histoire d’amour. Vu d’en bas, depuis l’histoire de tous les jours,
on peut y entendre le choc alternatif et sans fin de l’évolution qui
rythme les naissances et les morts dans leurs fondations. C’est
une intelligence avec qui, chacun doit s’expliquer par degrés, dans
ce flux cosmique. Toute désillusion nous suffise amplement pour
évoluer vers la dimension éveillée de notre présence au réseau de
l’instant.
Sur ce thème unique du genre humain, à ces valeurs en
perpétuels mouvements et aléatoires, on retrouve les tours de force
des transitions parentales, de même que le relais des paradigmes
qui selon des niveaux différents repoussent toujours les limites de
la pensée.
J’envisage que ces limites se morfondent dans notre société
d’aujourd’hui, sans qu’elles puissent rien changer en profondeur.
Bien entendu, toutes ces valeurs humaines concoctées par le
conditionnement se modifient, accrochées à des normes filtrées
par l’histoire commune des âges individuels de la vie, comme
un essai d’affinement d’exister. On doit bien faire avec si nous
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
voulons construire un nouveau monde. Comprendre cela, c’est
comprendre notre changement, l’accueillir et l’accepter, depuis
notre premier cri jusqu’à la mise au tombeau. C’est l’exploit de
notre vie en quelque sorte.
Je veux dire que, compter dans ses nombres, pour trouver
de nouvelles impulsions sociales colorées d’une intelligente mise
en scène, nous devons simultanément faire l’apprentissage de
l’unification et de la diversification. Nous ne devons donc plus
subir un passé qui nous perd dans l’immensité d’un système à vivre
mécanique et attendu. Un nouveau levain doit prendre dans nos
cœurs pour retrouver la destinée du sens. Nos regards aux étoiles,
menons du sens sans cesse à nos tables et invitons des hôtes à
l’intérieur de notre nef. Après tout, rien de plus merveilleux sur
Terre que de partager un simple instant éternel avec l’un de nos
semblables. Le reste peut attendre, n’est-ce pas ! D’ailleurs, c’est
quoi le reste, gagner de l’argent, le dépenser avec sa femme et
devenir un reconnu !
Flûte encore Jehan ! Comprenons que moitié ici, moitié là,
l’ego, briseur de l’instant, a fait son Temps. Il a assez souillé le
calice fleuri de la Terre et du Ciel. La poésie du Grand Monde
nous appelle à reprendre notre lecture solitaire, dans un fracas
d’étoiles. L’entends-tu comme à l’ouverture d’aurorale tel un
« Fils de l’Aube » en Terre Cornouaille. (Récit paru aux Editions
de l’Escarboucle).
Allons chercher la vie là où elle est, tout de suite, sans
séparation entre soi et elle. Allons la chercher avec un engouement
qui tient de la création et de la relation avec chacun des règnes du
vivant. Partageons avec elle notre poésie tridimensionnelle qui se
joue de la mort comme du vent.
Vraiment, le silence, représente une connexion des plus
intenses du vivant, où nous pouvons maintenir « ce que l’on est »
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Le premier décembre 2010, à Yverdon-les-bains
dans « ce qui est. » Même si on fait du mieux de notre mieux pour
percer son mystère, c’est lui qui stimule notre souffle. Sur les bases
d’une entente, j’ai l’impression que le silence prend toute notre
présence, dans une disposition d’esprit, dans un état de présence,
que nul mot ne peut rendre à « ce qui est ». A l’instant même où je
te l’écris… mon âme bourdonne, mon esprit butine, la vie s’offre
de son théâtre des origines, sans raisons, sans méthodes.
Curieusement, on remarque un rapport immédiat de notre
acte lucide de vie en parallèle avec ce fameux exercice d’équilibre
dont je t’ai parlé et dont la qualité de présence d’esprit pourrait
être définie comme axe du monde. En fait de complexité, sur cet
axe de la relation, tout ce que l’on tient pour vrai nous fait plus
défaut qu’autre chose. De la sorte que, tout ce qui est vrai ici ne
l’est pas forcément ailleurs et vice-versa. N’est-il pas d’un Dieu de
ne jamais inventer « ce qui n’est pas » ! C’est sûrement pour cela
que l’homme l’a comme un feu ardent à ses trousses tout au long
de son périple humain.
Tout cela ne vise pas à établir un conflit entre un bien et
un mal, une vérité innée ou un indésirable mensonge, entre le rôle
d’un mot et la position du verbe, puisqu’il s’agit de l’intégration
de l’homme dans son contexte, de l’intégration du genre humain
dans une Odyssée. Rien ne tient en place malgré une stabilité
permanente. N’est-ce point dans cette instabilité en mouvement
que nous sommes attendus tels des funambules énergétiques ?
La plupart de nos malheurs naissent de ce que nous tenons
pour vrai à grands cris, et ce avec quoi nous nous arrogeons
ensuite des droits du réel avec lesquels les misérables « moi »
lamentateurs ne peuvent plus démordre. En fait, apprendre, c’est
redécouvrir ce que l’on avait oublié en s’actualisant instantanément
au réseau de l’instant. On ne sait en fait jamais rien de la vie, ceci
est un grand savoir, Jehan.
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Alors qu’en accumulant du savoir irréprochable par
la pensée, par nos expériences, nous remplissons un grenier
d’ignorance dans une existence qui nous délie de l’intelligence de
la vie. En tout point, sous nos toits cérébraux et élus, nous ne nous
pouvons plus accueillir l’indéterminisme du vivant. Le « moi » est
un reflet, l’interprétation qu’il présume des faits est aussi un reflet.
La réalité qu’il invente pour se sécuriser ne se laboure ni ne se
sème.
Demandons-nous sincèrement si vraiment nous pouvons accueillir
l’intelligence de la vie à ce niveau des reflets ?
Cela nous laisse imaginer par exemple, le chemin que doit
faire un occidental lorsqu’il rencontre une culture qui n’a pas eu
besoin de l’écrit ni des concepts de l’intellect pour vivre avec son
milieu naturel.
C’est à croire que pour apprécier, comprendre et aimer
l’œuvre de la création, nous devons examiner en premier lieu
notre propre réalité et d’autant plus lorsque celle-ci est cause
de notre mal être. A cette occasion, on pourra alors se poser la
question : quelles sont les conséquences de mes actions sur les
autres hommes qui me sont proches ? Et sans nous affecter de
la façon dont ils nous regardent, trouver les moyens bienveillants
pour y répondre. Je reprends intimement tes phrases au contenu
longtemps abandonné : « Qui veut se connaître doit comprendre
ce qui coproduit les actions du moi avec lequel on bavarde et celles
de l’être avec qui l’on apprend à écouter ». L’écoute facilite tant
notre cheminement. Toutes sortes de projets peuvent surgir d’une
écoute attentive.
Oui, et je rajouterai que vit un miracle de résonnance auprès
de l’homme. Un phénomène sans attachement nous témoigne un
autre prodige d’accroissement : être témoin de notre présence à
la vie. A se demander pourquoi nous n’arrivons guère à actualiser
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Le premier décembre 2010, à Yverdon-les-bains
notre être à la nature ultime des choses. Qu’est-ce qui préoccupe
nos esprits et gonfle tant nos poitrines ?
Notre coprésence à l’instant ne passe pas par une analyse,
mais bel et bien par un acte de vie qui ne garde pas une image de
lui-même dans le temps. Là est tout le secret de l’acte libre. Secret
avant tout intérieur. Un secret qui allège n’importe quel fardeau.
Ah oui, très cher, il approche ce temps où tout homme
mortel ne pourra plus se suffire à lui-même comme une pépite d’or
qui s’aime. L’homme a poussé si loin l’individualisme, que déjà, il
a amorcé dans sa clôture mentale les processus de la supernova.
Un suicide cellulaire en quelque sorte. Mais quel apprentissage
va-t-il tirer de tous ses agissements ? Peut-être doit-il réapprendre
à jeter les osselets ? Tu te souviens, de ces osselets qui roulaient
dans la cour d’école. Quel miracle de l’Existé qui nous cueille du
fond de l’instant, dans le plus total de notre potentiel. Ah ! Les
vérités de la cour d’école n’ont pas de pensées ni de lendemains.
En ce qui concerne les différentes cultures et les races
humaines, elles portent usuellement une tendance naturelle à se
tourner vers l’une ou l’autre des coproductions (conditionnelle ou
existentielle) nécessaire à l’équilibre de l’évolution de l’humanité.
Il ne s’agit pas de juger ces tendances, mais de commencer par
comprendre leur raison d’être dans l’histoire des hommes.
Il semble que les vérités du passé doivent être dépassées,
surmontées, transcendées à nouveau, afin que les peuples
retrouvent un nouveau principe vital d’où découle l’intelligence de
la vie. Bien que difficile à déchiffrer l’évolution du genre humain,
la vie ne nous permet pas de rester accordés sur des acquis et en
suspens.
Peut-être aussi que le pacte des ancêtres doit être rompu et
l’héritage enterré afin de ne plus vivre avec des parentés ancestrales.
25
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
S’agirait-il d’un tournant qui répond à une loi cosmique ? Nous le
comprendrons sûrement un jour, Jehan.
Coproduction conditionnelle : forces qui façonnent, conditionnent
et déterminent notre situation humaine et notre comportement dans le
système.
Coproduction existentielle : Tout ce qui est doué de vie, qui n’a pas d’entité
propre ou autonome mais qui existe parce qu’il y a relation avec la vie. Forces
qui nous tissent dans la trame de l’Existé.
2
: Moi, « p’tit je », je, « moi enflé », pensée morte, sont des synonymes. Ils
expriment une impression d’exister à partir d’un centre qui enferme celui qui
devient propriétaire de cette impression dans une clôture mentale.
1
26
Les vitres usées
J
ehan, demandons-nous ce que nous avons gagné et ce
que nous avons perdu en nous individualisant de la sorte à cet
humain voyage. Parfois, j’ai l’impression que tout pourrait être
raconté en un instant. Eh ! Sur la plupart des tombes, il n’y a
plus de noms. A le sentir ainsi, pareil à des bronzes fait de gloire
éphémère, il ne nous reste plus qu’à recourir à la vie pour trouver
la vie. Allons ! Allons ! bien qu’il y ait de quoi se dire que nous
n’avons rien compris à l’amour, prenons-nous la main… le cœur
attentif et noble. Appréhendons notre invention du réel, c’est le
sort des poètes, l’intelligence du cœur, le parfum même de la vie
dotée de sa continuité.
C’est une évidence qui s’impose à travers les siècles
comme un grand évènement : le potentiel de notre remise en
question, voir notre désordre avec humour, tout en bouleversant
nos énergies de la Terre et du Ciel. En quelque sorte, nous
sommes enchainés à l’histoire du monde, sauf qu’aujourd’hui,
l’intelligence de la vie incite le « moi » de cesser sa posture
27
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
égomaniaque afin qu’un nouvel état de conscience, de forme et
de présence, germe dans le genre humain.
Dans un certain sens, dupé par une sensation d’exister,
l’enfant devient toujours plus adulte et l’adulte toujours en route
vers l’homme debout. Quelle tension ! Comme s’il n’y avait
qu’un seul parti à prendre pour remplir notre partenariat avec
l ’ « Existé » : évoluer à l’à-propos d’un nouvel état de présence
d’esprit dont la dynamique serait de voir naître une nouvelle
civilisation, responsable et partenaire de l’ensemble de la création.
Oui, mettons-nous au diapason d’une révolution intérieure. Aux
armes de la conscience, citoyens, citoyennes, fous et folles de ce
Monde à partager. Le temps est venu de danser le monde au lieu
de le penser, de le mesurer, de le tuer, d’un seul coup de tête à tous
les niveaux de notre vie quotidienne.
Le reste peut attendre, non ! Ciel encore, Jehan ! A quoi
bon de grâce jouter avec le passé de la vérité et s’attacher à une
impression psychologique de vivre.
Quel soulagement pour les arbres et quel éclairage de vie
pour l’homme que de muter vers cette lumière qui est en nous. Par
bon sens de la vie, on en arriverait à une civilisation qui aurait enfin
compris combien la politique, l’économie, les arts, les sciences,
la philosophie et les différences de culture et de race doivent se
rejoindre à plus d’un titre, pour traiter la condition humaine. Tous
ces éléments ne coexistent-ils pas dans la nature de l’homme
comme des intentions qui ont pris vie ? Et ces intentions ne tirent
pas leur origine de la coproduction conditionnelle, mais d’un
point d’équilibre, d’une rencontre fertile entre la coproduction
conditionnelle et existentielle. C’est bien ce qui nous permet de
vivre librement, ce total engagement dans la coconstruction de
cet équilibre.
28
Les vitres usées
Une vie nouvelle débuterait avec des projets, dès lors que
les races et les cultures interagiraient respectueusement les unes
sur les autres. En tout état de cause, telle serait une science de
l’esprit, pénétrer une réalité qui n’existe que parce qu’il y a d’autres
réalités qui la rendent réelle. Une telle interaction entre ces
domaines de la vie, issus de différents points de vue constituerait
un nouveau modèle pour le futur. De la grande coproduction au
plan existentiel, Jehan.
Les représentants des nations ne pourraient plus être élus
impunément pour le potentiel d’un show politique comme c’est
souvent le cas, mais pour leurs compétences à suivre un processus
sur les réalités humaines et sur ce qui coproduit ces réalités.
Déjà, pour sûr, aux prochaines élections, des têtes de ligne
où existe l’essai de démocratie coloré de tribalisme politique,
soyons certains que le monde entier aurait instantanément retrouvé
une santé mentale. L’homme a besoin de retrouver ses racines,
c’est son besoin d’identité qui est en jeu. N’est-ce pas du fond du
ciel que nous vient l’esprit du genre humain ? N’y a-t-il pas mille
manières de s’entretenir avec le Ciel et qui compte parmi les plus
fascinantes des façons ?
L’égoïsme national, mondial, ne répond pas à la question
d’existence, et bien que notre époque est peu encline à porter un
intérêt à l’intelligence de la vie, toute la question est de comprendre
ce besoin et de se redemander où sont les racines du genre
humain. Les hypothèses qui ont émis que le genre humain est
l’aboutissement du règne animal ont été une véritable catastrophe
qui regorge de tares intellectuelles et de souffrances contenues
dans l’inconscient. Cela détruit le potentiel de l’enfant. Cela a
mené l’humanité à une torpeur de l’esprit sans précédent. Ainsi,
l’inexorable histoire de l’humanité n’arrive plus à s’oublier, d’un
souvenir à la limite des terres et des eaux… à l’écoute angoissée
29
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
de ne plus conquérir le Ciel. Pauvre règne animal à qui l’on fait
porter une dimension qui ne lui appartient pas.
Parvenus à un virage relevé de notre évolution, nous
pouvons comprendre cela dans plusieurs sens, Jehan. Et c’est sans
perdre de vue la première essence d’une crise, la métamorphose.
En attendant d’en partager avec toi quelques aspects dans cette
lettre et pour revenir à notre siècle, je te dirai, très cher, que je
reste convaincu que les recherches numériques, économiques,
biogénétiques, informatiques, robotiques, ainsi que celles à venir
ne génèrent en fait que du passé de l’humanité. Un passé sans
lequel l’homme d’aujourd’hui ne peut plus se défaire pour se sentir
exister. Un passé devenu indispensable à son équilibre actuel. Un
passé sans souffle. Un passé qui ramènera le passé dans son passé.
Tourments.
Perpétuellement, à partir d’un centre, il veut obstinément
contrôler et conceptualiser ses interprétations au fracas de la
pensée morte. Ce qui crée un conflit avec le réseau de l’instant, un
frisson cellulaire sous la voûte crânienne.
Ainsi, il est ramené une fois de plus à son impression
d’exister et aux élucubrations de son mal être parmi les plus beaux
tourments du genre humain. Nous devons donner du sens à tout
cela malgré la nuit des tombeaux et en dépit de tous les évènements
incroyablement douloureux que l’homme a pu commettre sur
terre.
Bien entendu, malgré son déni coriace, le processus du
« je », ne plaide pas en sa faveur. Au cœur d’un monde matériel,
le postulat de l’individualisation poussive a totalement oublié
la création de la vie sociale ainsi que le langage de la joie et du
partage. Or, cette tâche de citoyenneté responsable n’est pas
seule du ressort des politiciens, d’économistes ou de quelconques
30
Les vitres usées
gourous des chiffres. En fait de paradoxe planétaire, je crois
même, vois-tu, que l’histoire de la vie ici-bas sans le genre humain
s’ennuierait à mourir. Cela dit, l’homme ne fut-il point absent de
la Terre pendant trois milliards et demi d’années ? Et pourtant, le
monde ne s’est jamais retiré de nous.
A cette infinitude, la vie est un risque, notamment en raison
qu’Inconnu et Impermanence frappent à notre porte à chaque
instant. Peu acceptable pour l’ego et son public insensé comme
toc, toc toc ! Entrez, don de vie, je vous prie. Ô surprise, il n’y
a plus de contrôle. Dans cette mesure, je ne pense pas que l’on
puisse privatiser à long terme un risque, l’assurer, le vendre et
en faire férocement des bénéfices et un monopole sur la peur
humaine.
De toute façon, au-delà de la morale des siècles à venir et
celle du passé de la vérité, si la frontière de l’axe de vie est violée,
l’axe de la terre bougera. Le genre humain sera encore remis au
changement, coûte que coûte, avec comme objectif : retisser
un lien avec la semence première. Geste auguste de l’esprit tant
oublié : celui d’aimer la vie et de coconstruire avec.
De tous ces faits, la coprésence de la coproduction
conditionnelle et existentielle reste complètement liée. Ce type de
distinction est fondamental car il révèle du sens à l’ensemble et
nous replace dans nos responsabilités. Cela peut nous permettre de
comprendre ce qui pousse des peuples, experts en communication
paradoxale à en exterminer d’autres pour ensuite chercher des
remèdes à ces mécanismes de destruction récurrents.
Alors que les problèmes à résoudre s’accroissent,
que la matérialisation du vivant engendré par les sciences du
« moi » s’étendent dans la sphère sociale ; il est regrettable de
constater que les représentants des grandes nations dans l’ombre
des manitous de la privatisation ne veulent pas d’un partenariat
31
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
avec l’intelligence de la vie. En témoigne encore le sommet de
Copenhague en 2009. Et le protocole de Kyoto ? Les pays pollueurs
n’ont pas voulu signer. Va savoir pourquoi ? La question se pose
avec grande acuité. Le mensonge est quelque chose d’immense. Il
tient suspendu sous des feuilles qui cachent l’arbre qui les porte
tout en faisant croire à un vent léger sous les branches.
***
Vois-tu, cher ami, une fois, visitant l’abbaye du Thoronet dans
le Sud de la France, une guide s’est posée avec son groupe à la
croisée des transepts. Ensuite, toute en grâce, elle a murmuré avec
amour des sons qui envahissaient tout le vaisseau de pierre dans le
but de nous faire partager les capacités de l’art roman. Ainsi, elle
marchait à pas de moine dans la croisée, la louange dans le cœur,
et émettait dans l’espace des sons cristallins, ce qui donnait de
l’altesse à chaque membre du groupe qui écoutait avec l’émotion
des apprentis. Soudain, les sons musicaux venaient de partout
comme s’ils venaient d’un centre d’énergie dépourvu de centre,
mais que d’acumen. Tout cela t’aurait enchanté mon ami.
Et voilà, impossible de déceler une source quelconque, le
bon sens de la vie m’indiqua de partir à la découverte de processus
par l’intermédiaire d’où la vie émerge. Tous mes sens étaient en
activité et rassemblés. Mon être résonnait comme un essaim
d’abeilles. Tout au fond de mon esprit, pris dans cette chose de
vie, j’avais l’impression d’assister à la naissance du maintenant et
de m’éveiller à la nature ultime du néant.
Qui plus est, en sortant de l’abbaye, j’ai conservé en écho
dans mon cœur, l’admirable voix de cette guide, la clairvoyance
des pierres, des sons et des proportions qui avaient activé dans ma
vie intérieure une nouvelle perception.
