5 bonnes raisons de refuser de jugement Himmel sur la prostitution

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5 bonnes raisons de refuser de jugement Himmel sur la prostitution
Des
CLES pour un monde sans prostitution
DES
Cinq bonnes raisons de refuser
le jugement Himel sur la prostitution
Comme féministe et comme citoyen-ne du monde
Le 28 septembre dernier, la Cour supérieure de l’Ontario a répondu à une requête de trois femmes souhaitant
décriminaliser totalement la prostitution au Canada. La réponse donnée par la juge Susan Himel pose
d’énormes questions et nécessite un débat et une réflexion en profondeur dans la société canadienne et
québécoise.
Les changements au Code criminel canadien dans les articles touchant la prostitution découlant du jugement
Himel sont les suivants :
Article 210 concernant la tenue de maison de débauche :
Élimination totale de cet article
Article 212 touchant le proxénétisme :
Élimination de l’alinéa concernant le fait de vivre de la prostitution d’autrui mais maintient des articles sur le
proxénétisme forcé (le fardeau de la preuve est sur la victime du proxénète de démontrer qu’il a utilisé la force
pour l’amener à accepter de l’argent contre des actes sexuels)
Article 213 touchant la sollicitation :
Élimination de l’alinéa sur la sollicitation à des fins de prostitution mais maintient des alinéas criminalisant le fait
de nuire à la circulation des piétons ou des voitures lorsque l’on sollicite ce qui a pour effet de permettre la
criminalisation des femmes les plus marginalisées qui ne prennent pas toujours la peine d’être discrètes…
Le Canada, comme bien des pays à travers le monde, n’a jamais traité la prostitution comme étant un problème
d’égalité entre les femmes et les hommes. Au contraire, ce que les gouvernements successifs ont cherché à
« protéger » au fil des ans, c’est la moralité des jeunes hommes contre les femmes de mauvaise vie, c’est la
santé publique plus souvent celle des clients que des femmes dans la prostitution. Ou encore, on veut protéger
les communautés souffrant le plus directement des « nuisances » de la prostitution de rue (bruit, condoms et
seringues souillés, harcèlement, circulation accrue, etc.). Le Code criminel canadien actuel est loin d’être
satisfaisant et il est urgent de le changer. Il sert essentiellement à criminaliser les femmes (en premier lieu les
plus vulnérables qui sont sur la rue) et à maintenir l’ « ordre public » sans jamais questionner l’existence de la
prostitution dont la source première est la demande sexuelle des hommes.
Cependant, les changements proposés par le jugement Himel ne constituent pas une réponse adéquate. Ces
changements auront une incidence sur la société et sur les femmes tout particulièrement. Voici cinq bonnes
raisons de rejeter ce jugement et d’exiger que le gouvernement canadien adopte le modèle scandinave qui
place l’égalité entre les femmes et les hommes au cœur de son action pour contrer la prostitution et non
seulement réduire ses « méfaits ».
1- Parce que je prône l’égalité entre les femmes et les hommes
2- Parce que je suis contre une visée capitaliste de la société où tout se marchande
3- Parce que je crois à l’égalité des chances pour toutes les femmes
4- Parce que je suis contre une simple approche de réduction de la prostitution
5- Parce que je crois en la prévention comme remède à l’impuissance
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Parce que je soutiens l’égalité entre les femmes et les hommes
Au-delà de quatre-vingt-dix pour cent (90%) des personnes dans la prostitution sont des femmes et
quatre-vingt-dix pour cent (90%) des personnes qui achètent des actes sexuels sont des hommes
(peu importe si ce sont des femmes ou des hommes qui sont consommés). Peut-on s’attarder à cette
équation? Cette division sexuelle n’est pas un hasard de la vie! Il y a deux raisons majeures à cela :
I.
Les inégalités économiques et sociales auxquelles plusieurs femmes sont confrontées :
salaires moindres, dépendance économique et affective envers un homme, choix
professionnels plus restreints, plafond de verre limitant leur ascension professionnelle,
sexualisation de l’espace public, messages sexistes tels « Ton pouvoir c’est ton pouvoir de
séduction et tu es bandante….sers-toi en! » etc. Ajoutez-y les idées reçues ou messages
entendus dans votre entourage ou dans les médias;
II.
La fausse croyance « biologique » que les hommes ont besoin d’exutoire pour une libido
incontrôlable et que les femmes doivent répondre à ce supposé besoin alors que la sexualité
masculine, tout comme celle des femmes, est conditionnée sociologiquement et
culturellement.
