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RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire
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DOSSIER
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Europe : comment
avance-t-elle chez nous?
Le 25 mai, nous élirons nos députés européens.
Concrètement, comment se vit l’Europe près de chez nous ?
Par Catherine Baty
Réflexions et reportages.
(© DR)
L’avis d’Alex Taylor,
journaliste et animateur
d’émissions européennes(1). Né
en Grande-Bretagne, il vit en
France depuis trente-trois ans.
Vos compatriotes anglais menacent
de quitter le bateau européen. Les Britanniques sont-ils vraiment europhobes ?
Je n’aime pas les clichés. Mais c’est vrai
que la presse britannique est particulièrement remontée contre l’Europe. Les critiques sont profondes. Plus généralement,
j’y vois plusieurs raisons historiques. La
Grande-Bretagne était un empire ouvert
sur le monde, habitué à commercer bien
au-delà de l’Europe. Il y a aussi un ressentiment vis-à-vis de la France, vis-à-vis de
De Gaulle, accueilli à Londres pendant la
Guerre mais qui empêcha l’entrée de la
Grande-Bretagne dans la Communauté
économique européenne.
La France a voulu marquer son
influence après la Deuxième Guerre mondiale et dessiner l’Europe à son image.
L’Union européenne s’est ainsi construite
Alex Taylor.
avec un fonctionnement latin. Mais les
Anglais et, plus récemment, les pays de
l’Est ne s’y retrouvent pas ! C’est un système
fondé sur des directives, avec beaucoup de
lois, un projet de Constitution alors qu’il
n’y en a pas en Angleterre. Toutes ces différences ne facilitent pas une adhésion au
projet européen, mais je pense surtout que
si l’on avait accueilli la Grande-Bretagne
plus chaleureusement au début de la Communauté, il n’y aurait pas autant de décalages de vision. Enfin, à cela s’ajoute un
discours parfois, pardon… arrogant désignant “le moteur franco-allemand…”
“
Il faut que les gens
trouvent du plaisir dans
cette idée européenne ”
L’Europe se serait construite sur un
modèle français mais l’enthousiasme
des Français reste timide, non ?
Moi, je constate qu’il n’a y pas d’émission télé ou radio européenne en GrandeBretagne, alors qu’il y en a en France.
C’est ce pays qui m’a donné l’énorme
chance de faire l'émission Continentales
au début des années quatre-vingt-dix sur
France 3 (compilation de journaux télévisés
européens diffusés en version originale soustitrée, NDLR) puis une revue de presse
quotidienne sur France Inter. La France
a cru en l’Europe ! Je suis tombé sur des
patrons qui avaient cette vision-là, comme
Yvan Levaï qui est un déraciné d’origine
hongroise. Il m’a tout de suite mis à l’antenne ! Cette génération disparaît.
Aujourd’hui, quand je défends l’idée
d’une émission sur l’Europe, la réponse
est unanime : “ça n’intéresse personne !”
Les médias français sont désormais
tenus par des hommes de plus de 45 ans
qui n’ont pas cette fibre-là. Pour eux, l’Europe, c’est étranger. Ils n’ont pas d’histoire
européenne personnelle. Moi, je suis passionné par ces questions parce que mon
père a combattu pendant la Deuxième
Guerre mondiale, il est venu libérer votre
pays. Malgré ce qu’il a vécu, il m’a
emmené faire le tour de l’Europe dans
les années soixante. J’ai vu alors que je
pouvais vivre librement ce que j’étais. J’ai
vu que je pouvais vivre mon homosexua-
| 18 | RACINES | Mai 2014 |
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lité ailleurs qu’en Angleterre. J’ai donc un
fort rapport affectif avec l’Europe.
Vous croyez en un changement vers
plus d’europhilie ?
