Glottopol - Université de Rouen

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Glottopol - Université de Rouen
n° 17 – janvier 2011
Variétés et diffusion du français dans
l’espace francophone à travers la
chanson
Numéro dirigé par Michaël Abecassis et
Gudrun Ledegen
GLOTTOPOL
Revue de sociolinguistique en ligne
SOMMAIRE
Michaël Abecassis, Gudrun Ledegen : Variété et diffusion du français dans l’espace
francophone à travers la chanson.
Michaël Abecassis : From sound to music : voices from old Paris.
Sofiane Bengoua : L’usage du français au travers des comptines dans deux zones
périurbaines en Algérie.
Belkacem Boumedini, Nebia Dadoua Hadria : Emprunt au français et créativité langagière
dans la chanson rap en Algérie : l’exemple de T.O.X., M.B.S et Double Canon.
Adeline Nguefak : La chanson camerounaise comme lieu d’expression et de construction de
nouvelles identités linguistiques.
Prisque Barbier : Place et rôles de la chanson dans la dynamique sociolinguistique ivoirienne.
Joëlle Cauville : La Marseillaise, ses variantes et ses parodies : leçon d’humour à la
française !
Patricia Gardies, Eléonore Yasri-Labrique : Mise en portée, mise à portée… utilisations
didactiques de la chanson en FLE.
Marine Totozani : Petit niveau cherche chanson… La chanson francophone plurilingue en
classe de langue.
Sandra Tomc : La chanson en classe de FLE comme vecteur pour l’étude de compétences
linguistiques et socioculturelles : lecture critique de l’impact identitaire des
stéréotypes.
Amy J. Ransom : Language choice and code switching in current popular music from
Québec.
Compte-rendu
Fabienne Leconte : AUGER Nathalie, 2010, Elèves nouvellement arrivés en France –
Réalités et perspectives pratiques en classe, préface de J-L Chiss, Editions des
archives contemporaines, Paris, 152 pages.
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LA CHANSON EN CLASSE DE FLE COMME VECTEUR POUR
L’ETUDE DE COMPETENCES LINGUISTIQUES ET
SOCIOCULTURELLES : LECTURE CRITIQUE DE L’IMPACT
IDENTITAIRE DES STEREOTYPES
Sandra TOMC
Université Jean Monnet Saint-Etienne,
CEDICLEC- équipe CELEC
Le point de départ de notre étude est « Une lettre ouverte sur la chanson » publiée par
Francis Debyser en 1969. Debyser refuse d’utiliser la méthodologie traditionnelle applicable
aux textes littéraires pour la chanson, c’est-à-dire ni dissertation, ni commentaire composé ou
explication de texte pour aborder la chanson en classe et motiver les apprenants. Il propose
des exploitations pédagogiques phonétiques, la chanson étant le lieu privilégié de la
phonétique corrective. Il propose de choisir le texte en fonction de sa charge culturelle
universelle. A travers le refrain émergent les exercices structuraux, ce qui ne correspond plus
à l’usage pédagogique actuel à cause de leur aspect réducteur.
En 1984, Licari s’oriente vers de nouvelles perspectives. Toute approche de la chanson
doit tenir compte de la spécificité du genre. Une chanson est un texte court et complet qui
présente une expression simple et qui permet au niveau linguistique et sémantique de
travailler tous les niveaux.
Dans notre article, nous posons l’idée selon laquelle la chanson sert de vecteur à l’étude
d’une compétence socioculturelle et à celle d’une compétence linguistique. Nous avons choisi
une chanson de Renaud, artiste contemporain, dont le titre est Miss Maggie1(1985), en guise
d’illustration à nos propos. D’un point de vue culturel, elle permet de découvrir un tronçon de
vie. Elle est un témoignage de civilisation qui s’insère dans un réseau de significations
culturelles. La chanson se réfère à un ancrage social spécifique, un lieu et une époque
déterminée.
Ce préalable posé, nous pouvons nous demander quelles sont les caractéristiques du genre
du discours. On ne peut exploiter une chanson qu’en l’ayant définie. Comment intégrer la
chanson dans l’approche en classe ? Il est souhaitable de ne pas cantonner l’exploitation
méthodologique de la chanson à son seul support audio mais d’intégrer les concerts, les clips
vidéo, les pochettes de cd, les sites internet etc. Il est souhaitable d’appréhender la chanson
comme un objet culturel multimodal.