32
Les vitres usées
Telle construction permis cette incroyable diffusion sonore
qui relevait selon mon action, d’un sens et d’un lien commun
fondamental. L’intention humaine du guide et l’harmonie de
l’édifice créèrent une action d’être qui m’avait propulsé dans
un néant. Le rien prenait vie et mon espace individuel avec.
L’intentionnalité était vie. Le seul prétexte était la vie, sans se faire
« moi », intellect, pensée, ou centre de savoir.
En fait, l’harmonie avait coopéré. La guide nous a fait faire
l’expérience de la cohabitation de l’homme avec un partage et un
ordre naturel.
Je veux dire par là que, et l’écho et la concordance sont altièrement
présent partout, à chaque instant. La coproduction existentielle,
c’est-à-dire l’interdépendance de la vie est pure harmonie,
dynamisme, partage, partenariat, cohabitation, énergie, axe du
monde.
Suite à cette intensité de vie, je me suis aussitôt dit intérieurement
tout en vagabondant dans les garrigues, que dans notre société qui
n’est en fait que l’authentique reflet de ce que nous sommes, si nous
pouvions, chacun à notre manière avoir une qualité d’intention en
relation avec l’harmonie, alors des forces d’amour agiraient dans
tous les sens, tout comme l’avaient fait les sons sur l’auditoire.
Tout se trouve encore et encore dans ce quotidien, notre grand
compagnon de route, qui dissimule une réalité plus profonde que
le simple nous-mêmes.
Et ces forces ne seraient pas le fruit de normes raides, de lois
ou de quelconques productions intellectuelles du dernier secours,
qui ont réponse à tout et qui ne résolvent rien, mais simplement
d’intentions vivantes. Des intentions à la capacité de résonnance,
de simplicité et d’expression de « ce qui est ».
33
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Mais voilà, narcotisé d’intellect à souhait, il nous faut
balourdement devenir dans le système, comme être apte, battre,
combattre, comme être complice d’un processus d’individualisation
où l’homme préfère renforcer son « moi » plutôt que d’ouvrir son
espace individuel en vue de parvenir à un nouvel état de conscience
de son contexte de vie.
Puis après avoir fait retentir l’airain de la comparaison, gardiens
de nous-mêmes, il nous faut répondre au pourquoi nous sommes
là, par une analyse qui décortique, sans même s’arrêter sur le sens
relationnel du « moi » avec le monde. Allons, cette démarche nous
relie à un exil cervelesque dans un marais immonde de la pensée
qu’un long deuil admire.
Le plus difficile, pour nous, les biens portants de l’Occident,
c’est de rendre conscient le conflit entre la coproduction
conditionnelle et la coproduction existentielle jusque dans ses
racines et d’y répondre par un acte de présence.
Ceci pris en compte, le manque d’argent dans nos poches
ne produirait plus autant de peurs, de territoires à jalouser et
à envier. A partir d’un travail d’investigation et d’une présence
d’esprit, libéré de ce conflit du « devenir et de l’espérer », l’homme
n’aurait plus besoin de piller ce qu’il voit, soit par ses paroles,
par ses pensées ou par ses actes. Bien sûr, me diras-tu, tout cela
dépend de l’individu et de la complexité de son évolution, pas
d’un contexte de vie artificiel, et encore moins du temps qui passe
après avoir dansé avec le passé.
Je suis bien aise de dire que le « je », rusé, enflé, élevé en
« fût du peut- être », n’aurait plus à attendre la fin de journée
de son travail ou la fin de la semaine pour se sentir lier avec la
paix de la nature ou à rechercher d’autres états de ce genre par
des activités qui se chamaillent avec la chimie de son cerveau.
Doit-on rêver sa vie en fin de semaine ou pendant les vacances
34
Les vitres usées
et projeter sans cesse une impression d’exister, dans une vie qui
n’existe pas ?
Chacun a son histoire, le monde d’aujourd’hui a aussi un
très long passé qui s’étire jusque dans la nuit des temps, sans quoi,
la partition ne pourrait continuer de s’écrire jusqu’à l’infini des
mondes, et j’aime répéter qu’un principe d’évolution commence
par rejoindre la réalité identitaire de l’autre, si misérable peut-elle
être, parfois dans nos dures conditions de vie ici-bas.
Un homme rejoint dans sa réalité, quel qu’il soit, d’où qu’il
vienne, change, car une étincelle est survenue à l’intérieur de lui,
et de ce fait, d’autres étincelles viendront à son cœur par surcroît.
Le principe d’humanité est un principe divin. La coïncidence est
si parfaite que nous ne ressentons guère cet immense amour qui
nous relie des fins fonds des calices de la Terre et du Ciel.
Il est donc folie de craindre le feu de vie, l’inconnu et
l’impermanence. A ce sujet, dans ma lettre, je parle parfois de
pensées mortes ou de sciences mortes. Je veux parler en fait de
sciences qui pensent que la vie est dénuée d’intentions, de ces
sciences qui séparent des aspects de la réalité de la vie pour
l’enrouler dans les allées et venues de la pensée.
Etrange, Jehan, que de vouloir séparer deux frères jumeaux que
sont la vie et la mort. Les sciences tirent des fils, certes, mais à
l’autre bout ne se trouve pas la vie. Il n’y a ni entrée ni rencontre
ni relation avec l’humanité.
Comment continuer de vivre sans se dire en fin de journée que
nous n’avons pas pu rejoindre la réalité d’un de nos collègues de
travail, d’un voisin, d’un inconnu ou celle d’un membre de notre
famille en y insufflant une semence de tendresse. En réalité, notre
bonheur dépend d’une seule chose, le bonheur des autres. C’est
évident. C’est ainsi que nous pouvons retrouver un ensemble à
construire et à découvrir. En attendant, il nous faut extraire ce
35
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
venin de la fragmentation en nous et le seul remède est la relation,
notre présence. On pourrait dire que c’est la part fidèle de la vie
quand de son cri muet, elle reprend ses droits, de nuit comme de
jour, délivrée de toute possession humaine.
La question qui se pose est de savoir pourquoi l’homme
est en conflit avec sa condition humaine, en rupture avec une
harmonie qu’il ne peut ou ne veut pas pénétrer ? Pourquoi
sépare-t-il la perception de ce que qu’il prétend être la réalité ?
Et comme tu le signales si justement dans ta lettre, il est essentiel
d’appréhender la profondeur de cette question sur autant de plans
qu’il nous sera donné d’investiguer avec objectif de surmonter
la fragmentation que provoque le « moi » et la pensée qui semble
être une seule et même chose, un seul et même mouvement. Et
ce chemin ne passe ni par la pensée ni par le « je ». L’appel de la
vie nous aurait-il échappé ? Est-ce que l’homme, par une terrible
ignorance, de manière générale, n’arrive plus à entrer en relation
avec la vie autrement que d’une manière intellectuelle ?
Il va de soi de constater que dans un premier temps, l’harmonie
nous parle d’inconnu, d’incertitude, d’impermanence, d’infini, de
néant, d’immensité, de partage de vie et de partage de mort. La
vie est le maître de l’inconnu et il ne sert à rien d’avoir peur d’elle,
car la vie est amour. Demandons- nous Jehan, pourquoi évitonsnous ou fuyons-nous l’amour ? Alors que nos pieds sentent le sol
de la Terre mère, nous n’en savons toujours rien. Et si le destin
nous sert de fatalité, alors le défi est à relever. Nous le portons en
nous à la seule vue de tous les instants.
Il n’y a guère que la pensée dénuée de vraisemblance pour
inventer des Dieux fixes et barbus cachés derrière les nuages,
n’est-ce pas ! Ainsi, une fois que les distances sont instaurées par
la pensée, tout indique que le « moi » se miroitera dans cette limite
36
Les vitres usées
nuageuse comme un centre qui donnera de la surface mesurée
à la profondeur perçue. Les croyances et les surimpressions
suppliantes tiendront lieu de vie et l’homme en fera une croisade
et un modèle unidimensionnel restrictif. Rien de plus restrictif
dans une quête d’épanouissement.
Quant au système dans lequel nous naissons, nous
grandissons, nous apprenons, nous nous réalisons, les normes,
qu’elles soient scolaires, éducatives, politiques, parentales, sociales,
amoureuses, nous parlent d’ego, de possession, de passé, de gloire,
de compte en banque, d’encombrement, de commémoration, de
devenir un quelque chose déjà mort. C’est le cachot mesquin. La
ligne de cœur est courbe, avant même que l’acte de nuit et de
jour soit contemplé. L’expédition menée contre l’ego commence
en nous-mêmes, par une présente caravane humaine. Ce premier
geste brillant de conscience qui ira jusqu’à l’infime geste de mourir
gagnera avec une joie impétueuse le grand mouvement de la vie.
Le Grand Saut, Jehan…
Tout d’abord, c’est à partir de ce gargouillis dégagé par
les pensées objets que nous pouvons agir sur notre manière
d’être collectivement, en essayant d’identifier ce qui serait d’une
répétition compulsive de ce qui est inédit et bon pour l’ensemble
de la société. Il s’agit effectivement d’une prise de conscience
importante : le genre humain. Notre présence dans ce genre de vie.
Qu’y faisons-nous ? Explorons poétiquement cette interrogation,
juste en souvenir de notre voyage, sans y chercher des réponses
qui soulageraient notre « petit je ».
Une des bases fondamentale du conflit est simple. Exister
est en soi une cohabitation avec ces deux réalités, (coproduction
conditionnelle et existentielle) aussi franches que possibles.
Chacun de nous en son for intérieur peut vivre ce déchirement au
sein de sa vie quotidienne égoïste et matérielle. Il semble que vivre
37
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
exclusivement l’une ou l’autre de ces réalités nous enfermerait
vers un absolu, donc dans un conflit, une division, une séparation,
une fusion, un isolement, somme toute, un écartèlement de la vie
psychique. Par conséquence, l’intelligence de la vie ne peut plus
venir à notre rencontre.
Parfois, quand on dit que la vie ne peut rien pour nous,
c’est vrai, car à regarder ainsi notre manque d’ouverture, nous ne
faisons vraiment aucun pas vers elle. Le fondamentaliste religieux,
politique, économique, éducatif, est un exemple de pas croisés.
Tel un arbre qui a vu le jour d’un état de cause sur l’absence d’un
fruit. Toutes pensées ou appréciations des réalités absolues qui
sont imposées à des individus, une tribu, un peuple, une nation,
un enfant, est une forme de fondamentalisme qui englue la vie de
l’esprit. Et malheureusement c’est contagieux.
Tout aussitôt, ce conflit se réalise, jour après jour, quel estil ? Essayons de faire l’expérience vécue de ce conflit et trouvons
le correctif grâce à un état de conscience libre qui oscille dans
le réseau de l’instant. Si toute chose a sa raison d’être sous des
formes diverses et contradictoires, déliée ou à l’écart de cette
raison immédiate, une étude attentive de notre comportement
nous montrerait que derrière nos actions se dissimule un conflit
existentiel que nous refusons de résoudre en dehors de toute
rationalité.
Et moins on veut voir, plus nos attitudes se perdent dans
un conditionnement où Intellectus Premier s’autoproclame Roi de
ce qui « devrait être », de ce qui « aurait dû être » et de ce qui ne
sera jamais. A cela, mêlé de forces déchaînées, les intellectuels
(l’homme neuronal), jusqu’à ne plus sentir leurs pieds adhérer à
la terre. La complexité du réel en est ainsi amplifiée dans un dur
labeur de la mémoire. Mais, celle-ci, n’est elle pas une mystérieuse
collaboratrice à notre évolution ?
38
Les vitres usées
Au bout du compte, l’érosion des sciences du « petit je »
apparaît comme un cheminement de l’ego qui masque la sensibilité
humaine par un fil à plomb dès sa conception. Le « je », comme
une copie exacte d’une impression d’exister, en ce tournant de
millénaire, s’isole face au reste du monde. Voilà tout le drame. La
technique qui se veut insistante, fait l’histoire à la place de l’homme.
D’un tel dessein, il est difficile de renier que toutes les babioles
numériques le rassurent avant tout sur un plan psychologique.
L’exemple du portable qui se veut des droits sacrés est navrant.
La lecture rapide de l’état de santé de l’homme d’aujourd’hui
montre que tous ces joujoux ne permettent plus l’interaction et
l’interrelation naturelle que les hommes pouvaient avoir entre eux
et avec ce qui est doué de vie. Il semble que le message du genre
humain est encore prisonnier dans le corps.
Tout ce plus de l’Inexisté qui occupe la place centrale et
dominante de la vie sociale et des cerveaux humains, créé des
tensions violentes et font du mal à tous ceux qui sont activés
par de tels rouages. De boule de neige en parades, le système
nerveux s’en voit même fragilisé, la rectitude intérieure ébranlée,
dans l’exclusion croissante pareille à une armée d’acte en guerre
dans les forêts sombres de la toile humaine.
Malgré cela, je suis convaincu que cette époque aura
ceci d’extraordinaire : nous donner envie de participer plus que
jamais à son changement afin de nous rencontrer avec un regard
nouveau. N’est-ce pas, Jehan. Le démantèlement du passé appelle
l’homme debout et l’appel est grand. Tu l’exprimes si bien dans ta
lettre, c’est une occasion rêvée de se transformer et d’intégrer ce
chaos plutôt que de le considérer comme une fatalité et d’en être
une victime. Mettons au défi ce chaos, on avancera à la poigne
d’un acte de conscience, du même pas que « ce qui est », hors de
toute mémoire. On ne se souvient que dans le temps n’est-ce pas !
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Pourtant, délivré du Temps de l’Inexisté, tel un fruit automnal
résidant dans l’instant, les mois, les semaines, les années, les
jours, seraient réduits en poussière vivante. N’est-ce pas la même
poussière qui a coloré le noyau qui nous a vus naître…
Nous sommes conscients de ce conflit lorsque nous
pouvons l’observer en nous-mêmes dans le milieu naturel dans
lequel nous vivons. Que nous révèle la relation fondée sur
l’instant, si ce n’est justement là que se manifeste la source du
conflit. Était-il en fait déjà là ? Et nous, où étions-nous ? Avonsnous une relation spécifique avec un monde d’harmonie qui nous
entoure et un autre type de relation avec un système de chiffres et
de calculs qui coproduit notre condition humaine et le temps de
l’Inexisté mémorisé impartie à cette coproduction ?
Le système actuel est un reflet des siècles passés mais la
naissance de l’instant a-t-elle vraiment changé ? Le maintenant
n’est-il pas toujours aussi sublime qu’à son origine ? Toujours le
même, sans jamais l’être, la vie change tout en restant la même.
D’où viennent nos connaissances et notre apprentissage, de notre
juste présence à l’instant cendré.
Jehan, à mon avis, le mouvement de la vie dont on porte
l’empreinte, ne part pas de notre cerveau ni d’un temps que la
pensée suggère au « moi », comme quelque chose de réel et de
mortel. Il n’y a pas besoin de prouver que « ce qui est » existe,
que le réseau de l’instant est le prolongement concret d’une
intelligence. Vouloir même le prouver créé la distorsion.
Par ailleurs, n’est-ce pas la réponse et le mobile qui nous
séparent, d’une part d’un nouvel état de conscience à pourvoir
et d’autre part, de notre relation avec l’instant qui est la source
commune de tout ce qui est doué de vie. Le sens est là, il n’a
pas d’explication humaine où par surcroît, « p’tit je » s’en serait
contenter à des fins purement égomaniaques.
40
Les vitres usées
Très cher, la nature même du conflit n’est-elle pas une
rupture grandissante, un embastillement, dans l’une ou l’autre de
ces réalités, une danse sur le fil de l’ambivalence où le souffle lent
de l’implacable paradoxe nous rend visite. Ensuite, pareil à un
paradoxe cellulaire, il pénètre notre intimité sans y avoir été invité.
Que de passages incessants d’un contexte détonant, alimentant un
« moi » en quête d’un devenir, à celui d’une vie naturelle appelant
un « être » à une évolution étonnante d’humanité. Tant que nous
ne serons pas responsables dans cette étape de la coproduction
conditionnelle, nous ne serons pas libres dans la coproduction
existentielle, et vice-versa. Les polarités ont un sens, elles sont un
lieu de rencontre.
Regardons les peuplades qui vivaient en accord avec la nature
ainsi que leur système tribal… Que sont devenues aujourd’hui
leurs mœurs, leur Ciel de verdure, suite à la rencontre de l’homme
blanc ? Ce qui leur semblait réel dans l’espace s’avérait réel hors
du temps, n’est-ce pas. C’était des peuples de traditions orales qui
ont eu un sentiment très profond de la vie. Ils n’avaient pas besoin
d’Intellectus puisqu’ils faisaient partis de cet état extraordinaire de
l’Existé.
Hélas ! L’intellect est un poignard judéochrétien, tel un
obstacle à la compréhension du réseau de l’instant. Et nous ne
l’avons toujours pas compris depuis notre tête d’eau que nous
avons « impérialisée ».
Les liens de ces peuplades avec la coproduction existentielle
déterminait leurs règles de vie alors que chez nous autres, les « dits
bien portants », c’est tout ce qui se situe dans notre coproduction
conditionnelle qui dicte nos lois et exécute nos règles, ce qui nous
conduit à des points fragiles de la condition humaine. Au point où
les ambivalences attaquent l’espace individuel ligotant le « je » à
ce qui le coproduit. De là, naissent toutes les sciences sociales, les
41
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
analyses, et tout le reste de l’orchestre de la fragmentation, mais
demandons-nous honnêtement, Jehan, si tout cela insuffle de la
vie.
On peut s’imaginer le choc des cultures et ô combien ces
peuples au goût du sacré ont souffert devant l’invasion de nos
systèmes dépourvus de liens avec l’Existé. Nul doute, les mythes
des peuples archaïques ont tant de chose à nous apprendre sur
le langage et les mystères de la vie. Ils ont tournés en tête sur les
rouets de la vie.
Et inversement, que sont devenus tous ces systèmes
attrayants qui à leur apogée se sont séparés de la coproduction
existentielle. Rappelons-nous, Rome, Grèce, les guerres mondiales,
et ceux d’aujourd’hui, ceux à venir, que deviendront-ils ? Mêmes
tous les courants qui prônent la santé, le bien-être, le spirituel,
les religions, ramènent dans la coproduction conditionnelle. Cela
saute aux yeux ! Plus il y a de mouvements plus il y a de chaos…
de propagande, de marketing, plus on fait des efforts, plus on suit
des méthodes, plus on renforce une coproduction conditionnelle
qui déséquilibre l’axe de la rencontre.
Libérer le passé de son passé ne signifie pas déplacer le
passé dans le temps et faire croire à la subite apparition d’une
énergie universelle.
Quels genres d’hommes et de valeurs sont coproduits
à notre époque ? La situation est claire, quel bien commun de
l’humanité est en jeu ? Quelle partie de l’évolution de l’humanité
n’a pas été saisie, non pas seulement sur le plan de la condition
humaine mais sur le plan de l’esprit.
Dans l’azur d’une ou l’autre des deux coproductions, c’est
de toute façon toujours le Ciel qui disparaît. Le « je » montre du
doigt l’Orient tandis que l’intellect lui cache l’Occident et vice
versa, et là, dans cet espace flou, s’immiscent toutes les zones
42
Les vitres usées
d’ombre du genre humain. Des zones que nous devons franchir
dans notre vie, dans notre relation avec le monde et avec tous ceux
et celles que nous croisons au carrefour des rencontres humaines.
Dans cet espace de la relation, nos méthodes ne nous serviront
à pas grand-chose si ce n’est nous renvoyer dans une clôture
mentale aménagée de traités et de concepts sur la vérité.
En fait de science et de technologie supérieure dont le point
de départ a été sans doute d’améliorer la condition humaine, n’y at-il pas eu aussi ce désir d’apprenti sorcier de vouloir s’approprier
l’intelligence de la vie par un système de pensées, de contrôle,
de valeurs et de normes qui pour parer à l’avoir, nous a mit en
conflit avec nos projets de vie, nos projets d’être, qui dépendent
en premier lieu des projets de nos semblables et de tout le reste
du monde.
