La Constitution actuelle du Rwanda et la représentation politique de

Transcription

La Constitution actuelle du Rwanda et la représentation politique de
La Constitution actuelle du Rwanda et la
représentation politique de l’État après le
génocide
Virginie Saint-James, Maître de conférences HDR en droit public, OMIJ,
Université de Limoges
Un proverbe africain traduit le charme du Rwanda en affirmant que « si Dieu voyage toute la
journée, il rentre toujours dormir au Rwanda ». Quel contraste en effet entre le charme paisible de
ses paysages et le drame atroce dont il a été le théâtre en 1994.
État enclavé dans la région de l’Afrique des Grands lacs, le Rwanda a jusqu’en 1994 connu une
histoire constitutionnelle très proche de celle des autres États d’Afrique1. Peuplé de trois ethnies,
les Tutsis, les Hutus et les Twas, il a été dominé historiquement par une monarchie Tutsie.
Colonisé par l’Allemagne, il fut attribué à la Belgique à la fin de la Première Guerre. Le mode
d’administration choisi était fondé sur une « supériorité » supposée des Tutsis et opposait
artificiellement des ethnies. En 1959, en prélude à l’indépendance, une grande révolution hutue a
entraîné la fuite de nombre de Tutsis vers les pays voisins. Ils deviendront avec leurs
descendants, le noyau du futur Front Patriotique Rwandais.
Après un essai en 1961, la première vraie constitution du Rwanda date de 1962 et de la montée au
pouvoir de G. Kayibanda. Si le multipartisme y est alors affirmé, le pays est en réalité dominé par
un parti parmehutu, le Mouvement démocratique Rwandais. En 1973 et par un coup d’État, le
président Habyarimana prend le pouvoir. Une constitution adoptée en 1978 a clairement posé
dans son article 40 le principe du parti unique au profit du Mouvement National Révolutionnaire
1
www.constitutionnet.org/.../constitutional-history-rwa (consulté le 28 octobre 2013).
1 pour le Développement. À la fin de la Guerre froide, le Rwanda a ressenti la nécessité de
correspondre aux conditions de « gouvernance acceptable » pour continuer à bénéficier de l’aide
occidentale. Ainsi, une nouvelle constitution fut élaborée en 1991. Elle ne fut jamais mise en
œuvre à cause de la guerre civile débutée en 1990.
Lors de son retour après une tentative de négociation, l’avion du Président Habyarimana fut
abattu et ce geste donna le signal du génocide contre les Hutus modérés et les Tutsis. L’avancée
du FPR devait mettre fin à ces atrocités et entraîner la chute du régime. Les Accords d’Arusha
signés en août 1994 ont alors servi plus ou moins de constitution rwandaise jusqu’en 2003.
Avant 2003, les constitutions rwandaises n’étaient guère originales par rapport aux textes
africains de la même époque. Elles étaient hélas marquées, comme dans beaucoup d’États postcoloniaux, par un très net phénomène de réception du droit. Artificielles, ces constitutions n’ont
jamais été soumises au référendum du peuple rwandais. Si la constitution est pour le juriste le
sommet d’un ordre juridique et pour le politiste un régime de dévolution et d’exercice du
pouvoir, elle est aussi un acte de souveraineté et un moyen symbolique de représentation de
l’État. Aucun peuple ne peut traverser un moment d’horreur semblable à celui du génocide de
1994 sans que sa constitution n’offre un moyen de représentation de ce vécu collectif.
En ce qui concerne le Rwanda post-génocide, cette représentation de l’État peut s’entendre
doublement. La Constitution offre d’abord une représentation du génocide (I) et ensuite, le
génocide influe sur les modalités de représentation (II).
2 I. La représentation du génocide dans la Constitution
La constitution de 2003 sera la première du Rwanda à faire l’objet d’un processus constituant
très ouvert et d’un référendum, car les autorités ont recherché avant tout à établir des bases
démocratiques pour le régime2. Un discours réconciliateur dominait le texte de 2003. Cependant,
cette représentation a été amendée lors de la révision de 2008.
A. La constitution du 4 juin 2003
Dès lors qu’une constitution est établie, surtout après des évènements violents, il est de règle
qu’elle porte un discours sur ces circonstances, tout particulièrement au sein du Préambule qui
joue le rôle d’un « exposé des motifs » de l’intervention du pouvoir constituant originaire. Tel ne
fut pas le cas de la Déclaration de 1789 qui expose « les malheurs publics », ou du Préambule de
1946 en France qui débute sur une allusion à la « victoire » ? Un des meilleurs exemples n’est-il
pas le préambule de la Constitution iranienne de 1979 qui « raconte » littéralement la
Révolution3 ?
