C. Sellenet

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C. Sellenet
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Intervention de Catherine Sellenet
Journée d’étude du 19 novembre 2007
« De la nourrice à l’assistante familiale,
histoire d’une reconnaissance »
Pendant très longtemps, les familles d’accueil ont peu fait parler d’elles.
Lorsque les médias daignaient se pencher sur le quotidien de ce métier, c’était
que se profilait à l’horizon un fait dramatique ou polémique, qui allait pouvoir
faire pleurer les foules et mobiliser l’opinion publique. L’histoire était toujours la
même : la « méchante DASS », kidnappeuse d’enfants, enlevait un enfant à une
famille d’accueil attentionnée, pour le rendre à ses parents ou le mettre dans une
autre institution. Du contexte singulier de chaque histoire, on ne savait
généralement rien de plus, mais peu importait car l’histoire ainsi contée n’était là
que pour susciter de l’émotion, des affects, elle ne servait qu’à alimenter une
histoire déjà écrite qui prouvait que l’administration était sans cœur, qu’elle
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Intervention de C. Sellenet / Journée d’étude ETSUP-Espace Enfance / 19-11-2007
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refusait les liens d’attachement entre les enfants et les familles d’accueil. Du
travail des familles d’accueil, de leur quotidien, le grand public ne percevait que
peu de choses jusqu’en cette année 2001 où la télévision se saisit de cet espace
privé pour en faire une série télévisée. La première diffusion a lieu le 15
décembre 2001 sur FR3 et le script nous donne la mesure de l’imaginaire
collectif autour de cette profession. Les représentations relatives à un métier
sont importantes, et ce petit détour introductif ne me semble pas inutile. Quelle
image, la télévision propose-t-elle de ce métier peu ordinaire ? A la télévision,
« Marion (Virginie Lemoine) et Daniel sont des parents formidables pour leur
fille Charlotte et leur fils Tim mais aussi pour Louise, une petite fille d’origine
africaine dont les parents sont décédés et qu’ils ont recueillie il y a 3 ans. Ainsi,
la DASS leur confie régulièrement des enfants. C’est une tradition dans la
famille puisque la mère de Marion adoptait aussi des enfants. La famille Ferrière
vit dans une grande maison non loin de Pau et comprend également Jeanne, la
mère de Daniel, (Ginette Garcin), sans oublier Juliette, la fille aînée de Daniel qui
vit en ville mais revient à la maison chaque fois que l’occasion se présente». Le
décor, dès ce premier épisode est posé. Pour le grand public, la famille d’accueil
aura désormais le visage d’une famille ouverte, chaleureuse, à la fois
traditionnelle (dans son accueil de la grand-mère paternelle) et moderne (c’est
une famille recomposée). Le script n’évite pas les erreurs comme la confusion
possible entre l’accueil et l’adoption. Dans ce scénario, l’accueil est une tradition
qui s’inscrit de mère en fille, et la famille recevra pour son premier placement,
Romane, une adolescente de quinze ans, dont la mère est alcoolique. Ce premier
épisode d’une longue série attirera six millions de téléspectateurs. La famille
d’accueil a donc aujourd’hui un visage, une histoire, elle offre, au gré des
épisodes, le visage d’un métier attachant mais à risques. Nul ne peut dire si cette
mise en scène a créé des vocations ou au contraire renforcé des résistances,
mais elle a donné une curieuse visibilité à un métier ancestral, dont nous allons
retracer le parcours. Secondairement, nous évoquerons les enjeux de ce métier
sur trois registres : la sélection des candidatures, l’articulation parents-familles
d’accueil, l’articulation famille d’accueil-professionnels (qui sera largement
complété par S. Euillet) ; Ces trois thèmes ont été choisis en raison de leur
actualité. Pour le premier (l’agrément), nous pouvons nous demander si la
philosophie de la loi de 2005 est passée dans les pratiques d’évaluation Pour les
deux autres thèmes, nous interrogerons qui peut exister entre le discours tenu
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en formation et la réalité des pratiques de terrain. Enfin nous conclurons par une
mise en perspectives des évolutions possibles de ce métier.
1. De la nourrice à la famille d’accueil
Le métier d’assistante maternelle trouve son origine dans l’Antiquité, c’est
dire sa persistance, son ancienneté mais aussi son évolution. Si élever et garder
les enfants a toujours été une affaire de femmes, la fonction a subi au cours des
siècles bien des remaniements que nous allons baliser rapidement.
Aux origines du métier jusqu’aux années 1900
Garder des enfants, les élever, c’est principalement dans un premier temps
les nourrir. Notre siècle a oublié cette dimension nourricière, sauf peut-être
dans la terminologie « nounou » qui reste profondément ancrée dans le langage et
dans les mentalités. La nourrice est celle qui nourrit (du latin nutrire), celle qui
donne du lait goutte à goutte (en sanscrit snauti), d’où l’importance de sa
morphologie lors de la sélection des candidatures. L’Antiquité se préoccupe très
vite de fixer les critères de choix d’une bonne nourrice. « Les qualités
stéréotypées de celle-ci peuvent être classées sous trois rubriques : la première
regroupe la provenance, l’état civil, l’âge et son expérience, la deuxième se base
sur l’aspect extérieur, la beauté et les apparences de sa santé et enfin, la
troisième sur son caractère ». La nourrice de l’époque aura entre 20 et 40 ans et
sera mère de deux ou trois enfants, afin que l’on puisse avoir l’assurance de sa
santé, de son expérience, de son dévouement. Elle sera sensible et vigilante,
paisible, ni superstitieuse ni mystique. Le régime de vie qui lui est imposé la place
entièrement au service du bébé. « Ainsi, pour sa propre alimentation, elle tiendra
compte non de son appétit personnel mais de l’âge de l’enfant ; si celui-ci est
malade, c’est elle qui avalera des médicaments ; elle se soumettra à divers
exercices pour faire bouger ses seins et les renforcer : jeux de balle, maniement
d’haltères ou d’aviron ; dans les milieux modestes, elle pourra puiser de l’eau,
piler et moudre du grain, ou faire le lit. Jamais elle ne préférera son bien-être
personnel à celui de l’enfant ». Le choix de la nourrice. La mère presse le sein
pour vérifier la qualité du lait. Aldebrandin de Sienne, régime de santé, France,
fin du XIIIe siècle. Paris BNF département des manuscrits français.
