LE risquE dE proLiFéraTion

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LE risquE dE proLiFéraTion
Le danger de prolifération nucléaire est proportionnel au nombre
de nouvelles centrales dans le monde entier. Malgré tous les
efforts de régulation de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la limite entre l’usage civil et militaire de cette
technologie, n’est pas infranchissable. L’exemple le plus récent
en est l’Iran. En fin de compte, nul ne peut être contraint à se
soumettre à des contrôles. L’expansion de l’énergie nucléaire
fait naître le besoin croissant de construire des installations
de retraitement et des surgénérateurs rapides pour produire le
combustible nucléaire. Ceci entraîne une amplification de la circulation de plutonium qui elle-même a pour effet de produire
d’énormes quantités de matière fissile pouvant servir à la fabrication de bombes : un cauchemar !
À la veille de la Conférence d’examen du Traité sur la nonprolifération des armes nucléaires (TNP) en mai 2010, les
grands pays se sont concentrés comme jamais auparavant sur
la réduction des stocks actuels d’armes nucléaires américain et
russe, sur la fin de l’intensification du programme nucléaire de
Pyongyang, et l’arrêt des activités de l’Iran en matière d’armes
nucléaires. L’espoir étant que tous ces efforts se renforcent
mutuellement et que les avancées en matière de réduction des
armes nucléaires incitent les états non dotés de l’arme nucléaire
(ENDAN) à éviter les activités productrices de combustible nucléaire civil dangereuses. Ces attentes risquent cependant de
ne pas se concrétiser. À moins d’un changement de régime en
Corée du Nord ou en Iran, le renoncement de Pyongyang à son
arsenal nucléaire et l’arrêt des activités iraniennes en matière
d’armes nucléaires restent très improbables. Les chances que la
Chine, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël parviennent à un accord sur la réduction du nombre d’ogives semblent
par ailleurs, encore plus minces. Si les tendances actuelles persistent, la sécurité internationale sera mise à l’épreuve durant
les deux prochaines décennies comme jamais auparavant.
Le risque de prolifération : dilemme du nucléaire civil et militaire
ECOLOGIE
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ECOLOGIE
UNION EUROPÉENNE
Le risque de prolifération :
dilemme du nucléaire civil
et militaire
TABLE DES MATIERES Préface: l'énergie nucléaire dans l'impasse 3
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? 5
Par Otfried Nassauer
Introduction 6
1. Les efforts de non-prolifération – bref aperçu 2. Les installations nucléaires civiles – bref aperçu
8
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3. Les états comme risque de prolifération 16
4. Les risques liés aux acteurs non étatiques 4.1 Des armes nucléaires aux mains de terroristes 4.2 Des bombes sales aux mains de terroristes 4.3 La contrebande de matières nucléaires 4.4 Les acteurs non étatiques et la sûreté du cycle de combustible 4.5 Les autres risques de prolifération 19
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5. Les instruments de contrôle et de limitation de la prolifération 5.1 Les traités importants 5.2 La non-prolifération grâce aux garanties 5.3 La non-prolifération grâce au contrôle des exportations 5.4 La non-prolifération par la coopération 5.5 Des mesures coercitives et militaires contre la prolifération 24
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31
6. Une approche contradictoire – la politique de non-prolifération avec Barack Obama 6.1 Le nouveau Traité START 6.2 Le Sommet sur la sécurité nucléaire 6.3 La Nuclear Posture Review 6.4 Paroles et actions – problèmes et contradictions 34
35
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7. Un monde à la recherche d'énergie 41
Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions 45
de CO2 . De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire.
Par Henry D. Sokolski
1. Prolifération des armes nucléaires et prévention: les vingt prochaines années 2. La course à l'armement nucléaire? 46
3. Ce qu'il est possible de faire 54
Conclusion
62
Glossaire et liste des abréviations 64
Biographies d'Otfried Nassauer et d'Henry D. Sokolski 64
48
Avec le support de
Heinrich-Böll-Stiftung
Publié par Heinrich-Böll-Stiftung, Union européenne, Bruxelles
Imprimé en Belgique, mai 2011
© Les auteurs, Heinrich-Böll-Stiftung, Union européenne, Bruxelles
Tous droits réservés
Bureau de traduction : LUND Languages / LUND Verlagsgesellschaft mbH
Adaptation française et édition finale : Carole Courtoy
Coordination : Annett Waltersdorf
Production: Micheline Gutman
Photo de couverture :
Gisela Giardino/ Photo originale : auteur inconnu
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Certains droits réservés pour les photos des pages 22, 34 et 48. Liés à la licence suivante :
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3
Préface : L’énergie nucléaire dans l’ impasse
Les déclarations régulières sur une renaissance de l’énergie nucléaire, pourraient donner
l’impression que le nombre de nouvelles centrales
nucléaires augmente à vive allure et de manière
constante. De fait, des statistiques récentes enregistrent 60 centrales en construction, dont la
majorité en Chine, et les autres en Russie, en Inde,
en Corée du Sud et au Japon. Les États-Unis n’auraient qu’un seul projet concret de construction.
Toutefois cette liste (de VGB Power Tech) comporte
un grand nombre de projets anciens inachevés et
donc de fait de véritables ruines.
D’autre part, on compte actuellement quelque
160 projets de nouvelles centrales nucléaires d’ici
2020, dont 53 rien qu’en Chine et 35 aux ÉtatsUnis, suivis de la Corée du Sud et de la Russie. En
Europe, la Grande-Bretagne est première de la
liste avec huit nouvelles constructions prévues,
suivie de l’Italie, de la Suisse, de la Finlande, de
la Roumanie et de la Lituanie. La France, qui
aimerait doter le monde entier de nouvelles centrales nucléaires, ne prévoit quant à elle qu’une
seule centrale. La majorité des états européens ne
nourrissent aucun projet nucléaire concret.
En fait, le nombre des centrales nucléaires dans
le monde diminue constamment. Actuellement,
436 réacteurs sont encore en exploitation. Au cours
des 15 à 20 prochaines années, on assistera à un
plus grand nombre de déconnexions de centrales
vieillissantes que de nouvelles mises en service.
Les déclarations d’intention ne seront pas toutes
concrétisées . Plus les marchés de l’électricité sont
ouverts à la libre concurrence, plus les chances de
l’énergie nucléaire s’amenuisent.
En outre, les coûts des nouvelles installations explosent. Ainsi le prix de construction de
la nouvelle centrale nucléaire d’Olkiluoto en
Finlande est déjà passé de trois à quelque 5,4 milliards d’euros, et ce bien que la coque extérieure
ne soit pas encore en place. A cela s’ajoutent les
problèmes non résolus de l’élimination des déchets et la forte probabilité d’une défaillance de
la technologie. Aujourd’hui aucun conglomérat énergétique privé ne prendrait le risque de
construire une nouvelle centrale sans subventions publiques ni garanties. Il est intéressant de
noter que les nouvelles centrales sont avant tout
construites là où l’État et l’économie de l’énergie
passent une alliance contre-nature.
Jusqu’à aujourd’hui les centrales nucléaires
étaient en grande partie financées par des aides
publiques. La somme de ces aides en Allemagne
s’élève dans l’ensemble à plus de 100 milliards
d’euros et ce traitement de faveur subsiste encore
aujourd’hui. Ainsi, avec ces provisions chiffrées en
milliards destinées à l’élimination des déchets et
au démantèlement des centrales, les compagnies
ont à leur dispositon une manne financière, libre
d’impôts. La responsabilité civile des exploitants
est en outre limitée à 2,5 milliards d’euros – une
infime fraction de ce que coûterait un accident nucléaire de gravité moyenne. Finalement, l’énergie
nucléaire s’avère être aussi chère que risquée.
Aux arguments d’usage sur l’énergie nucléaire viennent s’en ajouter quelques nouveaux.
Premièrement, le danger de prolifération nucléaire est proportionnel au nombre de nouvelles
centrales dans le monde entier. Malgré tous les
efforts de régulation de l’Agence internationale de
l’énergie atomique (AIEA), la limite entre l’usage
civil et militaire de cette technologie, n’est pas
infranchissable. L’exemple le plus récent en est
l’Iran. En fin de compte, nul ne peut être contraint
à se soumettre à des contrôles. L’expansion de
l’énergie nucléaire fait naître le besoin croissant
de construire des installations de retraitement
et des surgénérateurs rapides pour produire le
combustible nucléaire. Ceci entraîne une amplification de la circulation de plutonium qui
elle-même a pour effet de produire d’énormes
quantités de matière fissile pouvant servir à la fabricationde bombes : un cauchemar !
Deuxièmement, le prolongement de la durée
de vie des centrales nucléaires existantes et plus
4
encore la construction de nouvelles centrales
constitueraient un obstacle majeur au développement des énergies renouvelables. L’affirmation
selon laquelle l’énergie nucléaire et les énergies
renouvelables seraient complémentaires est un
mythe. Elles doivent non seulement rivaliser
pour de piètres capitaux d’investissement et des
lignes électriques mais l’exploitation continue
non flexible des centrales nucléaires limite le
potentiel de croissance des énergies renouvelables, l’éolien en particulier. Les jours de grand
vent et de faible consommation en Allemagne,
celui-ci couvre une grande partie la demande
énergétique. Comme dans un futur proche, il y
a peu de risque pour des motifs économiques,
que la production des centrales existantes (ainsi
que celle des grandes centrales au charbon) soit
réduite, l’excédent énergétique devra être exporté
à perte. Une folie qui ne manque pas de méthode.
Quel que soit l’angle d’approche, il est clair
que l’énergie nucléaire n’a pas le potentiel de
contribuer de manière décisive à la protection climatique et n’est pas indispensable pour garantir
la sécurité d’approvisionnement. C’est le contraire
qui est vrai. Ceux qui décident de promouvoir le
développement des énergies renouvelables afin
qu’elles subviennent à 100% de la demande en
électricité, doivent s’opposer à la construction de
nouvelles centrales ainsi qu’à l’extension de la durée de vie des plus anciennes. Quoi qu’on en dise,
l’énergie nucléaire n’est pas la stratégie de transition adéquate vers l’ère solaire.
Berlin, janvier 2010
Ralf Fücks
(Président de la Fondation Heinrich Böll)
SéRIE éCOLOGIE
Les armes et l’énergie nucléaires :
l’illusion d’un choix ?
Par Otfried Nassauer
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Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
INTRODUCTION
En tant que puissance nucléaire, en tant que la
seule puissance nucléaire ayant eu recours à l’arme
nucléaire, les États-Unis ont une responsabilité
morale à agir. (…). Alors aujourd’hui, j’affirme
clairement et avec conviction l’engagement de
l’Amérique à rechercher la paix et la sécurité d’un
monde sans armes nucléaires. Je ne suis pas naïf.
Cet objectif ne sera pas atteint rapidement – sans
doute pas de mon vivant. Il faudra de la patience
et de la persévérance. Mais maintenant, c’est à
nous d’ignorer les voix qui nous disent que le
monde ne peut pas changer. Nous devons insister,
« Oui, nous le pouvons. » (…) tous ensemble, nous
allons consolider le Traité de non-prolifération
nucléaire comme base de coopération. L’accord
de base est sain: les pays dotés de l’arme nucléaire
conviennent d’œuvrer en faveur du désarmement
et les pays ne la possédant à ne pas se procurer de
telles armes; et tous les pays ont accès à une énergie nucléaire pacifique. (…) Nous devons utiliser
le pouvoir de l’énergie nucléaire pour le compte de
nos efforts à combattre le changement climatique
et pour offrir à tous des perspectives d’avenir.1
Barack Obama à Prague, le 5 avril 2009
Il y a un an, le Président américain Barack
Obama faisait renaître la vision d’un monde libéré
de l’arme nucléaire. Lors d’un discours à Prague, il
faisait part de son engagement à atteindre cet objectif et promettait de mettre à profit son mandat pour
accomplir les premiers pas dans la voie d’un tel
monde, pour réaliser des progrès dans le désarmement nucléaire et des améliorations en matière de
non-prolifération. Un an plus tard, le sujet s’invite
à nouveau dans l’agenda du Président américain.
Les développements qui ont particulièrement attiré
l’attention du public en avril 2010, sont les suivants :
la signature d’un nouvel accord de réduction des armes nucléaires stratégiques entre les
États-Unis et la Russie (New START) ;
 la publication de la doctrine nucléaire des
États-Unis, la Nuclear Posture Review (NPR), un
rapport dans lequel le gouvernement américain
présente les grandes lignes de sa future politique
d’armement nucléaire au Congrès ;
 une Conférence internationale sur la sécurité des matières fissiles susceptibles d’être
utilisées pour la fabrication d’armes pour laquelle
le Président américain avait convié plusieurs pays
à se rendre à Washington ;
 une conférence des ministres des Affaires
étrangères des pays membres de l’OTAN sur l’avenir des armes nucléaires au sein de l’OTAN et en
Europe ;
 et la prochaine conférence de révision du
Traité de non-prolifération nucléaire.
On peut y rajouter les tentatives effectuées
auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies
afin de renforcer les sanctions à l’égard de l’Iran
en raison de son programme nucléaire.
Le débat public sur la technologie nucléaire a
donc été déterminé par les sujets suivants: l’avenir des armes nucléaires, la réduction soutenue
de leur nombre et l’avenir de la non-prolifération
nucléaire. Un autre sujet fait toujours partie de ce
débat : l’avenir de l’énergie nucléaire.
Cela n’est pas dû au hasard mais au fait que
les usages militaire et civil du nucléaire sont
étroitement liés ou dépendants. Tout le savoir,
les matières et la technologie acquis dans l’usage
civil du nucléaire peuvent être utilisés pour un
programme militaire atomique. C’est la raison
pour laquelle, les programmes nucléaires d’envergure – même s’ils sont déclarés comme étant
exclusivement civils – font presque toujours
naître des craintes substantielles de prolifération.
La querelle existant depuis plusieurs années autour du programme atomique de l’Iran, en est
l’illustration.
1hhttp://www.whitehouse.gov/the_press_office/Remarks-By-President-Barack-Obama-In-Prague-As-Delivered
Le manuscrit de cette intervention a été achevé mi-avril 2010. Tous les renvois à des sources sur Internet ont été
contrôlés pour la dernière fois le 13.4.2010.
Promu par la hausse mondiale des besoins
énergétiques, l’électricité en particulier, et les
efforts de lutte contre un changement imminent catastrophique du climat par la réduction
des émissions de CO2 , l’usage civil de l’énergie
atomique se trouve peut-être à l’aube d’une renaissance dans les prochaines décennies. Dans
son discours à Prague, Barack Obama a formellement fait allusion à son éventuelle contribution
à l’enraiement du changement climatique. Il
a depuis mis à disposition des crédits publics
d’un montant de plus de 50 milliards de dollars,
comme incitation à la construction de nouvelles
centrales nucléaires. Ses partisans avancent
l’argument que l’énergie nucléaire permet la production d’importantes quantités d’électricité ne
provoquant pas d’émissions de CO2. En matière
de politique climatique, l’incitation est forte. Cet
avantage contrebalance-t-il toutefois les risques
d’une politique de sécurité liés à son usage – et
celui en particulier de toute nouvelle prolifération
– de l’énergie nucléaire ? L’utilisation de celle-ci
dans un nombre toujours plus grand de pays –
même si elle répond à une politique climatique
– justifie-t-elle les risques de prolifération qui lui
sont liés ? Ou bien les risques croissants de sécurité l’emportent-ils sur les prétendus bénéfices
d’une telle politique ?
Des éléments essentiels du cycle de combustible nucléaire civil confrontent l’humanité à des
risques de sécurité caractéristiques de la technologie nucléaire. L’enrichissement par exemple peut
servir à produire le combustible pour les réacteurs,
7
et aussi les matières utilisées pour la fabrication
d’armes nucléaires. La différence dans l’utilisation
est de nature plus graduelle que fondamentale. De
nombreux types de réacteurs permettent en même
temps la récupération de plutonium nucléaire à
des fins militaires et la production d’électricité.
Dans les installations de retraitement, le plutonium à usage militaire peut être séparé de la même
façon que le plutonium utilisé dans un réacteur –
ce dernier n’étant pas très utile à la fabrication
d’armes atomiques. Les technologies du nucléaire,
le savoir-faire qui les accompagnent et les matériaux nucléaires peuvent se propager. Les experts
peuvent voyager ou émigrer. L’existence même
d’un large éventail de contrôles spécifiques à l’exportation, de tests de fiabilité pour les employés
et d’une politique spéciale de non-prolifération,
démontre bien que le danger de prolifération nucléaire doit être pris au sérieux.
Dans les chapitres suivants, nous illustrerons
– sans rentrer dans des détails trop techniques
ou trop spécifiques – à quel point les usages civil
et militaire du nucléaire sont étroitement liés et
entremêlés. Ils sont de véritables frères siamois.
Le risque de prolifération de la technologie nucléaire au profit de son usage militaire est, par
conséquent, bien réel. Finalement, seul le renoncement aux deux usages de la technologie – une
option double zéro2 – permettrait de réaliser
l’idée d’un monde exempt d’armes nucléaires, car
il n’y a que dans ces conditions qu’on peut garantir et contrôler que le nucléaire n’est pas utilisé à
des fins militaires.
2« L’ option double zéro » fait référence au Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire de 1987.
Ce premier traité de désarmement nucléaire a éliminé deux classes de missiles nucléaires des stocks de l’OTAN et
de l’Organisation du Traité de Varsovie : les missiles balistiques à portée intermédiaire et les missiles de croisière à
portée courte. Les états contractants, la Russie et les États-Unis, ne peuvent plus posséder de missiles lancés à partir
du sol d’une portée de 500 à 5.500 kms.
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Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
1. Les efforts de non-prolifération – bref aperçu
Au temps de la Guerre froide, les craintes de
prolifération se concentraient avant tout sur les
pays suspectés de s’intéresser aux matières, à la
technologie ou au savoir dans le but de fabriquer
des armes nucléaires. Dans les années 1960 et au
début des années 1970, on comptait parmi ces
pays, la République fédérale d’Allemagne, l’Inde,
Israël, le Japon, la Suisse et la Suède. Au milieu des
années 1970 et au début des années 1980, l’Argentine, le Brésil, l’Égypte, l’Inde, l’Irak, le Pakistan,
la Corée du Sud, Taïwan et l’Afrique du Sud font
partie des pays dont les ambitions nucléaires sont
préoccupantes. Depuis le début des années 1990,
les craintes se sont surtout concentrées sur l’Irak,
l’Iran, le Pakistan et la Corée du Nord. Quasiment
tous les états non dotés d’armes nucléaires ayant
entrepris des recherches nucléaires intensives
ou des programmes d’énergie atomique, étaient
observés avec méfiance dès le début du développement de leurs programmes, et leurs intentions
nucléaires examinées de près.
Le nombre de pays ayant effectivement acquis
l’arme nucléaire est toutefois resté étonnamment faible jusqu’à la fin de la Guerre froide : et
la principale raison en est le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Les efforts
de l’Agence internationale de l’énergie atomique
(AIEA), dont la mission comprend la surveillance
des centrales nucléaires civiles, y ont également
contribué. Sans oublier les contrôles multilatéraux
ou nationaux des technologies et des exportations,
la retenue volontaire des états non dotés d’armes
nucléaires (ENDAN), les garanties de sécurité des
puissances nucléaires ainsi que – quand le risque
d’usage militaire était particulièrement pris au
sérieux – la pression diplomatique et les sanctions
imposées par la communauté internationale.
Après la signature du TNP et durant la Guerre
froide, Israël, l’Inde et l’Afrique du Sud rejoignent
le clan des cinq états dotés de l’arme nucléaire
(EDAN), les États-Unis, la Russie, le Royaume Uni,
la Chine et la France. Dans le cas de l’Inde et d’Israël,
les États-Unis étaient convaincus lors des négociations pour le traité, qu’il ne serait pas possible
d’empêcher les deux états de développer l’arme atomique. Ce qui s’est vérifié en l’espace de quelques
années seulement. L’Afrique du Sud et son régime
d’apartheid, fut le seul pays durant cette période
à parvenir de façon plus ou moins surprenante,
à construire des armes nucléaires, malgré l’existence
du régime de non-prolifération. Le Pakistan et – selon
ses propres déclarations – la Corée du Sud, sont les
premiers membres non nucléaires du régime TNP à
en fabriquer, après la fin de la Guerre froide.
1. Les efforts de non-prolifération – bref aperçu
Au début des années 1990 l’espoir existe,
pendant un laps de temps assez court, que le
désarmement nucléaire et les efforts renforcés de
non-prolifération parviennent à libérer le monde
du danger de la destruction atomique. Suite à quoi
les États-Unis et la Russie s’engagent rapidement
à signer des traités de réductions de leurs armes
stratégiques à longue portée (traités START) et
des Initiatives nucléaires présidentielles de réductions réciproques et unilatérales de leurs armes
nucléaires tactiques. L’Afrique du Sud abandonne
son programme militaire à la fin de l’Apartheid.
La Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine consentent – sous la pression – à renoncer à leurs armes
nucléaire héritées de l’Union Soviétique et à adhérer au TNP comme membres non nucléaires.
À ceux-ci s’ajoutent deux pays que l’on avait
longtemps soupçonnés d’avoir des ambitions militaires, le Brésil et l’Argentine. En 1995, un accord
d’extension à durée indéterminée du TNP – dont
la validité était de 25 ans au départ – et non soumis
aux conditions du traité était possible.
Entre-temps, la situation a considérablement
évolué. La prolifération est de nouveau considérée par de nombreux gouvernements comme l’un
des plus grands dangers pour la sécurité internationale. Divers facteurs ont contribué à cette
situation. Les puissances nucléaires n’ont pas
réduit leurs arsenaux aussi rapidement que l’espéraient et l’attendaient de nombreux ENDAN
après la fin de la Guerre froide. Elles parlent plus
fréquemment de la nécessité de les moderniser
et signalent ainsi leur objectif de maintenir leurs
armes atomiques encore quelques décennies.
La dissolution de l’Union Soviétique et l’affaiblissement de la Russie qui en a résulté, ont donné
naissance à de nouvelles inquiétudes sérieuses :
les états émergents succédant à l’Union Soviétique, ébranlés par la crise, seront-ils en mesure
d’assurer suffisamment la sécurité des armes
atomiques, des matières nucléaires, de la technologie et du savoir des experts sur leur territoire ?
En 1991, après la Guerre du Golfe, des inspecteurs
9
internationaux découvraient aussi un programme
nucléaire militaire secret en Irak. En 1998, après
des premiers tests réussis, le Pakistan – comme l’on
s’y attendait depuis un certain temps – devait aussi
être placé sur la liste des puissances atomiques.
Après une longue période de flottement, la Corée
du Nord était en 2003 le premier pays à quitter le
TNP et à déclarer posséder des armes atomiques.
Depuis les attaques du 11 septembre, la sensibilisation du public aux risques de prolifération
a fortement augmenté. Les États-Unis, victimes
de ces attaques terroristes, ont donné une place
importante dans leur analyse des menaces liées à
la politique de sécurité, à un nouveau groupe d’acteurs et de bénéficiaires de la prolifération: des
agents transnationaux non étatiques tels que les
terroristes, la criminalité organisée, les extrémistes
religieux ou des entreprises transnationales. Bien
que surveillés depuis quelques décennies déjà par
nombre d’experts, ce n’est qu’après les attaques
terroristes sur New York et Washington, que le
monde politique et le grand public ont véritablement commencé à s’inquiéter de tels groupes. Et
si pour une attaque majeure dans le futur, des terroristes employaient une arme nucléaire ou juste
une « bombe sale » faite de matière radioactive et
d’explosifs conventionnels ?
Une grande part de cette nouvelle attention
est le fait de politiques, de think tanks, et de l’industrie aux États-Unis et ailleurs. Ceux-ci ont
tenté, avec beaucoup de succès, de transformer
la menace terroriste – en particulier, celle des
armes de destruction massive – en arguments
de vente de leurs propres produits, prestations
de services et intérêts, et aussi en garantie d’accès aux ressources financières correspondantes.
Ils ont bénéficié du soutien immédiat et disposé
de l’administration de George W. Bush.3 Il reste
néanmoins vrai que des acteurs transnationaux
non étatiques, comme les terroristes, pourraient
effectivement être tentés d’accéder aux matières
nucléaires, aux technologies et au savoir-faire
3Ces schémas structurels se perpétuent sous Obama, qui a fait de la prévention du terrorisme nucléaire, une de ses
priorités avec la Nuclear Posture Review 2010, jusque dans les études académiques.
Cf. : http://belfercenter.ksg.harvard.edu/files/al-qaeda-wmd-threat.pdf et la critique correspondante :
http://sitrep.globalsecurity.org/articles/100126542-the-busted-watch-of-us-wmd-thr.htm
10
adéquat. Si ces groupes devaient faire le projet de
construire, voler ou acquérir voire élaborer des
dispositifs explosifs nucléaires, sales et primitifs,
alors la simple éventualité qu’ils y parviennent
avec succès constitue un sérieux problème.
Comme la prolifération est revenue au premier plan de l’agenda des politiques de sécurité
internationale, les risques liés aux programmes
nucléaires civils et militaires bénéficient eux aussi
d’une attention renouvelée. Le débat actuel sur
le programme nucléaire iranien en est un bon
exemple : l’Iran n’est pas uniquement suspecté
parce qu’il a gardé secrète une partie de sa technologie nucléaire et violé quelques-uns de ses
engagements en tant que membre non nucléaire
du TNP sous le contrôle de l’AIEA, mais aussi
en raison des expériences avec l’Irak et la Corée
du Nord. L’exemple irakien a clairement fait
comprendre qu’il est possible pour un pays de
développer un programme militaire sous couvert d’un programme civil et de le dissimuler
aux contrôles effectués par l’AIEA. La Corée du
Nord a elle aussi été capable de transformer un
programme nucléaire « civil » en programme militaire. Bien que soupçonnée dès le départ et malgré
la prise, par la suite, de sanctions très sévères à son
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
égard, la Corée du Nord s’est retrouvée si proche
de la possibilité de développer l’arme atomique,
qu’elle était disposée à prendre le risque de se retirer du TNP et à revendiquer la possession d’armes
nucléaires. Quelques années plus tard, la Corée
du Nord faisait la démonstration de sa volonté
à entreprendre ses premiers essais d’armes
nucléaires.4 Raison pour laquelle, l’argument
selon lequel il faut empêcher l’Iran de devenir
une « deuxième Corée du Nord » est très soutenu
aujourd’hui. Même si le programme nucléaire iranien, tout comme les intentions du pays, était de
nature purement civile, comme l’affirme Téhéran,
il conviendrait d’en douter, suite aux expériences
avec la Corée du Nord.