1
Le texte figure intégralement en annexe.
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Dans la première partie de cet article, nous cherchons à appréhender la chanson comme un
genre de discours. Nous présentons les spécificités de la chanson pour parvenir à des
orientations didactiques d’ordre général. La suite de la réflexion nous permet d’établir les
conditions de l’exploitation en classe de FLE. Par souci d’exhaustivité, il serait souhaitable
d’aborder la problématique selon deux pôles : le pôle enseignement avec comme perspective
objet la chanson, seul axe développé dans cet article et le pôle apprentissage en prenant en
compte la problématique des apprenants qui appréhendent le message et son impact.
Dans notre deuxième partie, nous cherchons dans quelle mesure les stéréotypes sont des
révélateurs et analyseurs sociologiques. Nous réfléchissons sur les éléments caractérisant les
stéréotypes, leurs finalités et nous tentons de découvrir quels sont les enjeux. Nous
prolongeons notre réflexion sur le comportement qu’adopte l’enseignant, eu égard aux
représentations.
La chanson comme genre de discours. Démarche méthodologique pour
utiliser la chanson.
Nous élaborons un exemple de séance pour exploiter la chanson en classe de Français
Langue Etrangère. La démarche préconisée est la suivante : d’abord sélectionner la chanson
puis la contextualiser, en définir les objectifs et les compétences visées avant de construire
une fiche pédagogique susceptible d’être utilisée en classe.
Miss Maggie fait partie de l’album Mistral gagnant. La chanson est utilisée dans sa version
studio (sans réaction du public). La chanson interdite au Royaume-Uni en 1985 brocarde la
première ministre anglaise avec humour. Elle a été écrite après le drame du Heysel et a
provoqué un mini scandale l’année de sa sortie en raison de ses paroles virulentes contre
Margaret Thatcher. Un peu plus tard, Renaud a écrit une adaptation en anglais de sa chanson,
disponible sur l’album Les Introuvables. Des chansons en retour furent composées par des
Britanniques contre les Français (l’une d’elles était jouée par Jeremy Nicholas sur l’air de La
Marseillaise).
Choisir une chanson n’est pas une démarche banale. Envisager d’employer une chanson en
classe de langue nécessite d’avoir cadré au préalable les objectifs visés. Le Cadre Européen
Commun de Références pour les Langues décrit ce que les apprenants d’une langue doivent
apprendre afin de l’utiliser dans un but communicatif. Deux des compétences générales
établies par le CECR nous intéressent : le savoir englobant la culture générale (une image du
monde et de ses mécanismes) puis le savoir socioculturel, faisant référence aux connaissances
de la société et de la culture de communautés. Le savoir socioculturel n’appartient pas au
savoir antérieur de l’apprenant et est déformé par des stéréotypes et la prise de conscience
interculturelle. Il s’agit de la compréhension de relations entre le monde d’où l’on vient et le
monde de la communauté cible. La chanson permet une approche socioculturelle idéale. C’est
ce que décrit Calvet (1980 : 2) :
Enfin il y a des arguments culturels en faveur de la chanson en classe : les peuples
chantent et écoutent des chansons qui, d’une façon ou d’une autre, parlent d’eux, de
leurs problèmes, de leur histoire, de leur situation. Et si apprendre une langue, c’est
aussi apprendre un peu de la civilisation qui a donné naissance à cette langue et dans
laquelle elle vit, la chanson se trouve justement à la croisée de ces différents chemins.
Tentons de définir les caractéristiques de ce genre de texte par le biais de quatre entrées :
les thèmes, le style, la dimension pragmatique et l’intertextualité.
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Les thèmes
La chanson de Renaud se veut une ode aux femmes, soulignant l’absence de femmes dans
les atrocités de l’humanité. Le chanteur y exprime son dégoût de la violence des hommes
(morale guerrière, meurtrière, armes à feu, chasseurs), de la bombe atomique et des
génocides. L’objectif étant de préparer les apprenants au thème de la chanson, l’enseignant
peut demander d’exposer brièvement les représentations des hommes et des femmes, s’il y a
lieu l’évolution de leur perception au cours de leur arrivée et la comparaison avec leur culture.
Cela peut préparer la compréhension des paroles. D’autres réflexions peuvent être menées,
impliquant des enjeux interculturels tels que la critique de la société de consommation
(« sauver son autoradio »), le sport et les supporters, l’alcool.
Autre thématique abordée, celle de l’opposition aux forces de sécurité (« les crétins en
bleu ») et l’antimilitarisme (les soldats sont des « salauds en vert »), mais aussi l’antifascisme
ou le parti pris dans le conflit israëlo-palestinien. Les paroles de la chanson Miss Maggie où la
répression de l’Intifada est comparée au génocide arménien et à la Shoah, déclenchent
d’ailleurs une polémique et lui valent des accusations d’antisémitisme. Renaud avouera la
tournure maladroite, même si le but était bien de provoquer, et remanie la phrase « et pas une
femme n’a sur les mains le sang des Indiens d’Amérique, Palestiniens et Arméniens
témoignent du fond de leurs tombeaux qu’un génocide c’est masculin »2.
Les apprenants pourraient dégager les thèmes de chaque couplet en leur donnant un titre. Il
s’agirait de développer l’écoute synthétique ou globale. Elle suppose que les élèves soient
attentifs aux détails pour arriver à un raisonnement par induction. Le contenu thématique fait
apparaître d’autres problématiques telles les valeurs attribuées aux hommes (fierté,
malhonnêteté), les passions automobiles (bagnole, phare, autoradio), la vulgarité et les
insultes (queue, bite, putain, con, salauds, conne, tarés, minables, crétins, imbéciles), la fin de
vie (l’enfer, témoignent du fond de leur tombeau). A travers ce repérage des indices
thématiques, l’apprenant convoque sa compétence lexicale, c’est-à-dire sa capacité à utiliser
le vocabulaire d’une langue, qu’il s’agisse de mots isolés ou d’expressions toutes faites.
Le style
La chanson est un système articulant trois dominantes : la musique, l’interprétation vocale
et le texte.
L’écriture musicale permet d’entrer dans la chanson de façon globale, de plonger dans le
paysage sonore de la chanson. L’enseignant demande aux apprenants de relever les
instruments de musique qu’ils entendent, de prêter attention à la voix (qualificatifs divers sur
la voix, changeante par rapport au rythme), tente de leur faire deviner l’identité du chanteur
(âge, origine, etc.) puis il leur demande de donner leurs impressions. La batterie, la guitare
électrique et l’orgue évoquent un caractère violent bien que l’’aspect musical passe plutôt au
deuxième plan dans Miss Maggie.
Au niveau interprétatif, l’enseignant demande aux apprenants de prendre en considération
les jeux sur les effets de voix (nette accentuation sur Madame Thatcher ce qui permet à
l’enseignant de rebondir sur le personnage en question). Renaud n’ayant jamais pris de cours
de chant, sa voix éraillée peut déplaire, d’autant que la cigarette et l’alcool ont accentué
l’aspect rauque vocal. La compétence phonologique est exploitée par le biais de la recherche
d’accent, d’intonation etc.
Au niveau des textes, il s’agit d’établir une grille d’exploitation situationnelle. Ce sont des
activités davantage centrées sur les paroles dans lesquelles les apprenants doivent relever des
informations grâce aux indices. Au préalable, l’enseignant demande aux apprenants de relever
2
Les modifications de texte entre les différentes versions ne gsont pas disponibles.
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les personnes impliquées dans la chanson, de s’intéresser aux paroles, de tenter d’en
comprendre globalement le sens, de repérer des indices formels d’organisation.
Lorsque l’apprenant repère les indices énonciatifs, il travaille sa compétence pragmatique
qui recouvre l’utilisation fonctionnelle des ressources de la langue. Il s’agit de comprendre la
réalisation des fonctions langagières et des actes de parole en s’appuyant sur les scripts de la
chanson. Les apprenants peuvent classer les termes suivant la taxinomie : langue
normée/langue argotique. Il est souhaitable d’expliciter la dimension lexicale à cause des
expressions idiomatiques et familières.
En ce qui concerne l’énonciation, rappelons que le point de vue est masculin. L’unité
d’ancrage est confirmée par l’emploi déictique de la première personne du singulier opposé à
l’usage de la deuxième personne du pluriel manifestant ainsi le sentiment d’appartenance à
deux communautés distinctes.
Dimension pragmatique
Exploiter la chanson sous un troisième angle, à savoir l’entrée pragmatique consiste à
appréhender celle-ci à la lumière de sa finalité. Il s’agit d’une chanson culturellement et
sociologiquement située qui s’adresse à un public assez vaste puisque certains étaient déjà
adultes lors du drame de Heysel. La chanson brosse le tableau sociologique de la violence des
hommes, des représentations liées au genre et de la critique de la politique de Madame
Thatcher en jouant sur son image de femme de fer.
Intertextualité
La démarche méthodologique pour utiliser la chanson en classe de français langue
étrangère se focalise sur l’entrée intertextuelle. Il s’agit de faire référence à d’autres chansons.
Au niveau textuel, musical et interprétatif, la chanson Miss Maggie s’inscrit dans une tradition
de chanson française. De nombreux groupes et artistes disent avoir été inspirés par Renaud
comme Mano Solo, Tryo, Zebda, Mickey 3D, Têtes Raides (qui ont repris Hexagone, une
chanson de Renaud, lors de leur tournée 2004) ou Bénabar. Renaud, dans la tradition de la
chanson française, accorde avant tout une importance au texte. Il a d’ailleurs écrit la quasitotalité de ceux qu’il chante. Une bonne partie de ses textes utilisent l’argot, un langage
populaire que Renaud a appris enfant puis en fréquentant la rue alors qu’il vivait de petits
boulots, et comprennent de nombreux calembours. Outre les chansons engagées, Renaud écrit
également sur des sujets plus personnels, souvent biographiques, comme la famille, le divorce
ou l’enfance. Renaud glisse fréquemment quelques touches humoristiques dans ses chansons
en se servant de la parodie ou de la satire pour mieux faire passer ses messages ou simplement
faire rire. Les jeux de mots portant sur l’équivoque des ressemblances entre les termes
femmes et femelles sont nombreuses « femme normale star ou boudin femelles en tout genre
je vous aime » et les définitions personnelles de l’auteur « déifiant les crétins en bleu insultant
les salauds en vert » tendent à accentuer l’aspect sarcastique de la chanson. Renaud est connu
pour recourir fréquemment au portrait dans ses textes. Certains de ses personnages sont
biographiques (Miss Maggie, Petite conne), d’autres sont des caricatures de groupes sociaux
(Deuxième génération, Dans mon HLM, Petit pédé).
Les apprenants peuvent se documenter via Internet pour trouver des articles, des clips, des
concerts sur l’artiste, l’objectif étant de comprendre en quoi Renaud est un pilier de la
chanson française. Cette intertextualité concernant le pôle récepteur permet à l’apprenant de
repérer les références en fonction de sa culture et de ses représentations.
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Lecture critique de l’impact identitaire des stéréotypes
Il convient d’ajouter une compétence à celles acquises dans l’analyse des chansons.
L’ethnosocioculture représente selon Boyer (1995 : 41) « un ensemble composite de traits
constitutifs d’imaginaires collectifs ». Il ajoute que
la compétence ethnosocioculturelle, faite (…) d’images, de valeurs, d’attitudes
concernant le réel communautaire (et qui sont d’autant d’éléments d’auto-identification
pour la communauté), ne doit pas être confondue avec l’ensemble des savoirs objectifs,
plus ou moins complets, disponibles sur ce réel communautaire, (…) qui concerne aussi
bien des lieux géographiques que le patrimoine artistique ou l’organisation de la société.