Aussi le Préambule de la Constitution du 4 juin 2003 nous propose-t-il une histoire
particulièrement consensuelle des faits de 1994 et de l’histoire Rwandaise en général4. Il attribue
d’abord la responsabilité des massacres à « des dirigeants indignes ». Cette vision n’est pas
irréaliste car nul ne songe à nier que le génocide fut préparé et perpétré dans le cercle au pouvoir
à Kigali en 1994. Le constituant de 2003 peut d’autant plus facilement l’affirmer qu’il n’a pas à
respecter une quelconque neutralité, n’étant pas juge des « principaux responsables » traduits à sa
demande, du moins initialement, devant un tribunal international ad hoc5. Le texte met aussi en
2
Priscilla
Yachat
Ankut,
The role of constitution-building processes in democratization,
http://www.idea.int/conflict/cbp/ (consulté le 28 octobre 2013).
3
http://www.jurispolis.com/dt/mat/dr_ir_constit1979/dt_ir_constit1979_index.htm (consulté le 28 octobre 2013).
4
Préambule de la Constitution de 2003 : « 1° Au lendemain du génocide, planifié et supervisé par des dirigeants
indignes et autres auteurs, et qui a décimé plus d’un million de filles et fils du Rwanda. »
5
Cf. Déclaration de deux ministres rwandais : Genève, 7 octobre 1994 (Journal de Genève et Gazette de Lausanne 89 octobre 1994, p. 5 : « C’est pourquoi nous insistons sur l’institution d’un Tribunal international ; il ne saurait être
3 cause « d’autres auteurs » selon une formule volontairement floue qui peut viser des États
étrangers, qu’ils soient limitrophes ou bien présents au Rwanda, parmi les forces internationales.
Le texte offre à toutes les victimes « filles et fils du Rwanda » la même compassion. Il décrit
même un État susceptible de trouver en son histoire les forces de sa réunification6, ce qui n’est
pas sans laisser de côté les multiples affrontements dont le pays a été le cadre, ne serait-ce qu’en
1959. Le Rwanda d’après le génocide tient à se présenter comme un État nation, alors même que
l’on sait que cette conception est très difficilement adaptable au contexte africain.
Les causes d’une telle présentation du génocide résident évidemment dans le désir politique de
refonder un État pour lequel la séparation en deux entités n’est pas envisageable juridiquement ni
diplomatiquement, ni même viable en pratique. Le Rwanda sait que la clé de sa reconstruction et
de l’aide internationale est dans la réconciliation et l’exprime aussi dans le Préambule7. En 2003,
le génocide est donc représenté dans la Constitution comme le point d’orgue des violences
ethniques et l’État se présente à son tour comme le garant qu’une telle horreur ne se reproduira
pas.
Très longue et minutieuse, la Constitution de 2003 offre un exemple d’hyper constitutionnalisme,
fréquent dans les textes africains. Elle inclut donc en son sein nombre d’institutions qui ne
seraient pas forcément présentes dans d’autres textes fondamentaux. On ne s’étonnera pas d’y
trouver des institutions de lutte contre les distinctions ethniques. Ainsi, l’article 178 crée une
Commission Nationale de l’Unité et de la Réconciliation 8 et l’article 179 une Commission
question pour notre Gouvernement, qui serait immanquablement accusé de partialité, de juger les coupables, du
moins les principaux. »
6
Préambule de la Constitution de 2003 : « 7° Considérant que nous avons le privilège d’avoir un même pays, une
même langue, une même culture et une longue histoire commune qui doivent nous conduire à une vision commune de
notre destin ; 8° Considérant qu’il importe de puiser dans notre histoire multiséculaire les valeurs traditionnelles
positives indispensables à l’existence et à l’épanouissement de notre Nation ; »
7
Préambule de la Constitution de 2003 : « 5° Conscients que la paix et l’unité des Rwandais constituent le fondement
essentiel du développement économique et du progrès social du pays ; »
8
La Commission Nationale de l’Unité et la Réconciliation est une institution nationale indépendante chargée
notamment de : 1° Concevoir et coordonner le programme national pour la promotion de l’unité et la réconciliation nationales ; 2° Mettre en place et développer les voies et moyens de nature à restaurer et consolider l’unité et la réconciliation
parmi les Rwandais ;
3° Éduquer et sensibiliser la population rwandaise à l’unité et la réconciliation nationales ; 4° Effectuer des recherches, organiser des débats, diffuser des idées et faire des publications sur la paix, l’unité et la
réconciliation nationales ; 5° Formuler des propositions sur les meilleures actions susceptibles d’éradiquer les divisions entre les Rwandais et
renforcer l’unité et la réconciliation nationales ; 4 nationale de lutte contre le génocide9. On pourrait multiplier à l’envi dans d’autres dispositions
les exemples qui tendent à démontrer que le Rwanda se reconstruit en des termes consensuels.
