Lille : la folie du Grand Stade

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Lille : la folie du Grand Stade
L'Interdit
Lille : la folie du Grand Stade
Soumis par Pierre Desjonquères
04-09-2007
A Lille, Pierre Mauroy veut construire un Grand Stade de foot. Subite passion pour le sport ? Non, juste des choix
d'investissements publics colossaux et... très risqués. L'Interdit fouille dans les petits arrangements entre le Losc et les
collectivités locales. Gros pépins en perspective !
Le Losc, club de foot lillois de première division, se sent à l'étroit depuis plusieurs années. Car son stade historique, aux
portes du Vieux Lille, n'est pas à la mesure de ses résultats et de ses ambitions. Or, le club, aux moyens financiers
insuffisants, est obligé de composer avec un acteur bien encombrant : la Communauté urbaine de Lille. Dès 1999,
l'agrandissement du stade Grimonprez-Jooris est programmé. Mais le projet n'est pas du goût de tout le monde. A la
suite de plusieurs épisodes judiciaires, des associations obtiennent l'arrêt du projet : il n'est pas possible de mordre sur
le périmètre historique de la Citadelle de Lille, un monument signé Vauban. Martine Aubry, maire de Lille, a mis toutes
ses forces – et son obstination – dans la bataille. Son échec pèse lourd dans la donne politique locale.
Agacé, Pierre Mauroy, président de la communauté urbaine "Lille Métropole", s'empare du dossier. Une gageure. Un
climat délétère s'est installé entre le Losc, privé de stade, et la mairie de Lille. Michel Seydoux reproche à Martine Aubry
de s'être obstinée à vouloir agrandir l'ancien stade malgré les divers recours en justice. "Le bassin du Nord est une belle
zone, mais le club était inféodé à la mairie socialiste. J'ai coupé le cordon avec le politique" lance-t-il dans Le
Point(07/06/2007). Et la perte du marché du casino de Lille par le groupe Partouche, sponsor principal du Losc, n'a pas
arrangé la situation. Isidore Partouche accuse en effet sans détour Martine Aubry d'avoir évincé son groupe dans
l'attribution du marché. Et il la menace publiquement : "Moi vivant, je vous garantis que [Martine Aubry] ne repassera
pas aux élections la prochaine fois. J’ai un peu de fortune, je l’utiliserai pour faire tomber cette
municipalité." (entretien dans La Voix du Nord, 09/11/2006.) Mauroy décide de frapper un grand coup. Il lance un projet
bien plus ambitieux : il veut édifier un nouveau grand stade couvert de 50 000 places, capable de rivaliser avec les
voisins européens ! Ce stade multifonctionnel de grande envergure est annoncé comme moteur du rayonnement de la
métropole. Il servira aux matches mais aussi pour de grands concerts ou spectacles. Sous la pression du lobby du foot
et des calendriers électoraux, il précipite les décisions. Tout doit être bouclé avant la fin de l'année 2007. Alors, par
souci d'efficacité, Lille Métropole choisit un terrain dont elle a déjà la maîtrise foncière : le site de la Borne de l'Espoir,
entre Lezennes et Villeneuve d'Ascq. Ménage à trois Lille Métropole choisit un « partenariat public-privé » pour la
construction et la gestion du stade. Cette procédure est destinée à assurer un service public avec l'aide du privé dans
des projets très complexes. Elle a été utilisée dans deux cas bien précis : la complexité technique était invoquée pour
le Tunnel sous la Manche, tandis que l'urgence de la coupe du Monde motivait le partenariat du Stade de France. Pour
le stade du Losc, l'argument avancé est celui de la complexité financière. Une surprenante raison pour une des plus
grandes agglomérations françaises ! Le partenariat public-privé permet un étalement des paiements sur plusieurs
décennies. Le consortium privé avance les fonds et profite des gains de gestion ; à la fin du contrat, l'équipement revient
à la collectivité. Plus prosaïquement, le partenariat permet de dissimuler de lourdes dettes derrière un contrat à longue
échéance... La procédure de "dialogue compétitif", qui met en compétition plusieurs candidats privés, se conclut fin
2007. Sera connu à cette occasion le nom du consortium sélectionné - ainsi que les termes précis du contrat. Lille
Métropole, au lancement du projet devait pré-sélectionner cinq groupes. Seuls trois groupes français se sont portés
candidats (Bouygues, Eiffage et Vinci)...