Tous les nouveaux programmes nucléaires
civils qui dépassent l’exploitation des réacteurs
à eau légère importés et visent la maîtrise d’éléments importants du cycle du combustible, sont
observés avec beaucoup plus de scepticisme que
par le passé. L’Iran est le premier pays confronté
à ce nouvel aspect de la politique de non-prolifération. Ce qui pourrait créer un précédent
sur l’attitude à adopter à l’avenir envers les états
souhaitant s’engager dans l’usage complet de la
technologie nucléaire.
4 La plupart des experts ne considèrent pas les tests d’explosions nord-coréennes comme des tests d’armes nucléaires réussis.
© Hemera
Overview and Trends
11
2. Les installations nucléaires civiles – bref aperçu
D’après les données de l’AIEA, 32 des 193
pays de la planète exploitaient en 2009 un total
de 438 réacteurs nucléaires commerciaux pour
la production d’électricité. 54 nouvelles centrales étaient en construction l’an dernier et cinq
tranches mises à l’arrêt pour révision.5 Les réacteurs en service actuellement fournissent moins
de 5% du total des besoins énergétiques mondiaux, alors qu’en 2007 ils produisaient encore
environ 14% de l’électricité mondiale disponible.6
La grande majorité des réacteurs commerciaux
sont exploités par des pays du monde industrialisé. En 2008, les États-Unis exploitaient 104
réacteurs, la France 59, le Japon 55, la Russie 31
et la Grande-Bretagne 19. L’Allemagne en avait
17, le Canada 18 et l’Ukraine 15. La Corée du Sud
disposait de 20 centrales, l’Inde 17 et la Chine 11.
Taïwan en exploite 6. L’Argentine, le Mexique, le
Pakistan et l’Afrique du Sud exploitent chacun 2
installations.7 Les nouvelles tranches de réacteurs
sont principalement construites par la Chine (21),
la Russie (9), l’Inde (6) et la Corée du Sud (6).8
L’Iran a quasiment achevé son premier réacteur
à Bushehr et en prévoit d’autres. La plupart des
réacteurs dans le monde sont des réacteurs à eau
pressurisée (264). On trouve aussi des réacteurs
à eau lourde (44), des réacteurs à eau bouillante
(94), des réacteurs modérés au graphite refroidis
5AIEA : Nuclear Power Reactors in the World, Reference Data Series No 2, 2009 Edition, Vienne, 2009,
http://www-pub.iaea.org/MTCD/publications/PDF/RDS2-29_web.pdf et : http://www.iaea.org/programmes/a2/index.html
En plus de sa mission de surveillance de non-prolifération dans le domaine militaire, l’AIEA a également la tâche
d’encourager et de soutenir l’usage civil du génie nucléaire. Elle n’est donc pas en mesure de mener une étude
fondamentalement critique de l’usage civil. Les données qu’elle met à disposition peuvent occasionnellement être
« colorées positivement » du fait de sa mission propre. Cela devient clair quand les pronostics les plus pessimistes
de l’AIEA sur l’usage futur de l’énergie nucléaire sont invariablement plus élevés que les pronostics optimistes de
l’Agence Internationale de l’Énergie ou du Ministère américain de l’énergie. Régulièrement publiées, les données de
l’AIEA sont toutefois disponibles pour la comparaison. Elles reposent sur les informations des États membres ainsi
que sur les conclusions de l’AIEA sur la surveillance mondiale des sites nucléaires. Aucune autre banque de données
de qualité de cette taille n’est à la disposition du public.
6 http://www.iaea.org/NewsCenter/News/2008/np2008.html En 2004, on atteignait encore 16%.
7 AIEA : Loc. cit. p. 10 et suivante.
8 AIEA, loc. cit. actualisé par : http://www.iaea.org/cgi-bin/db.page.pl/pris.opercap.htm
12
à l’eau légère (16) et des réacteurs modérés au
graphite refroidis au gaz (18). La grande majorité
des centrales nucléaires utilisent de l’uranium
faiblement enrichi (UFE), qui contient de 2 à 5%
d’U-235. D’autres, comme un grand nombre de
réacteurs à eau lourde, peuvent être exploitées
avec de l’uranium naturel. Seuls deux surgénérateurs rapides fonctionnent aujourd’hui.9
La plupart des pays exploitant des centrales
nucléaires ne disposent pas d’un cycle de combustible complet fermé, mais n’ont soit que les
réacteurs soit que des installations particulières
utilisées dans le cycle du combustible. Ces pays
optent donc pour un cycle de combustible ouvert.10
Les cycles de combustible fermés sont utilisés en
particulier par les pays qui possèdent ou possédaient un programme d’armes nucléaires ou ont la
capacité de réaliser un tel programme. Le pays qui
possède le plus grand arsenal d’armes nucléaires,
les États-Unis, dispose d’un cycle de combustible
civil ouvert, parce que son gouvernement a décidé
en 1980, de renoncer au retraitement d’éléments
de combustible irradié issus de l’usage civil des
réacteurs. L’uranium11 utilisé comme combustible
dans les réacteurs provient essentiellement de
deux sources. Environ les deux tiers proviennent
de mines d’uranium, localisées aujourd’hui dans
19 pays fournissant entre 40.000 et 50.000 tonnes
d’uranium naturel par an. Les plus grands fournisseurs sont le Canada, l’Australie et le Kazakhstan.
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
En 2007, ils ont livré ensemble presque 60 % de
l’uranium nouvellement extrait. D’autres fournisseurs importants sont le Niger, la Russie, la
Namibie et l’Ouzbékistan.12 Depuis quelques
années, l’Iran extrait également de l’uranium
pour ses propres besoins. En 2003, 46 % de l’approvisionnement mondial en uranium pour les
réacteurs civils provenaient encore de sources
secondaires, comme le ré-enrichissement d’uranium appauvri, le retraitement de combustible
usé et l’appauvrissement d’uranium hautement
enrichi (UHE) issu d’anciens stocks militaires,
alors aujourd’hui cette part représente à peine
plus de 30%.13 Quelle sera la part des sources d’approvisionnement secondaires à l’avenir est difficile
à dire. Cela dépend par exemple soit du fait que les
états dotés d’armes nucléaires continue à l’avenir à
mettre à disposition de l’UHE issu de leur arsenal
militaire pour « l’appauvrissement »14 soit d’une
augmentation significative des capacités mondiales de retraitement.
Aux taux actuels de consommation, l’AIEA
et l’OCDE pensent que la demande d’uranium
peut être couverte par les gisements connus
pendant 83 années encore. Ce chiffre diminuera
proportionnellement en cas de consommation
croissante.15 L’OCDE, qui s’attend à une hausse
de la demande d’uranium fraîchement extrait à
partir de 2020, a répertorié un total de 43 pays,
disposant de ressources d’uranium exploitables.
9 AIEA, loc. cit. p. 61.
10Un cycle de combustible fermé est un cycle dans lequel le combustible de réacteur est produit à partir d’uranium
naturel, alimenté dans un réacteur, puis « brûlé » et ensuite retraité pour être utilisé à nouveau comme combustible.
Un cycle de combustible est ouvert lorsque le combustible ne traverse le réacteur qu’une seule fois. Les éléments de
combustion brûlés ne sont pas retraités par la suite, mais stockés.
11Une multitude d’informations utiles sur l’uranium, le cycle de combustible et les installations de traitement de
l’uranium dans le monde entier se trouvent sur le site internet de WISE Uranium Project. Cf. : www.wise-uranium.org
12http://www.iaea.org/Publications/Reports/Anrep2008/fuelcycle.pdf
Les données reposent sur le dénommé « Red Book », guide publié tous les deux ans par l’AIEA et l’OCDE. La source
mentionnée ci-dessus se base sur l’édition 2008, la version 2010 n’étant pas encore publiée. Les données du
« Red Book » sont en outre disponibles en ligne, régulièrement actualisées et de grande qualité à l’adresse :
http://www.wise-uranium.org/umaps.html
13 Ibid.
14 L’« appauvrissement » consiste – pour simplifier – à mélanger de l’uranium hautement enrichi avec un autre uranium
jusqu’à obtention d’un uranium faiblement enrichi.
15 Dans ses prévisions optimistes avant la crise financière de 2008, l’AIEA prévoyait que la production d’électricité
nucléaire pourrait doubler et passer de 372 GW(e) en 2008 à 748 GW(e) d’ici 2030. On s’attend à une construction
massive de nouveaux réacteurs. Cf. ibid. p. 26. Le second rôle de l’AIEA, la promotion de l’utilisation de l’énergie
nucléaire, se reflète aussi bien dans des scénarios optimistes de ce genre que dans les déclarations encore plus
optimistes sur les réserves d’uranium économiquement exploitables, et par conséquent, sur les perspectives de
disponibilité du combustible nucléaire.
2. Les installations nucléaires civiles – bref aperçu
Les deux organisations prévoient une hausse
significative de l’utilisation de l’énergie nucléaire.
Différentes technologies peuvent être
employées pour enrichir de l’uranium. La technologie la plus répandue est l’enrichissement à
l’aide de centrifugeuses à gaz. On utilise toutefois
aussi la diffusion gazeuse, la séparation électromagnétique des isotopes et le dénommé procédé
Becker. Les cinq puissances nucléaires traditionnelles, les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni,
la France et la Chine exploitent des installations
d’enrichissement à des fins civiles et l’ont également fait à des fins militaires.16 Le Pakistan
pratique également l’enrichissement à des fins
militaires et civiles.17 L’Allemagne, les Pays-Bas,
le Japon et l’Afrique du Sud exploitent des installations d’enrichissement commerciales à des fins
civiles. De la recherche en laboratoire ainsi que
des installations d’enrichissement à l’essai ou de
petite taille, existent en Australie et en Corée du
Sud. L’Iran développe actuellement sa capacité
d’enrichissement, qui se compose de plusieurs
installations dont on soupçonne qu’elles serviront dans le futur à un programme militaire.18
La Corée du Nord est soupçonnée de posséder
un programme d’enrichissement militaire non
déclaré. En mai 2006, le Brésil a mis en service
les premières centrifugeuses d’une petite installation commerciale d’enrichissement d’uranium,
13
laquelle est configurée de manière à pouvoir enrichir de l’uranium jusqu’à 5% ; il serait néanmoins
possible de l’adapter à la production d’UHE.
Des conflits avec l’AIEA, qui surveille l’installation, ont existé quant à l’accès que le Brésil doit
garantir à l’organisation, pour la surveillance de
la technologie des centrifugeuses employées.19
L’installation opère à l’essai depuis 2009.
Le combustible usé des réacteurs doit être
soit stocké sur une longue durée20, soit retraité
dans des installations exploitées commercialement en Grande-Bretagne, en France et en
Russie. Le Japon est depuis 2008 le premier État
non nucléaire à exploiter une installation de
retraitement commerciale.21
Les installations de retraitement utilisent une
version moderne du procédé PUREX, qui permet
entre autres le recyclage de l’uranium à partir
des éléments de combustibles usés et la séparation du plutonium de réacteur fabriqué durant le
processus. On trouve des installations de retraitement militaires, qui séparent le plutonium
pour des armes nucléaires, non seulement dans
les cinq EDAN, mais aussi en Israël, en Inde, au
Pakistan et en Corée du Nord.
Certains des pays qui exploitent des centrales nucléaires civiles, comme l’Allemagne, la
16 L
a Chine, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et les États-Unis n’enrichissent plus d’uranium
à des fins militaires.
17 L’Inde et Israël ont lancé des programmes d’essai d’enrichissement ; leurs armes nucléaires ont toutefois été
fabriquées à base de plutonium.
18 L’Iran a construit dans un premier temps une installation d’essai utilisée depuis pour tester trois types différents de
centrifugeuses. Une installation d’enrichissement de taille plus importante est en construction et doit accueillir jusqu’à
50.000 centrifugeuses. Plusieurs milliers de centrifugeuses, on déjà enrichi de l’uranium à moins de 5%. À l’avenir,
l’uranium sera enrichi à 20% afin de pouvoir alimenter un réacteur de recherche iranien. L’Iran a d’autre part
annoncé sa volonté de construire jusqu’à dix nouvelles installations de plus petite taille, dont une est en construction.
Vu la violente querelle autour du programme nucléaire iranien, il n’est pas sûr que la construction, peu judicieuse en
fait sur le plan économique comme technique, d’une multitude d’installations plus petites, ne soit pas liée au désir de
Téhéran de rendre la destruction de ses sites nucléaires par des attaques aériennes, plus difficile.
19 Le Brésil craint un soi-disant espionnage technologique lié à sa volonté de développer des centrifugeuses capables
d’enrichir l’uranium de manière bien plus efficace et moins coûteuse. Il argumente que l’AIEA peut tout à fait exercer
ses misions de contrôle sans connaître tous les détails techniques de la technologie.
Cfr. http://www.gigahamburg.de/dl/download.php?d=/content/publikationen/pdf/gf_lateinamerika_0606.pdf
Concernant la situation actuelle, cfr. http://www.swp-berlin.org/common/get_document.php?asset_id=6948
20 Le cycle de combustible reste ouvert, le procédé est appelé « once through » (stockage direct sans traitement).
21Cf. http://www.sckcen.be
L’installation de retraitement à Rokasho-Mura peut traiter 800 tonnes de combustible par an. Pour empêcher le risque
de la prolifération, le plutonium séparé est transformé sur place en oxyde mixte (MOX).
14
Belgique, la Suisse et les Pays-Bas, envoient leur
combustible irradié à l’étranger pour le retraitement. Le plutonium de réacteur y est séparé
et soit renvoyé, soit entreposé temporairement
à titre fiduciaire, ou encore acheminé dans une
autre installation pour y être converti en oxyde
mixte (MOX). Le plutonium séparé est stocké
par bon nombre de pays développés soit sur leur
propre territoire soit dans les pays qui prennent
en charge le retraitement.22 L’entreposage dans les
ENDAN est soumis aux « garanties » de l’AIEA.23 Il
en est de même pour les installations de fabrication de MOX. Les sites nucléaires des EDAN ne
sont soumis à une surveillance internationale
que si le pays concerné l’approuve expressément. La plupart des pays en développement qui
exploitent des centrales nucléaires ne font pas de
retraitement. Ils stockent le combustible usé ou
le renvoient aux pays fournisseurs. C’est le combustible usé qui est à la base de la majorité du
plutonium présent aujourd’hui dans le monde. Si
aucune décision ne se prend sur le devenir de ces
déchets hautement radioactifs et dangereux, il
devient difficile d’évaluer avec certitude un éventuel nouveau risque de prolifération à long terme.
La Belgique, la France, la Grande-Bretagne,
l’Inde et le Japon produisent du combustible
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
MOX commercial. L’utilisation du MOX permet
de limiter les stocks de plutonium séparé, et par
ailleurs d’utiliser le plutonium additionnel dans
le cycle du combustible. Les pays qui utilisent
ce genre de combustible sont la Belgique, l’Allemagne24, la Suède et la Suisse. On sait que la Chine
l’envisage. Le Japon et la Russie ont l’intention
d’exploiter des surgénérateurs rapides avec du
combustible MOX. L’Allemagne avait prévu à un
moment donné la production à grande échelle de
combustible MOX, mais a entre-temps supprimé
les installations pilotes et aussi les installations
commerciales de production de MOX. La Russie
et les États-Unis s’engagent dans la production
de MOX pour réduire leurs stocks de plutonium
militaire.
En 2004, le combustible UHE était encore
utilisé dans quelque 130 réacteurs de recherche,
chiffre resté à peu près le même jusqu’en 2010.25
Parmi eux, on retrouve le seul réacteur allemand
de recherche, Garching II26, actuellement exploité
avec de l’uranium enrichi à 93%. L’utilisation du
combustible UHE dans ce genre de réacteurs
a suscité des craintes en matière de sécurité et
de prolifération pendant un certain temps, parce
que le combustible UHE est assez simple à manipuler avec des risques comparativement limités
22 P
arce que les installations de retraitement disponibles ne traitent qu’un tiers environ des combustibles usés par an et
que les installations MOX disponibles ont une capacité encore plus faible, le surplus de plutonium est temporairement
entreposé sous forme d’éléments de combustible. Ceux-ci ainsi que les niveaux de plutonium séparé et entreposé ne
cessent d’augmenter.
23 Pour les États membres de l’EURATOM, c’est EURATOM et non l’AIEA qui prend en charge les mesures de garanties
dans les installations nucléaires civiles. Ces pays appliquent donc leurs propres réglementations dans un cadre de
collaboration multilatérale.
24 La condition préalable pour utiliser cette méthode d’élimination du plutonium est l’existence de réacteurs à eau
légère opérationnels ou de surgénérateurs rapides compatibles avec le MOX. La durée d’exploitation restante des
réacteurs allemands compatibles avec le MOX ne suffira sans doute pas à écouler tout le plutonium disponible jusqu’à
la sortie du nucléaire décidée par la politique. Ce qui veut dire qu’il faut examiner des possibilités et des technologies
supplémentaires de stockage final.
25Cf. http://www.iaea.org/NewsCenter/Features/ResearchReactors/security20040308.html
L’AIEA offre des données actuelles sur le statut de chacun des réacteurs de recherche sur le site :
http://www.iaea.org/worldatom/rrdb/
Il semble qu’il en existe un nombre équivalent (environ 130) en service en 2010. Cf. la discussion sur le nombre
de réacteurs de recherche dans : Matthew Bunn : Managing the Atom 2010, Harvard University/Nuclear Threat
Initiative, April 2010, p. 43/44. Cf. http://www.nti.org/e_research/Securing_The_Bomb_2010.pdf
26 À l’encontre des demandes pressantes des États-Unis, le réacteur Garching II est exploité depuis 2004 avec de
l’uranium à 93% importé de Russie. Il doit être modernisé au cours de l’année – là où c’est techniquement possible.
Sachant qu’on ne dispose jusqu’ici d’aucune alternative en matière de combustible, permettant une source de
neutrons d’énergie similaire, le réacteur continue d’être exploité avec de l’UHE. Les recherches se poursuivent sur des
combustibles uranium-molybdène avec un degré d’enrichissement plus faible (jusqu’à 60%). On suppose désormais que
ces combustibles pourraient être utilisés pour la première fois le cas échéant vers la fin de cette décennie.
2. Les installations nucléaires civiles – bref aperçu
et parce que de nombreux réacteurs de recherche
ne disposent pas de systèmes de sécurité élaborés. Des quantités considérables de combustible
UHE usé sont toujours stockées dans ou près
des réacteurs de recherche mis à l’arrêt. La
déconstruction de plus de la moitié des quelques
380 réacteurs déclassés jusqu’à 2004 n’est pas
achevée à l’heure actuelle.27
Les éléments du cycle de combustible civil qui
contribuent le plus à la prolifération cycle sont :
 les technologies et installations d’enrichissement d’uranium ;
15
 les combustible UHE pour les réacteurs de
recherche et réacteurs navals ;
 les réacteurs de recherche et centrales
nucléaires qui peuvent fabriquer du plutonium ;
 les installations de retraitement permettant la séparation de plutonium et les technologies
qu’elles utilisent ;
 les entrepôts pour le plutonium militaire
séparé et le plutonium de réacteur ainsi que pour
l’uranium hautement enrichi ;
 les installations de recherche et de traitement pour la fabrication d’autres matériaux à
des fins militaires tels que le tritium ou le polonium-210.
27Cf. http://www.iaea.org/NewsCenter/Features/ResearchReactors/security20040308.html
L’AIEA offre des données actuelles sur le statut de chacun des réacteurs de recherche sur le site :
http://www.iaea.org/worldatom/rrdb/
© Hemera
16
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
3. Les états comme risque de prolifération
Les risques de prolifération liés aux cycles
de combustibles nucléaires civils peuvent être
divisés en deux groupes. Le premier comprend
les risques résultant d’une perte de contrôle
d’un programme nucléaire civil. Les matériaux
nucléaires, la technologie ou le savoir-faire peuvent être volés et emmenés à l’étranger dans le
but de soutenir un programme militaire dans un
autre pays. Le vol d’Abdul Q. Khan de la technologie de centrifugation pour l’enrichissement
de l’uranium en 1974 chez URENCO (Uranium
Enrichment Company) aux Pays-Bas en est
l’exemple le plus célèbre. Les activités ultérieures
de son réseau, qui a fourni le savoir nucléaire
ainsi que la technologie et l’équipement à l’Iran,
la Libye et la Corée du Nord, montrent comment
un bénéficiaire de la prolifération peut lui-même
devenir proliférateur.28 De plus : il n’y a pas que
les matériaux nucléaires, la technologie et le
savoir-faire qui peuvent « migrer », mais aussi le
personnel spécialisé bien formé (dont le mot clé
est « la fuite des cerveaux »). Les différents risques
de prolifération peuvent survenir isolément, mais
également de manière combinée.
La deuxième forme de risque de prolifération s’appuie sur les mêmes composants : les
matières nucléaires, la technologie, le savoir-faire
et les spécialistes. Un programme nucléaire civil
existant peut en plus servir à développer un programme de mise au point d’armes atomiques.
Dans ce cas, un état suit l’option militaire et utilise en priorité ses sources d’approvisionnement
nationales. Seules ces ressources n’existant pas
dans le pays et ne pouvant pas y être fabriquées
sont importées.
Pour développer la capacité à construire des
armes nucléaires, les intéressés peuvent suivre
deux voies. Ils peuvent tenter de fabriquer une
arme soit à base d’uranium, soit de plutonium.
Dans les deux cas il leur faut une quantité significative de matière fissile. Selon l’AIEA il faut au
minimum 25 kg d’uranium hautement enrichi
28 Cf. Egmont R. Koch : Atombomben für Al Qaida, Berlin 2005.
3. Les États comme risque de prolifération
(UHE contenant 90% ou plus d’U-235) ou 8 kg
de plutonium pour fabriquer une arme nucléaire
simple, mais fonctionnelle.29
Les pays qui ont construit les deux types
d’armes nucléaires sont les États-Unis, l’URSS, la
Grande-Bretagne, la France, la Chine et le Pakistan. Israël, l’Inde et éventuellement la Corée
du Nord ont construit leurs premières armes
nucléaires en ayant eu recours au plutonium. Le
seul pays à avoir utilisé exclusivement de l’uranium et construit avec succès sa première arme
atomique est l’Afrique du Sud. On accuse l’Iran
de vouloir s’engager dans la même voie.
Le plutonium est un produit dérivé de l’irradiation de l’uranium dans différents types de
réacteurs. En fonction du type de réacteur et de
la durée d’irradiation du combustible, différentes
quantités de plutonium militaire (il renferme plus
de 95% des isotopes fissiles Pu 239 et Pu 241) et/
ou du plutonium de réacteur (contenant « seulement » 67% environ de ces isotopes) peuvent être
produites. En principe, les deux peuvent être utilisés pour la construction d’armes, le plutonium
de réacteur « dans une moindre mesure » toutefois. Avant de pouvoir servir à la fabrication d’une
bombe atomique, le plutonium doit être séparé
du combustible de réacteur irradié dans des
installations chimiques de retraitement. L’UHE
au contraire est produit dans des installations
d’enrichissement utilisant différentes technologies. L’enrichissement par centrifugation est la
méthode la plus répandue à ce jour.
Les programmes de construction d’armes
nucléaires peuvent être divisés en deux catégories. D’abord, les programmes nucléaires qui dès
le début ont un objectif militaire. C’est la façon
dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union
17
Soviétique et la Chine ont acquis leurs armes
nucléaires. Ensuite, les programmes au départ
civils et dont l’aspect militaire a été poursuivi de
manière implicite d’emblée ou plus tard de façon
dissimulée. Il est souvent difficile d’évaluer si les
programmes civils ont dans leur phase initiale,
des objectifs militaires ou exclusivement civils.
Parmi les pays qui semblent avoir développé des
programmes militaires en les masquant par des
programmes civils, on trouve la France, l’Inde,
Israël, la Corée du Nord et l’Afrique du Sud.
Le besoin d’installations nécessaires au cycle
de combustible est défini par chaque pays selon
la méthode choisie pour acquérir une capacité militaire. Un pays qui veut construire une
arme à l’uranium aura besoin d’une installation d’enrichissement, mais pas nécessairement
d’une centrale de retraitement avec la possibilité de séparer le plutonium. Il ne s’intéressera
pas forcément non plus aux types de réacteurs
particulièrement adaptés à la production de
plutonium militaire, comme les réacteurs à eau
lourde. Inversement, les pays souhaitant fabriquer
une arme au plutonium développeront plutôt ce
genre de réacteurs ainsi que des installations de
retraitement, tout en ne souhaitant pas posséder
nécessairement une installation d’enrichissement
d’uranium, puisqu’ils peuvent obtenir le plutonium nécessaire à partir de réacteurs appropriés
ou même d’uranium naturel. C’est pourquoi, les
pays qui veulent développer une capacité militaire nucléaire en utilisant une seule de ces deux
possibilités peuvent se limiter à un cycle de combustible ouvert, tandis que les pays qui préfèrent
disposer des deux options se concentreront principalement sur un cycle de combustible fermé. Un
grand nombre de pays ont, dans le passé, essayé
de développer les deux méthodes ou de préserver
leur possibilité de choix.
29 Tous les experts sont d’accord pour dire que ces quantités sont trop élevées, si un acteur devait accéder à la
technologie moderne pour construire un explosif nucléaire sophistiqué. Dans le cas du plutonium, on considère que
4 kg seraient suffisants. Le Ministère américain des affaires étrangères se référait également à cette quantité lorsqu’il
annonçait, à l’occasion du Sommet sur la sécurité nucléaire à Washington en 2010, que les États-Unis et la Russie
avaient conclu un nouveau protocole élargissant un accord antérieur sur la future utilisation non militaire de
34 tonnes de plutonium par pays, devenu inutile à l’usage militaire. Le total de 68 tonnes de plutonium est la quantité
équivalente à 17.000 têtes nucléaires, selon le communiqué de presse du 13.4.2010.
