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SOMMAIRE Chers cryptidophiles, Eh oui, chaque édito commencera par cette petite formule tout juste néo-synthétisée, et pour fêter le premier numéro officiel de la revue, nous allons vous expliquer ce qui se cache derrière elle ! Pour peu que l’on possède un regard curieux et une oreille attentive, on découvrira sans tarder que le monde regorge de richesses. Certaines, déjà merveilleuses, sont connues du grand public : il y a bien sûr les animaux, peu radins en matière de beauté esthétique et de diversité, les paysages, qui demeurent aussi différents qu’innombrables, et puis les plantes, le ciel, les étoiles… D’autres richesses demeurent pourtant cachées, et leur beauté réside spécialement dans leur caractère incertain, ce frisson de mystère qui les enveloppe et nous les dissimule. Au sein de la grande panoplie des légendes, il y a les « bêtes ignorées », des espèces dont l’essence secrète réside en l’espace qui sépare deux pages d’une encyclopédie animale, et dont on ne sait jamais si elle se matérialisera un jour. Celui qui prend plaisir à renifler les vieux ouvrages ornés de gravures énigmatiques, à écouter avec humilité et intérêt ce que les indigènes ont à dire, celui qui pense que tout reste à découvrir et que le sac de Dame Nature est un puit sans fond de création, mais surtout, celui qui reste ouvert à la surprise lorsqu’il prend un tournant sur un chemin, celui là est un cryptidophile. Article Le monstre du Loch Ness serait une murène D’après de récentes études, Nessie est une murène. S’il y en a bien un qui aime se montrer régulièrement, ou du moins projeter son ombre sur le tableau des actualités sans pour autant révéler sa bouille, c’est bien Nessie. Il est presque drôle de constater que lorsque les apparitions se font plus rares, il y a toujours un élément dont la presse s’empare pour faire rêver les gens. Une fois encore, je vais avoir l’occasion, amis lecteurs, de vous recommander la prudence pour ce qui est de la presse grand public. Ainsi, quelle brillante assertion nous est proposée ce mois-‐ci (février 2016) ? La voici : Selon de récentes études, le monstre du Loch Ness serait une murène. C’est Nin, c’est cru, ça claque ! Tout d’abord, il faut préciser d’où vient cette affaire ; elle a tout juste été déterrée par Gordon Holmes, qui avait Nilmé le monstre en 2007 et dont la séquence a été stabilisée par la compagnie d’informatique de Bill Appleton, aux Etats-‐Unis. Les deux hommes, après avoir regardé les images, s’accordent à dire qu’on peut y distinguer une anguille géante, et bien sûr cette opinion ne fait pas que des adeptes. Il n’y a donc pas lieu d’attribuer cette théorie à une étude, puisqu’elle ne résulte pas du labeur d’un groupe d’écologues qualiNiés, mais bien du point de vue purement personnel de personnages impliqués. Concernant la murène, une véritable confusion règne entre les termes employés et le jonglage entre l’anglais et le français ne s’est pas fait sans bavure… En anglais, « eel » désigne n’importe quel poisson de l’ordre des Anguilliformes. Pour nous y retrouver en français, nous dirons que les anguilles et les murènes (respectivement Anguillidae et Muraenidae) sont des familles de l’ordre des Anguilliformes, et ne font donc pas référence aux mêmes espèces d’animaux. En somme, la murène n’est pas une anguille, comme on peut le voir un peu partout. Du point de vue zoologique pourtant, il y a des points positifs, même s’ils sont fortement nuancés. Hélas, il n’existe pas ou très peu d’espèce de murène d’eau douce ; certains de ces animaux, à l’instar des anguilles, ont un cycle de vie séparé entre l’eau douce et l’océan – espèces diadromes – et l’on peut accepter qu’ils puissent accéder aux eaux du loch par le