MESNIL-AMAR Jacqueline née PERQUEL

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MESNIL-AMAR Jacqueline née PERQUEL
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MESNIL-AMAR Jacqueline née PERQUEL (1909 - 1987)
1) Le témoin :
Le témoin se nomme Jacqueline Perquel (nom de jeune fille). Elle est née le 23 avril
1909 à Paris. Elle est issue d’une famille juive d’origine lorraine par son père et italienne par
sa mère, installée à Poissy en région parisienne. Le père, Jules Perquel (1871-1953), est agent
de change dans une banque et est marié avec Ellen Allatini (1880-1972). La famille fait partie
de la haute bourgeoisie, très bien intégrée depuis longtemps à la France, animée d’un
sentiment patriotique fort. Leur statut social les amène à mener un train de vie agréable entre
réceptions, salons, cours d’équitation … La religion a peu de part dans le quotidien.
Jacqueline se marie avec André Amar en 1930. Ce dernier est issu d’une famille juive de
Salonique, est enseignant normalien, écrivain et fondé de pouvoir dans la banque de sa
famille. Jacqueline, devenue Amar, obtient une licence de lettres à la Sorbonne. Tous deux
vivent à Paris, continuent à couler des jours heureux et paisibles dans le milieu bourgeois dont
ils sont issus, se passionnant tous deux pour les arts et les lettres. En 1934, ils ont une petite
fille : Sylvie.
La guerre bouleverse leur vie : ils partent à Vichy, puis Aix-les-Bains et Marseille. Les
proches d’André sont arrêtés et déportés à Drancy, le couple rentre à Paris. André Amar
s’engage dans la résistance en 1942 dans le groupe O.J.C (Organisation Juive de Combat). Il
est arrêté le 18 juillet 1944, torturé et déporté à Auschwitz, avec d’autres membres et amis de
l’organisation. Jacqueline Mesnil-Amar reste à Paris avec sa fille durant l’occupation,
cachées. Elle tient un journal où elle y raconte son quotidien et ses réflexions.
André Amar s’évade d’Auschwitz, Paris est libérée quelques jours plus tard. Le couple
décide alors de s’engager pour soutenir les victimes de la guerre. Ils s’investissent au Service
Central des Déportés Israélites, Jacqueline dirige la publication du bulletin de 1945 à 1946. Le
couple comprend alors qu’il est essentiel de raconter la guerre et de soutenir notamment les
enfants juifs victimes survivants de la Shoah. André Amar restera professeur en sciences
politiques et portera aussi de nombreuses réflexions sur le judaïsme.
Jacqueline Mesnil-Amar publie et écrie au sujet de la guerre, des Juifs, de leur identité, de leur
histoire :
- Ceux qui ne dormaient pas. (1957)
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- Le message des enfants perdus. (1950)
- Etre juif à Passy. (1958)
- Marcel Proust, les Juifs et le monde. (1970)
- Une femme d’autrefois, Jeanne Proust et son fils. (1972)
- Nous étions les Juifs de l’oubli. (1977)
Jaqueline Mesnil-Amar décède à Paris le 19 avril 1987.
2) Le témoignage :
Titre : Ceux qui ne dormaient pas. Journal, 1944-1946.
Première édition : en 1957, aux Éditions de Minuit (« la » maison d’édition de la résistance).
Deuxième édition : en 2009, aux Éditions Stock, collection Livre de Poche (texte inchangé).
Reçoit le prix « Madame Figaro 2009 ».
Le témoignage a donc été publié deux fois car la première édition n’a pas reçu le succès
attendu car le contexte n’était pas à la lecture de la guerre et de ses tragédies mais à la
reconstruction et à l’oubli. Il est donc republié en 2009 peut-être à l’initiative de sa fille
Sylvie Jessua-Amar, l’auteur étant décédée au moment de la 2ème édition.
Le livre est préfacé dans sa deuxième édition par Pierre Assouline, journaliste (France
Culture, Le Monde, Le Nouvel Observateur), romancier, biographe, membre de la revue
L’Histoire… Il est le créateur du blog La République des Livres. La préface est un résumé du
témoignage, de ces grandes lignes et aussi un hommage à l’auteur, à la qualité de son écriture
et à la grandeur de ses sentiments.