Le jugement Himel reconnaît qu’il y a un problème avec la prostitution, mais nous dit que ce
n’est pas à la justice de régler cela. C’est vrai. C’est à la société d’exiger de l’État que toutes
politiques menant ou maintenant les femmes dans la pauvreté et la dépendance économique soient
rejetées. C’est à nous d’agir : en refusant de consommer des corps de femmes, en demandant le
retrait des publicités sexistes et le retour des cours d’éducation sexuelle dans les écoles pour que la
sexualité fasse partie des sujets enseignés et non cachés, en optant pour l’égalité entre les femmes et
les hommes.
Mais pourquoi la juge Himel n’a-t-elle pas renvoyé la balle à l’État? À quel rôle de la justice pensaitelle lorsqu’elle a proposé de rayer des parties des articles du code criminel concernant la prostitution
et de refuser de prendre en considération la question de l’égalité sociale?
Peut-on parler de liberté et de sécurité sans parler d’égalité?
La liberté de qui ce jugement protège-t-il au juste? Celle des femmes qui sont achetées ou des
hommes qui veulent acheter des corps?
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Parce que je suis contre une visée capitaliste de notre société où
tout se marchande
La prostitution prend plusieurs formes, allant de celles qui doivent payer leurs factures ou leur
loyer avec des faveurs sexuelles à celles qui ont été amenées à se prostituer par divers chemins
incluant celui de la violence sexuelle. Mais, c’est surtout une industrie mondiale multimilliardaire qui
comprend : la pornographie, les salons de massage érotique, les agences d’escortes, les bars de
danseuses nues (que l’on peut toucher depuis 1998), les donjons, les clubs échangistes, la
prostitution de rue, la traite à des fins sexuelles, etc.
Comme toute industrie dans un monde capitaliste et mondialisé, elle souhaite toujours
accroître ses profits de toutes les manières possibles. Une bonne partie de l’industrie du sexe est
contrôlée par les milieux illicites et, de plus en plus, ces milieux criminalisés cherchent à sortir de
l’illégalité. Ce n’est pas bon pour le business à long terme.
L’industrie du sexe aborde donc la prostitution comme une question de demande et d’offre. Elle
capitalise sur le refus de plusieurs personnes, groupes, gouvernements et municipalités de regarder la
prostitution comme un exemple extrême d’inégalité sociale et de prendre position. L’industrie du sexe
propose un modèle de sexualité axé sur les besoins, voire le « droit à la jouissance » pour les
hommes et de « libération sexuelle » pour les femmes. Elle vend le consentement et s’assure que la
sexualité soit considérée comme un bien de consommation comme un autre, que les personnes dans
la prostitution soit reconnues comme des « travailleuses », que ces femmes disent qu’elles aiment ce
qu’elles font. En guise de prime, elles peuvent même devenir des entrepreneures.
Éliminer la prostitution de la rue est un objectif de l’industrie du sexe car elle donne mauvaise presse
et fait, trop souvent, baisser les prix. L’industrie apprécie donc que la juge Himel ait maintenu la
criminalisation d’une certaine forme de sollicitation dans le code criminel. Elle souhaite s’autoréglementer et contrôler ses marchés.
Si une industrie est basée sur de fausses prémisses de choix et de besoins, si elle exploite et érotise
la domination d’un certain groupe de personnes par un autre, pourquoi devrait-elle exister?
Pourquoi cette exploitation devrait-elle porter le nom de « travail »?
Ça fait beaucoup l’affaire de cette industrie du sexe de bénéficier de la protection de la loi tel que
proposé par la juge Himel.
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Parce que je crois à l’égalité des chances pour toutes les femmes
Toutes les femmes sont concernées par la prostitution. Qui n’a pas reçu ou ne connaît pas une
femme qui a reçu une offre d’échanges de faveurs sexuelles contre de l’argent, des biens ou des
services? Qui n’a jamais été sollicitée de sa vie? Qui n’a jamais été regardée comme un morceau de
viande à consommer? C’est malheureusement très répandu dans le vécu des femmes.
Par contre, certaines d’entre nous sont tout particulièrement visées par l’industrie du sexe et les
prostitueurs 1 de tout genre. Ainsi on ne peut faire abstraction du fait qu’un nombre disproportionné de
femmes autochtones se retrouvent en situation de prostitution de survie. Les Autochtones, hommes
ou femmes, vivent déjà une situation de violation de leurs droits humains les plus fondamentaux à
cause de l’impact du colonialisme sur leurs communautés et le racisme dont ils et elles sont victimes.
