Carnet de voyage… Syrie… Russie… Indonésie… France

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Carnet de voyage… Syrie… Russie… Indonésie… France
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Carnet de voyage… Syrie… Russie… Indonésie… France
TURAK THÉÂTRE
Depuis hier. 4 habitants
Se mettre en chantier.
3 décembre 2005, aéroport d'Orly, Paris
En avril 2004, nous partons en tournée en Syrie et en Turquie. A Damas, nous trébuchons sur une émotion
inattendue et difficilement quantifiable. Un choc probablement et de très belles rencontres aussi. Un sentiment
incompréhensible. Trébucher sur le berceau des civilisations n’est pas rien. De retour en France, quelques mois
suffisent à imaginer un nouveau projet, dans l’urgence, dès 2005.
Dans ces agendas qui se projettent et se fixent de plus en plus tôt, il est important pour moi que nous puissions
rester ouverts à improviser rapidement de tels projets qui sont des réponses à la réalité des rencontres et des
émotions.
Nous organisons donc pour fin décembre une résidence à Alep, afin de travailler et faire la reprise d’un
spectacle.
Ecrit en 2000, Depuis hier est une galerie de 4 portraits, un précis de géométries des solitudes ordinaires.
Quatre personnages, dans quatre recoins du monde, au même moment… ou quatre moments de la vie d’un
même personnage, dans des endroits différents… ou encore, quatre individus traversent successivement un
même lieu et y poursuivent une même quête…
Dans cette « plus ancienne ville n’ayant jamais cessée d’être habitée », notre travail pourra se nourrir de
l’archéologie réelle, de l’archéologie fictive, de l’archéologie de l’habitant. Habiter. S’inscrire dans le quotidien
là-bas n’est pas anodin. Notre archéologie sera une archéologie de l’ordinaire, de la vie de tous les jours, loin
des musées. Notre champ de fouille sera le temps qui passe.
A chaque instant, notre travail sera de nous y inscrire.
Quatre portraits d’habitants, hors du temps, quatre « arché-types », pour témoigner avec notre poésie
rudimentaire et dérisoire, mais ténue et têtue.
Ce projet est, pour moi, l’occasion de remettre en chantier l’écriture de ce spectacle et d’en affiner la
dramaturgie. Sur place, nous travaillerons avec 2 artistes syriens, Yasser Safi, peintre graveur et Khaled Al
Jaramani, musicien qui joue du Oud. Après trois semaines de résidence, une sortie de chantier, première
ébauche de ce spectacle, sera présentée à Alep, Homs et Damas.
176 kilos de matériel divers sont déjà partis. Nous prenons l’avion dans quelques heures et reviendrons deux
jours avant Noël.
Ensuite, en Russie au mois de mars, en Indonésie au mois de mai, puis en France aux Subsistances, nous
continuerons à tricoter ces images et à répéter, pour avoir le spectacle dans sa forme définitive au début de
l’été.
TURAK THÉÂTRE
Depuis hier. 4 habitants
Se mettre en chantier (suite…)
28 décembre 2005, bureau du Turak à Lyon
Bien sûr, il y a la pierre d’Alep, présente partout.
Il y a la citadelle aussi, énorme, autour de laquelle on tourne quelquefois sans même le savoir. Autour de
laquelle tente de s’organiser la parade des taxis jaunes. Du jaune qui klaxonne sans cesse. Tranquillement,
klaxonne sans cesse, pour dire « je suis là ». Parce ce qu’il ne suffit pas d’être jaune avec une fragile lumière
rouge sur le toit (rouge souvent, verte quelquefois). Des courses à vingt ou trente livres syriennes. Avec des
chauffeurs souvent Kurdes qui, en général, ne connaissent pas encore le nouveau centre culturel arabe.
Et partout, la poussière. La poussière des hommes. Ces habitants qui soulèvent la poussière d’Alep tous les
jours de la semaine, jusqu’au jeudi soir. Le vendredi, elle se dépose. C’est férié. Le souk est désert. Rien
presque ne bouge, sauf la poussière qui se dépose partout. Partout.
Nous sommes installés dans une ancienne maison arabe. Nous répétons dans la cour.
Les souks, qui semblent ne pas changer, laissant filer les années et les gens qui les traversent. Les marchands
semblent se relayer de siècle en siècle dans d’immuables boutiques. Les marchandises mêmes semblent ne
pas se renouveler. Pourtant, sans arrêt, de jeunes gars courent derrière des diables trop chargés. Des diables
qui paraissent trop lourds pour pouvoir ne pas aller vite.