Cf. http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2010/04/140097.htm
18
Peu de temps après que les États-Unis aient
lancé le programme de coopération nucléaire
civile « Atomes pour la paix », se sont exprimées
des craintes quant à l’éventualité d’un déploiement trop vaste de la technologie nucléaire,
donnant ainsi à trop de pays l’opportunité de
chercher à fabriquer l’arme nucléaire. En 1963,
le Ministère américain de la défense, dirigé par
Robert McNamara, estimait qu’onze pays supplémentaires pourraient acquérir l’arme atomique
en l’espace d’une décennie, suivis par beaucoup
d’autres en peu de temps. Lorsque le Traité de
non-prolifération fut négocié, dans la seconde
moitié des années 1960, l’objectif était de ne pas
se laisser développer la situation d’un monde
comptant 20 ou 30 puissances nucléaires – un
argument très utilisé à l’origine de ce traité qui
reste toujours d’actualité.
Compte tenu du nombre de programmes
nationaux nucléaires civils, mais aussi potentiellement militaires, le Traité de non-prolifération
(TNP), combiné aux contrôles de l’AIEA, aux
régimes de contrôle des exportations du Groupe
des fournisseurs nucléaires30 et du comité Zangger31, ainsi que des pressions diplomatiques et
des garanties politiques de sécurité, s’est montré
étonnamment efficace. À part Israël et l’Inde,
résolus déjà au moment de l’entrée en vigueur
du TNP, de fabriquer des armes atomiques, seuls
l’Afrique du Sud32, le Pakistan et peut-être la
Corée du Nord y sont parvenus jusqu’ici.
Les efforts nationaux et internationaux entrepris jusqu’ici afin d’empêcher de nouveaux pays33
de fabriquer des armes atomiques, prouvent bien
que la tâche est loin d’être facile. Bien qu’il ait été
contenu, le risque de prolifération n’a cependant
pu être éliminé. La découverte d’un programme
nucléaire secret en Irak et l’expérience acquise
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
avec la Corée du Nord montrent qu’une amélioration du système de surveillance est nécessaire
à l’avenir si l’on veut maintenir l’efficacité du
régime de non-prolifération face à ce danger. Les
expériences gagnées avec des programmes militaires réussis et contrôlés montrent que :
 Premièrement : à l’heure actuelle, les
risques de prolifération les plus importants se situent
dans le secteur des technologies d’enrichissement
de l’uranium, de retraitement et de séparation du
plutonium, la fabrication de plutonium et les réacteurs à l’UHE.
 Deuxièmement : les programmes nucléaires
civils ont à chaque fois joué un rôle dans la prolifération, comme couverture et comme soutien aux
programmes militaires. Ils rendent l’évaluation des
intentions réelles d’un pays difficile.
 Troisièmement : les contrôles de sécurité
et d’exportation mis sur pied dans les années 1960
et 1970 et étendus jusqu’à un certain point dans les
années 1990, sont aujourd’hui insuffisants pour
empêcher avec certitude la transition d’un pays
d’un programme civil à un programme militaire.
 Quatrièmement : tous les pays poursuivant
des activités nucléaires forment du personnel avec
le temps et disposent de capacités techniques leur
permettant de s’appuyer de plus en plus sur leurs
capacités nationales et de moins dépendre d’une
aide extérieure. Le progrès technologique contribue à ce développement dans la mesure où de
plus en plus de pays sont à même de fabriquer des
équipements nucléaires à des normes que seuls
les pays industrialisés étaient capables de remplir
auparavant.
 Cinquièmement : le concept qui consiste
à empêcher la prolifération de la technologie
nucléaire à des fins militaires mais à encourager dans le même temps l’utilisation de l’énergie
nucléaire civile, connaît une crise profonde.
30 L
e groupe des pays fournisseurs les plus importants de matière et de technologie nucléaires, actuellement 45 états.
31 Le comité Zangger, qui assiste à Vienne l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), établit depuis 1974
des listes de matériau fissile et de marchandises pertinentes au niveau nucléaire dont l’exportation présuppose des
mesures de sûreté au sein de l’état destinataire.
32 L’Afrique du Sud a de nouveau renoncé à ses armes nucléaires.
33 S’informer sur les programmes nucléaires nationaux :
http://www.globalsecurity.org/wmd/world/index.html ; http://www.nti.org/e_research/profiles/index.html
© iStockphoto
Overview and Trends
19
4. Les risques liés aux acteurs non étatiques
À la fin des années 1960, les acteurs non
étatiques étaient déjà considérés comme un
problème de prolifération et de sécurité. Les
experts savaient qu’il était possible de fabriquer une arme nucléaire rudimentaire à partir
d’informations accessibles au public.34 En 1975,
une étude de la CIA statuait : « la possibilité que
des terroristes trouvent des armes nucléaires
constitue l’obstacle le plus important aux
efforts politiques visant à contrôler la prolifération. C’est aussi l’aspect le plus irritant et le
plus extrême du potentiel de diversification des
acteurs nucléaires. On peut s’attendre à ce que la
disponibilité accrue des matériaux nucléaires et
de la technologie, qui a permis l’accès des pays
en développement aux explosifs nucléaires,
les mettent tôt ou tard à la portée des groupes
terroristes. [...] Les terroristes nucléaires qui
par définition opèrent en dehors des procédures gouvernementales officielles, échappent
complètement aux contrôles politiques inter-
nationaux. Les garanties de l’AIEA par exemple,
ne comportent aucun dispositif contre le vol de
matériaux dans un complexe de réacteurs par
des terroristes».35
Cette inquiétude s’exprime davantage publiquement depuis la dissolution de l’Union
Soviétique. Devant l’immense infrastructure
nucléaire, la crainte de risques massifs de prolifération a grandi. Si l’Union Soviétique autoritaire
avait contrôlé de manière très stricte ses matières
nucléaires, son savoir-faire et les techniciens –
villes fermées, limitations de circulation strictes
et surveillance par l’armée et le KGB –, il semblait
peu vraisemblable que de telles mesures perdurent efficacement après son effondrement ou
qu’elles soient maintenues par les états succédant à l’URSS. Depuis 1991, un niveau d’attention
considérablement plus grand est accordé aux
dangers liés à l’éventualité que des matériaux,
des technologies voire même des ogives com-
34 U
niversité de Californie, Laboratoire de radiation Lawrence : Rapport de synthèse, Nth Country Experiment, UCLR 50249,
Livermore, CA, Mars 1967 (classification d’origine : SECRET, en partie publié dans le cadre de la loi FOIA, 4.1.1995).
35Central Intelligence Agency: Managing Nuclear Proliferation: The Politics of Limited Choice. Research Study.
Langley VA, 1975 (classification d'origine : SECRET/NOFORN, en partie déclassée 21.8.2001), p. 29.
20
plètes, ne tombent aux mains de terroristes ou de
groupes criminels organisés. 36
4.1 Des armes nucléaires
aux mains de terroristes
En théorie, les terroristes pourraient aussi se
procurer des armes nucléaires. Il leur faudrait
soit les fabriquer, les acheter, les voler ou encore
les recevoir en cadeau. Si leur intention était de
fabriquer une arme, alors ils auraient à produire,
acheter ou voler les matériaux nécessaires.37 Produire les matériaux eux-mêmes, les confronterait
aux mêmes difficultés qu’un état qui cherche à
devenir une puissance atomique. Les acteurs
non étatiques n’étant pas des pays avec un territoire propre, ils auraient besoin d’un état pour
les héberger et de l’infrastructure nécessaire – ce
qui se ferait de manière délibérée ou parce que
l’état ne contrôle pas totalement son territoire. La
fabrication d’une arme nucléaire est un parcours
parsemé d’obstacles considérables. Même si un
groupe terroriste parvenait à acquérir la matière
fissile indispensable, en l’achetant ou en la volant,
il aurait encore besoin de concepts d’armes, de
fusées de précision en état de marche et d’autres
composants difficiles à se procurer. Il est peu
vraisemblable que des terroristes parviennent
à surmonter rapidement ces problèmes de différentes natures. La possibilité que des groupes
terroristes fabriquent une bombe atomique à
partir de matériaux qu’ils auraient produits reste
pour l’instant plutôt lointaine. Les chances de
réussite sont plus grandes en coopérant avec
un état (ou ses services secrets) possédant déjà
des armes ou les matériaux nucléaires et mili-
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
taires. L’accès au savoir-faire et la collaboration
avec du personnel bien formé rendraient également la tâche plus facile. Toutefois, s’il avérait
qu’une puissance nucléaire soit prête à collaborer étroitement avec une organisation terroriste,
il faudrait se poser la question suivante : pourquoi
cet état ne lui fournit-il pas directement l’arme
complète ?38
Des terroristes en possession d’une véritable
arme nucléaire représenteraient un énorme danger. Les experts sont toutefois d’accord pour dire
que l’éventualité que des terroristes possèdent
une arme en état de marche ou qu’ils puissent en
acquérir, est relativement faible.
4.2 Des bombes sales
aux mains de terroristes
Un scénario dans lequel des terroristes ou
des groupes criminels organisés fabriqueraient
et utiliseraient une bombe atomique sale est plus
vraisemblable. Une bombe sale contient de la
matière radioactive qui est dispersée par un dispositif explosif conventionnel. Elle ne provoque
pas de réaction en chaîne incontrôlée. On peut
imaginer une voiture piégée conventionnelle avec
quelques douzaines ou centaines de grammes de
substances radioactives. L’explosion ferait certainement des blessés et des morts et entraînerait
la contamination radioactive des zones avoisinantes; l’effet d’une bombe sale serait avant tout
psychologique.39 Une simulation, ayant pour but
d’examiner les répercussions de l’explosion d’une
bombe sale contenant deux tonnes d’explosifs
dans le centre-ville de Washington, a permis de
36Cf. Siegfried Fischer, Otfried Nassauer (éditeur) : Die Satansfaust, Berlin 1993, p. 315 et suivantes. Graham T.
Allison et al. : Avoiding Nuclear Anarchy, Containing the Threat of Loose Russian Nuclear Weapons and Fissile
Material, Cambridge/Londres 1996. Jessica Stern : The Ultimate Terrorists, Cambridge/Londres 1999.
37 C’est pourquoi, les installations de recherche fonctionnant à l’UHE et leurs réserves d’UHE non encore irradié,
sont considérées comme un risque important pour la sécurité.
38Compte tenu de l’expertise nucléaire moderne, apporter la preuve qu’un état ait mis à disposition de terroristes
les matières nucléaires et le savoir-faire comporte à peine moins de risque que celle de leur avoir fourni une arme
nucléaire. L’expertise nucléaire permet de déterminer la centrale dans laquelle la matière nucléaire employée a été
fabriquée ou transformée.
39 L’explosion d’une bombe sale dans un centre de décision économique et politique comparativement bien sécurisé,
nourrirait de sérieux doutes quant aux capacités des autorités du gouvernement et de l’état à remplir une de leurs plus
importantes missions : garantir la sécurité des citoyens. L’événement – indépendamment des dommages réels limités –
susciterait en outre une énorme incertitude, parce qu’une contamination radioactive n’est pas perceptible, mais reste
extrêmement dangereuse.
4. Les risques liés aux acteurs non étatiques conclure qu’une zone de la taille d’un bloc d’habitations subirait des dommages sévères et peut-être
permanents. D’autres simulations ont conclu que
les dommages s’étendraient à plusieurs blocs d’habitations ou même à tout un quartier.
Toutefois, un obstacle majeur à la fabrication
de ces armes réside dans les difficultés de manipulation des matériaux radioactifs. Sachant que
l’impact d’une telle arme – à part l’effet immédiat de l’explosion – dépend essentiellement de
la radioactivité et de la toxicité des matériaux
utilisés, les matières radioactives présentent un
risque tout aussi élevé pour ceux qui fabriquent,
manipulent ou utilisent la bombe. Le niveau de
dangerosité pour les terroristes est proportionnel
à l’efficacité radioactive et/ou toxique de l’arme
qu’ils veulent fabriquer. C’est sans doute une des
raisons principales au fait qu’aucune arme sale
n’ait été employée jusqu’à présent.
Il est assez peu probable que pour la fabrication de ce genre de bombe, des terroristes utilisent
des matériaux radioactifs des installations prenant
part au cycle du combustible nucléaire civil. L’acquisition des matériaux n’est pas toujours simple ;
la manipulation est souvent assez difficile et la
plupart du temps très dangereuse. Il existe plusieurs autres matériaux beaucoup plus faciles à
acquérir et qui conviennent tout aussi bien aux
exigences d’une bombe sale voire même mieux
que l’UFE, l’UHE ou encore le plutonium de réacteur. Les matériaux radioactifs tels que le césium
137, le cobalt 60, le strontium 90, le crypton 85 ou
l’américium 241 sont beaucoup plus facilement
accessibles et plus appropriés puisqu’ils sont largement utilisés dans le domaine civil, comme par
exemple dans les hôpitaux, l’industrie, les tests sur
les matières et les tests d’étanchéité ou dans les
détecteurs de fumée
21
4.3 La contrebande de matières nucléaires
Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique,
il a été fait état d’un grand nombre de pertes et
de découvertes de matières nucléaires et d’un
nombre équivalent de cas de contrebande. Les
criminels ordinaires, les membres du crime organisé, les terroristes mais aussi les services secrets
et les autorités de polices ont montré un grand
intérêt pour ce sujet – tout comme les médias. Il
s’est alors avéré difficile de faire la différence entre
les tentatives réelles de trafic illégal, les opérations frauduleuses et trompeuses ou des cas de
contrebande falsifiés. L’analyse des documents
médiatiques ne nous dit pas grand-chose sur l’impact réel de la contrebande sur la prolifération
nucléaire. Une source plus fiable d’évaluation d’un
commerce nucléaire illégal est la banque de données sur le trafic illicite établie par l’AIEA en 1995.
Plus de 650 incidents ont été officiellement confirmés par l’agence entre 1993 et 2004. Plus de 60%
de ces cas concernaient des matériaux radioactifs
non fissiles tels que le césium 137, le strontium
90, le cobalt 60 ou l’américium 241. La plupart
de ces matériaux soulèvent des inquiétudes en
raison du fait qu’ils pourraient servir à des opérations terroristes ou criminelles, puisqu’ils peuvent
être utilisés dans des dispositifs dispersant de la
radioactivité ou dans des bombes sales. Environ
30% de tous les cas impliquaient des matières
nucléaires telles que l’uranium naturel, l’uranium
appauvri, le thorium et l’UFE.
Des matières nucléaires à usage militaire étaient
présentes dans 18 cas. Il s’agit des cas les plus
importants d’un point de vue de la prolifération. Sept incidents impliquaient du plutonium,
dont six dans des quantités allant de moins d’un
gramme jusqu’à dix grammes. Le septième cas,
concernant plus de 363,4 grammes de plutonium, a eu lieu à l’aéroport de Munich en août
1994. Les autorités russes et les services de renseignements allemands y étaient mêlés.40 Onze
40 A
près que Der Spiegel ait fait de l’incident d’août 1994 la une de son magazine
(cf. http://www.spiegel.de/spiegel/print/index-1994-34.html), celui-ci rapportait en avril 1995 le développement
du BND (les services de renseignements allemands) intitulé « Panik made in Pullach »
Cf. http://www.spiegel.de/spiegel/print/d-9181696.html. Le Bundestag a nommé une commission d’enquête afin
d’éclaircir les circonstances de l’incident. Cf. http://dipbt.bundestag.de/dip21/btd/13/013/1301323.asc
22
autres cas concernaient de l’uranium hautement
enrichi dans des quantités allant de moins d’un
gramme jusqu’à plus de 2,5 kg. Il semble que
dans la plupart de ces cas, des échantillons en
vue de contrats plus importants, aient été saisis.41
Fin 2008, le nombre de cas confirmés de possession illicite, de perte ou de vol et autres incidents
illégaux touchant des matériaux nucléaires était
passé à 1.562. Du plutonium ou de l’UHE étaient
présents dans 15 de ces cas. Pour une grande partie d’entre eux, il s’agissait de petites quantités,
mais aussi de kilos pour quelques-uns. L’AIEA
n’a plus fait de rapports sur les détails de ces cas
mais a reconnu que la majorité des plus célèbres
d’entre eux étaient des « offres » n’ayant pas
trouvé d’acheteurs. Il faut bien sûr tenir compte
de l’éventualité de cas réussis de contrebande
nucléaire et de trafics illégaux qui n’ont pas été
découverts ou déclarés.
4.4 Les acteurs non étatiques et la sûreté
du cycle de combustible
Les terroristes pourraient représenter une
menace sérieuse pour la sécurité des installations nucléaires civiles. Toutefois, on ne connaît
pas d’étude officielle systématique de ces risques.
Quelques aspects du problème ont été mis en
lumière. Dans les années 1990, les États-Unis
ont simulé 75 attaques sur quelques-uns de leurs
réacteurs. Les résultats ont mis à jour de graves
défaillances dans la sécurité. Dans 27 cas, les
attaques auraient pu entraîner un endommagement du cœur du réacteur et la dissémination de
radioactivité.42 En 2003, Greenpeace parvenait à
pénétrer dans la centrale britannique Sizewell,
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
sans rencontrer de résistance.43 Les réacteurs de
recherche des universités, fonctionnant à l’UHE,
posent un problème particulièrement sérieux
parce qu’un grand nombre de personnes doivent souvent y avoir accès et que les dispositifs de
sécurité sur place sont comparativement limités.
Quand des problèmes de sécurité sérieux
surgissent dans des pays industrialisés disposant
des moyens et de la capacité pour investir dans la
sécurité de cette infrastructure sensible, on peut
supposer que dans ces pays au pouvoir financier plus limité, le risque de voir disparaître des
matières nucléaires des réacteurs, laboratoires
et installations nucléaires soit considérablement
plus élevé.
Le risque d’attaques terroristes sur ce genre
d’installations ne doit pas être négligé non plus.
Elles pourraient entraîner la dissémination
d’immenses quantités de matières radioactives,
même sans explosion nucléaire. Il faut considérer la probabilité d’une attaque terroriste sur
des installations nucléaires civiles comme étant
nettement supérieure à celle de voir une arme
tomber dans des mains terroristes, et vraisemblablement encore plus forte que le risque d’utiliser
une bombe sale. L’existence ces dernières années,
de discussions sur la protection des centrales
contre des attaques aériennes montre que ce problème commence à être pris très au sérieux.
4.5 Autres risques de prolifération
En 1977, il fut révélé que le Ministère américain de l’énergie avait déjà mené avec succès en
41 L’AIEA a donné par le passé et jusqu’en 2004, un aperçu détaillé de cas de ce genre, à l’adresse
http://www.iaea.org/NewsCenter/Features/RadSources/Fact_Figures.html
Cette liste n’est plus disponible. Aujourd’hui on trouve des parties importantes de données comparables à l’adresse :
http://www.iaea.org/NewsCenter/Features/RadSources/PDF/fact_figures2005.pdf
Les chiffres de 2004 proviennent de ces sources.
Une représentation actuelle de la situation à partir de 2009 contenant des informations qui ne sont pas directement
comparables peuvent être consultées à l’adresse : http://www-ns.iaea.org/downloads/security/itdb-fact-sheet-2009.pdf
Ces chiffres ne sont pas directement comparables d’abord parce que la méthode de rapport de la banque de données a
été modifiée à partir de 2006, et ensuite parce que le nombre de pays rapportant des incidents est monté à 192 au fil
des ans. Les dernières informations de ce paragraphe proviennent de la source mentionnée ci-dessus.
42 Union of Concerned Scientists: Backgrounder on Nuclear Reactor Security, Cambridge (MA) 2002.
43Greenpeace UK : Greenpeace Volunteers Get into Top Security Nuclear Control Centre, communiqué de presse,
Londres 13.1.2003. Également dans : Daily Mirror, 14.1.2003.
4. Les risques liés aux acteurs non étatiques 1962 un essai souterrain avec une arme atomique
fabriquée à partir de plutonium de réacteur. Il
devint évident à partir de là qu’il était en principe
possible de construire une arme à partir de plutonium « civil », à savoir de plutonium de réacteur.
Une enquête menée au Laboratoire national Los
Alamos en 1990 concluait que des états ou des
groupes terroristes qui tenteraient de construire
une arme à partir de plutonium de réacteur ne
s’affronteraient pas aux mêmes difficultés que
celles rencontrées par des groupes ayant accès
à du plutonium militaire, en termes de degré et
non pas de qualité.44
La guerre contre l’Irak en 2003 révélait un
nouveau risque de prolifération considérable :
lorsque les troupes américaines ont occupé le
pays, elles n’ont pas suffisamment protégé des
pillages la plus importante centrale de recherche
nucléaire du pays. Des sceaux de l’AIEA dans
l’installation avaient été fracturés, de la matière
nucléaire avait disparu et des documents avaient
été volés. L’AIEA a entre-temps sécurisé tous les
matériaux qu’elle a pu retrouver.
23
La dissolution de l’Union Soviétique a montré que des « états défaillants » pouvaient aussi
représenter des risques de prolifération pour la
communauté internationale. Il ne peut y avoir de
garantie à ce que tous ceux des pays exploitant
des réacteurs de recherche ou des programmes
nucléaires civils ne deviennent instables ou ne
s’effondrent jamais – qu’ils perdent à cette occasion le contrôle temporaire ou permanent de
leurs centrales et des matières nucléaires. Que les
« états défaillants » posent un problème de sécurité générale est un fait largement reconnu alors
que l’éventualité qu’ils puissent dissimuler des
risques de prolifération considérables l’est moins.
L’effondrement du Pakistan, puissance nucléaire,
poserait par exemple de sérieux problèmes.
Le Pakistan et le « supermarché nucléaire » du
réseau Khan, y compris la Malaisie, mettent aussi
en évidence qu’un nombre croissant de pays en
développement sont désormais en mesure de
fournir la technologie requise pour des nucléaires
et des armes nucléaires.
44 Département américain de l’énergie : Nonproliferation and Arms Control Assessment of Weapons-Usable Fissile
Material Storage and Excess Plutonium Disposition Alternatives, Washington 1997, pp. 37-39. National Academy of
Sciences : Management and Disposition of Excess Weapons Plutonium, Washington 1994, pp. 32-33.
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
Florian
24
5. Instruments de contrôle et de limitation
de la prolifération
5.1 Les traités importants
Le Traité de non-prolifération (TNP), entré
en vigueur en mars 1970, est la base du système
international de non-prolifération. Il est signé
par presque tous les pays du monde. Seuls Israël,
l’Inde et le Pakistan ne sont jamais devenus
membres. La Corée du Nord s’est retirée de l’accord en 2003.45
Dans son article 2, le TNP contraint les états
non nucléaires46 « à n’accepter de qui que ce soit,
ni directement, ni indirectement, le transfert
d’armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires ou celui du contrôle de telles
armes ou de tels dispositifs explosifs; à ne fabriquer ni acquérir de quelque autre manière, des
armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires
explosifs ; et à ne rechercher ni recevoir une aide
quelconque pour la fabrication d’armes ou autres
dispositifs explosifs nucléaires. »
Réciproquement dans l’article 1, les états dotés
d’armes nucléaires (EDAN) s’engagent, à ne jamais
aider des états non dotés d’armes nucléaires
(ENDAN) à contourner ces engagements, directement ou indirectement. L’article 4 garantit aux
ENDAN le droit d’utiliser l’énergie nucléaire à des
fins pacifiques et d’acquérir les technologies adéquates : « aucune disposition du présent Traité ne
sera interprétée comme portant atteinte au droit
inaliénable de toutes les Parties, de développer la
recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. […] Toutes les
Parties du Traité s’engagent à faciliter l’échange le
plus large possible d’équipement, de matières et
de renseignements scientifiques et technologiques
en vue d’une utilisation pacifique de l’énergie
nucléaire, et ont le droit d’y participer. »
Le traité fait donc la différence entre les états
qui sont toujours autorisés à disposer d’armes
nucléaires (« Haves ») et ceux qui ne le sont pas
(« Have Nots »). On y trouve aussi deux clauses
45 A
yant commis un faux pas en se retirant du TNP, la Corée du Nord continue d’être traitée comme membre non
nucléaire du régime.
46 Le texte du traité ainsi que de nombreux documents relatifs aux efforts internationaux de non-prolifération peuvent
être consultés dans : Ministère fédéral allemand des affaires étrangères : Preventing the Proliferation of Weapons of
Mass Destruction, Key Documents, 2éme édition, Berlin 2006.
5. Instruments de contrôle et de limitation de la prolifération stipulant que cette distinction n’était et n’est pas,
destinée à durer définitivement. La première
clause se trouve dans l’article 6 et contraint les
EDAN « à poursuivre de bonne foi des négociations
sur des mesures efficaces relatives à la cessation de
la course aux armements à une date rapprochée
et au désarmement nucléaire, ainsi que sur un
traité de désarmement général et complet sous un
contrôle international strict et efficace. »
La deuxième apparaît dans l’article 10 en ces
termes : « Vingt-cinq ans après l’entrée en vigueur
du traité, une conférence sera convoquée en vue
de décider si le traité demeurera en vigueur pour
une durée indéfinie […]. »
La conférence de révision du Traité de 1995 a
décidé de prolonger le traité de manière inconditionnelle et illimitée. Cette décision a été rendue
possible par l’adoption dans le même temps d’un
document sur les « Principes et objectifs », luimême complété par un document avec treize
étapes pratiques lors de la conférence suivante en
2000. Ce dernier élaborait pour la première fois, des
objectifs concrets ainsi qu’un plan de travail visant
à renforcer aussi bien la non-prolifération que le
désarmement des états dotés d’armes nucléaires.
