Le clonage humain entre bluff et imposture
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Le clonage humain entre bluff et imposture
SCIENCES ET MÉDECINE SAMEDI 27 - DIMANCHE 28 DÉCEMBRE 2003 9 PROCRÉATION Il y a un an, la secte Raël annonçait la naissance du premier bébé cloné. Une déclaration qui n’a jamais pu être vérifiée Le clonage humain entre bluff et imposture Le 27 décembre 2002, Brigitte Boisselier, guide-évêque raélienne de rang 5 et présidente de la société Clonaid, annonçait la venue au monde du premier être humain cloné. Un an plus tard, les scientifiques mettent en doute la faisabilité du clonage reproductif humain. La secte n’a jamais étayé ses affirmations et n’a pas pu en apporter des preuves scientifiques. L’indignation initiale a laissé place à l’incrédulité. Les Nations unies ont repoussé jusqu’à 2005 la discussion visant à proscrire cette pratique. Pendant ce temps, aux Etats-Unis, en Italie, en Turquie ou en Chine, plusieurs équipes s’activent pour créer le premier être humain copie conforme de sa mère. Cyrille Louis C’est au cours d’un simple échange téléphonique avec un journaliste de l’AFP que la chimiste française Brigitte Boisselier a allumé, il y a un an jour pour jour, l’un des plus surprenants feux d’artifice médiatiques de l’histoire scientifique moderne. Le 27 décembre au petit matin, cette adepte de la secte raélienne annonce depuis la Floride la naissance « du premier être humain cloné ». « Eve », précise-t-elle plus tard, serait née par césarienne d’une mère stérile âgée de 31 ans et pèserait 3,2 kilos. « Les parents sont heureux. J’espère que vous penserez à eux lorsque vous parlerez du bébé et que vous ne le présenterez pas comme un monstre », ose même la patronne de Clonaid avant de s’engager à rendre publiques, dans les dix jours, les empreintes génétiques de la mère et de l’enfant afin de prouver ses affirmations. Trois semaines plus tard, alors que l’émotion est retombée, Claude Vorhilon alias Raël confie devant quelque 300 adeptes réunis à Montréal : « On dit que le bébé cloné est une blague. Si c’est vrai, alors c’est la plus belle blague scientifique de l’histoire. » De fait, plus personne ne semble vraiment croire Brigitte Boisselier qui, d’ailleurs, a renoncé à fournir la preuve scientifique de ses dires. Tout juste at-elle pris la peine de préciser que, « sur les dix grossesses déclenchées par implantation d’un embryon cloné au printemps 2002 », cinq seraient arrivées à leur terme. « Plusieurs spécialistes internationaux indépendants ont depuis lors pu étudier discrètement les patrimoines génétiques des enfants et de leur mère. Ils se tiennent prêts à témoigner dès que je le leur demanderai », a-t-elle affirmé récemment au Figaro. Entre-temps, d’innombrables condamnations se sont abattues sur la secte et sa mystérieuse branche scientifique, Clonaid. En France, tandis que le ministre de la Santé Jean-François Mattei propose de créer une nouvelle qualification pénale de « crime contre l’espèce humaine » applicable aux artisans du clonage humain, Bernard Kouchner annonce vouloir porter plainte pour « eugénisme ». Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) ouvre une enquête afin de déterminer si la secte a « violé la législation américaine » et un avocat de Floride demande en vain que la garde d’Eve soit retirée à ses parents. En Corée du Sud, où Clonaid assure être implantée, le gouvernement fait perquisitionner ses locaux. Partout, des voix s’élèvent pour réclamer l’interdiction internationale du clonage reproductif humain. A l’époque, pourtant, personne ne sait vraiment ce qui se cache derrière la marque Clonaid dont la présidente explique aujourd’hui qu’elle désigne en fait un « projet scientifique », et non une société. Tout juste Brigitte Boisselier consent-elle alors à indiquer que la structure a été créée en 1997 aux Bahamas, avant d’être discrètement transférée vers les Etats-Unis. Courant 2001, une descente organisée par des enquêteurs de la FDA dans un laboratoire de la secte situé en Virginie-Occidentale n’a pas davantage permis de percer le mystère. « Nous y avons découvert des carnets de notes dont le contenu ne collait pas avec un vrai travail de recherche scientifique, mais aussi du matériel tout à fait adéquat et d’excellente qualité », confiait alors un cadre de la FDA au New York Times. Faute de preuve concluante, Clonaid demeure donc pour beaucoup une simple coquille vide dissimulée par un site Internet sophistiqué. Seulement voilà : depuis la naissance en 1997 de la brebis Dolly, premier mammifère cloné, un trio de « savants fous » décidés à créer Une technique mal maîtrisée marquée par des échecs Et si la technique du