J’avoue que les technologies nous ont fait découvrir une
communauté matérielle infiniment séduisante, au moins sur le
principe d’apparence de ses multiples côtés pratiques. A savoir
si cela correspondait à un besoin, c’est une bonne question. Qui
avait vraiment besoin qu’il en soit ainsi ? Le globe de l’intellect ?
En effet, le « p’tit je » est désormais occupé et préoccupé
à souhaits, il l’exprimera sous des civilisations, des cultures
différentes, des gouvernements différents…. Mais ce « moi » n’est
en rien unique, c’est le même « moi » qui saccage et qui détraque
la réalité.
Il est fondamental, Jehan, que nous nous arrêtions sur
chacune des sciences aux talents de séduction qui promettent
solutions miracles et facilités immédiates. Elles portent toutes une
ambivalence qui n’est guère prise en compte dans les processus
d’investigation d’une découverte et de son application. Les
sciences actuelles semblent véhiculer des traits caractéristiques
de la conscience humaine, avec un langage commun, sur lequel,
43
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
l’homme s’oriente comme un instrument ambigu d’une pratique
intermédiaire avec l’Existé. Et cet intermédiaire est un objet sans
équilibre de vie. Où est le projet de la cohabitation et du partenariat
avec nos semblables ?
Quand l’image de la vie devient fragmentée et linéaire
dans le contexte social, tout aspect du monde devient une triste
analyse d’une cause sans issue. Le « moi » s’empare alors d’une
douleur de vivre, d’une image de lui-même dépendante de la
fatalité, identique à un écho de la mémoire qui lui rappellera
alors une affliction du passé. Un temps en résurgence fige le
réseau de l’instant et se chamaille avec les autres « p’tits je » dans
un temps de l’Inexisté sans équilibre de vie. Le cercle infernal
des ruptures et des douleurs enflamment alors les couples, les
vies de famille et la vie sociale. L’eau de source ne coule plus
vers la mer…
Voyons, si une science modifie une graine parce que celleci est fragilisée par un insecte ou une bactérie, nous sommes-nous
posez la question de la raison d’être de cet insecte ou de cette
bactérie dans le système de vie dans lequel ils évoluent ?
Tout d’abord, l’interaction entre l’insecte et la plante
était peut- être porteuse d’un sens, donc d’un équilibre avec un
système de vie qui lui est propre et interactif. Dans ce sens, si
nous modifions quelque chose et que nous le sortons de son
contexte de vie, la dimension scientifique devrait être soumise
immédiatement à une commission d’éthique par le biais d’une
science de l’esprit, c’est-à-dire une science de l’ensemble, ceci,
afin d’éviter des déviations, des situations à risque pour la santé
de l’homme et de son environnement.
Si nous changeons les intentions de la vie, il se conçoit les
empires des fragmentations qui se répercutent logiquement dans
le genre humain.
44
Les vitres usées
Les classes dirigeantes ont d’énormes progrès à faire dans ce
domaine afin de ne pas laisser des manitous et des Lobby (groupes
de pression organisés qui pèsent sur les décisions économiques et
politiques), nuire à l’équilibre qui maintient la vie de notre planète.
Il est vrai que parfois, il est difficile de discerner qui est qui, et
vrai encore que les intérêts de trafic d’influence et les profits de
clientisme que font les grandes nations et ses organisations non
gouvernementales se font aux dépens de l’intérêt général.
Etant donné que la vie n’est pas une source de donnée
« intellectualisable », à notre époque où l’on intellectualise tout ce
qui bouge, à chacun de nos pas, le conflit en pleine inconscience est
devenu incontournable, croissant et immédiat, régional, national
et mondial. Et c’est tant mieux, tout le monde peut désormais
comprendre qu’il existe autre chose qu’un reflet de lui-même à
analyser et à considérer, du moins, je l’espère, Jehan.
A quoi bon un tel centre de sciences qui veut tout contrôler
à partir de techniques qui remplaceront tôt ou tard le bon sens
du vivant par une toilette intellectuelle ! Revers consternant
d’une invasion de réalités abstraites pensées pour alléger la vie de
l’homme. Voici que le bon sens même d’exister est mis en danger
par des hommes qui se sont crus intelligents.
La propriété intellectuelle et physique s’emploie pour
souligner un côté éphémère du système de la coproduction
conditionnelle qui alimente une prolongation de notre séjour sur
terre, dans le temps et dans une accélération de ce même temps, ce
qui met l’homme sur un rang où il lui faudra aussi servir l’intérêt
de ce dit service qui donne du fil à retordre aux chiffres, ce qui
n’est pas forcément incompatible, convenons-en, à servir aussi
une politique sociale.
Toutefois, le lien de sensibilité qui unit les hommes et les
générations est comme rompu, si je puis oser le dire ainsi. Les
45
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
liens sont à renouer pareil à l’instabilité d’un nouvel équilibre
auquel nous devons nous tenir ensemble. Le sens du bonheur se
manifeste dans la cohésion de l’ensemble.
Le grand bonheur, c’est qu’il nous faudra plonger dans ce
constat si nous voulons régénérer une vie sociale qui ne soit plus
expérimentale, simplement technique ou émotionnelle. Il y aura du
travail intérieur pour tous, et c’est à mon sens, indépendamment
du prix à payer des conséquences futures, que du bonheur.
Faisons-nous à l’idée, Jehan, que « ce qui est », s’oubli dans
le réseau de l’instant. Permets-moi d’insister que c’est dans cet
oubli que se trouve la source de toute chose. N’est-ce point là
que la vie se poursuit en nous, là où nous n’avons qu’à être le plus
simplement du monde. La propriété de soi n’existe pas, l’air bon,
ridicule, gros ou pensant non plus. Peine perdue de se dire que
l’infini ou l’instant sont connaissables ou ont une explication à
révéler, si ce n’est la nôtre, à peine perçue. C’est cela le bon sens.
Et cela exige de la présence « à ce qui est ». Une présence qui ne
relève d’aucun centre. C’est ce qui fait la grandeur du réseau de
l’instant, il n’y a pas de passé, pas de futur, pas de centre. Il est aisé
de comprendre nos difficultés à entrer en relation avec le réseau
de l’instant.
Parfois, lorsque j’observe le flux subtil de la vie
quotidienne, je perçois la pensée morte, le « moi », comme
désormais au service de sous-systèmes de mécanismes
comportementaux que des organismes de l’Etat alimentent.
C’est un comble de magicien, la périphérie est devenue un centre
qui, comme une force motrice, actionne un fonctionnement qui
nomme l’irréel afin qu’on le reconnaisse et qu’on lui donne vie.
D’où toute l’importance d’insuffler de la vie dans le système qui
vient de la vie et non de la seule coproduction conditionnelle
46
Les vitres usées
ce, pour équilibrer « ce qui est » de cette première interprétation
des faits.
Coupé de l’intelligence de la vie pour l’essentiel, nous
sommes ramenés pitoyablement à vivre et à voir la vie depuis
l’exclusivité d’un système transformé en des forces centripètes qui
ne distinguent plus l’être de l’homme. Dans tout cela, de manière
inextricable, nous attribuons soit des croyances paralysées dans
un ciel changeant, soit un néant mensonger qui borde la clôture
mentale.
La souffrance est alors pareille à un centre qui est observé
depuis sa circonférence, et comme exemple, nous avons ce qui
pilote les relations sociales, les organismes intermédiaires qui
comptent, comparent, archivent, calculent, et distribuent les
billets bancaires à partir de données numériques et de probabilités
psychiques. Cela ne cesse de bavarder, de compter, de calculer,
de penser, de projeter, etc. Tout à coup, nous possédons et nous
voici ainsi possédés, propriétaire d’un reflet d’une coproduction.
Dès lors, les hommes teintés de passé et d’émotionnel
douteux ne cessent de s’observer, de se dévisager, sans raison
apparente, comme si leur attention et intention attiraient un centre
inconscient qui joue un rôle décisif sur leur comportement, leur
entourage et l’histoire de l’humanité.
Suite au quotidien ardu, si je puis le caricaturer ainsi, toute
injustice sur terre s’imprègne alors de réactions simplistes après
une lecture expéditive des faits de la vie. Vient alors l’homme du
petit matin qui s’exclame ainsi : « c’est la faute à ceci ou à cela »,
oubliant qu’il est lui-même une partie intégrante de cette injustice.
Dans la pénombre, les communautés scientifiques, économiques,
politiques, religieuses, ne manqueront pas de croire qu’elles sont
investies dès lors d’une mission salvatrice à l’égard du bon vieux
47
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
reste du monde. Des sauveurs seront fabriqués, ce qui renforcera
une fuite pathologique normalisée face aux faits de nous-mêmes.
Dans ce sens, la connaissance et les croyances sont
devenues une entrave à la vie. Je pense Jehan que les sciences
et les religions ne tirent pas leurs champs d’application d’une
science de l’esprit mais d’une fragmentation de la vie psychique.
Que ce soit du passé de la pensée ou du passé de la vérité, ce
passé fait tourner le genre humain dans un giratoire intellectuel
souffrant. La raison essentielle de ce malheur est que les hommes
donnent une continuité de leur passé à chaque aurore. Ainsi est
attribué au passé, un devenir, un conflit de normes et de valeurs
qui conditionnent les contraires dans l’Inexisté 4.
Tel est pour l’être humain le caractère du Temps
Cervelesque qui explique sa situation actuelle. Il reste encore
persuadé que le temps conçu dans son cerveau le lie à un devenir
ou à un mystique facteur de changement, alors que c’est ce qui le
distingue dans son isolement et dans son conditionnement.
Il est vrai que nous n’évoluons pas tous en même temps.
Chacun a son rythme de croisière. Et nécessairement, cela
engendre des quarantaines. Ces tensions antisociales sont utiles
et vitales à l’ensemble. Notre premier geste est de les rejeter mais
nous avons tort. Les contrastes et les paradoxes qui naissent de
nos divergences et de nos zones d’ombre ne sont pas là pour que
nous retrouvions un passé de la vérité mais pour nous rappeler
que nous devons nous en libérer sans prendre des médicaments.
Il y a sans cesse un exercice d’équilibre à vivre, comme s’il
était le premier instant de notre vie. Un instant sans souvenir. N’estce point la raison d’être du réseau de l’instant, prendre la vie sur
son passage. Tout l’art d’exister ensemble réside dans l’engagement
que nous avons dans cet incroyable exercice d’équilibre. Malgré ce
phénomène de rupture et de détachement qui nous éprouve dans
48
Les vitres usées
notre développement, ce n’en est pas moins une alliance avec
l’intelligence de la vie.
Tout soin porté à une situation qui n’est pas pour
notre bien personnel et encore moins pour le bien de l’autre,
mais pour le grand bien de l’ensemble nous rend les forces du
déconditionnement dont nous avons besoin pour continuer notre
chemin. Ainsi se renouvellent nos cellules, lorsque nous cessons
de retenir.
Dans ce sens, nous évoluons dans la création de nos
relations, dans l’alliance de cet équilibre à reconstruire dont chaque
instant est porteur d’une immense énergie.
C’est un principe de vie sans égal qui a fait ses preuves
durant l’histoire de l’homme et celle de la vie. L’évolution est une
histoire d’Ensemble dont nous faisons partie, certes, mais sans
une conscience de celui-ci, notre évolution s’arrête aussitôt. Le
passé sombre reprend en main son avenir. Il ne s’agit donc pas
de devenir un quelque chose ou un quelqu’un, mais d’être dans la
création évolutive de nos relations. Pour cela, le « moi », incapable
de s’ouvrir au réseau de l’instant, doit laisser place à la vie. Dès
lors, cessent les efforts inutiles de la pensée et de l’intellect. La vie
en nous reprend son cours naturel avec une ardeur qui va jusqu’à
la simplicité et l’amour.
L’identité dans ce sens est toujours en construction, en
mouvement et dépendante de ce qui lui permet son développement
individuel qui au meilleur du bon sens, sert les deux coproductions.
Mais au si nous sommes au service des deux coproductions,
demandons-nous vraiment s’il y a quelque chose à atteindre ?
Si la démocratie de l’internet permet d’être au service de
l’individu, il est nécessaire que l’individu serve autre chose que la
démocratie, mais l’Ensemble qui la constitue. C’est une manière
de servir intelligemment la vie en quelque sorte que de rendre des
49
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
comptes de notre développement qui n’est autre que de libérer du
passé de son propre passé.
La vie, sous ses formes les plus pures, les plus proches, les
plus éloignées, les plus complexes, est contraire à l’enfermement
de la pensée dans une clôture mentale. Je crois Jehan que tant
que nous n’entrerons pas en communication avec l’Existé, cet
aspect-là de la condition humaine restera difficilement abordable
et compréhensible.
Comprenons-nous, Jehan, il ne s’agit pas de prôner un
retour providentiel à la nature, une quelconque fusion avec, ou de
fuir un système hermétique, mais de déchiffrer où nous en sommes
aujourd’hui afin d’actualiser ces polarités et de comprendre leur
raison d’être. Ensuite, il serait pénétrant de donner de la valeur aux
caractères exceptionnels des paradoxes dans le but d’y chercher
un exercice d’équilibre qui sert la vie et non la continuité ou la
justification d’un conflit qui a pris racine dans le fonctionnement
de la structure psychique humaine.
Je crois que la cohabitation, le sens, le lien, seront le thème
central de cette lettre comme une approche d’observation qui
nous apprend directement quelque chose de nous-mêmes et de
tout ce qui est doué de vie.
Les forces à l’œuvre dans notre société dans la réalisation
de nos conditions de vie et celles de la nature forment aussi un
Tout au niveau de ce que l’on perçoit quasi tous spontanément de
la vie. Cependant, c’est à chacun de découvrir si c’est la même vie,
n’est-ce pas ! Nous ne percevons pas tous de la même façon sur
l’impérative nécessité de vivre.
Ordinairement, le « moi », cramponné de manière générale
cherche refuge soit par un surmenage de travail, soit par des
activités diverses en fin de semaine. Dans quel but ? Pour se
ressourcer, échapper à la souffrance, retrouver un semblant d’être,
50
Les vitres usées
gagner en prestige, tenir le coup dans le système ou encore pour
alimenter les plaisirs du « je ». C’est là une évidence des affres de
notre condition humaine élaborées par l’Intellect et d’une étrange
implication émotionnelle de la vie.
Essayons d’appréhender ce qui se passe, identifions ce
conflit avec de justes appréciations et jusqu’à la terreur de vivre,
s’il le faut. Autrement dit, l’état de notre besoin affectif nous en
dira long sur le genre humain. C’est bien là que nous devons nous
accorder et remettre en question la somme de nos savoirs.
Le « moi » qui s’élabore dans son costume existentiel est
une image de ce que nous croyons être de nous-mêmes. Que
suggère cette posture de la sangsue ? Cette image de dessin animé
est coproduite par la vie dominante du système de la coproduction
conditionnelle. Et sans jamais être le même, le « moi » aux mille
facettes a l’impression d’exister et qu’il s’agit toujours bien de lui.
Allons donc ! Le jeu des impressions et des accoutrements bat
son plein. Le grand théâtre de la fragmentation est ouvert sur le
front des âges.
Il y a opposition entre un « je » hypertrophié dans un
système qui le coproduit et une énergie de vie innée, enracinée
en lui. Ce qui créé un dualisme social pathologique et normalisé
guère remis en question car nous n’apprenons pas à nos enfants
à coexister avec ces deux dimensions : celle de la dimension du
système qui régit notre condition humaine décrété d’avance par
des règles et influences de vie du contexte social, et celle de la
dimension existentielle, la béance cosmique dans laquelle nous
baignons, tout entier. Cette dernière est une dimension qui nous
apporte liberté, initiative, épreuves, espace individuel et amour.
L’échelle des valeurs de ces deux dimensions seraient à examiner
de plus près. Quand au puits qui réunit ces deux coproductions,
nous n’avons pas d’autres choix que de plonger dedans.
51
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Le « je », à la rencontre du monde adulte, ne s’accorde
presque plus aux merveilleuses forces de vie qu’offre la nature.
Il veut se faire éternel avec la présence des joujoux de la
technoscience, où, infailliblement, il se verra tôt ou tard condamné
à une absence de sens de sa propre vie. Pourtant, l’étape du « moi »
est un incontournable outil de travail qui permet de s’insérer dans le
monde en termes des âges de la vie, donc de radical changement.
Il me semble qu’il y a une nuance entre la connaissance d’un
« je » analogue à la pensée bavarde et la connaissance spontanée
de ce qui instaure ce « je ».
Tout ce qui a une coloration du « je » est harassant et
consenti. C’est ancré dans nos habitudes et notre mémoire
cellulaire, que d’éprouver pour son propre compte un ridicule
de l’image enclot dans un nid. Vu que le champ individuel est
archicomble de jours qui ne sont plus et de lendemains qui
n’ont jamais existé, convenons-en, il ne reste plus d’espace pour
contempler le Monde, pour se percher haut et prendre son envol,
non pas tout seul mais avec lui.
Or, cette étape à dépasser du « je » excessif, n’est-elle pas
un seuil à franchir pour progresser vers l’amour de « ce qui est »,
avec une intensité particulière. Depuis des temps immémoriaux,
oubliant de vivre, de respirer calmement, nous cherchons des
explications à la vie tout éloigné devant ou tout reculé dans les
cavernes du passé. Or, le voyage de la vie, exige que nous soyons
en relation avec son flux ou réseau de l’instant. Ce qui n’a rien
à voir avec tout notre vouloir et notre savoir. La distorsion de
l’homme neuronal est immédiate, la fragmentation subite. Si la vie
se refuse à nous, c’est tout simplement à cause de notre posture.
La vie nous emporte, que nous soyons os ou esprit. La promesse
est là. L’odyssée.
52
Les vitres usées
Il est clair que toutes les réponses à la vie ne se trouvent
ni dans le « moi » qui suggère une impression de conscience
de soi et encore moins dans un cadre de la pensée qui tente de
structurer tant soit peu l’énergie qui anime l’âme humaine et ses
alentours, par des sciences qui rassurent la cohorte d’Intellectus.
Il nous faut porter notre présence ailleurs, tout en sachant que
ce que nous cherchons, commence en nous-mêmes, Jehan, dans
les amours buissonnières. Ah ! L’école buissonnière a toujours
été une faiseuse de miracles. La récréation avait bien pour but de
nous dépouiller de tous ces savoirs fragmentés.
L’intention pure, neutre, possède déjà, avant sa
manifestation, son propre mouvement, son propre rythme
musical. Allons, allons, tout est là, d’ici à maintenant, soyons
seulement en présence, en contact, en relation, en silence, frère
Jehan. Tout dépendra de la manière dont on va accueillir dans nos
cœurs ce mystère d’amour. Oh ! « silencé », le voici qui vient se
faufiler dans nos partitions de vie. Serait-ce l’occasion d’écrire
quelques ritournelles et d’écouter les arbres ?
Coproduction conditionnelle : forces qui façonnent, conditionnent
et déterminent notre situation humaine et notre comportement dans le
système.
Coproduction existentielle : Tout ce qui est doué de vie, qui n’a pas d’entité
propre ou autonome mais qui existe parce qu’il y a relation avec la vie. Forces
qui nous tissent dans la trame de l’Existé.
2
: Moi, « p’tit je », je, « moi enflé », pensée morte, sont des synonymes. Ils
expriment une impression d’exister à partir d’un centre qui enferme celui qui
devient propriétaire de cette impression dans une clôture mentale.
1
53
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
54
L’espace individuel
L
e deux décembre 2010.
De ce jour à la posture du recul, une poétique de l’espace
comme nouvelle compagne, c’est au son éclatant des cloches de
la merveilleuse paroisse protestante d’Yverdon que je suis allé
guigner la statue de Pestalozzi. Ding ! Dong ! Ding ! Dong !
Pestalozzi est représenté par un immense bronze sur la
place du château où deux enfants, à ses côtés, un livre ouvert
en harmonie avec ses projets, manifestent ensemble une noble
mission. Un noyau rassemble l’espace individuel et la mission me
rappelle l’union, une totale union. Il n’y a pas de sauveur, juste des
hommes sincères qui veulent rester debout.
