1 S0064/03 par Javier SOLANA, Haut représentant de l`Union

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1 S0064/03 par Javier SOLANA, Haut représentant de l`Union
S0064/03
"POLITIQUE EUROPEENNE DE SECURITE ET DE DEFENSE :
DE L'OPERATIONNALITE AUX OPERATIONS"
par Javier SOLANA,
Haut représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune
publié par la Revue du Marché Commun et de l'Union européenne
édition mars 2003
Au terme d'une année bien remplie, il n'est pas inutile de tenter un premier et rapide bilan de
la poursuite de notre travail de mise en place de la Politique européenne de sécurité et de défense
(PESD) - comme je l'avais fait dans ces colonnes l'an dernier à la même époque.
L'Europe a décidé de s'élargir. C'est la réunification de notre continent : je pense que la portée
historique de ce qui s'est passé à Copenhague n'aura échappé à personne. Mais c'est aussi une
Europe qui se dote des moyens de mieux contribuer à la stabilité et à la sécurité autour d'elle. En
effet, nous avons progressé au cours de l'année écoulée de façon très significative dans ce domaine.
J'aimerais me concentrer sur les trois grands points suivants : les premières opérations de gestion de
crise ; le partenariat avec l'OTAN ; et la poursuite des efforts en vue d'améliorer les capacités civiles
et militaires européennes pour la gestion des crises.
D'abord, donc, les premières opérations de gestion de crise. A Laeken en décembre 2001,
nous avions déclaré la PESD opérationnelle. Nous abordons maintenant les opérations.
Le 1er janvier 2003 a débuté la première opération de gestion de crise de l'Union européenne :
la Mission de police de l'UE (MPUE) en Bosnie-Herzégovine, où l'Union reprend le flambeau des
Nations Unies. L'Union avait décidé dès mars 2002 de mener cette opération, après que le principe
en eut été approuvé par le Comité directeur du Peace Implementation Council pour la BosnieHerzégovine et par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Pour mieux signifier le caractère
déterminé et durable de notre engagement envers ce pays, nous avons également décidé de conférer
au Haut Représentant en Bosnie-Herzégovine, Paddy Ashdown, la fonction de Représentant spécial
de l'Union. La MPUE s'inscrit en effet dans un effort continu et multi-facettes de l'Union
européenne, avec d'autres acteurs, pour consolider l'état de droit et les structures démocratiques en
Bosnie-Herzégovine. Elle vise à établir des dispositifs de police durables sous gestion des autorités
de Bosnie-Herzégovine, conformément aux meilleures pratiques européennes et internationales.
C'est une mission de suivi, d'encadrement et d'inspection.
Quelque 500 policiers seront déployés. Ils viennent des pays de l'Union mais aussi,
conformément au caractère ouvert du projet européen de sécurité et de défense, de dix-huit autres
pays, dont ceux qui rejoindront l'UE en 2004 ainsi que de pays comme la Turquie, la Norvège, la
Suisse, la Russie ou encore le Canada.
Cette mission vise principalement à aider, dans un domaine important, les autorités de BosnieHerzégovine à prendre pleinement en main leur destin. C'est leurs succès qui seront les nôtres.
Mais il y a pour nous une certaine émotion liée au fait qu'il s'agit de la première opération de
l'Union sur le terrain. Ces policiers ont ajouté à leur uniforme national des insignes de l'Union
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européenne. Nos "douze étoiles", qui ornent déjà nos billets de banque et qui sont donc entrées
dans notre vie quotidienne, font maintenant partie également du paysage international en matière
d'opérations de gestion de crise, illustration tangible de la volonté des Européens d'agir ensemble
dans un nouveau domaine dont chacun saisit l'importance pour notre stabilité et notre sécurité.
Nous n'allons pas nous en tenir à cette première mission civile. L'Union a confirmé à
Copenhague, comme elle l'avait dit dès le Conseil européen de Barcelone au printemps dernier,
qu'elle était prête à assurer la relève de l'opération militaire de l'OTAN "Allied Harmony" dans
l'Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), en consultation avec l'Alliance.
Au moment où j'écris ces lignes, nous sommes en plein travail sur les différents éléments qui
doivent permettre à l'Union de reprendre cette opération dans les meilleurs délais, probablement dès
le mois de mars. Cette mission sera menée en ayant recours aux moyens et capacités de l'OTAN.
Nous avons nommé, après que l'OTAN a marqué son accord, l'Amiral allemand Rainer Feist,
DSACEUR1, comme Commandant de l'Opération, qui aura son Quartier général au SHAPE.