Qui va gagner quoi ? Le succès du projet dépendra ainsi d'une entente tripartite hasardeuse entre Lille Métropole, le
LOSC et la société gagnante du partenariat. Ce qui donne lieu à quelques petits arrangements financiers... Que gagnera
la Communauté urbaine ? Elle doit recevoir une part fixe de 500 000 euros les premières années puis 1 million d'euros
sur 20 ans de la part du LOSC. S'ajoute à cela une part variable liée aux recettes du club (entre 2 et 4 millions d'euros
selon les estimations). Ainsi, en cas de résultats sportifs en chute, résiliation du contrat ou incapacité de payer, Lille
Métropole pourrait ne récupérer qu'une somme symbolique. Les pouvoirs publics acceptent de prendre en charge le
risque sportif : chaque échec du club coûtera aux contribuables. Que gagnera le partenaire privé ? Le consortium qui
sera choisi doit recevoir les recettes des publicités et commerces aux abords du stade. Il organisera les événements
autres que les matches de foot dans les créneaux restés disponibles. Plus intéressant, il contrôlera le "naming" :
l'équipement lillois sera certainement le premier stade public français à porter le nom d'un sponsor, "stade Pierre Mauroy"
serait un nom trop peu juteux. La société gagnante devrait aussi recevoir 10 millions d'euros par an de la part de Lille
Métropole (soit 300 millions d'euros en 30 ans). Le vote de la redevance définitive aura lieu en décembre 2007. Le
partenaire privé de la Communauté urbaine pourrait néanmoins avoir des difficultés à engranger suffisamment de
bénéfices. En effet, le stade s'implante sur 15 petits hectares à côté d'une grande zone commerciale (Auchan) qui
défendra ardemment ses parts de marché. En outre, les problèmes de desserte du site pourraient sérieusement freiner
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le développement de l'activité. Enfin, qu'y gagnera le Losc ? Le club de foot touchera les bénéfices des boutiques,
buvettes, publicités de l'enceinte stricte du stade (les charges et l'entretien du stade sont pris en charge par le
partenaire privé). Son pari consistera donc à augmenter considérablement les dépenses des supporters. Pari risqué
quand on sait que les matches du Losc amènent en moyenne 13 000 spectateurs et que la culture foot est bien moins
ancrée à Lille qu'à Paris, Marseille ou Lens ! Le club n'engage en revanche aucun investissement - et peut donc facilement
se retirer du projet. Michel Seydoux obtient ainsi une certaine liberté...Aujourd'hui les clubs doivent posséder leur stade
pour espérer avoir une dimension européenne. L'OL construit son propre stade, le RC Lens gère le stade Bollaert
depuis 2002 (bail emphytéotique). Le PSG a refusé d'être club résident sous le joug du partenariat public-privé du
Stade de France. Avantage : le partenariat entre Lille Métropole et le LOSC n'est pas gravé dans le marbre.
