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Racines255_mai2014_Mise en page 1 22/04/14 16:23 Page18 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | DOSSIER | Europe : comment avance-t-elle chez nous? Le 25 mai, nous élirons nos députés européens. Concrètement, comment se vit l’Europe près de chez nous ? Par Catherine Baty Réflexions et reportages. (© DR) L’avis d’Alex Taylor, journaliste et animateur d’émissions européennes(1). Né en Grande-Bretagne, il vit en France depuis trente-trois ans. Vos compatriotes anglais menacent de quitter le bateau européen. Les Britanniques sont-ils vraiment europhobes ? Je n’aime pas les clichés. Mais c’est vrai que la presse britannique est particulièrement remontée contre l’Europe. Les critiques sont profondes. Plus généralement, j’y vois plusieurs raisons historiques. La Grande-Bretagne était un empire ouvert sur le monde, habitué à commercer bien au-delà de l’Europe. Il y a aussi un ressentiment vis-à-vis de la France, vis-à-vis de De Gaulle, accueilli à Londres pendant la Guerre mais qui empêcha l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté économique européenne. La France a voulu marquer son influence après la Deuxième Guerre mondiale et dessiner l’Europe à son image. L’Union européenne s’est ainsi construite Alex Taylor. avec un fonctionnement latin. Mais les Anglais et, plus récemment, les pays de l’Est ne s’y retrouvent pas ! C’est un système fondé sur des directives, avec beaucoup de lois, un projet de Constitution alors qu’il n’y en a pas en Angleterre. Toutes ces différences ne facilitent pas une adhésion au projet européen, mais je pense surtout que si l’on avait accueilli la Grande-Bretagne plus chaleureusement au début de la Communauté, il n’y aurait pas autant de décalages de vision. Enfin, à cela s’ajoute un discours parfois, pardon… arrogant désignant “le moteur franco-allemand…” “ Il faut que les gens trouvent du plaisir dans cette idée européenne ” L’Europe se serait construite sur un modèle français mais l’enthousiasme des Français reste timide, non ? Moi, je constate qu’il n’a y pas d’émission télé ou radio européenne en GrandeBretagne, alors qu’il y en a en France. C’est ce pays qui m’a donné l’énorme chance de faire l'émission Continentales au début des années quatre-vingt-dix sur France 3 (compilation de journaux télévisés européens diffusés en version originale soustitrée, NDLR) puis une revue de presse quotidienne sur France Inter. La France a cru en l’Europe ! Je suis tombé sur des patrons qui avaient cette vision-là, comme Yvan Levaï qui est un déraciné d’origine hongroise. Il m’a tout de suite mis à l’antenne ! Cette génération disparaît. Aujourd’hui, quand je défends l’idée d’une émission sur l’Europe, la réponse est unanime : “ça n’intéresse personne !” Les médias français sont désormais tenus par des hommes de plus de 45 ans qui n’ont pas cette fibre-là. Pour eux, l’Europe, c’est étranger. Ils n’ont pas d’histoire européenne personnelle. Moi, je suis passionné par ces questions parce que mon père a combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale, il est venu libérer votre pays. Malgré ce qu’il a vécu, il m’a emmené faire le tour de l’Europe dans les années soixante. J’ai vu alors que je pouvais vivre librement ce que j’étais. J’ai vu que je pouvais vivre mon homosexua- | 18 | RACINES | Mai 2014 | La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Racines255_mai2014_Mise en page 1 22/04/14 16:23 Page19 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | lité ailleurs qu’en Angleterre. J’ai donc un fort rapport affectif avec l’Europe. Vous croyez en un changement vers plus d’europhilie ? Les jeunes partent en programme Erasmus, travaillent de plus en plus à l’étranger, vont passer un week-end à Berlin entre amis, tombent amoureux d’une Espagnole… Il y a de plus en plus de familles multiculturelles. C’est cette génération-là qui va faire l’Europe ! Les médias nationaux présagent une montée des extrêmes aux élections européennes. Ce serait un signe de rejet de l’Union ? Je ne pense pas que les gens voteront en référence à des questions européennes puisqu’ils ne sont pas au courant ! Aucun média ne dit comment ça marche ou ce qui risque d’être décidé. Je travaille depuis vingt ans au cœur de ces sujets et cela reste difficile aussi pour moi ! Alors, comment voulez-vous que les gens cernent les enjeux ? Selon moi, les Français ne voteront pas pour le Front national pour sa politique européenne, mais parce qu’ils n’aiment pas François Hollande. Je pense aussi qu’ils expriment plus librement leur protestation lors d’élections européennes que lors de législatives nationales. Il va se passer la même chose en Grande-Bretagne où la population votera pour l’Ukip (United Kingdom Independence Party qui milite pour le retrait de l’Union européenne, NDLR) par rejet pour le pouvoir et la politique. Paradoxalement, je ne vois pas cela comme une mauvaise chose, même si je ne