Cette vision va évoluer en quelques années.
B. La révision du 11 juin 2008
Conformément à ses propres dispositions, la Constitution de 2003 a été en effet amendée cinq
ans plus tard. La révision fut d’une grande ampleur et il n’y eu guère de pouvoir constitué qui fut
concerné. Mais à bien des égards, nombre des modifications peuvent être lues comme des
aménagements techniques. Toutefois, le préambule fut révisé, ce qui est toujours inhabituel. On
considère souvent en droit constitutionnel que les préambules, manifestes politiques et
symboliques, sont dans une position particulière vis-à-vis du pouvoir constituant dérivé. Certes,
ils ne sont pas toujours intangibles juridiquement, mais il est toutefois rare et délicat de les
modifier.
Ici, la modification principale va résider dans la substitution systématique des mots « génocide
des Tutsis » en lieu et place du simple mot « génocide »10. La différence est plus que symbolique.
En effet, les massacres ont visé effectivement les Tutsis et ils étaient les victimes principales
désignées. Toutefois, la nouvelle formulation réintroduit une distinction ethnique et distingue de
nouveau parmi les Rwandais. Pourquoi une telle révision ? Il est possible d’invoquer un mélange
6° Dénoncer et combattre les actes, les écrits et le langage susceptibles de véhiculer toute forme de discrimination,
d’intolérance et de xénophobie ;
7° Faire rapport annuellement et chaque fois que de besoin sur l’état de l’unité et la réconciliation nationales.
9
La Commission Nationale de lutte contre le génocide est une institution publique autonome chargée notamment de :
1° Organiser une réflexion permanente sur le génocide, ses conséquences et les stratégies de sa prévention et de son
éradication ;
2° Mettre en place un centre de recherche et de documentation sur le génocide ;
3° Plaider la cause des rescapés du génocide à l’intérieur comme à l’extérieur du pays ;
4° Concevoir et coordonner toutes les activités en vue de perpétuer la mémoire du génocide de 1994 ;
5° Entretenir des relations avec d’autres institutions nationales et internationales qui partagent la même mission.
La Commission Nationale de lutte contre le génocide adresse chaque année le programme et le rapport d’activités au
Parlement et au Gouvernement et en réserve copie aux autres organes de l’État déterminés par la loi. Une loi
détermine les modalités d’organisation et de fonctionnement de la Commission.
10
Extraits du Préambule dans sa rédaction de 2008 : « Au lendemain du génocide perpétré contre les Tutsis, planifié
et supervisé par des dirigeants indignes et autres auteurs, et qui a décimé plus d’un million de filles et fils du
Rwanda ; », « 4° Soulignant la nécessité de consolider et promouvoir l’unité et la réconciliation nationales durement
ébranlées par le génocide perpétré contre les Tutsis et ses conséquences ; ».
5 de causes extérieures et intérieures.
Vis-à-vis de la Communauté internationale, le Rwanda a toujours peiné à établir des relations
sereines avec le Tribunal international ad hoc chargé de juger les principaux auteurs des
massacres. L’une des multiples raisons de ces relations tendues réside dans la politique pénale de
l’ex-Procureure C. Del Ponte qui souhaitait poursuivre aussi des exactions commises lors de
l’avancée de Front Patriotique Rwandais11. Cette thèse appelée souvent « théorie du double
génocide » rencontre une très vive opposition des autorités rwandaises actuelles. Ce rejet violent
est allé jusqu’à des refus de coopération avec le Tribunal, et jusqu’à mettre en danger son
fonctionnement au point que le Conseil de sécurité devait écarter madame Del Ponte de ce poste
en septembre 200312. Requalifier ethniquement le génocide de 1994, c’est affirmer une « histoire
constitutionnelle officielle » par un acte de souveraineté afin de l’opposer à une éventuelle vérité
et histoire judiciaire imposée de l’extérieur.