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Totalement consacré au bien-être de l’enfant, le métier de nourrice décline
déjà ses exigences : la sexualité est interdite car elle refroidit l’affection
portée au nourrisson, gâte le lait et le tarit. Une transgression de cet interdit lié
à la fonction entraîne un renvoi immédiat. Toujours présente, jamais fatiguée,
disponible en permanence, la nourrice se doit d’être exemplaire. En contrepartie,
la nourrice des familles aisées est
une servante de haut niveau, chargée de
nourrir et d’élever un enfant qui ne devient précieux, aux yeux de ses parents,
qu’après avoir passé le cap meurtrier des premières années (un enfant sur quatre
meurt avant un an jusqu’au début du XIXe siècle).
Ce modèle de la parfaite perle rare franchit les siècles sans grands
changements. Nous le retrouvons au XVe siècle comme au XVIIe et XVIIIe siècle
où le principe de confier son enfant à d’autres femmes se généralise aux femmes
d’artisans et à toutes celles qui sont en mesure de travailler. Le XVIIIe siècle
avec l’explosion du travail productif et l’exigence du double salaire, accentue le
phénomène mais met aussi à mal le statut de la nourrice. L’enfant constitue une
gêne dont il faut se défaire. Ainsi en 1780, sur 21 000 naissances parisiennes,
seuls 1 000 nouveau-nés sont allaités par leur mère. Il n’est pas dans l’usage que
les mères s’occupent de leur enfant, d’autres femmes prennent le relais. Cette
faible attention qui est portée au bébé ne doit pas nous surprendre, car l’enfant
d’alors n’est pas considéré comme un sujet mais comme une glaise malléable,
comme une pâte à modeler. On considère que l’enfant est plastique et qu’il
convient de le dresser. L’enfant est perçu comme un jeune plant qu’il faut sans
cesse tailler et guider dans sa croissance et qui a besoin de tuteurs rigides.
Il s’agit d’inculquer à l’enfant une rectitude du corps qui va de pair avec une
rectitude morale. Il faut que l’enfant pousse droit et on demande surtout aux
nourrices de l’époque de domestiquer les enfants. La nourrice peut alors, selon sa
personnalité, être sévère et n’hésite pas à punir comme en témoignent certaines
illustrations de cette époque.
Tous les écrits historiques, qui retracent cette époque, mettent l’accent
sur le sordide des situations. La mortalité des enfants est endémique, peu
d’enfants survivent au transport qui les mène des villes vers les campagnes où les
attendent les nourrices.
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La vie des nourrices est donc loin d’être simple, mais nous pouvons
constater qu’il existe déjà un double marché des nourrices. Les nourrices « à
emporter » dont nous venons de décrire le sort, forment le lumpen prolétariat du
métier. À l’inverse, les « nourrices sur lieu » embauchées par les familles
bourgeoises en constituent l’élite, elles sont mieux traitées même si leur vie est
aliénée à l’enfant. Leur intégration se traduit par de meilleures conditions
d’hygiène, des vêtements de qualité, un début de reconnaissance et d’estime, qui
s’il a un prix, a au moins le mérite de rendre le quotidien plus doux.
La préoccupation de la qualité
L’histoire des nourrices nous montre qu’il existe très vite une préoccupation
de qualité. La profession n’est pas laissée totalement à l’abandon, les pouvoirs
politiques tentent progressivement de l’encadrer. Le contrôle se fait surtout au
niveau de l’agrément. Les pouvoirs publics maintiennent des critères de sélection,
et comme la nourrice de l’époque allaite toujours, c’est de son corps dont il est
question. Une bonne nourrice d’autrefois se choisissait surtout par une étude de
sa morphologie : « choisissez une nourrice exempte de toute maladie et qui ne
soit pas trop jeune. La plus jeune ne doit pas avoir moins de vingt-cinq ans à
vingt-neuf ans, la plus âgée plus de trente-cinq ans. Qu’elle ait la poitrine large,
les seins développés, les mamelons ni trop saillants ni déformés, du reste elle ne
doit être ni trop grasse ni trop maigre. Il est avantageux pour le nourrisson que
la nourrice ne soit pas accouchée depuis longtemps et surtout que ce soit d’un
enfant mâle. Qu’elle ait de belles dents, les membres supérieurs et inférieurs
bien développés, qu’elle ait de l’esprit, de la gaîté dans le caractère… Elle doit
être brune parce que chez la brune la glande mammaire est développée tandis
que chez la blonde qui est ordinairement d’un tempérament lymphatique la glande
est petite et entourée de beaucoup de graisse» (Maigne, 1836).
Très vite le recrutement des nourrices est contrôlé. Au moyen âge, des
femmes dites « recommanderesses » sont chargées de sélectionner les
candidates (1284).
Le premier texte qui fixe le salaire des nourrices date d’un édit du roi
Jean en 1350, preuve s’il en était besoin que ce problème du paiement toujours
présent aujourd’hui, est dès l’origine un point épineux. En 1781, est édité le
premier code des nourrices qui contient en germe la plupart des dispositions
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développées au XIXe siècle : la recherche de renseignements sur l’identité et la
moralité des nourrices, la limitation des conditions d’accueil (1715), la poursuite
des débiteurs (1715) ne réglant pas les sommes dues aux nourrices, l’obligation
de veiller à la sécurité matérielle (1756) des enfants…
Pour recruter, on palpe, on soupèse, on s’enquiert comme sur un marché de
bovins de l’origine de la nourrice car une nourrice issue de la Bourgogne, de la
Côte d’Or, de la Nièvre ou de la Bretagne, est plus cotée.