Un chemin semé d'embûches Outre ce montage financier à haut risque, d'autres obstacles pourraient compromettre le
projet. En septembre doit être entérinée la révision du Plan Local d'Urbanisme. Une révision nécessaire, sinon le
projet risque encore de capoter. Monté à la hâte, il pourrait s'avérer incompatible avec le schéma directeur de
l'agglomération (le stade prend la place d'un parc urbain qui n'a jamais vu le jour alors qu'il n'était lui-même envisagé
qu'à l'horizon 2015 sur un terrain d'au moins 50 hectares). Diverses irrégularités de procédure pourraient aussi retarder
le projet. Suivra ensuite une enquête publique sur les infrastructures (routes en transports en commun) que Lille
Métropole ne voit pas arriver sereinement, car le site choisi est très enclavé. Les investissements supplémentaires sont
très lourds et ne garantissent pas pour autant une desserte satisfaisante. Et puis, le contexte politique évolue. Les élus
sont de plus en plus hésitants. Les élections municipales approchent. Il faudra justifier l'intérêt d'un tel projet, alors
qu'un retard considérable a été accumulé en matière de logements, de transports en commun, d'équipements de
proximité... Les élus PS et PC, qui ont succombé aux sirènes des paillettes et du libéralisme au détriment de valeurs
plus traditionnelles (éthique du sport, service public, solidarité, urbanisme raisonné), devront s'expliquer. Ainsi, Michelle
Demessine, vice présidente de Lille Métropole chargée du projet Grand Stade, défend vigoureusement le « partenariat
public-privé »... procédé pourtant clairement rejeté par son parti (le PC) au niveau national. Ultime tentative de garder
prise sur le football-spectacle, le projet Grand Stade peut s'avérer désastreux pour Lille Métropole. Endettement et
prises de risques maximales referont surface quand le Losc et le partenaire privé se disputeront un gâteau décidément
trop petit pour deux. Seule certitude pour Lille Métropole, elle aura dans 30 ans toute possession d'un ancien stade
moderne. A condition que le stade se construise. A suivre...
Le modèle lyonnais : un projet 100% privé
Avec son entrée en bourse, l'Olympique Lyonnais (OL) ouvre une brèche dans l'exception sportive française. Jusqu'à
présent, les clubs français étaient intimement liés aux collectivités locales. Et si la loi Buffet de 1999 plafonnait les
subventions publiques, celle-ci était largement contournée par des aides en nature (en particulier par les travaux et
entretien du stade). La loi de décembre 2006, répondant aux exigences européennes, permet aux clubs de faire appel à
l'épargne publique (actionnariat) sans même avoir à apporter de garanties solides contre d'éventuelles délocalisations
opportunistes. Le ministre Jean-François Lamour aurait aimé limiter l'entrée en bourse aux seuls clubs propriétaires de
leur stade (garantie d'ancrage). Mais cette disposition était contraire aux lois européennes et à la logique des clubs qui
voient justement l'actionnariat comme moyen de construire leur propre stade. L'OL, champion de France depuis
plusieurs années et financièrement le plus puissant, entre ainsi dans une démarche ultra-libérale assumée. Les fonds
dégagés grâce à l'entrée en bourse permettront la création d'un grand stade de 60 000 places associé à de nombreuses
activités commerciales. L'OL monte ainsi une grande entreprise de spectacle (dans le domaine du sport) qui a pour
recettes : la billetterie, les produits dérivés, la publicité, le "naming" (vente du nom du stade au plus offrant) en
affaiblissant ainsi les aléas des droits télévisuels, des résultats sportifs ainsi que des décisions d'ordre politique. Cette
expérience nouvelle qui devrait se concrétiser en 2010 passe pour modèle chez les autres clubs... Y compris le Losc !
"Il faut de toute façon que le Football français sorte du système d'assistanat dans lequel il évolue, affirme son patron,
Michel Seydoux. Il faut que les clubs puissent faire des efforts et n'aient pas toujours à demander l'aide publique pour, par
exemple, des stades." (L'Equipe – 18/07/2007). Pour autant, il ne suit pas le modèle lyonnais. Car il faut bien tenir
ses engagements : "Nous sommes des démocrates et respectons les pouvoirs publics quand ils ont pris des décisions.
La décision politique de construire un grand stade par le biais d’un partenariat public-privé a été prise ; nous
suivons donc cette voie et le financement du projet n’incombe par conséquent pas uniquement au Losc." (Losc
Insider - 25/01/2007) Pour aller plus loin :
Le contrat signé entre LMCU et le LOSC
La gestion des risques des PPP et l'exemple de Lille
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