Nleuve Ness, comme le fait la seule espèce d’anguille (Anguilla anguilla) du loch. Le souci, et cela en dépit d u fa i t q u e l e s a n g u i l l e s p u i s s e n t exceptionnellement atteindre plus de deux mètres si un grand nombre d’années s’écoule avant la reproduction, les murènes d’eau douce connues et les anguilles du loch n’ont pas la taille requise pour se faire passer pour le monstre. Mais nous débordons un peu sur le cas de l’anguille géante qui, parallèlement à des témoignages de pêcheurs étant tombés par (in)fortune sur des « colosses », est fort intéressant, et n o u s n o u s p e n c h e r o n s d e s s u s ultérieurement. Bien qu’une véritable étude écologique puisse bien mieux conNirmer nos hypothèses que de la réNlexion purement théorique, il est Ninalement peu probable qu’une espèce de murène inconnue hante le Loch. En revanche, un autre Anguilliforme, pourquoi pas… p.1 Dossier de cryptide Le Tatzelwurm Le Tatzelwurm Le ver à pattes des Alpes Portrait Avec le cas que nous allons développer, il n’est plus nécessaire de se rendre à l’autre bout du globe pour se farcir une « quête épique » concernant un animal encore inconnu ! L’enquêteur amateur pourra tout juste se rendre dans les Alpes pour se faire les jambes. Laissons donc de côté les mastodontes habituels et concentrons-nous sur le Tatzelwurm, une entité énigmatique de quelques timides centimètres… Le Tatzelwurm – étymologiquement ver à patte – n’est pas cantonné aux vieux bestiaires, il s’est habilement faufilé depuis les feuilles parcheminées jusque sous les yeux de témoins qui n’ont pas manqué de relater leur surprenante vision. Si l’on mixe tous ces témoignages, qu’en ressort-il ? Bien que des témoignages récents l’agrandissent, on peut établir qu’il s’agit d’un animal vermiforme de 60 à 90 cm de long, assez épais et dont le corps s’achève brusquement. La tête, qui n’est pas séparée du corps par un cou distinct, est dotée de globes oculaires particulièrement grands. Beaucoup de témoins furent très impressionnés par son regard hypnotique. De couleur brune ou blanche, sa peau ne fait pas consensus : elle est jugée lisse et dans d’autres cas, recouverte d’écailles. p.2 Dossier de cryptide Une langue bifide est souvent mentionnée, ainsi que sa capacité à émettre un sifflement caractéristique. La plus grosse surprise que nous réserve ce petit boudin est la présence d’une seule paire de pattes postérieure (on retrouve parfois dans les témoignages quatre pattes, voire aucune) et malgré cette apparence contraignante, on lui prête la Le Tatzelwurm capacité de faire des bonds prodigieux et de prendre la poudre d’escampette en un éclair. Pour couronner son portrait déjà atypique, on le dit venimeux. Avant de crier au canular, ou de discuter de sa vraie nature – l’enquête zoologique ! – nous allons comme à notre habitude de cryptidophile remonter le temps. Le Tatzelwurm dans l’histoire Neues Taschenbuch für Natur-Forst– und D’ailleurs, l’animal fait tellement corps avec la Jagdfreunde auf das Jahr. Mon correcteur tradition qu’il porte une quantité improbable orthographique, qui n’est pas de noms, selon le pays et même friand de langue germanique, la vallée dans laquelle il se s’affole sur le titre de ce livre balade. On le retrouve en Suisse, écrit en 1836 à l’intention des en Autriche, en Slovénie, en chasseurs et naturalistes Bavière et plus rarement dans le bavarois. On y retrouve une Jura, les alpes françaises, les illustration de ce qui serait le montagnes italiennes et « ver des cavernes », réalisée espagnoles. selon les indications d’un Pour s’y retrouver un peu, des chasseur qui aurait tué cette « j o u r n a u x l o c a u x e t chose. Son corps en forme de scientifiques » (notamment la cigare est couvert d’écailles et revue