Ces décisions ont révélé le facteur important de « compromis » qui était déjà apparu lors
des négociations sur le TNP : les règles strictes
de non-prolifération n’étaient acceptables pour
de nombreux états non nucléaires que parallèlement à des avancées dans le désarmement
– avec l’objectif ultime d’abolir toutes les armes
atomiques. La mise en œuvre des engagements
entre 1995 et 2000 a progressé à un rythme beaucoup plus lent que celui attendu par la majorité
des états. La situation s’est même aggravée lors de
la conférence de révision suivante, en mai 2005 :
les États-Unis de l’administration George W. Bush
font alors clairement fait savoir qu’ils ne se sentent
plus liés aux « Principes et objectifs » et au processus des treize étapes, élaboré en coopération avec
l’administration Clinton. Le gouvernement américain se concentre davantage aujourd’hui sur des
25
initiatives unilatérales afin de renforcer la nonprolifération et n’accepte plus d’autre engagement
lié au désarmement des EDAN. Cette attitude
a profondément remis en question l’idée générale
de « compromis » prôné par le TNP et les accords
sur sa prolongation. La conférence s’est achevée
sans nouvel accord, négligeant un problème lourd
de conséquences pour l’avenir. Est-il possible de
ranimer le régime multilatéral de non-prolifération et si oui, comment ?
Le traité présente en outre quelques faiblesses
spécifiques à la prolifération :
 La distinction entre « Haves » et « Have
Nots » est unique dans le droit international, qui
normalement traite tous les états souverains de
manière équitable. Le prolongement illimité dans
le temps du TNP « perpétue » cette différence de
statut alors qu’en même temps le désarmement
option « zéro » est perdu de vue. C’est pourquoi
de nombreux états non nucléaires ont réagi avec
beaucoup de critiques lorsque le gouvernement
américain a retiré son soutien au « Principes et
objectifs » et au processus des « treize étapes », y
décelant un manque de volonté à désarmer. Ce
conflit peut profondément miner les fondements
du TNP.
 Le traité concède à tous les membres le droit
d’utiliser des technologies nucléaires à des fins
pacifiques. Il contraint les pays en possession de ces
technologies d’en donner l’accès aux pays qui ne les
possèdent pas, mais qui souhaiteraient les utiliser à
des fins civiles, comme la production d’électricité.
Selon le TNP, il est tout à fait légal pour un ENDAN
d’exploiter un circuit de combustible fermé.47 Ce
qui implique toute une série d’installations comportant un risque inhérent de prolifération élevé.
Les propositions de « sauvegardes » additionnelles
et de limitations des exportations pour ces éléments du cycle de combustible – souvent faites ou
soutenues par les « Haves » – renforcent la distinction susmentionnée. Les ENDAN du Sud redoutent
un « Apartheid nucléaire » en ce qui concerne
l’usage civil de l’énergie nucléaire et l’accès aux
technologies avancées.
47 T
outes les installations nucléaires que l’Iran possède par exemple et – pour autant que cela se sache – projette d’avoir,
sont autorisées selon le TNP pour un usage exclusivement civil, si elles peuvent être contrôlées par l’AIEA.
26
 Israël, l’Inde et le Pakistan n’ont jamais
signé le traité mais ont pourtant acquis des armes
nucléaires. Puisque le traité ne permet pas l’adhésion de nouveaux EDAN, le renoncement aux
armes nucléaires serait une condition préalable
à l’adhésion au traité de tous ces états. Ce qui a
peu de chance d’arriver. De nombreux ENDAN
deviennent de plus en plus critiques à l’égard du
fait que ces EDAN soient de fait tolérés comme des
états dotés d’armes nucléaires en dehors du traité
ou reconnus indirectement. Les preuves de cette
tendance les plus citées en exemple sont, l’accord
bilatéral entre les États-Unis et l’Inde négocié
sous George W. Bush et qui devrait permettre aux
deux états d’instaurer une collaboration sur des
projets nucléaires civils, et celui de la politique de
Washington à l’égard d’Israël.48
Le « Traité d’interdiction complète des essais
nucléaires » (TICE) est un autre traité multilatéral qui pourrait avoir des répercussions sur la
prolifération. En février 1963, Robert McNamara
écrivait dans un mémorandum adressé au Président John F. Kennedy : « une interdiction complète
des essais approuvée par les États-Unis, l’URSS et
la Grande-Bretagne serait favorable à un ralentissement de la prolifération [d’armes atomiques]. Il
n’est sans doute pas exagéré d’affirmer qu’il s’agit
là d’une condition nécessaire, insuffisante certes,
de maintenir à un faible niveau le nombre des pays
nucléaires. »49
Un tel traité ne pouvait se conclure qu’après la
Guerre froide. Depuis 1996, 182 pays l’ont signé et
151 l’ont ratifié, parmi eux des états dotés d’armes
nucléaires tels que la Russie.50 Il n’est cependant
pas certain que le TICE entre un jour en vigueur.
Pour cela, il faut que l’ensemble des 44 pays
ayant un programme nucléaire civil ou militaire
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
le ratifient. Un grand nombre de ces pays – parmi
lesquels la République populaire de Chine,
l’Inde*, le Pakistan*, la Corée du Nord*, l’Indonésie, Israël, l’Iran et les États-Unis – ne l’ont pas
encore fait ; trois pays ne l’ont même pas signé.51
Si ce traité entre en vigueur, sa contribution
à la non-prolifération serait de taille. Les pays
fabriquant des armes pour la première fois ne
pourraient savoir avec certitude si le concept
fonctionne comme prévu. Ce qui est particulièrement vrai des armes fabriquées à partir de
plutonium de réacteur.
L’objectif du projet de « Traité interdisant la
production de matières fissiles pour la fabrication
d’armes nucléaires » (TIPMF) est de geler la quantité
de matériaux militaires dans le monde entier, d’interdire la production de nouvelles matières fissiles
militaires afin d’en réduire définitivement le montant. L’idée existe depuis des décennies déjà et bien
que la résolution 1148 de l’Assemblée générale de
l’ONU ait exigé dès 1957 l’arrêt de la production de
matériaux nucléaires militaires, aucunes négociations sérieuses n’ont encore eu lieu à la Conférence
du désarmement des Nations Unies, chargée de
rédiger le traité. Toutefois, celle-ci discute désormais de façon informelle sur de possibles éléments
d’un tel traité. L’année dernière, la création d’un
groupe de travail sur ce thème était adoptée dans
le plan de travail de la Conférence. Mais aucun
progrès sérieux n’a été accompli. Il y a 65 pays qui
participent à la Conférence du désarmement des
Nations Unies et qui doivent trouver un consensus.
Par conséquent, la bonne volonté des puissances
nucléaires, y compris les plus petites, qui continuent d’augmenter leurs stocks militaires et qui
n’ont toujours pas adhéré au TNP, est une condition préalable à toute avancée substantielle.
48 Entre-temps, la Chine et le Pakistan ont signé un traité similaire.
49 Secrétariat de la défense : Memorandum for the President, Subject : The Diffusion of Nuclear Weapons with and
without a Test Ban Agreement, Washington DC 12.2.1963, p. 3 (classification d’origine : SECRET).
50Cf. http://www.ctbto.org/ pour les généralités et http://www.ctbto.org/the-treaty/status-of-signature-and-ratification/
sur le statut des pays ayant signé ou ratifié le Traité.
51 Les états marqués d’un * n’ont ni signé ni ratifié le contrat.
Cf. http://www.ctbto.org/the-treaty/status-of-signature-and ratification/?states=4&region=63&submit.x=17&submit.
y=4&submit=submit&no_cache=1 (statut : déc. 2009). Sous le Président George W. Bush,
le gouvernement américain avait envisagé son retrait de l’accord TIPMF. Le Président Obama a annoncé qu’il visait
la ratification, mais il n’a pas encore la majorité nécessaire au Sénat.
5. Instruments de contrôle et de limitation de la prolifération
En faisant de l’accumulation de stocks d’armes
une violation de droit international, ce genre d’accord, imposerait aux EDAN de limiter la quantité
de matières fissiles disponibles aux stocks existants, et serait pour les ENDAN un instrument
de sûreté supplémentaire. En le combinant avec
des projets déjà existants tels que l’accord entre la
Russie et les États-Unis consistant à transformer
500 tonnes d’uranium militaire russe en UFE, et
celui où chacun s’engage à faire que 34 tonnes
de plutonium soient inutilisables à des fins militaires, on réduirait considérablement les réserves
de matières fissiles militaires sur le long terme.52
Il existe par ailleurs, une proposition de
Traité sur les matières fissiles (Fissile Material
Treaty) qui inclurait aussi les matières nucléaires
potentiellement militaires et qui contraindrait
juridiquement toutes les puissances nucléaires à
réduire leurs stocks.
Dans de nombreuses régions du monde ont
été conclus, conformément à l’article 7 du TNP, des
Traités de zone exempte d’armes nucléaires. Ce
sont des mesures régionales de confiance contre
l’éventuelle prolifération d’armes et de technologies nucléaires, soutenues du côté des puissances
atomiques par des « garanties négatives de sécurité ». Ces garanties sont une promesse politique,
mais non contraignante juridiquement, faite
aux États membres des zones exemptes d’armes
nucléaires, que les états dotés d’armes nucléaires
ne les menaceront ni ne les attaqueront avec leurs
armes.53
D’autres accords multilatéraux traitent de la
sécurité des matières nucléaires militaires et des
questions spécifiques qui y sont liées. On y trouve
par exemple :
27
 sur le plan international, la « Convention sur la protection physique des matières
nucléaires » ouverte en 1980, entrée en vigueur
en 198754, et qui au départ traitait seulement la
sécurité du transport international des matières
nucléaires. Elle a jusqu’ici été ratifiée par 142
pays. En 2005, elle est complétée par un accord
additionnel contenant des engagements pour la
sécurité des sites nucléaires civils, des matériaux
nucléaires et l’entreposage, ainsi que pour le
transport;55
 la « Convention internationale pour la
répression des actes de terrorisme nucléaire » de
2005 ;56
 les accords de mise en œuvre technique
pour la protection des matériaux et dispositifs
nucléaires par l’AIEA, actuellement en phase
finale de révision (INFCIRC 255/Rev.4 (1999) et
Rev.5 (2010)).57
5.2 La non-prolifération grâce
aux « garanties »
Les garanties internationales de non prolifération s’appuient sur l’article 3, alinéa 1 du Traité
sur la non-prolifération. Le principe de base en est
que les ENDAN ne seront autorisés à recevoir des
matériaux nucléaires et la technologie correspondante que s’ils permettent à l’AIEA de vérifier que
leurs programmes poursuivent uniquement des
objectifs pacifiques. La préoccupation majeure
de ces contrôles est donc d’empêcher que les
matières nucléaires d’un cycle de combustible
civil ne se retrouvent dans des circuits militaires.
Le système de surveillance actuel a été développé en deux phases. Pendant la première, une
structure pour la mise en œuvre d’accords de
garanties a été créée et dans la deuxième, ont été
négociées des directives détaillées sur la conduite
52 w
ww.bellona.no/en/international/russia/nuke_industry/co-operation/8364.html
http://www.nti.org/c_press/analysis_ Holgate_INMM%20Paper_061005.pdf
53 D’après la forme (politique, mais non contraignante juridiquement) et le contenu de ces garanties, les états dotés
d’armes nucléaires conservent toutefois l’option de retirer ces garanties le cas échéant.
54Cf.: http://www.iaea.org/Publications/Documents/Infcircs/Others/inf274r1.shtml
55Cf. : http://www.iaea.org/About/Policy/GC/GC49/Documents/gc49inf-6.pdf
56Cf. : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/Res/59/290
57 Toutes les circulaires d’information (INFCIRC) de l’AIEA peuvent être consultées à l’adresse Internet suivante :
http://www.iaea.org/Publications/Documents/Infcircs/index.html
28
des inspections de l’AIEA. L’accord concernant
ce document, la Circulaire d’information 153
(INFCIRC 153) a été obtenu en 1972. Sur base de
celui-ci, des accords de garanties entre l’AIEA et les
différents états ont été conclus et publiés. Ceux-ci
réglementent quand et dans quelle mesure les
états non dotés d’armes nucléaires sont contraints
de fournir à l’AIEA certaines informations sur
leurs installations, matériaux et programmes
nucléaires. Ils autorisent l’AIEA à vérifier l’exactitude des renseignements par le biais d’inspections
effectuées dans le pays membre. Si l’AIEA juge
qu’un pays a pleinement collaboré avec elle et
travaille uniquement sur des projets nucléaires
civils, celui-ci peut continuer à se fournir en
matières nucléaires et en technologie, etc. Si au
contraire l’AIEA juge que des doutes subsistent ou
que des questions quant au programme nucléaire
d’un pays restent sans réponses, elle est autorisée
à mener des investigations supplémentaires soit
pour blanchir le pays de tout soupçon, soit – en
cas de violation des engagements – en faire part au
Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale des
Nations Unies, afin de décider d’une action ultérieure. Début 2008, 163 accords étaient en vigueur
entre l’AIEA et différents pays.58
Après la Guerre du Golfe de 1991, les inspecteurs
de l’AIEA révélaient que l’Irak, pays non nucléaire,
avait pendant des années mené un programme
militaire secret. Le Conseil de sécurité de l’ONU
a autorisé l’AIEA à effectuer des inspections plus
approfondies à la fin de la guerre. La découverte du
programme irakien a conduit à la conclusion que
les accords de garanties actuels ne suffisaient pas
à empêcher un pays de mettre en œuvre un programme secret d’armes nucléaires et que pour faire
face à de tels défis, des contrôles supplémentaires
plus complets étaient nécessaires. Les membres de
l’AIEA ont négocié un « modèle de protocole additionnel » (INFCIRC 540) volontaire sur des mesures
de sécurité élargies. Les pays qui acceptent ce proto-
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
cole autorisent l’AIEA à réaliser entre autres choses,
des inspections supplémentaires dans un délai
bref ou à prélever des échantillons environnementaux. En outre, le protocole contraint les membres
à informer au plus tôt et de manière plus détaillée,
les autorités nucléaires sur les nouveaux sites prévus et à mettre à disposition de l’AIEA davantage
d’informations, par exemple des déclarations sur
toutes les importations et exportations de marchandises reprise dans la Liste fournie par le « Groupe
des fournisseurs nucléaires ». Fin 2008, le protocole
additionnel était en vigueur pour 88 pays.59 D’autres
états l’ont signé, mais pas encore ratifié.60
Le protocole additionnel a une valeur particulière lorsqu’un pays est soupçonné de violer les
engagements pris dans le cadre du TNP ou d’accords de garanties. En 2003, lorsque la République
islamique d’Iran est devenue suspecte, l’AIEA et de
nombreux pays membres ont pressé l’Iran de signer
le protocole additionnel afin d’octroyer à l’AIEA
les droits supplémentaires qu’il renferme. L’Iran
a signé le protocole en novembre 2003. Tandis que
le gouvernement iranien s’est dans un premier
temps comporté comme si le protocole était en
vigueur, le parlement iranien a par la suite refusé sa
ratification. En février 2006, le gouvernement iranien informait l’AIEA de la décision du parlement,
à savoir que l’Iran ne reconnaîtrait plus le protocole
en raison de l’ampleur prise par le litige au sujet de
son programme atomique, tout en respectant dans
la pratique quelques-uns de ses engagements.
Les garanties visent à empêcher l’utilisation
de capacités nucléaires civiles à des fins militaires
par les états non dotés d’armes nucléaires. Elles
ne couvrent ni les installations militaires dans
les états dotés d’armes nucléaires ni les centrales
civiles de ces pays, à moins que ceux-ci n’acceptent de plein gré de soumettre certains dispositifs
ou matériaux aux mesures de contrôle de l’AIEA
(INFCIRC 66).61 Des accords de garanties peuvent
58 Cf. : http://www.iaea.org/Publications/Reports/Anrep2008/safeguards.pdf
59Ibid. ; et un aperçu détaillé plus actuel sur le type d’accord de garantie avec quel pays en décembre 2009 à l’adresse :
http://www.iaea.org/OurWork/SV/Safeguards/sir_table.pdf
60 Sur la situation en décembre 2009, cf. : http://www.iaea.org/OurWork/SV/Safeguards/sir_table.pdf
61 Les EDAN font plus ou moins intensivement usage de cette possibilité. Ainsi le Président américain Barack Obama
a remis au Congrès le 6 mai 2009 une liste de 267 pages de toutes les installations nucléaires déclarées par
Washington à l’AIEA.
5. Instruments de contrôle et de limitation de la prolifération
également être conclus pour des sites nucléaires
dans des pays non membres du TNP. Israël, l’Inde
et le Pakistan permettent désormais à l’AIEA d’effectuer des contrôles limités sur leur territoire.62
Bien que constamment remises en question,
parce qu’elles sont coûteuses, longues et insuffisantes, les inspections de l’AIEA sont largement
plus efficaces que ce qu’en disent les critiques. En
Irak, ce sont les inspecteurs de l’AIEA (et la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection
des Nations Unies, la COCOVINU) qui ont découvert le programme atomique irakien. En 2003, lors
de la lutte menée par les États-Unis et la GrandeBretagne en vue d’obtenir le soutien des Nations
Unies pour une nouvelle guerre contre l’Irak, ils
étaient arrivés à la bonne conclusion, à savoir que
ce programme n’avait pas été poursuivi.
Les propositions actuelles de renforcement
des garanties de l’AIEA englobent l’exigence d’universaliser le protocole additionnel et de le rendre
obligatoire pour les états non nucléaires qui veulent importer des marchandises nucléaires. Par
ailleurs, l’idée d’une nouvelle génération de garanties est une fois de plus examinée.
5.3 La non-prolifération grâce au
contrôle des exportations
Depuis le début des années 1970, aux garanties
de l’AIEA se sont ajoutées des mesures multilatérales de contrôle des exportations. Elles se fondent
sur l’article 3, alinéa 2 du TNP, lequel contraint
tous les États membres à ne fournir de la matière
nucléaire ou des technologies qu’à des pays qui
acceptent de les soumettre aux garanties de l’AIEA.
Ces états en mesure de fournir de la technologie nucléaire ont commencé à avoir des rencontres
informelles en 1971. Ces entretiens ont été plus
tard institutionnalisés et sont connus sous le nom
de Comité Zangger. Les membres de ce Comité ont
établi une liste des marchandises nucléaires pour
l’exportation (« liste de base ») qui exigeaient l’in-
29
troduction de contrôles et ont posé trois conditions
aux pays souhaitant les importer : le destinataire
doit avoir conclu un accord de garanties, utiliser
toutes ses importations à des fins pacifiques et
appliquer ces deux conditions à d’éventuels bénéficiaires de réexportations.
En 1975, ces mêmes pays mettaient aussi en
place, sur un mode informel, le Groupe des fournisseurs nucléaires. Celui-ci s’est mis d’accord sur
une « liste de base » élargie de matières nucléaires,
de technologies et d’équipements à soumettre au
contrôle national des exportations, et aussi à inscrire sur une liste des technologies importantes
utilisables à la fois à des fins militaires et civiles
(« double usage »). Ces listes sont actualisées de
temps à autre en fonction des développements de
la technologie.
Les deux listes font partie intégrante des
directives du Groupe des fournisseurs nucléaires,
lesquelles impliquent un engagement politique
mais ne sont pas juridiquement contraignantes. Si
toutefois des États membres s’engagent à inclure
ces marchandises dans leur système national de
contrôle des exportations, ces listes deviennent
alors juridiquement contraignantes.
De nouvelles initiatives visant à renforcer le
contrôle de la fourniture de technologie nucléaire
ont été lancées les dernières années. Sur proposition des États-Unis, le sommet du G8 de juin
2004 a adopté un moratoire prolongeable d’un an
sur de nouveaux transferts de technologies d’enrichissement d’uranium et de retraitement dans
des états ne les possédant pas encore. Comme
le Groupe des fournisseurs nucléaires n’a pu se
mettre d’accord sur une politique commune,
le moratoire continue d’être respecté jusqu’à
aujourd’hui par ces huit pays.63 En 2009, le Conseil
des gouverneurs de l’AIEA approuvait à 23 voix
contre 8, une proposition russe suivant laquelle
la Russie garderait une réserve de 120 tonnes
d’uranium légèrement enrichi utilisable internationalement par des états exploitant des réacteurs
62 Cf. http://www.iaea.org/OurWork/SV/Safeguards/sir_table.pdf
63Cela s’est fait d’une façon légèrement inaperçue par des affirmations répétées du paragraphe 8 du communiqué
du G8 d’Aquila.
30
pour la production d’électricité. L’Égypte, l’Argentine, le Brésil, la Malaisie et l’Afrique du Sud
entre autres, ont voté contre cette proposition. Ce
qui contribua à nourrir le scepticisme avec lequel
de nombreux ENDAN jugent encore les garanties,
les contrôles à l’exportation et les visites, sur le
fait que des exportations nucléaires pertinentes
dépendent de si le pays destinataire remplit ou
non des conditions additionnelles. Ils craignent
que ces réglementations soient appliquées de
façon discriminatoire et qu’elles puissent gêner
voire interdire l’accès légitime à une technologie
nucléaire moderne, garanti par le TNP.
Afin de résoudre ce problème, il faudrait mettre
en œuvre des propositions consistant à « multilatéraliser » les composants du cycle de combustible
qui s’appliquent à la prolifération. Par exemple,
effectuer l’enrichissement de l’uranium ou le
retraitement pour un usage international seulement et dans des installations contrôlées en outre
par l’AIEA. Ce qui aurait pour effet d’encourager la
résistance à la prolifération.
5.4 La non-prolifération par la coopération
L’effondrement de l’Union Soviétique et l’inquiétude relative à son immense héritage nucléaire
ont engendré une multitude de mesures de non
prolifération en coopération avec les états successeurs. Les États-Unis ont été les plus rapides à
prendre des initiatives, et sont désormais impliqués
dans le financement et la mise en œuvre de telles
activités dans toute une série de pays.64 Beaucoup
de programmes développés dans ce contexte se
sont, par ailleurs, avérés utiles dans d’autres pays.
Divers projets visent un entreposage plus centralisé et plus sécurisé techniquement des matières
nucléaires et des armes en Russie et dans les autres
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
états successeurs de l’Union soviétique. D’autres
visent la sécurisation du combustible nucléaire
de sous-marins déclassés. Des projets tels que le
programme du Centre pour la Science et la Technologie, l’Initiative sur les « villes nucléaires »,
l’Initiative de Transition russe et l’Initiative pour la
Prévention de la Prolifération se concentrent sur la
création d’emplois pour les scientifiques nucléaires,
afin d’éviter une fuite des cerveaux – prévenir une
prolifération résultant de la recherche d’emplois par
les scientifiques à l’étranger. D’autres programmes
traitent de l’amélioration des contrôles frontaliers
et des exportations dans les états successeurs de
l’Union soviétique. Certains tentent de mettre fin de
manière coopérative à la production de matière fissile pouvant servir à la fabrication d’armes en Russie
et d’en réduire les réserves dans le pays.
En 1996, avec l’Initiative trilatérale, les ÉtatsUnis, la Russie et l’AIEA s’accordent à placer les
matières fissiles d’origine militaire (le plutonium
et l’uranium) excédentaires sous le contrôle de
l’AIEA. En 1993, les États-Unis avaient acheté à
la Russie 500 tonnes d’UHE, lequel a été appauvri et employé comme combustible dans des
centrales nucléaires américaines. D’après les renseignements de l’entreprise mandatée, 382 tonnes
d’UHE, l’équivalent de 15.294 ogives, ont été transformées en UFE dans le cadre du programme
« Megatons to Megawatts ».65
L’accord d’élimination du plutonium conclu
en 2000, par lequel les États-Unis et la Russie
acceptaient, dans un premier temps, de transformer chacun 34 tonnes de plutonium militaire
en combustible MOX ou de les neutraliser en les
mélangeant avec des déchets nucléaires pour les
rendre inoffensifs et pouvoir les entreposer, n’a pas
été couronné de succès jusqu’ici, à cause du report
constant de sa mise en œuvre.66 En avril, il était
64 V
ous en trouverez un aperçu sur les pages du site Internet : http://www.ransac.org/
http://www.bits.de/NRANEU/NonProliferation/index.htm
65 http://www.usec.com/megatonstomegawatts.htm
66 L’accord est basé sur des déclarations unilatérales des gouvernements Clinton (1995) et Eltsine (1997) qualifiant
chacun 50 tonnes de plutonium comme superflus aux besoins militaires. En 1996/97 une commission bilatérale
élaborait des options visant la gestion de l’excédent de plutonium militaire, qui ont servi de base à un accord cadre
entre les deux états en 1998 et à l’accord 2000 susmentionné; voir : http://www.nti.org/db/nisprofs/russia/fissmat/
plutdisp/puovervw.htm. Les États-Unis prévoient de faire usage des deux options, la Russie considère l’uranium
militaire comme matériau recyclable et souhaite transformer tout le stock en combustible MOX. Ni la Russie ni les
États-Unis ne disposaient de centrales de retraitement pour fabriquer le combustible MOX au moment de l’accord.
5. Instruments de contrôle et de limitation de la prolifération
amendé d’un protocole additionnel. La Russie
a désormais le droit de transformer entièrement
son plutonium militaire en combustible MOX et
de l’employer dans des réacteurs et des surgénérateurs rapides soumis à des contrôles spéciaux de
non-prolifération.67
Depuis 2002, il existe un « Partenariat mondial
contre la prolifération des armes et des matières
de destruction massive » instauré par le G8. Les
membres du G8 se sont engagés à dépenser 20
milliards de dollars pour cette initiative sur une
période de dix ans.
En mai 2004, la Russie, les États-Unis et l’AIEA
lançaient l’Initiative mondiale de réduction de la
menace. Son objectif est, entre autres choses, de
mieux sécuriser les matières fissiles provenant
des États-Unis et de Russie trouvées dans plus de
40 pays dans le monde, et de les rapatrier dans le
pays d’origine. L’Initiative s’intéresse d’abord à
l’UHE utilisé actuellement dans des réacteurs de
recherche et la plupart du temps fourni soit par
l’Union soviétique, soit par les États-Unis. L’UHE
doit être interdit comme combustible de réacteur
dans les programmes nucléaires civils. Les réacteurs de recherche fonctionnant à l’UHE doivent
être arrêtés ou transformés pour fonctionner avec
de l’UFE. Plus de 90 états avaient adhéré à l’initiative en 2007. Des matières fissiles militaires de
Serbie, de Bulgarie et du Kazakhstan avaient déjà
été transférées aux États-Unis ou en Russie avant
même que cette initiative ne voit le jour. Pendant le
sommet sur la sécurité nucléaire d’avril 2010, une
série d’autres états ont exprimé leur volonté de ne
plus utiliser d’UHE dans de tels réacteurs à l’avenir.
