Trilogie celte 1 lettre à un homme comme tout le monde
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Trilogie celte 1 lettre à un homme comme tout le monde
Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Dépôt légal en Suisse Numéro ISBN: 978-2-9700614-7-2 Toute reproduction totale ou partielle d’un extrait quelconque de cet ouvrage par quelque procédé que ce soit, et notamment à des fins autres que l’usage personnel est totalement illicite. LES EDITIONS DE L’ESCARBOUCLE Case postale 894 1400 YVERDON-LES-BAINS — SUISSE — www.escarboucle.ch Trilogie celte I Lettre à un homme comme tout le monde Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde L’association littéraire de l’Arc jurassien présente : Du même auteur aux Editions de l’Escarboucle Caravane humaine, roman initiatique dans le Rouergue Quentin la Broussaille, Cévennes de mon cœur, roman Provençal, hommage à la pierre sèche Trait de plume, prose Un vent d’ailleurs, roman philosophique Lettre à un ami analphabète, étude, témoignage, recherche sur l’être adulte handicapé, l’éducateur, les classes dirigeantes : Prix regards 2007 Vadrouille, pensées et lendemains, discours littéraire L’alcool, entre illusion et réalité, étude, témoignage et recherche sur l’alcoolisme La Planète Bleue, considérations sur le salut d’un petit homme (balade littéraire) Des mots et des hommes, prose L’Odyssée Cosmique des Fous, essai Accroché aux ailes d’un ange, balade littéraire sur le Doubs Dis-moi mon P’pa, c’est quoi l’homme ? balade littéraire depuis une oliveraie en Provence Projets de vie, essai Le fils de l’aube, balade littéraire en Cornouailles La vie est un être, livre d’art, pensées et photos Il ne fait pas bon travailler quand les cigales chantent, balade littéraire sur un marché de Provence Ondes et reflets, confessions d’un auteur à ses lecteurs Le temps Vivaldi, ballade littéraire au pays des quatre saisons Travailleur social en manque, sciences humaines Sonate pour un rêve envolé, ballade littéraire entre la poésie et un autre monde Les enfants blessés, belles-lettres L’homme des routes, pensées de l’auteur et linogravures de Raphaël Arzan Du peuple mouton à l’homme debout, essai En chaque homme une révolution, essai Ces ouvrages sont présentés sur le site Internet www.escarboucle.ch Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Bocampe Trilogie celte I Lettre à un homme comme tout le monde L’Association Littéraire de l’Arc Jurassien Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Critique – Une œuvre – Bocampe : L’intuition de l’intime universel À l’endroit d’un commencement, il s’avère toujours un combat. Il s’agit d’un combat intérieur, primordial, aussi vieux et même davantage que celui dont nous parlent toutes les légendes du monde. Mais ce combat pacifique, qui n’en est pas moins âpre, concerne à la fois le début et la fin, la boucle des recommencements d’où il faudrait sortir l’être ; en dépasser l’oubli et ses psychés. C’est donc d’abord à travers l’art et la poésie, leurs tremblements médiumniques, que l’homme sera toujours poussé par une impérieuse et profonde nécessité de parler de cette toute intuitive détermination qui l’anime à vouloir regagner, depuis la connaissance, les multiples tracés d’un chemin qui dessine l’enfance d’un univers concevable. L’artiste, qu’on le veuille ou non, est une sorte de prophète mais qui n’annonce jamais le chaos, même si parfois, ne nous y trompons pas, il nous entretient du sien et de celui qui l’entoure ; Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde les ruines résultant de nos faiblesses. C’est sa propre dissémination -je nous en terre ou dans l’azur- qu’il nous propose, et c’est aussi là qu’il échoue provisoirement, parfois dans la grâce ou la disgrâce, rarement dans l’extase. Consentirions-nous, chantent les voleurs de feu, à évincer le seul pouvoir des mots d’ordre productivistes, à faire sauter le vernis narcissique que recouvrent les codes de nos fictions sociales, et la labiale oméga ne serait plus l’effet d’un songe. Or, sans que nous le voulions vraiment, de notre suffisance -ses logomachies-, d’écoulent encore trop d’inconséquences qui, partout ou presque, polluent ou dénigrent paradoxalement notre besoin vital d’harmonie, de partage, et qui de leurs hoquets monstrueux influent tant sur l’Histoire. Cela relève évidement de ce que nous aurons manqué de vaincre dans les combats précédents. À la lumière de cet effort de disparition auquel nous invite la poésie, on se doute pourquoi : Nous progressons. Si la perspective humaniste tracée par les écrits de Bocampe – puisque de mon point de vue, il est important de ne pas présenter une telle démarche émancipatrice comme s’il s’agissait d’un simple exutoire littéraire-, ne participe ni ne procède d’une réflexion purement philosophique ou anthropologique, elle s’inscrit néanmoins pleinement dans le champ de cette progression, puisqu’elle témoigne ardemment de cette volonté de dépassement des oppositions. En évitant (un peu) l’ornière de la question du but et donc des fins (précisément pour ce que ces dernières recèlent d’infinis antagonismes), d’une destinée humaine, l’œuvre de ce non-conformiste choisit délibérément de se camper dans la réalité 10 Préface immédiate de l’action et des comportements dans ce qu’ils sont étroitement liés à notre capacité de ressentir ou non, du mystère et du sensible, ce qui nous attache, tous autant que nous sommes, au sens universel. C’est donc bien vers l’ambitieux projet d’être, que tend l’irrépressible désir de Bocampe. Être de vie avec les autres. Dans les émanations, la réalisation de l’être. Chez Bocampe, tout passe en fait par l’intime universel. N’ergote, ni ne pinaille. Pas de pavane ni de fauxsemblants, il va du simple au simple, non de façon simpliste, mais en transposant le principe d’une complexité redoutable (la conscience), tant redouté par les promoteurs du «peut-être», à l’amour et à ses gestes ; dans le ressenti et la prodigalité de sa pratique. Qu’à l’enseignement de l’homme par le cosmos (la connaissance), ait pu succéder en retour le mépris des entreprises humaines visant à l’asservissement de l’espèce, jusqu’à même son avilissement (thèse alimentant l’idée d’un paradis perdu et la peur du progrès dont auront largement fait les choux gras des générations entières de prêtres et autres conservateurs dominants), est une assertion sans fondement qu’ironise à sa façon l’auteur de La Planète Bleue, quand ce n’est pas s’en dégageant dans un rire qui ne juge pas autant qu’il jure et ne laisse place à aucun malentendu : Pas de poétique ésotérique ou métaphysique à deux balles que sous-tendrait une économie de l’occulte et de l’inquiétude, mais le simple objet de la joie ; la prosodie du monde. 11 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Agir ici et maintenant, dans les inflorescences du cœur et de l’esprit. On a donc vite fait de comprendre que derrière la façade, certes, un peu moraliste de la fable et autres récits ou considérations, la nostalgie du passé, tout comme l’espoir benêt d’un avenir radieux n’y délimiteront pas trop le champ d’action de l’œuvre. À la lecture de Quentin la Broussaille, du Monologue d’un citoyen du XXIème siècle ou de L’Alcool, on voit bien, me semble-t-il, que les limites sont ailleurs. Elles voisinent avec les bords gazeux d’un cosmos de conscience où l’amour, c’est-à-dire la vie, s’applique à répandre sa puissance bienfaitrice, même si parfois, il est vrai, le poète s’y découvre un peu nostalgiquement pataud, évoquant «la conscience presque éteinte de homme moderne» ; maladresse(s) que sauve néanmoins toute la charge de sincérité bienveillante qui y est contenue et qu’un artisan éprouve pour sa matière première ; la tendresse. Tout ce qui nous incline à aimer Bocampe, est précisément là, cristallisé dans la spontanéité et la tendresse, dans cette part de douce folie qu’il ne renie pas et même en revendique les effets d’enthousiasme, tant dans l’énonciation que dans l’action. Bocampe est vrai. Même si pour certains cela peut paraître gênant. Il mène son combat d’homme parce qu’il a commencé ou recommencé subjectivement, mais non sans quelque autodérision, de parler de sa quête spirituelle qui fut indissociable de l’apprentissage puis de l’exercice du difficile « métier d’homme ». 12 Préface Désormais défait de l’influence de ses chimères casse-gueule, c’est d’une ressouvenance tellurique et cosmique qu’émane son chant de pierres et de fleurs. Tendue vers le tactile et l’émotion, la langue de Bocampe est vivante parce que nous l’entendons et la reconnaissons. C’est qu’elle fut aussi la nôtre ; ancrée à la terre. Je veux dire qu’elle est également celle que nous avons probablement abandonnée à la terre par oubli, non par négligence, mais par sottise. Et parce que tout y germe prodigieusement, c’est à la terre, au chant résurgent des pierres et de l’eau, qu’il nous faudra bien sûr revenir. Voilà le toupet de Bocampe, sa subversion : L’intention pratique de sa langue. Une langue d’instinct, pleine et solaire, mue sans concession par une âme de berger, de paysan conteur. Et l’audace de cette âme, c’est de montrer l’élan qu’elle sait impulser au corps qui l’accepte, pour que l’être soit comme le beau visage d’un mur en pierres sèches, en prise totale avec le sens qui l’entoure, couronné par le sens ; dans une solide et mutuelle compréhension. Régis Nivelle 13 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde 14 Le premier décembre 2010, à Yverdon-les-bains T rès cher, Jehan, ta lettre est un festin toujours poursuivi et quelle part fidèle de ton amitié que je considère aujourd’hui comme une construction au-dessus de nous. Comme tu le dis, vivre sur la boule bleue est un grand défi. Dans cette cour de l’homme debout, accompagné d’un bourdonnement à l’âme, je vois s’allumer l’alphabet sur un tas de pierre chaude. M’en voici l’âme tiédie. Tes pensées sur lesquelles tu assoies ta quête de l’âme humaine, me délassent et me régénèrent, alors que ton naturel marginal m’enthousiasme. Ardeur et bon sens d’un côté et amour et révolution de l’autre. Ah ! Je me souviens de ce temps où tu portais l’outre de peau de chèvre sur les hauts plateaux, où tu n’avais de cesse d’aspirer à une rencontre intime avec « l’Existé ». « Lâche tes résistances à la vie, que tu me rabâchais sans cesse, entre dolmen et menhir ». Il s’en est passé des choses. En effet, à tes premiers mots, je lis qu’il n’y a de chemin que celui de l’instant où toutes nos intentions se lancent en avant 15 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde pareilles à des vagues qui roulent dans l’océan. Devant cette porte, dans ce qui me reste encore à vivre ici-bas, très cher ami du genre humain, je ne peux qu’entrer sans frapper dès les premiers jeux de l’aube. Ton message me nourrit l’esprit et de certains morceaux choisis, t’y répond, inlassablement dans cette perspective qui nous est familière et contemplative : témoins de la vie et de sa face cachée, nous savons peu de l’intelligence de la vie. Or, en ce lieu indomptable de l’ « Existé » qui ne se laisse pas facilement décrire, il est vrai que nous savons si peu. Toutefois, la vie nous connaît si profondément. Il semble que nous sommes dotés d’une mémoire quasi squelettique qui se fait langage dans notre corps d’os. Rappelons-nous à propos que la Terre est bien là, sous nos fondements, et même si nous ne la sentons guère adhérer à notre chair, elle nous transporte en danse et en ronde d’infinitude en infinitude. Cela ressemble à une seule et même route diversifiée par un éternel exercice d’équilibre toujours rassemblé en une attraction d’interdépendance. En quelque sorte, nous sommes dépendants du réseau de l’instant pour être libre et heureux. Et dire que le genre humain est invité d’honneur à cet immense jeu de cache cache cosmique. Où est l’homme ? Où est l’amour ? Par ici, et encore par là ! Et Ciel encore, ce que qu’il fait bon vivre, lorsque content de se retrouver, poésie et cœur d’homme s’unissent à nouveau. Assurément, Jehan, lorsque les idéologies du « moi » flambent dès les premiers feux du jour, l’ADN vibre alentour. Le temps s’arrête. Exister en partenariat avec cette énergie toujours en mouvement, prend alors une toute autre signification. On s’expose à des choses inédites. A chacun de nos pas, nous pouvons nous émerveiller de vivre en compagnie de la semence de l’instant. En ce lieu de la 16 Le premier décembre 2010, à Yverdon-les-bains poussière au pied, parmi des sens qui ne sont plus messagers d’interprétation du grand voyage à entreprendre. Ce voyage est l’expression complète de « ce qui est ». N’est-ce pas la vocation de l’esprit que d’être en relation et en communion vivante avec ce réseau de l’instant ? D’une grâce radieuse, passionnés d’évidence, comme l’un pour l’autre, l’homme pour l’instant, l’homme pour l’étoile, la béance pour la vie, la vie pour la béance. Ceci étant, malgré cette difficulté majeure que nous avons d’exister ici-bas avec nos semblables, en réponse à tes pensées, je te partagerai à chaque fois qu’il me sera possible que nos changements d’états de conscience sont aussi l’équilibre même de notre condition humaine où se joue l’extension de la vie dans le système de la coproduction conditionnelle.1 Dans ce cas, de cette continuité, nous sommes tous coresponsables du sens de la vie qui nous définit infinis. Entre étoile et homme, cet équilibre de joie pure que l’intellect terni sans relâche entre autre par le calcul, la comparaison et le culte du « moi »2, se situe au-delà du continuum espacetemps. Comme tu le sais, la vie ne donne pas une sensation de sécurité à ses enfants. Nul doute, nous trouverons-là, en ce grand saut, pour avancer, chaussures à nos pieds, ainsi que les intentions appropriées à l’ensemble de la Terre habitée. Tout de même, quel beau métier à tisser ! Apprendre à Exister aux fugues de l’impermanence, sans se cantonner dans l’enceinte d’airain d’une caste inventée par la pensée. Une pensée qui se voyant naître dans un vide près de tout et de rien ne peut rien donner d’autre que son écho, que son reflet. 17 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Vie ! Les ans ne vaincront jamais le peuple de l’instant. Le « respir de l’instant », toujours le même, nous apparaîtra toujours nouveau, car notre constant échange et interéchange avec le réseau de l’instant est tout simplement en exercice d’équilibre avec l’axe de « ce qui est. » Et seul, nous devons découvrir par nous-mêmes ce que veut dire « ce qui est ». Dès lors, en nous, le silence aux yeux de lumière recevra la vie sans en prendre autre chose que l’amour. *** Simultanément, à notre siècle d’attachement et de dualisme, l’ère du pétrole et de l’autovénération du « Je », à demi paralysé face à la vie, touche à son seuil. Le temps de la sourde oreille est ébranlé. Quant à l’édifice économique qui dépend de la croissance énergétique, lui aussi, il va rencontrer ses limites. Les solutions nouvelles ne viendront pas du marché luimême mais de l’homme sociable, abasourdi par la joie de vivre. De cette mutation enracinée jaillira l’homme debout d’où s’élancera son envol. N’est-ce point là, tout le mérite de notre époque que de nous aider à en prendre conscience, tout en étant à la fois, le compositeur et l’auditoire d’un nouvel état de présence. Rien de plus grand, positivement parlant, que de changer par des actes libres, par une innocence du cœur et des intentions nobles. Je reconnais au passage, que le monde change, Jehan, gaz, pétrole, charbon, nucléaire. Par la force des choses et par nature des yeux dessillés, il sera bien différent ces prochaines décennies. Je ne t’apprends rien à ce sujet, trop de changements déclenchent une perte d’équilibre. La nouvelle résonnance vient nous cueillir 18 Le premier décembre 2010, à Yverdon-les-bains au fond du rêve matérialiste. La somme des images et des concepts que nous nommons réalité ne sera plus. Il nous faudra trouver de nouvelles coproductions conditionnelles, de nouvelles formes sociales, de nouvelles stabilités. En fait, nous ne pourrons plus rester indolents et rétifs à notre changement et à l’indispensable coalition des différents peuples. Pour ce faire, nous disposerons d’un tout autre genre d’énergie que procurent le culte et la garde du « moi ». Et comme certitude : l’homme ne pourra plus se refuser à la vie, à l’hiver et à l’amour. Pour peu qu’on lui donne du sens et de la création, le Renouveau Social se fera dans la coexistence et le partenariat des cultures où chaque culture préservera son identité, offrant ainsi à l’humanité le don de ses différences. De ce fait, de multiples aspects sont encore à découvrir à propos de l’intelligence de la vie. Ce n’est qu’ainsi que l’homme vivra au repos de luimême, par une participation consciente à une évolution autre que celle d’un « petit je » qui n’a de cesse de chercher des stimuli à tout bout de pensées pour nourrir une coproduction conditionnelle affamée de « moi ». Il va de soi que pour le moment, les forces qui coproduisent nos conditions humaines ne cohabitent plus avec l’impulsion créatrice de la vie et cela creuse un fossé qui nous projette dans une fragmentation active dans les complexes aspects de la vie quotidienne que nous avons créés et dont nous tirons tous nos malheurs. Voilà, aveugles ici et sourds à l’autre bout du monde, où tout est gêne, aussi intellectuels et ignorants que la masse de nos savoirs aigres, nos aptitudes au changement ne se réaliseront ni par la pensée ni par un quelconque miroitement d’une vérité du passé dont le moi s’enjouerait sans égal. Dans une telle optique que celle des années à venir, seule une relation consciente avec les forces 19 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde de vie nous accomplira d’actes de vie avec notre milieu naturel. Et cette présence sacrée à la vie ne sera en rien une expérience mystique où une quête du savoir reposant sur de blanches épaules du passé. Ce qui transforme l’existence, c’est notre présence au souffle de « ce qui est » d’où vient le rêve de vie. De toutes parts, réalisons nos rêves, Jehan. Dès maintenant. Sommes-nous assez fous pour cela ? Oui, il semble bien que oui. Par ailleurs, dans le domaine de la compréhension et du sens de la vie, il n’y a qu’un axe actif du monde. C’est un monde à redécouvrir à l’intérieur de notre vie intérieure. Un monde aux mains ouvertes, sans explications, dont les rides racontent une histoire d’amour. Cette part de découverte, cette qualité de présence, n’est pas une propriété de la pensée, de chiffres, de carrière, d’indéboulonnables probabilités ou de croyances en des Dieux qui renvoient jusqu’à l’extrême clôture mentale ouverte à tous les vents. Prenons avec soin de la distance, Jehan, je te prie. Brûlons tous nos diplômes amassés durant notre pèlerinage. Voici du feu… Redevenons consciemment des poètes hors-la-loi. Réintégrons de ce fait, le mouvement de notre esprit. Que de fois, ce feu a su nous ramener à « ce qui est », nous rappelant ainsi immédiatement à nos intentions pures. Désobéir est nécessaire à l’évolution. Retirons ensemble les épines cachées qui rendent si difficiles la condition humaine. Serait-ce vraiment quand Terre et Ciel en nos profondeurs se rencontrent que nous existons vraiment, le plus simplement du monde, le plus naturellement de la vie ? Chaque siècle, chaque civilisation, chaque génération, c’est à chaque fois un apprentissage, une poésie, un élixir, une grandeur, des guerres, des cultures et des races, un témoignage, une rupture, 20 Le premier décembre 2010, à Yverdon-les-bains une ingérence, une rencontre, un passé, une continuité, un défi, des liens de sang, de l’effroi, une séparation, de la tendresse, une mort abritée de silence. En attendant, l’histoire de l’homme semble se faire en se défaisant. Etrange fragment sous nos pieds ! Cela discerné, le conflit de vivre déposé, on retrouve constamment ces thèmes existentiels au fond de nos vies : vie amoureuse, solitude, plaisir sexuel, reconnaissance de « p’tit je », prestige dans le contexte social, insécurité, maladie, etc. Il va sans dire qu’à mesure que nous nous désempêtrons des filets du « moi », nous sommes poussés de l’avant au cosmos. Le voici, il est là. Sentons-le vivre dans nos cœurs. Il cultive ses étoiles et se souvient de chacun de nous. Au-dessus de nos têtes, vu d’en haut, cela ressemble à une histoire d’amour. Vu d’en bas, depuis l’histoire de tous les jours, on peut y entendre le choc alternatif et sans fin de l’évolution qui rythme les naissances et les morts dans leurs fondations. C’est une intelligence avec qui, chacun doit s’expliquer par degrés, dans ce flux cosmique. Toute désillusion nous suffise amplement pour évoluer vers la dimension éveillée de notre présence au réseau de l’instant. Sur ce thème unique du genre humain, à ces valeurs en perpétuels mouvements et aléatoires, on retrouve les tours de force des transitions parentales, de même que le relais des paradigmes qui selon des niveaux différents repoussent toujours les limites de la pensée. J’envisage que ces limites se morfondent dans notre société d’aujourd’hui, sans qu’elles puissent rien changer en profondeur. Bien entendu, toutes ces valeurs humaines concoctées par le conditionnement se modifient, accrochées à des normes filtrées par l’histoire commune des âges individuels de la vie, comme un essai d’affinement d’exister. On doit bien faire avec si nous 21 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde voulons construire un nouveau monde. Comprendre cela, c’est comprendre notre changement, l’accueillir et l’accepter, depuis notre premier cri jusqu’à la mise au tombeau. C’est l’exploit de notre vie en quelque sorte. Je veux dire que, compter dans ses nombres, pour trouver de nouvelles impulsions sociales colorées d’une intelligente mise en scène, nous devons simultanément faire l’apprentissage de l’unification et de la diversification. Nous ne devons donc plus subir un passé qui nous perd dans l’immensité d’un système à vivre mécanique et attendu. Un nouveau levain doit prendre dans nos cœurs pour retrouver la destinée du sens. Nos regards aux étoiles, menons du sens sans cesse à nos tables et invitons des hôtes à l’intérieur de notre nef. Après tout, rien de plus merveilleux sur Terre que de partager un simple instant éternel avec l’un de nos semblables. Le reste peut attendre, n’est-ce pas ! D’ailleurs, c’est quoi le reste, gagner de l’argent, le dépenser avec sa femme et devenir un reconnu ! Flûte encore Jehan ! Comprenons que moitié ici, moitié là, l’ego, briseur de l’instant, a fait son Temps. Il a assez souillé le calice fleuri de la Terre et du Ciel. La poésie du Grand Monde nous appelle à reprendre notre lecture solitaire, dans un fracas d’étoiles. L’entends-tu comme à l’ouverture d’aurorale tel un « Fils de l’Aube » en Terre Cornouaille. (Récit paru aux Editions de l’Escarboucle). Allons chercher la vie là où elle est, tout de suite, sans séparation entre soi et elle. Allons la chercher avec un engouement qui tient de la création et de la relation avec chacun des règnes du vivant. Partageons avec elle notre poésie tridimensionnelle qui se joue de la mort comme du vent. Vraiment, le silence, représente une connexion des plus intenses du vivant, où nous pouvons maintenir « ce que l’on est » 22 Le premier décembre 2010, à Yverdon-les-bains dans « ce qui est. » Même si on fait du mieux de notre mieux pour percer son mystère, c’est lui qui stimule notre souffle. Sur les bases d’une entente, j’ai l’impression que le silence prend toute notre présence, dans une disposition d’esprit, dans un état de présence, que nul mot ne peut rendre à « ce qui est ». A l’instant même où je te l’écris… mon âme bourdonne, mon esprit butine, la vie s’offre de son théâtre des origines, sans raisons, sans méthodes. Curieusement, on remarque un rapport immédiat de notre acte lucide de vie en parallèle avec ce fameux exercice d’équilibre dont je t’ai parlé et dont la qualité de présence d’esprit pourrait être définie comme axe du monde. En fait de complexité, sur cet axe de la relation, tout ce que l’on tient pour vrai nous fait plus défaut qu’autre chose. De la sorte que, tout ce qui est vrai ici ne l’est pas forcément ailleurs et vice-versa. N’est-il pas d’un Dieu de ne jamais inventer « ce qui n’est pas » ! C’est sûrement pour cela que l’homme l’a comme un feu ardent à ses trousses tout au long de son périple humain. Tout cela ne vise pas à établir un conflit entre un bien et un mal, une vérité innée ou un indésirable mensonge, entre le rôle d’un mot et la position du verbe, puisqu’il s’agit de l’intégration de l’homme dans son contexte, de l’intégration du genre humain dans une Odyssée. Rien ne tient en place malgré une stabilité permanente. N’est-ce point dans cette instabilité en mouvement que nous sommes attendus tels des funambules énergétiques ? La plupart de nos malheurs naissent de ce que nous tenons pour vrai à grands cris, et ce avec quoi nous nous arrogeons ensuite des droits du réel avec lesquels les misérables « moi » lamentateurs ne peuvent plus démordre. En fait, apprendre, c’est redécouvrir ce que l’on avait oublié en s’actualisant instantanément au réseau de l’instant. On ne sait en fait jamais rien de la vie, ceci est un grand savoir, Jehan. 