La classification implicite qu’un Français peut faire d’un artiste national relève de ce type
de compétence, qui parait fondamentale dans l’approche de la chanson. Les propos de Boyer
prolongent les théories de Galisson (1987 : 23) qui rapproche les concepts d’identité
collective et de culture partagée, qu’il oppose à la culture savante : « connaissance d’auteurs
(littérature) de créateurs (arts), (…) que le milieu d’origine et l’école impriment dans la mémoire des
natifs favorisés ». C’est cette « culture partagée des natifs » qui s’acquiert partout, au contact des
autres, dans les relations familiales, grégaires, sociales, à travers les médias, par exposition,
immersion, imitation, inculcation, etc. » (op.cit., 126) que l’enseignement/apprentissage d’une
langue doit viser. Or la chanson représente une composante de cette culture partagée
(transmission au niveau de la famille, social, médiatique etc.). Dans le cas de notre illustration
à travers le corpus Miss Maggie, il s’agit d’établir une approche descriptive des traits
caractéristiques du système social qui comprend les relations entre les sexes et le système
culturel, sur la diffusion des codes de croyances, sur le domaine des normes et des valeurs.
Nous empruntons la notion de crible de Troubetzkoy (1949) – crible phonologique pour
expliquer les difficultés à passer d’un système culturel à un autre. Ce concept s’est généralisé
à toutes les composantes verbales et non verbales de la communication, entre autres celui de
crible culturel. La culture a été définie dans un rapport des Nations Unies (2004 : 4) comme :
une manière d’être, de se comporter, de croire et d’agir dont les gens vivent dans leur
vie et qui est dans un processus constant de changement et d’échange avec d’autres
cultures.
Le crible culturel a plusieurs modes de fonctionnement dont deux nous intéressent plus
particulièrement. Bourdieu (1992 : 178) parle d’habitus de classe, qu’il définit comme « un
système de dispositions durables et transposables, qui, intégrant toutes les expériences
passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions, d’appréciations et
d’actions ». La notion de crible est également sous-tendue par le recours aux représentations
dans lesquelles une société se reconnait. Il s’agit d’un ensemble de caractéristiques qui typifie
un groupe dans son comportement et dans son aspect par exemple.
Après avoir ciblé des exemples de stéréotypes issus de la chanson de Renaud, la deuxième
partie consiste en une lecture critique de leur impact identitaire. Dans quelle mesure ceux-ci
prennent-ils le rôle de révélateur et analyseur sociologique ? Nous réfléchissons sur les
éléments caractérisant les stéréotypes, leurs finalités et nous tentons de découvrir quels sont
les enjeux. Nous prolongeons notre réflexion sur le comportement qu’adopte l’enseignant, eu
égard aux représentations.
Le terme stéréotype vient du grec « stereos » qui signifie dur, solide et de typos, empreinte.
Au 18èmesiècle, il s’agissait d’une impression obtenue avec une plaque d’imprimerie,
reproduite en nombre important. Ce terme est utilisé surtout en sociologie et en psychologie
au sens figuré.
En sociologie, le stéréotype prend la forme d’une opinion généralisée et concerne un
groupe d’individus ou une classe sociale. L’image que le stéréotype donne du sujet tient
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davantage de la réputation de ce dernier que de faits avérés. Zarate (1986 : 63) définit les
stérotypes
comme un ensemble de traits censés caractériser ou typifier un groupe, dans son
aspect physique et mental et dans son comportement. Cet ensemble s’éloigne de la réalité
en la restreignant, en la tronquant et en la déformant. L’utilisateur du stéréotype pense
souvent procéder à une simple description, en fait il plaque un moule sur une réalité que
celui-ci ne peut contenir.
Après avoir opéré quelques éclaircissements du concept, nous nous interrogeons sur la
composante des stéréotypes. Notons que le stéréotype est généralisation. Stéréotyper c’est
utiliser les mêmes concepts pour définir les éléments d’une catégorie sans se préoccuper des
exceptions. Nous pouvons déduire avec Bardin (2001 : 51)
qu’un stéréotype est l’idée qu’on se fait de…, c’est-à-dire l’image qui surgit
spontanément lorsqu’il s’agit de…C’est la représentation (d’un objet, de choses, de gens,
ou d’idées) plus ou moins détachée de sa réalité objective, partagée par les membres
d’un même groupe social. Il correspond à une mesure d’économie dans la perception de
la réalité. Cette perception est ainsi soumise à l’influence de l’expérience personnelle, du
milieu culturel, ou encore des médias.
Naissant de la confrontation de deux groupes, le stéréotype a une double fonction : une
fonction cognitive et une fonction identitaire. L’humain schématise son environnement pour
tenter de le maitriser (fonction cognitive). La langue étant un marqueur d’identité et l’identité
ne se construisant que dans le rapport d’altérité, cette dynamique ouvre la porte aux
stéréotypes. L’identité repose sur un imaginaire collectif (stéréotypes) souvent à la base de
catégorisations sociales.