Un grand nombre des initiatives bilatérales
conclues entre les États-Unis et la Russie sont
aujourd’hui multilatérales. On y trouve l’assistance
aux pays dans l’exécution efficace du contrôle des
exportations en vue de réduire la prolifération,
ainsi que des projets visant la création d’emplois
alternatifs pour les spécialistes et les scientifiques,
et enfin le soutien à la sécurisation des installations
et matériaux nucléaires. Des discussions sur les
31
défaillances de sûreté et de sécurité dans l’ancienne
Union soviétique ont également contribué à des
initiatives de l’AIEA, lesquelles visent à renforcer la
sécurité des exploitations nucléaires civiles.
5.5 Des mesures coercitives et militaires
contre la prolifération
Pour lutter contre la prolifération, les ÉtatsUnis de George W. Bush ont misé essentiellement
sur des mesures coercitives unilatérales. On en
trouve deux exemples : le premier, l’Initiative de
sécurité contre la prolifération créée en mai 2003.
Son objectif est à la fois de légitimer et faciliter
l’interception de transports d’armes nucléaires,
biologiques ou chimiques par voie aérienne ou
maritime. Elle vise aussi les systèmes de missiles
et la technologie, la technologie de traitement et
les matériaux liés à toutes ces armes. De nombreux pays ont accueilli cette proposition avec
scepticisme car sa mise en œuvre entre en conflit
avec une série d’accords internationaux garantissant la libre circulation d’avions et de bateaux.
Toutefois, après que le gouvernement Bush ait
modifié et limité l’Initiative afin de répondre aux
réserves d’ordre juridique, d’autres nations ont
alors manifesté plus d'intérêt. Plus de 90 pays participent à l’Initiative aujourd’hui.68
Les opérations de contre-prolifération constituent la deuxième forme de mesures. Leur objectif
est de faire reculer ou entraver la prolifération par
l’usage des forces militaires. Sont envisagés, par
exemple, des actes de sabotage à l’aide de forces
spéciales, de frappes militaires par voie aérienne
ou maritime ou même d’interventions ou d’attaques avec des armes nucléaires. Ce genre
d’opérations génère une multitude de problèmes
sérieux sur le plan du droit international.
Tant qu’elle ne bénéficie pas d’un mandat des
Nations Unies, toute opération militaire ayant
pour objectif d’empêcher un état de fabriquer
l’arme nucléaire par exemple serait contraire au
droit international. Si elle vise un acteur non étatique qui tente de fabriquer des ogives nucléaires,
67Concernant le contenu de l’amendement, cf. : http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2010/04/140097.htm
68Cf. http://www.state.gov/t/isn/c10390.htm
32
les problèmes de droit international sont encore
plus importants. L’action militaire toucherait le
territoire de l’État dans lequel se trouve l’acteur
non étatique, indépendamment du fait que celuici approuve ou ne puisse tout simplement pas
empêcher les activités de l’acteur non étatique.
Des missions de la sorte peuvent être menées
aussi bien comme des actions préventives ou préemptives que comme des mesures de représailles.
Considérées du point de vue légal comme des
actes d’agression, elles impliquent dans la plupart
des cas, une violation grave du droit international.
En outre, de telles actions de lutte contre la
prolifération sont sans doute dans la plupart des
cas, organisées secrètement pour accroître l’élément de surprise et les chances de réussite. Du
coup, aucune obtention de légitimité au niveau
du droit international ne sera tentée au préalable. Bien sûr, il est possible que l’opération soit
menée secrètement ou même pas du tout rendue
publique après coup. Ce qui rend impossible aussi
toute légitimation de l’action en matière de droit
international. Sous George W. Bush, les États-Unis
ont fait de ce type d’interventions une composante à part entière de leur stratégie nationale de
sécurité officielle. Des pays comme la Russie ou la
France affichent une certaine disposition à envisager également de telles options. Même avec le
Président Obama, par principe de telles interventions ne sont pas exclues. On souligne néanmoins
qu’elles doivent être menées autant que possible
en utilisant des moyens conventionnels. George
W. Bush quant à lui se réservait le recours éventuel à des armes nucléaires.
La plupart des opérations connues à ce jour
participaient d’opérations en temps de guerre,
comme les attaques des Alliés et les actes de sabotage durant la Seconde Guerre mondiale contre
la centrale de production d’eau lourde NorskHydro en Norvège, contrôlée par l’Allemagne,
ou le laboratoire nucléaire japonais de Tokyo. En
dehors d’elles, d’autres événements comme l’attaque israélienne sur le réacteur atomique irakien
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
à Osirak en 1981 et celle de 2007 sur un réacteur
atomique suspect en Syrie.
La guerre contre l’Irak en 2003, est une guerre
totale justifiée en grande partie par la nécessité de
lutter contre la prolifération d’armes de destruction massive. On apprenait après coup que les
soi-disant « preuves » à partir desquelles Washington avait justifié son engagement, n’étaient pas
défendables voire trompeuses. Ce qui soulève un
autre problème : l’exigence supposée de secret
et la prétendue nécessité d’agir rapidement, en
raison du danger imminent, empêchent dans de
nombreux cas la vérification ou la réfutation en
temps voulu des motifs mis en avant pour justifier une intervention militaire. Cela ne vaut pas
seulement pour le domaine public, mais aussi
pour le pouvoir législatif compétent, dont le rôle
est de contrôler les intentions de guerre de son
gouvernement. Les organisations internationales
comme les Nations Unies n’ont généralement
pas non plus la possibilité de procéder en temps
voulu à des vérifications. Ainsi une prétendue
prolifération ou perçue comme réelle peut-elle
être utilisée comme motif de guerre à la place
d’une prolifération détectée et vérifiée, voire dans
des cas extrêmes, comme prétexte à des guerres69
à mener pour de toutes autres raisons. Quand les
renseignements des services secrets sont impliqués de manière importante, leurs sources ne
sont généralement pas révélées. Dans ces cas-là,
la vérification ou la réfutation rapide des accusations avant le recours aux forces militaires est
quasi impossible. Elle peut éventuellement avoir
lieu après coup, mais il est alors trop tard. Ce qui
a été accepté ne peut être défait.
Évaluer l’efficacité d’interventions militaires
visant à supprimer ou retarder des programmes
atomiques est extrêmement difficile. Pour
autant que l’on sache, leurs effets par le passé
se sont avérés plutôt minces voir même contreproductifs. Il semble évident que l’Irak ait décidé
de développer l’arme atomique après l’attaque
israélienne sur son réacteur. Les nombreuses
69 Le « cas de l’Irak» en 2003 ne peut que nous apprendre qu’il ne peut y avoir de « cas iranien » analogue
avec des « preuves » aussi insuffisantes.
5. Instruments de contrôle et de limitation de la prolifération
années de débat public sur l’éventualité d’une
frappe militaire des États-Unis ou d’Israël contre
des installations nucléaires iraniennes apporte
un nouvel éclairage à la complexité, le peu de
chance de réussite et les impondérables d’une
opération militaire visant à détruire des installations nucléaires iraniennes.70
33
Il reste en outre à voir le type d’influence qu’aurait une frappe militaire sur les décisions futures de
l’Iran quant à l’orientation de son programme atomique. La possibilité qu’elle encourage les forces
partisanes d’un programme nucléaire militaire à
Téhéran, ne peut être exclue.71
70 Les experts se demandent si Israël possède ou non les moyens militaires de détruire sans aide extérieure les sites
nucléaires iraniens les plus importants. La plupart en croient les forces américaines capables mais des experts
militaires doutent de leur capacité à éliminer complètement ces sites par surprise, ou le déconseillent sachant que
Téhéran dispose de nombreuses options de représailles.
71 Dans le conflit actuel sur l’arme nucléaire, le gouvernement et l’opposition à Téhéran ont, chacun dans leur rôle,
fait tous les efforts pour éviter de donner l’impression que l’Iran ait réagit ou cédé à la pression extérieure.
Si l’approche est maintenue, il n’est pas exclu que les craintes que Téhéran aspire à construire des armes nucléaires
ne se transforment en prophétie réalisée, même si l’orientation militaire du programme iranien n’était pas décidée ou
prévue au début du conflit.
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
David Drexler
34
6. Une approche contradictoire – la politique
de non-prolifération avec Barack Obama
La présidence de Barack Obama marque un
nouveau tournant en ce qui concerne les politiques
de non-prolifération et de désarmement nucléaire.
Le 5 avril 2009 à Prague, trois mois à peine après la
prise de ses fonctions, Obama tenait un discours
dans lequel il affirmait sa volonté d’œuvrer pour
un monde libéré des armes nucléaires, mais s’engageait aussi au nom de l’Amérique à prendre les
mesures nécessaires. Obama a annoncé qu’il:
 « réduirait le rôle des armes nucléaires
dans notre stratégie nationale de sécurité et
recommanderait aux autres d’en faire de même » ;
 « négocierait un nouveau Traité de réduction des armes stratégiques avec la Russie », sur
la limitation et la réduction des armes atomiques
stratégiques dans les deux pays ;
 « poursuivrait sans plus tarder et de
manière agressive la ratification du Traité d’interdiction complet des essais nucléaires par les
États-Unis » ;
 « chercherait un nouveau traité mettant fin de manière vérifiable à la production de
matières fissiles destinées à être utilisées dans les
armes de l’état » ;
 « renforcerait le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires comme base de
coopération » ; nous avons besoin de plus de « ressources et d’autorité » pour renforcer les inspections
internationales, de « conséquences immédiates à
l’encontre des pays qui ne respectent pas les règles »,
et nous avons besoin d’« un nouveau cadre de coopération nucléaire civile », y compris une réserve
internationale de combustible pour les centrales
nucléaires, à laquelle les pays pourraient accéder
sans augmenter les risques de prolifération.72
Dans le même temps, Obama souligna explicitement que chaque état non nucléaire avait un droit
d’usage civil de la technologie illimité pour autant
qu’il respecte ses obligations prises dans le cadre
du TNP et celles vis à vis de l’AIEA. Ce qui selon lui
contribuerait à freiner le changement climatique.
Les annonces d’Obama avaient clairement
pour objectif de signaler la disposition des ÉtatsUnis à adopter une politique multilatérale de
non-prolifération. La date et le contenu du discours étaient des facteurs importants dans le
contexte de la conférence de révision du TNP prévue en mai 2010. On ne devrait pas permettre à
72 http://www.whitehouse.gov/the-press-office/remarks-president-barack-obama-prague-delivered
6. Une approche contradictoire – la politique de non-prolifération avec Barack Obama
celle-ci de connaître le même échec que cinq ans
auparavant. L’ensemble des thèmes importants
du TNP ont été abordés, et les principes fondamentaux du « deal » réaffirmés : les puissances
nucléaires doivent se désarmer ; les états non
nucléaires doivent accepter des contrôles plus
stricts de non-prolifération et le droit de tous les
membres respectant le traité à poursuivre l’usage
civil de la technologie nucléaire a été confirmé à
nouveau. Selon Obama, les États-Unis seraient
prêts à jouer un rôle de leader dans cette voie.
Un an plus tard, en avril 2010, Obama s’évertuait
à présenter les premières réalisations pratiques et
démontrer que ses paroles étaient suivies d’actes.
En l’espace de sept jours, il signait la Nuclear Posture
Review – un plan de la future politique nucléaire
américaine dans le domaine militaire – et retournait à Prague signer un « nouveau traité START »
avec son homologue russe Dimitri Medvedev. Pour
finir, il organisa à Washington une conférence sur la
sécurité nucléaire à laquelle ont participé 47 pays.
Les trois projets avaient pour objectif de renforcer
la mise en œuvre du TNP. Toutefois peuvent-ils déjà
y parvenir ?
6.1 Le nouveau traité START
Signé le 8 avril 201073, le nouveau traité START
limite le nombre de systèmes porteurs stratégiques nucléaires des deux parties à 800 chacune,
dont 700 peuvent être actifs, et le nombre d’ogives
déployées à 1.550 pour chacune des parties.
Washington et Moscou ont tenu à souligner que
le nombre des systèmes porteurs était par conséquent réduit de plus de la moitié par rapport au
traité START arrivé à expiration en décembre 2009.
Le nombre d’ogives avait baissé de 74% et de 30%
par comparaison au nouveau Traité de Moscou – le
35
Traité SORT de 2002. Ce qui à première vue ressemble à un nouvel engagement de désarmement
majeur n’est en réalité qu’un petit pas.
Ni la Russie ni les États-Unis ne possèdent
aujourd’hui encore le potentiel nucléaire qu’autorisait l’ancien traité START. En faisant la comparaison
avec l’actuel potentiel actif des deux pays, il devient
clair que les États-Unis doivent jeter à la ferraille
une douzaine de porteurs stratégiques seulement
et mettre hors service une autre centaine de missiles. La Russie ne doit rien faire. Ne possédant que
566 missiles actifs disponibles, la Russie pourrait
même en théorie augmenter son arsenal de 200
systèmes supplémentaires – si elle était en mesure
de les payer.
La situation est la même en ce qui concerne
les ogives : selon les estimations de la Fédération des scientifiques américains et du Conseil
de défense des ressources naturelles, les ÉtatsUnis possédaient en 2009 quelques 2.200 ogives
déployées sur des systèmes porteurs actifs et
environ 150 de réserve.74 La Russie avait entre
2.500 et 2.600 ogives actives.75 À première vue, on
pourrait donc penser qu’avec le Traité les réductions semblent plus importantes : Washington – si
l’on se base sur la limite maximum absolue de
2.200 ogives en 2012 du traité SORT de Moscou
– devrait renoncer à 650 têtes explosives actives
et Moscou à au moins 950.76 Mais les apparences
sont trompeuses. Résultat en grande partie d’une
manipulation astucieuse des chiffres, cette étape
de désarmement apparemment ne doit pas
vraiment avoir lieu. Un détail du nouveau traité
START l’illustre clairement : à l’avenir les bombardiers stratégiques seront comptabilisés comme
une seule arme nucléaire, alors que dans l’ancien
traité START, ils comptaient pour dix armes s’ils
pouvaient transporter des missiles de croisière
73 Vous pouvez consulter le traité à l’adresse : http://www.state.gov/documents/organization/140035.pdf
Et le protocole correspondant à l’adresse : http://www.state.gov/documents/organization/140047.pdf
74Hans M. Kristensen et Robert S. Norris : U.S. Nuclear Forces 2009, dans : Bulletin of Atomic Scientists,
Mars/Avril 2009, p. 59-60.
75Hans M. Kristensen und Robert S. Norris: Russian Nuclear Forces 2010, dans : Bulletin of Atomic Scientists,
Janvier 2010, pp.76-77.
76 Le traité SORT contraint les deux états à limiter le nombre de têtes explosives entre 1.700-2.200 pour 2012.
Si l’on se base sur la limite inférieure, les États-Unis ont une obligation nominale de désarmement de 150 ogives
et la Russie de 500.
36
et pour une arme seulement s’ils ne pouvaient
transporter que des bombes atomiques. Le Traité
SORT de Moscou ne comporte aucune révision
de ces accords. En réalité, ces bombardiers peuvent chacun transporter 6, 12, 16 voire même 20
armes. Cela a deux conséquences : premièrement, seules quelques centaines d’armes doivent
être détruites sur le papier et deuxièmement, les
deux parties sont autorisées à garder plusieurs
centaines d’armes supplémentaires que le chiffre
officiel de 1.550 ogives.77
À quoi vient s’ajouter le fait que le nouveau
traité START, comme son prédécesseur, n’impose
pas de limite au nombre de têtes explosives que les
deux parties sont autorisées à garder en réserve. Ce
qui comprend les armes pouvant être réactivées en
situation de crise et celles qui n’ont pas encore été
désamorcées. Le nombre de ces armes était déjà
dans le passé nettement supérieur au nombre
autorisé dans le traité. En 2010, les deux états possèdent encore ensemble beaucoup plus de 20.000
armes atomiques non désamorcées.
Les engagements de désarmement limités du
nouveau traité START se sont déroulés aux ÉtatsUnis dans un contexte politique de contraintes
domestiques. Dans le cadre de la loi budgétaire
2010, le Congrès donna au Président des directives restrictives pour ses négociations sur le
nouveau traité START. L’administration Obama
n’était autorisée, par exemple, à contracter aucun
engagement qui limiterait le développement du
système de défense anti-missiles des États-Unis
ou le développement et le déploiement d’armes
conventionnelles à longue portée. Comme
Washington envisageait la construction de missiles conventionnels à longue portée basés à terre
ou en mer, les négociateurs d’Obama se sont vus
contraints d’adopter une approche très conservative lors des négociations sur les systèmes de
missiles stratégiques. De plus la ratification du
nouveau traité START au Sénat, exige le vote d’au
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
moins huit républicains, or beaucoup d’entre
eux refusent fondamentalement les accords de
contrôle de l’armement. Il reste à voir si, malgré ces empiétements négligeables sur l’actuel
potentiel d’armes nucléaires des États-Unis, le
traité obtiendra au Sénat la majorité des deux tiers
indispensable à sa ratification.
Pour la grande majorité des États membres
du TNP, l’ampleur limitée des nouveaux engagements de désarmement n’est sans doute pas
suffisante, et donc pas assez convaincante, pour
qu’ils approuvent un renforcement des règles de
non-prolifération lors de la conférence de révision.
6.2 Le Sommet sur la sécurité nucléaire
Les 12 et 13 avril 2010, Barack Obama lançait aux représentants internationaux de 47 pays,
une invitation pour un sommet sur la sécurité
nucléaire à Washington. L’objectif du sommet était
d’initier un processus dans lequel les états participants s’engageaient à renforcer les mesures de
sécurité pour restreindre voire renoncer à l’usage
de matières fissibles militaires sur leur territoire.
Le sommet adopta un communiqué78 et un plan de
travail.79 Aucun des documents n’était juridiquement contraignant, mais plutôt l’expression d’une
bonne volonté politique. Les accords mettaient
l’accent sur les engagements librement consentis
des états membres :
 renforcer les accords internationaux tels
que les conventions sur la protection physique des
matériaux nucléaires et sur la prévention d’actes de
terrorisme nucléaire par une mise en œuvre rapide
et satisfaisante, ainsi que l’encouragement à leur
universalisation ; ceci est également valable pour la
Résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations
Unies80, dont l’objectif est entre autres de maintenir
les armes de destruction massive hors de portée
des acteurs non étatiques ;
77 La quantité finale d’armes dépend du nombre de bombardiers stratégiques déclarés des deux côtés à l’avenir comme
systèmes porteurs stratégiques. La Russie et les États-Unis envisagent de moderniser leurs stocks de missiles de
croisière nucléaires à lanceurs aériens.
78Cf. http://www.whitehouse.gov/the-press-office/communiqu-washington-nuclear-security-summit
79Cf. http://www.whitehouse.gov/the-press-office/work-plan-washington-nuclear-security-summit
80Cf. http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N04/328/43/PDF/N0432843.pdf?OpenElement
6. Une approche contradictoire – la politique de non-prolifération avec Barack Obama
 mettre en place et renforcer certaines des
initiatives de l’AIEA servant à améliorer la sécurité des matériaux nucléaires et des installations,
comme la version actualisée de l’INFCIRC 225, le
Plan de sécurité nucléaire 2010-2013 et les nouvelles directives pour les systèmes de comptabilité
des matières nucléaires dans les installations ;
 sécuriser les matériaux nucléaires, en particulier ceux utilisés pour des armes, ainsi que les
installations de façon appropriée et garder l’information et la technologie permettant l’usage des
matières nucléaires à des fins dangereuses, hors
de portée des acteurs non étatiques ;
 encourager les mesures permettant de
sécuriser et de consigner l’UHE et le plutonium
séparé (plutonium militaire et plutonium de réacteur), consolider le stockage de ces matériaux et
promouvoir la conversion de l’UHE de réacteurs
en UFE, « lorsque cela est possible techniquement et économiquement » ainsi que remplacer
les objectifs UHE par d’autres matériaux, là où
c’est possible ;81
 s’efforcer de mettre un terme à la contrebande nucléaire et améliorer le système d’échange
d’informations ainsi que l’expertise dans le secteur
médicolégal lié au nucléaire ;
 améliorer les mesures pour une utilisation
sûre des ressources radiologiques et envisager de
nouvelles étapes dans ce domaine.
Le sommet sur la sécurité nucléaire a permis
d’engager le processus voulu d’une coopération
continue. Un prochain sommet doit se tenir dans
deux ans à Séoul. Le sommet a permis à Barack
Obama de signaler sa disposition à des initiatives
de non-prolifération largement multilatérales et de
faire comprendre qu’à l’inverse de son prédécesseur George W. Bush, il n’avait pas l’intention de
suivre une démarche unilatérale. On peut finalement dire que le signal envoyé par le sommet à tous
les membres du TNP est que l’attention portée à la
sécurité des matériaux nucléaires et des installations a pris de l’importance dans un grand nombre
37
de pays. Ce sommet n’a toutefois pas donné naissance à de nouvelles initiatives substantielles.
Il fut toutefois associé à un signal très ambivalent : le gouvernement Obama – ainsi que dans sa
Nuclear Posture Review (voir § 6.3) – a clairement
mis l’endiguement des efforts terroristes pour
accéder aux matières nucléaires, aux technologies
voire même aux armes, à l’avant-plan de toute son
argumentation. En mettant en avant cette menace
dans l’analyse des risques et dans la justification de
la nécessité du processus d’auto-déclaration d’engagement, il devenait comparativement simple
d’obtenir le soutien d’un nombre important
d’états, ou de rendre un refus plus difficile. Mais
la médaille a un revers : que des terroristes tentent
d’accéder à des matières nucléaires pouvant servir à la fabrication d’armes représente un risque
plus faible que la même tentative menée par des
états. Si l’on exigeait une application conséquente
de toutes les auto-déclarations d’engagement des
acteurs gouvernementaux, lesquels sont concernés par un grand nombre de mesures approuvées
ou convenues, il faudrait s’attendre à ce que certains acteurs gouvernementaux estiment de telles
exigences discriminatoires.
6.3 La Nuclear Posture Review
La Nuclear Posture Review 82 présentée le 6
avril 2010 est un rapport exigé par le Congrès dans
lequel le Président Obama définit tous les aspects
importants de sa future politique nucléaire. Il
englobe les domaines de la politique nucléaire, de
la stratégie et de la doctrine nucléaire, le potentiel
d’armes nucléaires, l’avenir de ce potentiel ainsi
que des déclarations sur la conception future
des complexes nucléaires industriels militaires.83
L’avenir de l’usage civil de l’énergie nucléaire ne
rentre pas dans le cadre de ce rapport. Seuls les
aspects présentant une importance particulière
pour l’avenir du régime de non-prolifération sont
présentés ici.
81Cette formulation garantit le maintien de l’exploitation du réacteur de recherche à Garching avec de l’UHE, puisque
le développement de combustibles alternatifs uranium-molybdène n’est pas encore parvenu à un résultat permettant
une conversion sur le plan technique.
82 http://www.defense.gov/npr/docs/2010 Nuclear Posture Review Report.pdf
83 Vous trouverez un recueil de documents et d’études sur le sujet à l’adresse suivante :
http://www.bits.de/main/npr2001.htm
38
Le document contient pour la première
fois l’objectif explicite d’un monde sans armes
nucléaires. Le danger que des terroristes puissent
accéder aux matériaux permettant de fabriquer ou
même éventuellement utiliser une arme nucléaire
y est décrit comme la plus grande menace à l’heure
actuelle, suivie par la prolifération à d’autres
états du nucléaire militaire. Par conséquent, le
document fait de la relance et du renforcement
du régime du TNP une priorité de la politique
nucléaire d’Obama. C’était aussi la première fois
que cela apparaissait dans un document touchant
à la politique nucléaire stratégique des États-Unis.
Le maintien d’une dissuasion et d’une stabilité stratégique à l’encontre d’autres puissances nucléaires
comme la Russie ou la Chine arrive seulement en
troisième position. Le rapport souligne le fait que
la nouvelle administration veut envisager l’usage
d’armes atomiques avec des restrictions beaucoup
plus importantes que les gouvernements précédents. Elle se détache surtout très nettement de
la politique de George W. Bush. Selon la Nuclear
Posture Review, les USA peuvent faire face à un
grand nombre de ces risques, au nom desquels le
gouvernement Bush se réservait l’usage d’armes
nucléaires, – comme l’usage par des états non
nucléaires, d’armes chimiques et biologiques –
avec des moyens conventionnels. La « tâche et le
rôle fondamentaux » des armes atomiques est de
« dissuader une attaque nucléaire sur les ÉtatsUnis, leurs alliés et partenaires ». L’objectif est de
réduire davantage leur rôle, de manière à ce que
la dissuasion d’une attaque nucléaire demeure
à l’avenir le « seul rôle » des armes nucléaires.
Toutefois, il convient d’ici là de préserver l’option
de l’usage des armes nucléaires afin de pouvoir
« dans des circonstances extrêmes, protéger les
intérêts vitaux des États-Unis, de leurs alliés et partenaires ».
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
Le rapport donne aussi un aperçu nouveau et
clair des garanties importantes de sécurité négative pour les états non nucléaires, pertinentes
avec le régime du TNP : les « États-Unis ne menaceront pas de l’usage d’armes nucléaires les états
qui sont des membres non nucléaires du TNP et
qui remplissent leurs engagements en termes de
non prolifération.84 » Cette garantie s’applique
aussi explicitement dans le cas où un de ces
états venait à employer des armes biologiques
ou chimiques.85 Seules les puissances nucléaires
et les états ne respectant pas leurs engagements
pris dans le cadre du TNP, sont exposés à la
menace nucléaire américaine. Ce qui veut dire
aujourd’hui, principalement la Corée du Nord et
l’Iran. Washington se réserve également le droit
d’utiliser des armes nucléaires pour répondre
à l’usage éventuel que feraient ces pays d’armes
biologiques ou chimiques – une indication claire
que Washington se réserve toujours le droit de
l’usage premier d’armes nucléaires. Ce droit n’est
plus mentionné de manière explicite dans la nouvelle Nuclear Posture Review.