23 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Alors qu’en accumulant du savoir irréprochable par la pensée, par nos expériences, nous remplissons un grenier d’ignorance dans une existence qui nous délie de l’intelligence de la vie. En tout point, sous nos toits cérébraux et élus, nous ne nous pouvons plus accueillir l’indéterminisme du vivant. Le « moi » est un reflet, l’interprétation qu’il présume des faits est aussi un reflet. La réalité qu’il invente pour se sécuriser ne se laboure ni ne se sème. Demandons-nous sincèrement si vraiment nous pouvons accueillir l’intelligence de la vie à ce niveau des reflets ? Cela nous laisse imaginer par exemple, le chemin que doit faire un occidental lorsqu’il rencontre une culture qui n’a pas eu besoin de l’écrit ni des concepts de l’intellect pour vivre avec son milieu naturel. C’est à croire que pour apprécier, comprendre et aimer l’œuvre de la création, nous devons examiner en premier lieu notre propre réalité et d’autant plus lorsque celle-ci est cause de notre mal être. A cette occasion, on pourra alors se poser la question : quelles sont les conséquences de mes actions sur les autres hommes qui me sont proches ? Et sans nous affecter de la façon dont ils nous regardent, trouver les moyens bienveillants pour y répondre. Je reprends intimement tes phrases au contenu longtemps abandonné : « Qui veut se connaître doit comprendre ce qui coproduit les actions du moi avec lequel on bavarde et celles de l’être avec qui l’on apprend à écouter ». L’écoute facilite tant notre cheminement. Toutes sortes de projets peuvent surgir d’une écoute attentive. Oui, et je rajouterai que vit un miracle de résonnance auprès de l’homme. Un phénomène sans attachement nous témoigne un autre prodige d’accroissement : être témoin de notre présence à la vie. A se demander pourquoi nous n’arrivons guère à actualiser 24 Le premier décembre 2010, à Yverdon-les-bains notre être à la nature ultime des choses. Qu’est-ce qui préoccupe nos esprits et gonfle tant nos poitrines ? Notre coprésence à l’instant ne passe pas par une analyse, mais bel et bien par un acte de vie qui ne garde pas une image de lui-même dans le temps. Là est tout le secret de l’acte libre. Secret avant tout intérieur. Un secret qui allège n’importe quel fardeau. Ah oui, très cher, il approche ce temps où tout homme mortel ne pourra plus se suffire à lui-même comme une pépite d’or qui s’aime. L’homme a poussé si loin l’individualisme, que déjà, il a amorcé dans sa clôture mentale les processus de la supernova. Un suicide cellulaire en quelque sorte. Mais quel apprentissage va-t-il tirer de tous ses agissements ? Peut-être doit-il réapprendre à jeter les osselets ? Tu te souviens, de ces osselets qui roulaient dans la cour d’école. Quel miracle de l’Existé qui nous cueille du fond de l’instant, dans le plus total de notre potentiel. Ah ! Les vérités de la cour d’école n’ont pas de pensées ni de lendemains. En ce qui concerne les différentes cultures et les races humaines, elles portent usuellement une tendance naturelle à se tourner vers l’une ou l’autre des coproductions (conditionnelle ou existentielle) nécessaire à l’équilibre de l’évolution de l’humanité. Il ne s’agit pas de juger ces tendances, mais de commencer par comprendre leur raison d’être dans l’histoire des hommes. Il semble que les vérités du passé doivent être dépassées, surmontées, transcendées à nouveau, afin que les peuples retrouvent un nouveau principe vital d’où découle l’intelligence de la vie. Bien que difficile à déchiffrer l’évolution du genre humain, la vie ne nous permet pas de rester accordés sur des acquis et en suspens. Peut-être aussi que le pacte des ancêtres doit être rompu et l’héritage enterré afin de ne plus vivre avec des parentés ancestrales. 25 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde S’agirait-il d’un tournant qui répond à une loi cosmique ? Nous le comprendrons sûrement un jour, Jehan. Coproduction conditionnelle : forces qui façonnent, conditionnent et déterminent notre situation humaine et notre comportement dans le système. Coproduction existentielle : Tout ce qui est doué de vie, qui n’a pas d’entité propre ou autonome mais qui existe parce qu’il y a relation avec la vie. Forces qui nous tissent dans la trame de l’Existé. 2 : Moi, « p’tit je », je, « moi enflé », pensée morte, sont des synonymes. Ils expriment une impression d’exister à partir d’un centre qui enferme celui qui devient propriétaire de cette impression dans une clôture mentale. 1 26 Les vitres usées J ehan, demandons-nous ce que nous avons gagné et ce que nous avons perdu en nous individualisant de la sorte à cet humain voyage. Parfois, j’ai l’impression que tout pourrait être raconté en un instant. Eh ! Sur la plupart des tombes, il n’y a plus de noms. A le sentir ainsi, pareil à des bronzes fait de gloire éphémère, il ne nous reste plus qu’à recourir à la vie pour trouver la vie. Allons ! Allons ! bien qu’il y ait de quoi se dire que nous n’avons rien compris à l’amour, prenons-nous la main… le cœur attentif et noble. Appréhendons notre invention du réel, c’est le sort des poètes, l’intelligence du cœur, le parfum même de la vie dotée de sa continuité. C’est une évidence qui s’impose à travers les siècles comme un grand évènement : le potentiel de notre remise en question, voir notre désordre avec humour, tout en bouleversant nos énergies de la Terre et du Ciel. En quelque sorte, nous sommes enchainés à l’histoire du monde, sauf qu’aujourd’hui, l’intelligence de la vie incite le « moi » de cesser sa posture 27 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde égomaniaque afin qu’un nouvel état de conscience, de forme et de présence, germe dans le genre humain. Dans un certain sens, dupé par une sensation d’exister, l’enfant devient toujours plus adulte et l’adulte toujours en route vers l’homme debout. Quelle tension ! Comme s’il n’y avait qu’un seul parti à prendre pour remplir notre partenariat avec l ’ « Existé » : évoluer à l’à-propos d’un nouvel état de présence d’esprit dont la dynamique serait de voir naître une nouvelle civilisation, responsable et partenaire de l’ensemble de la création. Oui, mettons-nous au diapason d’une révolution intérieure. Aux armes de la conscience, citoyens, citoyennes, fous et folles de ce Monde à partager. Le temps est venu de danser le monde au lieu de le penser, de le mesurer, de le tuer, d’un seul coup de tête à tous les niveaux de notre vie quotidienne. Le reste peut attendre, non ! Ciel encore, Jehan ! A quoi bon de grâce jouter avec le passé de la vérité et s’attacher à une impression psychologique de vivre. Quel soulagement pour les arbres et quel éclairage de vie pour l’homme que de muter vers cette lumière qui est en nous. Par bon sens de la vie, on en arriverait à une civilisation qui aurait enfin compris combien la politique, l’économie, les arts, les sciences, la philosophie et les différences de culture et de race doivent se rejoindre à plus d’un titre, pour traiter la condition humaine. Tous ces éléments ne coexistent-ils pas dans la nature de l’homme comme des intentions qui ont pris vie ? Et ces intentions ne tirent pas leur origine de la coproduction conditionnelle, mais d’un point d’équilibre, d’une rencontre fertile entre la coproduction conditionnelle et existentielle. C’est bien ce qui nous permet de vivre librement, ce total engagement dans la coconstruction de cet équilibre. 28 Les vitres usées Une vie nouvelle débuterait avec des projets, dès lors que les races et les cultures interagiraient respectueusement les unes sur les autres. En tout état de cause, telle serait une science de l’esprit, pénétrer une réalité qui n’existe que parce qu’il y a d’autres réalités qui la rendent réelle. Une telle interaction entre ces domaines de la vie, issus de différents points de vue constituerait un nouveau modèle pour le futur. De la grande coproduction au plan existentiel, Jehan. Les représentants des nations ne pourraient plus être élus impunément pour le potentiel d’un show politique comme c’est souvent le cas, mais pour leurs compétences à suivre un processus sur les réalités humaines et sur ce qui coproduit ces réalités. Déjà, pour sûr, aux prochaines élections, des têtes de ligne où existe l’essai de démocratie coloré de tribalisme politique, soyons certains que le monde entier aurait instantanément retrouvé une santé mentale. L’homme a besoin de retrouver ses racines, c’est son besoin d’identité qui est en jeu. N’est-ce pas du fond du ciel que nous vient l’esprit du genre humain ? N’y a-t-il pas mille manières de s’entretenir avec le Ciel et qui compte parmi les plus fascinantes des façons ? L’égoïsme national, mondial, ne répond pas à la question d’existence, et bien que notre époque est peu encline à porter un intérêt à l’intelligence de la vie, toute la question est de comprendre ce besoin et de se redemander où sont les racines du genre humain. Les hypothèses qui ont émis que le genre humain est l’aboutissement du règne animal ont été une véritable catastrophe qui regorge de tares intellectuelles et de souffrances contenues dans l’inconscient. Cela détruit le potentiel de l’enfant. Cela a mené l’humanité à une torpeur de l’esprit sans précédent. Ainsi, l’inexorable histoire de l’humanité n’arrive plus à s’oublier, d’un souvenir à la limite des terres et des eaux… à l’écoute angoissée 29 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde de ne plus conquérir le Ciel. Pauvre règne animal à qui l’on fait porter une dimension qui ne lui appartient pas. Parvenus à un virage relevé de notre évolution, nous pouvons comprendre cela dans plusieurs sens, Jehan. Et c’est sans perdre de vue la première essence d’une crise, la métamorphose. En attendant d’en partager avec toi quelques aspects dans cette lettre et pour revenir à notre siècle, je te dirai, très cher, que je reste convaincu que les recherches numériques, économiques, biogénétiques, informatiques, robotiques, ainsi que celles à venir ne génèrent en fait que du passé de l’humanité. Un passé sans lequel l’homme d’aujourd’hui ne peut plus se défaire pour se sentir exister. Un passé devenu indispensable à son équilibre actuel. Un passé sans souffle. Un passé qui ramènera le passé dans son passé. Tourments. Perpétuellement, à partir d’un centre, il veut obstinément contrôler et conceptualiser ses interprétations au fracas de la pensée morte. Ce qui crée un conflit avec le réseau de l’instant, un frisson cellulaire sous la voûte crânienne. Ainsi, il est ramené une fois de plus à son impression d’exister et aux élucubrations de son mal être parmi les plus beaux tourments du genre humain. Nous devons donner du sens à tout cela malgré la nuit des tombeaux et en dépit de tous les évènements incroyablement douloureux que l’homme a pu commettre sur terre. Bien entendu, malgré son déni coriace, le processus du « je », ne plaide pas en sa faveur. Au cœur d’un monde matériel, le postulat de l’individualisation poussive a totalement oublié la création de la vie sociale ainsi que le langage de la joie et du partage. Or, cette tâche de citoyenneté responsable n’est pas seule du ressort des politiciens, d’économistes ou de quelconques 30 Les vitres usées gourous des chiffres. En fait de paradoxe planétaire, je crois même, vois-tu, que l’histoire de la vie ici-bas sans le genre humain s’ennuierait à mourir. Cela dit, l’homme ne fut-il point absent de la Terre pendant trois milliards et demi d’années ? Et pourtant, le monde ne s’est jamais retiré de nous. A cette infinitude, la vie est un risque, notamment en raison qu’Inconnu et Impermanence frappent à notre porte à chaque instant. Peu acceptable pour l’ego et son public insensé comme toc, toc toc ! Entrez, don de vie, je vous prie. Ô surprise, il n’y a plus de contrôle. Dans cette mesure, je ne pense pas que l’on puisse privatiser à long terme un risque, l’assurer, le vendre et en faire férocement des bénéfices et un monopole sur la peur humaine. De toute façon, au-delà de la morale des siècles à venir et celle du passé de la vérité, si la frontière de l’axe de vie est violée, l’axe de la terre bougera. Le genre humain sera encore remis au changement, coûte que coûte, avec comme objectif : retisser un lien avec la semence première. Geste auguste de l’esprit tant oublié : celui d’aimer la vie et de coconstruire avec. De tous ces faits, la coprésence de la coproduction conditionnelle et existentielle reste complètement liée. Ce type de distinction est fondamental car il révèle du sens à l’ensemble et nous replace dans nos responsabilités. Cela peut nous permettre de comprendre ce qui pousse des peuples, experts en communication paradoxale à en exterminer d’autres pour ensuite chercher des remèdes à ces mécanismes de destruction récurrents. Alors que les problèmes à résoudre s’accroissent, que la matérialisation du vivant engendré par les sciences du « moi » s’étendent dans la sphère sociale ; il est regrettable de constater que les représentants des grandes nations dans l’ombre des manitous de la privatisation ne veulent pas d’un partenariat 31 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde avec l’intelligence de la vie. En témoigne encore le sommet de Copenhague en 2009. Et le protocole de Kyoto ? Les pays pollueurs n’ont pas voulu signer. Va savoir pourquoi ? La question se pose avec grande acuité. Le mensonge est quelque chose d’immense. Il tient suspendu sous des feuilles qui cachent l’arbre qui les porte tout en faisant croire à un vent léger sous les branches. *** Vois-tu, cher ami, une fois, visitant l’abbaye du Thoronet dans le Sud de la France, une guide s’est posée avec son groupe à la croisée des transepts. Ensuite, toute en grâce, elle a murmuré avec amour des sons qui envahissaient tout le vaisseau de pierre dans le but de nous faire partager les capacités de l’art roman. Ainsi, elle marchait à pas de moine dans la croisée, la louange dans le cœur, et émettait dans l’espace des sons cristallins, ce qui donnait de l’altesse à chaque membre du groupe qui écoutait avec l’émotion des apprentis. Soudain, les sons musicaux venaient de partout comme s’ils venaient d’un centre d’énergie dépourvu de centre, mais que d’acumen. Tout cela t’aurait enchanté mon ami. Et voilà, impossible de déceler une source quelconque, le bon sens de la vie m’indiqua de partir à la découverte de processus par l’intermédiaire d’où la vie émerge. Tous mes sens étaient en activité et rassemblés. Mon être résonnait comme un essaim d’abeilles. Tout au fond de mon esprit, pris dans cette chose de vie, j’avais l’impression d’assister à la naissance du maintenant et de m’éveiller à la nature ultime du néant. Qui plus est, en sortant de l’abbaye, j’ai conservé en écho dans mon cœur, l’admirable voix de cette guide, la clairvoyance des pierres, des sons et des proportions qui avaient activé dans ma vie intérieure une nouvelle perception. 32 Les vitres usées Telle construction permis cette incroyable diffusion sonore qui relevait selon mon action, d’un sens et d’un lien commun fondamental. L’intention humaine du guide et l’harmonie de l’édifice créèrent une action d’être qui m’avait propulsé dans un néant. Le rien prenait vie et mon espace individuel avec. L’intentionnalité était vie. Le seul prétexte était la vie, sans se faire « moi », intellect, pensée, ou centre de savoir. En fait, l’harmonie avait coopéré. La guide nous a fait faire l’expérience de la cohabitation de l’homme avec un partage et un ordre naturel. Je veux dire par là que, et l’écho et la concordance sont altièrement présent partout, à chaque instant. La coproduction existentielle, c’est-à-dire l’interdépendance de la vie est pure harmonie, dynamisme, partage, partenariat, cohabitation, énergie, axe du monde. Suite à cette intensité de vie, je me suis aussitôt dit intérieurement tout en vagabondant dans les garrigues, que dans notre société qui n’est en fait que l’authentique reflet de ce que nous sommes, si nous pouvions, chacun à notre manière avoir une qualité d’intention en relation avec l’harmonie, alors des forces d’amour agiraient dans tous les sens, tout comme l’avaient fait les sons sur l’auditoire. Tout se trouve encore et encore dans ce quotidien, notre grand compagnon de route, qui dissimule une réalité plus profonde que le simple nous-mêmes. Et ces forces ne seraient pas le fruit de normes raides, de lois ou de quelconques productions intellectuelles du dernier secours, qui ont réponse à tout et qui ne résolvent rien, mais simplement d’intentions vivantes. Des intentions à la capacité de résonnance, de simplicité et d’expression de « ce qui est ». 