Je profite d’habiter provisoirement cette charmante petite
ville située au pied du Jura pour rendre hommage à ce grand
homme et pour finir d’écrire cette trilogie Celte qui me tient à
cœur et probablement encore en vie. Pour sûr, je fêterai mes
cinquante ans avec la dernière partie : Lettre à une femme pas
comme tout le monde. Je n’omettrai aucun état d’âme qui pourra
donner à ce travail les caractères de son authenticité. Quitte à
exister, je continue de vivre à fond avec l’audace qu’il se doit, celle
d’écouter dans l’état lui-même de ce que dit le cœur.
55
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Jadis, je t’avais parlé de ce pédagogue Suisse qui fut à la
base de l’éducation moderne et ô combien j’étais resté toujours
admirateur de tel type d’homme dont le courage et la force d’être
vrai permirent de déplacer des montagnes. A voir, mamelons de
terre et de roche sont toujours restés en mouvement. Sans vouloir
tracer des parallèles éloquents, nous voyons bien qu’être partenaire
avec ce « qui est doué de vie », restera la richesse même de l’acte
d’exister. Nous apprivoisons le changement en nous diversifiant à
l’infini, n’est-ce pas Jehan !
Quant aux savoirs déguisés par des têtes organisées aux
heures passagères, ainsi qu’aux processus de cognition qui n’ont
aucune grâce poétique sur la scène sociale, je confirme pour la
millième fois qu’ils ne sont ni utiles pour la connaissance de soi,
ni pour la pratique de la vie. Dans la plupart des cas, les savoirs
ne font que ressortir nos sévérités dans un monde défini par les
stades de notre développement, qui, fondamentalement, montre
le désaccord immédiat du genre humain avec sa condition
humaine.
La pensée morte a créé un monde de désarçonnés de
l’instant, une façon de penser sans souffle, un vocabulaire, une
syntaxe, des sciences, des normes, certes, mais cette mise en
commun mérite toute notre attention et interrogation. Nous
protège t-elle de nos folies ? Non, la folie ne contient pas
l’intellectualisme or, l’intellect est folie….
Disons que la pensée morte met le doigt exactement où
nous sommes restés bloqués dans notre déploiement. En ce sens,
elle est un révélateur extraordinaire d’enseignement de vie.
Les savoirs crus à la lettre, comptés, comparés, si anciens,
répétés machinalement, produisent la presque totalité des
misères sociales et des conflits humains. L’intellect, de par sa
nature fragmentée, se mêle ensuite à la maladie, à l’exclusion et
56
L’espace individuel
à l’injustice de laquelle le je crie ensuite fatalité, face à un drame
humain irréparablement terrible.
Sur ce point, nous nous sommes bien rendus compte
que seul la « séduisance » et le pouvoir du savoir était attractif
ainsi que notre façon même de nous mettre en rapport avec ce
pouvoir. Comme programme d’armement du « moi », on ne fait
pas mieux.
Malheureusement, notre savoir est devenu indispensable
aux rouages du système de la coproduction conditionnelle
dans laquelle tout le contexte social fonctionne, déambulant
ainsi sur les expansions d’un drame intellectuel qui prescrit un
conditionnement qui se fixe dans la mémoire. C’est l’exemple le
plus réussi d’une continuité du passé.
L’intellect flatté, le chapeau à la main, le geste de vivre
mémorisé s’imprègne dans un miroir terni, le moi enfle, quoique
renforcé et porté aux croyances qui serviront sous ses ordres.
Tel un devin excellent, « p’tit je » est prêt à agiter le monde et à
instituer la coproduction existentielle à l’état d’objet. Pareil à une
ancre perdue, voici que l’homme neuronal racle le fond large de la
vie. Ce qu’il invente lui sera rendu en substance, comme de la vase
qui remonte, n’en doutons pas un seul instant.
A force d’intellect acharné par excellence, de son côté
sacré inhibé, l’homme neuronal est devenu incapable d’écouter
les différences de ses semblables ainsi que les sons de la vie. Il
est donc prêt à nuire à ses liens de sang, à ses proches, à sa vie de
travail, et de même, à l’humanité et à la mère Terre. C’est ainsi
que l’on a pu voir la hutte du couple s’enflammer soudain dans
les foyers. Qu’apprenons-nous de tous ces télescopages ? Estce que tout ce qui définit notre identité était en fait purement
imaginaire ? L’image de la famille et l’image de l’humanité est la
même image. L’individualisme poussif les a rejetés résolument
57
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
pour un monde verbal qui est en grande parti superstition. Pour
quel type d’évolution ?
Désapprendre ne veut pas dire ne plus apprendre. C’est
la façon de changer qui change. L’apprentissage est un acte
de connaissance orienté par une action qui équilibre les deux
coproductions : la rencontre et la relation. C’est un retentissement
qui modifie l’information cellulaire avec laquelle nous devons être
partenaire. La rencontre nous guide et la relation nous mène dans
la juste mesure de notre partenariat.
Seulement, un acte de connaissance est un acte de présence
et de conscience et bien que de nature visible et invisible, cela se
traduit par des comportements, un ressentir et un sentir qui vont
jusqu’au bout du monde de la communication. N’est-ce point ce
processus qui assure une vie dans les profondeurs de notre être !
Il s’agit donc d’actes qui ont su atteindre d’autres frontières. Des
actes remarqués par l’intelligence de la vie.
La conscience ne laisse pas planer autour d’elle des
zones d’ombre ou des substituts dramatiques d’une quelconque
réalité inventé par une « je », si rusé soit-il. De certains critères
d’intégrités, je retiendrai la création de liens, le développement,
le partage. Celui aussi de donner du sens et de la raison d’être à
ce que nous rencontrons. Tel est un partenariat immédiat avec
l’intelligence de la vie quand on brise le moule géant de la pensée
morte. Tout prend du sens dans l’initial élan d’exister. Lorsque
« p’tit je » s’efface, l’être devient simultanément le sens. L’heureuse
intensité de vivre s’affirme par de grandes capacités créatives.
Les défis qui nous sont proposés par les insondables
décrets de l’évidence deviennent de grands cadeaux. Ce qui
devient dynamique, c’est le chemin que nous faisons et non pas la
destination à laquelle nous nous rendons. Si tel est le cas, le réseau
de l’instant, n’est plus une abstraction pour l’homme présent.
58
L’espace individuel
Jehan, parfois, des personnes détentrices du passé de la
vérité, m’accostent, couchés sur des mots croyant, bringuebalés
par des concepts, l’air aussi grave que leur ventre. Voici leur
propos : « Heu… heu… monsieur Bocampe, pourquoi diable
méprisez-vous tant le « moi » qui fait de nous le facteur essentiel
de ce que nous sommes à la première lueur du jour ?
A cette incroyable aventure, je leur réponds toujours la
même chose. « Ma responsabilité de petit homme debout est de
vous partager que ce moi n’est qu’une étape, un outil de travail
et non un objet de culte. Terre ! Terre ! Que de bobos dans les
milieux ésotériques et dans les courants exclusivement orientés
vers le passé.
Finalement, le mouvement de la vie nous enseigne d’aller
au-delà de tous les systèmes élaborés par la pensée morte, donc
par le « moi ». Tous ces systèmes étouffent, mutilent, écrasent,
aliènent l’âme humaine et empêchent l’homme d’être porté par
l’énergie du réseau de l’instant.
En définitive, ils aimeraient que je leur donne une carte
Michelin Fluide qui conduit à l’être sans essoufflement, par toutes
les routes du monde Intellectus ». Ciel ! Parfois, il est vital pour
l’intellectuel qu’il se dévisse la tête et qu’il la jette dans le ciel aussi
loin que ses yeux ne peuvent plus la voir. Oui, n’hésitons pas à
jeter dans les airs ce sujet aux pensées courbes au risque de passer
notre vie à tourner en rond.
Dans ce cas, la plupart de ces frondeurs de l’Existé qui
crayonnent sur le vide des nuages épars de toutes les couleurs
sont incapables de discerner l’impression d’exister que sacralise
le moi ainsi que d’imaginer un seul instant une autre qualité de
présence à vivre dans notre espace individuel. Je veux parler d’une
« présence d’être à la vie » qui constitue l’essence de ce qui est
59
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
doué de vie, d’un espace qui n’est pas assujetti à un centre ou à un
sépulcre de la pensée froide qui contrôle.
La raison a institué des vérités et fondé des absolus, soit !
L’intelligence du cœur qui ne se laisse pas rouler par la tête d’eau
les déconstruira avec mesure et retenue. A trop vouloir désigner
les choses, on a fini pas oublier de les découvrir. Tout est déjà
présent dans la grande poésie du monde, dans un lacis infini de
différence et de simplicité pure. Il n’y a qu’à changer de domicile,
ni plus ni moins. Intérieurement, de tout point de vue, tout est
possible.
Tout contact profond avec « ce qui est » engage un mystère
auquel on peut s’accorder et c’est cette musique là ou fréquence
du vivant, notre première raison d’être.
Avant de comprendre les étroites et basses régions de
l’âme humaine, ne nous faut-il point les percevoir et avoir le
courage d’en parler sans gêne aucune ? Est-il vraiment besoin de
connaissances pour saisir cela ? Non, le simple bon sens suffit.
Pour se libérer de la souffrance, il faut se plonger dedans pour en
percevoir sa nature qui n’a pas d’existence propre. Sûrement qu’à
cet instant d’évidence commence un nouveau chemin de vie.
Décidément, Jehan, ce qui enseigne, c’est la résonnance de
ce mouvement qui permet la perception immédiate. Et dans cette
perception, personne n’a de croix dans le dos, ni dans sa poitrine,
comme on a voulu nous le faire croire religieusement.
La perception spontanée de la vie nous met en mouvement.
C’est à chaque fois un évènement. Rendons-nous compte que la
raison ne peut pas éluder l’infinitude et encore moins une ligne
de cœur. Ah ! La tête d’eau est un appât auquel le « moi », courbé,
ne cesse de mordre, croché à l’ardillon en un seul et fourbe mot :
reflet.
60
L’espace individuel
Bien que délicate, je vais tâcher de répondre à ta question
à propos des animaux domestiques et de l’attitude peluche.
Il est très courant de voir des individualités béquillées se
réfugier dans une relation exclusive avec le règne animal. Sans
juger des faits, bien des femmes qui ont souffert de leur rencontre
avec l’homme en attestent. Par recherche d’un pseudo contrôle
affectif, elles entretiennent une posture spécifique qui leur permet
de trouver un équilibre avec un animal. Ce genre de phénomène
est très courant en Europe. Sous la poussée de l’inconscient,
nous touchons là, à un paradoxe inouï et coutumier. Observons
le comportement de nombreux êtres humains avec leurs chiens,
leurs chats, leurs chevaux, pour ne citer que ceux-ci. Nous verrons
clair sur les terribles symptômes humains qu’adoucit le règne
animal.
Les affects jouent un rôle capital dans la balance de
l’Existé. Le changement est sans doute cette divine tentative de
nous arracher à l’asservissement de notre passé sur lequel nous
sommes en équilibre jour après nuit.
Il y a bel et bien un monde émotionnel aux racines
profondes qui électrise un « moi » en mal d’amour. Et bien des
animaux comblent ce manque, mais c’est une expression éphémère
et discutable, car l’animal ne renvoie pas à la relation avec l’un de
nos semblables.
***
« Tout ce qui n’est pas un objet de la pensée ne peut-être
reconnu, admis, formatés, comme doué de vie dit l’intellectuel à
toute chose ». Et pourquoi donc ? L’existence, pour « la plupart
des trop intelligents » reste captive dans cet espace de sensation
conceptuelle et émotionnelle où la raison psychologique rassure
61
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
le moi. Ainsi, je tout puissant, peut ressentir de long en large dans
son cerveau un espace lourd de confusions mais consolant. Tel
est pour l’instant le leitmotiv de notre époque : se rassurer les
synapses.
Là, il peut avoir un contrôle sur son trop plein, l’analyse
justifiée de causes, sur les chiffres, la mesure, la norme, la sécurité,
les valeurs et les impulsions qui en découlent. Cependant, tout
ce cheminement, bien qu’utile en tant qu’étape de la condition
humaine, n’est guère conciliable avec l’intelligence de la vie.
Par les plus incroyables des contradictions, c’est un conflit
de verbiage du tout premier ordre et l’homme moderne s’en est fait
une habitude d’identification dès son premier lundi. Nous voulons
à tout prix savoir avec des mots et des pensées, ce qui se vit au-delà
des mots et des pensées. Dans ce contexte, la vie est inventée face
à tant de malentendus et de mauvaises compréhensions. Nous
pouvons déjà le constater sur une petite échelle de notre vie de
tous les jours.
Je reste persuadé qu’il est difficile de faire une rencontre
avec l’intelligence de la vie dans des stipulations qui relèveraient
de la projection et non des ressorts secrets de la relation humaine.
La relation est une force avec laquelle il faut compter. C’est elle le
guide, le phénomène, le rassemblement, qui prend sa source dans
ce que nous sommes. La relation compte parmi les enseignements
les plus fascinants du sens de la vie. Ce qui naît de l’instant échappe
à la pensée et au « moi » enflé. Ce « Respir » ou énergie sacrée,
n’est ni de la coproduction conditionnelle ni de la coproduction
existentielle. Le « Respir » est une véritable rencontre entre les
deux.
En guise d’anecdote, d’autres individualités au centre des
cercles impossibles à tracer, qui, lorsqu’ils me rencontrent pour
la première fois sont surpris, déçus. Oui, depuis leur caporalisme
62
L’espace individuel
ésotérique, ils m’imaginaient autrement, avec une tunique orange
ou écrue, le crâne rasé, totalement différent, érudit, papa normatif,
sauveur des eaux, des âmes et des forêts, chasseur de fantômes,
etc. Simple bergeron suffira, messieurs. Respirez par le nez, tout
va bien se passer !
Ah ! Les préconstruits comme guide, il est frappant de
voir qu’ils avaient déjà inventé toutes sortes d’images précises
et mentales à mon sujet. Décidément, venant d’un milieu de
modestes bergers, dussé-je parfois naturellement étonner,
choquer les intellectuels de feuillage, la nature humaine n’a pas
fini de me surprendre, cher ami des hauts plateaux. Heureux ce
jour où le buisson ardent se transformera en métamorphose du
pissenlit.
La posture de l’homme neuronal nous révèle que sa clé
intellectuelle ferme plus de portes qu’elle n’en ouvre. Mais ce n’est
pas une raison d’en rester là et de s’en contenter comme un point
philosophique immuable. Ne devons-nous pas, dans un premier
temps, intégrer une irréalité pour parfaire un insolite équilibre qui
nous rassemble tout en nous mettant à l’écart les uns des autres ?
Des connaissances engrangées, à demeure dans notre tête
d’eau, scindés que nous sommes entre deux coproductions par
une rugueuse cuirasse, il n’est plus possible d’éviter les pièges de
l’interprétation du réel. Le discours de l’intellect à l’égal d’une
profanation, démembre totalement « ce qui est » et celui qui vit
dans « ce qui n’est pas ». Quelle leçon tirons-nous de ce fait
quotidien ?
Du fumier de l’interprétation de « ce qui est », n’est sortie
qu’une reconfiguration du passé, une invention de « ce qui n’est
pas ». La souffrance humaine est à son comble. Ce qui stoppe tout
mouvement vers le réseau de l’instant. Cela a au moins le mérite
de nous rendre attentifs à nos insuffisances. Difficile de vivre avec
63
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
« ce qui n’est pas » n’est-ce pas ! Je te laisse imaginer le conflit,
Jehan.
Eh bien ! Sûrement, est-ce l’un des prix à payer du fait que
nous soyons incarnés, entraînés dans la danse des ambivalences,
dans une coopération du réel, de l’irréel et du surréel. Au moins,
grâce à cette prise de conscience, nous évoluons d’une manière
directe et lucide, aérée et pondérée, vers un nouvel état de présence
à la vie. Et ce pas, si petit soit-il, améliore la situation de chacun
d’entre nous qui relie à la joie immense du peuple des étoiles. Saiton encore lever la tête d’eau Jehan ?
La simplicité est le plus grand des miracles de l’Existé.
L’homme se démasque. Il s’ouvre comme une bibliothèque et
retrouve ce qui est là. Et sur ce fond phénoménologique figure une
fréquence qui engendre le délice d’exister. La vie nous interroge
sur telle ou telle chose et elle se retire sans ne rien dire. A nous de
creuser nos sillons en mettant les pieds sur nos intentions, pour
mieux s’élancer. Quand la mer est étale, le temps s’arrête. C’est
dans ce sens qu’il fait bon exister dans le tiède équilibre du réseau
de l’instant, là où il nous est demandé d’offrir l’instant de nousmêmes.
***
Tu sais, Jehan, au fort de ta démarche dont on peut
s’enrichir sans cesse, j’aimerais m’étendre au point de retrouver la
première vague qui m’a vu naître. J’apprécie tes pensées vivantes
sur la béance engloutie de vie dans laquelle tout existe. Ciel !
Quand j’y pense, humour en tête. À notre âge. De tous les plaisirs
de la vie rencontrés, nous avons bien senti le côté caché du vide
dans lequel on s’est colorié le profil.
64
L’espace individuel
Bien qu’Intellectus Premier3 soit un fauve, que de travail
de présence nous a-t-il fallu pour intégrer tant soi peu l’instant
jusqu’au fond de notre chair. Seule condition prérequise pour que
la vie fasse son travail : nous taire humblement, totalement, avec
cette curiosité de l’enfant afin de voir ce qu’il y avait de vrai dans
tout cela.
Ecoutons encore mon frère… De l’Orient jusqu’en
Occident, un silence naît hors de la coproduction conditionnelle,
au beau milieu des zones d’ombre du monde. Il n’y a aucune
réponse à nos questions. Juste une relation entre Ciel et Terre.
Il semble, Jehan, que l’homme est profondément troublé par le
dynamisme de cet équilibre en perpétuel mouvement, jusqu’à un
tel point qu’il s’est immobilisé dans son évolution. Demandonsnous pourquoi ? Toutes les réponses à la vie tuent aussitôt la vie.
Ceci est une singularité du genre humain : nous existons
par nature dans cette béance cosmique et aimons entrer en
dialogue avec cette poésie qui l’englobe et l’emplit. N’est-ce pas
un élément fondamental qui nous comble et nous accomplit !
C’est le plus grand de tous les voyages. Voyage de l’incertitude et
de l’insécurité, dans lequel nous courons à chaque instant toujours
le risque d’être nouveau, et un peu nous-mêmes.
Quant à l’espace, nous avons beau regarder depuis la clôture
mentale avec une intensité particulière, à gauche vers le souvenir
maternel, à droite vers notre bien-aimée, en haut vers nos enfants,
en bas vers nos malheurs, devant nos pieds ou derrière les résidus
de nos rencontres humaines, il ne semble pas y avoir de centre
sclérosé, n’est-ce pas. La maison a un toit, un plancher duquel les
fondations authentifient des énergies en mouvement et dont le
point d’appuie est le réseau de l’instant.
L’homme doit trouver là, au cœur de ses joies et au surplus
de ses peines, la poésie de sa vie, seul, en lien avec des frères et
65
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
des sœurs poètes, au-delà de l’enceinte mentale. Et cela, à chaque
instant.
Et six fois en un instant, nous nous mentons par tant de
causes et d’effets de nous-mêmes dont souffre aussi le reste du
monde. C’est qu’il y en a des instants dans une journée. A chaque
fois, l’instant lave d’eau nos postures de pharaon. Vois-tu, je
pense que ce qui cause un grand défaut à notre santé mentale et
physique est de vivre inlassablement à partir d’un centre. Lieu dit,
où le « moi », en occurrence, présume tant sur lui-même et s’en
accommode parmi les plus beaux fragments.