L'Union a également nommé comme Commandant de Force le général Pierre Maral, qui est issu du
pays qui s'est proposé pour jouer le rôle de "nation cadre", la France.
Cette opération a principalement pour objectif de contribuer à un environnement stable et sûr,
pour permettre au gouvernement de Skopje de mettre en œuvre l'accord-cadre d'Ohrid signé en août
2001 par le Président Trajkovski et les chefs des principaux partis politiques du pays. Elle s'inscrit
dans une démarche plus large de l'Union qui comprend notamment des activités visant à consolider
l'État de droit et qui est soutenue par une palette d'instruments communautaires.
Au-delà de cette relève européenne en Ancienne République yougoslave de Macédoine, le
Conseil européen de Copenhague a également indiqué, pour la première fois, que l'Union était
disposée à mener une opération militaire en Bosnie-Herzégovine à la suite de la SFOR. J'ai été
invité à cet égard, avec la Présidence grecque, à entamer des consultations notamment avec les
autorités de Bosnie-Herzégovine, avec Paddy Ashdown, avec l'OTAN et avec les autres acteurs
internationaux concernés et j'ai fait un premier rapport au Conseil en février.
Ce n'est pas un hasard si l'Union lance ses premières opérations dans les Balkans occidentaux.
Cette région constitue notre première priorité de politique extérieure et le principal test pour celleci. L'Union joue un rôle central dans le processus de stabilisation, de réconciliation et de
reconstruction qui s'y déroule.
En outre, les États membres de l'Union européenne fournissent déjà plus des deux tiers des
troupes déployées dans le cadre d'opérations militaires dans l'ex-Yougoslavie. Quand l'Union
exprime sa disposition à reprendre à son compte les opérations en Ancienne République yougoslave
de Macédoine et en Bosnie-Herzégovine, elle ne fait que s'inscrire dans une continuité logique et
dans une approche globale cohérente mobilisant l'ensemble de la panoplie des moyens d'action
extérieure dont elle dispose.
Le deuxième élément notable de l'année écoulée, j'y ai fait allusion au sujet de l'ARYM, c'est
la mise en place d'un véritable partenariat avec l'OTAN.
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DSACEUR: Deputy Supreme Allied Commander Europe de l'OTAN.
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Au moment même où les négociations d'adhésion se concluaient à Copenhague, nous avons
surmonté les obstacles qui empêchaient le partenariat UE-OTAN de prendre son essor. C'est un
dossier sur lequel je n'ai pas ménagé mes efforts pendant de longs mois.
A Bruxelles les 24-25 octobre, le Conseil européen avait adopté les modalités de mise en
œuvre des dispositions arrêtées à Nice fin 2000 sur la participation à la PESD des pays alliés
européens non-membres de l'Union. En décembre, l'OTAN a donné son feu vert à la mise en œuvre
des dispositions dites de "Berlin plus" définies au Sommet de Washington en 1999 sur les
arrangements permanents UE-OTAN. Ces arrangements permettent à l'Union d'avoir accès aux
moyens et capacités communs de l'Alliance pour des opérations où cette dernière n'est pas engagée
en tant que telle. Ceci signifie en pratique que l'Union a un accès assuré aux capacités de
planification de l'Alliance pour ses opérations et qu'elle aura un accès présumé à des capacités et
moyens communs de l'OTAN qui auront été préalablement identifiés. Une gamme d'options de
commandement pour des opérations menées par l'Union sera également identifiée, développant le
rôle du DSACEUR pour lui permettre de remplir pleinement et efficacement ses responsabilités
européennes. Les deux organisations doivent par ailleurs conclure un accord de sécurité permanent
et mener un exercice conjoint en novembre 2003.
Nous avions déjà des contacts réguliers avec l'OTAN : entre Secrétaires Généraux, entre le
Comité politique de l'Union et le Conseil de l'Atlantique Nord notamment. Mais une coopération
étroite se développe maintenant aux différents niveaux. C'est un véritable partenariat stratégique
pour la gestion des crises que nous établissons, sur la base de nos valeurs partagées et de notre
volonté commune de faire face aux défis de l'époque.
Troisième axe : la poursuite des efforts portant sur les capacités. Chacun voit bien qu'une
politique crédible nécessite une composante capacitaire qui soit à la hauteur de ces défis. Une
condition pour cela est de dépenser plus, mais aussi de dépenser mieux. On voit que les budgets de
défense sont en augmentation dans certains États membres. Il y a une prise de conscience, même si
elle est encore insuffisante.