33 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Mais voilà, narcotisé d’intellect à souhait, il nous faut balourdement devenir dans le système, comme être apte, battre, combattre, comme être complice d’un processus d’individualisation où l’homme préfère renforcer son « moi » plutôt que d’ouvrir son espace individuel en vue de parvenir à un nouvel état de conscience de son contexte de vie. Puis après avoir fait retentir l’airain de la comparaison, gardiens de nous-mêmes, il nous faut répondre au pourquoi nous sommes là, par une analyse qui décortique, sans même s’arrêter sur le sens relationnel du « moi » avec le monde. Allons, cette démarche nous relie à un exil cervelesque dans un marais immonde de la pensée qu’un long deuil admire. Le plus difficile, pour nous, les biens portants de l’Occident, c’est de rendre conscient le conflit entre la coproduction conditionnelle et la coproduction existentielle jusque dans ses racines et d’y répondre par un acte de présence. Ceci pris en compte, le manque d’argent dans nos poches ne produirait plus autant de peurs, de territoires à jalouser et à envier. A partir d’un travail d’investigation et d’une présence d’esprit, libéré de ce conflit du « devenir et de l’espérer », l’homme n’aurait plus besoin de piller ce qu’il voit, soit par ses paroles, par ses pensées ou par ses actes. Bien sûr, me diras-tu, tout cela dépend de l’individu et de la complexité de son évolution, pas d’un contexte de vie artificiel, et encore moins du temps qui passe après avoir dansé avec le passé. Je suis bien aise de dire que le « je », rusé, enflé, élevé en « fût du peut- être », n’aurait plus à attendre la fin de journée de son travail ou la fin de la semaine pour se sentir lier avec la paix de la nature ou à rechercher d’autres états de ce genre par des activités qui se chamaillent avec la chimie de son cerveau. Doit-on rêver sa vie en fin de semaine ou pendant les vacances 34 Les vitres usées et projeter sans cesse une impression d’exister, dans une vie qui n’existe pas ? Chacun a son histoire, le monde d’aujourd’hui a aussi un très long passé qui s’étire jusque dans la nuit des temps, sans quoi, la partition ne pourrait continuer de s’écrire jusqu’à l’infini des mondes, et j’aime répéter qu’un principe d’évolution commence par rejoindre la réalité identitaire de l’autre, si misérable peut-elle être, parfois dans nos dures conditions de vie ici-bas. Un homme rejoint dans sa réalité, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, change, car une étincelle est survenue à l’intérieur de lui, et de ce fait, d’autres étincelles viendront à son cœur par surcroît. Le principe d’humanité est un principe divin. La coïncidence est si parfaite que nous ne ressentons guère cet immense amour qui nous relie des fins fonds des calices de la Terre et du Ciel. Il est donc folie de craindre le feu de vie, l’inconnu et l’impermanence. A ce sujet, dans ma lettre, je parle parfois de pensées mortes ou de sciences mortes. Je veux parler en fait de sciences qui pensent que la vie est dénuée d’intentions, de ces sciences qui séparent des aspects de la réalité de la vie pour l’enrouler dans les allées et venues de la pensée. Etrange, Jehan, que de vouloir séparer deux frères jumeaux que sont la vie et la mort. Les sciences tirent des fils, certes, mais à l’autre bout ne se trouve pas la vie. Il n’y a ni entrée ni rencontre ni relation avec l’humanité. Comment continuer de vivre sans se dire en fin de journée que nous n’avons pas pu rejoindre la réalité d’un de nos collègues de travail, d’un voisin, d’un inconnu ou celle d’un membre de notre famille en y insufflant une semence de tendresse. En réalité, notre bonheur dépend d’une seule chose, le bonheur des autres. C’est évident. C’est ainsi que nous pouvons retrouver un ensemble à construire et à découvrir. En attendant, il nous faut extraire ce 35 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde venin de la fragmentation en nous et le seul remède est la relation, notre présence. On pourrait dire que c’est la part fidèle de la vie quand de son cri muet, elle reprend ses droits, de nuit comme de jour, délivrée de toute possession humaine. La question qui se pose est de savoir pourquoi l’homme est en conflit avec sa condition humaine, en rupture avec une harmonie qu’il ne peut ou ne veut pas pénétrer ? Pourquoi sépare-t-il la perception de ce que qu’il prétend être la réalité ? Et comme tu le signales si justement dans ta lettre, il est essentiel d’appréhender la profondeur de cette question sur autant de plans qu’il nous sera donné d’investiguer avec objectif de surmonter la fragmentation que provoque le « moi » et la pensée qui semble être une seule et même chose, un seul et même mouvement. Et ce chemin ne passe ni par la pensée ni par le « je ». L’appel de la vie nous aurait-il échappé ? Est-ce que l’homme, par une terrible ignorance, de manière générale, n’arrive plus à entrer en relation avec la vie autrement que d’une manière intellectuelle ? Il va de soi de constater que dans un premier temps, l’harmonie nous parle d’inconnu, d’incertitude, d’impermanence, d’infini, de néant, d’immensité, de partage de vie et de partage de mort. La vie est le maître de l’inconnu et il ne sert à rien d’avoir peur d’elle, car la vie est amour. Demandons- nous Jehan, pourquoi évitonsnous ou fuyons-nous l’amour ? Alors que nos pieds sentent le sol de la Terre mère, nous n’en savons toujours rien. Et si le destin nous sert de fatalité, alors le défi est à relever. Nous le portons en nous à la seule vue de tous les instants. Il n’y a guère que la pensée dénuée de vraisemblance pour inventer des Dieux fixes et barbus cachés derrière les nuages, n’est-ce pas ! Ainsi, une fois que les distances sont instaurées par la pensée, tout indique que le « moi » se miroitera dans cette limite 36 Les vitres usées nuageuse comme un centre qui donnera de la surface mesurée à la profondeur perçue. Les croyances et les surimpressions suppliantes tiendront lieu de vie et l’homme en fera une croisade et un modèle unidimensionnel restrictif. Rien de plus restrictif dans une quête d’épanouissement. Quant au système dans lequel nous naissons, nous grandissons, nous apprenons, nous nous réalisons, les normes, qu’elles soient scolaires, éducatives, politiques, parentales, sociales, amoureuses, nous parlent d’ego, de possession, de passé, de gloire, de compte en banque, d’encombrement, de commémoration, de devenir un quelque chose déjà mort. C’est le cachot mesquin. La ligne de cœur est courbe, avant même que l’acte de nuit et de jour soit contemplé. L’expédition menée contre l’ego commence en nous-mêmes, par une présente caravane humaine. Ce premier geste brillant de conscience qui ira jusqu’à l’infime geste de mourir gagnera avec une joie impétueuse le grand mouvement de la vie. Le Grand Saut, Jehan… Tout d’abord, c’est à partir de ce gargouillis dégagé par les pensées objets que nous pouvons agir sur notre manière d’être collectivement, en essayant d’identifier ce qui serait d’une répétition compulsive de ce qui est inédit et bon pour l’ensemble de la société. Il s’agit effectivement d’une prise de conscience importante : le genre humain. Notre présence dans ce genre de vie. Qu’y faisons-nous ? Explorons poétiquement cette interrogation, juste en souvenir de notre voyage, sans y chercher des réponses qui soulageraient notre « petit je ». Une des bases fondamentale du conflit est simple. Exister est en soi une cohabitation avec ces deux réalités, (coproduction conditionnelle et existentielle) aussi franches que possibles. Chacun de nous en son for intérieur peut vivre ce déchirement au sein de sa vie quotidienne égoïste et matérielle. Il semble que vivre 37 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde exclusivement l’une ou l’autre de ces réalités nous enfermerait vers un absolu, donc dans un conflit, une division, une séparation, une fusion, un isolement, somme toute, un écartèlement de la vie psychique. Par conséquence, l’intelligence de la vie ne peut plus venir à notre rencontre. Parfois, quand on dit que la vie ne peut rien pour nous, c’est vrai, car à regarder ainsi notre manque d’ouverture, nous ne faisons vraiment aucun pas vers elle. Le fondamentaliste religieux, politique, économique, éducatif, est un exemple de pas croisés. Tel un arbre qui a vu le jour d’un état de cause sur l’absence d’un fruit. Toutes pensées ou appréciations des réalités absolues qui sont imposées à des individus, une tribu, un peuple, une nation, un enfant, est une forme de fondamentalisme qui englue la vie de l’esprit. Et malheureusement c’est contagieux. Tout aussitôt, ce conflit se réalise, jour après jour, quel estil ? Essayons de faire l’expérience vécue de ce conflit et trouvons le correctif grâce à un état de conscience libre qui oscille dans le réseau de l’instant. Si toute chose a sa raison d’être sous des formes diverses et contradictoires, déliée ou à l’écart de cette raison immédiate, une étude attentive de notre comportement nous montrerait que derrière nos actions se dissimule un conflit existentiel que nous refusons de résoudre en dehors de toute rationalité. Et moins on veut voir, plus nos attitudes se perdent dans un conditionnement où Intellectus Premier s’autoproclame Roi de ce qui « devrait être », de ce qui « aurait dû être » et de ce qui ne sera jamais. A cela, mêlé de forces déchaînées, les intellectuels (l’homme neuronal), jusqu’à ne plus sentir leurs pieds adhérer à la terre. La complexité du réel en est ainsi amplifiée dans un dur labeur de la mémoire. Mais, celle-ci, n’est elle pas une mystérieuse collaboratrice à notre évolution ? 38 Les vitres usées Au bout du compte, l’érosion des sciences du « petit je » apparaît comme un cheminement de l’ego qui masque la sensibilité humaine par un fil à plomb dès sa conception. Le « je », comme une copie exacte d’une impression d’exister, en ce tournant de millénaire, s’isole face au reste du monde. Voilà tout le drame. La technique qui se veut insistante, fait l’histoire à la place de l’homme. D’un tel dessein, il est difficile de renier que toutes les babioles numériques le rassurent avant tout sur un plan psychologique. L’exemple du portable qui se veut des droits sacrés est navrant. La lecture rapide de l’état de santé de l’homme d’aujourd’hui montre que tous ces joujoux ne permettent plus l’interaction et l’interrelation naturelle que les hommes pouvaient avoir entre eux et avec ce qui est doué de vie. Il semble que le message du genre humain est encore prisonnier dans le corps. Tout ce plus de l’Inexisté qui occupe la place centrale et dominante de la vie sociale et des cerveaux humains, créé des tensions violentes et font du mal à tous ceux qui sont activés par de tels rouages. De boule de neige en parades, le système nerveux s’en voit même fragilisé, la rectitude intérieure ébranlée, dans l’exclusion croissante pareille à une armée d’acte en guerre dans les forêts sombres de la toile humaine. Malgré cela, je suis convaincu que cette époque aura ceci d’extraordinaire : nous donner envie de participer plus que jamais à son changement afin de nous rencontrer avec un regard nouveau. N’est-ce pas, Jehan. Le démantèlement du passé appelle l’homme debout et l’appel est grand. Tu l’exprimes si bien dans ta lettre, c’est une occasion rêvée de se transformer et d’intégrer ce chaos plutôt que de le considérer comme une fatalité et d’en être une victime. Mettons au défi ce chaos, on avancera à la poigne d’un acte de conscience, du même pas que « ce qui est », hors de toute mémoire. On ne se souvient que dans le temps n’est-ce pas ! 39 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Pourtant, délivré du Temps de l’Inexisté, tel un fruit automnal résidant dans l’instant, les mois, les semaines, les années, les jours, seraient réduits en poussière vivante. N’est-ce pas la même poussière qui a coloré le noyau qui nous a vus naître… Nous sommes conscients de ce conflit lorsque nous pouvons l’observer en nous-mêmes dans le milieu naturel dans lequel nous vivons. Que nous révèle la relation fondée sur l’instant, si ce n’est justement là que se manifeste la source du conflit. Était-il en fait déjà là ? Et nous, où étions-nous ? Avonsnous une relation spécifique avec un monde d’harmonie qui nous entoure et un autre type de relation avec un système de chiffres et de calculs qui coproduit notre condition humaine et le temps de l’Inexisté mémorisé impartie à cette coproduction ? Le système actuel est un reflet des siècles passés mais la naissance de l’instant a-t-elle vraiment changé ? Le maintenant n’est-il pas toujours aussi sublime qu’à son origine ? Toujours le même, sans jamais l’être, la vie change tout en restant la même. D’où viennent nos connaissances et notre apprentissage, de notre juste présence à l’instant cendré. Jehan, à mon avis, le mouvement de la vie dont on porte l’empreinte, ne part pas de notre cerveau ni d’un temps que la pensée suggère au « moi », comme quelque chose de réel et de mortel. Il n’y a pas besoin de prouver que « ce qui est » existe, que le réseau de l’instant est le prolongement concret d’une intelligence. Vouloir même le prouver créé la distorsion. Par ailleurs, n’est-ce pas la réponse et le mobile qui nous séparent, d’une part d’un nouvel état de conscience à pourvoir et d’autre part, de notre relation avec l’instant qui est la source commune de tout ce qui est doué de vie. Le sens est là, il n’a pas d’explication humaine où par surcroît, « p’tit je » s’en serait contenter à des fins purement égomaniaques. 40 Les vitres usées Très cher, la nature même du conflit n’est-elle pas une rupture grandissante, un embastillement, dans l’une ou l’autre de ces réalités, une danse sur le fil de l’ambivalence où le souffle lent de l’implacable paradoxe nous rend visite. Ensuite, pareil à un paradoxe cellulaire, il pénètre notre intimité sans y avoir été invité. Que de passages incessants d’un contexte détonant, alimentant un « moi » en quête d’un devenir, à celui d’une vie naturelle appelant un « être » à une évolution étonnante d’humanité. Tant que nous ne serons pas responsables dans cette étape de la coproduction conditionnelle, nous ne serons pas libres dans la coproduction existentielle, et vice-versa. Les polarités ont un sens, elles sont un lieu de rencontre. Regardons les peuplades qui vivaient en accord avec la nature ainsi que leur système tribal… Que sont devenues aujourd’hui leurs mœurs, leur Ciel de verdure, suite à la rencontre de l’homme blanc ? Ce qui leur semblait réel dans l’espace s’avérait réel hors du temps, n’est-ce pas. C’était des peuples de traditions orales qui ont eu un sentiment très profond de la vie. Ils n’avaient pas besoin d’Intellectus puisqu’ils faisaient partis de cet état extraordinaire de l’Existé. Hélas ! L’intellect est un poignard judéochrétien, tel un obstacle à la compréhension du réseau de l’instant. Et nous ne l’avons toujours pas compris depuis notre tête d’eau que nous avons « impérialisée ». Les liens de ces peuplades avec la coproduction existentielle déterminait leurs règles de vie alors que chez nous autres, les « dits bien portants », c’est tout ce qui se situe dans notre coproduction conditionnelle qui dicte nos lois et exécute nos règles, ce qui nous conduit à des points fragiles de la condition humaine. Au point où les ambivalences attaquent l’espace individuel ligotant le « je » à ce qui le coproduit. De là, naissent toutes les sciences sociales, les 41 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde analyses, et tout le reste de l’orchestre de la fragmentation, mais demandons-nous honnêtement, Jehan, si tout cela insuffle de la vie. On peut s’imaginer le choc des cultures et ô combien ces peuples au goût du sacré ont souffert devant l’invasion de nos systèmes dépourvus de liens avec l’Existé. Nul doute, les mythes des peuples archaïques ont tant de chose à nous apprendre sur le langage et les mystères de la vie. Ils ont tournés en tête sur les rouets de la vie. Et inversement, que sont devenus tous ces systèmes attrayants qui à leur apogée se sont séparés de la coproduction existentielle. Rappelons-nous, Rome, Grèce, les guerres mondiales, et ceux d’aujourd’hui, ceux à venir, que deviendront-ils ? Mêmes tous les courants qui prônent la santé, le bien-être, le spirituel, les religions, ramènent dans la coproduction conditionnelle. Cela saute aux yeux ! Plus il y a de mouvements plus il y a de chaos… de propagande, de marketing, plus on fait des efforts, plus on suit des méthodes, plus on renforce une coproduction conditionnelle qui déséquilibre l’axe de la rencontre. Libérer le passé de son passé ne signifie pas déplacer le passé dans le temps et faire croire à la subite apparition d’une énergie universelle. Quels genres d’hommes et de valeurs sont coproduits à notre époque ? La situation est claire, quel bien commun de l’humanité est en jeu ? Quelle partie de l’évolution de l’humanité n’a pas été saisie, non pas seulement sur le plan de la condition humaine mais sur le plan de l’esprit. Dans l’azur d’une ou l’autre des deux coproductions, c’est de toute façon toujours le Ciel qui disparaît. Le « je » montre du doigt l’Orient tandis que l’intellect lui cache l’Occident et vice versa, et là, dans cet espace flou, s’immiscent toutes les zones 42 Les vitres usées d’ombre du genre humain. Des zones que nous devons franchir dans notre vie, dans notre relation avec le monde et avec tous ceux et celles que nous croisons au carrefour des rencontres humaines. Dans cet espace de la relation, nos méthodes ne nous serviront à pas grand-chose si ce n’est nous renvoyer dans une clôture mentale aménagée de traités et de concepts sur la vérité. En fait de science et de technologie supérieure dont le point de départ a été sans doute d’améliorer la condition humaine, n’y at-il pas eu aussi ce désir d’apprenti sorcier de vouloir s’approprier l’intelligence de la vie par un système de pensées, de contrôle, de valeurs et de normes qui pour parer à l’avoir, nous a mit en conflit avec nos projets de vie, nos projets d’être, qui dépendent en premier lieu des projets de nos semblables et de tout le reste du monde. J’avoue que les technologies nous ont fait découvrir une communauté matérielle infiniment séduisante, au moins sur le principe d’apparence de ses multiples côtés pratiques. A savoir si cela correspondait à un besoin, c’est une bonne question. Qui avait vraiment besoin qu’il en soit ainsi ? Le globe de l’intellect ? En effet, le « p’tit je » est désormais occupé et préoccupé à souhaits, il l’exprimera sous des civilisations, des cultures différentes, des gouvernements différents…. Mais ce « moi » n’est en rien unique, c’est le même « moi » qui saccage et qui détraque la réalité. Il est fondamental, Jehan, que nous nous arrêtions sur chacune des sciences aux talents de séduction qui promettent solutions miracles et facilités immédiates. Elles portent toutes une ambivalence qui n’est guère prise en compte dans les processus d’investigation d’une découverte et de son application. Les sciences actuelles semblent véhiculer des traits caractéristiques de la conscience humaine, avec un langage commun, sur lequel, 43 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde l’homme s’oriente comme un instrument ambigu d’une pratique intermédiaire avec l’Existé. Et cet intermédiaire est un objet sans équilibre de vie. Où est le projet de la cohabitation et du partenariat avec nos semblables ? Quand l’image de la vie devient fragmentée et linéaire dans le contexte social, tout aspect du monde devient une triste analyse d’une cause sans issue. Le « moi » s’empare alors d’une douleur de vivre, d’une image de lui-même dépendante de la fatalité, identique à un écho de la mémoire qui lui rappellera alors une affliction du passé. Un temps en résurgence fige le réseau de l’instant et se chamaille avec les autres « p’tits je » dans un temps de l’Inexisté sans équilibre de vie. Le cercle infernal des ruptures et des douleurs enflamment alors les couples, les vies de famille et la vie sociale. L’eau de source ne coule plus vers la mer… Voyons, si une science modifie une graine parce que celleci est fragilisée par un insecte ou une bactérie, nous sommes-nous posez la question de la raison d’être de cet insecte ou de cette bactérie dans le système de vie dans lequel ils évoluent ? Tout d’abord, l’interaction entre l’insecte et la plante était peut- être porteuse d’un sens, donc d’un équilibre avec un système de vie qui lui est propre et interactif. Dans ce sens, si nous modifions quelque chose et que nous le sortons de son contexte de vie, la dimension scientifique devrait être soumise immédiatement à une commission d’éthique par le biais d’une science de l’esprit, c’est-à-dire une science de l’ensemble, ceci, afin d’éviter des déviations, des situations à risque pour la santé de l’homme et de son environnement. Si nous changeons les intentions de la vie, il se conçoit les empires des fragmentations qui se répercutent logiquement dans le genre humain. 44 Les vitres usées Les classes dirigeantes ont d’énormes progrès à faire dans ce domaine afin de ne pas laisser des manitous et des Lobby (groupes de pression organisés qui pèsent sur les décisions économiques et politiques), nuire à l’équilibre qui maintient la vie de notre planète. Il est vrai que parfois, il est difficile de discerner qui est qui, et vrai encore que les intérêts de trafic d’influence et les profits de clientisme que font les grandes nations et ses organisations non gouvernementales se font aux dépens de l’intérêt général. Etant donné que la vie n’est pas une source de donnée « intellectualisable », à notre époque où l’on intellectualise tout ce qui bouge, à chacun de nos pas, le conflit en pleine inconscience est devenu incontournable, croissant et immédiat, régional, national et mondial. Et c’est tant mieux, tout le monde peut désormais comprendre qu’il existe autre chose qu’un reflet de lui-même à analyser et à considérer, du moins, je l’espère, Jehan. A quoi bon un tel centre de sciences qui veut tout contrôler à partir de techniques qui remplaceront tôt ou tard le bon sens du vivant par une toilette intellectuelle ! Revers consternant d’une invasion de réalités abstraites pensées pour alléger la vie de l’homme. Voici que le bon sens même d’exister est mis en danger par des hommes qui se sont crus intelligents. La propriété intellectuelle et physique s’emploie pour souligner un côté éphémère du système de la coproduction conditionnelle qui alimente une prolongation de notre séjour sur terre, dans le temps et dans une accélération de ce même temps, ce qui met l’homme sur un rang où il lui faudra aussi servir l’intérêt de ce dit service qui donne du fil à retordre aux chiffres, ce qui n’est pas forcément incompatible, convenons-en, à servir aussi une politique sociale. Toutefois, le lien de sensibilité qui unit les hommes et les générations est comme rompu, si je puis oser le dire ainsi. Les 45 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde liens sont à renouer pareil à l’instabilité d’un nouvel équilibre auquel nous devons nous tenir ensemble. Le sens du bonheur se manifeste dans la cohésion de l’ensemble. Le grand bonheur, c’est qu’il nous faudra plonger dans ce constat si nous voulons régénérer une vie sociale qui ne soit plus expérimentale, simplement technique ou émotionnelle. Il y aura du travail intérieur pour tous, et c’est à mon sens, indépendamment du prix à payer des conséquences futures, que du bonheur. Faisons-nous à l’idée, Jehan, que « ce qui est », s’oubli dans le réseau de l’instant. Permets-moi d’insister que c’est dans cet oubli que se trouve la source de toute chose. N’est-ce point là que la vie se poursuit en nous, là où nous n’avons qu’à être le plus simplement du monde. La propriété de soi n’existe pas, l’air bon, ridicule, gros ou pensant non plus. Peine perdue de se dire que l’infini ou l’instant sont connaissables ou ont une explication à révéler, si ce n’est la nôtre, à peine perçue. C’est cela le bon sens. Et cela exige de la présence « à ce qui est ». Une présence qui ne relève d’aucun centre. C’est ce qui fait la grandeur du réseau de l’instant, il n’y a pas de passé, pas de futur, pas de centre. Il est aisé de comprendre nos difficultés à entrer en relation avec le réseau de l’instant. Parfois, lorsque j’observe le flux subtil de la vie quotidienne, je perçois la pensée morte, le « moi », comme désormais au service de sous-systèmes de mécanismes comportementaux que des organismes de l’Etat alimentent. C’est un comble de magicien, la périphérie est devenue un centre qui, comme une force motrice, actionne un fonctionnement qui nomme l’irréel afin qu’on le reconnaisse et qu’on lui donne vie. D’où toute l’importance d’insuffler de la vie dans le système qui vient de la vie et non de la seule coproduction conditionnelle 46 Les vitres usées ce, pour équilibrer « ce qui est » de cette première interprétation des faits. Coupé de l’intelligence de la vie pour l’essentiel, nous sommes ramenés pitoyablement à vivre et à voir la vie depuis l’exclusivité d’un système transformé en des forces centripètes qui ne distinguent plus l’être de l’homme. Dans tout cela, de manière inextricable, nous attribuons soit des croyances paralysées dans un ciel changeant, soit un néant mensonger qui borde la clôture mentale. La souffrance est alors pareille à un centre qui est observé depuis sa