Et tout aussitôt, de cette projection attachée à ce que l’on
tient pour vrai, isolé du citoyen, le cœur ne peut plus s’ouvrir au
soupçon de l’instant. Le vrai n’existe pas. Le temps psychologique
reprend ses droits. Et sans l’intelligence de « ce qui est », la
prépotence de « p’tit je » envahit l’espace transmis par ses sens qui
ont tout vu et rien compris au problème essentiel de la condition
humaine. Espace qu’il repousse et refoule aveuglément, sans
répit, parce qu’il ébranle tout simplement les couches profondes
du moi.
Et que dire encore du temps qui exclue les hommes de
la vie, Jehan. A part l’instant, « ce qui est », le temps ne semble
pas avoir d’existence propre, tout comme le « moi », qui réduit
à l’état d’impression et de muraille, ne voit plus qu’une vapeur
de lui-même dans la forteresse du genre humain. C’est une folie
normalisée par de la pensée qui n’insuffle aucune vie aux structures
sociales.
Comme une vieille machine qui se détraque, le moi est
pleinement temps, pleinement l’expression du passé, pleinement
une pensée morte mais aussi pleinement un outil de travail. Il se fait
fragment, reflet, tension. Il véhicule la perte du sens de la vie qui
66
L’espace individuel
vient à lui. Ensuite, il exprime longuement l’hymne de l’être isolé
et se plaint amèrement de qui regarde les faits. Par conséquence
de cette solitude ancienne, agenouillée dans sa tête d’eau, dans
laquelle « p’tit je » formule des concepts, il cache l’innocence et la
paix. Voici que malhabile, il ne se comprend plus.
N’est-il pas merveilleux ! Les feuilles ne se détachent plus
des arbres. L’automne s’en est allé. L’exilé, tour à tour dans son
gouffre de l’individualisme, par frayeur d’éternité et de liens de
sang, ne perçoit plus sa déportation des faits. Le temps passe dans
l’ordre de l’invérifiable. Oui, mais, qui le voit alors passer. En
pesant tous les pour, les contre, sa chose, son portable !
Le moi voit le monde étendu à ses pieds. Tête première, il
se frappe contre et se tue, revêtu alors d’une splendeur virginale
sur une tombe qui ne le verra jamais mourir.
En quelque sorte, il nous faut toujours quitter, perdre
quelque chose pour grandir, où par une mystérieuse conviction
de l’existence, il n’y a plus rien à garder qu’exercerait un « moi »
dévotement royaliste.
A vrai dire, c’est un peu cela qui se passe dès que nous nous
crochons sens dessus dessous. Sans connaissance réelle, la vie
disparaît. La vie intérieure ressemble alors à une stèle, les conflits
de toutes sortes remontent en résurgence des caisses profondes
de l’Inexisté. Les rideaux du passé se lèvent. Et soudain, la vie
sociale devient vide, bruyante, impropre, comme si l’homme avait
perdu son appartenance. C’est le cachot.
Et bien que la vie nous éduque dans ses mystères, une
vérité sans voile nous confirme homme debout dès notre entrée
dans les entrailles de l’existé. N’est-ce pas la seule chose qui nous
appartienne au monde, la liberté. C’est un mot que j’aime répéter
67
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
sans me lasser. Certes, ce suprême paradoxe est mit à l’épreuve
dans chacune de nos relations, sous des débris du passé et des
décombres de ce que nous projetons dans l’Inexisté4. Nous
userons de cette perspective céleste jusqu’au dernier passage de la
navette dans la trame. Ainsi coulent les caravanes humaines. De
mon point de vue, nous ne faisons pas assez de modelage avec
la vie de l’esprit. Esprit, encore un mot merveilleux, mais que
nomme t-il ?
Mais pire encore, les enseignements scolaires attribuent
la réussite à un calcul, à des chiffres, à des comparaisons, à une
accumulation de connaissances, de stratégies de réussite reposant
sur de précieuses peurs. Rien de tel pour renforcer et nourrir le
« p’tit je » et de le mettre ensuite en conflit avec le reste du monde.
Nos enfants souffrent dans les écoles. Le convoi intellectuel les
conduit dans un désert où ils ne peuvent plus jouer.
Foi de Bergeron, Jehan, l’école enseigne au « petit homme »
d’aller à l’envers de la vie. Cela fait partie des choses les plus
incroyables du monde. Le monstre de l’intellect demande son dû,
et tous les parents du monde font du chantage à leurs enfants :
Fils, fille, si tu n’as pas de bonnes notes, alors tu n’auras pas ceci
ou cela. Honte à ce monde adulte qui prive le ciel d’étoiles. Les
préceptes de la punition et de la récompense ravagent la jeunesse.
Il y a dans ce chantage, une souffrance contagieuse qui donne la
mort à l’imagination. Quelle école de pirate et de conquistadors.
Terre ! Je rétorque à tout cet insensible : vive l’école
buissonnière. Fils, fille, enfant de toutes les saisons, de toutes
les races, de toutes les cultures, levez la tête. Tout cela vous
appartient.
Quand enseignera-t-on une matière où dès la première
heure du jour, les élèves iraient voir le lever du soleil avec leur
68
L’espace individuel
professeur ? Apprendre n’est pas entasser des pensées du passé
dans une mémoire analgésique, ni de passer des examens pour
un illustre augure. Il semblerait que cette tare indéboulonnable
soit enracinée dans le fonctionnement des fondements même de
notre éducation. Mais le comprendrons-nous un jour autrement
qu’avec notre tête d’eau.
***
D’une solitude incomprise, nous cherchons trop à acquérir
des connaissances dont on voudrait spéculer sur des terres
sauvages. Et suite à cela est né le tumulte de la raison. Nous sommes
devenus victimes bien qu’indispensable à notre chemin de vie,
d’un savoir qui reflète le cri invisible de notre condition humaine.
Oui, vraiment. Je veux parler de savoir qui n’insuffle aucune vie
dans l’âme humaine et dans la vie sociale. Nos conditions de vie
prennent une place si dramatique dans notre quotidien, que nous
ne prêtons plus attention à « l’Existé ». Le soleil de l’intellect tape
dur sur le cerveau.
C’est une caractéristique de notre époque périlleuse et
mécanisée. Nous n’existons guère simultanément et dans notre
société quotidienne et dans le grand manège cosmique qui nous
enveloppe. Comme si nous avions oublié notre présence à « ce qui
est ». Perdre ainsi ce sens sacré, crée la tristesse, la souffrance, la
névrose et la mélancolie profonde.
Les connaissances biberons, pour la plupart d’entre nous,
ici-bas, ne font qu’agrandir un fossé entre « ce qui est » et « ce qui
n’existe pas ». Leur froissement modifie notre discernement. De
la sorte, cela devient rude d’aller de l’avant vers l’homme debout,
vers cet homme emporté par des rêves à réaliser.
69
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Trouver l’équilibre entre ces deux dimensions
(coproduction conditionnelle et coproduction existentielle) n’est
pas un fait durable ou bien qui se forme dans la rêverie spirituelle.
Ce n’est pas de l’ordre des acquis mais du vivre. Tout ce qui s’inscrit
dans le Temps, le passé, l’expérience, la mémoire, le « p’tit » je,
n’est pas la vie. Plus difficile sans doute, mais ô combien nécessaire
pour nous sortir de ce guet-apens psychique, plonger corps et âme
dans cet équilibre à percevoir. L’équilibre instable est comme « ce
qui est », toujours à reconsidérer et à vivre à l’échelle du réseau de
l’instant. Exerçons-nous et vérifions.
Il me semble que ce soit un chemin de sagesse pour
découvrir un nouveau monde moral. Dans ce cas, la sagesse
n’instruit pas. Elle n’est pas une expérience que l’on peut encoder.
Elle est instrument de vie, de résonnance, de présence, de relation
dans la spontanéité de « ce qui est », un langage.
La corbeille est vide, tout peut venir. La vie tient la barre
sur nos flots et la direction est la mer, la grande ouvreuse de
serrures.
« De la Source à la Mer », je me réjouis d’écrire sur ce
thème, frère Jehan...
***
Par-dessus bord, notre salut n’existe que parce qu’il y a
partenariat, interdépendance, témoignage, contact et cohabitation,
le cap vers des rivages toujours nouveaux, incessamment vers
quelque grande aventure. Le moment venu, délivré de tant de
leurres de la vie moderne, comme la réflexion analytique, on
s’améliore au fil des routes incertaines. J’aime à le penser.
70
L’espace individuel
Serait-ce alors que le système qui façonne nos conditions
de vie n’associe plus la vie de l’individu aux forces de la vie dont
il est issu. Voyons ce fait face à face et trouvons les moyens d’y
répondre. Quant au « moi », résolu et détenu dans une clôture
mentale, est-il capable de formes de vie sociale nouvelle ?
Du matin au soir, par quoi est préoccupé Intellectus
Premier ? Et la nuit encore, de la plus belle moitié de la vie ? Quel
contenu de la conscience lui attribuer dans la vie quotidienne ?
Qu’est-ce qui intéresse « petit je » en toutes circonstances ?
Habiter l’espace de tant de contrastes semble être ces nourritures
et revendications. Un espace qu’il structure sur des caractéristiques
irréelles du temps, à la fois rongé par une indigestion du passé et
préoccupé par une indisposition de l’avenir.
A partir de cette structure imbécile du temps de l’Inexisté,
à fond de cale, « petit je » peut alors fonder sa vision du monde
qui lui reflètera une image de lui-même sur un axe du rationalisme,
tout en dehors de « ce qui est » et de la sagesse de la vie. Il est prêt
à ramer sur des mers indomptables. Et cet espace d’observation
devient alors un conflit de fragmentation permanent. Sans libre
choix, il est tantôt archer, parfois flèche, et souvent cible. C’est
une approche existentielle primaire qui ne tient compte que de
l’individu, dans un premier temps, où la société et la nature sont
écartées et ensuite écartelées au vif de l’intellect. En conséquence,
les intérêts et les penchants de l’homme ne rencontrent plus
l’intelligence de la vie. Le reste, on l’a en face, à tous les moments
du monde. Nous avons perdu le vol des papillons.
Tu sais, Jehan, quoiqu’il arrive lors de ces prochaines
décennies, la vie nous forcera à prendre la posture de l’équilibre
instable pour éclaircir notre évolution et gagner notre cœur. Et bien
que le temps, ne soit pas un facteur d’innovation, il nous réclamera
aussi de reconsidérer l’espace individuel. Lorsque celui-ci est figé
71
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
au degré d’un « petit je », chaque geste, chaque pensée, part d’un
centre où sont stockés les expériences et les conditionnements du
passé. Ainsi tout se répète et revient constamment à une posture
centrale : le reflet. Triste vie que la répétition où l’on n’entend
plus l’air des chants d’oiseaux, le son des eaux, les cris de joie des
enfants.
Il n’y a plus de place pour une autre qualité de présence
humaine à la vie, que celle que nous véhiculons mécaniquement,
jusqu’à la soumission inéluctable d’une mémoire cellulaire. Bien que
nous adjurons à la liberté, nous pouvons essayer de déprogrammer
ou de programmer nos cellules, par des méthodes spectaculaires,
mais tant que nous resterons dans ce principe de l’Inexisté, aucun
changement n’adviendra. Les méthodes, la pensée, le « moi » ne
nous libèrent pas du temps. Au plus, elles peuvent nous apaiser
sur notre récit de vie et calmer nos lamentations existentielles. Il
n’est guère possible de s’orner d’or à toute volée pour saluer la
vie.
***
Les images en mouvement produites par la technique font
que la sensation est au premier plan. Ce sont des images réglées
qui obéissent à des lois conventionnelles. Il y a-t-il relation entre
l’homme et ses images ? L’image nous informe, nous allèche,
nous communique quelque chose. C’est à cela que nous devons
développer du discernement si nous ne voulons pas devenir la proie
et le jouet de nos perceptions. Quel type de contenu recevonsnous de l’image et quels sont leurs effets sur notre comportement
de manière générale ?
Ces images intellectuelles appellent le temps et la mort sous
le vent qui souffle. Quelque soit l’image que nous nous faisons
72
L’espace individuel
de nous depuis notre psychisme, donc du temps, cette image en
mémoire n’est pas la réalité de ce que nous sommes à l’instant de
leur apparition. A toutes voiles, la vie est ailleurs.
Nous voyons bien que ce reflet de réalité abstraite, pareil
au gui est semblable à une puissante force qui repose sur un
fondement sans aucune racine. Il reste néanmoins intéressant de
comprendre sa raison d’être.
La vie est pure relation, consciente d’elle-même dans la
lumière fine des jours et des nuits. Le temps glisse sur son réseau
de l’instant. C’est ainsi que le passé existe immense comme la
blanche montagne.
A quoi sert d’apprendre la somme théologique, tapi dans
sa tête, si nous ne sommes pas en mesure d’entrer en relation avec
la vie ? A s’en éloigner, assurément. Et nous glissons comme le
temps. Même l’absence de sens a du sens. En tant qu’origine de
toute conscience, la vie n’est pas une image centrée sur elle-même.
La vie est un acte poétique, un phénomène de liberté, qui n’est pas
soumis à la poussée d’un quelconque centre. La dynamique du
vivant ne tire pas son mouvement du passé ou du futur.
Malheureusement, le semblant d’exister donne un pouvoir
immense au « moi ». Déjà, de nombreux indicateurs laissent penser
que ce même « moi » est trop intervenu sur son environnement
qui est une part de la dimension d’équilibre qui coproduit
l’humanité.
***
Est-ce qu’un « moi enflé » est différent d’un autre « petit
je » qui gratte le globe ? Quand on examine les agissements de
« p’tit je », qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, malgré les mille façons,
le reflet est le même. Ce qui le coproduit est certes différent,
73
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
mais les agissements sont identiques, semblable à une seule et
même énergie centripète. Selon les cultures, les civilisations, il se
fondra soit dans l’âme du peuple soit il s’en démarquera comme
s’il était une exception au détriment de ce qui le coproduit. Le
torrent de la coproduction conditionnelle est le même, c’est une
appartenance commune, qu’il soit au pôle nord ou au pôle sud.
L’énergie Intellectus qui se construit à outrance d’irréalités, a pris
racine dans le passé de la structure psychique du genre humain. On
peut facilement distinguer les processus agités de notre condition
humaine, dans la plupart des lieux où habitent les hommes sur
terre. Il nous suffit juste d’observer. Le périmètre du passé est
partout.
C’est évident et effrayant. Un reflet n’est qu’une apparence
fragmentée d’une réalité en mouvement qui le produit. Par nature
Verbale, le mouvement se poursuit au contact des choses visibles
et invisibles. Et c’est en cela qu’il y a création. Alors que l’homme,
surplombé de psychologie malheureuse, donne une continuité à
un reflet qu’aucune réalité n’engendre. L’interprétation du réel se
faufile dans l’âme humaine qui s’autoproclame réalité autonome.
Tout cela n’est pas très sérieux. Tel est le temps psychologique
ou temps de l’Inexisté. Et quelque soient les mœurs, « p’tit je »,
prend le paquet. Aussi bien, s’il fallait chercher les racines de la
souffrance, ce serait à l’intérieur de cette surprenante continuité
qu’il nous faudrait investiguer, sur ce langage avec « ce qui n’est
pas ».
Parfois, Jehan, lorsque je suis dans la foule ou dans le
train, je vois les humains comme s’ils appartenaient à des genres,
des archétypes, à des catégories de civilisations et de traditions
passées. Les formes des visages et des corps me rappellent les
cultures et les traditions d’autrefois, les pensées et les croyances
d’antan, comme si en fait, rien n’avait changé d’un pouce.
74
L’espace individuel
Enfin, ce sont toujours les mêmes histoires longuement
préparées qui se répètent, car l’homme est resté claquemuré par
un conditionnement ancestral actif dans tous les domaines de
l’histoire et des contextes sociaux. L’inconscient n’existe pas, il est
manifeste et pleinement conscient. Comme si les siècles avaient
véhiculé un état de fatalité émotionnelle et mentale particulier du
genre humain. C’est très étrange. Il semble que l’énergie qui nous
anime est la même, l’espace individuel aussi, ce qui peut vraiment
nous différencier est la manière dont nous entrons en contact
avec cette énergie suprême, sinon, sur le plan comportemental et
celui de la pensée, l’homme se ressemble énormément.
Le passé est toujours présent. L’homme ne créé guère de la
vie nouvelle. Il réitère des phénomènes issus du temps. Il y aurait
beaucoup à dire à ce sujet sur les phénomènes de notre vie sociale.
Le passé est comme un rhizome de ce qui nous pousse à aller
de l’avant, une étape pour grandir, bien sûr, à la seule condition
que les racines du passé ne sortent pas de terre car nous serions
retenus captifs dans ses nœuds.
Oui, comme je te le disais, ce reflet de soi va donner un
pouvoir immense au « moi », avec un degré de complexité à
couper le souffle tant il est justifiable à souhait par l’intellect. Il
nous faudrait faire une distinction fondamentale entre ce « je »
qui habite l’espace individuel et cet espace individuel vidé de son
contenu. C’est-à-dire un espace dépourvu de la préoccupation
permanente du « moi » à exister. Telle est la nature du conflit.
Décidément, à se demander pourquoi les faits réels sont
occultés, et pourquoi l’Inexisté prend une place prééminente dans
le genre humain d’où découlent de désastreuses conséquences
sur le psychisme et le corps physique. D’après mes retours à
l’évidence et aux renoncements de certaines parures quotidiennes,
il me semble que c’est à partir d’une non existence du « petit je »
75
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
que se trouve un amour de la vie, un élan vers le grand Ciel. Cet
effacement progressif du regard immobile du « p’tit je », permet
l’apparition d’une autre qualité de présence. Comme critères, je
retiendrais la fraîcheur et la spontanéité surprenante de l’esprit. Il
s’agit d’une croissance de la vie intérieure qui n’est plus de l’ordre
et des principes du « moi ». Dans cette espèce de dépouillement
nous sortons de la persécution de « devenir un quelqu’un ou
une quelqu’une » dans une société stressante où l’homme subit
un terrible besoin d’être consoler par la nature. Cette « porte de
relation » passe par une autre intelligence qu’Intellectus, que la
pensée morte, qu’un moi, qu’une religion, qu’une méthode occulte
ou une garde rapprochée.
Voilà des pensées qui pourraient t’apparaître comme
choquantes, mais je pense, Jehan, qu’un des problèmes de notre
évolution, de nos sociétés, c’est que nous n’intéressons pas assez
l’être de la vie. Nous dormons témoins craintifs de nos inquiétudes.
Une grande révolution existentielle serait d’intéresser en tout
genre, la vie dans ce que nous avons de meilleur en nous-mêmes.
La conscience ne permet pas l’état de confusion.
Du moins, je l’imagine, le mot « intéressé », dans ce cas,
suscite de la curiosité, du changement, de l’apprentissage, de
l’immédiateté pour l’amour, le merveilleux, la paix, la pensée
noble, les forces du cœur. Ainsi, nous parvenons à ne garder que
l’essentiel et à nous laisser pénétrer par l’intelligence de la vie.
C’est dans ce sens que le « moi », n’est qu’une étape, un
outil de travail dans ce tourbillon de la condition humaine. Dès
que le « je » est perçu par cette qualité d’être qui ne peut jaillir que
d’un espace individuel dégagé du « moi », les agissements de l’ego
s’estompent. L’acte égocentrique se décharge, naturellement, ni
plus ni moins. Dit d’une autre façon, l’homme neuronal s’efface,
une vie nouvelle échoit. Une bougie s’allume dans une vaste pièce
76
L’espace individuel
sombre et la tempère d’une lueur. C’est une ambiance où ne flotte
pas une zone douteuse de la vie.
L’ego auquel est voué un culte sans précédent ne pèse
pas lourd devant l’innocence végétale. Il arrive souvent que des
hommes nourris à l’égocentrisme durant des années craquent
soudainement devant des bourgeons qui ont entrepris leurs
percées et qui éclatent en fleurs. Ainsi, la pureté de la nature les
ramène à autre chose qu’à des mécanismes qui coproduisent le
« p’tit je ».