Les jeunes partent en programme
Erasmus, travaillent de plus en plus à
l’étranger, vont passer un week-end à Berlin entre amis, tombent amoureux d’une
Espagnole… Il y a de plus en plus de
familles multiculturelles. C’est cette génération-là qui va faire l’Europe !
Les médias nationaux présagent une
montée des extrêmes aux élections européennes. Ce serait un signe de rejet de
l’Union ?
Je ne pense pas que les gens voteront
en référence à des questions européennes
puisqu’ils ne sont pas au courant ! Aucun
média ne dit comment ça marche ou ce
qui risque d’être décidé. Je travaille depuis
vingt ans au cœur de ces sujets et cela
reste difficile aussi pour moi ! Alors, comment voulez-vous que les gens cernent
les enjeux ? Selon moi, les Français ne
voteront pas pour le Front national pour
sa politique européenne, mais parce qu’ils
n’aiment pas François Hollande. Je pense
aussi qu’ils expriment plus librement leur
protestation lors d’élections européennes
que lors de législatives nationales.
Il va se passer la même chose en
Grande-Bretagne où la population votera
pour l’Ukip (United Kingdom Independence Party qui milite pour le retrait de
l’Union européenne, NDLR) par rejet pour
le pouvoir et la politique.
Paradoxalement, je ne vois pas cela
comme une mauvaise chose, même si je
ne partage pas ces idées. Lorsque le parlement sera occupé par des europhobes,
DOSSIER
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au moins cela provoquera le débat. Ça
réveillera les gens ! On s’intéressera enfin
aux échanges au parlement européen !
Il faudrait donc être plus pédagogue
pour expliquer l’Europe ?
Pédagogue ? J’ai horreur de ce mot !
Si un media vend de la pédagogie, il ne
m’intéresse pas ! Il faut surtout donner
des raisons de croire en l’Europe ! Des
raisons émotionnelles, affectives. Il faut
que les gens trouvent du plaisir dans cette
idée européenne. Qu’ils aiment l’Europe !
Dans ma revue de presse sur France
Inter (tous les matins à 6 h 50, NDLR), je
ne fais pas de la pédagogie. Si je commençais à expliquer aux auditeurs combien il y a de sièges au parlement, alors
personne n’écouterait ! J’essaie de trouver
des petites choses qui rendent notre continent si sympathique il y a plein d’histoires
qui le rendent incroyable. Il y a tant de
choses différentes. J’aime Berlin car j’y ai
vécu, j’y ai des attaches affectives. C’est
pour cela que je lis la presse allemande
avec plaisir et pas parce que quelqu’un a
été pédagogue avec moi, en m’expliquant
l’histoire allemande !
(© Union européenne, 2014)
Donc selon vous il est ridicule d’opposer identité nationale et appartenance
européenne ?
Regardez : vous êtes née en Vendée.
Vous en êtes fière, mais vous êtes aussi
fière d’être française. Moi je suis fier de
mes origines britanniques mais aussi de
vivre en France. J’adore Berlin, j’aime
Bruxelles où j’ai travaillé. Tout le monde
a plusieurs identités. On peut être fier
d’être d’un pays et aimer l’Europe ! Les
Américains sont fiers d’être américains
mais aussi de vivre dans leur État.
“Les jeunes feront l’Europe.”
(1) Le public français a découvert Alex Taylor avec
l’émission Continentales sur France 3 dans les années
1990. Il assure aujourd’hui la revue de presse européenne sur France Inter à 6 h 50. Il est aussi l’auteur de
plusieurs ouvrages dont le plus récent, Quand as-tu vu
ton père pour la dernière fois ? aux éditions Lattès, février
2014, dans lequel il revient sur son homosexualité dévoilée, la maladie d’Alzheimer de son père, leur relation.
Son site : http://www.alextaylor.biz/
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R E P O RTA G E S
UNE EURO-RADIO
D’EXCEPTION
C’
est une radio ovni dans le paysage médiatique. Euradionantes est unique car Euradionantes s’intéresse à l’Europe.