clonage reproductif était tout bonnement inapplicable à l’espèce humaine ? Tandis que les trublions Antinori, Boisselier et Zavos multiplient les déclarations, la communauté des biologistes s’interroge de plus en plus ouvertement sur la transposabilité chez l’homme du procédé qui, depuis la venue au monde de la brebis Dolly en 1996, a permis de cloner de nombreux mammifères. Ne serait-ce qu’en raison de son caractère encore mystérieux et très imparfait. Imaginée dans les années 60 mais longtemps jugée quasi impossible à mettre en œuvre, la technique utilisée par l’Ecossais Ian Wilmut pour cloner Dolly repose sur l’idée – aujourd’hui contestée – qu’une cellule adulte peut être reprogrammée à tout moment de sa vie. En théorie, l’objectif est de la « reconfigurer » en prélevant son noyau pour l’introduire dans un ovule précédemment énucléé puis en « donnant vie » à l’ensemble au moyen d’une impulsion électrique. Après quelques jours de développement, l’embryon ainsi créé peut en principe être implanté dans le ventre d’une femelle pour déclencher une grossesse – alors que le clonage thérapeutique, au contraire, propose de prélever les cellules souches de l’embryon et de les utiliser pour traiter des maladies graves. En pratique, les choses ne sont toutefois pas aussi simples. Chez l’animal, malgré la multiplication des expériences au cours des dernières années, le taux de réussite – proportion d’embryons implantés qui parviennent à se développer jusqu’à donner des êtres viables – oscille entre 1 et 2 %. En outre, on manque encore de recul pour garantir que les survivants de cette impitoyable sélection présentent un patrimoine génétique parfaitement normal. Ian Wilmut lui-même en doute, qui reconnaît aujourd’hui encore être incapable d’expliquer comment Dolly a pu voir le jour. Chez l’homme, certaines spécificités pourraient encore compliquer la mise en œuvre du clonage, voire la rendre impossible. En avril dernier, une équipe de chercheurs américains a ainsi remarqué dans la revue Science que l’énucléation de l’ovule – première phase incontournable du procédé – se traduit, chez le primate, par la disparition de deux protéines vraisemblablement indispensables au développement de l’embryon. Un obstacle que l’auteur de cette étude, Gerald Schatten, a identifié après avoir tenté en vain de cloner, à 714 reprises, de petits singes rhésus. Deux ans après que la firme américaine Advanced Cell Technology (ACT) eut annoncé avoir créé pour la première fois un embryon humain par transfert d’un noyau de cellule somatique, la communauté scientifique est donc plus sceptique que jamais sur la faisabilité du clonage humain. Ce qui n’empêche pas la recherche de se développer. En Chine, quatre groupes de chercheurs ont ainsi confié mener des expériences sur le clonage d’embryons humains – officiellement pour récolter des cellules souches. Le laboratoire dirigé, dans la ville de Changsa, par le professeur Lu Guanxiu, pourrait être le plus avancé. Cette spécialiste de la procréation médicalement assistée assure avoir créé le premier embryon humain cloné bien avant ACT, dès 1995. Mais, une fois encore, n’en apporte pas la preuve. Aux Etats-Unis, deux équipes au moins travaillent désormais à la création de cellules souches par la même technique. L’université de Stanford, en Californie, s’est en effet récemment lancée sur ce terrain, dans le cadre d’un programme de recherche visant à mettre au point des traitements contre le cancer, le diabète et les maladies cardio-vasculaires. Quant à la firme ACT, elle s’est dite maintenant capable de cultiver un embryon cloné jusqu’à ce qu’il atteigne la taille de seize cellules. Enfin, en juin dernier, les autorités britanniques ont autorisé le père de Dolly, Ian Wilmut, à entamer des recherches visant à mieux comprendre les mécanismes de reprogrammation des cellules humaines. C.L. un être humain rigoureusement copié sur sa mère joue de la surenchère médiatique. Et Brigitte Boisselier en fait partie. En 2001, elle participe même à un débat sur le clonage humain organisé par la prestigieuse Académie des sciences américaine, en compagnie du gynécologue italien Severino Antinori, célèbre pour avoir notamment permis à plusieurs femmes ménopausées d’enfanter, et de l’andrologue américain Panayotis Zavos. Or, si aucun de ces scientifiques n’a de compétence spécifique en biologie reproductive, tous trois se proclament alors capables de créer à court terme les premiers clones humains. C’est donc dans un ciel chargé d’inquiétudes qu’a retenti, le 27 décembre dernier, le coup de semonce raélien. Conséquence immédiate, les Etats-Unis et bon nombre de pays européens ont hâté le pas dans leur marche vers