Cependant, deux aspects très problématiques
restent non résolus : qui décide du fait qu’un
état ait rempli ses engagements envers le TNP
ou pas ? Les Nations Unies, l’AIEA ou le Président des États-Unis ?86 Par ailleurs, cette décision
se prendra-t-elle sur base de preuves claires ou
de suppositions prises pour des vérités. Deux
aspects ayant été mis en évidence de façon peu
honorable et dérangeante dans la guerre contre
l’Irak en 2003.
Dans les politiques déclaratoires, le rôle
des armes nucléaires a, sous Barack Obama,
été fortement limité et réduit. Néanmoins, il est
vraisemblable que l’introduction de ces change-
84 Par comparaison : en 2002 sous George W. Bush, la formule était : Les États-Unis « ne feront pas usage d’armes
nucléaire contre les pays non nucléaires ayant adhéré au Traité sur la non prolifération(TNP), sauf en cas d’invasion
ou toute autre attaque contre les États-Unis, son territoire, ses forces armées ou toute autre troupe, ses alliés ou un
état avec lequel existe un accord de sécurité, menée ou soutenue par un état non nucléaire qui se serait associé ou allié
à un état doté d’armes nucléaires». Le rôle des armes nucléaires était d’une autre ampleur sous Bush.
85En cas de percée technologique en matière d’usage et d’efficacité des agents biologiques, le gouvernement Obama
se réserve le droit dans la Nuclear Posture Review, de revenir à l’ancienne politique..
86 À Washington, la réponse à cette question est si évidente qu’elle ne doit même pas être posée. Le Président décide
et peut s’assurer du soutien de la communauté internationale, mais ne le doit pas.
6. Une approche contradictoire – la politique de non-prolifération avec Barack Obama
ments dans des plans stratégiques, opérationnels
et des plans d’urgence des forces armées américaines prenne un certain nombre d’années. D’ici
là, la planification se poursuivra selon les règles
établies par l’administration Bush.87 Il reste à voir
jusqu’où et avec quelle rapidité les forces armées
mettront en œuvre les directives « politiques »
d’Obama. Elles pourraient garder l’espoir qu’un
futur Président républicain change à nouveau la
politique déclaratoire des États-Unis.
Quant à l’avenir des forces nucléaires américaines, la Nuclear Posture Review ne prévoit
que des changements minimes. Elle reste sans
équivoque conservatrice, tenant à garder en
place les structures existantes. Bien sûr le nouveau traité START doit être mis en œuvre. Il faut
entreprendre les investigations préliminaires en
vue d’entretiens ultérieurs avec la Russie. Les
États-Unis maintiendront toutefois leur triade
de systèmes de missiles nucléaires et n’apporteront que peu de modifications. La réduction
du nombre d’ogives sur les missiles balistiques
intercontinentaux (de 3 à 1) doit être poursuivie et achevée ; une décision doit être prise d’ici
deux ans quant à l’abandon ou non de deux sousmarins stratégiques. Il a été possible de réduire
à nouveau le nombre de bombardiers à longue
portée à capacité nucléaire. Ces changements ne
sont toutefois pas vraiment significatifs.
Par contre, la décision de poursuivre tous
les projets de modernisation importants dans
le secteur des systèmes porteurs nucléaires et
de développer ou d’introduire des systèmes de
remplacements, donne elle un signal très clair.
Le développement d’un nouveau missile de croisière longue portée, d’un nouveau bombardier et
d’une nouvelle génération de sous-marins pour
missiles stratégiques, à construire à partir de 2019
pour assurer une « dissuasion stratégique ininterrompue jusque dans les années 2080 » ont par
exemple été approuvés.88
39
De la même manière, la Nuclear Posture
Review préconise la modernisation continue des
ogives nucléaires pour les missiles Trident (W76-1),
un programme complet de modernisation des
bombes de type B-61(B-61-12)89 et des travaux
préliminaires à une modernisation des têtes
explosives pour missiles intercontinentaux (W78).
Afin de permettre la réalisation de ces projets, des
investissements substantiels ont été accordés aux
complexes de l’industrie nucléaire et militaire en
vue de la modernisation ou la construction de
nouvelles nombreuses installations.
Le concept de « nouvelle triade » introduit par
George W. Bush et celui d’une dissuasion devant
englober à l’avenir un composant nucléaire, des
systèmes de défense anti-missiles et des armes
conventionnelles à longue portée pour des « Prompt
Global Strikes » (PGS, frappes stratégiques rapides)
a été maintenu par la nouvelle administration. Il est
prévu de transférer cette technologie aux systèmes
de dissuasion régionaux, c’est-à-dire à l’Europe
et l’OTAN, le Proche et le Moyen-Orient ainsi que
l’Extrême-Orient (Corée du Sud, Japon).
Ces décisions sur l’avenir de l’armement
militaire nucléaire sont en contradiction totale
avec les changements dans les politiques déclaratoires. Elles donnent l’impression que la vision
d’un monde sans armes nucléaires est au mieux
une vision du 22ème siècle. Elles ont par conséquent un effet contre-productif sur les conditions
nécessaires à l’amélioration prometteuse d’une
politique de non-prolifération.
6.4 Paroles et actions – problèmes
et contradictions
Comparativement aux annonces de son
discours à Prague, le verdict sur les politiques
actuelles d’Obama est mitigé. Le Président a tenté
de conclure avec la Russie un nouveau traité de
désarmement, qu’il a négocié – mais qu’il n’a pas
87Ce point est illustré par exemple, dans l’OPLAN 8010-08 « Strategic Deterrence and Global Strike » dans sa
version de février 2009; cf. : Hans M. Kristensen : Obama and the Nuclear War Plan, Federation of the American
Scientists Issue Brief, Février 2010.
88Cf. : http://www.senate.gov/~armed_services/statemnt/2010/03%20March/Johnson%2003-17-10.pdf
89 Deux versions tactiques, la B-61-3 et la B-61-4, sont stationnées en Europe.
40
encore pu faire passer au Sénat. La promesse de
ratification du Traité d’interdiction des essais TICE
n’a pu être tenue par l’administration Obama, par
crainte d’un blocage au Sénat ; le nouveau traité
START est confronté dans une bien moindre
mesure, au même danger. La promesse d’Obama
de réduire le rôle des armes nucléaires dans la
stratégie sécuritaire de l’administration a été
honorée, même si pour beaucoup cela reste insuffisant. Ses efforts pour relancer le multilatéralisme
et renforcer le régime du TNP, afin de permettre
l’introduction de règles de non-prolifération plus
strictes, sont manifestes. Les décisions en faveur
d’une restructuration conservatrice du potentiel
des armes nucléaires et d’un soutien de presque
tous les projets de modernisation introduits sous
George W. Bush dans ce domaine, étaient peutêtre des concessions politiques nécessaires sur le
plan national, mais se révéleront être un obstacle
majeur à l’amélioration des politiques de nonprolifération.
En outre, deux points de la politique nucléaire
d’Obama sont extrêmement contradictoires et
posent tous les deux des risques considérables :
tout d’abord, l’administration Obama considère
le terrorisme nucléaire et le risque de prolifération bénéficiant à des acteurs non étatiques,
comme la menace la plus importante dans le
futur.90 C’est pourquoi elle tente de faire des politiques de non-prolifération et du renforcement
du régime du TNP, ses priorités. Ceci exige des
signaux forts de l’Amérique quant à sa disposition au désarmement nucléaire, qui une fois avoir
tirées les conséquences de l’analyse des risques
d’Obama, devrait entraîner une réduction plus
importante que prévue du potentiel nucléaire
existant dans le pays. Au contraire, les décisions
sur l’avenir du potentiel nucléaire américain
envoient des signaux bien différents : l’ampleur et
la configuration des forces nucléaires sont princi-
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
palement et clairement déterminées par le besoin
de maintenir le même niveau que les autres puissances nucléaires, ou tenir un rang supérieur à
long terme. Elles signalent en outre que les ÉtatsUnis visent jusque dans la deuxième moitié de ce
siècle, à préserver une force nucléaire puissante,
moderne, et à posséder la capacité et l’infrastructure permettant de la moderniser dans le futur.
La probabilité que ces décisions constitue un
obstacle majeur à la lutte contre les risques de
prolifération est élevée, sachant qu’elles sapent la
disposition de nombreux autres états à accepter
des règles plus strictes de non-prolifération afin
de renforcer le régime du TNP.
La deuxième contradiction de la politique
nucléaire de Barack Obama montre qu’il est prisonnier des inconsistances inhérentes au TNP :
Obama n’a de cesse de souligner le droit des états
non nucléaires d’utiliser complètement l’énergie
nucléaire à des fins pacifiques. Il s’appuie sur le
fait que les centrales nucléaires pourraient jouer
un rôle important dans la réduction des émissions de CO2 et l’endiguement du changement
climatique. Obama a indiqué que les États-Unis
eux-mêmes construiront de nouvelles centrales
et encouragé l’idée en dégageant des crédits
avantageux d’une valeur de 54 milliards de dollars. Enfin, son administration a signalé qu’ils
soutiendront massivement la construction et le
développement d’une nouvelle génération de
centrales, résistant autant que possible à la prolifération, destinées à l’exportation. Ceci peut
tout à fait être compris comme un signe bien
intentionné destinés aux états non nucléaires
qui souhaitent et – selon Obama – devraient faire
un usage civil de l’énergie nucléaire. Dans la
pratique, seuls les pays préparés à accepter des
risques de prolifération bien plus importants à
l’avenir que ceux qui existent aujourd’hui, sont
susceptibles de partager cette approche.
90On peut toutefois douter du fait que le terrorisme soit la plus grande menace nucléaire. Il est peut-être seulement
la plus opportune. « L’apparition de nouveaux états dotés d’armes nucléaires et de " systèmes de dissuasion
multidirectionnels ", plus susceptibles de ne pas réussir, sont jugés par de nombreux experts comme le risque
le plus grand. »
© Hemera
Overview and Trends
41
7. Un monde à la recherche d’énergie
L’inquiétude quant à savoir si les sources les
plus importantes d’énergie primaire – le pétrole
et le gaz naturel – continueront de satisfaire les
demandes croissantes de la population mondiale
grandit. Malgré la crise financière, la demande
énergétique mondiale ne cesse d’augmenter.
Depuis que l’Asie a repris une grande part des
processus de productions intensifs en travail et en
énergie, localisés auparavant dans le monde occidental désormais désindustrialisé, la demande
énergétique de la région a augmenté de manière
dramatique. Un approvisionnement suffisant en
énergie et en électricité est devenu une des conditions de base du développement. Les réserves de
pétrole et de gaz de la planète ne sont toutefois
pas inépuisables, et ne peuvent être livrées à un
prix abordable à tout moment et partout, qu’en
quantités limitées. Il faut tôt ou tard s’attendre à
des goulots d’étranglement, dus au fossé entre
l’offre et la demande, à l’épuisement des réserves
exploitables à des prix économiques, ou en raison
de conflits régionaux. Parallèlement, il est de plus
en plus acquis que les combustibles contribuent
fortement au changement climatique et que le renforcement de leur utilisation n’est pas compatible
avec un endiguement des risques liés à celui-ci.
La recherche de sources d’énergie alternatives
additionnelles est donc devenue une tendance
majeure – aussi bien dans le monde occidental que
dans les pays récemment industrialisés. L’énergie
nucléaire est – à côté des énergies renouvelables
incontestablement importantes – une des alternatives considérée avec un intérêt croissant.
Diverses études partent du principe qu’il est
possible de limiter la prolifération tout en continuant à exporter de la technologie nucléaire
civile.91 La politique du nouveau gouvernement
américain semble avoir adopté le même point
de vue. Pourtant, les propositions politiques de
non-prolifération faites dans ce but seront à peu
près aussi prometteuses et efficaces que celles
annoncées dans les années 1960 et 1970. Elles
permettent de gagner un peu de temps jusqu’à ce
que des failles et lacunes se manifestent à nouveau à travers les premiers cas de prolifération.
Quand des acteurs non étatiques commenceront à s’engager activement dans ce domaine,
la plupart des éléments du régime de non-prolifération – créés pour empêcher la prolifération
91Cf. p.ex. : The Atlantic Council : Proliferation and the Future of Nuclear Power, Washington DC 2004.
42
entre les états – n’auront qu’un effet limité avec
la possibilité que davantage de failles se présentent. Tous ceux qui défendent les exportations de
technologie nucléaire en dépit des problèmes de
prolifération et de sécurité, refusent d’admettre
qu’ils nient complètement de ce fait l’existence
d’un problème central : on ne peut pas chercher
d’un côté un maximum de protection face à la
prolifération, et promouvoir et défendre de l’autre
les avantages économiques de l’exportation de
la technologie nucléaire civile. Malgré toutes les
mesures de sûreté, la prolifération nucléaire restera un danger pour la sécurité internationale
dans le futur.
Selon toute vraisemblance, il n’est pas exagéré d’affirmer, qu’en l’état actuel et prévisible
de la technologie il est impossible de préserver
complètement le nucléaire civil du danger de prolifération. Il est certainement possible de renforcer
les obstacles et de limiter les problèmes. Cependant, toutes les mesures proposées aujourd’hui
dans ce but, perdront de leur efficacité avec le
temps. Les progrès technologiques et l’accès croissant à des technologies de pointe permettront un
jour de contourner des mesures de non-prolifération même perfectionnées.
Même dans le meilleur des scénarios, il faut
s’attendre à ce que les risques de prolifération
augmentent si le nombre de pays utilisant l’énergie nucléaire pour la production d’électricité se
multiplie. Chaque nouveau pays s’inscrivant au
club du nucléaire civil, entraîne une augmentation du nombre de lieux avec de la matière
nucléaire à surveiller, du nombre d’experts et de
scientifiques avec une formation et des connaissances spécifiques à la recherche d’un emploi et
capable de développer la technologie par la suite,
ainsi que le nombre de sites accueillant des installations vulnérables aux attaques terroristes.
Les risques de prolifération vont sans doute
augmenter pour différentes raisons :
 Premièrement : l’uranium – comme le gaz
et le pétrole – est une matière première limitée.
Les réserves mondiales d’uranium s’épuiseront
sans aucun doute, même si elles durent encore 60,
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
80 ou 100 ans à un niveau constant de consommation. Les institutions qui proclament que
l’uranium a une durée de vie longue, prévoient
aussi la plupart du temps une hausse rapide du
nombre de centrales nucléaires à l’avenir et par
conséquent une augmentation tout aussi rapide
de la consommation d’uranium. Si l’on veut faire
de l’uranium une source d’énergie durable à long
terme, il faudrait mettre en place des cycles de
combustible fermés et des technologies associées
comme le retraitement et la séparation du plutonium afin que la matière première puisse être
utilisée plusieurs fois. Le retraitement comporte
toutefois des risques de prolifération bien plus
importants, et particulièrement quand un plus
grand nombre de pays construisent et exploitent
ce genre d’installations.
 Deuxièmement : une des conséquences
de la globalisation est l’affaiblissement du monopole d’État sur l’usage de la violence. On désigne
souvent ce phénomène par les expressions
« états défaillants » ou « états faillis ». Les gouvernements de ces états ont perdu le contrôle
de certaines parties de leur territoire où ils sont
supposés maintenir la sécurité. Ils ne sont plus en
mesure de l’imposer dans ces endroits. Quand ces
états défaillants abritent des centrales nucléaires,
peu importe qu’elles soient civiles ou militaires,
cela crée un sérieux problème de prolifération.
L’effondrement de l’Union soviétique a révélé
au monde de nombreux aspects caractéristiques
d’une telle situation. Pouvons-nous être sûrs que
le Pakistan ne devienne jamais un état défaillant
ou même qu’il se désintègre ? Cela vaut-il également pour tous les pays africains qui aujourd’hui
envisagent de plus en plus l’usage de l’énergie
nucléaire ?
 Troisièmement : le nombre de pays
capables de fournir la technologie nucléaire ne
cessera de croître, puisqu’ils exploiteront des
centrales civiles. Ainsi augmenteront le nombre
de sources technologiques, le volume et la qualité des transferts de technologie, et toujours plus
de pays se retrouveront peu à peu en mesure de
fabriquer eux-mêmes des composants particuliers et donc de les exporter. Par expérience, les
incitations économiques liées à ce type d’opérations d’exportation se mettent en place, dans
bien des cas, plus rapidement que des systèmes
7. Un monde à la recherche d’énergie
efficaces de contrôle des exportations et que la
mise en place de normes de sécurité améliorées.
La désindustrialisation de l’Occident et l’industrialisation du Sud se transformeront en tests
sérieux pour les tentatives actuelles de contrôle,
de limitation ou d’interdiction des exportations
de technologies nucléaires. Certains des futurs
pays fournisseurs potentiels de technologie
nucléaire pourraient avoir une interprétation de
l’usage civil légitime du nucléaire différente de
celle des puissances nucléaires traditionnelles
et leurs alliés proches. Il suffit de se souvenir
de l’accusation d’« Apartheid nucléaire » utilisée pour décrire les politiques d’exportations de
l’hémisphère nord. Ce qui signifierait un nombre
considérable de nouveaux défis pour les systèmes
de contrôle des exportations nucléaires. Quand
des nouveaux pays fournisseurs se mettront à
lutter pour des parts de marché, il est tout à fait
possible que les industries des pays occidentaux
aient recours à un vieil argument dangereux,
qui a déjà encouragé la prolifération nucléaire
plusieurs décennies auparavant: « si nous ne le
vendons pas, d’autres le feront pour nous. Il est
donc préférable de le vendre nous-mêmes. »
Une étude de l’Institut international de
recherche pour la paix de Stockholm (SIPRI) sur
les risques de prolifération de l’énergie nucléaire
datant déjà de1979, arrivait à la conclusion qu’un
cycle de combustible basé sur des centres multilatéraux d’enrichissement et de fabrication de
combustible, était celui qui offrait la sécurité
la plus efficace contre la prolifération.92 L’étude
conseillait vivement de mettre à profit les deux ou
trois décennies que l’on gagnerait grâce au TNP
et à d’autres mesures de non-prolifération, pour
développer un tel circuit de combustible. Les
trois décennies se sont écoulées sans que des progrès significatifs aient été accomplis dans cette
voie. Les intérêts économiques nationaux ont
constamment fait obstacle. Ce n’est qu’au cours
des dernières années – à cause du débat sur l’Iran
– qu’on a recommencé à songer intensément à
une multilatéralisation.93 Mais il est toutefois dif-
43
ficile de s’imaginer aujourd’hui encore que les
futurs risques de prolifération soient traités de
manière innovante.
L’énergie atomique est encore considérée
dans de nombreux pays comme une technologie
d’une grande valeur, complexe et moderne, dont
la maîtrise est une preuve de développement
technologique et d’expertise. C’est pourquoi elle
reste une composante importante du développement et de la modernisation. Tous les pays
ne disposent pas des ressources économiques
pour emprunter cette voie. Mais ceux qui ont des
moyens peuvent choisir l’option nucléaire. Tant
que les pays occidentaux intéressés par l’exportation rentable de centrales et de la technologie
nucléaire continuent à la présenter comme une
source d’énergie moderne, respectueuse du climat et bon marché, ils contribuent au fait que de
nouveaux pays s’engagent dans le nucléaire. En
agissant de la sorte, le risque de prolifération augmente inéluctablement.
Le TNP et le régime de non-prolifération, mis
en place entre les années 1960 et le début du 21ème
siècle, reposent toujours sur le même concept
« de compromis ». Les états nucléaires promettent de supprimer leur arsenal d’armes, les États
membres non dotés d’armes nucléaires s’engagent à ne pas les développer – et tous les États
membres jouissent du droit illimité de l’usage
civil de la technologie nucléaire. Il est naturellement possible de renforcer la non-prolifération ou
les mécanismes destinés à la prévenir. Pour cela
il faut une volonté politique. L’existence de cette
volonté dépendra des progrès accomplis dans le
domaine du contrôle de l’armement nucléaire et
celui du désarmement. Cela dépendra aussi du
fait de savoir si l’on peut limiter l’usage civil du
nucléaire voire y renoncer. Ce qui requiert encore
à nouveau de la volonté politique. Mais celle-ci
fait défaut, autant sur le plan de l’utilisation civile
que militaire. Le débat allemand sur la prolongation de la durée de vie de centrales existantes
ou même sur l’abandon de l’accord de sortie du
92 Frank Barnaby et al. (Éds.) : Nuclear Energy and Nuclear Weapon Proliferation. Londres, Stockholm 1979.
93Une banque multilatérale de combustible supervisée par l’AIEA et à laquelle pourront recourir les États membres,
doit être créée.
44
nucléaire, illustre parfaitement l’ampleur de ce
manque de volonté.94
Les usages civil et militaire du nucléaire
peuvent être vus comme des frères siamois.
Finalement, l’un n’existe pas sans l’autre et chacun comporte des risques spécifiques majeurs.
Pour que la vision d’un monde libéré de l’arme
nucléaire devienne une réalité durable, il faut
renoncer aux deux. La meilleure solution à la
prolifération et la plus résistante serait l’« option
double zéro » – l’élimination des armes et de
l’énergie nucléaires. L’argument le plus puissant
utilisé jusqu’ici contre la vision d’un monde sans
armes nucléaires – « personne n’est en mesure de
garantir ni de contrôler qu’aucun acteur ne poursuive la fabrication d’armes nucléaires » – n’aurait
Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ?
plus de raison d’être. Il est beaucoup plus facile et
efficace de surveiller l’abandon des usages civil et
militaire du nucléaire que le renoncement exclusif aux armes atomiques.95
Le 6 avril 2010, la Société allemande de physique, la plus ancienne et plus grande association
nationale de physiciens de la planète, publiait
une résolution.96 Les scientifiques, pour marquer
la conférence de révision du TNP en mai 2010, y
suggéraient l’initiation de négociations pour un
accord sur les armes atomiques : un traité bannissant et interdisant les armes atomiques devrait
être achevé en 2020. Il faudrait une initiative
semblable pour l’énergie nucléaire parce qu’il est
urgent de sortir du nucléaire et que sa mise en
place prendra aussi du temps.
94 Il serait judicieux de présenter plus souvent le nucléaire comme une technologie dépassée et d’expliquer clairement
que : dans de plus en plus de pays, les meilleurs techniciens, ingénieurs et scientifiques travaillent aujourd’hui davantage
à l’améliorat.
95 Si l’on interdisait exclusivement l’usage militaire du nucléaire, le savoir, l’expertise et les exigences techniques
« survivraient » dans le secteur civil ; en renonçant aux deux, l’expertise et les experts « s’éteindraient lentement ».
96Cf. : http://www.dpg-physik.de/presse/pressemit/2010/dpg-pm-2010-12.html
SéRIE éCOLOGIE
Prolifération des armes
nucléaires, sécurité énergétique
et réduction des émissions
de CO2. De l’interdépendance
du nucléaire civil et militaire.
Par Henry D. Sokolski
Washington D.C., mars 2010
© U.S. Departement of Defense
46
Nuclear Weapons Proliferation, Energy Security, and Carbon Emission Reduction. How to Overcome the Civilian-Military Nuclear Dilemma.
1. Prolifération des armes nucléaires et prévention :
les vingt prochaines années
À la veille de la Conférence de révision
du Traité sur la non-prolifération des armes
nucléaires (TNP) en mai 2010, les grands pays se
sont concentrés comme jamais auparavant sur la
réduction des stocks actuels d’armes nucléaires
américain et russe, la fin de l’intensification du
programme nucléaire de Pyongyang, et l’arrêt des
activités de l’Iran en matière d’armes nucléaires.
L’espoir étant que tous ces efforts se renforcent
mutuellement et aboutissent à des accords additionnels de réduction des armes nucléaires entre
les États-Unis et la Russie, mais aussi entre les
autres pays dotés de l’arme nucléaire. Finalement, l’espoir est que les avancées en matière de
réduction des armes nucléaires existantes incitent
les états non dotés de l’arme nucléaire (ENDAN)
à éviter les activités productrices de combustible
nucléaire civil dangereuses et à ouvrir leurs installations à des inspections internationales plus
pointilleuses.
Ces attentes risquent cependant de ne pas
se concrétiser. À moins d’un changement de
régime en Corée du Nord ou en Iran, le renoncement de Pyongyang à son arsenal nucléaire et
l’arrêt des activités iraniennes en matière d’armes
nucléaires restent très improbables. En ce qui
concerne la réduction des arsenaux actuels, il y en
aura peut-être en ce qui concerne les armes stratégiques (de l’ordre de 1.000 à 500 têtes) une fois
que les États-Unis et la Russie se seront mis d’accord sur les suites à donner au Traité de réduction
des armes stratégiques (START). Par contre, la
conclusion d’accords additionnels susceptibles
de limiter le nombre très supérieur des armes
nucléaires tactiques russes, ne sera ni facile, ni
rapide. Les capacités militaires conventionnelles
de la Russie sont de plus en plus distancées par
celles de l’OTAN et de la Chine. Moscou est plus
susceptible de faire dépendre sa sécurité sur ses
milliers d’armes nucléaires que de les éliminer
ou d’en réduire le nombre. Les chances que la
Chine, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et
Israël parviennent à un accord sur la réduction
du nombre d’ogives semblent par ailleurs encore
plus minces.