Les blondes sont moins appréciées que les brunes, mais ce sont surtout
les rousses qui sont pénalisées : « les rousses laissent à désirer sous plus d’un
rapport. Elles exhalent une odeur pénétrante et désagréable qui serait
repoussante pour l’enfant, leur lait est séreux, il occasionne facilement la
diarrhée. » Et puis les « rousses sont réputées ardentes en amour, mieux vaut
s’en méfier ».
On palpe, on tâte et on pénètre, rien ne doit échapper à la vigilance du
recruteur. On ne recule devant aucun examen pour attester de la « fraîcheur »
de la nourrice et de sa bonne moralité. La nourrice doit « être de médiocre
beauté », elle ne doit pas concurrencer la mère et peut-être séduire le mari de
cette dernière ; l’haleine doit être douce et sans odeur, et le choix ne peut se
fonder sur un « seul coup de cœur », une rencontre entre les parents et la
nourrice. L’affaire est trop grave pour la laisser à l’arbitraire. Seuls les médecins
sont compétents en ce domaine, car pour juger de la moralité de la nourrice,
toutes les cavités corporelles sont à explorer. « Il faut examiner l’anus, les
organes génitaux et l’intérieur de la bouche, parties qui sont plus spécialement le
siège de l’affection syphilitique… La nourrice sera visitée avant son admission.
Aucun scrupule, aucune résistance ne doit arrêter le médecin. Sans une
exploration à fond, les maladies contagieuses pénètreront dans les familles les
plus pures par la porte de l’allaitement ». Le lait de la nourrice, comme son
enfant, font également partie de l’examen.
Mais si le lait de la nourrice ne peut faire l’objet d’une tromperie, on se
méfie tout de même de l’enfant présenté. N’a-t-on pas vu des nourrices rusées
se servir d’enfants joufflus, en bonne santé, empruntés pour la circonstance à
quelques amies complices ! La nourrice est celle dont on peut attendre le meilleur
comme le pire, celle qui porte en elle à la fois la capacité de faire vivre les
enfants mais aussi de les pervertir. La mort de la nourrice est un préjudice
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terrible pour l’enfant, elle signe la mort probable de ce dernier, aussi fait-on
très attention à la choisir solide et sans défauts majeurs.
À cette évocation du passé nous mesurons la précision des critères, la
vigilance de la sélection mais nous pouvons aussi réfléchir aux repères qu’une
société se donne à un moment donné de son histoire pour valider ou rejeter une
candidature. La lecture des textes des siècles antérieurs est révélatrice des
normes en vigueur. D’une nourrice de l’époque, on attend une bonne santé
physique, psychique, une excellente moralité, une disponibilité sans faille même si
celle-ci se fait au détriment du mari, et ce que l’on appellerait aujourd’hui de
l’empathie vis-à-vis de l’enfant, une sorte d’intuition à décrypter ses besoins. On
attend aussi qu’elle dispense des valeurs éducatives judéo-chrétiennes, la crainte
de Dieu, la sagesse et l’obéissance. Grandeur et servitudes de la fonction ! Mais
nos critères de sélection ont-ils si considérablement variés ?
La lente émergence d’un statut juridique
En 1945, les services de Protection Maternelle et Infantile sont créés, ils
ont pour mission d’organiser la surveillance des placements nourriciers. La
dimension sanitaire est alors très prégnante dans un souci constant de faire
baisser la mortalité infantile. Pendant toute cette période, de 1945 à 1977, la
fonction de nourrice reste toutefois peu encadrée. Le prix global de la journée
de travail se négocie à l’amiable, il n’y a pas de contrat, même si une tentative de
réglementation existe bien, comme en témoigne un carnet de nourrice datant de
1969, que nous avons retrouvé
Le changement de nom : la « nourrice » devient une assistante maternelle en
1977
Il faut attendre la loi de 1977 qui réorganise le recrutement de manière
efficace pour voir sortir ce métier de l’ombre. Les nourrices héritent d’un
nouveau nom, celui d’assistante maternelle, et d’un statut qui, au-delà de ses
insuffisances, consacre néanmoins leur existence. La loi fixe une base de
rémunération de deux fois le SMIC horaire pour une garde de huit heures par
jour et une égalité de droits avec l’ensemble des salariés en termes de congés
payés (1/12e du salaire annuel) et de sécurité sociale. La loi instaure en outre le
droit à des indemnités en cas d’absence de l’enfant, celles-ci s’élevant à la moitié
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du SMIC horaire par jour. Elle offre enfin la possibilité de se former, pour 60
heures au cours des cinq premières années, mais sur la base du volontariat et
selon la diligence des services PMI à mettre en œuvre cette formation.
L’accès à un véritable statut par la loi du 14 juillet 1992
L’obligation de se former
Ce n’est qu’en 1992, que ce métier accèdera réellement à un statut reconnu.
Cette date est essentielle pour les assistantes maternelles, mais elle maintient
l’amalgame entre deux sortes d’assistantes maternelles (celles à titre non
permanent, dites « à la journée » ; celles à titre permanent, appelées souvent
« familles d’accueil ») qui ne partagent pas forcément les mêmes conditions de
travail, ni les mêmes préoccupations et difficultés. La dénomination « assistante
maternelle » est vaste et dissimule des conditions variables d’exercice ; Le débat
sera ardent sur cette question de la formation, surtout pour les familles
d’accueil, dont certains veulent conserver la spontanéité bienveillante, la
fraîcheur, comme si formation rimait avec déformation. Si le débat existe pour
les familles d’accueil, il est encore plus édulcoré pour les assistantes maternelles
de jour. Ce métier ancestral n’est-il pas inné, faut-il donc apprendre ce qui relève
de la pure fonction maternelle transposée aux enfants des autres ? Le
législateur en décidera autrement, instaurant une obligation de formation « d’une
durée minimale de soixante heures, dont vingt au cours des deux premières
années (article 149-1) ». Le législateur précise en outre que « le département
organise et finance, durant le temps de formation, l’accueil des enfants confiés
aux assistantes maternelles ». La révolution est enclenchée, elle est modeste
certes en heures consacrées, mais elle est un premier pas vers la consécration
d’un métier qui réclame des savoirs acquis, une analyse des pratiques, une
réflexion, au regard des pré requis inclus dans l’agrément, à savoir garantir « la
santé, la sécurité et l’épanouissement des mineurs accueillis » (article L 123-1).