circonférence, et comme exemple, nous avons ce qui pilote les relations sociales, les organismes intermédiaires qui comptent, comparent, archivent, calculent, et distribuent les billets bancaires à partir de données numériques et de probabilités psychiques. Cela ne cesse de bavarder, de compter, de calculer, de penser, de projeter, etc. Tout à coup, nous possédons et nous voici ainsi possédés, propriétaire d’un reflet d’une coproduction. Dès lors, les hommes teintés de passé et d’émotionnel douteux ne cessent de s’observer, de se dévisager, sans raison apparente, comme si leur attention et intention attiraient un centre inconscient qui joue un rôle décisif sur leur comportement, leur entourage et l’histoire de l’humanité. Suite au quotidien ardu, si je puis le caricaturer ainsi, toute injustice sur terre s’imprègne alors de réactions simplistes après une lecture expéditive des faits de la vie. Vient alors l’homme du petit matin qui s’exclame ainsi : « c’est la faute à ceci ou à cela », oubliant qu’il est lui-même une partie intégrante de cette injustice. Dans la pénombre, les communautés scientifiques, économiques, politiques, religieuses, ne manqueront pas de croire qu’elles sont investies dès lors d’une mission salvatrice à l’égard du bon vieux 47 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde reste du monde. Des sauveurs seront fabriqués, ce qui renforcera une fuite pathologique normalisée face aux faits de nous-mêmes. Dans ce sens, la connaissance et les croyances sont devenues une entrave à la vie. Je pense Jehan que les sciences et les religions ne tirent pas leurs champs d’application d’une science de l’esprit mais d’une fragmentation de la vie psychique. Que ce soit du passé de la pensée ou du passé de la vérité, ce passé fait tourner le genre humain dans un giratoire intellectuel souffrant. La raison essentielle de ce malheur est que les hommes donnent une continuité de leur passé à chaque aurore. Ainsi est attribué au passé, un devenir, un conflit de normes et de valeurs qui conditionnent les contraires dans l’Inexisté 4. Tel est pour l’être humain le caractère du Temps Cervelesque qui explique sa situation actuelle. Il reste encore persuadé que le temps conçu dans son cerveau le lie à un devenir ou à un mystique facteur de changement, alors que c’est ce qui le distingue dans son isolement et dans son conditionnement. Il est vrai que nous n’évoluons pas tous en même temps. Chacun a son rythme de croisière. Et nécessairement, cela engendre des quarantaines. Ces tensions antisociales sont utiles et vitales à l’ensemble. Notre premier geste est de les rejeter mais nous avons tort. Les contrastes et les paradoxes qui naissent de nos divergences et de nos zones d’ombre ne sont pas là pour que nous retrouvions un passé de la vérité mais pour nous rappeler que nous devons nous en libérer sans prendre des médicaments. Il y a sans cesse un exercice d’équilibre à vivre, comme s’il était le premier instant de notre vie. Un instant sans souvenir. N’estce point la raison d’être du réseau de l’instant, prendre la vie sur son passage. Tout l’art d’exister ensemble réside dans l’engagement que nous avons dans cet incroyable exercice d’équilibre. Malgré ce phénomène de rupture et de détachement qui nous éprouve dans 48 Les vitres usées notre développement, ce n’en est pas moins une alliance avec l’intelligence de la vie. Tout soin porté à une situation qui n’est pas pour notre bien personnel et encore moins pour le bien de l’autre, mais pour le grand bien de l’ensemble nous rend les forces du déconditionnement dont nous avons besoin pour continuer notre chemin. Ainsi se renouvellent nos cellules, lorsque nous cessons de retenir. Dans ce sens, nous évoluons dans la création de nos relations, dans l’alliance de cet équilibre à reconstruire dont chaque instant est porteur d’une immense énergie. C’est un principe de vie sans égal qui a fait ses preuves durant l’histoire de l’homme et celle de la vie. L’évolution est une histoire d’Ensemble dont nous faisons partie, certes, mais sans une conscience de celui-ci, notre évolution s’arrête aussitôt. Le passé sombre reprend en main son avenir. Il ne s’agit donc pas de devenir un quelque chose ou un quelqu’un, mais d’être dans la création évolutive de nos relations. Pour cela, le « moi », incapable de s’ouvrir au réseau de l’instant, doit laisser place à la vie. Dès lors, cessent les efforts inutiles de la pensée et de l’intellect. La vie en nous reprend son cours naturel avec une ardeur qui va jusqu’à la simplicité et l’amour. L’identité dans ce sens est toujours en construction, en mouvement et dépendante de ce qui lui permet son développement individuel qui au meilleur du bon sens, sert les deux coproductions. Mais au si nous sommes au service des deux coproductions, demandons-nous vraiment s’il y a quelque chose à atteindre ? Si la démocratie de l’internet permet d’être au service de l’individu, il est nécessaire que l’individu serve autre chose que la démocratie, mais l’Ensemble qui la constitue. C’est une manière de servir intelligemment la vie en quelque sorte que de rendre des 49 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde comptes de notre développement qui n’est autre que de libérer du passé de son propre passé. La vie, sous ses formes les plus pures, les plus proches, les plus éloignées, les plus complexes, est contraire à l’enfermement de la pensée dans une clôture mentale. Je crois Jehan que tant que nous n’entrerons pas en communication avec l’Existé, cet aspect-là de la condition humaine restera difficilement abordable et compréhensible. Comprenons-nous, Jehan, il ne s’agit pas de prôner un retour providentiel à la nature, une quelconque fusion avec, ou de fuir un système hermétique, mais de déchiffrer où nous en sommes aujourd’hui afin d’actualiser ces polarités et de comprendre leur raison d’être. Ensuite, il serait pénétrant de donner de la valeur aux caractères exceptionnels des paradoxes dans le but d’y chercher un exercice d’équilibre qui sert la vie et non la continuité ou la justification d’un conflit qui a pris racine dans le fonctionnement de la structure psychique humaine. Je crois que la cohabitation, le sens, le lien, seront le thème central de cette lettre comme une approche d’observation qui nous apprend directement quelque chose de nous-mêmes et de tout ce qui est doué de vie. Les forces à l’œuvre dans notre société dans la réalisation de nos conditions de vie et celles de la nature forment aussi un Tout au niveau de ce que l’on perçoit quasi tous spontanément de la vie. Cependant, c’est à chacun de découvrir si c’est la même vie, n’est-ce pas ! Nous ne percevons pas tous de la même façon sur l’impérative nécessité de vivre. Ordinairement, le « moi », cramponné de manière générale cherche refuge soit par un surmenage de travail, soit par des activités diverses en fin de semaine. Dans quel but ? Pour se ressourcer, échapper à la souffrance, retrouver un semblant d’être, 50 Les vitres usées gagner en prestige, tenir le coup dans le système ou encore pour alimenter les plaisirs du « je ». C’est là une évidence des affres de notre condition humaine élaborées par l’Intellect et d’une étrange implication émotionnelle de la vie. Essayons d’appréhender ce qui se passe, identifions ce conflit avec de justes appréciations et jusqu’à la terreur de vivre, s’il le faut. Autrement dit, l’état de notre besoin affectif nous en dira long sur le genre humain. C’est bien là que nous devons nous accorder et remettre en question la somme de nos savoirs. Le « moi » qui s’élabore dans son costume existentiel est une image de ce que nous croyons être de nous-mêmes. Que suggère cette posture de la sangsue ? Cette image de dessin animé est coproduite par la vie dominante du système de la coproduction conditionnelle. Et sans jamais être le même, le « moi » aux mille facettes a l’impression d’exister et qu’il s’agit toujours bien de lui. Allons donc ! Le jeu des impressions et des accoutrements bat son plein. Le grand théâtre de la fragmentation est ouvert sur le front des âges. Il y a opposition entre un « je » hypertrophié dans un système qui le coproduit et une énergie de vie innée, enracinée en lui. Ce qui créé un dualisme social pathologique et normalisé guère remis en question car nous n’apprenons pas à nos enfants à coexister avec ces deux dimensions : celle de la dimension du système qui régit notre condition humaine décrété d’avance par des règles et influences de vie du contexte social, et celle de la dimension existentielle, la béance cosmique dans laquelle nous baignons, tout entier. Cette dernière est une dimension qui nous apporte liberté, initiative, épreuves, espace individuel et amour. L’échelle des valeurs de ces deux dimensions seraient à examiner de plus près. Quand au puits qui réunit ces deux coproductions, nous n’avons pas d’autres choix que de plonger dedans. 51 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Le « je », à la rencontre du monde adulte, ne s’accorde presque plus aux merveilleuses forces de vie qu’offre la nature. Il veut se faire éternel avec la présence des joujoux de la technoscience, où, infailliblement, il se verra tôt ou tard condamné à une absence de sens de sa propre vie. Pourtant, l’étape du « moi » est un incontournable outil de travail qui permet de s’insérer dans le monde en termes des âges de la vie, donc de radical changement. Il me semble qu’il y a une nuance entre la connaissance d’un « je » analogue à la pensée bavarde et la connaissance spontanée de ce qui instaure ce « je ». Tout ce qui a une coloration du « je » est harassant et consenti. C’est ancré dans nos habitudes et notre mémoire cellulaire, que d’éprouver pour son propre compte un ridicule de l’image enclot dans un nid. Vu que le champ individuel est archicomble de jours qui ne sont plus et de lendemains qui n’ont jamais existé, convenons-en, il ne reste plus d’espace pour contempler le Monde, pour se percher haut et prendre son envol, non pas tout seul mais avec lui. Or, cette étape à dépasser du « je » excessif, n’est-elle pas un seuil à franchir pour progresser vers l’amour de « ce qui est », avec une intensité particulière. Depuis des temps immémoriaux, oubliant de vivre, de respirer calmement, nous cherchons des explications à la vie tout éloigné devant ou tout reculé dans les cavernes du passé. Or, le voyage de la vie, exige que nous soyons en relation avec son flux ou réseau de l’instant. Ce qui n’a rien à voir avec tout notre vouloir et notre savoir. La distorsion de l’homme neuronal est immédiate, la fragmentation subite. Si la vie se refuse à nous, c’est tout simplement à cause de notre posture. La vie nous emporte, que nous soyons os ou esprit. La promesse est là. L’odyssée. 52 Les vitres usées Il est clair que toutes les réponses à la vie ne se trouvent ni dans le « moi » qui suggère une impression de conscience de soi et encore moins dans un cadre de la pensée qui tente de structurer tant soit peu l’énergie qui anime l’âme humaine et ses alentours, par des sciences qui rassurent la cohorte d’Intellectus. Il nous faut porter notre présence ailleurs, tout en sachant que ce que nous cherchons, commence en nous-mêmes, Jehan, dans les amours buissonnières. Ah ! L’école buissonnière a toujours été une faiseuse de miracles. La récréation avait bien pour but de nous dépouiller de tous ces savoirs fragmentés. L’intention pure, neutre, possède déjà, avant sa manifestation, son propre mouvement, son propre rythme musical. Allons, allons, tout est là, d’ici à maintenant, soyons seulement en présence, en contact, en relation, en silence, frère Jehan. Tout dépendra de la manière dont on va accueillir dans nos cœurs ce mystère d’amour. Oh ! « silencé », le voici qui vient se faufiler dans nos partitions de vie. Serait-ce l’occasion d’écrire quelques ritournelles et d’écouter les arbres ? Coproduction conditionnelle : forces qui façonnent, conditionnent et déterminent notre situation humaine et notre comportement dans le système. Coproduction existentielle : Tout ce qui est doué de vie, qui n’a pas d’entité propre ou autonome mais qui existe parce qu’il y a relation avec la vie. Forces qui nous tissent dans la trame de l’Existé. 2 : Moi, « p’tit je », je, « moi enflé », pensée morte, sont des synonymes. Ils expriment une impression d’exister à partir d’un centre qui enferme celui qui devient propriétaire de cette impression dans une clôture mentale. 1 53 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde 54 L’espace individuel L e deux décembre 2010. De ce jour à la posture du recul, une poétique de l’espace comme nouvelle compagne, c’est au son éclatant des cloches de la merveilleuse paroisse protestante d’Yverdon que je suis allé guigner la statue de Pestalozzi. Ding ! Dong ! Ding ! Dong ! Pestalozzi est représenté par un immense bronze sur la place du château où deux enfants, à ses côtés, un livre ouvert en harmonie avec ses projets, manifestent ensemble une noble mission. Un noyau rassemble l’espace individuel et la mission me rappelle l’union, une totale union. Il n’y a pas de sauveur, juste des hommes sincères qui veulent rester debout. Je profite d’habiter provisoirement cette charmante petite ville située au pied du Jura pour rendre hommage à ce grand homme et pour finir d’écrire cette trilogie Celte qui me tient à cœur et probablement encore en vie. Pour sûr, je fêterai mes cinquante ans avec la dernière partie : Lettre à une femme pas comme tout le monde. Je n’omettrai aucun état d’âme qui pourra donner à ce travail les caractères de son authenticité. Quitte à exister, je continue de vivre à fond avec l’audace qu’il se doit, celle d’écouter dans l’état lui-même de ce que dit le cœur. 55 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Jadis, je t’avais parlé de ce pédagogue Suisse qui fut à la base de l’éducation moderne et ô combien j’étais resté toujours admirateur de tel type d’homme dont le courage et la force d’être vrai permirent de déplacer des montagnes. A voir, mamelons de terre et de roche sont toujours restés en mouvement. Sans vouloir tracer des parallèles éloquents, nous voyons bien qu’être partenaire avec ce « qui est doué de vie », restera la richesse même de l’acte d’exister. Nous apprivoisons le changement en nous diversifiant à l’infini, n’est-ce pas Jehan ! Quant aux savoirs déguisés par des têtes organisées aux heures passagères, ainsi qu’aux processus de cognition qui n’ont aucune grâce poétique sur la scène sociale, je confirme pour la millième fois qu’ils ne sont ni utiles pour la connaissance de soi, ni pour la pratique de la vie. Dans la plupart des cas, les savoirs ne font que ressortir nos sévérités dans un monde défini par les stades de notre développement, qui, fondamentalement, montre le désaccord immédiat du genre humain avec sa condition humaine. La pensée morte a créé un monde de désarçonnés de l’instant, une façon de penser sans souffle, un vocabulaire, une syntaxe, des sciences, des normes, certes, mais cette mise en commun mérite toute notre attention et interrogation. Nous protège t-elle de nos folies ? Non, la folie ne contient pas l’intellectualisme or, l’intellect est folie…. Disons que la pensée morte met le doigt exactement où nous sommes restés bloqués dans notre déploiement. En ce sens, elle est un révélateur extraordinaire d’enseignement de vie. Les savoirs crus à la lettre, comptés, comparés, si anciens, répétés machinalement, produisent la presque totalité des misères sociales et des conflits humains. L’intellect, de par sa nature fragmentée, se mêle ensuite à la maladie, à l’exclusion et 56 L’espace individuel à l’injustice de laquelle le je crie ensuite fatalité, face à un drame humain irréparablement terrible. Sur ce point, nous nous sommes bien rendus compte que seul la « séduisance » et le pouvoir du savoir était attractif ainsi que notre façon même de nous mettre en rapport avec ce pouvoir. Comme programme d’armement du « moi », on ne fait pas mieux. Malheureusement, notre savoir est devenu indispensable aux rouages du système de la coproduction conditionnelle dans laquelle tout le contexte social fonctionne, déambulant ainsi sur les expansions d’un drame intellectuel qui prescrit un conditionnement qui se fixe dans la mémoire. C’est l’exemple le plus réussi d’une continuité du passé. L’intellect flatté, le chapeau à la main, le geste de vivre mémorisé s’imprègne dans un miroir terni, le moi enfle, quoique renforcé et porté aux croyances qui serviront sous ses ordres. Tel un devin excellent, « p’tit je » est prêt à agiter le monde et à instituer la coproduction existentielle à l’état d’objet. Pareil à une ancre perdue, voici que l’homme neuronal racle le fond large de la vie. Ce qu’il invente lui sera rendu en substance, comme de la vase qui remonte, n’en doutons pas un seul instant. A force d’intellect acharné par excellence, de son côté sacré inhibé, l’homme neuronal est devenu incapable d’écouter les différences de ses semblables ainsi que les sons de la vie. Il est donc prêt à nuire à ses liens de sang, à ses proches, à sa vie de travail, et de même, à l’humanité et à la mère Terre. C’est ainsi que l’on a pu voir la hutte du couple s’enflammer soudain dans les foyers. Qu’apprenons-nous de tous ces télescopages ? Estce que tout ce qui définit notre identité était en fait purement imaginaire ? L’image de la famille et l’image de l’humanité est la même image. L’individualisme poussif les a rejetés résolument 57 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde pour un monde verbal qui est en grande parti superstition. Pour quel type d’évolution ? Désapprendre ne veut pas dire ne plus apprendre. C’est la façon de changer qui change. L’apprentissage est un acte de connaissance orienté par une action qui équilibre les deux coproductions : la rencontre et la relation. C’est un retentissement qui modifie l’information cellulaire avec laquelle nous devons être partenaire. La rencontre nous guide et la relation nous mène dans la juste mesure de notre partenariat. Seulement, un acte de connaissance est un acte de présence et de conscience et bien que de nature visible et invisible, cela se traduit par des comportements, un ressentir et un sentir qui vont jusqu’au bout du monde de la communication. N’est-ce point ce processus qui assure une vie dans les profondeurs de notre être ! Il s’agit donc d’actes qui ont su atteindre d’autres frontières. Des actes remarqués par l’intelligence de la vie. La conscience ne laisse pas planer autour d’elle des zones d’ombre ou des substituts dramatiques d’une quelconque réalité inventé par une « je », si rusé soit-il. De certains critères d’intégrités, je retiendrai la création de liens, le développement, le partage. Celui aussi de donner du sens et de la raison d’être à ce que nous rencontrons. Tel est un partenariat immédiat avec l’intelligence de la vie quand on brise le moule géant de la pensée morte. Tout prend du sens dans l’initial élan d’exister. Lorsque « p’tit je » s’efface, l’être devient simultanément le sens. L’heureuse intensité de vivre s’affirme par de grandes capacités créatives. Les défis qui nous sont proposés par les insondables décrets de l’évidence deviennent de grands cadeaux. Ce qui devient dynamique, c’est le chemin que nous faisons et non pas la destination à laquelle nous nous rendons. Si tel est le cas, le réseau de l’instant, n’est plus une abstraction pour l’homme présent. 58 L’espace individuel Jehan, parfois, des personnes détentrices du passé de la vérité, m’accostent, couchés sur des mots croyant, bringuebalés par des concepts, l’air aussi grave que leur ventre. Voici leur propos : « Heu… heu… monsieur Bocampe, pourquoi diable méprisez-vous tant le « moi » qui fait de nous le facteur essentiel de ce que nous sommes à la première lueur du jour ? A cette incroyable aventure, je leur réponds toujours la même chose. « Ma responsabilité de petit homme debout est de vous partager que ce moi n’est qu’une étape, un outil de travail et non un objet de culte. Terre ! Terre ! Que de bobos dans les milieux ésotériques et dans les courants exclusivement orientés vers le passé. Finalement, le mouvement de la vie nous enseigne d’aller au-delà de tous les systèmes élaborés par la pensée morte, donc par le « moi ». Tous ces systèmes étouffent, mutilent, écrasent, aliènent l’âme humaine et empêchent l’homme d’être porté par l’énergie du réseau de l’instant. En définitive, ils aimeraient que je leur donne une carte Michelin Fluide qui conduit à l’être sans essoufflement, par toutes les routes du monde Intellectus ». Ciel ! Parfois, il est vital pour l’intellectuel qu’il se dévisse la tête et qu’il la jette dans le ciel aussi loin que ses yeux ne peuvent plus la voir. Oui, n’hésitons pas à jeter dans les airs ce sujet aux pensées courbes au risque de passer notre vie à tourner en rond. Dans ce cas, la plupart de ces frondeurs de l’Existé qui crayonnent sur le vide des nuages épars de toutes les couleurs sont incapables de discerner l’impression d’exister que sacralise le moi ainsi que d’imaginer un seul instant une autre qualité de présence à vivre dans notre espace individuel. Je veux parler d’une « présence d’être à la vie » qui constitue l’essence de ce qui est 59 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde doué de vie, d’un espace qui n’est pas assujetti à un centre ou à un sépulcre de la pensée froide qui contrôle. La raison a institué des vérités et fondé des absolus, soit ! L’intelligence du cœur qui ne se laisse pas rouler par la tête d’eau les déconstruira avec mesure et retenue. A trop vouloir désigner les choses, on a fini pas oublier de les découvrir. Tout est déjà présent dans la grande poésie du monde, dans un lacis infini de différence et de simplicité pure. Il n’y a qu’à changer de domicile, ni plus ni moins. Intérieurement, de tout point de vue, tout est possible. Tout contact profond avec « ce qui est » engage un mystère auquel on peut s’accorder et c’est cette musique là ou fréquence du vivant, notre première raison d’être. Avant de comprendre les étroites et basses régions de l’âme humaine, ne nous faut-il point les percevoir et avoir le courage d’en parler sans gêne aucune ? Est-il vraiment besoin de connaissances pour saisir cela ? Non, le simple bon sens suffit. Pour se libérer de la souffrance, il faut se plonger dedans pour en percevoir sa nature qui n’a pas d’existence propre. Sûrement qu’à cet instant d’évidence commence un nouveau chemin de vie. Décidément, Jehan, ce qui enseigne, c’est la résonnance de ce mouvement qui permet la perception immédiate. Et dans cette perception, personne n’a de croix dans le dos, ni dans sa poitrine, comme on a voulu nous le faire croire religieusement. La perception spontanée de la vie nous met en mouvement. C’est à chaque fois un évènement. Rendons-nous compte que la raison ne peut pas éluder l’infinitude et encore moins une ligne de cœur. Ah ! La tête d’eau est un appât auquel le « moi », courbé, ne cesse de mordre, croché à l’ardillon en un seul et fourbe mot : reflet. 