Si les tendances actuelles persistent, la sécurité internationale sera mise à l’épreuve durant
les deux prochaines décennies comme jamais
auparavant. Avant 2020, les forces nucléaires du
Royaume-Uni seront supplantées non seulement par celles du Pakistan, mais aussi par celles
d’Israël et de l’Inde. La France ne tardera pas à
subir le même sort. La Chine, qui dispose déjà de
suffisamment de plutonium séparé et d’UHE pour
1. Prolifération des armes nucléaires et prévention : les vingt prochaines années
tripler ses stocks actuels d’environ 300 ogives,
augmentera sans doute son arsenal. Le Japon,
quant à lui, aura directement accès à des stocks
de plutonium séparé permettant la fabrication
de milliers de bombes. Les stocks américain et
russe de matières servant à la fabrication d’armes
– assez importants à l’heure actuelle pour être
convertis en dizaines de milliers d’armes – ne
diminueront pas de manière significative, alors
que ceux du Japon et d’autres états nucléaires
pourraient tout à fait doubler.1 La situation s’aggrave avec l’apparition éventuelle d’autres états
du « seuil » (ceux sur le point de disposer de
l’arme atomique) en 2010, 25 pays au moins ont
fait part de leur volonté de construire des réacteurs de grande taille – historiquement, de quoi
faire des bombes – avant 2030.
Rien de tout cela ne jouera en faveur de l’abolition des armes nucléaires. À ces tendances
inquiétantes s’ajoute la popularité grandissante
de l’énergie nucléaire « pacifique ». Presque tous
les pays fournisseurs de nucléaire affirment
aujourd’hui que l’exportation de nouvelles centrales renforcera la non-prolifération, puisqu’elle
sera assortie d’inspections nucléaires « approfondies », alors que dans la plupart des cas parmi les
plus préoccupants, ce type d’inspection demeure
47
trop peu fiable pour dissuader ou prévenir efficacement des détournements militaires importants. En
réalité, les inspections nucléaires internationales ne
parviennent pas à assurer la continuité des inspections sur la majorité des combustibles usés ou frais
dans le monde – utilisables pour l’enrichissement et
dans les centrales de retraitement afin d’accélérer la
production de matières militaires. De plus, ces centrales de production de combustible nucléaire sont
facilement dissimulables et peuvent, même quand
elles sont déclarées, être utilisées pour produire du
combustible militaire, sans que les inspecteurs ne le
détectent au moment opportun.2
Certains de ces problèmes commencent à être
pris en considération aux États-Unis. Il faudrait
malgré tout élargir le débat sur ces questions. En
effet, même si les initiatives de contrôle favorites de
Washington et de l’UE (les suites de START, le Traité
d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE),
le Traité d'interdiction de la production de matières
fissiles (TIPMF), les banques de combustible
nucléaire civil et les inspections nucléaires approfondies) sont toutes adoptées et permettent d’éviter
les risques mentionnés ci-dessus, les États-Unis et
leurs alliés seront toujours confrontés à une série de
nouveaux dangers importants de prolifération.
1International Panel on Fissile Materials, Global Fissile Materials Report 2008 (octobre 2008), disponible sur
http://www.ipfmlibrary.org/gfmr08.pdf [ces adresses url et toutes les suivantes étaient valables le 7 mai 2009] ;
Andrei Chang, « China’s Nuclear Warhead Stockpile Rising, » UPIAsia.com (5 avril 2008), disponible sur
http://www.upiasia.com/Security/2008/04/05/chinas_nuclear_warhead_stockpile_rising/7074
2Voir par ex. Henry S. Rowen, « This "Nuclear-Free" Plan Would Effect the Opposite, » Wall Street Journal
(17 janvier 2008). Pour de plus amples informations dans le domaine technique, voir David Kay, « Denial and
Deception Practices of WMD Proliferators: Iraq and Beyond, » dans Weapons Proliferation in the 1990s,
éd. Brad Roberts (MIT Press, 1995) ; Victor Gilinsky, et al., « A Fresh Examination of the Proliferation Dangers
of Light Water Reactors » (Washington, DC: NPEC, 2004), disponible sur http://www.npec-web.org/Essays/
20041022-GilinskyEtAl-lwr.pdf ; et Andrew Leask, Russell Leslie et John Carlson, « Safeguards As a Design Criteria
– Guidance for Regulators, » (Australian Safeguards and Non-proliferation Office, septembre 2004), disponible sur
http://www.asno.dfat.gov.au/publications/safeguards_design_criteria.pdf
Nuclear Weapons Proliferation, Energy Security, and Carbon Emission Reduction. How to Overcome the Civilian-Military Nuclear Dilemma.
By Antônio Milena (ABr), via Wikimedia Commons
48
2. La course à l’armement nucléaire?
Le premier de ces dangers est que pendant que
les États-Unis et la Russie réduisent progressivement leur déploiement d’armes nucléaires, la Chine,
l’Inde, le Pakistan et Israël semblent progressivement augmenter le leur. Aujourd’hui, les États-Unis
prévoient de réduire les déploiements d’armes stratégiques américaines et russes à environ 1.000 ogives
chacun. Il est donc concevable que d’ici 10 ans, la
différence du nombre de têtes entre les États-Unis et
la Russie et les autres pays nucléaires, se mesure en
centaines et non plus de milliers d’armes (voir le graphique ci-dessous). Dans un tel scénario, des changements dans la capacité d’armement nucléaire
de n’importe quel état, même mineurs, auraient
sans doute un impact beaucoup plus important sur
l’équilibre des forces, que ce n’est le cas aujourd’hui.
Graphique 1 : congestion nucléaire à venir3
Ogives stratégiques déployées et opérationnelles
3,000
3.000
2,500
2.500
États-Unis
Russie
France
Chine
Royaume-Uni
Israël
Inde
Pakistan
2,000
2.000
1,500
1.500
1,000
1.000
500
0
2009
2016
2020
2. La course à l’armement nucléaire? 49
À l’instabilité internationale que ces tendances
pourraient provoquer, s’ajoutent les stocks importants et en augmentation constante, de matières
militaires (à savoir le plutonium séparé et l’UHE)
que possèdent divers états. Ces stocks dépassent déjà la quantité nécessaire à la fabrication
de dizaines de milliers de bombes primitives aux
États-Unis et en Russie et selon les prévisions, ils
devraient croître au Pakistan, en Inde, en Chine, en
Israël et au Japon. Ce qui permettra à chacun de
ces états d’augmenter son déploiement nucléaire
plus rapidement et plus intensément que jamais
(ci-dessous les graphiques des « portefeuilles »
actuels de ces états).
Graphique 2 : stocks nationaux d’uranium hautement enrichi à la mi-20094
Tonnes métriques (TM)
* Estimation
Stocks disponibles pour les armes
Naval (neuf)
Naval (irradié)
Matière civile
Excédent: principalement pour le mélange
Éliminé
Chine
20 TM*
France
30 TM*
France
30 TM*
Données pour la
Russie extrêmement incertaines
± 300 TM
Israël
0,1 TM*
Pakistan
2,1 TM*
Russie
Royaume-Uni
17,4 TM
États-Unis
Pays non
dotés de
l’arme
nucléaire
10 MT
Les chiffres pour le Royaume-Uni et les États-Unis sont tirés de leurs publications. Les stocks d’UHE civil de la France et du
Royaume-Uni se basent sur leurs déclarations publiques à l’AIEA. Les chiffres suivis d’un astérisque sont des estimations non
gouvernementales, et sont largement incertains. Les chiffres pour les surplus d’UHE en Russie et aux États-Unis sont ceux de
juin 2009. L’UHE dans les états non dotés de l’arme nucléaire est sous garanties de l’AIEA. Il existe une incertitude de 20 % pour
les chiffres relatifs aux stocks totaux en Chine, au Pakistan et en Russie, ainsi que pour les stocks militaires en France, et de 50 %
pour l’Inde.
3 Les
données de ce graphique sont tirées du Conseil de défense des ressources naturelles, « Russian Nuclear Forces
2007 », Bulletin of the Atomic Scientists (mars/avril 2007), disponible sur
http://thebulletin.metapress.com/content/d41x498467712117/fulltext.pdf ; Gareth Evans et Yoriko Kawaguchi,
Eliminating Nuclear Threats: A Practical Agenda for Global Policymakers (Canberra, Australia:
International Commission on Nuclear Nonproliferation and Disarmament, 2010), p. 20 ; et Robert S. Norris et Hans
M. Kristensen, « U.S. Nuclear Forces, 2008, » Bulletin of the Atomic Scientists (mars/avril 2008), disponible sur
http://thebulletin.metapress.com/content/ pr53n270241156n6/fulltext.pdf
4Frank Von Hippel, et al., International Panel on Fissile Material, Global Fissile Material Report 2009,
pp. 13 et 16, disponible sur http://www.fissilematerials.org/ipfm/site_down/gfmr09.pdf
50
Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2.
De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire.
Graphique 3 : stocks nationaux de plutonium séparé5
Tonnes métriques (TM)
* Estimation
Stocks militaires
Excédent de matières militaires
Stocks stratégiques supplémentaires
Stocks civils, dans le pays (janv. 2008)
Données pour la
Russie extrêmement incertaines
± 300 TM
Stocks civils, à l’extérieur du pays (janv. 2008)
Belgique
0,0 TM
Chine
4 TM*
France
5 TM*
Allemagne
1 TM
Inde
0,7 TM*
Israël
0,65 TM*
Japon
8,7 TM
Corée
du Nord
0,035 TM
Pakistan
0,1 TM*
Russie
Royaume- États-Unis
Uni
3,5 MT
Les stocks civils sont tirés des circulaires d’information INFCIRC /549 les plus récentes pour janvier 2008 et sont énumérés en
fonction de leur propriétaire, et non pas de leur emplacement actuel. Les stocks militaires sont basés sur des estimations non
gouvernementales, à l’exception des États-Unis et du Royaume-Uni dont les gouvernements ont effectué des déclarations. Les
incertitudes relatives aux stocks militaires de la Chine, de la France, de l’Inde, d’Israël, du Pakistan et de la Russie sont de l’ordre
de 20 %. L’Inde a classé le plutonium séparé du combustible usé de réacteurs à eau lourde comme « stratégique », et ne devant
pas être sous garanties de l’AIEA. La Belgique abrite 1,4 tonne de plutonium appartenant à des propriétaires étrangers, mais ne
possède elle-même pas de stocks (Annexe 1C).
Enfin, il pourrait en l’espace de 20 ans y avoir
plus d’états du « seuil » – des pays en mesure d’acquérir des armes en l’espace de quelques mois,
comme le Japon et l’Iran. Plus de 25 états ont en
outre fait part de leurs projets de lancement de
vastes programmes nucléaires civils. S’ils réali-
5 Ibid.
sent tous leur rêve avec une première centrale
d’ici 2030, cela doublerait presque le nombre
de 31 états développant actuellement de tels
programmes, et dont la plupart se trouvent en
Europe (voir les graphiques 4 et 5).
2. La course à l’armement nucléaire? Graphique 4 : états ou régions actuellement dotés de réacteurs nucléaires6
LÉGENDE :
Capacité actuelle
En 2030 – prévisions de l’AIE
Graphique 5 : états susceptibles d’adopter le nucléaire (2008)7
LÉGENDES
Réacteurs prévus –
Approbation, financement ou construction
Réacteurs proposés –
Propositions sûres, mais sans engagement ferme
Envisagent l’option nucléaire –
Intérêts déclarés, mais propositions incomplètes
6Graphiques conçus pour le NPEC par Sharon Squassoni. Disponible sur
http://www.npec-web.org/Frameset.asp?PageType=Projects
7 Ibid.
51
52
Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2.
De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire.
Si elle se réalise, cette expansion du nucléaire
civil aurait des implications militaires énormes.
Les pays qui disposent aujourd’hui de l’arme
nucléaire ont tous commencé par installer un
réacteur de grande taille avant d’acquérir leur
première bombe. Le Royaume-Uni, la France,
la Russie, l’Inde, le Pakistan et les États-Unis ont
fabriqué la plupart de leurs bombes initiales à
partir de réacteurs qui alimentaient également
leur réseau électrique. Les États-Unis utilisent
toujours un réacteur à eau légère « résistant à la
prolifération » exploité par la Tennessee Valley
Authority pour fabriquer tout le tritium militaire
destiné à son arsenal nucléaire.
En plus de ces centrales, d’autres installations seraient bien sûr nécessaires pour séparer
chimiquement le plutonium militaire du combustible irradié ou enrichir l’uranium utilisé pour
alimenter de tels réacteurs. Cependant, comme
on l’a vu récemment avec l’Iran et de la Corée du
Nord, il est tout à fait possible de construire ces
centrales de retraitement – sans se faire repérer
– et de les exploiter de façon à ce que toute production illicite ne puisse être détectée à temps. Si
tous les programmes nucléaires civils envisagés
aujourd’hui se réalisent comme prévus, en 2030 le
monde sera beaucoup moins stable. Au lieu d’un
petit nombre d’états officiellement dotés de l’arme
nucléaire (que les États-Unis peuvent pour la plupart désigner comme des alliés ou des partenaires
stratégiques), nous pourrions nous retrouver face
à un nombre ingérable d’états dotés d’une capacité militaire supplémentaire – armés ou quasi
(c-à-d en mesure d’acquérir des armes en l’espace de 12 à 24 mois) comme le montrent les graphiques 6 et 7.
Graphique 6 : les états nucléaires actuels
La prolifération actuelle semble gérable
(avec le désarmement de la RPDC
et l’Iran non nucléaire)
2009
(non allié de l’OTAN)
(partenaire stratégique)
(non allié de l’OTAN)
(partenaire stratégique)
21 relations stratégiques possibles
(6 des plus importantes avec les États-Unis)
Graphique 7 : états « du seuil » d’ici 2015
Un avenir de prolifération possible
2015
Taiwan
Arabie saoudite
RPDC
Iran
Nato
Egypte
Pakistan
Syrie
Israël
Algérie
Inde
Corée
du Sud
Chine
Japon
Russie
(136 possibilités d’erreur de calcul stratégique)
Aujourd’hui, plus
Iran, RPDC, Taiwan, Arabie saoudite, Égypte,
Syrie, Algérie, Turquie, Corée du Sud, Japon
2. La course à l’armement nucléaire? Dans un tel monde, les États-Unis, leurs alliés
et l’UE seraient peut-être en mesure d’identifier
leurs amis et leurs adversaires potentiels, mais il
leur serait difficile de prévoir les réactions de ces
états en situation de crise : serrer les rangs, développer eux-mêmes des options d’armement, ou
encore s’en remettre à un autre EDAN. Quant aux
adversaires potentiels, les États-Unis, leurs alliés
et l’UE auraient bien du mal à déterminer à quel
point les forces militaires de ces ennemis pourraient s’avérer meurtrières.
Au bout du compte, ces tendances aggravent
plutôt les perspectives de terrorisme nucléaire. Il
y aura non seulement plus d’occasions d’acquérir
des armes nucléaires et des matières militaires,
mais aussi plus de centrales civiles et militaires
susceptibles à saboter. De plus, les risques de
53
mauvais calcul et de guerre atomique augmenteraient au point où même des actes terroristes
non nucléaires pourraient déclencher des conflits
plus grands qui pourraient se transformer en
conflits nucléaires.
Cette instabilité internationale n’est pas sans
rappeler celle qui a précédé les Première et Deuxième Guerres mondiales. Pendant ces périodes
marquées elles aussi par des objectifs de maîtrise
des armements excessivement ambitieux, les
états se sont lancés dans des préparatifs militaires
de grande envergure secrets et déclarés qui ont
accentué les tensions avant d’être mis au service
d’une guerre sans limites. La différence serait que
dans les 20 prochaines années, les munitions utilisées dans ces conflits ne seraient pas seulement
hautement explosives, mais nucléaires.
54
© United States Department of Energy
Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2.
De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire.
3. Ce qu’il est possible de faire
Tout ceci nous amène à la question suivante :
est-il possible d’éviter ou d’atténuer ces tendances ? On peut répondre par l’affirmative, mais
seulement en respectant strictement plusieurs
principes de base.
Tout d’abord, parallèllement au déclin des
déploiements d’armes nucléaires, il faut faire
preuve de vigilance et s’assurer que les réductions ou ajouts militaires contribuent à la baisse
des risques de guerre.
Si les garanties de sécurité nucléaire américaines et celles de l’OTAN sont prolongées à
court et moyen terme pour neutraliser les aspirations nucléaires des alliés clés des États-Unis
et des membres de l’OTAN, il est impératif que
Washington et l’OTAN évitent toute initiative susceptible d’ébranler la corrélation de forces dont ils
bénéficient actuellement face à leurs concurrents
nucléaires les plus importants. En plus de réduire
leurs arsenaux dans les mêmes proportions que la
Russie, les États-Unis et l’OTAN devront à court et
moyen terme empêcher les autres états dotés de
l’arme nucléaire, tels que la Chine et l’Inde, d’essayer de les rattraper ou – comme dans le cas de
l’Inde et de la Chine, du Pakistan et de l’Inde, et du
Japon et de la Chine – de se faire concurrence.
Cela signifie la mise en place de restrictions
supplémentaires, sous forme de réductions de
l’armement ou de limitations de production ou
d’entreposage de combustibles militaires, non seulement pour la Russie, mais aussi pour la Chine,
l’Inde et le Pakistan. En pratique, cela signifie
également qu’il faudra amener les autres états du
« seuil » ou virtuellement dotés d’armes (par ex.,
Israël et le Japon) à restreindre ou cesser leur production de matières militaires ou à éliminer une
partie de celles qu’ils détiennent actuellement.
À ce jour, ni les États-Unis ni l’UE n’ont proposé
de solution détaillée pour atteindre ces objectifs.
Le Président Obama a appelé à négocier un Traité
d'interdiction de la production de matières fissiles (TIPMF). Mais la plupart des versions de cet
accord autorisent la production de combustible
« civil », pratiquement équivalente à la production de combustible militaire. Par ailleurs, après
des décennies de négociations infructueuses à
Genève, nul ne sait si un tel accord pourrait un jour
entrer en vigueur. Des négociations sont actuellement menées par les Pakistanais.
Outre la négociation d’un TIPMF, il existe
d’autres moyens de restreindre la production
de matières fissiles. Certains officiels, dont des
3. Ce qu’il est possible de faire
conseillers auprès de la secrétaire d’État Hillary
Clinton, ont notamment proposé une approche
complémentaire connue sous le nom d’Initiative
de contrôle des matières fissiles (Fissile Material
Control Initiative). Au lieu d’un traité contraignant, les états signataires du TNP dotés d’armes
et les états non dotés d’armes se contenteraient
de déclarer la proportion de leurs stocks de plutonium séparé et d’UHE excédentaire par rapport
à leurs besoins militaires ou civils, puis les sécuriseraient ou les élimineraient.8 Il serait également
possible de rendre l’accès des états aux surplus
qu’ils ont déclarés plus contraignant, en exigeant
le consentement préalable de toutes les parties
membres de l’initiative.9
Une autre idée concrète et qui aurait un effet
direct sur les activités nucléaires militaires de
l’Inde, serait de s’assurer que la mise en œuvre
de l’accord de coopération dans le nucléaire civil
entre Washington et New Delhi, n’aide pas l’Inde
à produire davantage de combustibles militaires
qu’elle n’en produisait fin 2008 quand celui-ci a
été conclu. Dans le cadre du TNP, les états qui disposaient d’armes nucléaires (EDAN) en 1967 – les
États-Unis, la Russie, la France, le Royaume-Uni et
la Chine – s’étaient engagés à ne jamais aider un
autre état à en acquérir de façon directe ou indirecte. En même temps, en vertu de la loi Hyde,
qui autorise la coopération entre les États-Unis
et l’Inde dans l’utilisation civile du nucléaire, la
Maison Blanche est tenue de communiquer régulièrement au Congrès la quantité d’uranium que
l’Inde importe, celle utilisée pour l’exploitation des
réacteurs civils, la quantité d’uranium produite
dans le pays, et dans quelle mesure l’exploitation
de ses réacteurs non soumis aux garanties lui
permet d’accroître ses stocks de plutonium non
garantis, avec l’aide directe ou indirecte des EDAN
membres du TNP.10
55
Si le taux de croissance annuelle des stocks
indiens de plutonium non soumis aux garanties,
s’avère supérieur à celui précédant la finalisation de l’accord de coopération dans le nucléaire
civil de 2008, et qu’un lien avec des importations
d’uranium provenant d’un ou plusieurs EDAN
du TNP peut être établi, ces derniers seraient
complices d’une violation par l’Inde de l’Article
I du TNP. Pour empêcher une telle situation, ou
tout au moins en limiter les dégâts, les États-Unis
devraient alors alerter tous les autres états fournisseurs de nucléaire et leur demander de suspendre toute assistance en matière de nucléaire
civil jusqu’à ce que la production de matières
nucléaires militaires non garanties baisse. La
logique voudrait que cette requête soit transmise
au Groupe des fournisseurs nucléaires. Cette
vigilance devrait s’accompagner d’efforts visant à
empêcher le Pakistan de développer ses capacités
d’armement nucléaire.
En ce qui concerne le maintien de la parité
relative des forces entre les états nucléaires se faisant concurrence à travers l’assistance militaire
non nucléaire ou le renforcement de potentiel,
la difficulté sera de réussir à remplacer les armes
nucléaires par des armes conventionnelles de
façon à ne pas susciter l’intérêt de l’une ou des
deux parties pour davantage d’armes nucléaires.
Le simple déploiement de systèmes non nucléaires
plus sophistiqués pour compenser les systèmes
nucléaires ainsi abandonnés, n’en apporte malheureusement pas la garantie.
Prenons le tir de précision à longue portée – et
les systèmes avancés de commande de contrôle
et de renseignement dans le cas de l’Inde et du
Pakistan. Le Pakistan croit qu’il doit menacer
de recourir en premier à ses armes nucléaires
pour dissuader les forces conventionnelles supé-
8 Voir par ex. la présentation de Robert Einhorn, « Controlling Fissile Materials and Ending Nuclear Testing, » devant
la Conférence internationale sur le désarmement nucléaire, Oslo (26-27 février 2008), disponible sur
http://www.ctbto.org/fileadmin/user_upload/pdf/External_Reports/paper-einhorn.pdf
9 Voir Albert Wohlstetter, « Nuclear Triggers and Safety Catches, » dans Nuclear Heuristics: sélection d'articles
d'Albert and Roberta Wohlstetter, édité par Robert Zarate et Henry Sokolski (Carlisle, PA: US Army War College
Strategic Studies Institute, 2009).
10 Voir Henry J. Hyde United States-India Peaceful Atomic Energy Cooperation Act of 2006,
Implementation and Compliance Report, disponible sur
http://frwebgate.access.gpo.gov/cgi bin/getdoc.cgi?dbname=109_cong_bills&docid=f:h5682enr.txt.pdf
56
Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2.
De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire.
rieures de l’Inde. Les systèmes de tirs de précision pourraient pourtant tout à fait viser les
armes nucléaires du Pakistan. Il est donc tout à
fait concevable que doter l’Inde de telles armes
aurait pour effet d’augmenter d’un cran le niveau
d’alerte nucléaire du Pakistan et d’encourager Islamabad à acquérir encore plus d’armes pour que
leurs forces nucléaires ne puissent être anéanties
par des tirs de précision conventionnels indiens.
Exporter en Inde les mauvais systèmes améliorés
d’armes non nucléaires ou l’aider à en construire
des quantités déraisonnables, pourrait avoir une
influence défavorable sur les projets d’armement
nucléaire du Pakistan.
Les défenses anti-missiles balistiques pourraient également poser problème. Dans les bonnes
circonstances, en posséder peut constituer une
forme de dissuasion non nucléaire, susceptible
de contribuer à la réduction du nombre d’armes
nucléaires déployées. Au lieu de « neutraliser »
d’éventuels missiles ennemis en les ciblant avec
des armes offensives nucléaires ou non nucléaires,
des défenses anti-missiles actives pourraient être
utilisées pour les contrer après leur lancement.
Elles pourraient aussi être une sorte de garantie contre d’éventuelles infractions à tout nouvel
accord de réduction de missiles balistiques à capacité nucléaire. Notons encore une fois que leur
simple déploiement ne suffira pas à garantir de tels
avantages.
Reprenons le cas de l’Inde et du Pakistan.
Tandis que le Pakistan persiste à croire que dans
l’éventualité d’un conflit d’envergure avec l’Inde,
il doit utiliser en premier ses armes nucléaires,
New Delhi espère recourir à ses forces conventionnelles pour frapper le Pakistan conformément à la doctrine du « démarrage à froid » (cold
start) de façon à ce qu’Islamabad demande rapidement la paix. L’Inde a également commencé à
mettre en place ses propres systèmes de défense
anti-missiles afin de contrecarrer les menaces de
missiles offensifs du Pakistan et de la Chine.
Dans ces conditions, le fait que l’Inde et le
Pakistan possèdent des quantités équivalentes de
défenses anti-missiles ne ferait qu’offrir à l’Inde
un autre avantage militaire non nucléaire sur
Islamabad. Ce qui risque donc d’encourager le
Pakistan à renforcer davantage son stock de missiles nucléaires offensifs. La seule façon d’éviter
cela et de renforcer les avantages liés à la défense
anti-missiles pour chacun des deux pays, serait
de s’attaquer à l’asymétrie sous-jacente de leurs
forces conventionnelles.
L’une des raisons pour lesquelles les experts
en sécurité régionale ont longtemps favorisé la
création de zones de déploiement faible, moyen
et élevé de type conventionnel, des deux côtés
de la frontière indo-pakistanaise, est d’équilibrer la capacité de chaque pays à déclencher
des attaques conventionnelles « rapides » contre
l’autre. Un des éléments clé de ces propositions
est la suppression par les deux parties des missiles balistiques de courte portée, craignant que
leur usage ne déclenche une riposte nucléaire
par erreur. Mises en oeuvre, ce genre de mesures
visant à instaurer la confiance, pourraient suffire
à atténuer le sentiment de danger pour la stabilité lié au déploiement de systèmes d’armes non
nucléaires, discriminantes et perfectionnées.11
Ailleurs, d’autres mesures pourraient s’avérer nécessaires. La Chine renforçant sa supériorité sur Taiwan en termes de missiles nucléaires
et non nucléaires ainsi que sa capacité à cibler
les groupes d’aéronavales américains avec des
missiles balistiques conventionnels avancés, les
États-Unis et leurs alliés du Pacifique peuvent
craindre que Pékin ait la capacité d’anéantir les
défenses anti-missiles qu’ils sont en train de
mettre au point. Dans le même temps, la Chine
développe ses propres défenses anti-missiles
balistiques afin de contrer d’éventuelles attaques
nucléaires et des attaques ciblées de missiles
balistiques intercontinentaux américains. Les
Chinois cherchent peut-être également à se pro-
11À ce sujet, voir Peter Lavoy, « Islamabad’s Nuclear Posture: Its Premises and Implementation », dans Pakistan’s
Nuclear Future: Worries beyond War, éd. Henry Sokolski (Carlisle, PA: Strategic Studies Institute, 2008),
pp. 129–66 ; voir aussi General Feroz Khan, « Reducing the Risk of Nuclear War in South Asia », 15 septembre
2008, disponible sur http://www.npec-web.org/Essays/20090813-khan%20final.pdf
3. Ce qu’il est possible de faire
téger contre des missiles balistiques offensifs
russes. Toutes ces inquiétudes indiquent que
les efforts diplomatiques devraient tendre vers
une limitation des missiles balistiques offensifs
en Asie, afin de s’assurer que les défenses antimissiles déployées dans la région ne soient pas
immédiatement neutralisées.