La loi de 2005 et l’entrée dans la sphère éducative
La loi de 2005 était plus qu’attendue, elle était investie de tous les espoirs, de
toutes les utopies. Allait-on enfin changer le monde ? Il est trop tôt pour évaluer
l’impact de cette loi, d’autant que les décrets d’applications viennent tout juste
de voir le jour. Mais au moins pouvons-nous présenter ce qui change.
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Elles sont environ 46 000 assistantes familiales à avoir choisi ce métier,
majoritairement après une professionnalisation antérieure. La question des
motivations reste pour les départements un élément central d’appréciation des
candidatures, aussi n’est-il pas inutile de lever quelque peu le voile sur cette
procédure de sélection de plus en plus formalisée.
Une sélection rigoureuse
La loi de 2005 sur le statut des assistantes familiales a affiné les exigences
par rapport à celle de 1992. Ne seront agréées que les candidates dont « les
conditions d’accueil garantissent la sécurité, la santé et l’épanouissement des
mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des
aptitudes éducatives de la personne ». Celles-ci sont « membres à part entière »
des équipes de protection de l’enfance et bénéficient désormais d’un
« renouvellement automatique de l’agrément, sans limitation de durée lorsque la
formation mentionnée à l’article L. 421-15 est sanctionnée par l’obtention d’une
qualification. » C’est dire l’importance de cette première épreuve de sélection
qui engage les services, mais aussi l’assistante familiale. Pour former les
assistantes familiales, 240 heures de formation (contre 120 heures en 1992)
sont dispensées, sans compter l’accompagnement sur lequel nous reviendrons. La
sélection va se concrétiser par un certain nombre de démarches comme celle de
visiter le logement, à la recherche d’une ambiance, ou celle de rencontrer les
membres de la famille pour apprécier leur engagement ou leurs résistances à ce
projet. En nous appuyant sur la recherche que nous avons effectuée pour le
Ministère (Sellenet – 2003), au niveau national, nous pouvons dire que la visite à
domicile est systématisée par tous les départements, le nombre d’entretiens est
de deux à quatre et la durée moyenne de l’ordre d’une heure. Seuls dix
départements (sur 67) ne fondent leur avis que sur un unique entretien. Avant
même de débuter ces entretiens, tous les départements ont mis en place des
réunions d’information sur ce métier. La présentation de ce qui va être le
quotidien d’une assistante familiale, provoque une déperdition des candidatures.
73% des 67 départements qui ont répondu à cette recherche, enregistrent cette
fuite des candidatures, qui peut parfois être lourde : de l’ordre de quelques-unes
à un quart pour 40% des départements ; d’un quart à un tiers pour 3% et 21% des
autres départements voient disparaître le tiers à la moitié des éventuels
postulants. Ces chiffres montrent que bon nombre de personnes, à la recherche
d’un travail et/ou animées de bonnes intentions, ne mesurent que tardivement les
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enjeux et les exigences de ce métier. La disparition des candidatures marque une
première prise de conscience des attendus sous-jacents à l’exercice de ce
métier. Ne restent que les candidats les plus motivés ou les plus inconscients
selon l’interprétation faite de la demande.
2. La question de la sélection des assistantes familiales
Ces rescapés de la première heure vont rencontrer plusieurs personnes lors
de l’agrément. Car c’est surtout sur la diversité des approches que parient les
départements pour ne pas se tromper, en organisant l’intervention de
professionnels divers, détenant tous un champ de compétences. Rarement la
décision d’agréer une assistante familiale repose sur un seul avis (seulement dans
19% des cas). La plupart du temps, la candidate va devoir argumenter sa
démarche auprès de deux à trois personnes (67%) voire de quatre à six (9%).
L’agrément des assistantes familiales fait l’objet d’un encadrement renforcé, la
Protection maternelle et infantile (PMI) intervient rarement seule, (seulement
dans 22% des cas), elle est le plus souvent aidée des services éducatifs (37%)
voire de l’Aide sociale à l’enfance (7,5%). Mais c’est surtout le psychologue,
présent dans 43% des demandes qui va orienter la décision. Sa présence montre
combien l’équilibre psychique est recherché, combien vont être creusés les
fonctionnements psychologiques de l’ensemble de la famille. À la recherche d’une
histoire de vie, le psychologue va apprécier les origines de la demande, tenter de
repérer la future inscription de l’enfant dans la problématique familiale. À quel
désir, à quel besoin voire à quel manque viendrait répondre cette demande
originale ? À traquer ainsi le sens de la demande, le psychologue découvre
souvent des évènements marquants dans la vie des individus. En quoi ces derniers
sont-ils à relier avec la demande d’enfant ? En quoi risquent-ils de parasiter la
relation à l’enfant ?
La quête de la bonne motivation
Si l’on observe les facteurs qui amènent à postuler pour exercer ce métier,
la liste n’est en fait pas si grande que cela. Seule l’articulation de trois à quatre
facteurs donne à chaque famille sa singularité. On y trouve : l’amour, l’argent, la
mort, l’enfance. Le binôme amour-argent est l’une des combinaisons possibles, où
l’un l’emporte parfois sur l’autre, où l’un sera plus verbalisé que l’autre, dans un
savant dosage qui tient compte de l’interlocuteur, de ce que l’assistante familiale
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perçoit des attentes de ce dernier. En cela, nous retrouvons de grandes
similarités avec la demande des assistantes maternelles, mais tout est ici plus
cristallisé, plus exacerbé, sans doute parce que l’intervenant mesure que la
situation est tout autre. Le parent n’est cette fois plus autant présent dans la
vie de l’enfant, la marge de manœuvre de l’assistante familiale est plus grande.