Si l’on examine bien la difficulté dans notre vie quotidienne,
nous identifions que le système qui coproduit nos conditions de
vie est basé sur le « moi », les croyances du « moi ». C’est dans cet
état psychique qu’il en résulte une continuité d’un passé mémorisé
dans un temps qui n’a aucune relation avec le réseau de l’instant.
Lorsque l’on comprend cette évidence, notre vie est changée à
jamais. Nos projets de vie renaissent à leur plus haut degré.
L’ego, soutenant la thèse de son existence propre, a pris une
fonction débordante qui va jusqu’à la grande bataille relationnelle
des « je » contre « je ». Quelle bourrasque neurologique, mes
aïeux ! Ces tourmentes qu’il génère dans le cerveau n’est pas des
moindre pour la santé. Encore une fois, tous nos maux sont là,
inscrit dans notre chair, si proches de nous, que nous passons
sans rien voir et sans saisir les nuances complexes et étendues.
Et comme de coutume, plus les hommes cherchent à s’expliquer
leurs problèmes et moins ils les comprennent. Les muscles se
contractent et les vertèbres résonnent pareilles à un misérable
consistoire de prophètes. Nous sentons bien qu’à certains
moments de notre vie, le langage du corps se transforme tout
en ne cessant pas de nous dire quelque chose. Nos symptômes
illustrent remarquablement nos bobos de l’âme dans un domaine
particulier de psychologie de liens et de sens. A chaque fois que
77
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
nous grandissons, des transformations correspondent à des
changements assez profonds. On peut le concevoir comme des
signes du destin.
On peut penser à la France et au nombre de médicaments
qui sont vendus dans ce pays, en particulier, les neuroleptiques
et les anxiolytiques. Dans une situation telle, quels sont les
apprentissages que peut faire l’individu pour améliorer sa condition
de vie, donc aussi celle du système. Les psychotropes modifient
un état de conscience qui ne passe pas par un acte de conscience.
Avons-nous vraiment compris le sens de la souffrance ? Ne s’agitil pas d’une zone d’ombre qui est restée détenue et entretenue par
le Temps de l’Inexisté ? A cet état, on peut parler de dépendance
médicale.
Seulement, comme tout ce qui se situe dans le temps, quand
vient la crue, des résidus remonteront à la surface. Ce qui vient
en partie de nous-mêmes tire son origine d’une vaine rencontre
existentielle. Il serait vain d’attribuer à nos faits et gestes une seule
cause extérieure. Nous devons déchiffrer ce qui se passe. Nous
sommes sensiblement impliqués et c’est bien là tout le chemin
légendaire de la connaissance de soi et d’un éventuel, non soi. Si
la vie existe aussi au-delà du temps et d’un espace clos que nous
produisons dans notre cerveau, il se trouverait là une nouvelle
porte, un autre chemin à explorer en ce qui concerne notre
biographie intérieure.
Les civilisations d’autrefois en relation avec leur propre
équilibre existentiel ont subi des choses effroyables infligées par
d’autres civilisations éduquées par la linéarité de la coproduction
conditionnelle. Certaines ethnies endurent encore des profits qui
déforment leur environnement, ce qui déstabilise immédiatement
leur équilibre de vie et pose problème à leur identité.
78
L’espace individuel
Désormais, ces gens-là doivent retrouver leur valeur
identitaire mais à partir d’un nouveau système de coproduction
d’appartenance, et là est toute la difficulté, car il s’agit d’homme
debout, de peuplades, de tribus, d’ethnie, de mœurs des plus
familières, de mode de vie, dont la stabilité légendaire a été
totalement ébranlée. Est-ce que leurs cultures ont été considérées
comme un bien de l’humanité ? Cela le devrait.
Paradoxalement, étouffés par la coproduction condi­
tionnelle, nous vivons aussi un problème similaire dans nos
sociétés actuelles. Nous sommes à la recherche d’un équilibre entre
les forces qui nous viennent de l’intelligence de la vie et les forces
qui conditionnent nos conditions de vie. Du puissant symptôme
existentiel qui nous dore au soleil, cela nous demande beaucoup
de discernement, de conscience, de sagesse, et une totale remise
en question, n’est-ce pas, très cher Jehan. Le symptôme existentiel
a une fonction sans repos que nous devons découvrir, seul, dans
le sens de la vie des autres.
En quelque sorte, moins on alimente le « p’tit je »,
meilleure est notre santé mentale et physique ainsi que celle de
nos semblables. Notre capital spirituel s’en trouve ainsi dynamisé
par une interdépendance qui insuffle de la vie à la coproduction
conditionnelle. Le plus grand problème de l’homme est en fait
son identité. L’identité et l’appartenance sont liées à des niveaux
infinis dans des formes toujours cadencées.
Le « je » n’est pas une identité autonome qui murit sur des
branches suspendues dans une forêt. Ce qui le coproduit n’est
pas une appartenance mais un mouvement de faits et de mille
explications et ressentis qui à la recherche de causes glissent sur
l’instant, laissant derrière eux des énergies des marais Et déjà, les
interprétations vaseuses ne sont plus. Ce qu’elles ont généré ont
rendu l’arbre sans racine, car leur porteur ne cherchait pas des
79
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
liens, du partenariat, du sens, mais des causes. Mais il ne peut pas
en être autrement si englué en aval de nos vies, le centre de nos
perceptions reste un mémorable entretien avec le passé. C’est
incontournable. Des écorces psychiques se forment et nous
délient de tout ce qui vient. Nous devenons de plus en plus,
juges, compliqués et paradoxal, semblable à de la rouille qui nous
enserre. On enlève mais ça revient. Le feu se hâte sur nos chairs,
nos fronts se font grondeurs de faits, nos veines roulent du sang
furieux.
Toute résonnance en dehors de « ce qui est » est forcément
un lien du passé. Et le passé ne peut être coprésent avec le
réseau de l’instant. Tant que le passé n’est pas transformé il y
a une distorsion énergétique du tout premier ordre. J’inspire
le ciel et j’expire du fini. L’apprentissage est de s’extraire de ce
processus sans intermédiaire, sans reprendre avec nous « p’tit je »
et ses annales. Il n’en reste pas moins que ce qui reste à demeure
merveilleux dans la création de cette aliénation, c’est que chaque
instant de la vie nous tend une perche pour nous exercer à cette
libération.
L’unisson que nous pouvons assimiler à une présence
d’esprit est à reconsidérer à chaque souffle de l’instant.
Notre présence à la vie est un exercice d’équilibre dévoué à
l’impermanence, à l’interdépendance et à l’interaction, et ce
changement passe inévitablement par la déconstruction du « je ».
Bien que concerné par cette solitude intégrale, je ne pense
pas que cela soit actuellement du ressort de l’administration
scientifique, juridique, politique ou économique, d’insuffler ce
dynamisme de vie dans notre contexte social. Dans l’apprentissage
de la cohabitation, tout indique que nos semblables, la nature, et
ses merveilles, en d’autres termes, l’expression de l’intelligence de
la vie est le partenaire soudain d’évolution du genre humain. En
80
L’espace individuel
résumé, ce qui peut nous sortir du marasme de l’egoité est cette
intention d’être un réel partenaire à son tour.
A cet effet, nous pouvons nous demander si les prouesses
des technosciences, celles de l’éducation basée sur le chiffre, la
performance et la comparaison ont effacé tout espoir de muter en
partenaire ?
Attaché au « moi » et à ses évanescences, l’homme
s’empêche de découvrir la béance cosmique à demeure dans son
espace individuel. Il s’évague de la grande Odyssée, s’en exclut.
Et au pire, il se transforme carrément lui-même en marchandise
mesurable et normée qu’il tentera d’exprimer intelligente sa vie
durant.
La difficulté sera de déchiffrer ce qu’est le mouvement
de la vie et celui de l’évolution. De cette distinction d’exister,
il nous suffit tout simplement d’être vrai. L’évolution du genre
humain est intégrée à un grand ensemble stable et toujours en
changement. Seulement, la perte de conscience de cette Odyssée
nous fait grand défaut.
Il y a au loin, en effet, ce qui est si proche de nous, mais
tous deux sont une seule et même chose. L’espace et la distance ne
sont en aucun cas une cause de fragmentation. Et c’est ce regard
lucide intense, pénétré, grand ouvert et généreux sur ces deux
aspects partenaires, que nous changerons, là où l’on est appelé à
être. Tout cela ne manque ni de grandeur ni de profondeur.
81
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
82
L’espace individuel
Le 3 décembre et des poussières
Trouver seul, le sens de sa vie dans le sens
de la vie des autres
A
notre époque où l’on parle de formation, de
connaissance, d’outil, de technique, de coatching, de devenir, de
thérapie, d’éthique, de performance à tout bout de champ, il n’est
pas facile d’entendre ce genre de propos : « nous trouvons, seul, le
sens de la vie, de sa vie, dans le sens de la vie des autres ». Est-ce
qu’il nous serait possible de regarder cette réalité sans ouvrir une
valise de savoir qui à bien des titres, essouffle le voyage ? Pourquoi
donc, parlons- nous si rarement d’amour ? N’est-ce pas ce qui
nous est demandé ici-bas, l’amour ?
D’un vouloir maladif de prestige, du précieux espoir, du bel
album, nous sommes toujours à la recherche de succès, d’estime,
de nouvel argent, de nouveaux plaisirs, de nouveaux diplômes, de
nouvelles guerres, de subites réalisations, de soudains records, de
reconnaissance, avec des critères victimes de la même illusion :
exister plus sur des terres promises et jouer sur un jeu de mikado
du MOI géant.
83
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Il est temps de dire que tout ce dont nous faisons, pensons,
respirons, doit être écrit sur des PV, rédigé, classé, analysé, validé,
certifié, pour satisfaire la soif de normes qui ramènent l’ego tout
droit vers la spécialisation de lui-même, vers la séparation et la
division. Exactement là, où le reflet l’a coproduit dans le Temps
de l’Inexisté. C’est une geôle où nous passons simultanément du
rôle de prisonnier à celui de gardien.
A un moment donné, il est impératif de comprendre
que nous ne vivons plus. Suite à cela, des perspectives de toute
part s’ouvriront. C’est l’état de l’éveil qui précède l’état de joie.
Réintégrer le vivant est un travail pratique dépourvu de toute
faculté intellectuelle. Le Ciel et la Terre sont en nous, c’est juste
que nous n’habitons plus notre maison de voyage.
Je pourrai aussi bien dire Jehan, que celui qui ordonne à nos
voiles de chercher sans cesse dans des mers lointaines et agitées
est un pirate au service de personne. Et « personne » prend ainsi
vie. La situation est irréelle et intestine, mais pourtant si vraie.
L’intellect est une canaille, certes nécessaire, mais une
canaille qui montre les aspects opposés d’une réalité sans duels.
En pleine terre, tout est là, maintenant, incontestablement, ici
même où nous nous trouvons.
Bâillonnons notre tête d’eau, observons… écoutons…
Tout est pur à celui qui sait être présent, le plus simplement du
monde. De grâce ! Ce n’est pas le « je » qui est en présence. Il y a
une ambiance de la première fois. Discernons Jehan, ce qui est du
« je » de la présence de notre être.
Semblerait-il qu’il y a comme une résonnance naturelle du
réseau de l’instant. Il y a les hommes présents à l’instant et les
hommes absents de l’instant. Immanquablement, même si on a du
mal à situer les issues, on découvre que tout cela a un sens profond
dans la construction de l’histoire de l’humanité. Les fréquences se
84
Le 3 décembre et des poussières
rassemblent toujours au moment juste de la vie. Les rencontres
humaines sont pleines du sens de la vie.
Si aujourd’hui, tant d’hommes, de femmes et d’enfants
souffrent d’un mal être, ou d’un mal de dos si disculpé, n’est-ce
point à cause d’un état névrotique contraint de ce que l’on a été
et de ce que l’on veut à tout prix devenir. Quelle cassure dans le
temps ! Il nous faut à tout prix devenir quelqu’un, un quelqu’une,
un quelque chose et maintenir cet acquis sans trêve sur la pointe
du monstre fangeux de la tête.
Rien de tel pour craindre la condition humaine et pour
bâtir des stratégies de vivre basées sur la peur d’exister. Dès lors,
nous vivons dans des forteresses, assis sur un trône que nous
appellerons réalité, sécurité.
L’intellect est sans cesse préoccupé par de quelconque
éclairage qui le regarde en avant, en arrière, et qui le photographie
sous toutes ses coutures. Voici que l’on attribue même dans les
milieux de biens portants, la prétendue réussite du p’tit homme à
ses notes scolaire.
Je me souviens d’une mère de famille qui disait à son fils
adolescent : « si tu n’as pas ta moyenne dans toutes les matières,
tu n’auras pas de mobylette. » Quelle étrange pédagogie de la
réussite !
Pauvre gamin et triste parent. Misère.
Mais, dès cet instant de mort de l’âme, le quotidien
hasardeux devient opaque, éventré. Ainsi, les créateurs de
vérités foisonnent au-dedans du crâne, aux prises avec d’autres
générations qui n’ont pas renoncé à ce qu’elles tenaient pour vrai
dans les alentours de leurs têtes d’eau.
Et l’eau y est stagnante, l’atmosphère pesante, à cause de
vannes énergétiques complètement grippées. Ah ! Cela ne risquait
pas de nous arriver à nous autres, angelots par bonds, adeptes de
85
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
l’école buissonnière, révoltés dès le biberon, qu’un adulte nous
force à faire des études.
N’est-ce pas, Jehan, de nos jours, les enfants apprennent
de leurs proches, avec je ne sais quelle suffisance que s’ils ont
de mauvaises notes à l’école, la vie avec leur semblable leur sera
particulièrement difficile. Allons donc ! Les meurtriers de l’instant
sont plus que jamais de retour parmi le peuple des ombres.
Quelle moisissure de la pensée morte encore à l’œuvre dans
les foyers et les écoles. Qui trompe qui ? Avant de devenir quoi
que ce soit, l’on est quelque chose et n’est-ce point ce quelque
chose, la raison première de notre bonheur de vivre sur la Planète
Bleue. Certainement. J’ai découvert cette évidence lors de mon
admission à l’école buissonnière. J’étais premier partout sans passer
aucun examen. Par ailleurs, l’école des rivières et des bois nous a
formés à toutes les épreuves de la vie ainsi qu’à l’émerveillement
de « ce qui est ». Profondément inspirés, nous avions toujours la
moyenne et ce, à chaque saison. Lors des examens en plein air,
les 20 sur 20 pleuvaient au rythme des tambours de la pluie. On
avait pris la responsabilité de jouer notre rôle : celui d’être enfant
quand on est enfant. Et cela, nous l’avions bien compris, Jehan.
Mais comment deviner la vie en nous si nous restons
constamment tirés vers le mérite, simultanément lancés en avant
vers la récompense écartelée, porteur d’un prénom que nous ne
savons plus entendre et d’un nom dont nous n’arrivons plus à
nous délivrer. Monsieur un tel au tableau disait le professeur ?
Et Bocampe l’insolent de lui répondre, « il n’en est pas question,
m’sieur Seguin ». Ah ! ca, je vous assure qu’il n’aimait pas du tout.
Cela lui retournait le système nerveux dans tout les sens. Vinzou !
Pauvre vieux, quand j’y pense ! Il a dégusté la pleine face Nord
Intellectus Premier.
86
Le 3 décembre et des poussières
Oui, à n’en point douter, l’intelligence de la vie se révèle à
nous dans un grand et profond silence d’où vient son jeu secret
du mouvement, de sa stabilité et de son perpétuel changement.
Observons, de l’humus à la tête des arbres. Les saisons ont tant à
nous initier. Tout est là, si simple, que c’est à se demander pourquoi
nous passons à côté sans ne rien sentir.
Il y a en arrière-plan, et ce, malgré les indéboulonnables
modèles parentaux, historiques, sociaux, un besoin obsessionnel
d’attribuer la réussite du salut humain à un volume de connaissances
auxquelles l’homme doit répondre, par des notes, des contrôles,
des examens, des exigences, des tests, supposés prendre en charge
le destin de l’individu et des collectivités.
Poison, car on ne répond plus à la sensibilité humaine. Dès
son jeune âge, sous peine d’odieux chantages et de reproches, le
p’tit homme est appelé à devenir un spécialiste, entre son premier
outil de vie, donc, le « moi » et la horde du monde qui le coproduit
intellectuellement et émotionnellement.
Telle est l’une des composantes de sa fatalité où le
monstre du calcul, bête du chiffre et de l’analyse, conditionne sa
destinée. Terre dure de l’insensé ! A ne pas s’y méprendre, quel
cocktail explosif pour oublier ses propres forces du cœur. Mais
demandons-nous ce qu’il existe entre ce « moi » et la horde ?
Comme j’ai essayé de te l’exprimer, un principe d’évolution
par excellence est de rejoindre consciemment une dynamique
d’ensemble, à commencer par la réalité des autres, aussi étrange
puisse-t-elle paraître à prime abord. Et les autres, ce ne sont pas
que des hommes, c’est aussi tout ce qui est doué de vie, le réseau
de l’instant d’où surgit toutes les facettes de la vie. C’est aussi un
principe vital qui fort de son enthousiasme évolue vers des états
de consciences nouveaux.
87
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Mais, n’est-ce pas Jehan, à force de pollution du « p’tit
je », toutes les réalités que nous rejoignons, nous les concevons,
les contrôlons, les analysons. Ensuite, nous nous impliquons
avec un « moi » qui ramène la récolte de ses perceptions dans un
centre qui le coupe du monde et le consolide dans son isolement.
L’homme moderne a peine à pleurer. Tout est sous surveillance,
sous armure. C’est le cachot mental, ordinaire.
L’une des manifestations de la myopie du « moi » est de
nous cantonner essentiellement dans un reflet qui ne peut pas se
mettre en rapport avec la vie. Inattentif, le « moi » est la majeure
partie de son temps en rapport avec les flonflons de ce qui le
coproduit. De la sorte, nous ne pouvons pas comprendre que la
vie a des intentions, qu’elle est intelligence et qu’elle possède un
langage. Intelligence exprimée par la relation, la communication,
les évènements, les phénomènes visibles et invisibles à travers
tout ce qui est doué de vie (réseau de l’instant).
L’identité d’un être n’est pas quelque chose d’immobile et
les critères de juger la réalité de l’autre, pour ensuite la clouer
comme nuisible ne nous conduisent pas à comprendre la raison
de cette réalité, ce qui induit un conflit immédiat de normes et
de valeurs que l’on retrouve quasi partout dans notre société.
Dit autrement, cet attachement à l’apparence et à l’interprétation
des faits nous reconduit à ce que nous tenons pour vrai, donc au
passé, à la clôture mentale.
L’histoire est en fait toujours la même puisque elle n’est pas
libérée de son passé. Les pensées ne frôlent guère avec le silence
ni les mots avec la fraîcheur de l’inconnu. La vie nouvelle ne peut
surgir car nos créateurs de vérité et nos inventeurs de réalité l’en
empêchent. Et ces usurpateurs sont ancrés en nous comme un
fait habituel.
88
Le 3 décembre et des poussières
Nous bloquons notre changement. Et sans pouvoir
se raviser, à chaque fois que l’homme tourne la tête, les tables
anciennes se retournent, les griefs s’ordonnent aux quatre points
cardinaux, la surabondance de la vie s’en va alors vers des mers
lointaines.
Le « moi », bien carré parmi les formes et pleins d’astuces,
identifié avec un préconstruit, confondu avec un préjugé, résulte
non seulement d’un reflet, mais aussi d’un effet qui se salue dans
ses eaux. Un effet réductionniste qui stoppe l’évolution. Et cela
commence par celui qui est porteur de cette conséquence. L’effet
sournois en question ne se porte pas seulement sur le genre humain
mais aussi sur ce qui est doué de vie. L’effet qu’il ne ressent plus
s’inscrit dans un temps, en proie avec le prolongement du passé,
dans un mouvement qui s’accroche à ce « qui n’est plus ». Telle
est la particularité de la mémoire, de cette grande réserve, elle se
rappelle de tout, jusque dans les moindres détails. Et que nous
enseigne la mémoire si ce n’est que celui qui se rappelle, celui qui
l’observe est passé.