Nous avons poursuivi notre travail sur les capacités militaires. Le plan d'action européen sur
les capacités, lancé fin 2001, semble devoir être en mesure d'apporter une contribution utile à la
réflexion et à l'action dans ce domaine. Dix-neuf groupes de travail, auxquels les États membres
participent sur une base de volontariat, examinent actuellement les lacunes capacitaires les plus
importantes auxquelles il convient de remédier. L'intérêt pour la problématique des capacités s'est
accru, et la réflexion sur des options qui soient à la fois novatrices et viables s'est intensifiée :
solutions multinationales, mise en commun d'équipements, spécialisation des rôles par exemple.
Ces travaux contribueront à renforcer les capacités militaires de l'Union pour la conduite
d'opérations plus complexes.
Nous comptons tirer le premier bilan de ce plan d'action au printemps. Mais ce ne sera qu'un
bilan d'étape. La phase suivante consistera en effet à mettre en œuvre les options identifiées. Pour
cela, il faudra à la fois de la volonté politique et de l'inventivité dans l'examen de mesures
susceptibles notamment de rationaliser le financement et l'acquisition des capacités.
Nous souhaitons également développer la coopération en matière d'armement. Ceci pourrait
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notamment impliquer un rôle accru pour les Directeurs nationaux de l'armement, afin que ceux-ci
mettent leur expérience au service du processus capacitaire de l'Union et qu'ils examinent les
moyens d'associer l'industrie de la défense à ce processus et de renforcer la base technologique et
industrielle de la défense européenne.
Nous avons par ailleurs mis à jour le "Catalogue" de l'objectif global d'Helsinki. Sur la base
de ce catalogue 2002, les États membres ont été invités à fournir des contributions plus ciblées à
l'objectif global, ou à affiner les contributions existantes pour remédier à certaines lacunes, dans la
perspective d'une nouvelle conférence de capacités en mai 2003.
N'oublions pas les capacités civiles : l'expérience a montré à quel point elles étaient cruciales
pour consolider les structures - étatiques, judiciaires, policières - d'un pays après une crise. Dans ce
domaine, l'Union européenne, grâce aux engagements volontaires des États membres, a dépassé les
objectifs qu'elle s'était fixés en matière de police, d'État de droit, de protection civile et
d'administration civile. Ces capacités nous permettent d'ores-et-déjà de lancer la mission de police
en Bosnie et nous permettront d'intervenir à l'avenir dans ce domaine, parfois méconnu mais
essentiel pour "réussir la paix".
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Dans un bilan plus approfondi, nombre d'autres éléments mériteraient de figurer.
Ainsi, nous avons conduit en mai dernier le premier exercice de gestion de crise de l'Union, CME
02, et entamé la planification du second, CME/CMX 03, qui est prévu pour novembre. Les
exercices nous permettent de continuer à raffiner nos procédures de gestion de crise. Nous avons
également progressé dans l'identification des éléments d'un concept de réaction rapide militaire de
l'Union, dans le contexte global de la gestion de crises par l'UE, visant à permettre de réagir en 5 à
30 jours ou moins.
Mais il ne s'agit ici que d'un premier retour "à chaud" sur une année qui aura été décisive pour
la concrétisation de la Politique européenne de sécurité et de défense.
La Politique étrangère et de sécurité commune (PESC)est née d'une certaine manière dans les
Balkans. C'est la prise de conscience de notre incapacité à agir collectivement dans cette région,
parce que nous n'avions ni le cadre ni les instruments nécessaires pour cela, qui nous a fait accélérer
la cadence. Et moins de dix ans après les débuts de la PESC (novembre 1993), mais surtout trois
ans après Cologne et Helsinki qui ont marqué le coup d'envoi de la PESD, le chemin a été parcouru
au pas de course qui nous permet aujourd'hui de mener des opérations de gestion de crise de l'Union
dans les Balkans. L'Europe n'est à l'évidence pas encore en mesure de jouer partout dans le monde
un rôle en rapport avec son poids économique et commercial, mais elle a commencé à prendre en
charge les destinées de la paix et de la sécurité sur son propre continent, y compris dans ses parties
les plus turbulentes. Il n'est pas inutile de le rappeler - avec certes toute la modestie que doit nous
inspirer notre propension à être en retard sur l'histoire - au moment où il est de bon ton d'ironiser sur
l'absence de politique étrangère européenne.
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