C’est fondamentalement elle qui sera le chef d’orchestre dans l’éducation de
l’enfant. Alors, l’intervenant souhaite qu’elle joue juste, qu’il n’y ait pas de
fausses notes, ou de jeu en solo. Être famille d’accueil, c’est travailler en équipe,
dû moins est-ce un présupposé de l’accueil familial, même si ce n’est pas toujours
une réalité. Un entretien de recrutement est une relation duelle classique. Le
professionnel, par ses questions, dévoile qu’il le veuille ou non sa propre
conception de la famille d’accueil et l’assistante familiale sera attentive à y
répondre. L’amour des enfants, le besoin d’un salaire, quoi de plus normal en
apparence ? Là où les choses se compliquent, c’est lorsque ces éléments sont
réinterprétés par le service employeur en fonction des attentes du service ou
des paradoxes que sécrète la situation de placement. Par exemple, il faut aimer
les enfants, mais pas trop, juste ce qu’il faut pour ne pas être envahissante,
aimer sans s’attacher ou s’attacher sans s’approprier, tout est question de
dosage ! La formule lapidaire « ne vous attachez pas aux enfants confiés » est
incorrecte ainsi résumée et entendue. La demande est plus complexe, il s’agit de
s’attacher à l’enfant, il en aura besoin pour grandir, mais de façon non
pathologique, non fusionnelle, en laissant la place ouverte aux parents.
Ce sera à l’assistante maternelle de trouver la formulation juste, qui ne
vienne pas la faire suspecter d’indifférence ou de vampirisme maternel, qui
laissera ouverte la place des parents et ne fera pas porter à l’enfant la dette de
l’accueil. Et les candidates s’y emploient en hiérarchisant leurs motivations. La
motivation éducative est plus citée (37,6%) que chez les assistantes maternelles
(14,3%), l’amour des enfants est plus volontiers nommé « aide aux enfants » ou
« leur donner une petite chance ». L’envie d’être utile ou la dimension « projet de
vie » sont aussi présentes, les termes de « vocation » ou de « choix de travail
dans le social et la petite enfance » font leur apparition. À l’évidence, la demande
est formulée en des termes plus distancés de la fonction maternante. Au fil du
temps et de la professionnalisation de ce métier, les assistantes familiales ont
appris à se présenter en termes adéquats, conformes aux attentes des services
employeurs.
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Du côté du salaire, la cause est entendue, tout le monde en a besoin, mais pour ce
métier si particulier où l’argent gagné est lié à la présence physique d’un enfant
au domicile, la crainte demeure d’une instrumentalisation de l’enfant, que celui-ci
ne soit accueilli que pour cette unique cause, ou qu’il devienne le seul vecteur
d’équilibre de la famille d’accueil lorsque celle-ci est confrontée au chômage de
l’un de ses membres. Alors, effet de mode mais aussi constat d’une évolution du
métier confortée par le nouveau statut de 1992 puis celui de 2005, on préfère
aujourd’hui entendre les candidates parler de motivation statutaire, ou de leur
souhait de travailler avec une équipe… Mais, là encore il faut faire attention,
cette motivation doit s’énoncer de façon modérée. Trop fortement exprimée ou
investie, cette revendication de devenir une professionnelle de l’accueil pourrait
devenir suspecte. Et l’enfant là dedans, se demande t-on, ne sera t-il pas oublié,
la famille d’accueil ne risque t-elle pas de perdre sa spécificité, de devenir un
couple éducatif, d’être en concurrence avec ceux qui assurent le suivi… ? Trouver
les mots pour le dire, pour se dire, sous une forme mesurée, acceptable, est une
rude épreuve et si les candidates ne perçoivent pas toujours pourquoi elles ont
été retenues, elles appréhendent en tout cas l’ensemble des entretiens, de
l’agrément au recrutement, comme un long parcours du combattant.
Les entretiens d’évaluation font également ressurgir du passé des
biographies marquées par des deuils, des souffrances multiples. Des morts
réelles d’enfants conçus puis perdus, d’enfants espérés mais absents au rendezvous du désir, des morts de parents, de proches, mais aussi la mort sociale due
au licenciement, la « petite mort » liée au départ des enfants devenus grands qui
laisse vacante la place que viendra occuper l’enfant placé… La liste serait longue
de tous ces manques que font émerger les entretiens, mais est-ce une
particularité de ces candidatures ? Nul ne peut l’assurer. C’est en tout cas l’une
des particularités de ce mode de recrutement. Une étude menée par l’association
« Germinal » pour le Ministère de la Santé en 1979, notait que plus du tiers des
candidatures avait comme facteur déclenchant l’un de ces éléments, que ceux-ci
étaient déterminants dans la décision de prendre des enfants en charge. Le tiers
certes, mais non la totalité et peut-être retrouverions-nous, dans bien d’autres
métiers et candidatures, ces problématiques. Toujours est-il que dans les
entretiens d’assistantes maternelles, le recueil de ces données paraît important
aux intervenants pour évaluer la place que viendra occuper l’enfant. Viendra t-il
oblitérer la morbidité, sera t-il en charge d’effacer la souffrance, de colmater le
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manque ? Pendant très longtemps, en tant que jeune professionnelle, nous nous
sommes nous-mêmes posée cette question en ces termes, à la recherche d’un
itinéraire pouvant expliquer l’originalité de la demande voire son aspect
pathologique. Cette crainte semble sans cesse présente dans les écrits, mais à
distance de l’événement et de la sélection, nous nous demandons si la
question est bien posée ? Ne serait-il pas plus intéressant d’évaluer les capacités
des candidates à surmonter ces aléas de la vie, sachant qu’aucun itinéraire n’est
exempt de ce type d’événements ? Loin d’être des failles ou des marques de
l’histoire justifiables d’un refus de la candidature (ce qui était autrefois le cas,
on refusait par exemple les candidates qui avaient été d’anciennes enfants
placées, la pratique a évolué), ces récits donnent à entendre comment les êtres
humains y ont survécu, quels mécanismes de vie ou de déni ils ont mis en œuvre
pour rester debout, malgré tout. La notion de résilience, plus que la notion de
traumatisme subi, ne serait-elle pas plus pertinente pour apprécier les
candidatures ? Par le terme de résilience, nous entendons cette capacité « à
résister au choc » (Cyrulnik– 1998), à poursuivre un développement normal
malgré des conditions difficiles. Les enfants confiés à ces familles ont euxmêmes traversé des épreuves difficiles, et on peut se demander si ce n’est pas
cette capacité à rebondir qu’il faudra avant tout leur insuffler, et si ce n’est pas
là le premier rôle de l’assistante familiale. Au-delà des compétences éducatives
attendues et nommées par la loi, je me demande si les compétences spécifiques
pour exercer ce métier ne seraient pas : la résilience, les qualités d’observation
et la capacité à vivre la séparation, trois axes sur lesquels nous pourrons
débattre.