Au plan interne, d’autres facteurs ont pu jouer. Huit ans après les faits, le Rwanda se trouve face
à d’autres conséquences du génocide. Une association des victimes s’est ainsi fondée et elle est
devenue très influente politiquement, au point de dominer la vie publique rwandaise13. Or,
l’association Ibuka (littéralement : « Souviens-toi »), évoque toujours l’évènement de 1994 sous
l’intitulé « génocide des Tutsis » et cette dimension ne peut que peser. En 2010, lors de l’élection
présidentielle, tous les candidats ont encore inscrit dans leur programme des mesures de punition
des génocidaires, alors que l’essentiel est déjà réalisé sur ce point.
De plus, le nouvel article 14 installe dans la Constitution la question des réparations et de
l’assistance14. On ne peut manquer de constater qu’il tente de le faire dans les termes les plus
étroits possibles, faute sans doute de pouvoir faire face à des réclamations très larges. Cela donne
aussi un sens pratique à un recentrage sur les victimes, même si ce sont les plus nombreuses. De
11
F.-X. Nsanzuwera, « Le Rwanda, une justice imparfaite », in La justice pénale internationale, Entretiens
d’Aguesseau, PULIM, 2002, p. 229. L. Balmond et A.-S. Millet-Devialle, Chronique des faits internationaux,
RGDIP, 2003-1 p. 153.
12
Résolution 1505 du 4 septembre 2003. (S/2003/846).
13
www.ibuka-france.org/ (consulté le 28 octobre 2013).
14
Article 14 dans sa rédaction de 2008 : « L’État, dans les limites de ses capacités, prend des mesures spéciales pour
le bien-être des rescapés démunis à cause du génocide perpétré contre les Tutsis commis au Rwanda du 1er octobre
1990 au 31 décembre 1994, des personnes handicapées, des personnes sans ressources, des personnes âgées ainsi
que d’autres personnes vulnérables. »
6 même, la substitution des termes voulue en 2008 donne un sens tout différent à l’ancien article
51, qui prévoit l’action mémorielle en la restreignant de fait, à la mémoire des victimes tutsies15.
En somme, il existe dès 2003 une représentation constitutionnelle du génocide rwandais. Cette
dernière permet à l’État de se recentrer dans son rôle de représentation d’une nation rwandaise en
cours de réunification. Puis, en 2008 cette représentation n’est pas reniée mais elle est infléchie
sous la pression d’autres impératifs extérieurs ou intérieurs et l’État se recompose un rôle
politique vis-à-vis de ce terrible héritage de l’histoire. Cet héritage va aussi influer largement sur
les règles électorales et donc sur la représentation de l’État au sens le plus constitutionnel du
terme.
II. L’influence du génocide sur la représentation politique rwandaise
selon la Constitution
La doctrine constitutionnaliste range la Constitution du Rwanda de 2003 dans la « troisième
génération des constitutions africaines », qui témoigne des efforts de démocratisation de la vie
politique, notamment par le renoncement au modèle du parti unique16. La Constitution rwandaise
s’inscrit dans ce cadre et ouvre très largement sa vie politique en choisissant aussi un modèle
d’attribution de la nationalité par droit du sang très généreux (A). En revanche, les conditions de
l’exercice du vote écartent assez facilement des Rwandais du scrutin, voire de la vie politique
(B).
15
Article 51 dans sa rédaction de 2008 : « L’État a le devoir de sauvegarder et de promouvoir les valeurs nationales
(...) L’État a également le devoir de veiller à la conservation du patrimoine culturel national ainsi que des
mémoriaux et sites du génocide perpétré contre les Tutsis. »
16
S. Pierré-Caps, Droits constitutionnels étrangers, PUF ; 2010, p. 160.
7 A. L’ouverture supra-étatique du droit de vote
Constitution africaine moderne, le texte de 2003 renonce très clairement au parti unique dans
son article 5217 mais de façon originale, en prohibant dès l’article 9 le multipartisme ethnique que
le pays n’a que trop expérimenté18. Cet article pourrait servir de modèle dans d’autres pays
d’Afrique où des violences post-électorales ont sévi car les luttes électorales dissimulaient mal les
luttes régionales, on peut songer par exemple au Kenya ou à la Côte d’Ivoire. Non seulement le
Rwanda interdit la constitution de tels partis, mais les sanctions, notamment l’interdiction, qu’il
se propose de mettre en place sont inscrites dans la Constitution et semblent faire appel à une
procédure plus respectueuse des impératifs démocratiques que celle de la France par exemple19. Il
y a donc une ouverture de la vie politique rwandaise qui n’est pas niable dans le texte et qui tire
ses racines des enseignements du génocide de 1994. Lors des législatives du 18 septembre 2013,
quatre listes étaient en présence.
Cette ouverture n’est-elle pas trop large à un autre niveau ? Si on se déplace sur le terrain de
l’attribution du droit de vote, elle dépend à l’évidence de l’octroi de la nationalité. L’ancienne
constitution rwandaise de 1991 attribuait de façon très classique dans son article 5 la nationalité
et la naturalisation par un simple renvoi à la loi. Or en 2003, le Rwanda fait un choix singulier
d’attribution très large de la nationalité par droit du sang en affirmant que « tout Rwandais a droit
à sa patrie »20. On trouve ici des traces de l’exil des Tutsis à partir de 1959 et la volonté de
réintégrer dans leur nationalité les réfugiés qui ont fui lors du génocide de 1994 d’une part, et
d’autre part, ceux qui sont partis avant ainsi que leurs descendants21. Cette ouverture très large
17
Article 52 : « Le multipartisme est reconnu. Les formations politiques remplissant les conditions légales se forment
et exercent librement leurs activités, à condition de respecter la Constitution et les lois ainsi que les principes
démocratiques et de ne pas porter atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité du territoire et à la sécurité de l’État. »
18
Article 9 : « L’État Rwandais s’engage à se conformer aux principes fondamentaux suivants et à les faire : 1° la
lutte contre l’idéologie du génocide et toutes ses manifestations ; 2° l’éradication des divisions ethniques, régionales
et autres et la promotion de l’unité nationale ; 3° le partage équitable du pouvoir ; »
19
Article 54 : « Il est interdit aux formations politiques de s’identifier à une race, une ethnie, une tribu, un clan, une
région, un sexe, une religion ou à tout autre élément pouvant servir de base de discrimination. (...) »
Article 55 : « Tout manquement grave d’une formation politique aux obligations contenues dans les dispositions des
articles 52, 53 et 54 de la présente Constitution est déféré à la Haute Cour de la République par le Sénat. En cas
d’appel, la Cour Suprême est saisie. »
20
Article 24.
21
Article 7 : « Toute personne a droit à la nationalité. La double nationalité est permise. La nationalité rwandaise
d’origine ne peut être retirée. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ni du droit de changer de
nationalité. Les Rwandais ou leurs descendants qui, entre le 1er novembre 1959 et le 31 décembre 1994, ont perdu la
nationalité rwandaise suite à l’acquisition d’une nationalité étrangère sont d’office réintégrés dans la nationalité
8 laisse perplexe car elle n’indique guère qui est « une personne d’origine rwandaise ». Elle peut
aboutir à une tentative de réunion de toutes les personnes rwandophones au sein du Rwanda, au
risque de déstabiliser les États limitrophes qui en comptent beaucoup. Ce texte fait écho à la
souffrance des anciens exilés qui furent des réfugiés et on le sent particulièrement dans la
rédaction de l’article 7, par la reprise littérale de la Déclaration universelle des droits de l’homme
de 1948. Toutefois, en dépassant les frontières de l’État, la Constitution exprime « une incertitude
quant à la réalité de l’appartenance nationale »22. Un tel état de fait ne peut manquer de rejaillir
sur l’attribution du droit de vote et d’ouvrir un jour la porte à des manipulations ethniques du
scrutin, que le texte constitutionnel entend pourtant juguler, d’autant que les lois électorales
multiples interviennent sur ce dispositif constitutionnel.
B. Le droit de vote et d’éligibilité
Les conditions générales de vote au Rwanda selon la dernière loi du 18 juin 201023 sont très
classiques et semblent en effet faciliter l’inscription sur les listes électorales, notamment pour les
Rwandais de l’étranger24. Néanmoins, le Rwanda s’est aussi doté d’un grand éventail de lois qui
pénalisent des infractions en lien avec le génocide (contestation, négationnisme, etc.). Ces
condamnations pénales entraînent nécessairement une impossibilité de s’inscrire sur les listes
électorales aux termes de l’article 11 de la loi de 201025. On se souvient aussi que le Rwanda est
rwandaise s’ils reviennent s’installer au Rwanda. Les personnes d’origine rwandaise et leurs descendants ont le
droit d’acquérir la nationalité rwandaise, s’ils le demandent. »
22
S. Pierré-Caps, Droits constitutionnels étrangers, PUF, 2010, p. 160.
23
http://www.ambarwanda-paris.fr/info/Loi_relative_aux_%C3%A9lections_au_Rwanda.pdf, (consulté le 29
octobre 2013).
24
Il suffit d’avoir 18 ans au jour du scrutin, d’être de nationalité rwandaise et d’être inscrit sur les listes électorales.
Les Rwandais de l’étranger, qui n’ont pas le statut de réfugiés, sont habilités à s’inscrire sur les listes électorales
auprès de l’ambassade du pays où ils résident.
25
Sont ainsi exclues des listes électorales :
- Les personnes déchues de leur droit de vote par les tribunaux compétents et n’ayant pas été absoutes ou amnistiées
conformément à la législation en vigueur ;
- Les personnes condamnées pour des infractions constitutives du crime de génocide et de crimes contre
l’humanité, conformément aux dispositions de l’article 51, paragraphes 1 et 2 de la Loi organique portant
organisation, compétence et fonctionnement des juridictions Gacacas chargées des poursuites et du jugement des
infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990
et le 31 décembre 1994, telle que modifiée et enrichie à ce jour ;
- Les personnes ayant avoué des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité ;
- Les réfugiés ;
- Les détenus.
9 célèbre pour avoir institutionnalisé une justice spécifique au génocide, les Gacacas. Si l’on se
souvient que ces juridictions, adaptées au contentieux de masse, ont examiné près de deux
millions de cas avec un taux de condamnation de 65 %, on mesure l’étendue de l’exclusion
potentielle du vote de toute une génération. Ceci est d’autant plus vrai que le texte exclut aussi les
personnes « ayant avoué » (la recherche de l’aveu étant le moteur du fonctionnement des
Gacacas), même si aucune condamnation n’a été effectivement prononcée.
Nombre de lois rwandaises présentent, de plus, des dispositions de restrictions à l’éligibilité en
fonction d’une pénalisation liée au génocide. On citera pour exemple, la loi du 18 décembre 2001
portant répression de la discrimination26. La Commission nationale électorale est particulièrement
vigilante, voire sévère, à cet égard. Lors de la dernière élection présidentielle en 2010 qui a
opposé quatre candidats, deux candidats de l’opposition n’ont pu franchir le barrage de la
recevabilité27. Il est certain que des rejets de candidature ont pu être motivés simplement par
l’expression d’une vision différente du discours officiel sur le génocide, taxée de révisionnisme.
Ainsi les tragiques évènements de 1994 influent-ils grandement sur les conditions actuelles de la
vie politique rwandaise.
De l’avis général, les conditions de vie au Rwanda se sont améliorées ces dernières années et
le niveau d’éducation progresse28. Néanmoins, cet État reste lourdement marqué par les séquelles
de ce qu’il a vécu. Sa constitution en porte la cicatrice, ainsi que le mode de fonctionnement de sa
vie politique.
26
Article 12 : « Sous réserve des dispositions de la loi électorale, toute personne qui gagne les élections mais pour
laquelle il s’avère par la suite qu’elle s’est servie de la discrimination ou du sectarisme tels que prévus à l’article
premier de la présente loi, cette personne est destituée de son poste, perd le droit d’élire et d’être élu pendant une
période décidée par le tribunal compétent, sans préjudice des peines prévues à l’article 11 de la présente loi. Le
poste pour lequel elle avait été élue fait objet d’une nouvelle compétition. »
Article 13 : « Toute personne qui se rend coupable du crime de discrimination ou de la pratique du sectarisme est
déchue de ses droits civiques selon les dispositions du code pénal. Cette déchéance est portée à la connaissance du
public par la voie décidée par le tribunal. »
27
http://www.lefigaro.fr/international/2010/08/08/01003-20100808ARTFIG00160-kagame-un-president-sans-rivalau-rwanda.php
28
Pour l’avis de l’OMS : http://www.afro.who.int/en/rwanda/country-health-profile.html
10