Nantes, rue Jeanne-d’Arc, à la machine à café de la petite rédaction : “tu peux appeler un député croate. Il parle français ou anglais.”
Ici, on n’a pas peur de tendre le micro du côté de Bruxelles ou
de Strasbourg. C’est même obligatoire. Laurence Aubron est
la directrice et la fondatrice de cette station née en 2007.
L’histoire commence par un ras le bol, celui de constater que
personne ne se donne les moyens de comprendre les logiques
européennes, que les medias nationaux se désintéressent de ces
questions. “En 2005, nous votions pour ou contre la création d’une
constitution européenne. Les gens étaient perdus. On entendait tout
et n’importe quoi. Moi, j’ai eu envie d’aller plus loin. J’ai aussi saisi
l’impact décisif des sujets européens sur ce territoire et mon pays”,
explique l’ancienne journaliste de Jet FM, déjà initiatrice d’émissions transfrontalières.
Son ambition à travers Euradionantes est
de “donner les moyens de
se mobiliser, de choisir”.
Sur 101.3, on décrypte
l’Union et particulièrement par la lorgnette
locale. Tous les mois, au
moment de la session
plénière du parlement
Euradionantes se délocalise à Strasbourg. “À
chaque fois, on emmène
avec nous des acteurs
locaux qui débattront avec des eurodéputés à nos micros.” Le défi
est exigeant et les moyens financiers toujours en flux tendus,
de plus en plus complexes. Ville, Métropole, Département,
Région, Commission et Parlement européens : tous les échelons
collectifs contribuent.
La rédaction est composée de trois journalistes et d’une équipe
d’étudiants étrangers. Deux fois par an, une dizaine de jeunes
viennent forger leur esprit critique et renforcer leur savoir européen.
“En formant ces étudiants, on en fera de tels passionnés de l’Europe
qu’ils sauront défendre cet intérêt dans les medias qui les emploieront”,
parie Laurence Aubron. L’Europe se constuit aussi à Nantes.
www.euradionantes.eu (écoute en direct et podcasts).
EN GÂTINE,
ON S’OCCUPE
DES ANGLOPHONES
H
avre de paix rappelant
le charme d’une certaine campagne anglaise,
la Gâtine attire les NordEuropéens depuis une petite dizaine d’années. Aujourd’hui dans le Pays de
Gâtine(1), on estime à 748 le
nombre de foyers principaux de cette population
surtout anglophone. C’est
deux fois plus qu’en 2003
(304 foyers). À ce chiffre
s’ajoute celui des résidences
secondaires : 915 foyers.
Devant ce phénomène, les
élus du Pays de Gâtine ne
sont pas restés que des observateurs étonnés. “Les
maires soulevaient régulièrement des difficultés d’insertion. Il y avait aussi des
conflits d’usage avec les
gens d’ici, accentués par la
barrière de la langue”, explique Gilbert Favreau, président du Pays de Gâtine. L’élu
défendra la création d’un
poste à mi-temps dont la
mission serait de faciliter
cette intégration et de répondre aux interrogations
des arrivants anglophones.
“Mes collègues ont été assez
vite d’accord, car ils étaient
directement confrontés à ces
problèmes”, poursuit le président.
Depuis 2003, Julia Salvat
(notre photo), est ainsi chargée d’orienter et de conseiller cette population. Julia est
anglaise et vit en Gâtine depuis une trentaine d’années.
Elle aussi s’est d’abord étonnée de l’arrivée presque massive de ses compatriotes ! “Ils
viennent chercher une qua-
lité de vie qu’ils n’ont plus en
Grande-Bretagne mais la
réalité d’ici n’est pas forcément celle qu’ils avaient
imaginée : complexité administrative, difficulté pour dénicher un emploi, et bien sûr
la maîtrise du français.” Julia
explique, guide, met en relation. Elle aide aussi régulièrement les maires face à des
situations délicates, organise
aussi des conférences thématiques, des rencontres
conviviales. Les anglophones
sont aujourd’hui intégrés
dans le réseau Papot’âge du
Clic (visites à domicile des
personnes âgées isolées).