3. L’articulation familles d’accueil-parents
Substitution ou suppléance
Ce métier a indubitablement changé, du moins dans les discours, aussi
aborderons-nous en second point la question de la suppléance familiale.
Longtemps conçu comme une solution substitutive (le remplacement d’une famille
par une autre), l’accueil familial se présente aujourd’hui comme une solution
supplétive, venant étayer et non remplacer la parentalité d’origine. Il est de bon
ton, aujourd’hui de dire que les parents gardent leur place, qu’ils sont reconnus.
La famille d’accueil est-dès lors positionnée comme un relais (plus ou moins
temporaire). Si ce discours anime et structure les pratiques, un décalage certain
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apparaît entre la théorie affichée et les usages. Pour vous en convaincre, je
reprendrai quelques résultats d’une enquête menée au sein d’une Sauvegarde en
2007. L’accueil familial comprend 221 enfants sur les 367 enfants qui font partie
de la structure. On peut approcher ce qu’il en est du partage des rôles entre
familles d’accueil et parents en regardant qui fait quoi, lors du placement. Ce
partage est intéressant car dans la formation, il sera souvent évoqué comme
l’objet de tensions plus ou moins bien régulées. Je n’ai retenu que quelques
sphères : celle de la santé, du suivi scolaire, de l’achat et du choix des
vêtements, de la gestion de l’argent de poche. Voici les résultats obtenus :
– sur le plan de la scolarité et du suivi de cette dernière par les parents, la
comparaison est sans appel. L’implication scolaire des parents est mieux
préservée en institution qu’en famille d’accueil. Sachant que ce domaine n’est pas
un domaine qui expose l’enfant aux carences parentales et qu’on ne prend pas de
grands risques en demandant aux parents d’être présents, on mesure le travail
qui reste à faire en placement familial pour inciter ces derniers à s’impliquer. La
tentation est grande de faire toutes les démarches avec l’assistante familiale,
qui fait quoi sur le pl an scol ai re
Non réponse
179
les parents rencontrent seuls l es instituteurs
15
les parents rencontrent l'i nstituteur avec l'éducateur
26
l'éducateur rencontre seul l'i nstituteur
16
l'éducateur est accom pagné de l 'assi stante fam ili ale
81
l'assistante fami lial e fai t le point seul e avec l'i nstituteur
tout le monde est présent
la proposi tion n'a pas été faite aux parents
165
2
21
Mais à terme l’écart se creuse entre les parents et les enfants : 6,8 % des
parents du placement familial rencontrent seuls l’instituteur contre 20,9 % des
parents des institutions ; 11,8 % des parents du placement familial sont
accompagnés de l’éducateur contre 67,4 % en institution. On peut bien sur
justifier cet écart par de multiples causes, notamment par une différence
sensible dans le profil des deux populations. Ce paramètre est vérifié, et
l’analyse sociologique des deux populations montre qu’il existe des différences
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importantes sur le plan, par exemple, de l’insertion professionnelle, des
problématiques cliniques… Mais l’analyse montre aussi que le mode de prestation
génère en partie une mise à la marge des parents et que certains d’entre eux
pourraient être davantage sollicités dans ce domaine. Lorsque les professionnels
sont interrogés sur l’intérêt porté par les parents à la scolarité de leur enfant,
nous obtenons des résultats différents. En accueil familial, 23,5 % des parents
sont, selon les professionnels (il s’agit de représentations), très intéressés par la
scolarité de leur enfant ; 29,9 % ont un intérêt moyen, 26,2 % ne manifestent
aucune attention à ce sujet. La confrontation entre le maintien effectif des
parents en ce domaine (28,6 %) et l’intérêt de ceux-ci montre que seuls les
parents très motivés se maintiennent. Un travail avec les parents moyennement
investis reste potentiellement possible, même si tous n’accepteront pas cette
proposition. La question du maintien de l’autorité parentale est au cœur du
partage des rôles, l’autorité parentale n’étant qu’une coquille vide lorsqu’elle ne
s’incarne pas dans des actes concrets.
– la question de la santé est encore plus cruciale, car c’est souvent en ce domaine
que des carences parentales ont été constatées, ce qui n’incite pas au
partenariat. Il n’est dès lors pas étonnant de constater une mise à distance des
parents, lisible dans les réponses.
santé1
Non réponse
165
ce sont les parents qui vont voir le médecin avec leur enfant
27
c'e st l'a ssistante familiale qui s'en occupe
autre
199
4
En accueil familial, dans 12,2 % des cas, les parents accompagnent leur enfant
chez le médecin généraliste, dans 87,3 % c’est l’assistante familiale qui assume
cette responsabilité. Les parents ne sont pas oubliés, mais la pratique usuelle est
de les y convier lorsque la visite se déroule chez un spécialiste, fait qui peut être
rare voire totalement absent dans la vie de l’enfant. En institution, dans 39,5 %
les parents accompagnent leur enfant.
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– l’extrême sensibilité des parents, dans le domaine vestimentaire, est
fréquemment soulignée, dans les écrits portant sur l’accueil familial. Les
réponses nous donnent les chiffres suivants :
vêtements
Non réponse
165
c'est l'assistante familiale qui s'en occupe
187
ce sont les parents qui fournissent les vêtements
15
les deux en discutent
15
les achats sont concertés et partagés
8
Seulement 6,8 % des parents s’occupent intégralement du choix et de l’achat des
vêtements contre 34,9 % en accueil institutionnel.