Kosmos) regroupèrent une surplombe deux paires de soixantaine de témoignages pattes minuscules. pour dresser le portrait évoqué L’illustration suivante, plus ci-dessus, en 1930. Huit ans Représentation d’un Tatzelwurm proche de l’idée qu’on se fait plus tard, Willie Ley va attirer de 1830 de lui, est tirée d’un almanach l’attention des français sur la de 1841. Ces deux exemples bizarrerie des montagnes montrent que depuis un certain temps, un ver dans son article intitulé “Un animal inconnu à pattes semble être connu des populations dans les Alpes”, paraissant dans la revue La alpines. Nature. Illustration de Tatzelwurm de 1841 p.3 Dossier de cryptide Le Tatzelwurm Témoignages Contrairement à ce que pourrait indiquer la petite popularité de ce cryptide, les histoires qui le concernent sont très nombreuses et remontent surtout au début des années 1900. Si vous tenez à en lire quelques-uns, on en trouve de nombreux sur internet, particulièrement des histoires autrichiennes – je mets à votre disposition trois récits à la fin de ce dossier pour alléger ce paragraphe. L’essentiel est de constater que les témoignages, bien qu’ils semblent s’accorder sur une anatomie assez similaire, diffèrent lorsqu’il s’agit de la géographie (extérieur ou grotte) ou de la confrontation (fuite de l’animal ou attitude agressive). Les détracteurs du « ver s a u t e u r » o n t s o u v e n t reproché son caractère hétérogène qu’ils attribuent à une mauvaise identification de plusieurs animaux bien connus. Aujourd’hui, nous ne disposons d’aucune preuve matérielle si ce n’est un cliché pris en 1934 par un certain Balkin. Celui-ci raconte qu’il a voulu photographier un Cliché de Balkin étrange tronc d’arbre couché, qui s’avéra bien vivant puisqu’il partit à vive allure après avoir « posé » pour le photographe. On voit volontiers sur l’image une sorte de poiscaille figée (peutêtre un bibelot) et on peut comprendre que l’objet n’a finalement pas de réel rapport avec notre dossier. Les plus récents témoignages remontent tout de même à quelques décennies. En 1954, on aurait aperçu en Sicile « un animal semblable à un ver de terre muni de deux pattes antérieures et d’une tête de chat qui attaquaient les cochons. » En 1978, c’est une salamandre noire et blanche inconnue qui se montre dans les Hautes-Alpes. Après le canular de Balkin, l’intérêt pour le ver s’est rapidement effrité et le public le considéra avec un dédain similaire que celui porté au monstre du Loch Ness. Des histoires de grands-mères, des récits de promeneurs, d’étranges dessins d’almanach : On ne pourra pas nier que la piste du Ta t z e l w u r m e s t p a u v r e e n p r e u v e s objectivement mesurables. Ceci étant dit, l’ouverture d’esprit du cryptozoologue le conduira à envisager sérieusement son existence. Illustration fantaisiste du Tatzelwurm Des frontières assez floues Dans le cas du Tatzelwurm, il faut être prudent quant à sa répartition. Il existe, en Europe centrale, un mythe fortement enraciné dans le folklore : celui du Lindworm. Ce terme désigne très généralement toutes les créatures à mi-chemin entre le dragon et le serpent. p.4 Dossier de cryptide Illustration très commune attribuée au dragon européen De tels animaux ont été décrits depuis des siècles jusqu’en Scandinavie et en Suède. Souvent, ils sont liés à l’élément liquide : ainsi, de nombreuses légendes peuvent être entendues à propos de tel lac ou de telle Le Tatzelwurm source, hantée par un dragon vermiforme. En ce qui nous concerne, au Moyen-Age, le Tatzelwurm était supposé vivre dans l’Aar, une magnifique rivière suisse inaccessible. Jean-Jacques Barloy a par ailleurs recueilli une information selon laquelle, mentionne til, le Tatzelwurm sortirait d’une source du Val d’Aoste chaque