Or, quand l’inconscient monte en surface, la lumière de
l’instant le dissout dans son réseau. Le « je » s’efface l’instant d’un
soupir. Le « Respir » apparaît naturellement. En ce sens, aucune
mémoire, aucune souffrance ne peut trouver un point d’appuie
dans la totalité de l’instant. Tel est le miracle qui réside au sein
même de la simplicité.
L’homme a beau secouer son cerveau, il ne s’entend pas
moudre ses pensées. Et réduites en poudre, elles créent un faux
plancher cérébral. Et à chaque fois que l’homme pense cela grince
dans ses articulations. Il n’est pas là, et ce sont les craquements de
fantôme sur ce plancher qui nous l’enseignent.
89
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Mais il y a pire encore. Fixé dans l’oubli de l’instant, l’effet
des pensées mortes dans un enjouement dramatique de réactions
devient destructeur dans sa continuité. L’effet porte aussi une
information basée sur une mémoire introuvable qui ressortira, bien
entendu, à chaque atmosphère maligne. Sûrement une nécessité
de l’évolution que nous devons pénétrer pour nous en faire un
chemin de connaissance de soi. Telle est l’une de nos plus grandes
difficultés mais c’est de cette semence que naît le changement à la
vie.
Juger est folie. Le jugement est une maladie de l’esprit qui
nous éloigne de notre vraie nature. Le « moi » s’y laisse prendre
au cœur même de ce qui le coproduit. La vie quotidienne devient
alors problématique.
Qui plus est, c’est une digression antihumaniste. On peut
ainsi aisément comprendre les problèmes que posent la relation
humaine et celui d’exister homme debout ici-bas. Nous récoltons
ce que nous semons est un dicton des anciens qui en dit long sur
l’évidence. C’est toujours ainsi que nos malheurs commencent,
et aussi réel que ses nuits, l’homme a des herbiers vaseux à
nettoyer. Des herbiers psychiques qu’il crée et reproduit dans le
papillonnement de ses peurs et de ses désirs.
Je reprends tes craintes futures que tu proclames haut
et fort concernant les idéologies du « moi » qui risquent
d’instrumentaliser le genre humain.
Le sens de la vie des autres est un principe de vie purement
naturel et l’ensemble du mystère d’amour ne peut devenir réalité
que les uns avec les autres. Exister est en soi une énergie qui ne
se résume pas à une prétendue réalisation d’un « moi » noyé dans
l’insignifiance de l’humanité. Seul le moi peux se sentir séparer
des autres, mais l’intelligence de vie en nous, porteuse du même
amour ne connaît pas ce type de fragmentation. Même si nous ne
90
Le 3 décembre et des poussières
l’avons toujours pas compris… Tout est relié par les qualités d’une
infinie lumière. Tout ce qui est en bas doit monter à la hauteur de
l’infini, et là, il y a sur cette route de l’infinitude, l’amour.
Pour l’heure, plus l’homme se coupe de la vie par exemple,
par le biais des technosciences, de l’intellect, plus en effet, il y a
de découvertes scientifiques à haut risque. Ce qui est normal. J’ai
dans l’esprit qu’on tombera de haut d’un grand et seul geste net.
Lorsqu’on n’est pas dans la vie, on modifie malencontreusement
son état cellulaire, et l’Inexisté à outrance et aux motifs sombres,
agit à nouveau, que ce soit dans le domaine de la biogénétique, du
numérique, de la politique, de l’économie, de la santé, du mariage,
du social, c’est ainsi. Nous avons ce phénomène devant nous à
chaque instant, mais comme cette pathologie est certifiée, donc
reconnue comme normale, nous n’y prêtons plus garde, de sorte
qu’elle s’inscrit dans nos fonctionnements.
L’Inexisté prend la place de la vie avec toutes les variétés
rocambolesques du psychisme humain. Il y aura donc de plus en
plus de découvertes immorales, ambulantes, et bien entendu, avec
du cousu tête, de nouvelles maladies désastreuses et de soudains
problèmes sociaux corsés. La réponse de la vie à notre pestilence
intellectuelle est la preuve par excellence de l’interdépendance et
de l’interaction de tous les règnes du vivant. Mais pour l’instant,
dans l’histoire du genre humain, l’homme bataille pour avoir les
meilleurs emplacements dans la coproduction conditionnelle.
Misère des sept nuits du genre humain qui depuis toujours frappe
la condition humaine.
Des murs de l’âme humaine, brûlés de leur feu, les Etats
maîtres mettent en avant le progrès, l’évolution, le partage, ainsi
qu’une nouvelle construction de la personnalité associée à tous
ces joujoux des technosciences et de leurs guerres organisées.
91
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
En fait, ils nous renvoient directement au « moi » médiatisé ou
à une âme groupe de « moi » neuronal, englobant une sorte de
peuple mouton intégral qui sera dans les temps à venir plus facile
à gouverner. Mais en ceci, l’homme dormira dans le déséquilibre
de son sang.
Je crois que le sens de la vie des autres, c’est-à-dire aussi une
coproduction de nous-mêmes, nous interroge fondamentalement
sur le sens sacré du vivant. Le sens de la vie des autres, c’est aussi
la nature Universelle du genre humain dans une époustouflante
odyssée cosmique. Nous sommes tous membres à part entière du
Grand Manège. Jehan, très sérieusement, l’homme est-il devenu si
sot dans l’accumulation de son savoir qu’il en oublié l’évidence de
l’Existé ?
Nous ne pouvons plus nous contenter de dire que ce qui
se passe là-bas n’a pas de conséquence ici. Nous sommes partie
intégrante de tout ce qui se passe dans le monde même si nous
persistons à l’ignorer. Et cette intégration au vivant est spontanée,
immédiate. Il n’y a que la pensée morte et le « moi », pour l’analyser
ou l’observer comme s’il en était dissocié.
Le principe d’évolution du genre humain est un principe
de vie que chaque homme porte en lui du simple fait d’exister.
Il n’y a pas de degré, de palier, dans l’accession à ce principe de
vie. L’état d’être est immédiat, dans l’immesurable instant. Cette
présence à la vie n’est pas ramenée au rang de moyens, de castes
ou de méthodes. Je peux comprendre que le grand manège peut
engendrer en l’homme du merveilleux autant que de l’effroi. Et
bien que les sciences aient voulu dans leurs intentions premières
améliorer la condition humaine, elles transportent l’homme sur
un seuil où celui-ci perd gentiment l’équilibre entre « ce qu’il n’est
pas », « ce qui est », l’intelligence de la vie et l’Inexisté.
92
Le 3 décembre et des poussières
La vie est un cadeau, et l’instrumentalisation du genre
humain par les sciences ne pourront pas s’approprier ce cadeau, car
la donneuse est un principe divin où n’existe pas la fragmentation.
L’Unité ne pourra pas être étudiée dans un laboratoire et être
reconfigurée quelles que soient les apprentis sorciers.
Les résultats des sciences actuelles ne portent pas
d’intentions de vie, de projets de vie, tout bonnement par ce
qu’elles ne sont pas douées de vie. A la longue, il y a de fortes
chances que tous ces soit-disant progrès détruisent les facultés qui
nous permettent d’entrer en contact avec le vivant.
L’homme peut insuffler autant d’intellect dans ses
découvertes, aucune d’entre elle ne prendra vie. Certes, elles
porteront des informations, des données, des facilités, de la
sensation forte, elles feront croire au miracle. On le voit bien avec
la médecine, c’est une science championne pour approcher un
symptôme avec de la chimie, mais totalement ignorante sur ce
qui a créé la maladie et ses symptômes. L’homme n’est jamais
considéré comme un Enfant du Ciel.
Une science de l’esprit se porterait sur l’origine des
choses pour trouver des solutions. L’approche holistique serait
une réponse à la vie et à l’homme, mais ce travail d’investigation
demande d’aller à la rencontre de la vie et de se mettre en relation
avec. Comprenons-nous bien, Jehan, peut-on aller à la rencontre de
la vie avec son « moi », un intellect aux trousses, qui par primauté
nous sépare du réseau de l’instant ?
93
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
94
Anecdote en mer descendante
C
iel, Jehan ! Alors que ce matin, je me masse les
cheveux avec de l’huile d’argan, d’un réconfort irlandais, je tourne
chacune des pages de « Lettre à un homme comme tout le monde ».
Combien ai-je aimé tes intentions sur la prise de conscience. Et
me confiant enfin quelque peu, c’est le ressac de la grande poésie
que je retrouve après tant de chagrin fixé entre l’individu et le
tourbillon collectif de l’humanité.
Tu sais, mon ami des hauts plateaux, toi, mon héro de la
« Planète Bleue », 5, tu te souviens ! Dire que j’ai failli perdre mon
cœur pour un être féminin trop ardu pour ma sensibilité. Quel
revirement spontané, sans y entendre une traîtresse présence, ce
séjour à Montreux creusait mon exil au regard emprisonné. Pour
un amour aux gants blancs, captif dans une toile d’araignée, j’en
avais oublié de voir le monde dans son entier. Sans fondre en
larmes, je me suis fait dévorer tel un possesseur devenu possédé.
Leçon dans la leçon !
Lorsque, durant ces moments de fleurs fanées, tu m’as
confirmé que j’appartenais à la Terre mère, à l’Etoile et au monde
des Bergers, tu as envoyé en fait des forces de vie à mon secours.
95
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Mes deux mains se sont ouvertes et ont vibré. Du grand espace
Celte rouvert dans mon ciel, j’ai accueilli les forces Atlantique.
Mes pieds trouvèrent le courage de quitter une dragonne si
belle à mon cœur que mes yeux s’étaient clos au reste du monde.
L’instant de penser à mes projets de vie était arrivé pile à l’heure.
Comment louper un tel rendez-vous ?
Si bien que dans cette Riviera aux claquements de surface
et de temps qui fuit, aveugle, le cœur clairsemé dans l’antre oublié
de mes intentions, je me suis noyé dans une société accélérée
d’artifices. Seule cette vue sur les Alpes pleine de grâce et de
pensée secrète prêtait vie aux pincements de mon cœur.
Par aubaine des meilleurs auspices, ta lettre est arrivée
comme un solitaire bond dans toutes les boîtes aux lettres du
monde. Et ce matin d’hiver où je la reçue, je suis devenu un élan,
pétri des rêveries du promeneur solitaire.
Ciel encore ! L’apprentissage, le rêve, la déchirure, le
royaume du moi. Le cocktail a appelé les larmes et les larmes m’ont
rappelé à la vraie vie.
Complètement responsable à la fois de ma propre situation
d’âme, je compris ma perte d’oxygène pour un morceau de
chair qui s’éveille, à la fois rigide, baroque et en même temps si
éblouissant de reflets. Qu’est-ce que je suis allé chercher dans le
genre humain ? Une nostalgie de l’adolescence, une image confite
de l’humanité, un face à face avec l’ignorance, un tête à tête avec
l’apparence superficielle de mon propre reflet ? Bingo !
Tandis que l’amour inspire derrière le bris de l’horizon,
séduit par un monde de surface, cette expérience de non vie me
retarda sur ma route tout en sonnant les heures de mon fauxfuyant. Tel était mon chemin. Un grand chemin… Il convenait à
ma conscience une grande Débroussaille du monde de l’âme.
96
Anecdote en mer descendante
Du vase clos de la contrainte et de la méchanceté, volteface avec un ego qui froisse et crache du feu, je me suis échappé
d’un sceau mystérieux d’apparats et d’envoûtements. La grande
évasion. Le tunnel mis à jour. Les cavernes éclairées. L’électron
libre sur les Terres de verdure. Nécessairement, c’était une chance
extraordinaire, une fois de plus que de retrouver la couleur verte de
ma naissance. Fallait-il encore traverser cette image bouleversante
de l’humanité et ne pas faire d’un mal une affaire personnelle à un
point tel qu’il nous appartienne.
Dans un grognement du paraître, jusqu’à mon dernier
bien, j’extirpai de mon âme, un venin du monde des parasites que
voici : « Poète, ta plume ne vivra plus sous le toit des âmes ».
Autant dire que sans poésie dans ma vie, j’étais comme
mort, même pire encore. Pas question d’abandonner ce qui m’a vu
naître. Et bien que mon libre choix fut de partir sans marchandage,
ma tristesse fut marquée et profonde. Il me paraissait impossible
de quitter des enfants que j’aimais tant. Néanmoins, tous ces
concours de circonstances déchirant m’ont permis de poursuivre
l’apprentissage de l’homme debout. Même si la mariée est restée
trop belle, je ne m’en plains pas. N’est-ce pas la mort de certains
jours qui lorsque nous les quittons définitivement appelle le
vivant… Guérir, vivre, devient réalité. Après tout, l’initiative vient
de nous, et nous venons directement de la Grande Odyssée.
Ah ! La route s’annonce longue en Terre Celtique, mais
aux antiques soins, et quelle que soit l’histoire oublié, aucun cœur
de poète n’a jamais été retenu par quelconque dragon, si fatal soitil. Il m’a fallut faire un choix pour un nouveau départ. Et ce choix
douloureux fut initiatique. Il m’a permis d’éclairer ce qui en mon
âme n’avait pas de lumière au-dedans.
97
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
De déchirement et de dispersion, mon glaive s’est brisé
devant le grand chêne. Blessé, le cœur en danse de chagrin,
regagnant la route de l’océan, face à face à un monde de mépris
et de calomnie, j’ai pu retrouver par miracle, ressources, vie et
pardon.
Mais comble de magie, à cette unique évidence, déjà, une
présence Celte, « Chevelure de Châtaigne », m’attendait sur le
rivage, et fort heureusement pour ouvrir un coffre à trésor. Mon
cœur allait pouvoir bondir à nouveau avec les vagues comme il
convient à l’Atlantique. Je me suis dit tout cela à l’instant car il
était grand temps que je me le dise et que je l’écrive sans me voiler
la face.
Ah, Jehan ! La simplicité de tes mots m’a rappelé au Verbe
Exister. Ta présence m’a insufflé l’unité sacrée. Lettre à un homme
comme tout le monde, Lettre à mon Etoile, Lettre à une Femme
pas comme tout le monde. Grâce à l’influence que tu as exercée
sur mon être, cette trilogie Celte se trouvera alors suspendu à
jamais hors du temps.
Oui, sans ton rappel au réseau de l’instant, ce triptyque
n’aurait jamais vu l’aube ni moi retrouver sœur la plume.
Ecrire à son étoile, je lui devais bien cela, n’est-ce pas !
Ce partage avec toi, Jehan, est comme une part du monde
récupéré, hors de toute mémoire, de tout calcul. Aujourd’hui,
jour de mes cinquante ans, je suis prêt à vivre poétiquement et à
mourir noblement dans le vent de la grande Odyssée. J’improvise
l’instant. Le reste attendra.
Qu’il est bon de mourir à toutes les croisades de
l’incohérence, aux cyclones de l’urgence et à tous les « p’tits je
débâtés du monde ». Comme tu me l’as si justement signifié, suite
à ce voyage de deux ans dans quelques coins empoussiérés des
passions humaines : « Sans apprentissage de la conscience dans
98
Anecdote en mer descendante
la vie de couple ou de famille, il n’y a que des zones d’ombre qui
refont surface ». J’en ai tiré la leçon dans les airs montreusien.
***
La mer monte
Je partage ton avis, lorsque tu images la vie comme une
énergie suprême qui déroule son texte poétique. Le texte est le
même pour tout le monde mais cependant, chacun lit la narration
avec une réalité différente. Et là, rien ne sera plus irréel de ce
que deviendra cette réalité de laquelle surgit la grande histoire de
l’humanité par tant de différences et d’adaptation à la vie de notre
planète, jusqu’aux rêves les plus fous.
Quand on pense que la vie s’est nichée jusque dans les coins
les plus isolés du globe, dans des formes et des comportements
les plus époustouflants. Mais tout aussitôt, l’homme balloté de
paradoxes, ébouillantés de pensées mortes, ne peut pas s’empêcher
de comparer pour ensuite détruire. Canaille mortelle d’Intellectus !
On a l’air fin avec nos vérités et nos dieux à quatre sous.
« Homme, tu es des nôtres » dit la vie. Qu’on ne s’y trompe
pas. Quant à la manière dont l’homme a ressenti cette parole, cela
édifia une épopée époustouflante du genre humain avec un sens
de la singularité producteur de sa propre continuité. Et comme
tu le dis, Jehan, cela se poursuit avec toutes les difficultés que
rencontre l’humain pour s’entendre avec la vie et ses semblables.
C’est précisément là que chacun de nous est attendu dans ses
récits d’aventure, n’est-ce pas, pour créer des relations et des liens
d’homme debout.
99
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
La morphologie de nos contextes sociaux se modifie
considérablement. Il semble nécessaire que nous passions par tous
ces états de malaise pour revisiter plus consciemment les beautés
du monde qui nous échappent et que nous voulons obstinément
enrouler dans les draps de nos pensées.
Pourquoi voulons-nous intellectualiser tous les domaines
du vivant et compliquer la relation jusqu’à la rendre complexe
au possible ? Oui, à quoi bon rendre technique et analytique la
relation ? C’est une entrave même à la vie, une posture qui sent
l’abordage.
Un des problèmes humain non résolu à ce jour est ce besoin
dérisoire de promesses que la vie continue au bout du chemin.
Particulièrement chez les peuples de grande religion. Du coup,
la bonne nouvelle chargée d’or, de rubis et de croyance, prend
au dépourvu tout le monde. Voilà que ce qui aurait dû rassurer a
déstabilisé la structure psychique du genre humain.
Ainsi, toutes les figures directrices ont été utilisées pour
une cohésion virtuelle du genre humain. A tort où à travers,
cela demande réflexion. C’est la raison pour laquelle l’archaïsme
individuel et collectif maintiendra l’adhérence des connaissances
avec tous les rituels et palettes de savoir que constituent les
modèles de croyances.
Connaissances et informations du passé, donc sans racine,
dont l’élan irrésistible se transformera en territoire, en cérémonie,
en chapelle, associé à la guerre des statues (guéguerre des « je »).
Savoir imposer ensuite dans l’enseignement sans même demander
l’autorisation au peuple du quotidien. Tu me saisis, je n’essaye
pas de rabaisser notre passé de la vérité mais de discerner ce qui
jette le désordre. Les erreurs que nous faisons, les inquiétudes du
vivant difficilement surmontables ont aussi un sens si surprenant
100
Anecdote en mer descendante
soit-il. D’ailleurs, est-ce que nous allons assumer nos erreurs et
comprendre leur nécessité ?
Interpréter la dimension poétique du vivant, tout de suite,
cela rend agile notre tête d’argile, n’est-ce pas ! C’est une œuvre
en mouvement et aussi une déchirure sur la terre physique. On n’y
échappe pas. Il y a autant de réalité du monde qu’il y a d’hommes
ici-bas. Il y a autant de point de vue qu’il y a d’étoiles, et Ciel, malgré
toutes les impasses, les frissons et les contradictions humaines,
tout cela est prodigieux. Il y a quelque chose d’artisanal que de
vivre ici-bas. On doit être au paradis, dans ce monde offert, sauf
que l’on ne le sait plus.
Cela dit, la vie nous inspire non pas par ses connaissances
mais par ses beautés, ses énigmes relationnelles, son im­
prévisibilité, son interdépendance, ses mystères, son immensité,
son impermanence, son infinitude. Et bien qu’il soit difficile
d’appréhender l’expression de ses réalités sans faire recours à des
croyances ou à des créations de dieux personnifiés par le « moi »
et la pensée, la simplicité restera d’actualité pour bien des siècles.
C’est toujours le même instant, n’est-ce pas. Mais l’avons-nous
bien saisi ? Quel foutu caractère que l’humain, Jehan.
La vie échappe à l’emprise magmatique de l’ego. La chaleur
ne peut être guère contenue. L’espace n’est pas enfermable. Cela
signifie que l’infiniment immense porte son œuvre. Chaque
homme est le prolongement du divin manifesté et le mouvement
de cette œuvre. Pourtant, tout est à refaire à chaque bouffée d’air
dont il ne faut pas s’écarter sous peine de se perdre dans l’espace
tridimensionnel, émotionnel et mental.