l’interdiction du clonage reproductif. Au plan international, la France et l’Allemagne ont de même milité pour une prohibition rapide des recherches en ce domaine. Mais le débat, entamé en novembre dernier à l’Assemblée générale des Nations unies, a finalement été repoussé à 2005 par une courte majorité de 80 voix contre 79. Derrière les Etats-Unis, de nombreux Etats ont en effet estimé urgent d’interdire le clonage humain sous toutes ses formes, y compris le clonage thérapeutique. Tandis que la France et les pays d’Europe du Nord se sont refusés à assimiler les deux démarches. Bénéficiant ainsi d’un sursis, Severino Antinori et Panos Zavos semblent désormais privilégier leurs travaux de laboratoires aux micros des journalistes. Tout juste le gynécologue italien a-t-il récemment accepté de confier au Figaro qu’il « coordonne actuellement les recherches de quatre équipes au Liban, en Inde, au Mexique et dans un pays d’ex-Union soviétique ». Avant d’ajouter, plus prudent qu’à son habitude : « Les résultats cliniques sont maintenant suffisants pour dire que la technique de clonage d’un embryon humain est désormais fonctionnelle. » Zavos, lui, ne s’est plus exprimé depuis mai dernier. Il avait alors affirmé avoir créé par clonage « un embryon de 8 à 10 cellules » à partir d’une femme de 45 ans. Sans en apporter la preuve. ESPACE On était hier encore sans nouvelles du petit robot conçu par l’Anglais Colin Pillinger EXPOSITION Au Musée de la Poste Mars : l’espoir s’amenuise pour Beagle 2 Le pigeon voyageur, un valeureux messager Cyrille Vanlerberghe Le facétieux professeur Pillinger a relevé le défi de créer un atterrisseur très léger de 60 kg. (DR.) mètre se soit posé sur une zone très accidentée, comme le bord d’un gros rocher ou dans une crevasse quelconque. Même s’il monopolise l’attention du public par rapport à l’orbiteur, Beagle 2 n’est en fait qu’une petite partie de la mission européenne Mars Express. Lors de la définition de la mission en 1997, sur les cendres de l’échec russe de mars 96, l’ajout d’un petit atterrisseur pour chercher des traces de vie à la surface de la planète avait été proposé à la surprise générale par l’Anglais Colin Pillinger. Ce spécialiste de l’étude isotopique des météorites est devenu en quelques années la coqueluche du public et des médias britanniques, facilement reconnaissable par son image à mi-chemin entre le savant fou et le rocker vieillissant. Malgré l’incrédulité de l’ensemble de la communauté scientifique, Pillinger a relevé le défi de concevoir et fabriquer un atterrisseur muni d’instruments scientifiques très ambitieux pour un poids total de seulement 60 kg, dans un temps extrêmement court et un budget réduit (environ 60 millions d’euros). A titre de comparaison, les deux « rovers » américains qui doivent se poser en janvier sur Mars, ont chacun un poids total au lancement de 1062 kg pour un budget couplé de 820 millions de dollars. Au-delà des contraintes posées par un temps de développement très court pour un engin aussi innovant, Colin Pillinger a surtout eu beaucoup de mal à financer son projet. A la place d’hypothétiques financements privés qui ne sont jamais arrivés, le budget n’a finalement été bouclé qu’avec l’aide au dernier moment de l’ESA, de l’industriel EADS Astrium UK qui a fabriqué Beagle 2 et du gouvernement britannique. Le budget définitif n’a été assuré qu’au début de l’année 2002, à peine un an avant que l’engin soit livré à l’ESA pour être accroché à Mars Express. « Il est bien plus pénalisant de courir après de l’argent en cours de développement, que d’avoir un budget réduit mais assuré dès le départ », expliquait David Southwood, directeur scientifique de l’ESA avant l’arrivée de Beagle 2 sur Mars. Par manque de temps et d’argent, les tests au sol sur tous les systèmes de Beagle n’ont pas été aussi exhaustifs qu’ils auraient dû l’être. Isabelle Brisson Le pigeon montre ses talents de voyageur au Musée de la Poste à Paris dans une exposition intitulée « Pigeon vole ou l’oiseau messager » (1). Cette redécouverte des capacités du volatile a été réalisée en partenariat avec Arte qui prépare une soirée Théma sur le sujet, avec la Mairie de Paris, les Sociétés colombophiles et le ministère de la Défense. Fiers de leur régiment colombophile, les militaires ont lâché une centaine d’oiseaux dans le ciel parisien le jour de l’inauguration de l’exposition. Aujourd’hui considéré comme un fléau des villes, le pigeon s’est pourtant comporté comme un brave petit soldat pendant les guerres. Il a été propulsé au plus haut de sa popularité par le siège de Paris en 1870. « Des millions de messages ont été transmis par son intermédiaire. Des ballons munis de cages