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Ce témoignage est découpé en deux parties :
- La première partie se trouve sous la forme d’un journal intitulé : Journal des temps
tragiques, 18 juillet 1944-25 août 1944.
- La deuxième partie se trouve sous forme d’articles, de réflexions et s’intitule elle : Des
temps tragiques aux temps difficiles. Articles.
Le témoignage a pris forme comme son titre l’indique le 18 juillet 1944, jour de
l’arrestation de son mari par la Gestapo : page 19 « 18 juillet 1944, rue de Seine, 23 heures.
André n’est pas rentré cette nuit ». Il semble que le récit soit écrit au fil des jours et des
évènements, sans que l’auteur n’écrive nécessairement tous les jours. Il semble qu’il ne s’agit
pas d’une réécriture. Le style de la première partie « journal » semble spontané et écrit au gré
des émotions quotidiennes.
Le style littéraire du témoignage est descriptif sur le déroulement de la situation sous la
fin de l’Occupation à Paris mais surtout il est réflexif car l’auteur ne cesse de se questionner,
de tenter d’exprimer au mieux son ressentit, ses émotions, son sentiment face à ce qu’elle voit
et vit … et ce dans les deux parties du livre.
Le témoin ne nous informe pas directement sur les destinataires de son récit, ni sur le but
précis de son œuvre. Si l’on suit le fil de sa lecture, on comprend que dans la première partie,
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l’auteur écrit souvent la nuit, alors que son mari a disparu, et exprime dans son journal sa
profonde angoisse face à la perte de cet être cher. On le ressent dans ses lignes comme un
besoin « de se vider la tête », il ne parait pas avoir de destinataires définis, ni la conviction
qu’il sera lu. Les articles de la deuxième partie quant à eux des témoignages sur ce que
l’auteur apprend au sujet des enfants juifs notamment de leurs tragédies. Son but est de nous
éclairer et de nous alarmer, nous avons devoir de prendre en charge l’avenir et la mémoire de
leur souffrances et de celles de leurs familles. L’auteur savait qu’elle serait lue et le désirait
puisque ce sont des articles publiées par elle après écriture, à partir de 1944, au sein même du
S.C.D.I.
3) L’analyse :
L’auteur utilise le plus souvent le pronom personnel : NOUS. En effet, son récit est
surtout l’expression de son angoisse face à la disparition de son mari, dont elle ne connait pas
le sort, d’où le titre du témoignage. Elle utilise donc ce « nous » pour parler de son passé, et
surtout de sa vie de couple avec son mari. Elle se remémore leurs souvenirs et se questionne
sur leur avenir, y’en aura-t-il un ? C’est une façon de faire vivre son couple en ignorant que la
mort les a peut-être séparés. Puis, l’auteur utilise le nous pour parler d’elle et de sa fille, ou
du groupe avec lequel elle survie, au quotidien mais c’est assez peu fréquent, car elle parle
finalement peu du quotidien (nourriture, trajets..). Aussi, elle utilise le « nous » tantôt pour
parler du peuple juif, tantôt pour parler du peuple français, il semble que son appartenance
aux deux « groupes » soit donc très marqués. Enfin, l’auteur utilise le « je » lorsqu’elle
exprime ses sentiments et donc surtout son angoisse. L’œuvre tourne beaucoup autour de cette
angoisse face à la perte de son mari.
Thèmes abordés :
Jacqueline Mesnil-Amar vit à Paris sous l’Occupation, peu avant la Libération (juillet à
août 1944), son mari est prisonnier, elle se cache avec sa fille et des proches. Son récit est
mêlé d’évènements et de sentiments.