60 L’espace individuel Bien que délicate, je vais tâcher de répondre à ta question à propos des animaux domestiques et de l’attitude peluche. Il est très courant de voir des individualités béquillées se réfugier dans une relation exclusive avec le règne animal. Sans juger des faits, bien des femmes qui ont souffert de leur rencontre avec l’homme en attestent. Par recherche d’un pseudo contrôle affectif, elles entretiennent une posture spécifique qui leur permet de trouver un équilibre avec un animal. Ce genre de phénomène est très courant en Europe. Sous la poussée de l’inconscient, nous touchons là, à un paradoxe inouï et coutumier. Observons le comportement de nombreux êtres humains avec leurs chiens, leurs chats, leurs chevaux, pour ne citer que ceux-ci. Nous verrons clair sur les terribles symptômes humains qu’adoucit le règne animal. Les affects jouent un rôle capital dans la balance de l’Existé. Le changement est sans doute cette divine tentative de nous arracher à l’asservissement de notre passé sur lequel nous sommes en équilibre jour après nuit. Il y a bel et bien un monde émotionnel aux racines profondes qui électrise un « moi » en mal d’amour. Et bien des animaux comblent ce manque, mais c’est une expression éphémère et discutable, car l’animal ne renvoie pas à la relation avec l’un de nos semblables. *** « Tout ce qui n’est pas un objet de la pensée ne peut-être reconnu, admis, formatés, comme doué de vie dit l’intellectuel à toute chose ». Et pourquoi donc ? L’existence, pour « la plupart des trop intelligents » reste captive dans cet espace de sensation conceptuelle et émotionnelle où la raison psychologique rassure 61 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde le moi. Ainsi, je tout puissant, peut ressentir de long en large dans son cerveau un espace lourd de confusions mais consolant. Tel est pour l’instant le leitmotiv de notre époque : se rassurer les synapses. Là, il peut avoir un contrôle sur son trop plein, l’analyse justifiée de causes, sur les chiffres, la mesure, la norme, la sécurité, les valeurs et les impulsions qui en découlent. Cependant, tout ce cheminement, bien qu’utile en tant qu’étape de la condition humaine, n’est guère conciliable avec l’intelligence de la vie. Par les plus incroyables des contradictions, c’est un conflit de verbiage du tout premier ordre et l’homme moderne s’en est fait une habitude d’identification dès son premier lundi. Nous voulons à tout prix savoir avec des mots et des pensées, ce qui se vit au-delà des mots et des pensées. Dans ce contexte, la vie est inventée face à tant de malentendus et de mauvaises compréhensions. Nous pouvons déjà le constater sur une petite échelle de notre vie de tous les jours. Je reste persuadé qu’il est difficile de faire une rencontre avec l’intelligence de la vie dans des stipulations qui relèveraient de la projection et non des ressorts secrets de la relation humaine. La relation est une force avec laquelle il faut compter. C’est elle le guide, le phénomène, le rassemblement, qui prend sa source dans ce que nous sommes. La relation compte parmi les enseignements les plus fascinants du sens de la vie. Ce qui naît de l’instant échappe à la pensée et au « moi » enflé. Ce « Respir » ou énergie sacrée, n’est ni de la coproduction conditionnelle ni de la coproduction existentielle. Le « Respir » est une véritable rencontre entre les deux. En guise d’anecdote, d’autres individualités au centre des cercles impossibles à tracer, qui, lorsqu’ils me rencontrent pour la première fois sont surpris, déçus. Oui, depuis leur caporalisme 62 L’espace individuel ésotérique, ils m’imaginaient autrement, avec une tunique orange ou écrue, le crâne rasé, totalement différent, érudit, papa normatif, sauveur des eaux, des âmes et des forêts, chasseur de fantômes, etc. Simple bergeron suffira, messieurs. Respirez par le nez, tout va bien se passer ! Ah ! Les préconstruits comme guide, il est frappant de voir qu’ils avaient déjà inventé toutes sortes d’images précises et mentales à mon sujet. Décidément, venant d’un milieu de modestes bergers, dussé-je parfois naturellement étonner, choquer les intellectuels de feuillage, la nature humaine n’a pas fini de me surprendre, cher ami des hauts plateaux. Heureux ce jour où le buisson ardent se transformera en métamorphose du pissenlit. La posture de l’homme neuronal nous révèle que sa clé intellectuelle ferme plus de portes qu’elle n’en ouvre. Mais ce n’est pas une raison d’en rester là et de s’en contenter comme un point philosophique immuable. Ne devons-nous pas, dans un premier temps, intégrer une irréalité pour parfaire un insolite équilibre qui nous rassemble tout en nous mettant à l’écart les uns des autres ? Des connaissances engrangées, à demeure dans notre tête d’eau, scindés que nous sommes entre deux coproductions par une rugueuse cuirasse, il n’est plus possible d’éviter les pièges de l’interprétation du réel. Le discours de l’intellect à l’égal d’une profanation, démembre totalement « ce qui est » et celui qui vit dans « ce qui n’est pas ». Quelle leçon tirons-nous de ce fait quotidien ? Du fumier de l’interprétation de « ce qui est », n’est sortie qu’une reconfiguration du passé, une invention de « ce qui n’est pas ». La souffrance humaine est à son comble. Ce qui stoppe tout mouvement vers le réseau de l’instant. Cela a au moins le mérite de nous rendre attentifs à nos insuffisances. Difficile de vivre avec 63 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde « ce qui n’est pas » n’est-ce pas ! Je te laisse imaginer le conflit, Jehan. Eh bien ! Sûrement, est-ce l’un des prix à payer du fait que nous soyons incarnés, entraînés dans la danse des ambivalences, dans une coopération du réel, de l’irréel et du surréel. Au moins, grâce à cette prise de conscience, nous évoluons d’une manière directe et lucide, aérée et pondérée, vers un nouvel état de présence à la vie. Et ce pas, si petit soit-il, améliore la situation de chacun d’entre nous qui relie à la joie immense du peuple des étoiles. Saiton encore lever la tête d’eau Jehan ? La simplicité est le plus grand des miracles de l’Existé. L’homme se démasque. Il s’ouvre comme une bibliothèque et retrouve ce qui est là. Et sur ce fond phénoménologique figure une fréquence qui engendre le délice d’exister. La vie nous interroge sur telle ou telle chose et elle se retire sans ne rien dire. A nous de creuser nos sillons en mettant les pieds sur nos intentions, pour mieux s’élancer. Quand la mer est étale, le temps s’arrête. C’est dans ce sens qu’il fait bon exister dans le tiède équilibre du réseau de l’instant, là où il nous est demandé d’offrir l’instant de nousmêmes. *** Tu sais, Jehan, au fort de ta démarche dont on peut s’enrichir sans cesse, j’aimerais m’étendre au point de retrouver la première vague qui m’a vu naître. J’apprécie tes pensées vivantes sur la béance engloutie de vie dans laquelle tout existe. Ciel ! Quand j’y pense, humour en tête. À notre âge. De tous les plaisirs de la vie rencontrés, nous avons bien senti le côté caché du vide dans lequel on s’est colorié le profil. 64 L’espace individuel Bien qu’Intellectus Premier3 soit un fauve, que de travail de présence nous a-t-il fallu pour intégrer tant soi peu l’instant jusqu’au fond de notre chair. Seule condition prérequise pour que la vie fasse son travail : nous taire humblement, totalement, avec cette curiosité de l’enfant afin de voir ce qu’il y avait de vrai dans tout cela. Ecoutons encore mon frère… De l’Orient jusqu’en Occident, un silence naît hors de la coproduction conditionnelle, au beau milieu des zones d’ombre du monde. Il n’y a aucune réponse à nos questions. Juste une relation entre Ciel et Terre. Il semble, Jehan, que l’homme est profondément troublé par le dynamisme de cet équilibre en perpétuel mouvement, jusqu’à un tel point qu’il s’est immobilisé dans son évolution. Demandonsnous pourquoi ? Toutes les réponses à la vie tuent aussitôt la vie. Ceci est une singularité du genre humain : nous existons par nature dans cette béance cosmique et aimons entrer en dialogue avec cette poésie qui l’englobe et l’emplit. N’est-ce pas un élément fondamental qui nous comble et nous accomplit ! C’est le plus grand de tous les voyages. Voyage de l’incertitude et de l’insécurité, dans lequel nous courons à chaque instant toujours le risque d’être nouveau, et un peu nous-mêmes. Quant à l’espace, nous avons beau regarder depuis la clôture mentale avec une intensité particulière, à gauche vers le souvenir maternel, à droite vers notre bien-aimée, en haut vers nos enfants, en bas vers nos malheurs, devant nos pieds ou derrière les résidus de nos rencontres humaines, il ne semble pas y avoir de centre sclérosé, n’est-ce pas. La maison a un toit, un plancher duquel les fondations authentifient des énergies en mouvement et dont le point d’appuie est le réseau de l’instant. L’homme doit trouver là, au cœur de ses joies et au surplus de ses peines, la poésie de sa vie, seul, en lien avec des frères et 65 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde des sœurs poètes, au-delà de l’enceinte mentale. Et cela, à chaque instant. Et six fois en un instant, nous nous mentons par tant de causes et d’effets de nous-mêmes dont souffre aussi le reste du monde. C’est qu’il y en a des instants dans une journée. A chaque fois, l’instant lave d’eau nos postures de pharaon. Vois-tu, je pense que ce qui cause un grand défaut à notre santé mentale et physique est de vivre inlassablement à partir d’un centre. Lieu dit, où le « moi », en occurrence, présume tant sur lui-même et s’en accommode parmi les plus beaux fragments. Et tout aussitôt, de cette projection attachée à ce que l’on tient pour vrai, isolé du citoyen, le cœur ne peut plus s’ouvrir au soupçon de l’instant. Le vrai n’existe pas. Le temps psychologique reprend ses droits. Et sans l’intelligence de « ce qui est », la prépotence de « p’tit je » envahit l’espace transmis par ses sens qui ont tout vu et rien compris au problème essentiel de la condition humaine. Espace qu’il repousse et refoule aveuglément, sans répit, parce qu’il ébranle tout simplement les couches profondes du moi. Et que dire encore du temps qui exclue les hommes de la vie, Jehan. A part l’instant, « ce qui est », le temps ne semble pas avoir d’existence propre, tout comme le « moi », qui réduit à l’état d’impression et de muraille, ne voit plus qu’une vapeur de lui-même dans la forteresse du genre humain. C’est une folie normalisée par de la pensée qui n’insuffle aucune vie aux structures sociales. Comme une vieille machine qui se détraque, le moi est pleinement temps, pleinement l’expression du passé, pleinement une pensée morte mais aussi pleinement un outil de travail. Il se fait fragment, reflet, tension. Il véhicule la perte du sens de la vie qui 66 L’espace individuel vient à lui. Ensuite, il exprime longuement l’hymne de l’être isolé et se plaint amèrement de qui regarde les faits. Par conséquence de cette solitude ancienne, agenouillée dans sa tête d’eau, dans laquelle « p’tit je » formule des concepts, il cache l’innocence et la paix. Voici que malhabile, il ne se comprend plus. N’est-il pas merveilleux ! Les feuilles ne se détachent plus des arbres. L’automne s’en est allé. L’exilé, tour à tour dans son gouffre de l’individualisme, par frayeur d’éternité et de liens de sang, ne perçoit plus sa déportation des faits. Le temps passe dans l’ordre de l’invérifiable. Oui, mais, qui le voit alors passer. En pesant tous les pour, les contre, sa chose, son portable ! Le moi voit le monde étendu à ses pieds. Tête première, il se frappe contre et se tue, revêtu alors d’une splendeur virginale sur une tombe qui ne le verra jamais mourir. En quelque sorte, il nous faut toujours quitter, perdre quelque chose pour grandir, où par une mystérieuse conviction de l’existence, il n’y a plus rien à garder qu’exercerait un « moi » dévotement royaliste. A vrai dire, c’est un peu cela qui se passe dès que nous nous crochons sens dessus dessous. Sans connaissance réelle, la vie disparaît. La vie intérieure ressemble alors à une stèle, les conflits de toutes sortes remontent en résurgence des caisses profondes de l’Inexisté. Les rideaux du passé se lèvent. Et soudain, la vie sociale devient vide, bruyante, impropre, comme si l’homme avait perdu son appartenance. C’est le cachot. Et bien que la vie nous éduque dans ses mystères, une vérité sans voile nous confirme homme debout dès notre entrée dans les entrailles de l’existé. N’est-ce pas la seule chose qui nous appartienne au monde, la liberté. C’est un mot que j’aime répéter 67 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde sans me lasser. Certes, ce suprême paradoxe est mit à l’épreuve dans chacune de nos relations, sous des débris du passé et des décombres de ce que nous projetons dans l’Inexisté4. Nous userons de cette perspective céleste jusqu’au dernier passage de la navette dans la trame. Ainsi coulent les caravanes humaines. De mon point de vue, nous ne faisons pas assez de modelage avec la vie de l’esprit. Esprit, encore un mot merveilleux, mais que nomme t-il ? Mais pire encore, les enseignements scolaires attribuent la réussite à un calcul, à des chiffres, à des comparaisons, à une accumulation de connaissances, de stratégies de réussite reposant sur de précieuses peurs. Rien de tel pour renforcer et nourrir le « p’tit je » et de le mettre ensuite en conflit avec le reste du monde. Nos enfants souffrent dans les écoles. Le convoi intellectuel les conduit dans un désert où ils ne peuvent plus jouer. Foi de Bergeron, Jehan, l’école enseigne au « petit homme » d’aller à l’envers de la vie. Cela fait partie des choses les plus incroyables du monde. Le monstre de l’intellect demande son dû, et tous les parents du monde font du chantage à leurs enfants : Fils, fille, si tu n’as pas de bonnes notes, alors tu n’auras pas ceci ou cela. Honte à ce monde adulte qui prive le ciel d’étoiles. Les préceptes de la punition et de la récompense ravagent la jeunesse. Il y a dans ce chantage, une souffrance contagieuse qui donne la mort à l’imagination. Quelle école de pirate et de conquistadors. Terre ! Je rétorque à tout cet insensible : vive l’école buissonnière. Fils, fille, enfant de toutes les saisons, de toutes les races, de toutes les cultures, levez la tête. Tout cela vous appartient. Quand enseignera-t-on une matière où dès la première heure du jour, les élèves iraient voir le lever du soleil avec leur 68 L’espace individuel professeur ? Apprendre n’est pas entasser des pensées du passé dans une mémoire analgésique, ni de passer des examens pour un illustre augure. Il semblerait que cette tare indéboulonnable soit enracinée dans le fonctionnement des fondements même de notre éducation. Mais le comprendrons-nous un jour autrement qu’avec notre tête d’eau. *** D’une solitude incomprise, nous cherchons trop à acquérir des connaissances dont on voudrait spéculer sur des terres sauvages. Et suite à cela est né le tumulte de la raison. Nous sommes devenus victimes bien qu’indispensable à notre chemin de vie, d’un savoir qui reflète le cri invisible de notre condition humaine. Oui, vraiment. Je veux parler de savoir qui n’insuffle aucune vie dans l’âme humaine et dans la vie sociale. Nos conditions de vie prennent une place si dramatique dans notre quotidien, que nous ne prêtons plus attention à « l’Existé ». Le soleil de l’intellect tape dur sur le cerveau. C’est une caractéristique de notre époque périlleuse et mécanisée. Nous n’existons guère simultanément et dans notre société quotidienne et dans le grand manège cosmique qui nous enveloppe. Comme si nous avions oublié notre présence à « ce qui est ». Perdre ainsi ce sens sacré, crée la tristesse, la souffrance, la névrose et la mélancolie profonde. Les connaissances biberons, pour la plupart d’entre nous, ici-bas, ne font qu’agrandir un fossé entre « ce qui est » et « ce qui n’existe pas ». Leur froissement modifie notre discernement. De la sorte, cela devient rude d’aller de l’avant vers l’homme debout, vers cet homme emporté par des rêves à réaliser. 69 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Trouver l’équilibre entre ces deux dimensions (coproduction conditionnelle et coproduction existentielle) n’est pas un fait durable ou bien qui se forme dans la rêverie spirituelle. Ce n’est pas de l’ordre des acquis mais du vivre. Tout ce qui s’inscrit dans le Temps, le passé, l’expérience, la mémoire, le « p’tit » je, n’est pas la vie. Plus difficile sans doute, mais ô combien nécessaire pour nous sortir de ce guet-apens psychique, plonger corps et âme dans cet équilibre à percevoir. L’équilibre instable est comme « ce qui est », toujours à reconsidérer et à vivre à l’échelle du réseau de l’instant. Exerçons-nous et vérifions. Il me semble que ce soit un chemin de sagesse pour découvrir un nouveau monde moral. Dans ce cas, la sagesse n’instruit pas. Elle n’est pas une expérience que l’on peut encoder. Elle est instrument de vie, de résonnance, de présence, de relation dans la spontanéité de « ce qui est », un langage. La corbeille est vide, tout peut venir. La vie tient la barre sur nos flots et la direction est la mer, la grande ouvreuse de serrures. « De la Source à la Mer », je me réjouis d’écrire sur ce thème, frère Jehan... *** Par-dessus bord, notre salut n’existe que parce qu’il y a partenariat, interdépendance, témoignage, contact et cohabitation, le cap vers des rivages toujours nouveaux, incessamment vers quelque grande aventure. Le moment venu, délivré de tant de leurres de la vie moderne, comme la réflexion analytique, on s’améliore au fil des routes incertaines. J’aime à le penser. 70 L’espace individuel Serait-ce alors que le système qui façonne nos conditions de vie n’associe plus la vie de l’individu aux forces de la vie dont il est issu. Voyons ce fait face à face et trouvons les moyens d’y répondre. Quant au « moi », résolu et détenu dans une clôture mentale, est-il capable de formes de vie sociale nouvelle ? Du matin au soir, par quoi est préoccupé Intellectus Premier ? Et la nuit encore, de la plus belle moitié de la vie ? Quel contenu de la conscience lui attribuer dans la vie quotidienne ? Qu’est-ce qui intéresse « petit je » en toutes circonstances ? Habiter l’espace de tant de contrastes semble être ces nourritures et revendications. Un espace qu’il structure sur des caractéristiques irréelles du temps, à la fois rongé par une indigestion du passé et préoccupé par une indisposition de l’avenir. A partir de cette structure imbécile du temps de l’Inexisté, à fond de cale, « petit je » peut alors fonder sa vision du monde qui lui reflètera une image de lui-même sur un axe du rationalisme, tout en dehors de « ce qui est » et de la sagesse de la vie. Il est prêt à ramer sur des mers indomptables. Et cet espace d’observation devient alors un conflit de fragmentation permanent. Sans libre choix, il est tantôt archer, parfois flèche, et souvent cible. C’est une approche existentielle primaire qui ne tient compte que de l’individu, dans un premier temps, où la société et la nature sont écartées et ensuite écartelées au vif de l’intellect. En conséquence, les intérêts et les penchants de l’homme ne rencontrent plus l’intelligence de la vie. Le reste, on l’a en face, à tous les moments du monde. Nous avons perdu le vol des papillons. Tu sais, Jehan, quoiqu’il arrive lors de ces prochaines décennies, la vie nous forcera à prendre la posture de l’équilibre instable pour éclaircir notre évolution et gagner notre cœur. Et bien que le temps, ne soit pas un facteur d’innovation, il nous réclamera aussi de reconsidérer l’espace individuel. Lorsque celui-ci est figé 71 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde au degré d’un « petit je », chaque geste, chaque pensée, part d’un centre où sont stockés les expériences et les conditionnements du passé. Ainsi tout se répète et revient constamment à une posture centrale : le reflet. Triste vie que la répétition où l’on n’entend plus l’air des chants d’oiseaux, le son des eaux, les cris de joie des enfants. Il n’y a plus de place pour une autre qualité de présence humaine à la vie, que celle que nous véhiculons mécaniquement, jusqu’à la soumission inéluctable d’une mémoire cellulaire. Bien que nous adjurons à la liberté, nous pouvons essayer de déprogrammer ou de programmer nos cellules, par des méthodes spectaculaires, mais tant que nous resterons dans ce principe de l’Inexisté, aucun changement n’adviendra. Les méthodes, la pensée, le « moi » ne nous libèrent pas du temps. Au plus, elles peuvent nous apaiser sur notre récit de vie et calmer nos lamentations existentielles. Il n’est guère possible de s’orner d’or à toute volée pour saluer la vie. *** Les images en mouvement produites par la technique font que la sensation est au premier plan. Ce sont des images réglées qui obéissent à des lois conventionnelles. Il y a-t-il relation entre l’homme et ses images ? L’image nous informe, nous allèche, nous communique quelque chose. C’est à cela que nous devons développer du discernement si nous ne voulons pas devenir la proie et le jouet de nos perceptions. Quel type de contenu recevonsnous de l’image et quels sont leurs effets sur notre comportement de manière générale ? Ces images intellectuelles appellent le temps et la mort sous le vent qui souffle. Quelque soit l’image que nous nous faisons 72 L’espace individuel de nous depuis notre psychisme, donc du temps, cette image en mémoire n’est pas la réalité de ce que nous sommes à l’instant de leur apparition. A toutes voiles, la vie est ailleurs. Nous voyons bien que ce reflet de réalité abstraite, pareil au gui est semblable à une puissante force qui repose sur un fondement sans aucune racine. Il reste néanmoins intéressant de comprendre sa raison d’être. La vie est pure relation, consciente d’elle-même dans la lumière fine des jours et des nuits. Le temps glisse sur son réseau de l’instant. C’est ainsi que le passé existe immense comme la blanche montagne. A quoi sert d’apprendre la somme théologique, tapi dans sa tête, si nous ne sommes pas en mesure d’entrer en relation avec la vie ? A s’en éloigner, assurément. Et nous glissons comme le temps. Même l’absence de sens a du sens. En tant qu’origine de toute conscience, la vie n’est pas une image centrée sur elle-même. La vie est un acte poétique, un phénomène de liberté, qui n’est pas soumis à la poussée d’un quelconque centre. La dynamique du vivant ne tire pas son mouvement du passé ou du futur. Malheureusement, le semblant d’exister donne un pouvoir immense au « moi ». Déjà, de nombreux indicateurs laissent penser que ce même « moi » est trop intervenu sur son environnement qui est une part de la dimension d’équilibre qui coproduit l’humanité. *** Est-ce qu’un « moi enflé » est différent d’un autre « petit je » qui gratte le globe ? Quand on examine les agissements de « p’tit je », qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, malgré les mille façons, le reflet est le même. Ce qui le coproduit est certes différent, 73 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde mais les agissements sont identiques, semblable à une seule et même énergie centripète. Selon les cultures, les civilisations, il se fondra soit dans l’âme du peuple soit il s’en démarquera comme s’il était une exception au détriment de ce qui le coproduit. Le torrent de la coproduction conditionnelle est le même, c’est une appartenance commune, qu’il soit au pôle nord ou au pôle sud. L’énergie Intellectus qui se construit à outrance d’irréalités, a pris racine dans le passé de la structure psychique du genre humain. On peut facilement distinguer les processus agités de notre condition humaine, dans la plupart des lieux où habitent les hommes sur terre. Il nous suffit juste d’observer. Le périmètre du passé est partout. C’est évident et effrayant. Un reflet n’est qu’une apparence fragmentée d’une réalité en mouvement qui le produit. Par nature Verbale, le mouvement se poursuit au contact des choses visibles et invisibles. Et c’est en cela qu’il y a création. Alors que l’homme, surplombé de psychologie malheureuse, donne une continuité à un reflet qu’aucune réalité n’engendre. L’interprétation du réel se faufile dans l’âme humaine qui s’autoproclame réalité autonome. Tout cela n’est pas très sérieux. Tel est le temps psychologique ou temps de l’Inexisté. Et quelque soient les mœurs, « p’tit je », prend le paquet. Aussi bien, s’il fallait chercher les racines de la souffrance, ce serait à l’intérieur de cette surprenante continuité qu’il nous faudrait investiguer, sur ce langage avec « ce qui n’est pas ». Parfois, Jehan, lorsque je suis dans la foule ou dans le train, je vois les humains comme s’ils appartenaient à des genres, des archétypes, à des catégories de civilisations et de traditions passées. Les formes des visages et des corps me rappellent les cultures et les traditions d’autrefois, les pensées et les croyances d’antan, comme si en fait, rien n’avait changé d’un pouce. 