Posé là pendant trois semaines, le spectacle aura pris la poussière, de cette poussière d’Alep. La fine couche
rougeâtre se sera déposée sur le décor et sur les marionnettes, partout et surtout dans le fond des malles.
Homs… et Homsiotes, ses habitants.
Les Homsiotes ont une réputation de naïfs et de fous. Les envahisseurs barbares les auraient épargnés pour
leur allure naïve et inoffensive. Nous arrivons dans un vieux cinéma qui fait office de théâtre et salle des fêtes
comme on le voit en France aussi. Nous sommes accueillis dans le bureau, autour d’un poêle à alcool. Il règne
une ambiance de maison des jeunes. La salle de spectacle est froide. Pas de gradins. Quelques projecteurs
accrochés devisent avec des câbles qui pendent, presque nus, au-dessus du vide froid. Pourtant, je me
souviendrai de cette représentation et de ces rires complices, de l’émotion de ce silence, de cette écoute, de
ces regards qui allaient chercher les détails dans les recoins de l’image du spectacle. Neuf cents yeux ouverts
nous accompagnaient, alors que ce spectacle est prévu pour cent
cinquante personnes.
Il fait froid à Lyon, fin décembre. Les malles sont encore à Damas.
TURAK THÉÂTRE
Depuis hier. 4 habitants
Se mettre en chantier (suite…)
Russie, avril 2006
Depuis hier. 4 habitants. sera créé au festival d'Avignon du 15 au 23 juillet 2006 au jardin de Mons.
Et si nos habitants étaient éparpillés dans le monde...
Lundi 3 avril 2006, vol Air France 2544 à destination de Moscou. Dans l'avion déjà (et cela bien avant
l'atterrissage), la Russie est un pays immense.
Nous partons donc, en tournée-résidence de création à Moscou et ensuite à Saratov, Togliati et
Samara, reliés par trains de nuit. Nous avons avec nous deux cents kilos de matériel du spectacle,
une ébauche de notre série de quatre portraits que nous présentons et nourrissons sur place.
En décembre dernier, nous avons passé trois semaines en Syrie, dans le quartier des artisans de la
Vieille Ville d'Alep. Installés dans une maison Arabe, nous avons travaillé avec Yasser Safi et Khaled
Al Jaramani, un peintre et un musicien syriens.
Cette nuit à deux heures, dans une rue calme du centre de Moscou, quelqu'un allait tranquillement à
cheval et semblait rentrer chez lui (... et je me souviens, janvier 1999, en plein centre ville de
Bangkok, à 3 heures du matin, le même rythme paisible de quelqu'un qui rentre chez lui, à dos
d'éléphant...).
Jeudi 6 avril 18h40, gare de Moscou. Le train pour Saratov arrivera le lendemain vers 8h50.
Des compartiments couchettes avec des bouquets de fleurs artificielles sur des napperons et des
tapis déposés en vrac dans le couloir, nous donnent la sensation d'entrer chez quelqu'un. Un
samovar au bout du wagon avec un feu de bois dessous, nous permettra de nous servir en eau
bouillante durant tout le trajet. Il fait très chaud. De jolies petites tasses en porcelaine nous attendent
dans leurs soucoupes sur la tablette en formica. Notre chef de wagon, une femme en uniforme,
impose une ambiance d'internat. Avant même le départ du train, les voyageurs russes, déjà installés,
en pyjamas, shorts et pantoufles circulent dans le couloir. Ils sont comme chez eux. Ils sont chez eux.
Cette Russie immense serait comme un vaste appartement collectif dans lequel on circulerait en train
de nuit d'une pièce à l'autre. Quand un téléphone sonne à l'autre bout de l'appartement, il est alors
difficile d'évaluer le temps qu'il faut pour y répondre.
TURAK THÉÂTRE
Depuis hier. 4 habitants
Dans cet habitat, les distances seraient tellement importantes que le différentiel entre la vitesse de la
lumière et la vitesse du son, nous laisserait imaginer, décrocher avant même que le téléphone ne
sonne.
C'est peut-être la raison pour laquelle le chien russe ne se donne plus la peine d'aboyer. Il ouvre la
gueule et laisse faire l'imagination de celui qui se trouve à l'autre bout de l'appartement de la Russie.
Saratov, Togliati, Samara, trois villes posées au bord de la Volga encore gelée.
Partout, nous avons trouvé ces mêmes petites maisons de bois bleues, qui souvent ont suivi les
mouvements de terrain et se sont enfoncées.
Quelquefois complètement inclinées avec un côté beaucoup plus enfoncé dans le sol. J'essaie
d'imaginer l'intérieur de ces maisons. Le sol est-il lui aussi incliné ? un sol penché ?