printemps. Je préfère que nous limitions au maximum l’aire de répartition du « ver à patte », car plus on s’éloigne à la fois géographiquement et en tradition, plus nous multiplions les chances d’avoir affaire à des espèces tout à fait différentes. Un exemple éloquent : Proteus anguinus, ou protée, était considéré comme un dragon aquatique en Slovénie, avant que l’on ne découvre officiellement qu’il s’agisse d’un urodèle cavernicole : ici, nous sommes bien loin de notre ver aux grands yeux. Pour amorcer la partie d’investigation, déclarons donc que nous cherchons un animal qui pourrait s’apparenter aux lézards, aux serpents ou aux salamandres au sein de la chaîne alpine. p.5 Dossier de cryptide Le Tatzelwurm Enquête Le lecteur rationnel aura du mal à voir en cet animal un organisme crédible. Si on atténue toutes les « fioritures » que la légende a placé là (la tête de chat, l’agressivité, les tailles excessives et pourquoi pas les bonds prodigieux) on arrive à un organisme qui effleure l’ordinaire : un corps d’une trentaine de centimètres, un crâne allongé doté de grands yeux et une significative paire de pattes antérieure. Rien de quoi vendre un papier sensationnel au grand public, mais si une espèce de taille moyenne reste à découvrir dans les Alpes, il s’agirait tout de même de se lancer sur ses traces. Une loutre Pour commencer par la solution la plus décalée, nous mentionnerons simplement l’une des propositions des détracteurs du cryptide. Sont avancées dans ce cas les capacités de la loutre à siffler et à bondir de façon prodigieuse : deux caractères attribués a u Ta t z e l w u r m , m a i s l e re s t e d e l a morphologie ne correspond bien évidemment pas. courte ont sans doute incité Nicolussi à attribuer au ver cette identité. Ils sont très discrets et sont souvent cachés dans des terriers. Les seuls éléments que l’on peut objecter à cette théorie sont que ces gros lézards sont inconnus ailleurs qu’en Amérique et possèdent bien deux paires de pattes. Les squamates Les squamates forment un ordre qui regroupe les Sauriens et les Ophidiens (en termes généraux, les lézards et les serpents) et qui présentent de potentiels candidats. Remarque : On laissera de côté dans notre enquête les gros vers annélides, qui n’ont bien sûr pas de membres chiridiens et qui n’ont pas la vélocité que l’on prête au ver alpin. Un héloderme Le naturaliste autrichien Jakob Nicolussi trouva tant de points communs entre les hélodermes et le Tatzelwurm qu’il lui donna un nom scientifique avant même sa découverte : Heloderma europaeum. À la défense du Docteur, rappelons que les hélodermes sont une famille de lézard qui ne comporte que deux espèces actuellement connues en Amérique du Nord et qui sont les seuls lézards à être venimeux. Cette capacité ainsi que leur allure trapue et leur queue Couple de Heloderma horridum au zoo de Buffalo Un squamate plus vraiment tétrapode Le caractère d’importance chez ce cryptide est la présence d’une seule paire de pattes postérieure : lorsqu’on inspecte un peu les archives de la diversité du vivant, ce trait forme un indice très important au niveau anatomique. Au cours de l’évolution, de nombreux tétrapodes ont perdu leurs pattes ; Pensez aux cétacés, qui n’ont guère plus de membres postérieurs, inutiles au retour à la vie aquatique. Les pertes de membre se sont produites le plus fréquemment chez les squamates : les serpents, bien entendu, mais aussi de nombreux lézards se sont retrouvés p.6 Dossier de cryptide apodes à des dizaines de reprises indépendantes au cours de leur histoire. C’est en étudiant certaines formes jugées intermédiaires que les scientifiques ont pu reconstruire les évènements anatomiques qui ont conduits à de telles disparitions. • Premièrement, il y a une régression progressive de la taille des membres et du nombre de doigts ou de phalanges. • Cette étape est suivie (voir se déroule simultanément) de la multiplication des vertèbres. • On observe finalement un axe vertébral uniforme, qui masque la distinction entre le cou et la tête, et entre la queue et le corps. Nous pouvons très bien imaginer que les ancêtres du Tatzelwurm aient eu quatre belles pattes, mais il y a tout de même un souci : dans la plupart des cas, les membres arrières sont les derniers vestiges, or notre insolite animal n’aurait conservé que la paire avant. En fait, la disparition des pattes arrières aurait précédé celle des pattes avant que dans de rares cas, notamment chez les amphisbènes du Mexique ou les scinques sirènes de Madagascar – nous y reviendrons. La deuxième difficulté est la suivante : La réduction des membres s’est effectuée chez les amphisbènes ou les scinques dans le cadre d’un mode de vie de plus en plus fouisseur et s’accompagne en conséquence de la réduction des organes sensoriels, notamment les yeux, d’une miniaturisation et d’une dépigmentation. La perte de membres, la forme homogène du corps, le mode de vie tunnelier et la dépigmentation sont compatibles avec le portrait du Tatzelwurm, mais comment expliquer le maintien et même le développement de grands globes o c u l a i r e s ? O n p o u r r a i t s e p e r d r e dangereusement en conjecture en imaginant qu’il s’agisse d’une adaptation à des mœurs nocturnes ou cavernicoles. Que le Tatzelwurm soit une espèce de serpent (grands yeux, langue bifide) ou de lézard bipède, son existence est loin d’être Le Tatzelwurm improbable. Pour achever notre dossier, brossons quelques exemples de créatures insolites bien réelles et candidates. Un amphisbène Il s’agit là d’un sous-groupe des squamates qui se distinguent par l’absence ou la réduction des pattes. Leur silhouette est très proche de celle attribuée au ver à patte : Pas de cou distinct, un crâne robuste et osseux qui ressemble à la queue. Certains sont roses et ressemblent à s’y méprendre à un ver de terre. Malheureusement, on ne connaît qu’une espèce en Europe : Blanus cinereus est de surcroit exclusivement espagnol et complètement apode. Bipes biporus Parmi les amphisbènes, le « copier-coller » réel du Tatzelwurm est le genre Bipes, qui regroupe 3 espèces endémiques au Mexique : Les deux pattes avant, la couleur rose crème et les anneaux du corps correspondent à merveilles (sauf pour les yeux, très réduits chez cet animal fouisseur). Si l’éloignement géographique n’était pas de mise, on aurait peut-être pu classer l’affaire. Un scinque D’une diversité spécifique extraordinaire, les scinques offrent de bons candidats : certains ne possèdent plus que de petites pattes atrophiées, d’autres les ont toutes perdues et d’autres encore ont la queue courte et arrondie. En France, on connaît le seps, qui a l’allure d’un serpent à pattes. p.7 Dossier de cryptide Une salamandre Enfin, l’hypothèse de la salamandre a été évoquée. Bien qu’elle ne soit pas compatibles avec les caractères écailles et langue bifide, une salamandre pourrait correspondre à certains témoignages : cet Le Tatzelwurm animal est là pour nous rappeler que nous ne sommes jamais certains d’avoir à faire à la même espèce. Une meilleure ségrégation des témoignages amènerait peut-être à dissocier un animal cavernicole d’un animal vivant dans l’humus, d’une salamandre d’un lézard ou d’un serpent. Le Mot de la fin Qu’un animal de cette taille (potentiellement trouvable en France et dans les pays de l’Europe) soit resté discret jusqu’à aujourd’hui demande un grand effort d’ouverture d’esprit. Le Tatzelwurm est peut-être seulement un mythe, un fruit de l’amalgame involontaire de plusieurs animaux, peut-être a-t-il existé et s’est éteint (ce qui est loin d’être improbable : nous connaissons le lourd tribut que payent les reptiles et les amphibiens aux contraintes écologiques actuelles) et peut-être est-il encore en vie au sein de populations vivant dans les derniers endroits propices à leur maintien. Aux vues des évènements évolutifs qui se sont produits chez les squamates relativement à leurs membres, nous pouvons penser que le ver mystérieux ait perdu ses pattes postérieures à la manière des amphisbènes mexicains : une convergence évolutive. Si un jeune entrepreneur voulait se lancer dans sa recherche, je ne saurais que l’en encourager et pour signifier que cette recherche n’a rien d’anachronique, je vous suggère de regarder le logo de l’organisme qui gère actuellement le tourisme de la gorge de l’Aar, où coule une rivière qui hébergeait, dans l’esprit du peuple il y a quelques siècles, un merveilleux dragon aquatique. Annexes : 3 témoignages Kaspar Arnold, officier des chemins de fer/juillet 1883 ou 1884/Versant ouest du Spielberg, Tyrol. “[Arnold observa] cet animal de seulement 30 cm de longueur et épais comme l’avant-bras. Il prit une position agressive contre l’intrus, qui évita l’animal par un grand détour, et put alors l’observer pendant un bon laps de temps. Il le décrit comme ayant la forme d’un grand lézard, avec cependant une queue plus courte et beaucoup plus épaisse, avec seulement deux pattes de devant semblables à celles d’un basset; et il est sûr qu’il n’y avait pas de pattes de derrière. Peau nue ou finement écailleuse, couleur brunverdâtre et regard perçant qui engendre la peur. Une confusion avec un autre animal de notre région n’est pas possible, car tous ceux-ci comme la loutre, le putois, la martre, etc., sont connus du témoin.” (d’après Flucher 1932). p.8 Dossier de cryptide Le Tatzelwurm Johann Biechl, concierge d’hôtel et Hein, braconnier/été 1921/Alpe du Hochfilzen dans le Rauris. “[…] ils entendirent à une certaine distance un chamois siffler, ce qui étonna beaucoup le braconnier, à cause d’un vent favorable. Mais bientôt il réalisa que ce n’était pas un daim, mais un autre animal qui sifflait si étrangement, et ils suivirent en cachette le bruit. Après quelque temps ils remarquèrent sur un bloc de rocher un animal qui les fixait avec “un regard terrifiant, perçant, hypnotique”. Le braconnier mit en joue, le coup partit en un clin d’œil, mais l’animal bondit en un énorme arc de 3 m de hauteur et 8 m de longueur entre les deux hommes qui tournèrent les talons au plus vite. De l’avis du tireur, c’était un Tatzelwurm que notre témoin décrit comme suit : environ 60 à 80 cm de long et épais comme le bras, tête comme celle d’un chat, grosse comme le poing, sans rétrécissement du cou visible, se fondant avec une épaisseur régulière dans le corps épais et cylindrique. La queue d’épaisseur constante et assez brusquement devenant pointue “comme une carotte”. Pour sûr il n’y avait sur l’animal que deux très courtes pattes antérieures dirigées vers l’extérieur, qui se décollaient nettement du corps lors du saut. La couleur de l’animal était grise, à peu près comme celle du rocher sur lequel il se tenait.” (d’après Flucher 1932). Instituteur autrichien (nom inconnu)/avril 1929/Grotte du Tempelmauer. “ Bien équipé, je pris la route par un matin de printemps et après une brève escalade, j’atteignis le sommet de Tempelmauer. Après une courte halte entre les rochers, je me mis en quête de l’entrée de la grotte. Soudain, je vis un animal serpentiforme étendu sur l’humus pourrissant qui couvrait le sol. Sa peau était presque blanche, non recouverte d’écailles mais lisse. Sa tête était aplatie et l’on voyait deux pattes très courtes à la partie antérieure du corps. Il ne faisait pas un mouvement mais ne cessait de me fixer de ses yeux remarquablement grands. J’étais capable de reconnaître au premier coup d’œil chacun de nos animaux (faune locale) et je savais que j’avais sous les yeux celui qui est inconnu de la science, le Tatzelwurm. Excité et joyeux, mais en même temps quelque peu craintif, j’essayai de saisir l’animal, mais… trop tard ! Avec l’agilité d’un lézard, la bête avait disparu dans un trou et tous les efforts que je déployai pour le retrouver furent vains. « Mon » Tatzelwurm n’avait pas de longues griffes, mais de petites pattes courtes et atrophiées ; sa longueur n’excédait pas 40 à 45 cm. Il est plus que probable que le Tatzelwurm est une variété rare de salamandre qui vit dans des grottes humides et ne vient que rarement à la lumière du jour.” (d’après B.Heuvelmans.) Bibliographie BARLOY, Jean-Jacques 1990 Rumeurs sur des animaux mystérieux. HEUVELMANS, Bernard 1955 Sur la piste des bêtes ignorées, édition Plon. INSTITUT VIRTUEL DE CRYPTOZOOLOGIE 1999 Le Tatzelwurm ou "ver à pattes" des Alpes (9 aout). LEY, Willie 1938 Un animal inconnu dans les Alpes. La Nature : 366-367 (01 juin). MIRALLES Aurélien, 2015 Serpents et lézards sans pattes, Revue Espèces n°18 (décembre) SONER, Ar 2009 Tatzelwurm. Encyclopédie du paranormal (12 juillet). SHUKER, Karl 2012 « A » is for Ajolote – of Tatzelworms and death worms, Blog de Karl Shuker (24 octobre). WIKIPEDIA 2014 Lindworm (2 décembre) p.9 Article Expédition Mokélé janvier 2016 Le Mokélé laisserait des traces sur la plage. Rapide retrospective des résultats de l’expédition janvier 2016 par l’équipe de Michel Ballot, au Cameroun. De ceux qui ne lâchent pas prise, nous pouvons citer sans erreur Michel Ballot, un explorateur qui connaîtra bientôt autant les recoins des épaisses forêt d’Afrique centrale que ceux de son propre salon. Lancé sur la piste du plus célèbre cryptide africain, le MokéléMbembé, son équipe et lui-même ramènent de nouveaux éléments suite à une expédition s’étant déroulée en janvier 2016. Depuis plus de dix ans d’exploration, les indices de cette année semblent être les traces les plus probantes jamais observées sur le terrain. Après une navigation éprouvante sur le fleuve Dja, notre équipe se rend aux chutes Nki - à la pointe sud du Cameroun - au-delà desquelles se trouvent un univers quasiinviolé et encore préservé des déboires d’Homo sapiens. La saison des pluies ne survenant qu’au plus tard de l’été, certains îlots sableux environnants sont émergés le reste de l’année et offrent de splendides occasions d’inspecter le sol. Les aventuriers ont pu relever des traces de caïman, et d’autres empreintes laissées par un animal dont on jurerait ne pas connaître la véritable nature. La première piste se constitue d’empreintes uniformes et ovales de 50 cm de longueur sur 30 cm de largeur, chacune étant séparée de l’autre par 45 à 50 cm. La seconde île est recouverte de traces laissées par les crocodiliens, auxquelles se mélangent d’autres jeux d’empreintes plus grandes mais néanmoins confuses. L’avis d’un expert pourrait bien entendu aider à trancher la question, mais la présence de telles traces représente, au moins pour ce qui est des premières, un indice d’une grande importance en faveur de l’existence d’un animal imposant toujours dissimulé au milieu des branches et des flots sinueux de Centrafrique. Vous pourrez retrouver plus d’informations sur le site Mokélé Expédition de Michel Ballot. En attendant, souhaitons lui de pouvoir encore avancer dans son enquête, qui est certes une aventure humaine et personnelle, mais aussi une magnifique représentation du travail cryptozoologique. p.10 Article Expédition Mokélé janvier 2016 Détail d’une empreinte profonde appartenant à une série observée sur une île du fleuve Dja, près des chutes