– la gestion de l’argent de poche ne fait pas apparaître de différences. Ce
territoire est celui de l’adulte (assistante familiale ou éducateur) ou de l’enfant,
pour les deux modes d’intervention.
Deux remarques découlent de ces données. La première confirme l’analyse
spontanée des parents qui, pour la plupart, craignent le placement familial et
préfèrent un accueil en institution. La seconde remarque concerne les
assistantes familiales et leur positionnement. La loi de 2005 précise dans
l’article L-421-16 qu’un contrat d’accueil doit être « conclu entre l'assistant
familial et son employeur, pour chaque mineur accueilli. Ce contrat précise les
modalités d'information de l'assistant familial sur la situation de l'enfant,
notamment sur le plan de sa santé et de son état psychologique et sur les
conséquences de sa situation sur la prise en charge au quotidien ; il indique les
modalités selon lesquelles l'assistant familial participe à la mise en œuvre et au
suivi du projet individualisé pour l'enfant. » On ne peut que se réjouir de cette
reconnaissance des assistantes familiales, mais on mesure aussi combien les
équipes vont devoir revoir leur fonctionnement. Le projet individualisé devra
désormais entendre toutes les parties, leurs attentes, leurs différences de point
de vue. Jusqu’à présent on était le plus souvent dans des états de fait entérinés
par le quotidien. Les pratiques n’étaient guère formalisées ni théorisées, les
assistantes familiales n’intervenaient pas partout, ni même de la même façon au
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sein des équipes ASE. On avait un éclatement des pratiques de participation,
comme des pratiques de suivi sur le territoire national. Demain, si la loi est
appliquée, un effort d’homogénéisation devrait voir le jour. Mais si nous
regardons les dernières statistiques recueillies dans mon étude de 2003 (sur
298 assistantes familiales), sur l’articulation familles d’accueil-professionnels, le
chemin à parcourir par certains départements sera considérable.
4. L’articulation familles d’accueil-professionnels
En 2003, nous avions interrogé les assistantes maternelles et celles que l’on
appellera les assistantes familiales sur leur perception de ce métier. Un fort
sentiment de dévalorisation était apparu, identique chez les unes et les autres,
alors qu’on pouvait espérer une perception plus positive pour les familles d’accueil
censées être mieux intégrées aux équipes éducatives :
'Le métier aujourd'hui est :' x 'Vous êtes :'
406
406
306
283
231
199
177
153
70
0
43
15
7
1
16
2
1
0
Non réponse
un métier
valorisé
34
4
43
62
37
8
8
5
1
90
2
7
un métier un métier bien un métier mal un métier pleinun métier ingrat
dévalorisé
connu
connu du
de
et difficile
grand public satisfactions
Non réponse
assistante maternelle de jour
assistante maternelle à titre permanent
les deux
L’intégration aux équipes éducatives était en 2003 très variable et plus de
l’ordre de l’attente que de la réalité, du moins en fonction des réponses
enregistrées. La perception future de l’évolution du métier était dès lors très
ambivalente, l’optimisme ne l’emportait que d’une courte tête, non significative si
l’on prend en compte la part importante des réponses dites « neutres ». Pourquoi
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ce pessimisme ? Plusieurs causes ont été énoncées, dont une faiblesse au niveau
du suivi. Si la plus grande partie des assistantes familiales se sont dites
satisfaites du suivi, beaucoup l’ont qualifié de « moyen »/
Vous êtes : x Qualité du suivi :
266
266
158
155
113 113
30
0
2 4
36
8
2
Non réponse
33
14
de bonne qualité
moyen
nul
5 7
5 3
assistante
assistante
maternelle de maternelle à
jour
titre
permanent
Non réponse
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les deux
inexistant
Les revendications concernaient principalement le salaire, dénonçaient sa
faiblesse et la précarité des contrats de travail, mais aussi évoquaient des
pathologies de plus en plus lourdes et le surcroît de responsabilités qui en
résulte. Le pessimisme des assistantes familiales était également alimenté par
l’absence d’intégration dans les équipes, la solitude.
Nous sommes en 2007,
souhaitons que de nouvelles pratiques aient vu le jour, soutenues par la formation
dispensée. La valorisation d’un métier, et l’émergence d’un sentiment de
professionnalité sont à mon sens tributaires des positionnements de l’ensemble
des acteurs, et pas seulement du vécu des assistantes familiales. Si les
professionnels de l’enfance ne reconnaissent pas, dans la pratique, les
assistantes familiales, celles-ci enregistreront un déséquilibre entre le discours
tenu en formation et la réalité de leur expérience quotidienne.
Entre professionnalité et parentalité additionnelle
Le
positionnement
des
assistantes
familiales
dépend
aussi
de
l’attachement noué avec l’enfant accueilli, de la durée de sa présence au sein de
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la famille d’accueil. Nous faisons l’hypothèse que l’augmentation de la durée du
placement augmente jour après jour la création de ce que nous appellerons une
« parentalité
additionnelle ».
Entre
« parentalité
additionnelle »
et
« professionnalité », le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Mais
n’est pas déjà du professionnalisme que de savoir décoder la force des
attachements et leurs effets ?