Ici, celui que l'on recherche « habite penché » quand il n'est pas dans un train de nuit.
Je regarde par la fenêtre des trains d'autres nuits, toutes ces maisons et tous ces gens qui habitent là
où nous ne faisons que passer. Ils vivent là au milieu de notre rien.
Pourtant, ils seront un peu dans ce spectacle.
Après une résidence au Havre en mai, nous partirons en Indonésie pour notre dernière étape de
création. C'est à Bali, autour de Denpasar que nous chercherons notre quatrième habitant.
Michel Laubu
TURAK THÉÂTRE
Depuis hier. 4 habitants
Photo Raynaud De Lage
TURAK THÉÂTRE
Depuis hier. 4 habitants
Depuis hier. 4 habitants
En 1999, j'ai commencé à sculpter des visages dans des pommes de terre que je laissais ensuite
sécher, comme on laisse une photographie se révéler. Au bout de quelques jours, ou semaines de
séchage, en se déshydratant la matière provoquait rides, plis et mouvement de torsions des visages
(sculptés). Le temps s'était approprié mes sculptures en les figeant dans leur vieillissement.
Des photographies, donc.
Avec cette même technique, j'ai ensuite utilisé d'autres matériaux : des noyaux d'avocats, des
sachets de thé usagés imbibés de colle, des morceaux de charbons, des os de seiches...
Une fois la tête révélée, je lui cherchais un corps en végétaux séchés, bois flotté ou débris d'objets
usés. L'allure trouvée, je l'installais dans une petite boîte (type ménagère) et entamais ainsi ma
première tentative d'album de famille.
De complètement imaginaire qu'il était, cet « album » – que je continue – a tendance à glisser et à se
rapprocher sournoisement de la réalité...
Depuis hier. 4 habitants est une galerie de quatre portraits, très liée à cette tentative.
Quatre habitants, rafistolés, remis sur pied, remis en formes à partir de débris trouvés dans la
Durance. Des morceaux de bois flotté et autres débris recueillis à bord de mon kayak pour
recomposer leurs portraits.
Des morceaux de bois froissé ou de métal chiffonné qui laissent apparaître leurs visages, leurs
sourires usés.
Une galerie de portraits qui s'applique comme une petite géométrie des solitudes ordinaires, une
suite de petits bavardages visuels...
C'est donc, en kayak que j'ai débarqué dans leur quotidien, traversé leurs cuisines, leurs salons, leurs
séjours. C'est en kayak que je suis entré dans leurs vies.
TURAK THÉÂTRE
Depuis hier. 4 habitants
En 1999, je découvre les joies du kayak... et un vieux rêve de pouvoir se promener en des endroits
inondés. D'abord le kayak de mer à Peyriac de mer, sur l'étang de Bages, je pars sur de petits îlots,
habités par des rats, des lapins et des goélands. Et l'eau de mer qui fait son travail de grande
lessiveuse, nettoie les os abandonnés. De ces expéditions, je ramènerai du bois flotté, usé par les
vagues et des os blancs et propres, comme de précieux indices d'un monde que je suis le seul à
n'ignorer.
Ensuite je m'aventure sur la Durance, et le lac de Serre-ponçon faisant la joie des baigneurs sur la
plage me voyant débarquer avec deux fois mon volume en bois flotté.
Il y avait là des morceaux d'arbustes, de racines, des morceaux de tables, chaises, des bouts de rien,
de vie quotidienne, d'ordinaire précieux. Tout cela rongé, usé par l'eau et le tumulte des courants.
A cette période, je commençais une tentative d'album de famille. Des petits visages en pomme de
terre sculptées ou noyaux d'avocat sculptés prenaient places sur mes morceaux de bois et autres
débris recueillis à bord de mon kayak.
Je commençais à « écrire » une série de portraits, à partir de personnages, formes marionnettiques
construites à partir de tout ce ramassis. « Ecrire » comme on assemble des images, des bouts, des
éclats, comme on rassemble des lettres et des mots dans le coin d'une page pour garder la trace
d'une image. Je me mis à préparer sans trop le savoir un spectacle, depuis hier.
Quatre portraits, quatre individus, quatre journaux intimes, parce qu'ordinaires. Ecrire en images, en
actions, leur quotidien, leur écrire un quotidien. Petit à petit c'est donc en kayak que je suis entré chez
eux, débarqué en kayak dans leur séjour.
Michel Laubu
TURAK THÉÂTRE
Depuis hier. 4 habitants
Photo Rayanud De Lage
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