Pour les prostitueurs, les femmes autochtones sont au bas de l’échelle sociale et leur
exploitation importe peu. Cette réalité recouvre une autre facette de l’impunité, du mépris et de la
violence dans laquelle ces peuples, et tout particulièrement les femmes, vivent.
Le racisme est, de fait, très présent dans l’industrie du sexe. On vend de l’exotisme, de la
soumission et des stéréotypes racistes. Les femmes noires se retrouvent, en plus grand nombre, dans
un type de prostitution ou de pornographie parmi les plus avilissantes et déshumanisantes telles que
la bestialité, le sado-masochisme, etc. Ainsi, certains bars refusent aux femmes noires d’être
danseuses. Est-ce un hasard? Peut-on vraiment affirmer que les femmes de ces diverses
communautés choisissent ces activités dégradantes?
La pauvreté et le manque de choix véritables dans la vie des femmes sont des facteurs importants
d’entrée dans la prostitution et, très souvent, des obstacles à leur sortie. On s’imagine que les femmes
retirent beaucoup d’argent de la prostitution alors que c’est loin d’être le cas pour la très grande
majorité d’entre elles. Le jugement Himel, en décriminalisant la tenue de maisons de débauche 2, en
décriminalisant le fait de vivre de la prostitution d’autrui, en maintenant la criminalisation des
personnes prostituées nuisant à la circulation des voitures et des piétons vient renforcer la
vulnérabilité des femmes dépossédées économiquement et socialement.
Est-ce le genre de société que l’on veut?
Peut-on fermer encore plus longtemps les yeux sur le racisme de l’industrie du sexe?
1
Le terme prostitueur permet de reconnaître le choix fait par la personne consommant des actes sexuels ou profitant de la
prostitution. Ce sont les féministes françaises qui ont inventé ce mot.
2
Ceci est le libellé du code criminel qui réfère, encore une fois, au caractère « immoral » de la prostitution mais non à
l’exploitation qui est pourtant inhérente aux endroits où se monnaient les actes sexuels.
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Parce que je suis contre une simple approche de réduction de la
prostitution
L’approche souvent privilégiée pour intervenir en ce qui concerne la prostitution, est une
approche de réduction des méfaits qui est aussi utilisée en toxicomanie. Les gouvernements
s’en servent pour passer des lois qui ne changent rien à l’existence de la prostitution mais gèrent tout
au plus les irritants en découlant. Cette approche part d’un constat que la prostitution n’est pas un
problème social qui se résout facilement et rapidement. Elle considère que les personnes qui sont
dans la prostitution sont trop souvent criminalisées et pénalisées à cause de l’existence de ce
problème social. Et, pour être pragmatique et agir rapidement, on vise à réduire ses effets les plus
nuisibles dans leurs vies. Cette approche ne nie pas que les personnes prostituées vivent un degré de
violence qui frôle l’insupportable mais elle met plutôt le cap sur des interventions permettant d’amener
la personne à « s’adapter » à sa situation.
Ce n’est pas, en soi, une mauvaise approche mais appliquée à la prostitution, elle cause d’importants
ravages. Elle manque de visée à long terme et nuit, souvent, à la possibilité d’aider les personnes à
sortir de la prostitution et à en empêcher d’autres d’y entrer. C’est une approche socio-sanitaire qui
vise à contrôler les individuEs et les dangers associés à ce qu’on nomme leurs « pratiques
sexuelles ». Cette approche réductionniste utilise d’ailleurs, au nom du respect, le terme « travailleuse
ou travailleur du sexe ». Il importe apparemment de montrer que la prostitution résulte d’un choix.
Cela donnerait plus de dignité aux personnes qui deviennent ainsi des « agentEs » de leur vie. Cette
logique amène même à parler de « travailleurs ou travailleuses du sexe juvéniles » alors qu’il est
reconnu que la prostitution des mineurEs est illégale! Les mots viennent ici donner un air « digne » à
une réalité cachant exploitation, oppression et domination.