74 L’espace individuel Enfin, ce sont toujours les mêmes histoires longuement préparées qui se répètent, car l’homme est resté claquemuré par un conditionnement ancestral actif dans tous les domaines de l’histoire et des contextes sociaux. L’inconscient n’existe pas, il est manifeste et pleinement conscient. Comme si les siècles avaient véhiculé un état de fatalité émotionnelle et mentale particulier du genre humain. C’est très étrange. Il semble que l’énergie qui nous anime est la même, l’espace individuel aussi, ce qui peut vraiment nous différencier est la manière dont nous entrons en contact avec cette énergie suprême, sinon, sur le plan comportemental et celui de la pensée, l’homme se ressemble énormément. Le passé est toujours présent. L’homme ne créé guère de la vie nouvelle. Il réitère des phénomènes issus du temps. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet sur les phénomènes de notre vie sociale. Le passé est comme un rhizome de ce qui nous pousse à aller de l’avant, une étape pour grandir, bien sûr, à la seule condition que les racines du passé ne sortent pas de terre car nous serions retenus captifs dans ses nœuds. Oui, comme je te le disais, ce reflet de soi va donner un pouvoir immense au « moi », avec un degré de complexité à couper le souffle tant il est justifiable à souhait par l’intellect. Il nous faudrait faire une distinction fondamentale entre ce « je » qui habite l’espace individuel et cet espace individuel vidé de son contenu. C’est-à-dire un espace dépourvu de la préoccupation permanente du « moi » à exister. Telle est la nature du conflit. Décidément, à se demander pourquoi les faits réels sont occultés, et pourquoi l’Inexisté prend une place prééminente dans le genre humain d’où découlent de désastreuses conséquences sur le psychisme et le corps physique. D’après mes retours à l’évidence et aux renoncements de certaines parures quotidiennes, il me semble que c’est à partir d’une non existence du « petit je » 75 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde que se trouve un amour de la vie, un élan vers le grand Ciel. Cet effacement progressif du regard immobile du « p’tit je », permet l’apparition d’une autre qualité de présence. Comme critères, je retiendrais la fraîcheur et la spontanéité surprenante de l’esprit. Il s’agit d’une croissance de la vie intérieure qui n’est plus de l’ordre et des principes du « moi ». Dans cette espèce de dépouillement nous sortons de la persécution de « devenir un quelqu’un ou une quelqu’une » dans une société stressante où l’homme subit un terrible besoin d’être consoler par la nature. Cette « porte de relation » passe par une autre intelligence qu’Intellectus, que la pensée morte, qu’un moi, qu’une religion, qu’une méthode occulte ou une garde rapprochée. Voilà des pensées qui pourraient t’apparaître comme choquantes, mais je pense, Jehan, qu’un des problèmes de notre évolution, de nos sociétés, c’est que nous n’intéressons pas assez l’être de la vie. Nous dormons témoins craintifs de nos inquiétudes. Une grande révolution existentielle serait d’intéresser en tout genre, la vie dans ce que nous avons de meilleur en nous-mêmes. La conscience ne permet pas l’état de confusion. Du moins, je l’imagine, le mot « intéressé », dans ce cas, suscite de la curiosité, du changement, de l’apprentissage, de l’immédiateté pour l’amour, le merveilleux, la paix, la pensée noble, les forces du cœur. Ainsi, nous parvenons à ne garder que l’essentiel et à nous laisser pénétrer par l’intelligence de la vie. C’est dans ce sens que le « moi », n’est qu’une étape, un outil de travail dans ce tourbillon de la condition humaine. Dès que le « je » est perçu par cette qualité d’être qui ne peut jaillir que d’un espace individuel dégagé du « moi », les agissements de l’ego s’estompent. L’acte égocentrique se décharge, naturellement, ni plus ni moins. Dit d’une autre façon, l’homme neuronal s’efface, une vie nouvelle échoit. Une bougie s’allume dans une vaste pièce 76 L’espace individuel sombre et la tempère d’une lueur. C’est une ambiance où ne flotte pas une zone douteuse de la vie. L’ego auquel est voué un culte sans précédent ne pèse pas lourd devant l’innocence végétale. Il arrive souvent que des hommes nourris à l’égocentrisme durant des années craquent soudainement devant des bourgeons qui ont entrepris leurs percées et qui éclatent en fleurs. Ainsi, la pureté de la nature les ramène à autre chose qu’à des mécanismes qui coproduisent le « p’tit je ». Si l’on examine bien la difficulté dans notre vie quotidienne, nous identifions que le système qui coproduit nos conditions de vie est basé sur le « moi », les croyances du « moi ». C’est dans cet état psychique qu’il en résulte une continuité d’un passé mémorisé dans un temps qui n’a aucune relation avec le réseau de l’instant. Lorsque l’on comprend cette évidence, notre vie est changée à jamais. Nos projets de vie renaissent à leur plus haut degré. L’ego, soutenant la thèse de son existence propre, a pris une fonction débordante qui va jusqu’à la grande bataille relationnelle des « je » contre « je ». Quelle bourrasque neurologique, mes aïeux ! Ces tourmentes qu’il génère dans le cerveau n’est pas des moindre pour la santé. Encore une fois, tous nos maux sont là, inscrit dans notre chair, si proches de nous, que nous passons sans rien voir et sans saisir les nuances complexes et étendues. Et comme de coutume, plus les hommes cherchent à s’expliquer leurs problèmes et moins ils les comprennent. Les muscles se contractent et les vertèbres résonnent pareilles à un misérable consistoire de prophètes. Nous sentons bien qu’à certains moments de notre vie, le langage du corps se transforme tout en ne cessant pas de nous dire quelque chose. Nos symptômes illustrent remarquablement nos bobos de l’âme dans un domaine particulier de psychologie de liens et de sens. A chaque fois que 77 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde nous grandissons, des transformations correspondent à des changements assez profonds. On peut le concevoir comme des signes du destin. On peut penser à la France et au nombre de médicaments qui sont vendus dans ce pays, en particulier, les neuroleptiques et les anxiolytiques. Dans une situation telle, quels sont les apprentissages que peut faire l’individu pour améliorer sa condition de vie, donc aussi celle du système. Les psychotropes modifient un état de conscience qui ne passe pas par un acte de conscience. Avons-nous vraiment compris le sens de la souffrance ? Ne s’agitil pas d’une zone d’ombre qui est restée détenue et entretenue par le Temps de l’Inexisté ? A cet état, on peut parler de dépendance médicale. Seulement, comme tout ce qui se situe dans le temps, quand vient la crue, des résidus remonteront à la surface. Ce qui vient en partie de nous-mêmes tire son origine d’une vaine rencontre existentielle. Il serait vain d’attribuer à nos faits et gestes une seule cause extérieure. Nous devons déchiffrer ce qui se passe. Nous sommes sensiblement impliqués et c’est bien là tout le chemin légendaire de la connaissance de soi et d’un éventuel, non soi. Si la vie existe aussi au-delà du temps et d’un espace clos que nous produisons dans notre cerveau, il se trouverait là une nouvelle porte, un autre chemin à explorer en ce qui concerne notre biographie intérieure. Les civilisations d’autrefois en relation avec leur propre équilibre existentiel ont subi des choses effroyables infligées par d’autres civilisations éduquées par la linéarité de la coproduction conditionnelle. Certaines ethnies endurent encore des profits qui déforment leur environnement, ce qui déstabilise immédiatement leur équilibre de vie et pose problème à leur identité. 78 L’espace individuel Désormais, ces gens-là doivent retrouver leur valeur identitaire mais à partir d’un nouveau système de coproduction d’appartenance, et là est toute la difficulté, car il s’agit d’homme debout, de peuplades, de tribus, d’ethnie, de mœurs des plus familières, de mode de vie, dont la stabilité légendaire a été totalement ébranlée. Est-ce que leurs cultures ont été considérées comme un bien de l’humanité ? Cela le devrait. Paradoxalement, étouffés par la coproduction condi tionnelle, nous vivons aussi un problème similaire dans nos sociétés actuelles. Nous sommes à la recherche d’un équilibre entre les forces qui nous viennent de l’intelligence de la vie et les forces qui conditionnent nos conditions de vie. Du puissant symptôme existentiel qui nous dore au soleil, cela nous demande beaucoup de discernement, de conscience, de sagesse, et une totale remise en question, n’est-ce pas, très cher Jehan. Le symptôme existentiel a une fonction sans repos que nous devons découvrir, seul, dans le sens de la vie des autres. En quelque sorte, moins on alimente le « p’tit je », meilleure est notre santé mentale et physique ainsi que celle de nos semblables. Notre capital spirituel s’en trouve ainsi dynamisé par une interdépendance qui insuffle de la vie à la coproduction conditionnelle. Le plus grand problème de l’homme est en fait son identité. L’identité et l’appartenance sont liées à des niveaux infinis dans des formes toujours cadencées. Le « je » n’est pas une identité autonome qui murit sur des branches suspendues dans une forêt. Ce qui le coproduit n’est pas une appartenance mais un mouvement de faits et de mille explications et ressentis qui à la recherche de causes glissent sur l’instant, laissant derrière eux des énergies des marais Et déjà, les interprétations vaseuses ne sont plus. Ce qu’elles ont généré ont rendu l’arbre sans racine, car leur porteur ne cherchait pas des 79 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde liens, du partenariat, du sens, mais des causes. Mais il ne peut pas en être autrement si englué en aval de nos vies, le centre de nos perceptions reste un mémorable entretien avec le passé. C’est incontournable. Des écorces psychiques se forment et nous délient de tout ce qui vient. Nous devenons de plus en plus, juges, compliqués et paradoxal, semblable à de la rouille qui nous enserre. On enlève mais ça revient. Le feu se hâte sur nos chairs, nos fronts se font grondeurs de faits, nos veines roulent du sang furieux. Toute résonnance en dehors de « ce qui est » est forcément un lien du passé. Et le passé ne peut être coprésent avec le réseau de l’instant. Tant que le passé n’est pas transformé il y a une distorsion énergétique du tout premier ordre. J’inspire le ciel et j’expire du fini. L’apprentissage est de s’extraire de ce processus sans intermédiaire, sans reprendre avec nous « p’tit je » et ses annales. Il n’en reste pas moins que ce qui reste à demeure merveilleux dans la création de cette aliénation, c’est que chaque instant de la vie nous tend une perche pour nous exercer à cette libération. L’unisson que nous pouvons assimiler à une présence d’esprit est à reconsidérer à chaque souffle de l’instant. Notre présence à la vie est un exercice d’équilibre dévoué à l’impermanence, à l’interdépendance et à l’interaction, et ce changement passe inévitablement par la déconstruction du « je ». Bien que concerné par cette solitude intégrale, je ne pense pas que cela soit actuellement du ressort de l’administration scientifique, juridique, politique ou économique, d’insuffler ce dynamisme de vie dans notre contexte social. Dans l’apprentissage de la cohabitation, tout indique que nos semblables, la nature, et ses merveilles, en d’autres termes, l’expression de l’intelligence de la vie est le partenaire soudain d’évolution du genre humain. En 80 L’espace individuel résumé, ce qui peut nous sortir du marasme de l’egoité est cette intention d’être un réel partenaire à son tour. A cet effet, nous pouvons nous demander si les prouesses des technosciences, celles de l’éducation basée sur le chiffre, la performance et la comparaison ont effacé tout espoir de muter en partenaire ? Attaché au « moi » et à ses évanescences, l’homme s’empêche de découvrir la béance cosmique à demeure dans son espace individuel. Il s’évague de la grande Odyssée, s’en exclut. Et au pire, il se transforme carrément lui-même en marchandise mesurable et normée qu’il tentera d’exprimer intelligente sa vie durant. La difficulté sera de déchiffrer ce qu’est le mouvement de la vie et celui de l’évolution. De cette distinction d’exister, il nous suffit tout simplement d’être vrai. L’évolution du genre humain est intégrée à un grand ensemble stable et toujours en changement. Seulement, la perte de conscience de cette Odyssée nous fait grand défaut. Il y a au loin, en effet, ce qui est si proche de nous, mais tous deux sont une seule et même chose. L’espace et la distance ne sont en aucun cas une cause de fragmentation. Et c’est ce regard lucide intense, pénétré, grand ouvert et généreux sur ces deux aspects partenaires, que nous changerons, là où l’on est appelé à être. Tout cela ne manque ni de grandeur ni de profondeur. 81 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde 82 L’espace individuel Le 3 décembre et des poussières Trouver seul, le sens de sa vie dans le sens de la vie des autres A notre époque où l’on parle de formation, de connaissance, d’outil, de technique, de coatching, de devenir, de thérapie, d’éthique, de performance à tout bout de champ, il n’est pas facile d’entendre ce genre de propos : « nous trouvons, seul, le sens de la vie, de sa vie, dans le sens de la vie des autres ». Est-ce qu’il nous serait possible de regarder cette réalité sans ouvrir une valise de savoir qui à bien des titres, essouffle le voyage ? Pourquoi donc, parlons- nous si rarement d’amour ? N’est-ce pas ce qui nous est demandé ici-bas, l’amour ? D’un vouloir maladif de prestige, du précieux espoir, du bel album, nous sommes toujours à la recherche de succès, d’estime, de nouvel argent, de nouveaux plaisirs, de nouveaux diplômes, de nouvelles guerres, de subites réalisations, de soudains records, de reconnaissance, avec des critères victimes de la même illusion : exister plus sur des terres promises et jouer sur un jeu de mikado du MOI géant. 83 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Il est temps de dire que tout ce dont nous faisons, pensons, respirons, doit être écrit sur des PV, rédigé, classé, analysé, validé, certifié, pour satisfaire la soif de normes qui ramènent l’ego tout droit vers la spécialisation de lui-même, vers la séparation et la division. Exactement là, où le reflet l’a coproduit dans le Temps de l’Inexisté. C’est une geôle où nous passons simultanément du rôle de prisonnier à celui de gardien. A un moment donné, il est impératif de comprendre que nous ne vivons plus. Suite à cela, des perspectives de toute part s’ouvriront. C’est l’état de l’éveil qui précède l’état de joie. Réintégrer le vivant est un travail pratique dépourvu de toute faculté intellectuelle. Le Ciel et la Terre sont en nous, c’est juste que nous n’habitons plus notre maison de voyage. Je pourrai aussi bien dire Jehan, que celui qui ordonne à nos voiles de chercher sans cesse dans des mers lointaines et agitées est un pirate au service de personne. Et « personne » prend ainsi vie. La situation est irréelle et intestine, mais pourtant si vraie. L’intellect est une canaille, certes nécessaire, mais une canaille qui montre les aspects opposés d’une réalité sans duels. En pleine terre, tout est là, maintenant, incontestablement, ici même où nous nous trouvons. Bâillonnons notre tête d’eau, observons… écoutons… Tout est pur à celui qui sait être présent, le plus simplement du monde. De grâce ! Ce n’est pas le « je » qui est en présence. Il y a une ambiance de la première fois. Discernons Jehan, ce qui est du « je » de la présence de notre être. Semblerait-il qu’il y a comme une résonnance naturelle du réseau de l’instant. Il y a les hommes présents à l’instant et les hommes absents de l’instant. Immanquablement, même si on a du mal à situer les issues, on découvre que tout cela a un sens profond dans la construction de l’histoire de l’humanité. Les fréquences se 84 Le 3 décembre et des poussières rassemblent toujours au moment juste de la vie. Les rencontres humaines sont pleines du sens de la vie. Si aujourd’hui, tant d’hommes, de femmes et d’enfants souffrent d’un mal être, ou d’un mal de dos si disculpé, n’est-ce point à cause d’un état névrotique contraint de ce que l’on a été et de ce que l’on veut à tout prix devenir. Quelle cassure dans le temps ! Il nous faut à tout prix devenir quelqu’un, un quelqu’une, un quelque chose et maintenir cet acquis sans trêve sur la pointe du monstre fangeux de la tête. Rien de tel pour craindre la condition humaine et pour bâtir des stratégies de vivre basées sur la peur d’exister. Dès lors, nous vivons dans des forteresses, assis sur un trône que nous appellerons réalité, sécurité. L’intellect est sans cesse préoccupé par de quelconque éclairage qui le regarde en avant, en arrière, et qui le photographie sous toutes ses coutures. Voici que l’on attribue même dans les milieux de biens portants, la prétendue réussite du p’tit homme à ses notes scolaire. Je me souviens d’une mère de famille qui disait à son fils adolescent : « si tu n’as pas ta moyenne dans toutes les matières, tu n’auras pas de mobylette. » Quelle étrange pédagogie de la réussite ! Pauvre gamin et triste parent. Misère. Mais, dès cet instant de mort de l’âme, le quotidien hasardeux devient opaque, éventré. Ainsi, les créateurs de vérités foisonnent au-dedans du crâne, aux prises avec d’autres générations qui n’ont pas renoncé à ce qu’elles tenaient pour vrai dans les alentours de leurs têtes d’eau. Et l’eau y est stagnante, l’atmosphère pesante, à cause de vannes énergétiques complètement grippées. Ah ! Cela ne risquait pas de nous arriver à nous autres, angelots par bonds, adeptes de 85 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde l’école buissonnière, révoltés dès le biberon, qu’un adulte nous force à faire des études. N’est-ce pas, Jehan, de nos jours, les enfants apprennent de leurs proches, avec je ne sais quelle suffisance que s’ils ont de mauvaises notes à l’école, la vie avec leur semblable leur sera particulièrement difficile. Allons donc ! Les meurtriers de l’instant sont plus que jamais de retour parmi le peuple des ombres. Quelle moisissure de la pensée morte encore à l’œuvre dans les foyers et les écoles. Qui trompe qui ? Avant de devenir quoi que ce soit, l’on est quelque chose et n’est-ce point ce quelque chose, la raison première de notre bonheur de vivre sur la Planète Bleue. Certainement. J’ai découvert cette évidence lors de mon admission à l’école buissonnière. J’étais premier partout sans passer aucun examen. Par ailleurs, l’école des rivières et des bois nous a formés à toutes les épreuves de la vie ainsi qu’à l’émerveillement de « ce qui est ». Profondément inspirés, nous avions toujours la moyenne et ce, à chaque saison. Lors des examens en plein air, les 20 sur 20 pleuvaient au rythme des tambours de la pluie. On avait pris la responsabilité de jouer notre rôle : celui d’être enfant quand on est enfant. Et cela, nous l’avions bien compris, Jehan. Mais comment deviner la vie en nous si nous restons constamment tirés vers le mérite, simultanément lancés en avant vers la récompense écartelée, porteur d’un prénom que nous ne savons plus entendre et d’un nom dont nous n’arrivons plus à nous délivrer. Monsieur un tel au tableau disait le professeur ? Et Bocampe l’insolent de lui répondre, « il n’en est pas question, m’sieur Seguin ». Ah ! ca, je vous assure qu’il n’aimait pas du tout. Cela lui retournait le système nerveux dans tout les sens. Vinzou ! Pauvre vieux, quand j’y pense ! Il a dégusté la pleine face Nord Intellectus Premier. 