partaient avec le courrier. Quand le ballon arrivait à destination les pigeons revenaient équipés pour transporter des messages à destination des assiégés », rappelle Pascal Roman, chargé de la conservation des Collections historiques au Musée de la Poste. Un procédé de miniaturisation comparable à celui des microfilms permettait de multiplier la quantité de messages envoyés. Ils étaient lus à l’aide d’un projecteur appelé « lanterne magique ». Recopiés à la main ils étaient distribués aux destinataires par des facteurs. Leur prix atteignait 10 francs de l’époque, l’équivalent de deux jours de travail pour un ouvrier. Pendant la Première Guerre mondiale, l’oiseau fut à nouveau utilisé pour transmettre les messages militaires. Le célèbre pigeon Vaillant est même cité à l’ordre de la nation. Sa Le pigeon voyageur est le résultat d’une sélection effectuée par l’homme au cours des siècles pour l’adapter à ses besoins. La première date de l’Égypte des pharaons, il y a 5 000 ans. A l’époque, l’oiseau était déjà élevé pour sa qualité de messager mais aussi pour les vertus fertilisantes de ses fientes et pour sa chair. Devenu privilège des nobles sous Charlemagne, il a laissé les pigeonniers de nos châteaux. A partir de la Révolution tout le monde peut posséder le sien. La légende raconte qu’au XIX e siècle un pigeon voyageur prévient Rothschild de la défaite de Napoléon à Waterloo, lui permettant de réaliser un coup de Bourse mémorable, à l’origine de la fortune familiale. Depuis une dizaine d’années, ce volatile ne brille pratiquement plus que pour ses qualités sportives. En 1991 un champion nommé Play Boy est acheté par un Japonais 129 581 euros. Aujourd’hui, 500 000 de ces oiseaux traversent encore la France chaque week-end pour les besoins du sport. En 1991, un Japonais a acheté un pigeon voyageur 129 581 euros pour ses qualités sportives photo et la réplique de sa distinction, conservées au colombier du Mont-Valérien, figurent en bonne place à l’exposition. Dans le même temps l’oiseau trouve un emploi jusque dans les compagnies de navigation et des agences de presse comme Reuter. Ne connaissant pas les embouteillages, il est utilisé par les hôpitaux et les laboratoires pour véhiculer les prélèvements sanguins jusque tout récemment. (1) Du 15 décembre au 17 avril 2004. C Malgré de nouvelles tentatives de connexion, aucun signal n’a encore été reçu de la petite sonde Beagle 2, qui est arrivée sur Mars pendant la nuit de Noël. Les chances que cet atterrisseur d’une trentaine de kilos soit arrivé sain et sauf sur la surface désertique et glacée de Mars sont de plus en plus faibles. D’autant plus qu’une nouvelle tentative de liaison, tentée par le satellite américain Mars Odyssey, a échoué hier dans la nuit. Heureusement pour la mission de l’Agence spatiale européenne (ESA), le satellite Mars Express qui emportait Beagle 2 a de son côté parfaitement réussi sa mise en orbite autour de la planète rouge. Il devrait fournir de nombreuses observations intéressantes aux scientifiques dans les mois qui viennent. Malgré l’absence totale de nouvelles de la sonde, le responsable scientifique de Beagle 2, le professeur Colin Pillinger de l’Open University et toute son équipe continuaient de croire en leurs chances. « Nous demeurons optimistes », déclarait hier Peter Barratt, porte-parole de l’équipe Beagle 2. En effet, de nombreux petits pépins techniques, pas forcément fatals pour la mission, auraient pu em- pêcher la sonde américaine Mars Odyssey de percevoir les signaux radios de Beagle 2. Par exemple, si la sonde s’était posée à une centaine de kilomètres de la zone visée sur Isidis Planitia, (ce qui paraît de toute façon improbable vu la précision avec laquelle Mars Express en envoyé Beagle 2 vers sa destination), le cône de réception assez fin (une vingtaine de degrés) de l’antenne d’Odyssey n’aurait rien pu entendre. Mais la tentative jeudi 25 décembre entre 22 h et minuit (heure française) par l’immense radiotélescope de 76 m de diamètre à Jodrell Bank en Angleterre a également été infructueuse. Et pourtant l’engin aurait été capable de détecter le très faible signal radio, 5 watts à 157 millions de kilomètres, sur l’ensemble de la face visible de Mars. Malheureusement, la qualité de la réception a été amoindrie par d’assez forts niveaux d’interférences radio autour de la fréquence à 401,5 MHz de Beagle 2. Au-delà de l’échec catastrophique qui est tout à fait possible lors de la difficile phase d’entrée dans l’atmosphère d’une planète lointaine à 20 000 km/h, il est également possible que tout se soit déroulé normalement, mais que par malchance, l’engin qui a la forme d’un grosse montre gousset de 64 cm de dia-