partage pas ces idées. Lorsque le parlement sera occupé par des europhobes, DOSSIER | au moins cela provoquera le débat. Ça réveillera les gens ! On s’intéressera enfin aux échanges au parlement européen ! Il faudrait donc être plus pédagogue pour expliquer l’Europe ? Pédagogue ? J’ai horreur de ce mot ! Si un media vend de la pédagogie, il ne m’intéresse pas ! Il faut surtout donner des raisons de croire en l’Europe ! Des raisons émotionnelles, affectives. Il faut que les gens trouvent du plaisir dans cette idée européenne. Qu’ils aiment l’Europe ! Dans ma revue de presse sur France Inter (tous les matins à 6 h 50, NDLR), je ne fais pas de la pédagogie. Si je commençais à expliquer aux auditeurs combien il y a de sièges au parlement, alors personne n’écouterait ! J’essaie de trouver des petites choses qui rendent notre continent si sympathique il y a plein d’histoires qui le rendent incroyable. Il y a tant de choses différentes. J’aime Berlin car j’y ai vécu, j’y ai des attaches affectives. C’est pour cela que je lis la presse allemande avec plaisir et pas parce que quelqu’un a été pédagogue avec moi, en m’expliquant l’histoire allemande ! (© Union européenne, 2014) Donc selon vous il est ridicule d’opposer identité nationale et appartenance européenne ? Regardez : vous êtes née en Vendée. Vous en êtes fière, mais vous êtes aussi fière d’être française. Moi je suis fier de mes origines britanniques mais aussi de vivre en France. J’adore Berlin, j’aime Bruxelles où j’ai travaillé. Tout le monde a plusieurs identités. On peut être fier d’être d’un pays et aimer l’Europe ! Les Américains sont fiers d’être américains mais aussi de vivre dans leur État. “Les jeunes feront l’Europe.” (1) Le public français a découvert Alex Taylor avec l’émission Continentales sur France 3 dans les années 1990. Il assure aujourd’hui la revue de presse européenne sur France Inter à 6 h 50. Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages dont le plus récent, Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois ? aux éditions Lattès, février 2014, dans lequel il revient sur son homosexualité dévoilée, la maladie d’Alzheimer de son père, leur relation. Son site : http://www.alextaylor.biz/ | 19 | RACINES | Mai 2014 | La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Racines255_mai2014_Mise en page 1 22/04/14 16:23 Page20 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | DOSSIER | R E P O RTA G E S UNE EURO-RADIO D’EXCEPTION C’ est une radio ovni dans le paysage médiatique. Euradionantes est unique car Euradionantes s’intéresse à l’Europe. Nantes, rue Jeanne-d’Arc, à la machine à café de la petite rédaction : “tu peux appeler un député croate. Il parle français ou anglais.” Ici, on n’a pas peur de tendre le micro du côté de Bruxelles ou de Strasbourg. C’est même obligatoire. Laurence Aubron est la directrice et la fondatrice de cette station née en 2007. L’histoire commence par un ras le bol, celui de constater que personne ne se donne les moyens de comprendre les logiques européennes, que les medias nationaux se désintéressent de ces questions. “En 2005, nous votions pour ou contre la création d’une constitution européenne. Les gens étaient perdus. On entendait tout et n’importe quoi. Moi, j’ai eu envie d’aller plus loin. J’ai aussi saisi l’impact décisif des sujets européens sur ce territoire et mon pays”, explique l’ancienne journaliste de Jet FM, déjà initiatrice d’émissions transfrontalières. Son ambition à travers Euradionantes est de “donner les moyens de se mobiliser, de choisir”. Sur 101.3, on décrypte l’Union et particulièrement par la lorgnette locale. Tous les mois, au moment de la session plénière du parlement Euradionantes se délocalise à Strasbourg. “À chaque fois, on emmène avec nous des acteurs locaux qui débattront avec des eurodéputés à nos micros.” Le défi est exigeant et les moyens financiers toujours en flux tendus, de plus en plus complexes. Ville, Métropole, Département, Région, Commission et Parlement européens : tous les échelons collectifs contribuent. La rédaction est composée de trois journalistes et d’une équipe d’étudiants étrangers. Deux fois par an, une dizaine de jeunes viennent forger leur esprit critique et renforcer leur savoir européen. “En formant ces étudiants, on en fera de tels passionnés de l’Europe qu’ils sauront défendre cet intérêt dans les medias qui les emploieront”, parie Laurence Aubron. L’Europe se constuit aussi à Nantes. www.euradionantes.eu (écoute en direct et podcasts). EN GÂTINE, ON S’OCCUPE DES ANGLOPHONES H avre de paix rappelant le charme d’une certaine campagne anglaise, la Gâtine attire les NordEuropéens depuis une petite dizaine d’années. Aujourd’hui dans le Pays de Gâtine(1), on estime à 748 le nombre de foyers principaux de cette population surtout anglophone. C’est deux fois plus qu’en 2003 (304 foyers). À ce chiffre s’ajoute celui des résidences secondaires : 915 foyers. Devant ce phénomène, les élus du Pays de