Quand le processus de catégorisation s’applique aux humains, on parle de
catégorisation sociale. Une des conséquences de la catégorisation sociale est que nous
accentuons les différences entre les personnes appartenant à des groupes distincts et que
nous minimisons les différences entre les individus appartenant au même groupe. (Tajfel,
1981 : 23).
L’enjeu des stéréotypes ne relève pas de la connaissance mais des relations qu’un individu
ou qu’un groupe souhaite entretenir avec cet autre. Dans la communication interculturelle, les
représentations jouent un rôle important puisqu’elle implique que nous devons être attentifs à
nos propres préjugés. Dans quelle mesure l’enseignant doit-il faire abstraction de ses
stéréotypes pour mener la tâche qui lui a été confiée ?
Le concept de culture met en jeu l’identité de l’individu par rapport à l’autre (au groupe).
La démarche interculturelle nécessite un apprentissage des autres mais aussi une plongée en
soi même pour comprendre comment son propre conditionnement culturel façonne le regard
sur les autres. D’une manière générale, présenter aux étudiants des films, des séries, des
chansons constitue un moyen de vivre et de connaitre la culture française afin que les
apprenants aient une vision d’ensemble et leur permet de comparer les deux cultures
différentes. Il s’agit d’une démarche réflexive qui :
se donne pour objet de donner à entendre comment ces représentations stéréotypées
ont été construites, à travers quelles expériences elles ont été intériorisées ; cette étape
implique à la fois un retour individuel sur des expériences personnelles et une expérience
collective sur les mécanismes d’imposition et de représentations dominantes. (Zarate,
1995 : 124).
Cette démarche permet de repérer les stéréotypes, ses effets et d’analyser leur
fonctionnement. Les individus ne vivent pas dans un cadre isolé mais en situation
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d’interaction avec la société. Les représentations d’une personne, d’un objet, d’un pays sont
marquées par des facteurs sociaux, historiques et culturels. Ainsi la problématique des
représentations se situe plutôt au niveau social et culturel. L’intégration de la notion de
représentation doit être un principe important pour orienter l’apprentissage-enseignement des
langues.
Conclusion
Soulignons le caractère ludique de l’apprentissage par la chanson. L’approche
communicative y trouve tout son sens : au niveau pédagogique les éléments linguistiques et
extralinguistiques sont liés et se combinent dans la chanson. Ce support didactique est un
véritable vecteur socioculturel. Dès lors se pose la question du choix des textes à étudier.
Privilégier l’étude de la chanson pour rendre plus amusant l’enseignement de la langue, pour
présenter des cours d’histoire (exemple du génocide arménien dans le texte de Renaud), pour
établir des études contrastives entre les différences culturelles et travailler sur la description
d’une culture, sur la construction de stéréotypes culturels et linguistiques. Les objectifs
didactiques sont divers. Il est souhaitable de dépasser le stade de l’exploitation simple d’une
seule chanson, en lui associant clips-vidéo, concerts, articles de journaux, sites internet afin de
mettre au jour les liens d’interaction entre ces éléments et aussi pour enrichir le potentiel
méthodologique.
En définitive, les enseignants sensibilisent et incitent les apprenants à aller vers une remise
en question de leurs représentations. Il est indispensable de créer une ambiance culturelle
favorable à l’enseignement-apprentissage du français pour que les apprenants éprouvent le
sentiment de travailler avec des documents authentiques issus de la culture française.
