Retour de Millau

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Retour de Millau
L'Interdit
Retour de Millau
Soumis par Alias
14-06-2000
Isabelle, ce samedi matin,
se sent des fourmis dans les jambes. Le temps de réserver ses places de
train et
d'aller chercher son fils à midi à la sortie du lycée et on
s'embarque pour Millau et le procès de José Bové. Au retour,
toute
une palette d'impressions.
Tu t'es décidée
brusquement le jour même à partir pour Millau. As-tu une idée de ce
qui t'a déclenché ?
Une folle envie d'être
au bon moment au bon endroit pour défendre mes idées et bien sûr
Confédération paysanne dans son combat, avec mon fils
Raphaël.
C'était la première
Non, je suis déjà
soutenir la
fois que tu avais ce genre de réaction ?
partie sur des coups de tête, mais jamais pour "la bonne
Comment as-tu mangé ou
cause".
dormi sur place ?
Pour la bouffe, on a
épuisé le stock de Raphaël qui devait normalement partir en voyage
scolaire. Puis sur
place les boulangeries sont restées ouvertes toute
la nuit, l'idéal pour les végétariens. Pour les autres, les
stands
de frites merguez étaient en nombre largement suffisant. Pour dormir,
pas question d'un lit douillet.
On a fait comme tout le monde, à la
belle étoile. On avait d'abord opté pour l'herbe au bord du Tarn,
c'est
romantique, mais l'orage en a voulu autrement, alors on s'est
réfugiés sur un trottoir dans une entrée. On a dormi
deux bonnes
heures dans notre ciré. Nouvelle expérience pour Raphaël qui a
trouvé ça drôlement plus
sympa que l'hôtel (vu la situation du
week end).
As-tu pris des contacts
?
Non, je n'ai pris aucun
reverra l'année prochaine !
contact. J'ai rencontré des gens mais aucun échange, peut-être
As-tu des regrets ou
déceptions ?
Oui, j'ai un très
grand regret de ne pas être arrivée le vendredi matin. J'aurais pu
voir un par un les stands associatifs avec
attention.
Quelles sont les
parce qu'on se
participer aux débats,
anecdotes qui t'ont marquée particulièrement ?
Les anecdotes, ça
foisonne. Les jeunes qui veulent aller cracher le feu au concert,
prétextant le
rassemblement de Millau, ne voulant pas payer le train
et l'immobilisant des heures. Le gendarme au milieu du
rond-point
chantant et dansant sur Zebda. La mamie qui se promène avec sa
pancarte autour du cou,
représentant sa famille qui n'avait pu faire
le déplacement, pour défendre leurs idéaux. Le jeune qui se prend
une gifle pendant un concert par un gars bien bourré à qui il
explique calmement qu'il n'est pas venu pour se
battre. Le grand père
avec un chapeau de fleurs et une robe rose dansant sur la place et
s'arrêtant net à la
moindre intervention pour ne pas rater un
morceau des débats.
Et puis sur un banc devant la
gare, ce couple d'une cinquantaine d'années qui s'est assis près de
nous. La
femme bien démontée, tout en postillonnant, nous a dit
clairement ce qu'elle pensait de Millau et c'était pas
triste, avec
un accent très chantant des Alpes de Haute Provence : "Nous,
on a des locations, on en voit des
gens passer. On a voyagé dans
plein de pays, Amérique Latine, Inde, Afrique, dans les pays pauvres
sans
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pouvoir d'achat, mais jamais, jamais, on a été accueillis comme
à Millau. Des chiens, pire que des chiens !
Personne pour vous
accueillir, alors qu'on vient pour la solidarité. Car il faut
défendre la France (la couleur
était sortie).
Comme des chiens, sous la pluie qu'on a dormi ! Et vous ? Le José,
vous l'avez vu ? Parce
que nous, non, il était même pas là le
José, alors que nous on a fait tout le chemin pour la solidarité.
Dans
les cafés, on peut même pas entrer, on est reçus sur les
trottoirs (ordre du maire). Et puis moi j'vais vous dire, y'a
qu'à
Millau qu'on voit ça, des sauvages. Et puis en Bretagne, aussi. Y 'a
des bretons qui ont loué chez nous,
on les a reçus comme des
princes. Ben vous savez quoi ? ils nous ont mis la DASS sur le dos
parce qu'il a
plu trois gouttes dans leur chambre. Ben moi j'vous dit,
pour les touristes c'est triste, mais pour les bretons, surtout
pour
celui-là, c'est bien fait pour eux l'Erika. De toutes façons, nous
la Bretagne...On va à l'étranger. Ils ont rien
pour eux mais ils
nous reçoivent comme des rois. Et puis le Bové c'est bien parce que
c'est un Mac Do qu'il
a démonté, parce que les Quick et les Flunch
on y mange bien. C'est pas la même chose, c'est français."
Y a-t-il d'autres
causes pour lesquelles tu te sentirais prête à faire la même chose
?
Bien sûr, j'ai envie
de faire la même chose pour d'autres causes. Mais je ne suis pas
militante, je n'ai
jamais fait partie d'aucune association. Ma seule
manif avant Millau, c'était la Gay Pride de Lille. J'ai mes
convictions et j'apprends de jour en jour, mais il me faudra encore du
temps pour descendre dans la rue défendre
mes idées, pas par peur de
répression, mais parce que je n'ai pas encore eu le déclic pour
m'investir en
groupe.
Penses-tu que les
membres de la Confédération paysanne soient moins démotivés que
les autres
agriculteurs ou que des gens d'autres professions, tous
ceux qui pensent qu'ils "en font toujours bien assez" ?
J'en suis convaincue.
Les membres de la Confédération paysanne sont des militants de très
longue date.
Ils ne se battent pas seulement pour leur lopin de terre.
D'autres causes leur sont proches. Ils ne s'arrêtent pas
aux
frontières de leur commune ou département. Ils s'inquiètent pour
tous les êtres qui peuplent cette
terre. Ils ont réussi à ne pas se
laisser tenter par l'appât du gain, à préserver leurs idéaux, à
protéger
l'environnement. Ils refusent ce monde libéral, ce mode de
vie qui oblige les gens à être individualistes au point de
n'avoir
plus aucun respect et repère.
Pour moi un paysan et
un agriculteur ne font pas le même métier. Un paysan aime la terre,
l'agriculteur est
devenu un industriel terrien. Je bouffe le voisin,
je pollue, je produis à coup de subventions. Tous n'ont pas eu le
choix, bien sûr, mais aujourd'hui le problème est là, bien là, la
"malbouffe", et des agriculteurs qui ne cessent de
crouler
sous les dettes et qui sont en grande partie les mêmes que ceux qui
au départ ont cru trouver la
solution en acceptant tout.
Bien sûr, ça reste un
avis très personnel, mais beaucoup de professions sont blasées et
dans les manifs je
les soupçonne de défendre davantage leurs propres
intérêts que ceux de la collectivité, du citoyen en général.
Dans
les professions dites "à vocation", le bon médecin de
famille se fait rare. Il est aujourd'hui plus inquiet
de son état de
santé budgétaire que de celui de son patient. L'instit, le prof, il
leur faudrait une clientèle
triée sur le volet. Bien sûr je ne fais
pas de généralités, mais les faits sont là. Un mélange d'abus et
de
fatalité fait que les gens ne sont plus motivés.
Qu'est-ce que tu
attends de la vie ?
Un grand élan de
solidarité mondial pour enrayer les guerres, les famines, les
injustices, balayer cette
abondance de fric réservée à une
poignée. Et Millau, même si ce n'était qu'un week end, m'a fait
croire
que tout ça c'était possible...
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