L’enracinement progresse.
“Les gens sont même fiers
de voir des anglophones
parmi leurs élus ou dans
leurs associations”, souligne
Julia. “C’était notre rôle
d’essayer de trouver une
solution, insiste Gilbert Favreau. La Gâtine est un pays
accueillant. Il ne pouvait
que s’ouvrir.”
(1) Le Pays de Gâtine (66 318 habitants) fédère 82 communes dont
Parthenay, Coulonges-sur-l’Autize,
Mazières-en-Gâtine.
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JUSQUE DANS LES PME D’ICI
L’Union européenne débloque
des fonds pour des actions économiques régionales. L’entreprise
mothaise de Marylène et Norbert
Douin a pu en bénéficier.
“J
amais je n’aurais pensé qu’un programme f inancé par l ’Europe
allait faire évoluer mon entreprise !” Marylène Douin est encore épatée par l’expérience vécue. Dix ans après
la naissance d’ADN-Créateur d’espaces
extérieurs à La Mothe-Achard, la
PME de Marylène et de Norbert, son
mari, s’essoufflait. “Contexte morose,
contexte difficile des dirigeants suite à un
accident...” relit Marylène le doigt
pointé sur un document de synthèse
réalisé avec un coach, il y a quelques
mois. La bouffée d’oxygène viendra
avec Dinamic Entreprises, un dispositif
lancé par l’État et le Région Pays de la
Loire à destination des PME. Ce programme souvent cité comme exemplaire par les collectivités, n’aurait pas
pu exister sans un financement européen : une enveloppe régionale de 30
millions d’euros est consacrée à cet
accompagnement jusqu’en 2020.
Depuis 2007, 860 entreprises ligé-
Grâce à Dinamic Entreprises, la société de Marylène et Norbert Douin a trouvé une nouvelle énergie.
riennes en ont bénéficié (170 en Vendée) et ont ainsi re-stimulé leurs performances.
Marylène Douin a découvert Dinamic lors d’un exposé de Vendée Expansion auprès de l’association locale des
entrepreneurs. Dans l’assemblée, des
dirigeants voisins témoignent positi-
Un bon coup de pouce
Emmanuel Danede, chargé de projet Dinamic entreprises à Vendée
Expansion :
“Ce programme est piloté par la Chambre régionale de commerce et
d’industrie et animé localement par Vendée Expansion et la CCI. Il
s’adresse aux entreprises de moins de 250 salariés, y compris celles
du secteur tertiaire. Selon moi, Dinamic est plutôt un bon dispositif
notamment parce que la recherche de financements est assurée en
amont. Cela facilite la mise en place pour les dirigeants. Pour prendre
l’exemple d’ADN, le programme lui a été facturé 5500 €(1) pour un
coût réel de 25 000 €.”
(1) 8000 € TTC avec récupération de TVA, soit environ 3200 €.
vement. La patronne y voit une opportunité urgente pour sa PME de quinze
personnes. “À cette époque, on saturait,
on manquait de recul et de temps pour
analyser notre situation. Là, c’était l’occasion qu’il ne fallait pas rater.” Vendée
Expansion missionne un intervenant
qui suivra l’entreprise pendant un an,
en vingt demi-journées.
Le travail est en profondeur : diagnostic, analyses, processus, solutions.
“Nous avons mis en place un tableau de
bord simple, des outils pratiques au quotidien”, énumère Marylène. Des salariés ont suivi des formations, dont le
coût est inclus dans le programme.
“Nous, dirigeants, avons gagné en
confort de travail, c’était une priorité.
On ne pouvait plus tenir à ce rythme.
Trois personnes ont vu leur poste progresser et nous avons développé notre
activité de 11 %.”
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