Nki (30 cm de large, 50 cm de long). Large empreinte retrouvée sur l’île au caïmans, à côté des lunettes et en haut à gauche, on peut voir des traces de caïmans, à titre de comparaison. Plus d’informations sur http://mokelembembeexpeditions.blogspot.fr p.11 Le Mot de… Le Mythe indigène II par Sébastian Tricot Quand un cryptozoologue à l’occasion de s’arracher les cheveux, c’est soit qu’il se trouve en face d’un détracteur particulièrement sceptique, soit qu’il est en train d’écrémer les appellations indigènes sur tel ou tel cryptide : le grand nombre de « pseudonyme » provoque une confusion un poil irritante. Mais comme les difficultés peuvent présenter des visages très différents, parfois c’est le phénomène opposé qui se produit lors de la résolution d’une affaire, des animaux hétéroclites porteront le même pseudonyme. Un exemple ? En Ouganda, lorsqu’une hyène, un léopard ou un gorille fait montre d’un comportement inhabituel et féroce, on l’appelera l’Engagyi sans distinction. Cette situation peut s’expliquer facilement. Premièrement, il faut savoir que parmi de nombreuses populations – notamment africaines – le mythe de l’homme-animal est très répandu ; Ainsi, on trouvera logique que lorsqu’un animal commet un acte particulièrement atroce, on attribuera cette cruauté à l’humain qui se cache derrière sa fausse apparence, autrement dit, un animal ordinaire ne commet pas de crimes. Cette croyance est sûrement à l’origine de la désignation par un terme générique d’espèces totalement différentes : pour faire simple, que l’homme se soit changé en singe ou en félin, on l’appellera le « sorcier ». Deuxièmement, outre le fait même de croire en ces métamorphoses et dans un cas plus général, tout animal inhabituel « est rangé d’emblée par les « primitifs » dans une classe particulière, et nommé en conséquences. » Chaque peuple a ses démons, et ces démons ou diables possèdent des noms bien attribués. Si on agrandit l’échelle à plusieurs tribus, on retombe sur nos pattes ! Le peuple Nandi désigne les animaux étranges par Chemosit, et les Massaï, par En-e-‘naunir. De cette façon nous pouvons être confrontés à différentes appellations pour une espèce éventuellement unique. Bien entendu, il ne faudra pas tomber dans le piège de juger les traditions comme absurdes et primitives ; Rappelons que de notre côté, nous procédons de la même façon en désignant les monstres par « vampire » ou « démon ». Un cas éloquent : La Bête du Gévaudan. Dans les consciences de l’époque, il s’agissait effectivement d’une créature diabolique mais inconnue : paf ! L’étiquette générique est sortie : la bêêêêêête !!! p.12 miscellanées Le livre au coin du feu Les deux ouvrages Sur la piste des Bêtes Ignorées sont un véritable trésor de littérature zoologique, s’ils ne sont plus édités aujourd’hui, il est néanmoins possible de les trouver sur internet. Je conseille à toute personne voulant se renseigner sur la discipline méconnue qu’est la cryptozoologie de se plonger dans la lecture de ces derniers, car ils composent un manuel d’initiation très pertinent. Bernard Heuvelmans, considéré comme le père fondateur de la cryptozoologie, propose dans ces deux tomes un voyage autour de créatures étonnantes dont l’existence est soupçonnée à travers 4 continents différents. On y aborde des enquêtes rigoureuses, argumentées d’analyses scientifiques, propres au docteur des sciences zoologiques que l’on nommait à l’époque le Sherlock Holmes des animaux. Le profane comprendra aisément dans quelle mesure la lecture de ces livres a attisé la curiosité de bien des personnes, qui courent encore aujourd’hui le monde à la recherche de cryptides. Évènementiel p.13 La planche Retrouvez d’autres articles sur cryptidophilia.com Louis Chevillard © Cryptidophilia