La juge Himel a adopté une approche « réductionniste ». Elle fait le constat que la prostitution est
dangereuse pour les femmes qui sont dedans, que les prostitueurs sont les éléments les plus
dangereux pour ces femmes et que la prostitution de rue est la forme de prostitution la plus
dangereuse. Devant l’ampleur du phénomène de la violence, qu’elle conçoit comme étant
essentiellement de la violence physique 3, elle ne voit pas de problème à viser la réduction d’un certain
type de violence dans des lieux spécifiques. Elle accepte l’idée que la prostitution de rue, et donc la
violence qu’elle induit pour les femmes, diminuerait s’il y avait des lieux où les hommes peuvent
acheter des actes sexuels en paix. Comme si la violence venait de l’illégalité de la prostitution et non
des hommes qui choisissent de violenter la « marchandise ». Malgré le fait qu’il n’a pas été démontré
que la prostitution à l’intérieur soit plus sécuritaire pour les femmes, c’est au nom de la protection des
femmes que la juge Himel propose de décriminaliser les proxénètes et la tenue de bordels. Elle ouvre
ainsi la possibilité pour l’industrie du sexe de prendre de l’expansion, nécessitant par le même fait,
plus de femmes pour remplir ces lieux où l’on commerce les actes sexuels. Peut-on prétendre que la
réduction de la violence est un objectif suffisant pour une société de droits? Peut-on croire que la
violence qu’on ne voit pas fait moins mal?
3
La juge a refusé de considérer la violence psychologique car pas assez tangible et elle ne fait pas la distinction entre
violence physique ou sexuelle ce qui dresse un portrait édulcoré de la violence envers les femmes dans la prostitution.
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Parce que je crois en la prévention comme remède à l’impuissance
Expansion de l’industrie du sexe veut dire accroissement du recrutement. Déjà, plusieurs jeunes
femmes sont amenées à aller « danser » pour leur chum, à coucher avec un ami de leur chum pour
avoir de la dope ou pour faire partie de la gang, à devenir escorte pour rapporter plus d’argent, à
« offrir » des actes sexuels pour être plus désirables, être cool, « affirmer » leur sexualité, etc. 4
Avec la décriminalisation totale de la prostitution, il est clair qu’il sera très difficile, voire
impossible, de faire de la prévention et de s’adresser aux jeunes pour dire quels sont les pièges
de cette industrie, les stratagèmes employés par les proxénètes et les prostitueurs pour arriver à
prostituer les femmes.
Pourquoi nos gouvernements investiraient-ils dans la prévention pour contrer le recrutement des
jeunes dans une industrie qui est légitime?
Pourquoi l’industrie du sexe attendrait-elle que les jeunes aient 18 ans avant de les inviter à entrer
dans l’industrie? 5
Je fais un simple calcul !
+ Si un pourcentage de femmes dans la prostitution est là pour assurer leur survie et celle de
leur famille;
+ Si un pourcentage de femmes fait de la prostitution pour soutenir leur consommation de
drogue (et souvent celle de leur chum!!);
+ Si un autre pourcentage de femmes le fait parce qu’elles ont été agressées sexuellement
pour une bonne partie de leur vie et que la prostitution est une façon de dire « Y vont me
payer maintenant »;
+ Si un pourcentage de femmes le fait parce qu’elles pensent qu’elles ne valent que ça;
+ Si un certain pourcentage de femmes le fait parce qu’elles veulent s’acheter de nouveaux
seins ou le dernier gadget à la mode et vivre comme des riches et « au boutte »;
+ Si un pourcentage le fait parce que c’est ce qu’elles ont toujours connu autour d’elles;
+ Et puis, si un pourcentage y reste parce qu’elles ne trouvent pas de l’aide pour en sortir;
+ Et un autre pourcentage se fait menacer, duper, violenter pour y entrer ou pour les y
maintenir;
Y’EN RESTE COMBIEN QUI SONT LÀ PAR CHOIX?
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Voir l’étude réalisée récemment par la Direction de la protection de la jeunesse, Santé, drogue et sexe.
Il est d’ailleurs important de savoir que deux des trois requérantes dans la cause à la Cour supérieure de l’Ontario ont été
amenées dans la prostitution avant l’âge de 18 et que les trois requérantes ont vécu de la violence avant et pendant qu’elles
étaient dans l’industrie du sexe.
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Ce que nous voulons :
 La décriminalisation des femmes dans la prostitution;
 la réforme du Code criminel canadien selon le modèle scandinave;
 la criminalisation des profiteurs sous tous leurs visages (proxénètes, prostitueurs, agences,
propriétaires d’établissements, etc.);
 la création de services et programmes financés par le gouvernement pour aider les femmes à
sortir de l’industrie du sexe;
 la mise sur pied d’une campagne de publicité sociétale et de programmes de prévention de
l’achat d’actes sexuels et du recrutement;
Osons l’élimination de la violence! Osons refuser la prostitution!
Faisons une différence dans la vie des femmes!!
Parlez-en autour de vous et passez à l’action en soutenant des groupes comme la Concertation des
luttes contre l’exploitation sexuelle www.lacles.org et en signant la pétition mise en ligne par
Sisyphe http://sisyphe.org/spip.php?article3738
Pour plus d’informations, visitez notre site web www.lacles.org
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