86 Le 3 décembre et des poussières Oui, à n’en point douter, l’intelligence de la vie se révèle à nous dans un grand et profond silence d’où vient son jeu secret du mouvement, de sa stabilité et de son perpétuel changement. Observons, de l’humus à la tête des arbres. Les saisons ont tant à nous initier. Tout est là, si simple, que c’est à se demander pourquoi nous passons à côté sans ne rien sentir. Il y a en arrière-plan, et ce, malgré les indéboulonnables modèles parentaux, historiques, sociaux, un besoin obsessionnel d’attribuer la réussite du salut humain à un volume de connaissances auxquelles l’homme doit répondre, par des notes, des contrôles, des examens, des exigences, des tests, supposés prendre en charge le destin de l’individu et des collectivités. Poison, car on ne répond plus à la sensibilité humaine. Dès son jeune âge, sous peine d’odieux chantages et de reproches, le p’tit homme est appelé à devenir un spécialiste, entre son premier outil de vie, donc, le « moi » et la horde du monde qui le coproduit intellectuellement et émotionnellement. Telle est l’une des composantes de sa fatalité où le monstre du calcul, bête du chiffre et de l’analyse, conditionne sa destinée. Terre dure de l’insensé ! A ne pas s’y méprendre, quel cocktail explosif pour oublier ses propres forces du cœur. Mais demandons-nous ce qu’il existe entre ce « moi » et la horde ? Comme j’ai essayé de te l’exprimer, un principe d’évolution par excellence est de rejoindre consciemment une dynamique d’ensemble, à commencer par la réalité des autres, aussi étrange puisse-t-elle paraître à prime abord. Et les autres, ce ne sont pas que des hommes, c’est aussi tout ce qui est doué de vie, le réseau de l’instant d’où surgit toutes les facettes de la vie. C’est aussi un principe vital qui fort de son enthousiasme évolue vers des états de consciences nouveaux. 87 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Mais, n’est-ce pas Jehan, à force de pollution du « p’tit je », toutes les réalités que nous rejoignons, nous les concevons, les contrôlons, les analysons. Ensuite, nous nous impliquons avec un « moi » qui ramène la récolte de ses perceptions dans un centre qui le coupe du monde et le consolide dans son isolement. L’homme moderne a peine à pleurer. Tout est sous surveillance, sous armure. C’est le cachot mental, ordinaire. L’une des manifestations de la myopie du « moi » est de nous cantonner essentiellement dans un reflet qui ne peut pas se mettre en rapport avec la vie. Inattentif, le « moi » est la majeure partie de son temps en rapport avec les flonflons de ce qui le coproduit. De la sorte, nous ne pouvons pas comprendre que la vie a des intentions, qu’elle est intelligence et qu’elle possède un langage. Intelligence exprimée par la relation, la communication, les évènements, les phénomènes visibles et invisibles à travers tout ce qui est doué de vie (réseau de l’instant). L’identité d’un être n’est pas quelque chose d’immobile et les critères de juger la réalité de l’autre, pour ensuite la clouer comme nuisible ne nous conduisent pas à comprendre la raison de cette réalité, ce qui induit un conflit immédiat de normes et de valeurs que l’on retrouve quasi partout dans notre société. Dit autrement, cet attachement à l’apparence et à l’interprétation des faits nous reconduit à ce que nous tenons pour vrai, donc au passé, à la clôture mentale. L’histoire est en fait toujours la même puisque elle n’est pas libérée de son passé. Les pensées ne frôlent guère avec le silence ni les mots avec la fraîcheur de l’inconnu. La vie nouvelle ne peut surgir car nos créateurs de vérité et nos inventeurs de réalité l’en empêchent. Et ces usurpateurs sont ancrés en nous comme un fait habituel. 88 Le 3 décembre et des poussières Nous bloquons notre changement. Et sans pouvoir se raviser, à chaque fois que l’homme tourne la tête, les tables anciennes se retournent, les griefs s’ordonnent aux quatre points cardinaux, la surabondance de la vie s’en va alors vers des mers lointaines. Le « moi », bien carré parmi les formes et pleins d’astuces, identifié avec un préconstruit, confondu avec un préjugé, résulte non seulement d’un reflet, mais aussi d’un effet qui se salue dans ses eaux. Un effet réductionniste qui stoppe l’évolution. Et cela commence par celui qui est porteur de cette conséquence. L’effet sournois en question ne se porte pas seulement sur le genre humain mais aussi sur ce qui est doué de vie. L’effet qu’il ne ressent plus s’inscrit dans un temps, en proie avec le prolongement du passé, dans un mouvement qui s’accroche à ce « qui n’est plus ». Telle est la particularité de la mémoire, de cette grande réserve, elle se rappelle de tout, jusque dans les moindres détails. Et que nous enseigne la mémoire si ce n’est que celui qui se rappelle, celui qui l’observe est passé. Or, quand l’inconscient monte en surface, la lumière de l’instant le dissout dans son réseau. Le « je » s’efface l’instant d’un soupir. Le « Respir » apparaît naturellement. En ce sens, aucune mémoire, aucune souffrance ne peut trouver un point d’appuie dans la totalité de l’instant. Tel est le miracle qui réside au sein même de la simplicité. L’homme a beau secouer son cerveau, il ne s’entend pas moudre ses pensées. Et réduites en poudre, elles créent un faux plancher cérébral. Et à chaque fois que l’homme pense cela grince dans ses articulations. Il n’est pas là, et ce sont les craquements de fantôme sur ce plancher qui nous l’enseignent. 89 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Mais il y a pire encore. Fixé dans l’oubli de l’instant, l’effet des pensées mortes dans un enjouement dramatique de réactions devient destructeur dans sa continuité. L’effet porte aussi une information basée sur une mémoire introuvable qui ressortira, bien entendu, à chaque atmosphère maligne. Sûrement une nécessité de l’évolution que nous devons pénétrer pour nous en faire un chemin de connaissance de soi. Telle est l’une de nos plus grandes difficultés mais c’est de cette semence que naît le changement à la vie. Juger est folie. Le jugement est une maladie de l’esprit qui nous éloigne de notre vraie nature. Le « moi » s’y laisse prendre au cœur même de ce qui le coproduit. La vie quotidienne devient alors problématique. Qui plus est, c’est une digression antihumaniste. On peut ainsi aisément comprendre les problèmes que posent la relation humaine et celui d’exister homme debout ici-bas. Nous récoltons ce que nous semons est un dicton des anciens qui en dit long sur l’évidence. C’est toujours ainsi que nos malheurs commencent, et aussi réel que ses nuits, l’homme a des herbiers vaseux à nettoyer. Des herbiers psychiques qu’il crée et reproduit dans le papillonnement de ses peurs et de ses désirs. Je reprends tes craintes futures que tu proclames haut et fort concernant les idéologies du « moi » qui risquent d’instrumentaliser le genre humain. Le sens de la vie des autres est un principe de vie purement naturel et l’ensemble du mystère d’amour ne peut devenir réalité que les uns avec les autres. Exister est en soi une énergie qui ne se résume pas à une prétendue réalisation d’un « moi » noyé dans l’insignifiance de l’humanité. Seul le moi peux se sentir séparer des autres, mais l’intelligence de vie en nous, porteuse du même amour ne connaît pas ce type de fragmentation. Même si nous ne 90 Le 3 décembre et des poussières l’avons toujours pas compris… Tout est relié par les qualités d’une infinie lumière. Tout ce qui est en bas doit monter à la hauteur de l’infini, et là, il y a sur cette route de l’infinitude, l’amour. Pour l’heure, plus l’homme se coupe de la vie par exemple, par le biais des technosciences, de l’intellect, plus en effet, il y a de découvertes scientifiques à haut risque. Ce qui est normal. J’ai dans l’esprit qu’on tombera de haut d’un grand et seul geste net. Lorsqu’on n’est pas dans la vie, on modifie malencontreusement son état cellulaire, et l’Inexisté à outrance et aux motifs sombres, agit à nouveau, que ce soit dans le domaine de la biogénétique, du numérique, de la politique, de l’économie, de la santé, du mariage, du social, c’est ainsi. Nous avons ce phénomène devant nous à chaque instant, mais comme cette pathologie est certifiée, donc reconnue comme normale, nous n’y prêtons plus garde, de sorte qu’elle s’inscrit dans nos fonctionnements. L’Inexisté prend la place de la vie avec toutes les variétés rocambolesques du psychisme humain. Il y aura donc de plus en plus de découvertes immorales, ambulantes, et bien entendu, avec du cousu tête, de nouvelles maladies désastreuses et de soudains problèmes sociaux corsés. La réponse de la vie à notre pestilence intellectuelle est la preuve par excellence de l’interdépendance et de l’interaction de tous les règnes du vivant. Mais pour l’instant, dans l’histoire du genre humain, l’homme bataille pour avoir les meilleurs emplacements dans la coproduction conditionnelle. Misère des sept nuits du genre humain qui depuis toujours frappe la condition humaine. Des murs de l’âme humaine, brûlés de leur feu, les Etats maîtres mettent en avant le progrès, l’évolution, le partage, ainsi qu’une nouvelle construction de la personnalité associée à tous ces joujoux des technosciences et de leurs guerres organisées. 91 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde En fait, ils nous renvoient directement au « moi » médiatisé ou à une âme groupe de « moi » neuronal, englobant une sorte de peuple mouton intégral qui sera dans les temps à venir plus facile à gouverner. Mais en ceci, l’homme dormira dans le déséquilibre de son sang. Je crois que le sens de la vie des autres, c’est-à-dire aussi une coproduction de nous-mêmes, nous interroge fondamentalement sur le sens sacré du vivant. Le sens de la vie des autres, c’est aussi la nature Universelle du genre humain dans une époustouflante odyssée cosmique. Nous sommes tous membres à part entière du Grand Manège. Jehan, très sérieusement, l’homme est-il devenu si sot dans l’accumulation de son savoir qu’il en oublié l’évidence de l’Existé ? Nous ne pouvons plus nous contenter de dire que ce qui se passe là-bas n’a pas de conséquence ici. Nous sommes partie intégrante de tout ce qui se passe dans le monde même si nous persistons à l’ignorer. Et cette intégration au vivant est spontanée, immédiate. Il n’y a que la pensée morte et le « moi », pour l’analyser ou l’observer comme s’il en était dissocié. Le principe d’évolution du genre humain est un principe de vie que chaque homme porte en lui du simple fait d’exister. Il n’y a pas de degré, de palier, dans l’accession à ce principe de vie. L’état d’être est immédiat, dans l’immesurable instant. Cette présence à la vie n’est pas ramenée au rang de moyens, de castes ou de méthodes. Je peux comprendre que le grand manège peut engendrer en l’homme du merveilleux autant que de l’effroi. Et bien que les sciences aient voulu dans leurs intentions premières améliorer la condition humaine, elles transportent l’homme sur un seuil où celui-ci perd gentiment l’équilibre entre « ce qu’il n’est pas », « ce qui est », l’intelligence de la vie et l’Inexisté. 92 Le 3 décembre et des poussières La vie est un cadeau, et l’instrumentalisation du genre humain par les sciences ne pourront pas s’approprier ce cadeau, car la donneuse est un principe divin où n’existe pas la fragmentation. L’Unité ne pourra pas être étudiée dans un laboratoire et être reconfigurée quelles que soient les apprentis sorciers. Les résultats des sciences actuelles ne portent pas d’intentions de vie, de projets de vie, tout bonnement par ce qu’elles ne sont pas douées de vie. A la longue, il y a de fortes chances que tous ces soit-disant progrès détruisent les facultés qui nous permettent d’entrer en contact avec le vivant. L’homme peut insuffler autant d’intellect dans ses découvertes, aucune d’entre elle ne prendra vie. Certes, elles porteront des informations, des données, des facilités, de la sensation forte, elles feront croire au miracle. On le voit bien avec la médecine, c’est une science championne pour approcher un symptôme avec de la chimie, mais totalement ignorante sur ce qui a créé la maladie et ses symptômes. L’homme n’est jamais considéré comme un Enfant du Ciel. Une science de l’esprit se porterait sur l’origine des choses pour trouver des solutions. L’approche holistique serait une réponse à la vie et à l’homme, mais ce travail d’investigation demande d’aller à la rencontre de la vie et de se mettre en relation avec. Comprenons-nous bien, Jehan, peut-on aller à la rencontre de la vie avec son « moi », un intellect aux trousses, qui par primauté nous sépare du réseau de l’instant ? 93 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde 94 Anecdote en mer descendante C iel, Jehan ! Alors que ce matin, je me masse les cheveux avec de l’huile d’argan, d’un réconfort irlandais, je tourne chacune des pages de « Lettre à un homme comme tout le monde ». Combien ai-je aimé tes intentions sur la prise de conscience. Et me confiant enfin quelque peu, c’est le ressac de la grande poésie que je retrouve après tant de chagrin fixé entre l’individu et le tourbillon collectif de l’humanité. Tu sais, mon ami des hauts plateaux, toi, mon héro de la « Planète Bleue », 5, tu te souviens ! Dire que j’ai failli perdre mon cœur pour un être féminin trop ardu pour ma sensibilité. Quel revirement spontané, sans y entendre une traîtresse présence, ce séjour à Montreux creusait mon exil au regard emprisonné. Pour un amour aux gants blancs, captif dans une toile d’araignée, j’en avais oublié de voir le monde dans son entier. Sans fondre en larmes, je me suis fait dévorer tel un possesseur devenu possédé. Leçon dans la leçon ! Lorsque, durant ces moments de fleurs fanées, tu m’as confirmé que j’appartenais à la Terre mère, à l’Etoile et au monde des Bergers, tu as envoyé en fait des forces de vie à mon secours. 95 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Mes deux mains se sont ouvertes et ont vibré. Du grand espace Celte rouvert dans mon ciel, j’ai accueilli les forces Atlantique. Mes pieds trouvèrent le courage de quitter une dragonne si belle à mon cœur que mes yeux s’étaient clos au reste du monde. L’instant de penser à mes projets de vie était arrivé pile à l’heure. Comment louper un tel rendez-vous ? Si bien que dans cette Riviera aux claquements de surface et de temps qui fuit, aveugle, le cœur clairsemé dans l’antre oublié de mes intentions, je me suis noyé dans une société accélérée d’artifices. Seule cette vue sur les Alpes pleine de grâce et de pensée secrète prêtait vie aux pincements de mon cœur. Par aubaine des meilleurs auspices, ta lettre est arrivée comme un solitaire bond dans toutes les boîtes aux lettres du monde. Et ce matin d’hiver où je la reçue, je suis devenu un élan, pétri des rêveries du promeneur solitaire. Ciel encore ! L’apprentissage, le rêve, la déchirure, le royaume du moi. Le cocktail a appelé les larmes et les larmes m’ont rappelé à la vraie vie. Complètement responsable à la fois de ma propre situation d’âme, je compris ma perte d’oxygène pour un morceau de chair qui s’éveille, à la fois rigide, baroque et en même temps si éblouissant de reflets. Qu’est-ce que je suis allé chercher dans le genre humain ? Une nostalgie de l’adolescence, une image confite de l’humanité, un face à face avec l’ignorance, un tête à tête avec l’apparence superficielle de mon propre reflet ? Bingo ! Tandis que l’amour inspire derrière le bris de l’horizon, séduit par un monde de surface, cette expérience de non vie me retarda sur ma route tout en sonnant les heures de mon fauxfuyant. Tel était mon chemin. Un grand chemin… Il convenait à ma conscience une grande Débroussaille du monde de l’âme. 96 Anecdote en mer descendante Du vase clos de la contrainte et de la méchanceté, volteface avec un ego qui froisse et crache du feu, je me suis échappé d’un sceau mystérieux d’apparats et d’envoûtements. La grande évasion. Le tunnel mis à jour. Les cavernes éclairées. L’électron libre sur les Terres de verdure. Nécessairement, c’était une chance extraordinaire, une fois de plus que de retrouver la couleur verte de ma naissance. Fallait-il encore traverser cette image bouleversante de l’humanité et ne pas faire d’un mal une affaire personnelle à un point tel qu’il nous appartienne. Dans un grognement du paraître, jusqu’à mon dernier bien, j’extirpai de mon âme, un venin du monde des parasites que voici : « Poète, ta plume ne vivra plus sous le toit des âmes ». Autant dire que sans poésie dans ma vie, j’étais comme mort, même pire encore. Pas question d’abandonner ce qui m’a vu naître. Et bien que mon libre choix fut de partir sans marchandage, ma tristesse fut marquée et profonde. Il me paraissait impossible de quitter des enfants que j’aimais tant. Néanmoins, tous ces concours de circonstances déchirant m’ont permis de poursuivre l’apprentissage de l’homme debout. Même si la mariée est restée trop belle, je ne m’en plains pas. N’est-ce pas la mort de certains jours qui lorsque nous les quittons définitivement appelle le vivant… Guérir, vivre, devient réalité. Après tout, l’initiative vient de nous, et nous venons directement de la Grande Odyssée. Ah ! La route s’annonce longue en Terre Celtique, mais aux antiques soins, et quelle que soit l’histoire oublié, aucun cœur de poète n’a jamais été retenu par quelconque dragon, si fatal soitil. Il m’a fallut faire un choix pour un nouveau départ. Et ce choix douloureux fut initiatique. Il m’a permis d’éclairer ce qui en mon âme n’avait pas de lumière au-dedans. 97 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde De déchirement et de dispersion, mon glaive s’est brisé devant le grand chêne. Blessé, le cœur en danse de chagrin, regagnant la route de l’océan, face à face à un monde de mépris et de calomnie, j’ai pu retrouver par miracle, ressources, vie et pardon. Mais comble de magie, à cette unique évidence, déjà, une présence Celte, « Chevelure de Châtaigne », m’attendait sur le rivage, et fort heureusement pour ouvrir un coffre à trésor. Mon cœur allait pouvoir bondir à nouveau avec les vagues comme il convient à l’Atlantique. Je me suis dit tout cela à l’instant car il était grand temps que je me le dise et que je l’écrive sans me voiler la face. Ah, Jehan ! La simplicité de tes mots m’a rappelé au Verbe Exister. Ta présence m’a insufflé l’unité sacrée. Lettre à un homme comme tout le monde, Lettre à mon Etoile, Lettre à une Femme pas comme tout le monde. Grâce à l’influence que tu as exercée sur mon être, cette trilogie Celte se trouvera alors suspendu à jamais hors du temps. Oui, sans ton rappel au réseau de l’instant, ce triptyque n’aurait jamais vu l’aube ni moi retrouver sœur la plume. Ecrire à son étoile, je lui devais bien cela, n’est-ce pas ! Ce partage avec toi, Jehan, est comme une part du monde récupéré, hors de toute mémoire, de tout calcul. Aujourd’hui, jour de mes cinquante ans, je suis prêt à vivre poétiquement et à mourir noblement dans le vent de la grande Odyssée. J’improvise l’instant. Le reste attendra. Qu’il est bon de mourir à toutes les croisades de l’incohérence, aux cyclones de l’urgence et à tous les « p’tits je débâtés du monde ». Comme tu me l’as si justement signifié, suite à ce voyage de deux ans dans quelques coins empoussiérés des passions humaines : « Sans apprentissage de la conscience dans 98 Anecdote en mer descendante la vie de couple ou de famille, il n’y a que des zones d’ombre qui refont surface ». J’en ai tiré la leçon dans les airs montreusien. *** La mer monte Je partage ton avis, lorsque tu images la vie comme une énergie suprême qui déroule son texte poétique. Le texte est le même pour tout le monde mais cependant, chacun lit la narration avec une réalité différente. Et là, rien ne sera plus irréel de ce que deviendra cette réalité de laquelle surgit la grande histoire de l’humanité par tant de différences et d’adaptation à la vie de notre planète, jusqu’aux rêves les plus fous. Quand on pense que la vie s’est nichée jusque dans les coins les plus isolés du globe, dans des formes et des comportements les plus époustouflants. Mais tout aussitôt, l’homme balloté de paradoxes, ébouillantés de pensées mortes, ne peut pas s’empêcher de comparer pour ensuite détruire. Canaille mortelle d’Intellectus ! On a l’air fin avec nos vérités et nos dieux à quatre sous. « Homme, tu es des nôtres » dit la vie. Qu’on ne s’y trompe pas. Quant à la manière dont l’homme a ressenti cette parole, cela édifia une épopée époustouflante du genre humain avec un sens de la singularité producteur de sa propre continuité. Et comme tu le dis, Jehan, cela se poursuit avec toutes les difficultés que rencontre l’humain pour s’entendre avec la vie et ses semblables. C’est précisément là que chacun de nous est attendu dans ses récits d’aventure, n’est-ce pas, pour créer des relations et des liens d’homme debout. 