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Annexes
Miss Maggie (Renaud, 1985)
Femme du monde ou bien putain
Qui bien souvent êtes les mêmes
Femme normale, star ou boudin,
Femelles en tout genre je vous aime
Même à la dernière des connes,
Je veux dédier ces quelques vers
Issus de mon dégoût des hommes
Et de leur morale guerrière
Car aucune femme sur la planète
N’ s’ra jamais plus con que son frère
Ni plus fière, ni plus malhonnête
A part peut-être Madame Thatcher
Femme je t’aime parce que
Lorsque le sport devient la guerre
Y a pas de gonzesse ou si peu
Dans les hordes de supporters
Ces fanatiques, fous-furieux
Abreuvés de haines et de bières
Déifiant les crétins en bleu,
Insultant les salauds en vert
Y a pas de gonzesse hooligan,
Imbécile et meurtrière
Y’en a pas même en Grande-Bretagne
A part bien sûr Madame Thatcher
Femme je t’aime parce que
Une bagnole entre les pognes
Tu n’ deviens pas aussi con que
Ces pauvres tarés qui se cognent
Pour un phare un peu amoché
Ou pour un doigt tendu bien haut
Y’en a qui vont jusqu’à flinguer
Pour sauver leur autoradio
Le bras d’honneur de ces cons-là
Aucune femme n’est assez vulgaire
Pour l’employer à tour de bras
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A part peut être Madame Thatcher
Femme je t’aime parce que
Tu vas pas mourir à la guerre
Parc’ que la vue d’une arme à feu
Fait pas frissonner tes ovaires
Parc’ que dans les rangs des chasseurs
Qui dégomment la tourterelle
Et occasionnellement les Beurs,
J’ai jamais vu une femelle
Pas une femme n’est assez minable
Pour astiquer un revolver
Et se sentir invulnérable
A part bien sûr Madame Thatcher
C’est pas d’un cerveau féminin
Qu’est sortie la bombe atomique
Et pas une femme n’a sur les mains
Le sang des Indiens d’Amérique
Palestiniens et Arméniens
Témoignent du fond de leurs tombeaux
Qu’un génocide c’est masculin
Comme un SS, un torero
Dans cette putain d’humanité
Les assassins sont tous des frères
Pas une femme pour rivaliser
A part bien sûr Madame Thatcher
Femme je t’aime surtout enfin
Pour ta faiblesse et pour tes yeux
Quand la force de l’homme ne tient
Que dans son flingue ou dans sa queue
Et quand viendra l’heure dernière,
L’enfer s’ra peuplé de crétins
Jouant au foot ou à la guerre,
A celui qui pisse le plus loin
Moi je me changerai en chien si je peux rester sur la Terre
Et comme réverbère quotidien
Je m’offrirai Madame Thatcher
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Revue de sociolinguistique en ligne
Comité de rédaction : Michaël Abecassis, Salih Akin, Sophie Babault, Claude Caitucoli,
Véronique Castellotti, Régine Delamotte-Legrand, Robert Fournier, Emmanuelle Huver,
Normand Labrie, Foued Laroussi, Benoit Leblanc, Fabienne Leconte, Gudrun Ledegen,
Danièle Moore, Clara Mortamet, Alioune Ndao, Gisèle Prignitz, Georges-Elia Sarfati.
Conseiller scientifique : Jean-Baptiste Marcellesi.
Rédacteur en chef : Clara Mortamet.
Comité scientifique : Claudine Bavoux, Michel Beniamino, Jacqueline Billiez, Philippe
Blanchet, Pierre Bouchard, Ahmed Boukous, Louise Dabène, Pierre Dumont, Jean-Michel
Eloy, Françoise Gadet, Marie-Christine Hazaël-Massieux, Monica Heller, Caroline Juilliard,
Jean-Marie Klinkenberg, Jean Le Du, Marinette Matthey, Jacques Maurais, Marie-Louise
Moreau, Robert Nicolaï, Lambert Félix Prudent, Ambroise Queffélec, Didier de Robillard,
Paul Siblot, Claude Truchot, Daniel Véronique.
Comité de lecture pour ce numéro : Salih Akin (Rouen), Jacqueline Billiez (Grenoble),
Karine Blanchon (Paris), Joëlle Gardes-Tamine (Paris 4), Jeanne Gonac’h (Rouen), Amélie
Hien (Université Laurentienne, Canada), Cristina Johnston (Stirling), Germain Lacasse
(Montréal), Emmanuelle Labeau (Aston), Laure Lansari (Reims-Champagne Ardenne),
Emilie Née (Paris 3), Ambroise Queffélec (Université de Provence), Gwenn Scheppler
(Montréal), Cyril Trimaille (Grenoble).
Laboratoire LiDiFra – Université de Rouen
http ://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol
ISSN : 1769-7425

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