Parler de suppléance familiale en accueil familial contribue en partie à focaliser
l’attention sur la sphère éducative (sur l’axe de la pratique) et à ne pas
interroger ce qui se passe dans la sphère affective (sur l’axe de l’expérience
subjective de la parentalité). Si l’on en croit l’étude de M-C Bonte et V. CohenScali (1998), cette dimension est pourtant présente dès le choix de ce mode
d’accueil. Les auteurs qui ont mené quarante entretiens auprès d’acteurs du
placement (éducateurs, psychologues, juges, attachés territoriaux…) montrent
que l’accueil familial est valorisé pour ses fonctions maternante, affective,
parentale, et pour la socialisation primaire. À l’inverse, l’institution est préférée
pour sa mise en œuvre des fonctions de diagnostic, de soins, de socialisation
secondaire et juvénile. Curieusement, alors que ce sont des dimensions touchant
à la parentalité qui justifient le choix de la famille d’accueil, peu d’études
abordent la question des attachements au sein de celle-ci. Sujet tabou pendant
longtemps, la question des liens noués en famille d’accueil pointe timidement le
bout de son nez grâce au concept de pluriparentalité. La question posée est celle
de l’existence d’une parentalité singulière développée par certaines familles
d’accueil, notamment dans les placements de longue durée. N’y a t-il pas là, qu’on
le veuille ou non, une forme de parentalité qui s’exerce ? Et si oui, comment
pouvons-nous la définir ? Cette question est périlleuse, nous avançons en terrain
miné et sans filet de sécurité, nous en sommes bien conscientes. C’est la notion
de parentalité partagée introduite par Paul Steinhauer (1996) qui nous amène à
poser cette question un tant soit peu polémique. Ce que Paul Steinhauer appelle
la parentalité partagée c’est finalement l’acceptation du relativisme de la
parentalité, le fait de reconnaître que certains parents ne peuvent assumer la
totalité des fonctions parentales et qu’ils ont besoin d’être relayés, d’être
suppléés dirait Paul Durning. Dans les travaux effectués par le groupe dirigé par
le Professeur Houzel, nous avions avancé l’idée d’admettre la notion de
« parentalité partielle », en notant que certains parents sont présents dans
certains domaines et absents dans d’autres. Partager la parentalité (et non
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l’autorité parentale) supposerait alors d’avoir repéré les zones fragiles présentes
chez les parents, de savoir renforcer les zones investies, d’admettre que
certaines zones de la parentalité doivent faire l’objet d’une suppléance voire
d’une délégation. Mais lorsque cette délégation s’inscrit sur toute la durée de
l’enfance voire de l’adolescence, que se passe t-il ? Reprenons les trois axes de la
parentalité (Houzel) en les appliquant à la famille d’accueil. Sur l’axe de l’exercice
de la parentalité (axe des droits et des devoirs dont sont investis les parents), la
famille d’accueil ne détient aucun droit, ceci a été longuement rappelé par la
juriste Claire Neireinck. Toute intervention de la famille d’accueil sur cet axe
(signature de carnet scolaire, de contrat d’apprentissage, d’autorisation
quelconque engageant la responsabilité parentale) est contraire à la loi. Par
contre, sur l’axe de l’expérience subjective de la parentalité (se sentir
« parent » d’un enfant), rien n’est contrôlable. On ne peut empêcher la famille
d’accueil de penser à l’enfant placé comme étant le sien, comme faisant partie
intégrante de la famille. Enfin sur l’axe de la pratique de la parentalité (les
tâches parentales), il est évident que l’assistante familiale occupe une grande
partie voire tout le terrain, qu’elle assume une grande partie voire toutes les
fonctions habituellement dévolues aux parents. Anne Cadoret, anthropologue
note d’ailleurs que « toutes ces tâches lorsqu’elles sont accomplies par les
mêmes personnes conduisent à transmettre une manière de faire, un mode
d’être… petites inscriptions quotidiennes dans un habitus familial ».
Les liens d’attachement en accueil familial
Nathalie Chapon-Crouzet consacre sa thèse à l’étude des familles d’accueil et
elle propose un nouveau regard sur le placement familial en étudiant les relations
affectives qui s’y développent (2005). À partir d’un échantillon de quarante
assistantes familiales, Nathalie Chapon-Crouzet montre que la suppléance se
décline sur un continuum allant de la substitution à une suppléance dite
incertaine. Cette typologie qui s’enracine dans une analyse des discours des
assistantes familiales propose de différencier les modes d’attachement et
d’investissement en quatre groupes. Le premier type d’investissement est nommé
« suppléance substitutive », il se caractérise par une substitution de la famille
d’accueil aux parents, lors d’un placement de longue durée. Le second type de
liens présente une « suppléance partagée » où la double affiliation tente de
s’organiser. « La suppléance investie » s’oriente vers un soutien aux parents et
une intervention ponctuelle de la famille d’accueil. Enfin, « la suppléance
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incertaine » dévoile une situation de placement en attente et un enfant isolé
affectivement. Pour Nathalie Chapon-Crouzet, l’orientation de la famille d’accueil
vers l’un ou l’autre de ces pôles est instable et susceptible de changement en
fonction de l’enfant accueilli mais aussi pour un même enfant en fonction des
évolutions de la situation. Nathalie Chapon-Crouzet se garde bien de dire qu’il
existe de bons et de mauvais modèles, de bonnes et de mauvaises pratiques
comme le veut la mode actuelle des référentiels.
La tendance actuelle du soutien à la parentalité admet mal l’idée d’une posture
substitutive comme elle admet mal celle d’une suppléance incertaine laissant
l’enfant entre parenthèse. Dans ce contexte, la suppléance partagée et la
suppléance investie sont davantage valorisées.
Mais pour qu’une parentalité partagée ou qu’une parentalité investie se mette en
place, des conditions sont nécessaires. Ces conditions sont rappelées par Paul
Steinhauer, psychiatre canadien, auteur du livre Le moindre mal, qui dit : « Pour
qu’une entente de parentalité partagée soit une mesure bénéfique plutôt qu’une
source de confusion, il est nécessaire que tous les adultes aient une position
claire et acceptent ce qui constitue leur rôle respectif dans la vie de l’enfant, en
évitant la compétition pour se gagner l’allégeance de l’enfant ». La formation
pourra aider à la clarification de ces postures, mais elle ne pourra le faire seule,
sans l’appui des autres partenaires.
La loi de 2005 donne un cadre, mais elle ne peut modifier à elle seule les
représentations et les pratiques. D’où l’intérêt de créer, lorsque c’est possible
des groupes transdisciplinaires, des lieux de rencontre entre les éducateurs
chargés des suivis et les assistantes familiales.
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