Ah, donation que d’exister ! La biographie nous tient. Ce
n’est en quelque sorte qu’à partir d’une relation engagée avec ce
qui est doué de vie que la vie prend à nouveau du sens au fond de
nous. Et au fond de nous, il y a un lien vivant, celui du reste du
101
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
monde, à commencer par toux ceux que nous avons eu la chance
de croiser sur notre chemin. Quand on se penche vers toutes nos
rencontres humaines et malgré ce que nous appelons des erreurs
d’aiguillage, le tissu de l’intrigue s’ouvre, le merveilleux apparaît.
Tout était à la hauteur de notre évolution et en ce sens parfait.
Il est vrai que de nos jours numériques, notre rapport au
monde a profondément changé. Prétendus formés et intelligents,
nous rayonnons les évènements de nos analyses afin que nul
n’échappe à nos interprétations. En fait, nous n’avons guère
développé un nouvel état de conscience des enjeux de la relation.
Même sur des échasses, les hommes continueraient de se quereller.
Que se passe-t-il avant la relation ? A mon avis, pour une meilleure
condition humaine, il serait judicieux de réapprendre à écouter le
silence et de renouer nos corps avec les saisons de l’Existé jusqu’au
fond d’un non vouloir lumineux.
En somme, tout ce qui arrive à l’heure actuelle est la
conséquence de notre profond endormissement, tant individuel
que collectif. Le « être ou ne pas être », de Hamlet, synthétise bien
la situation dans laquelle se trouve le genre humain aujourd’hui. Et
ce n’est pas la situation qui importe tant, mais de quelle manière
nous allons la changer. Ce qui implique une interaction sublime,
celle de notre total investissement, de notre métamorphose.
Pour « être », nous devons participer à la même mouvance
que l’intelligence de la vie, en commençant par retrouver notre
espace individuel comme un espace amoureux du vivant. Il en
résulte que nous gardons notre identité sans plonger dans les
méandres de l’idolâtrie du « moi » qui déterrent les racines de
la vie pour nous emporter dans un monde émotionnel toxique.
C’est ainsi que de mauvaises convives s’installent dans nos âmes.
Quant à l’idée d’appartenance, il nous suffit de regarder un Ciel
étoilé pour constater ô combien le grand manège est fantastique.
102
Anecdote en mer descendante
A chaque instant, nous avons la possibilité de venir au monde
aspirant à « ce qui est » plutôt qu’au discours mental.
Et c’est par cette action de prise de conscience immédiate
montré de manière exemplaire le naturel de la vie que nous pouvons
insuffler des forces du monde des étoiles dans notre constellation
sociale où nous avons à agir. Tout l’infini trouve place lorsque,
présent au présent, la pensée retrouve sa juste place.
La prise de conscience subite et la créativité s’accorde,
jusqu’à une inventivité artistique, sociale, politique, économique.
Ne serait-il pas temps que les grandes nations instaurent une
éthique de l’économie afin d’éviter le monopole et la privatisation
du vivant ?
Créativité aussi dans le sens d’un art d’exister, certes, seul,
dans un corps physique, mais auprès de ses semblables et auprès
de tout ce qui est doué de vie. Nous pouvons trouver le sens
noble de la vie dans les arts, la poésie, la littérature, la musique,
l’être féminin, même chez une dragonne, et ce, jusque dans les
petites choses et les détails de la vie quotidienne. Le sacré et la
connaissance ne sont pas une affaire de savoir mais de rencontre,
de relation, d’échange et d’action. Je veux parler de cette rencontre
entre un état d’être et l’intelligence de la vie. Dans ce sens, toute
culture devrait être respectable et vu comme un bienfait de
l’humanité que nul regard ne pourrait trahir.
Nul doute, il y a accordance, liaison, entre la conscience
immédiate et l’intelligence de la vie. Notre totale présence
au monde peut témoigner de ce fait et l’illustrer avec éclat. Les
artistes c’est fait pour cela, non ! En tout cas, c’est un phénomène
naturel que d’entrer dans un labyrinthe peuplé d’éternité. Pour
cela, j’ai choisi l’exemple de l’abbaye du Thoronet. Pour finir,
quelque soient les siècles et leurs paradoxes, le travail reste à
faire. Admettons-le, le bond de la technologie n’est pas synonyme
103
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
d’évolution. D’ailleurs, savons-nous vraiment sur quoi nous allons
rebondir ?
Il nous faudra de toute façon bien trouver des alternatives
intelligentes pour cohabiter avec la technologie et approcher une
éthique de la vie pour sauvegarder le genre humain. En parallèle,
il nous faudra aussi modifier cet état du « moi », qui, dès la jeune
enfance dans les écoles et dans les familles, est voué au culte du
reflet indifférencié selon les mécanismes qui huilent les rouages
du passé de l’humanité.
Comprenons que les idéologies bancales de ce « moi »
amènent la perte du vivant dans nos sociétés. Les intérêts du
« moi » ne sont pas une valeur ni un modèle. Un reflet, si furtif
soit-il par nature, ne peut guère interroger le mystère de la vie. La
page suivante au reflet est ce « moi » qui à tous mots et à toutes
phrases redevient une image de lui-même. Un reflet n’a rien
d’unique ni d’individuel, c’est une ombre qui est devenu lumière
et une lumière qui le reflète dont les paradoxes font en sorte que
l’on ne peut guère le situer. Il est ainsi loisible de suivre un reflet
et d’assister à sa lente disparition.
En tout état de cause, une vie sociale meilleure peut voir
l’aube à partir d’un nouvel état de conscience. Au vu de ce jour
nouveau, nous pouvons garder en prévision à tirer de ce malaise
mondial, un véritable retournement, une sincère révolution
intérieure.
C’est précisément là que je veux en venir : réapprendre à
regarder au loin et accepter les limites comme un seuil à franchir,
le mental à terre. Chacun peut participer à ce processus du
Renouveau Social en agissant là où il est appelé à fouler la Terre,
dans sa rue, sur son lieu de travail, dans sa famille. C’est ici-même,
dans cette vallée sociale de conflits et d’incohérences sociales, que
104
Anecdote en mer descendante
le contexte a besoin de notre présence. Autant dire que l’auditoire
est à son comble, Jehan.
Souvent, de simples et grands gestes d’âme comme
un simple sourire, une poignée de mains, qui coulent alentour
mettent en mouvement celui qui les reçoit. Et le mouvement, la
résonnance, c’est aussi la vie. C’est aussi cette source qui conduit
l’humanité vers la mer. En cette tenue de l’homme debout, tout
amour est permis. Tout seuil peut-être pénétré d’intention. Cette
pudeur de l’esprit a une qualité qui nous situe au-dessus de la
relation. A commencer par dépasser les conflits du « moi » qui
s’étendent à toute la planète et qui débutent en nous, chez nos
collègues de travail, notre femme, nos enfants, notre hiérarchie.
Cette réalité n’est pas indépendante de la nôtre. N’est-ce pas ce
qui nous rappelle si viscéralement à la flottaison de notre petite
identité mondaine où nous sommes devenus otage de notre
devenir, constamment préoccupé à quelque chose d’autre. Seule
rançon, notre retour à l’instant.
Voici où nous en sommes, Jehan, rien ne peut remplacer ce
regard lucide sur le fonctionnement de notre vie intérieure. Oui,
rien ne remplacera le murmure poétique qui suit les marées. Cette
attention, ce ressentir exister, ce sentir ressentir, est aussi relation,
dans un sens d’équilibre et de profondeur qui apporte les clés de
notre demeure. La fausse note de la grande harmonie, c’est nous.
Le chef d’orchestre qui permet la rectification, c’est aussi nous.
De mon point de vue, Jehan, il n’est plus l’heure pour
l’humanité de téter au sein de la somnolence. Tel est l’électrochoc
d’un des messages de notre époque, nous devons nous rendre
à cette évidence, et si possible, par un acte de conscience, donc
librement. C’est le moment de briller, de simplifier nos postures
105
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
d’exister, en relation bien sûr avec cette dynamique d’équilibre
qui au travers de ces deux coproductions (conditionnelle et
existentielle) nous pétrit de l’intérieur et de l’extérieur.
De cette prise de présence, nous pourrons agir afin que les
forces qui structurent nos conditions de vie soient plus organiques.
La technologie n’est plus un frein, même que nous pourrions utiliser
ces forces mécanistes pour donner de la cohérence à nos actions,
sans pour autant nous prendre pour des dieux immortels.
Voici un présent mûri que j’aimerai partager : n’attendons
plus des excuses de la fatalité. Allons à la rencontre de la vie,
comme si elle était un génie sous la voûte profonde, au simple fait
que ce sera en nous que nous pourrons reconnaître ce génie qui
avance à la limite des Terres et du Ciel.
Il ne s’agit pas d’extraire un ésotérisme ou de savoir si ce
génie existe mais de rétablir un équilibre au plus profond de notre
être. Si on ne le devine pas, c’est bien qu’à cette constatation, nous
avons le cœur fermé, l’espace individuel complètement encombré.
Toute connaissance fume et s’éteint, les cendres resteront notre
grand berger, Jehan.
Le noir roc du « p’tit je », caché parmi les flots, bave
l’écume des mers comme pour en bénir sa substance. Oui, il n’y
a de mémoire qu’en direction du passé… Et l’aube de son doux
baiser, dans les rêves clairs de l’automne, nous rappelle l’instant
où aux lèvres du bois, le feu s’enflamme…
***
Mer étale
Ce qui est sûr, c’est que l’immédiateté technologique est
devenue un pouvoir qui salue la mort sans même la rencontrer. Et
106
Anecdote en mer descendante
quoi qu’on entreprenne, il nous faut faire face à une accélération
du temps psychologique. En témoigne le coup d’état mondial
de ce jour mourant, le onze septembre 2001, perpétré par des
Etats sombres de l’avidité. L’assaut des émotions humaines a été
marqué aussi bien par l’horreur des faits que par l’ignorance des
faits. Qu’importe le moyen pour atteindre un objectif, le sacrifice
de l’homme n’est pas un rituel qui appartient au passé comme
nous avons pu violemment le constater devant nos écrans plats et
difformes.
En un seul instant, des informations et des images
psychédéliques ont informé le monde par le biais d’une science
fiction finement coordonnée, préparée, calculée et savamment
orchestrée par un gouvernement de l’ombre dont le but est de
se partager encore plus le monde. En un seul geste, le « peuple
mouton » a cru ce qu’il a vu et entendu. Ensuite, il a barboté dans
sa flaque. Malheureusement, pendant ce temps, le message a passé
et a exercé son pouvoir, éclaboussant tout sur son passage.
Soit ! Du coup, pour parfaire à un équilibre, nous sommes
ramenés à notre propre état de conscience, afin de ne pas nous
laisser envahir par une supercherie qui, du ras de l’horizon a pris
l’apparence d’une sécurité mondiale. Qui nous ramène dans notre
suc existentiel si ce n’est le bon sens de la vie ? Un bon sens
dépourvu de toute forme établie. Un bon sens qui agit sur une
autre échelle de perception que la nôtre.
Malheureusement, il y a des informations du pouvoir
récupéré par une dépendance médiatique qui flotte à tous les vents
froids, humides et secs, mais, aucune dimension interrogative et
si peu d’investigation pour vérifier la nature de ces informations.
Tout est répété comme si la vérité avait une consistance matérielle
alors que toutes les interprétations de ces informations sont
déconcertantes à souhait. Et chaque fois cela renforce nos
107
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
habitudes dans ses trous. D’où une banalisation du mal, même
une certification du mal. En toutes occasions, il y a quelque chose
en mon âme qui s’oppose à ces odieuses manipulations. Ce doit
être dans ma nature de Bergeron.
Des images, des sons et de l’info arrivent à la vitesse de la
lumière et bien que nous ayons accès à la communication mondiale
devant des écrans de télévisions, des ordinateurs ou du papier
journal, nous en oublions de nous émerveiller devant l’arbre de
notre quartier. Le bon sens a son langage propre et il ne ment
pas.
C’est aussi cet arbre qui participe à la construction de
notre véritable identité. De mon point de vue, la catastrophe de
l’homme, ce n’est pas tant les joujoux de la technoscience qui lui
ceinture le remblai cervelesque, ni les terreurs que nous prépare
le peuple de la pénombre, mais bien cet arbre que par dédain,
nous avons totalement oublié. Si entre deux pensées, je devais
choisir, Jehan, alors par amour de la clarté de vision, je choisirais
prioritairement l’arbre, jusqu’au silence profond.
Pour répondre à ta question sur les peuples d’autrefois,
à mes yeux de mortel, bien que soumises aux changements, les
forces motrices des civilisations sont restées identiques. Douées
d’une aptitude naturelle à se répéter et à se reconfigurer, elles sont
toujours en mouvement sur des pans qui bougent et changent
de face, comme si les civilisations étaient aussi en rotation. Nous
voyons bien que ce sont toujours les mêmes mécanismes de
pouvoir et d’agents de croyances. Les mêmes tyrans sont à l’origine
de la destruction des archétypes tribaux qui sont unis soit de
trop à la coproduction conditionnelle soit ils sont fusionnels avec
la coproduction existentielle. Le manque d’équilibre marque de
toute façon la distorsion et l’inévitable conflit de race, de mœurs
et de culture.
108
Anecdote en mer descendante
L’histoire se reconfigure dans un fonctionnement imposé
par les lois de la fatalité et de la mémoire. Oui, par un manque
d’évolution, un reflet est toujours présent, j’en mets ma main au
feu de l’été. Tant que tous les palimpsestes du passé ne brûlent pas
pour laisser la place au palimpseste de l’instant, aucune nouvelle
civilisation ne verra une aube nouvelle. Et le premier palimpseste
est celui de notre biographie, l’histoire de notre identité.
En parenthèse à cela, nous pouvons constater combien
un certain espace de notre vie est dès lors conditionné, que le
cours du temps généré par le balancier de la pensée a favorisé le
culte du « moi », donc de la souffrance propre. Ce qui donne de la
force au reflet et à la préoccupation de maintenir ce reflet. Le seul
moyen de percevoir cet état de fait est de sortir de ce triptyque
psychique redoutable : pensée, temps de l’Inexisté, ego, et de
s’éveiller à la vie, le plus naturellement du monde.
Il n’existe pas d’autre tare que ce nous faisons de la vie et
ce déséquilibre dominant se manifeste dans nos comportements.
Observons. Tenons-nous en aux faits. Chercher ensemble et tenter
de donner un sens à ce déséquilibre et ensuite y remédier, sera le
défi noble de l’homme debout, cher Jehan. En acceptant ce défi
de fou, nous appelons le changement. Maintenant.
Voyons encore… ce que nous transmettons dans le temps,
nous le retrouvons inséparablement dans notre propre histoire,
par les expériences passées, les vérités du passés, nos rencontres,
ainsi que tous les reflets qui vont avec. Les évènements qui nous
arrivent ne sont pas anodins.
Ce qui est vécu en germe hors du temps, fréquentiellement
en intention pure, se libère comme un guide bienfaisant qui nous
conduit toujours, en avant dans le réseau de l’instant. Et ce guide
en mission d’essentiel est nous-mêmes. Dans ce sens, nous n’avons
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
pas à le devenir puisque nous le sommes. On peut comprendre
cela dès que nous commençons à nous désencombrer de tout ce
que nous portons d’inutile.
C’est aussi l’histoire de l’ici-bas que nous devons libérer.
Libérer le passé de son passé, n’est-ce pas, afin de ne plus être
victime des circonstances qui adorent les choses de la fatalité et
de la conquête. Ce bouleversement de posture intérieure donne
du sens et du lien à chacun de nous. Il éveille le meilleur en nous
et la réalisation de notre potentiel. A commencer pas savoir dire,
prononcer, habiter, un Bonjour noble à celui, celle, ceux que nous
rencontrons tous les jours de notre vie.
Ce que nous vivons totalement avec le présent n’est pas
manipulable, mesurable, comparable. Rien ne devient, tout est
là. L’union a en son cœur un noyau insécable. Seul le réseau de
l’instant offre l’existence d’un espace libre, nullement ce qui naît
de la pensée ou du « moi ». Ne consacrons-nous pas toute notre
vie, plus ou moins écartelés entre ces deux polarités. Toute la
différence des projets de vie vient de cette nuance fondamentale.
Ils nous viennent de la vie. Cette énergie qui nous enflamme, qui
nous passionne, ne provient pas de la coproduction conditionnelle.
Ils s’incarnent seulement dans cette coproduction conditionnelle
qui est le lieu d’accueil par excellence, de ce qui prend forme et
conscience. Etat de vie, de forme, et aussi de présence.
Il semble évident que si nous n’arrivons pas à reconnaître
une intelligence à la vie, il ne sera guère possible de sentir cette
couleur existentielle qui en nous se prolonge.
C’est certainement par une approche consciente sur l’amour de la
vie et comme par jeu d’équilibre énergétique, que nous trouverons
des solutions aux problèmes humains qui gagnent de toute part.
Et ne l’oublions pas, ce qui coproduit ces phénomènes souverains
est la part responsable de chaque individu. Il ne sert à rien de
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Anecdote en mer descendante
partir en guerre à la recherche d’une cause isolée du bon vieux
reste du monde.
Surgir à ce nouveau devoir devrait être une matière
principale dans toutes les écoles du monde. Une école où il n’y
aurait plus de notes, de chiffres, de punitions, de récompenses,
d’illusions commodes, mais un apprentissage de l’homme debout,
tout enfant de cultures différentes confondues. Cet enthousiasme
créerait quelque chose d’immortel. Les enfants arrêteraient d’avoir
des cartables chargés de connaissances grecques et romaines. Ils
cesseraient enfin d’apprendre à encoder la vie avant même de
l’avoir expérimentée.
Et dans ce sens, je crois que nous nous trouvons, une
fois de plus dans une disposition où nous pouvons montrer nos
facettes intimes, chacun à notre manière, chacun à son niveau,
essentiellement là où la vie nous a appelé à être. Oui, en effet, ce
n’est pas toujours là où on le croyait… C’est le moment de briller.
Profitons-en tant que nous sommes encore chair et os.
L’amour est une réalité d’action capable de toute mutation.
L’amour n’est pas qu’une métaphysique impalpable. La vie n’est
pas une idée pour les pensées des solitaires. Pratiquement tout le
monde peut en faire l’expérience.
Voilà, c’est avec le mot amour, notre cher liant invisible, que
je clôture cette lettre, ami de toujours. Un mot aux conséquences
naturelles qui fera encore la une des siècles.
Dans le même temps, je te confirme combien ce fut un régal que
de répondre à ta lettre, tout en me laissant librement aller à des
propos si chers à ce qui a su réunir nos cœurs au-delà de toutes
frontières. Une fois de plus, à tes côtés, je m’assois au silence.
Au carrefour de l’éternité et des alliances, je joins mes mains aux
tiennes. Leurs fonds sont si profonds, qu’aucune sciences, mêmes
la plus limpide ne saurait ni les remplir ni les trahir.
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
Cathédralement avec toi, très cher, Jehan…
Une étoile m’appelle, il me semble que c’est le moment de
briller…
: Planète Bleue: Livre de Bocampe considération sur le salut d’un
petit homme.
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Bocampe
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
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SOMMAIRE
Critique Une oeuvre - Bocampe: de l’intuition
de l’intime universel par Régis Nivelle ………………………… 19
Le 1er décembre 2010 à Yverdon-les-Bains …………………… 15
Les vitres usées ……………………………………………… 27
L’espace individuel …………………………………………… 55
Le 3 décembre et des poussières ……………………………… 83
Anecdote en mer descendante ………………………………… 95
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Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde
INFORMATION POUR LE LECTEUR
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sur cet ouvrage peuvent le faire librement à
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répondre, dans la mesure de ses possibilités.
Courrier des lecteurs
Les Editions de L’ESCARBOUCLE à Yverdon,
Case postale 894, 1401 Yverdon-les-Bains
SUISSE
www.escarboucle.ch
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