99 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde La morphologie de nos contextes sociaux se modifie considérablement. Il semble nécessaire que nous passions par tous ces états de malaise pour revisiter plus consciemment les beautés du monde qui nous échappent et que nous voulons obstinément enrouler dans les draps de nos pensées. Pourquoi voulons-nous intellectualiser tous les domaines du vivant et compliquer la relation jusqu’à la rendre complexe au possible ? Oui, à quoi bon rendre technique et analytique la relation ? C’est une entrave même à la vie, une posture qui sent l’abordage. Un des problèmes humain non résolu à ce jour est ce besoin dérisoire de promesses que la vie continue au bout du chemin. Particulièrement chez les peuples de grande religion. Du coup, la bonne nouvelle chargée d’or, de rubis et de croyance, prend au dépourvu tout le monde. Voilà que ce qui aurait dû rassurer a déstabilisé la structure psychique du genre humain. Ainsi, toutes les figures directrices ont été utilisées pour une cohésion virtuelle du genre humain. A tort où à travers, cela demande réflexion. C’est la raison pour laquelle l’archaïsme individuel et collectif maintiendra l’adhérence des connaissances avec tous les rituels et palettes de savoir que constituent les modèles de croyances. Connaissances et informations du passé, donc sans racine, dont l’élan irrésistible se transformera en territoire, en cérémonie, en chapelle, associé à la guerre des statues (guéguerre des « je »). Savoir imposer ensuite dans l’enseignement sans même demander l’autorisation au peuple du quotidien. Tu me saisis, je n’essaye pas de rabaisser notre passé de la vérité mais de discerner ce qui jette le désordre. Les erreurs que nous faisons, les inquiétudes du vivant difficilement surmontables ont aussi un sens si surprenant 100 Anecdote en mer descendante soit-il. D’ailleurs, est-ce que nous allons assumer nos erreurs et comprendre leur nécessité ? Interpréter la dimension poétique du vivant, tout de suite, cela rend agile notre tête d’argile, n’est-ce pas ! C’est une œuvre en mouvement et aussi une déchirure sur la terre physique. On n’y échappe pas. Il y a autant de réalité du monde qu’il y a d’hommes ici-bas. Il y a autant de point de vue qu’il y a d’étoiles, et Ciel, malgré toutes les impasses, les frissons et les contradictions humaines, tout cela est prodigieux. Il y a quelque chose d’artisanal que de vivre ici-bas. On doit être au paradis, dans ce monde offert, sauf que l’on ne le sait plus. Cela dit, la vie nous inspire non pas par ses connaissances mais par ses beautés, ses énigmes relationnelles, son im prévisibilité, son interdépendance, ses mystères, son immensité, son impermanence, son infinitude. Et bien qu’il soit difficile d’appréhender l’expression de ses réalités sans faire recours à des croyances ou à des créations de dieux personnifiés par le « moi » et la pensée, la simplicité restera d’actualité pour bien des siècles. C’est toujours le même instant, n’est-ce pas. Mais l’avons-nous bien saisi ? Quel foutu caractère que l’humain, Jehan. La vie échappe à l’emprise magmatique de l’ego. La chaleur ne peut être guère contenue. L’espace n’est pas enfermable. Cela signifie que l’infiniment immense porte son œuvre. Chaque homme est le prolongement du divin manifesté et le mouvement de cette œuvre. Pourtant, tout est à refaire à chaque bouffée d’air dont il ne faut pas s’écarter sous peine de se perdre dans l’espace tridimensionnel, émotionnel et mental. Ah, donation que d’exister ! La biographie nous tient. Ce n’est en quelque sorte qu’à partir d’une relation engagée avec ce qui est doué de vie que la vie prend à nouveau du sens au fond de nous. Et au fond de nous, il y a un lien vivant, celui du reste du 101 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde monde, à commencer par toux ceux que nous avons eu la chance de croiser sur notre chemin. Quand on se penche vers toutes nos rencontres humaines et malgré ce que nous appelons des erreurs d’aiguillage, le tissu de l’intrigue s’ouvre, le merveilleux apparaît. Tout était à la hauteur de notre évolution et en ce sens parfait. Il est vrai que de nos jours numériques, notre rapport au monde a profondément changé. Prétendus formés et intelligents, nous rayonnons les évènements de nos analyses afin que nul n’échappe à nos interprétations. En fait, nous n’avons guère développé un nouvel état de conscience des enjeux de la relation. Même sur des échasses, les hommes continueraient de se quereller. Que se passe-t-il avant la relation ? A mon avis, pour une meilleure condition humaine, il serait judicieux de réapprendre à écouter le silence et de renouer nos corps avec les saisons de l’Existé jusqu’au fond d’un non vouloir lumineux. En somme, tout ce qui arrive à l’heure actuelle est la conséquence de notre profond endormissement, tant individuel que collectif. Le « être ou ne pas être », de Hamlet, synthétise bien la situation dans laquelle se trouve le genre humain aujourd’hui. Et ce n’est pas la situation qui importe tant, mais de quelle manière nous allons la changer. Ce qui implique une interaction sublime, celle de notre total investissement, de notre métamorphose. Pour « être », nous devons participer à la même mouvance que l’intelligence de la vie, en commençant par retrouver notre espace individuel comme un espace amoureux du vivant. Il en résulte que nous gardons notre identité sans plonger dans les méandres de l’idolâtrie du « moi » qui déterrent les racines de la vie pour nous emporter dans un monde émotionnel toxique. C’est ainsi que de mauvaises convives s’installent dans nos âmes. Quant à l’idée d’appartenance, il nous suffit de regarder un Ciel étoilé pour constater ô combien le grand manège est fantastique. 102 Anecdote en mer descendante A chaque instant, nous avons la possibilité de venir au monde aspirant à « ce qui est » plutôt qu’au discours mental. Et c’est par cette action de prise de conscience immédiate montré de manière exemplaire le naturel de la vie que nous pouvons insuffler des forces du monde des étoiles dans notre constellation sociale où nous avons à agir. Tout l’infini trouve place lorsque, présent au présent, la pensée retrouve sa juste place. La prise de conscience subite et la créativité s’accorde, jusqu’à une inventivité artistique, sociale, politique, économique. Ne serait-il pas temps que les grandes nations instaurent une éthique de l’économie afin d’éviter le monopole et la privatisation du vivant ? Créativité aussi dans le sens d’un art d’exister, certes, seul, dans un corps physique, mais auprès de ses semblables et auprès de tout ce qui est doué de vie. Nous pouvons trouver le sens noble de la vie dans les arts, la poésie, la littérature, la musique, l’être féminin, même chez une dragonne, et ce, jusque dans les petites choses et les détails de la vie quotidienne. Le sacré et la connaissance ne sont pas une affaire de savoir mais de rencontre, de relation, d’échange et d’action. Je veux parler de cette rencontre entre un état d’être et l’intelligence de la vie. Dans ce sens, toute culture devrait être respectable et vu comme un bienfait de l’humanité que nul regard ne pourrait trahir. Nul doute, il y a accordance, liaison, entre la conscience immédiate et l’intelligence de la vie. Notre totale présence au monde peut témoigner de ce fait et l’illustrer avec éclat. Les artistes c’est fait pour cela, non ! En tout cas, c’est un phénomène naturel que d’entrer dans un labyrinthe peuplé d’éternité. Pour cela, j’ai choisi l’exemple de l’abbaye du Thoronet. Pour finir, quelque soient les siècles et leurs paradoxes, le travail reste à faire. Admettons-le, le bond de la technologie n’est pas synonyme 103 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde d’évolution. D’ailleurs, savons-nous vraiment sur quoi nous allons rebondir ? Il nous faudra de toute façon bien trouver des alternatives intelligentes pour cohabiter avec la technologie et approcher une éthique de la vie pour sauvegarder le genre humain. En parallèle, il nous faudra aussi modifier cet état du « moi », qui, dès la jeune enfance dans les écoles et dans les familles, est voué au culte du reflet indifférencié selon les mécanismes qui huilent les rouages du passé de l’humanité. Comprenons que les idéologies bancales de ce « moi » amènent la perte du vivant dans nos sociétés. Les intérêts du « moi » ne sont pas une valeur ni un modèle. Un reflet, si furtif soit-il par nature, ne peut guère interroger le mystère de la vie. La page suivante au reflet est ce « moi » qui à tous mots et à toutes phrases redevient une image de lui-même. Un reflet n’a rien d’unique ni d’individuel, c’est une ombre qui est devenu lumière et une lumière qui le reflète dont les paradoxes font en sorte que l’on ne peut guère le situer. Il est ainsi loisible de suivre un reflet et d’assister à sa lente disparition. En tout état de cause, une vie sociale meilleure peut voir l’aube à partir d’un nouvel état de conscience. Au vu de ce jour nouveau, nous pouvons garder en prévision à tirer de ce malaise mondial, un véritable retournement, une sincère révolution intérieure. C’est précisément là que je veux en venir : réapprendre à regarder au loin et accepter les limites comme un seuil à franchir, le mental à terre. Chacun peut participer à ce processus du Renouveau Social en agissant là où il est appelé à fouler la Terre, dans sa rue, sur son lieu de travail, dans sa famille. C’est ici-même, dans cette vallée sociale de conflits et d’incohérences sociales, que 104 Anecdote en mer descendante le contexte a besoin de notre présence. Autant dire que l’auditoire est à son comble, Jehan. Souvent, de simples et grands gestes d’âme comme un simple sourire, une poignée de mains, qui coulent alentour mettent en mouvement celui qui les reçoit. Et le mouvement, la résonnance, c’est aussi la vie. C’est aussi cette source qui conduit l’humanité vers la mer. En cette tenue de l’homme debout, tout amour est permis. Tout seuil peut-être pénétré d’intention. Cette pudeur de l’esprit a une qualité qui nous situe au-dessus de la relation. A commencer par dépasser les conflits du « moi » qui s’étendent à toute la planète et qui débutent en nous, chez nos collègues de travail, notre femme, nos enfants, notre hiérarchie. Cette réalité n’est pas indépendante de la nôtre. N’est-ce pas ce qui nous rappelle si viscéralement à la flottaison de notre petite identité mondaine où nous sommes devenus otage de notre devenir, constamment préoccupé à quelque chose d’autre. Seule rançon, notre retour à l’instant. Voici où nous en sommes, Jehan, rien ne peut remplacer ce regard lucide sur le fonctionnement de notre vie intérieure. Oui, rien ne remplacera le murmure poétique qui suit les marées. Cette attention, ce ressentir exister, ce sentir ressentir, est aussi relation, dans un sens d’équilibre et de profondeur qui apporte les clés de notre demeure. La fausse note de la grande harmonie, c’est nous. Le chef d’orchestre qui permet la rectification, c’est aussi nous. De mon point de vue, Jehan, il n’est plus l’heure pour l’humanité de téter au sein de la somnolence. Tel est l’électrochoc d’un des messages de notre époque, nous devons nous rendre à cette évidence, et si possible, par un acte de conscience, donc librement. C’est le moment de briller, de simplifier nos postures 105 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde d’exister, en relation bien sûr avec cette dynamique d’équilibre qui au travers de ces deux coproductions (conditionnelle et existentielle) nous pétrit de l’intérieur et de l’extérieur. De cette prise de présence, nous pourrons agir afin que les forces qui structurent nos conditions de vie soient plus organiques. La technologie n’est plus un frein, même que nous pourrions utiliser ces forces mécanistes pour donner de la cohérence à nos actions, sans pour autant nous prendre pour des dieux immortels. Voici un présent mûri que j’aimerai partager : n’attendons plus des excuses de la fatalité. Allons à la rencontre de la vie, comme si elle était un génie sous la voûte profonde, au simple fait que ce sera en nous que nous pourrons reconnaître ce génie qui avance à la limite des Terres et du Ciel. Il ne s’agit pas d’extraire un ésotérisme ou de savoir si ce génie existe mais de rétablir un équilibre au plus profond de notre être. Si on ne le devine pas, c’est bien qu’à cette constatation, nous avons le cœur fermé, l’espace individuel complètement encombré. Toute connaissance fume et s’éteint, les cendres resteront notre grand berger, Jehan. Le noir roc du « p’tit je », caché parmi les flots, bave l’écume des mers comme pour en bénir sa substance. Oui, il n’y a de mémoire qu’en direction du passé… Et l’aube de son doux baiser, dans les rêves clairs de l’automne, nous rappelle l’instant où aux lèvres du bois, le feu s’enflamme… *** Mer étale Ce qui est sûr, c’est que l’immédiateté technologique est devenue un pouvoir qui salue la mort sans même la rencontrer. Et 106 Anecdote en mer descendante quoi qu’on entreprenne, il nous faut faire face à une accélération du temps psychologique. En témoigne le coup d’état mondial de ce jour mourant, le onze septembre 2001, perpétré par des Etats sombres de l’avidité. L’assaut des émotions humaines a été marqué aussi bien par l’horreur des faits que par l’ignorance des faits. Qu’importe le moyen pour atteindre un objectif, le sacrifice de l’homme n’est pas un rituel qui appartient au passé comme nous avons pu violemment le constater devant nos écrans plats et difformes. En un seul instant, des informations et des images psychédéliques ont informé le monde par le biais d’une science fiction finement coordonnée, préparée, calculée et savamment orchestrée par un gouvernement de l’ombre dont le but est de se partager encore plus le monde. En un seul geste, le « peuple mouton » a cru ce qu’il a vu et entendu. Ensuite, il a barboté dans sa flaque. Malheureusement, pendant ce temps, le message a passé et a exercé son pouvoir, éclaboussant tout sur son passage. Soit ! Du coup, pour parfaire à un équilibre, nous sommes ramenés à notre propre état de conscience, afin de ne pas nous laisser envahir par une supercherie qui, du ras de l’horizon a pris l’apparence d’une sécurité mondiale. Qui nous ramène dans notre suc existentiel si ce n’est le bon sens de la vie ? Un bon sens dépourvu de toute forme établie. Un bon sens qui agit sur une autre échelle de perception que la nôtre. Malheureusement, il y a des informations du pouvoir récupéré par une dépendance médiatique qui flotte à tous les vents froids, humides et secs, mais, aucune dimension interrogative et si peu d’investigation pour vérifier la nature de ces informations. Tout est répété comme si la vérité avait une consistance matérielle alors que toutes les interprétations de ces informations sont déconcertantes à souhait. Et chaque fois cela renforce nos 107 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde habitudes dans ses trous. D’où une banalisation du mal, même une certification du mal. En toutes occasions, il y a quelque chose en mon âme qui s’oppose à ces odieuses manipulations. Ce doit être dans ma nature de Bergeron. Des images, des sons et de l’info arrivent à la vitesse de la lumière et bien que nous ayons accès à la communication mondiale devant des écrans de télévisions, des ordinateurs ou du papier journal, nous en oublions de nous émerveiller devant l’arbre de notre quartier. Le bon sens a son langage propre et il ne ment pas. C’est aussi cet arbre qui participe à la construction de notre véritable identité. De mon point de vue, la catastrophe de l’homme, ce n’est pas tant les joujoux de la technoscience qui lui ceinture le remblai cervelesque, ni les terreurs que nous prépare le peuple de la pénombre, mais bien cet arbre que par dédain, nous avons totalement oublié. Si entre deux pensées, je devais choisir, Jehan, alors par amour de la clarté de vision, je choisirais prioritairement l’arbre, jusqu’au silence profond. Pour répondre à ta question sur les peuples d’autrefois, à mes yeux de mortel, bien que soumises aux changements, les forces motrices des civilisations sont restées identiques. Douées d’une aptitude naturelle à se répéter et à se reconfigurer, elles sont toujours en mouvement sur des pans qui bougent et changent de face, comme si les civilisations étaient aussi en rotation. Nous voyons bien que ce sont toujours les mêmes mécanismes de pouvoir et d’agents de croyances. Les mêmes tyrans sont à l’origine de la destruction des archétypes tribaux qui sont unis soit de trop à la coproduction conditionnelle soit ils sont fusionnels avec la coproduction existentielle. Le manque d’équilibre marque de toute façon la distorsion et l’inévitable conflit de race, de mœurs et de culture. 108 Anecdote en mer descendante L’histoire se reconfigure dans un fonctionnement imposé par les lois de la fatalité et de la mémoire. Oui, par un manque d’évolution, un reflet est toujours présent, j’en mets ma main au feu de l’été. Tant que tous les palimpsestes du passé ne brûlent pas pour laisser la place au palimpseste de l’instant, aucune nouvelle civilisation ne verra une aube nouvelle. Et le premier palimpseste est celui de notre biographie, l’histoire de notre identité. En parenthèse à cela, nous pouvons constater combien un certain espace de notre vie est dès lors conditionné, que le cours du temps généré par le balancier de la pensée a favorisé le culte du « moi », donc de la souffrance propre. Ce qui donne de la force au reflet et à la préoccupation de maintenir ce reflet. Le seul moyen de percevoir cet état de fait est de sortir de ce triptyque psychique redoutable : pensée, temps de l’Inexisté, ego, et de s’éveiller à la vie, le plus naturellement du monde. Il n’existe pas d’autre tare que ce nous faisons de la vie et ce déséquilibre dominant se manifeste dans nos comportements. Observons. Tenons-nous en aux faits. Chercher ensemble et tenter de donner un sens à ce déséquilibre et ensuite y remédier, sera le défi noble de l’homme debout, cher Jehan. En acceptant ce défi de fou, nous appelons le changement. Maintenant. Voyons encore… ce que nous transmettons dans le temps, nous le retrouvons inséparablement dans notre propre histoire, par les expériences passées, les vérités du passés, nos rencontres, ainsi que tous les reflets qui vont avec. Les évènements qui nous arrivent ne sont pas anodins. Ce qui est vécu en germe hors du temps, fréquentiellement en intention pure, se libère comme un guide bienfaisant qui nous conduit toujours, en avant dans le réseau de l’instant. Et ce guide en mission d’essentiel est nous-mêmes. Dans ce sens, nous n’avons 109 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde pas à le devenir puisque nous le sommes. On peut comprendre cela dès que nous commençons à nous désencombrer de tout ce que nous portons d’inutile. C’est aussi l’histoire de l’ici-bas que nous devons libérer. Libérer le passé de son passé, n’est-ce pas, afin de ne plus être victime des circonstances qui adorent les choses de la fatalité et de la conquête. Ce bouleversement de posture intérieure donne du sens et du lien à chacun de nous. Il éveille le meilleur en nous et la réalisation de notre potentiel. A commencer pas savoir dire, prononcer, habiter, un Bonjour noble à celui, celle, ceux que nous rencontrons tous les jours de notre vie. Ce que nous vivons totalement avec le présent n’est pas manipulable, mesurable, comparable. Rien ne devient, tout est là. L’union a en son cœur un noyau insécable. Seul le réseau de l’instant offre l’existence d’un espace libre, nullement ce qui naît de la pensée ou du « moi ». Ne consacrons-nous pas toute notre vie, plus ou moins écartelés entre ces deux polarités. Toute la différence des projets de vie vient de cette nuance fondamentale. Ils nous viennent de la vie. Cette énergie qui nous enflamme, qui nous passionne, ne provient pas de la coproduction conditionnelle. Ils s’incarnent seulement dans cette coproduction conditionnelle qui est le lieu d’accueil par excellence, de ce qui prend forme et conscience. Etat de vie, de forme, et aussi de présence. Il semble évident que si nous n’arrivons pas à reconnaître une intelligence à la vie, il ne sera guère possible de sentir cette couleur existentielle qui en nous se prolonge. C’est certainement par une approche consciente sur l’amour de la vie et comme par jeu d’équilibre énergétique, que nous trouverons des solutions aux problèmes humains qui gagnent de toute part. Et ne l’oublions pas, ce qui coproduit ces phénomènes souverains est la part responsable de chaque individu. Il ne sert à rien de 110 Anecdote en mer descendante partir en guerre à la recherche d’une cause isolée du bon vieux reste du monde. Surgir à ce nouveau devoir devrait être une matière principale dans toutes les écoles du monde. Une école où il n’y aurait plus de notes, de chiffres, de punitions, de récompenses, d’illusions commodes, mais un apprentissage de l’homme debout, tout enfant de cultures différentes confondues. Cet enthousiasme créerait quelque chose d’immortel. Les enfants arrêteraient d’avoir des cartables chargés de connaissances grecques et romaines. Ils cesseraient enfin d’apprendre à encoder la vie avant même de l’avoir expérimentée. Et dans ce sens, je crois que nous nous trouvons, une fois de plus dans une disposition où nous pouvons montrer nos facettes intimes, chacun à notre manière, chacun à son niveau, essentiellement là où la vie nous a appelé à être. Oui, en effet, ce n’est pas toujours là où on le croyait… C’est le moment de briller. Profitons-en tant que nous sommes encore chair et os. L’amour est une réalité d’action capable de toute mutation. L’amour n’est pas qu’une métaphysique impalpable. La vie n’est pas une idée pour les pensées des solitaires. Pratiquement tout le monde peut en faire l’expérience. Voilà, c’est avec le mot amour, notre cher liant invisible, que je clôture cette lettre, ami de toujours. Un mot aux conséquences naturelles qui fera encore la une des siècles. Dans le même temps, je te confirme combien ce fut un régal que de répondre à ta lettre, tout en me laissant librement aller à des propos si chers à ce qui a su réunir nos cœurs au-delà de toutes frontières. Une fois de plus, à tes côtés, je m’assois au silence. Au carrefour de l’éternité et des alliances, je joins mes mains aux tiennes. Leurs fonds sont si profonds, qu’aucune sciences, mêmes la plus limpide ne saurait ni les remplir ni les trahir. 111 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde Cathédralement avec toi, très cher, Jehan… Une étoile m’appelle, il me semble que c’est le moment de briller… : Planète Bleue: Livre de Bocampe considération sur le salut d’un petit homme. 5 Bocampe 112 113 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde 114 SOMMAIRE Critique Une oeuvre - Bocampe: de l’intuition de l’intime universel par Régis Nivelle ………………………… 19 Le 1er décembre 2010 à Yverdon-les-Bains …………………… 15 Les vitres usées ……………………………………………… 27 L’espace individuel …………………………………………… 55 Le 3 décembre et des poussières ……………………………… 83 Anecdote en mer descendante ………………………………… 95 115 Trilogie celte I : Lettre à un homme comme tout le monde INFORMATION POUR LE LECTEUR Celles et ceux qui voudraient s’exprimer sur cet ouvrage peuvent le faire librement à l’adresse ci-dessous. Une personne prendra le temps nécessaire pour vous lire et vous répondre, dans la mesure de ses possibilités. Courrier des lecteurs Les Editions de L’ESCARBOUCLE à Yverdon, Case postale 894, 1401 Yverdon-les-Bains SUISSE www.escarboucle.ch 116