L’angoisse :
Voilà le thème le plus abordé au moins dans la première partie du livre. Jacqueline Amar
attend désespérément des nouvelles de son mari. Elle n’a que peu de renseignements et sait
que s’il a disparu sa vie est en danger. Elle exprime donc tout au long du livre sa terreur de
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savoir qu’elle risque de ne plus le voir. En réalité, elle parle presque comme si elle le savait
mort : elle se souvient de sa voix, de ses pas, des bruits et odeurs… Bref, de ce qui nous
manque chez un être disparu. Le sort de sa fille semble la désespérer aussi (peur qu’elle soit
traumatisée) mais elle y fait peu référence car il semble qu’il soit même trop dur d’en parler et
que cela la renvoie d’autant plus fort à son angoisse, alors elle préfère le taire. Enfin, elle
raconte aussi sa peur face au sort des proches dont elle ne sait s’ils sont disparus, prisonniers,
morts… Finalement elle s’angoisse peu pour son propre sort. Le récit est poignant et les
sentiments sont si bien décris et de façon si forte qu’il est difficile de croire qu’il est pu être
écrit après coup.
La guerre :
L’auteur aborde la vie sous l’occupation avec la difficulté de rester en sécurité surtout
pour sa fille. Elle explique comment elles doivent changer de logement et donc elle parle de
ceux qui vont les cacher, des proches des amis. Elle cherche à rendre hommage à ces
personnes pour leur héroïsme. A l’inverse, elle semble désespérée face à l’Armistice,
l’occupation, la collaboration…
Elle critique le manque d’engagement de tout un chacun face à l’humiliation d’être
occupé, elle semble infiniment déçue par ses semblables, par la France, par les Juifs… Elle se
culpabilise d’avoir oublié qu’elle était juive pendant tant d’années, d’avoir été trop naïfs et de
n’avoir fait que jouir de leur statut de bourgeois français. Ses réflexions sont parfois
embrouillées, car il semble y avoir trop d’incompréhension face à la guerre : pourquoi ?
Elle écrit alors que Paris est sur le point d’être libéré et exprime comment elle passe d’une
minute à l’autre du sentiment de joie, à la peur, au désespoir, à la certitude… Elle explique
bien comment la radio est essentielle pour tenir et pour comprendre un peu ce que les
résistants, les soldats font face à l’ennemi, alors qu’elle a un sentiment d’impuissance, savoir
que les choses bougent et qu’il se passe quelque chose.
Il y a de nombreux passages de descriptions des rues de Paris, de la ville, des
comparaisons avant et pendant la guerre : les rues sont tristes, changées, elle parle avec
nostalgie du passé, quand l’auteur était enfant dans les mêmes rues paisibles et gaies. Mais
elle garde espoir car Paris lui semble toujours digne dans son malheur. C’est ce qu’elle
cherche à être aussi.
Les enfants juifs :
Dans la deuxième partie du livre, l’auteur détaille et exprime ce qu’elle voit, entend et
comprend de la bouche des enfants survivants de la Shoah. En effet, elle va s’engager pour
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eux au sein du S.C.D.I. et va donc comprendre les horreurs qu’ils y ont vécu. On trouve donc
le récit de leurs vies, avec des paroles rapportées. L’auteur alors porte une longue réflexion
sur la part de responsabilité de chacun, pour elle tout le monde a participé. Elle dénonce tous
ceux qui n’ont rien fait et s’accuse elle-même de s’être humiliée à négocier avec les
allemands, les collabos…
On la sent furieuse, extrêmement choquée par le massacre, attristée. Il semble que son
but soit d’abord d’alerter sur le sort de ces enfants : ils vont devenir des citoyens il faut leur
réapprendre à vivre malgré tout et c’est pour elle la responsabilité de tous puisque tous ont
participé à leur malheur. Mais comment faire ? Elle dit comprendre qu’ils ne pourront pas
oublier mais qu’il faut leur redonner de l’espoir et le goût de vivre.
Le témoignage est écrit avec beaucoup de style qu’il s’explique par la formation de
l’auteur, le récit est très émouvant, parfois même poignant et très agréable à lire. Les faits ont
été vérifiés au sujet de son mari, des dates, de sa fille, des amis … Le témoignage parait donc
une source fiable et juste. Il ne parait pas possible qu’il ait été écrit après les faits car les mots
et les sentiments exprimés ne peuvent s’écrire ainsi que si l’auteur ignorait la suite des
évènements.
Carole PROUST (Université Paul-Valéry Montpellier III)