Gâtine ne sont pas restés que des observateurs étonnés. “Les maires soulevaient régulièrement des difficultés d’insertion. Il y avait aussi des conflits d’usage avec les gens d’ici, accentués par la barrière de la langue”, explique Gilbert Favreau, président du Pays de Gâtine. L’élu défendra la création d’un poste à mi-temps dont la mission serait de faciliter cette intégration et de répondre aux interrogations des arrivants anglophones. “Mes collègues ont été assez vite d’accord, car ils étaient directement confrontés à ces problèmes”, poursuit le président. Depuis 2003, Julia Salvat (notre photo), est ainsi chargée d’orienter et de conseiller cette population. Julia est anglaise et vit en Gâtine depuis une trentaine d’années. Elle aussi s’est d’abord étonnée de l’arrivée presque massive de ses compatriotes ! “Ils viennent chercher une qua- lité de vie qu’ils n’ont plus en Grande-Bretagne mais la réalité d’ici n’est pas forcément celle qu’ils avaient imaginée : complexité administrative, difficulté pour dénicher un emploi, et bien sûr la maîtrise du français.” Julia explique, guide, met en relation. Elle aide aussi régulièrement les maires face à des situations délicates, organise aussi des conférences thématiques, des rencontres conviviales. Les anglophones sont aujourd’hui intégrés dans le réseau Papot’âge du Clic (visites à domicile des personnes âgées isolées). L’enracinement progresse. “Les gens sont même fiers de voir des anglophones parmi leurs élus ou dans leurs associations”, souligne Julia. “C’était notre rôle d’essayer de trouver une solution, insiste Gilbert Favreau. La Gâtine est un pays accueillant. Il ne pouvait que s’ouvrir.” (1) Le Pays de Gâtine (66 318 habitants) fédère 82 communes dont Parthenay, Coulonges-sur-l’Autize, Mazières-en-Gâtine. | 20 | RACINES | Mai 2014 | La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Racines255_mai2014_Mise en page 1 22/04/14 16:23 Page21 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | DOSSIER | JUSQUE DANS LES PME D’ICI L’Union européenne débloque des fonds pour des actions économiques régionales. L’entreprise mothaise de Marylène et Norbert Douin a pu en bénéficier. “J amais je n’aurais pensé qu’un programme f inancé par l ’Europe allait faire évoluer mon entreprise !” Marylène Douin est encore épatée par l’expérience vécue. Dix ans après la naissance d’ADN-Créateur d’espaces extérieurs à La Mothe-Achard, la PME de Marylène et de Norbert, son mari, s’essoufflait. “Contexte morose, contexte difficile des dirigeants suite à un accident...” relit Marylène le doigt pointé sur un document de synthèse réalisé avec un coach, il y a quelques mois. La bouffée d’oxygène viendra avec Dinamic Entreprises, un dispositif lancé par l’État et le Région Pays de la Loire à destination des PME. Ce programme souvent cité comme exemplaire par les collectivités, n’aurait pas pu exister sans un financement européen : une enveloppe régionale de 30 millions d’euros est consacrée à cet accompagnement jusqu’en 2020. Depuis 2007, 860 entreprises ligé- Grâce à Dinamic Entreprises, la société de Marylène et Norbert Douin a trouvé une nouvelle énergie. riennes en ont bénéficié (170 en Vendée) et ont ainsi re-stimulé leurs performances. Marylène Douin a découvert Dinamic lors d’un exposé de Vendée Expansion auprès de l’association locale des entrepreneurs. Dans l’assemblée, des dirigeants voisins témoignent positi- Un bon coup de pouce Emmanuel Danede, chargé de projet Dinamic entreprises à Vendée Expansion : “Ce programme est piloté par la Chambre régionale de commerce et d’industrie et animé localement par Vendée Expansion et la CCI. Il s’adresse aux entreprises de moins de 250 salariés, y compris celles du secteur tertiaire. Selon moi, Dinamic est plutôt un bon dispositif notamment parce que la recherche de financements est assurée en amont. Cela facilite la mise en place pour les dirigeants. Pour prendre l’exemple d’ADN, le programme lui a été facturé 5500 €(1) pour un coût réel de 25 000 €.” (1) 8000 € TTC avec récupération de TVA, soit environ 3200 €. vement. La patronne y voit une opportunité urgente pour sa PME de quinze personnes. “À cette époque, on saturait, on manquait de recul et de temps pour analyser notre situation. Là, c’était l’occasion qu’il ne fallait pas rater.” Vendée Expansion missionne un intervenant qui suivra l’entreprise pendant un an, en vingt demi-journées. Le travail est en profondeur : diagnostic, analyses, processus, solutions. “Nous avons mis en place un tableau de bord simple, des outils pratiques au quotidien”, énumère Marylène. Des salariés ont suivi des formations, dont le coût est inclus dans le programme. “Nous, dirigeants, avons gagné en confort de travail, c’était une priorité. On ne pouvait plus tenir à ce rythme. Trois personnes ont vu leur poste progresser et nous avons développé notre activité de 11 %.” | 21 | RACINES | Mai 2014 | La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine