Le club Histoire

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Le club Histoire
Un convoi de femme, Pierre-Emmanuel Dufayel
Extrait proposé par : www.clubhistoire.com
Un convoi de femmes
complices potentielles, et de préserver la confidentialité de l’arrestation pour les besoins de l’enquête, la plupart des résistantes
entament d’abord leur détention par une période d’isolement et
de mise au secret, qui peut s’étendre sur plusieurs mois.
Thérèse Verschueren traduit le sentiment d’angoisse éprouvé
au cours de ces semaines particulières :
Le
« Je suis arrivée à Fresnes à 10 heures du soir. J’ai pris connaissance des cou-
loirs, des portes qui claquent, des grilles qui se ferment. J’ai passé la première
nuit seule. Le matin vers 6 heures on est venu me réveiller. J’ai eu un café ; une
cl
espèce d’eau chaude. J’ai été conduite dans une cellule de la section des femmes
à Fresnes où je suis restée au secret pendant quinze jours, sans rien, seulement
ub
ma robe. Je ne devais voir personne. Dès qu’il passait quelqu’un, on me mettait
le nez au mur. J’ai eu une crise de désespoir le quatrième jour, je ne pouvais plus
m’arrêter de pleurer. Je pensais surtout à Papa et à Maman qui ne savaient pas
où j’étais56. »
H
to
is
Au cours de cette première étape, les résistantes impliquées
dans l’activité de leur réseau ou de leur mouvement sont extraites
de leur cellule pour être interrogées. Il faut endurer le passage
terrifiant dans ces bureaux de la Gestapo de sinistre mémoire : la
rue des Saussaies à Paris, la villa des Rosiers à Toulouse ou bien
encore l’École de la santé militaire à Lyon… L’usage de la torture, cependant, n’y était pas systématique. Nombre de déportées
tiennent à le dire en évoquant que, « contrairement à beaucoup
d’autres », elles y ont échappé57. Mónica Jene, l’une des Espagnoles du convoi, mise au secret durant plusieurs semaines à Perpignan avant d’être transférée à Fresnes, raconte :
ire
« Je suis restée quinze jours à La Citadelle, ils m’en ont sortie le 9 mai, pour
m’emmener à la “Maison de la Comtesse”, qui était le quartier général de la
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Un convoi de femme, Pierre-Emmanuel Dufayel
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L’épreuve de l’internement
Gestapo, où je suis restée un jour. J’ai été interrogée par la Gestapo, mais je n’ai
pas été torturée58. »
Le
D’autres, néanmoins, n’ont pu échapper à cette barbarie.
Anne-Marie Bauer, piégée le 27 juin 1943 à Lyon par la Gestapo, doit subir trois jours durant les supplices administrés à
l’École de la santé militaire par Klaus Barbie. Les sévices sont
tels qu’elle en gardera toute sa vie des séquelles. Elle est aussi
l’une des quelques « 27 000 » à avoir témoigné de ces instants
terrifiants :
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« Ils sont trois ou quatre dans la pièce. Barbie commence par me dire : “Ce soir,
ub
Londres annoncera votre arrestation.” Je prends un air étonné ; en fait, je le suis
vraiment. Puis il fait appel à ma sympathie, me montre des photographies de sa
famille, une larme au coin de l’œil. […]. Une montre est sur la table : seconde
après seconde, j’évalue le temps qui s’écoule sans souffrance. Sursis ? Oui, mais je
H
me sens progressivement rouler vers l’inévitable. Il me demande mon nom, mon
adresse. Je ne veux pas les donner avant 17 heures. […] Le ton change, devient
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brutal. Soudain Barbie fait signe à un subordonné. Un instrument sort d’un tiroir
et je sens mes deux mains saisies, introduites dans des sortes de menottes : voici
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que je suis soulevée graduellement de terre et, par les poignets, suspendue à un
mur, les bras en croix derrière le dos. D’abord, je suis sur la pointe des pieds, puis
mes pieds s’éloignent du sol, je m’étire, je m’étire : la douleur commence aux poi-
ire
gnets, s’infiltre dans les bras, dans le cou, dans tout le dos, avec elle, l’angoisse.
Je ruisselle de sueur tout en regardant fixement les SS. Je suis suspendue à près
d’un mètre du sol. […] Eux m’injurient, m’affirment que j’ai travaillé contre mon
pays, se moquent de moi. Le ricanement de ces hommes crée une atmosphère de
démence autour de la douleur physique qui s’intensifie à chaque seconde. Je ne
saurais, maintenant, retrouver cette sensation de douleur, pas plus que la terreur
qui l’accompagnait, à mesure qu’elle pénétrait plus avant dans le corps. […] Tout
à coup, Barbie enlève mes chaussures, roule et allume un gros journal, s’amuse à
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