Il existe plusieurs précédents. Le traité START,
qui limite les systèmes porteurs de missiles balistiques stratégiques américains et russes, en est
un. Le Traité sur les forces nucléaires à portée
intermédiaire, qui concerne les missiles russes et
ceux de l’OTAN dont la portée se situe entre 500 et
5.500 kms, en est un autre. Le Régime de contrôle
de la technologie des missiles (RCTM), qui limite
le commerce de missiles capables de transporter
une charge utile d’au moins 500 kgs sur une distance d’au moins 300 kms en est encore un autre.
La difficulté si l’on veut établir de nouvelles
limitations en matière de missiles balistiques est
de s’assurer qu’elles seront assez sévères pour
englober les missiles balistiques concernés afin
d’infléchir le besoin ou le désir de déployer plus
d’ogives, sans avoir à créer de nouvelles catégories de missiles autorisés. Eliminer les missiles
balistiques dont la portée dépasse 500 kms, pour
finalement autoriser les missiles d’une portée légèrement inférieure, situés au-dessus des
limites fixées par le RCTM, n’aurait pas beaucoup
de sens.
Une autre préoccupation liée à la limitation
des missiles balistiques offensifs avec en même
temps la délimitation d’un espace de déploiement de systèmes de défenses anti-missiles utilisant la même technologie, est de s’assurer que
la prolifération de défenses anti-missiles ne se
transforme pas en propagation accrue de missiles balistiques ou de technologie associée. Il
serait peut-être judicieux de commencer par
interdire l’exportation des systèmes de défense
anti-missiles balistiques qui emploient des fusées
57
dépassant les limites des missiles de catégorie 1
du RCTM (c-à-d les missiles capables de porter
500 kgs à plus de 300 kms). Une autre solution
serait d’arriver à des accords incitant les états à se
détourner des systèmes de défense anti-missiles
reposant sur des systèmes de missiles balistiques
importants au profit de solutions alternatives (par
ex., drones détruisant les missiles lors de la phase
de lancement, des systèmes de défense antimissile basée dans l’espace et des systèmes d’armes
à énergie dirigée).
Ce qui nous amène au deuxième grand principe.
La réduction des armes nucléaires et des
systèmes porteurs d’armes nucléaires devrait
aller de pair avec la prévention de leur propagation à de nouveaux états.
À l’heure actuelle, le lien entre la réduction
des armes nucléaires et la prévention de leur
propagation est surtout symbolique. Comme les
États-Unis et la Russie réduisent leurs déploiements nucléaires, certains pensent que d’autres
EDAN prendront le pas, ce qui devrait ensuite
convaincre les ENDAN d’accepter des inspections plus approfondies de leurs activités civiles.12
Si on met de côté les cas difficiles de l’Iran et de la
Corée du Nord, ce type de raisonnement néglige
plusieurs développements techniques majeurs et
repose sur des postulats politiques discutables.
Premièrement, sachant que l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) n’a pas été
en mesure de détecter les programmes nucléaires
clandestins en Irak, en Iran, en Syrie et en Corée
du Nord, on est en droit de se demander si des
inspections nucléaires internationales « améliorées » seront un jour, capables de détecter de
manière fiable des activités nucléaires illicites. La
question se pose tout particulièrement si, comme
certains le pensent, d’importants programmes
civils se développent dans des régions comme le
Moyen-Orient.
12Voir, par ex. Gareth Evans et Yoriko Kawaguchi, Eliminating Nuclear Threats: A Practical Agenda fo Global
Policymakers (Canberra, Australia: International Commission on Nuclear Non-proliferation and
Disarmament, 2010), pp. 3-36.
58
Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2.
De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire.
Deuxièmement, les États-Unis, mais aussi
Israël, le Japon, l’OTAN, l’Inde, la Russie et la
Chine projettent de déployer des systèmes de
défense anti-missiles balistiques – chacun pour
des raisons très différentes. Pourtant, dans leur
approche du contrôle de la menace nucléaire stratégique, les États-Unis et leurs alliés se sont abstenus de préciser si ces programmes de défense
devraient être encouragés ou restreints et, le cas
échéant, de quelle façon. De la même manière,
n’est pas abordée, en dehors des discussions avec
la Russie sur des réductions stratégiques, la question de savoir s’il faut traiter, et comment, le développement de missiles balistiques (nucléaires et
non nucléaires) par les autres états.
ment nucléaire de la Corée du Nord. En dehors
de ces deux cas, il existe une crainte générale que
la mise en application des limites fixées pour la
non-prolifération manque de fermeté. Qu’est-ce
qui sera fait, le cas échéant, pour empêcher de
nouvelles violations ?
Se posent ensuite des questions d’ordre politique. Peut-on s’attendre à ce que la Russie accepte
de procéder à de nouvelles réductions nucléaires
en plus des négociations START actuelles ? Y aurat-il un autre accord START pour limiter à 1.000 le
nombre d’ogives stratégiques déployées ? La Russie
sera-t-elle d’accord de limiter ses armes nucléaires
non stratégiques ? Quelles seront les exigences de
Moscou pour de telles réductions ? La russie exigera-t-elle que les États-Unis et l’OTAN gèlent leurs
plans de défense conventionnelle et anti-missiles ?
Et enfin, quand de tels accords seraient-ils susceptibles de voir le jour ? Le succès des politiques américaine et européenne de contrôle de l’armement
et de non-prolifération est conditionné par des
réponses à ces questions favorables aux États-Unis.
Il serait utile de poursuivre les efforts visant
à restreindre les arsenaux nucléaires existants
tout en évitant qu’ils ne se propagent davantage,
et d’associer ces deux objectifs aux tentatives
menées pour réduire et restreindre les missiles
balistiques à capacité nucléaire. Plusieurs initiatives seraient envisageables. Au lieu d’attendre
que l’Iran, le Pakistan, l’Inde, la Corée du Nord
et l’Égypte ratifient le TICE, pourquoi ne pas
utiliser l’interdiction d’essais nucléaires implicitement contenue dans le TNP pour obtenir l’accord immédiat des états founisseurs de nucléaire
civil de s’engager à bloquer tout commerce avec
les états non-signataires du TNP procédant à des
essais ? Une fois cet objectif atteint, on pourrait
rechercher un accord additionnel pour étendre
ce genre de restrictions commerciales aux états
dotés de l’arme nucléaire.
Aux problèmes politiques décrits ci-dessus
s’ajoutent les questions de mise en vigueur. Si de
nouvelles sanctions ou risques ne sont pas prises
à l’encontre du développement de capacités militaires, peut-on vraiment croire que les états ne
possédant pas de missiles à capacité nucléaire
ou d’armes atomiques ne tentent pas de se les
approprier ? Il est sûr que le Grand Moyen-Orient
attend de voir quelles mesures prendront les
États-Unis et leurs alliés à l’encontre de l’Iran (si
toutefois c’est le cas) pour sa mauvaise conduite
dans le domaine nucléaire. La plupart des états
de la région sont déjà en train de couvrir leurs
paris par l’acquisition de programmes nucléaires
« pacifiques ». On assiste à la même dynamique
en Extrême-Orient avec le programme d’arme-
Toutes ces questions font ressortir la nécessité d’une série supplémentaire de mesures de
non-prolifération et de contrôle de l’armement,
afin de compléter celles que les États-Unis et
l’UE mettent actuellement en avant. Pourquoi
ne pas ajouter à ces efforts (dont l’aboutissement
est incertain) des limitations progressives plus
immédiates ?
Pourquoi ne pas poursuivre l’Initiative de
contrôle des matières fissiles, qui aurait un
impact immédiat (même si d’abord modeste) à
la fois sur les états dotés et non dotés d’armes,
tout en appuyant le TIPMF qui n’affecterait que
les EDAN ?
À l’heure actuelle, il n’est toujours pas interdit à ceux qui transgressent le TNP et les garanties de l’AIEA et aux états qui se retirent du TNP
après avoir commis des actes en violation du
Traité, de recevoir de la technologie de missiles
à capacité nucléaire ni une assistance de la part
des états fournisseurs de cette technologie. Pour-
3. Ce qu’il est possible de faire
quoi ne pas remédier à cette lacune en interdisant
automatiquement l’accès aux biens contrôlés par
le RCTM de ceux qui ont enfreint les règles du
nucléaire ?
Les états qui méprisent les règles, comme la
Corée du Nord, restent également libres de procéder à des essais de missiles à capacité nucléaire
à l’extérieur de leurs frontières. Avec les lois internationales actuelles, tout ceci demeure légal.
Pourtant, de tels missiles se prêtent très bien au
transport d’ogives nucléaires, les développer et
les tester est fondamentalement déstabilisant.
Une norme internationale ne devrait-elle pas
exister – comme c’est le cas pour la piraterie et la
traite des esclaves – octroyant aux états le pouvoir
technique de débarrasser l’espace aérien international de tels objets (par ex. les États-Unis,
la Russie, Israël et bientôt le Japon, l’OTAN et la
Chine) comme pour les objets « illicites » ? Si des
progrès sont accomplis dans la création de limitations supplémentaires du déploiement de missiles balistiques (par ex. un Traité mondial sur les
forces nucléaires à portée intermédiaire), ceux
qui violent ces ententes ne devraient-ils pas se
voir interdire l’accès à des missiles et des produits
nucléaires contrôlés et être soumis à des restrictions d’essais de missiles similaires ?
Tant que les inspections nucléaires seront
perçues comme la solution à une telle propagation, même si dans beaucoup de cas importants
elles ne sont pas fiables, il est clair que la prolifération nucléaire en direction d’autres états persitera. Pour améliorer les choses, il est nécessaire
d’appliquer un troisième principe.
Il faut encourager les inspecteurs nucléaires
internationaux à établir une distinction entre
les activités et les matières nucléaires qu’ils
peuvent protéger de manière fiable contre un
détournement militaire et celles qu’ils sont
incapables de garantir.
Le TNP spécifie clairement que toutes les
matières et activités nucléaires pacifiques doivent être garanties, à savoir inspectées au point
d’empêcher de manière fiable qu’elles ne soient
détournées pour la fabrication d’armes. La plu-
59
part des États membres du TNP ont pris l’habitude de penser qu’en se contentant de déclarer
leurs possessions nucléaires et en autorisant des
inspections internationales, ils se conforment à
cette exigence.
Ce malentendu peut avoir des conséquences
dangereuses. Après les mauvaises évaluations
des inspections nucléaires en Irak, en Iran, en
Syrie et en Corée du Nord, nous savons désormais que l’AIEA est incapable de détecter des
activités nucléaires clandestines suffisamment
tôt pour permettre une intervention qui empêcherait la fabrication éventuelle de bombes. Nous
savons également que les inspecteurs perdent
chaque année la trace des stocks de plutonium et
d’uranium équivalant à de nombreuses bombes,
dans des centrales de fabrication de combustible
déclarées. Les officiels de l’AIEA reconnaissent
en privé que l’agence ne peut pas assurer la continuité des inspections des barres de combustible
usé ou frais dans plus de la moitié des sites inspectés. Enfin, nous savons que le plutonium et
l’uranium enrichi déclarés peuvent servir à la
fabrication de bombes et que les centrales de
production peuvent être transformées si rapidement (dans certains cas, en l’espace de quelques
heures ou jours) qu’aucun système d’inspection
n’est en mesure de lancer à temps un avertissement de tentative de fabrication de bombe. Or,
toute garantie véritable contre un détournement
militaire implique que celui-ci soit détecté suffisamment tôt pour permettre à des puissances
extérieures d’intervenir et d’empêcher la fabrication d’une bombe. Sans cela, le contrôle pourra,
au mieux, détecter un détournement militaire
une fois qu’il aura eu lieu.
À la lumière de ces différents points, il serait
utile que l’AIEA admette qu’elle ne peut garantir tout ce qu’elle inspecte contre un éventuel
détournement militaire. Cela permettrait d’aborder enfin les questions essentielles du bien fondé
de la production ou du stockage de plutonium,
d’uranium hautement enrichi, de combustible
nucléaire à base de plutonium, et de se demander
si ces activités et matières peuvent être réellement
garanties. Cela supposerait pour le moins que les
ENDAN ne puissent acquérir plus de matières ou
60
Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2.
De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire.
d’installations que celles qu’ils possèdent déjà.
Ces points sont suffisamment importants pour
être abordés avant, pendant et après la Conférence d’examen du TNP de mai 2010.
de sécurité liés à la propagation des technologies
d’électricité nucléaire, aucun gouvernement ne
devrait consacrer plus d’argent à sa promotion ni
encourager d’autres gouvernements dans ce sens14
À cet égard, les États-Unis et les pays partageant les mêmes vues pourraient évaluer de
manière indépendante la capacité de l’AIEA à
atteindre ses propres objectifs ; les circonstances
dans lesquelles ils peuvent être atteints ; et enfin
si ces objectifs sont suffisamment élevés. La
Chambre des représentants américaine approuvait l’an dernier une loi obligeant l’Exécutif à procéder régulièrement à de telles évaluations et à en
communiquer les résultats. Une loi similaire a été
proposée au Sénat.13
Enfin, pour garantir des formes d’énergie
propre à la fois sûres et compétitives économiquement, il sera nécessaire de comparer
davantage les coûts et de décourager le recours
à des incitations financières gouvernementales
pour les projets de commercialisation, spécialement l’électricité nucléaire.
Il est sûr que la création de nouvelles incitations
financières gouvernementales pour la construction de centrales nucléaires commerciales et d’installations de production de combustible annexes,
ne fera qu’augmenter la difficulté d’une comparaison précise avec des alternatives non nucléaires.
Ces subventions non seulement masquent le coût
véritable de l’électricité nucléaire, mais font que
le marché se détourne de solutions moins subventionnées et potentiellement plus sensées. Ce
qui est inquiétant car l’électricité nucléaire continue de bénéficier d’un soutien gouvernemental
énorme et les formes les plus dangereuses d’énergie nucléaire civile – la production de combustible
nucléaire dans la plupart des ENDAN et les projets
de grandes centrales dans des régions déchirées
par la guerre comme le Moyen-Orient – sont finalement des investissements peu avisés par rapport
à des alternatives beaucoup plus sûres.15
Les partisans de l’électricité nucléaire affirment que son développement est essentiel à la
prévention du réchauffement climatique. Ils minimisent ou ignorent toutefois le risque de prolifération militaire associé à la propagation de cette
technologie. Ceci dit, il sera peut-être impossible
d’empêcher le développement de l’électricité
nucléaire si celle-ci s’avère une solution économique et pratique pour la fourniture d’énergie
faible en carbone. Compte tenu des problèmes
Il existe plusieurs façons d’éviter cela. La
première serait que le plus grand nombre possible de gouvernements ouvrent tous les grands
projets d’énergie civile de leur pays à la concurrence internationale. C’est déjà le cas dans certains pays. Le problème est que lorsque des états
veulent construire des réacteurs civils puissants,
ils limitent souvent la compétition à des offres
nucléaires, au lieu d’envisager des options énergétiques susceptibles de répondre à certains cri-
13Voir Section 416 of the House State Authorization Act of 2010 and 2011 « Implementation of
Recommendations of Commission on the Prevention of WMD Proliferation and Terrorism, » disponible sur
http://www.govtrack.us/congress/billtext.xpd?bill=h111-2410
14 Tels que le relancement par l’Allemagne de crédits à l’exportation (« Hermes ») pour la production d’électricité
nucléaire au Brésil, en Russie et en Chine ou les propositions du Président Sarkozy pour le financement de l’électricité
nucléaire à travers des fonds de développement et des prêts.
15 Voir par ex. Peter Tynan et John Stephenson, « Nuclear Power in Saudi Arabia, Egypt, and Turkey – how cost
effective? », 9 février 2009, disponible sur http://www.npec-web.org/Frameset.asp?PageType= Single&PDFFile=
Dalberg-Middle%20East-carbon&PDFFolder=Essays ; Frank von Hippel, « Why Reprocessing Persists in Some
Countries and Not in Others: The Costs and Benefits of Reprocessing, » 9 avril 2009, disponible sur
http://www.npec-web.org/Frameset.asp?PageType=Single&PDFFile=vonhippel%20%20TheCostsandBenefits&P
DFFolder=Essays ; Doug Koplow, « Nuclear Power as Taxpayer Patronage: A Case Study of Subsidies to Calvert
Cliffs Unit 3, » disponible sur http://www.npecweb.org/Frameset.asp?PageType=Single&PDFFile=Koplow%20-%20
CalvertCliffs3&PDFFolder=Essays
3. Ce qu’il est possible de faire
tères environnementaux et économiques.. De
telles restrictions ne devraient pas être encouragées sur le plan international.
La plupart des pays avancés, dont les ÉtatsUnis, prétendent adhérer aux principes du Traité
sur la charte de l’énergie et de la Charte mondiale
sur le développement de l’énergie durable. Ces
accords internationaux visent à encourager tous
les états à ouvrir leurs secteurs énergétiques à la
concurrence internationale. Et ce afin de garantir que toutes les options énergétiques soient
examinées et que les subventions et externalités
associées à chacune d’elles soient internalisées
et se reflètent dans le prix de ce qui est proposé.
Encourager le respect de ces règles est indispensable si les États-Unis et d’autres états souhaitent
réellement réduire leurs émissions de CO2 de la
façon la plus rapide et la moins coûteuse.
On pourrait ici rappeler les principes du Traité
sur la charte de l’énergie et de la Charte mondiale
sur le développement de l’énergie durable et les
appliquer comme faisant partie des amendements
des accords atteints à Kyoto et Copenhague. De
plus, les états qui choisissent de construire une centrale nucléaire au détriment d’une alternative non
nucléaire moins coûteuse et plus sensée, devraient
être dénoncés par un organisme de contrôle économique de la concurrence (par ex. l’Organisation
mondiale du commerce) qui pourrait avoir la responsabilité de superviser les transactions internationales importantes liées à l’énergie. Enfin,
61
les choix nucléaires peu rentables (par ex. divers
projets nucléaires au Moyen-Orient) devraient
être soumis à l’AIEA en vue d’une enquête sur les
objectifs réels de ces projets.16
Les états les plus avancés du monde pourraient accomplir un effort supplémentaire en en
travaillant avec les pays en développement pour
mettre en place des alternatives non nucléaires
capables de répondre à leurs besoins énergétiques et environnementaux. Dans le cas des
États-Unis, cela impliquerait l’application d’une
loi existante. Le chapitre V de la Loi de 1978 sur
la non-prolifération nucléaire stipule que l’Exécutif doit analyser les besoins énergétiques des
pays clés et identifier les façons de répondre à ces
besoins avec des sources d’énergie non nucléaires
et non fossiles. Jusqu’à ce jour aucun président
américain n’a fait le choix d’exécuter cette loi. Le
Congrès américain a indiqué qu’il voulait que
l’exigence d’analyses énergétiques du chapitre
V, (ainsi que des évaluations non gouvernementales de ces analyses à l’extérieur) deviennent une
condition préalable à l’amorce par les États-Unis
de nouveaux accords américains de coopération
nucléaire.17 Les Nations Unies disposent d’une
alternative, leur propre initiative sur l’énergie
renouvelable (non nucléaire) dont l’objectif est
l’assistance aux pays en développement. Comme
pour la plupart des suggestions précédentes, les
États-Unis et d’autres pays peuvent appuyer ces
initiatives sans attendre d’accord international.
16Pour de plus amples informations, voir Henry Sokolski, « Market Fortified Non-proliferation »,
dans Breaking the Nuclear Impasse (New York, NY: The Century Foundation, 2007), pp. 81-143,
disponible sur http://nationalsecurity.oversight.house.gov/documents/20070627150329.pdf
Pour plus de détails sur les membres actuels, les investissements et les principes commerciaux
du Traité sur la charte de l’énergie et de la Charte mondiale sur le développement de l’énergie durable,
veuillez consulter http://www.encharter.org et http://www.cmdc.net/echarter.html
17 Voir la Lettre des membres du Congrès Brad Sherman, Edward Markey et Ileana Ros-Lehtinen
à la secrétaire d’État Hillary Clinton, 6 avril 2009, disponible sur
http://bradsherman.house.gov/pdf/NuclearCooperationPresObama040609.pdf
62
Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2.
De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire.
Conclusion
L’inquiétude grandissante des états sur la
sécurité énergétique et la réduction des émissions
de CO2 , a fait que les gouvernements ont une fois
de plus penché du côté de l’expansion du nucléaire
civil. Les États-Unis, la France, la Russie, la Chine,
le Japon, la Corée du Sud, l’Inde, le Pakistan, le Brésil et de nombreux autres pays en développement
au Moyen-Orient et en Asie prévoient aujourd’hui
d’exporter ou d’acheter des réacteurs nucléaires à
l’aide de fonds et financements publics.
Dans ce contexte toutefois, un point reste
négligé, celui de savoir comment augmenter le
nombre de réacteurs sans propager en même
temps les moyens de fabriquer des armes. Du
point de vue technique, les moyens de faire
bouillir de l’eau avec de l’énergie nucléaire sont
quasiment les mêmes que ceux qui permettent
d’obtenir du plutonium en quantité suffisante
pour fabriquer une multitude de bombes.
Il est pratiquement impossible de former les
centaines d’ingénieurs et de techniciens indispensables à la construction et à l’exploitation de telles
centrales sans prendre le risque qu’ils apprennent
à produire du combustible militaire à partir de
combustible usé. Il n’est non plus pas possible de
vérifier efficacement les engagements pris par des
états qui disent vouloir renoncer à la production
de combustible nucléaire. Par le passé, l’AEIA s’est
non seulement révélée incapable de repérer certaines centrales clandestines, mais aussi à maintes
reprises n’a découvert la présence de plutonium
séparé et d’uranium enrichi (équivalant à de nombreuses bombes) que longtemps après leur production. Aucun système d’inspection, y compris le
protocole additionnel, ne s’attaque véritablement
à ces problèmes. Par conséquent, à moins d’être
convaincu qu’un état n’ait aucune intention militaire, lui transférer les moyens d’exploiter un réacteur nucléaire comporte un risque de prolifération
considérable.
Si les états n’avaient réellement pas d’autre
choix que le nucléaire pour répondre à leurs
besoins de sécurité énergétique ou exigences
en recherche scientifique, tout en réduisant leur
empreinte carbone, il nous faudrait bien nous
résigner à accepter ces risques. Le nombre d’états
du « seuil » augmenterait et au lieu d’évoluer vers
un point zéro et réduire la menace atomique,
nous nous rapprocherions chaque jour davantage de la concrétisation de ces risques.
Heureusement, il existe des options énergétiques non nucléaires à la fois convaincantes, propres et économiquement compétitives
ainsi que des mesures capables de limiter les
menaces nucléaires, en dehors de celles favorisées aujourd’hui. Elles portent l’espoir de pouvoir échapper au dilemme du nucléaire civil/
militaire. De nouvelles découvertes de gaz naturel font de ce combustible relativement propre
et peu coûteux un tremplin possible vers des
options énergétiques alternatives plus compliquées et actuellement plus onéreuses. Les
coûts de ces alternatives non nucléaires sont par
ailleurs en baisse. Enfin, l’efficacité énergétique,
les nouveaux modes de stockage de l’électricité et
les systèmes de distribution laissent augurer de
réductions significatives de la quantité d’énergie
nécessaire à la production d’une unité de produit
intérieur brut donnée.
Pour promouvoir ces options d’énergie non
nucléaire par rapport à l’électricité nucléaire, il
faudra les mettre en compétition sur le plan économique pour tous les grands projets énergétiques
par le biais d’appels d’offre internationaux. Au lieu
de faire jouer la concurrence sur des programmes
énergétiques spécifiques – par exemple, en lançant
des appels à projets internationaux pour une centrale nucléaire ou un programme de séquestration
du carbone – les états devraient être encouragés à
organiser des appels qui ne mentionnent que la
quantité d’énergie requise et les exigences environnementales à respecter. Ce qui nous intéresse est
en effet de promouvoir la solution la plus rapide et
la moins coûteuse (en supposant que les coûts des
subventions gouvernementales, la gamme des prix
possibles pour le carbone, etc., soient internalisés)
pour répondre aux exigences formulées.
Enfin, il est impératif que les états les plus
concernés par la réduction de la menace nucléaire
ajoutent à leur liste d’efforts formels liés aux traités – dont la mise en œuvre pourrait prendre des
années – des mesures plus pratiques applicables
dès aujourd’hui. Il s’agit entre autres d’inciter les
états à réduire leur production de matières fissiles militaires en obtenant d’eux qu’ils déclarent
les excédents à leurs besoins civils ou militaires,
puis en les incitant à éliminer ces matières ou à les
rendre beaucoup plus difficiles d’accès. Il faudrait
également s’assurer que les ventes de combustible
nucléaire civil à des états non signataires du TNP,
comme l’Inde n’encouragent pas la concurrence nucléaire comme celle qui oppose cette
dernière au Pakistan.
63
Les états fournisseurs de nucléaire devraient
en outre encourager à une plus grande honnêteté
sur les défauts du système de garantie nucléaire
de l’AIEA et faciliter l’identification des inspections non fiables en matière de détection. Enfin,
il est indispensable de s’intéresser davantage au
déploiement des systèmes non nucléaires afin
que l’intérêt ou la dépendance des états à l’égard
du nucléaire s’amenuisent. Il faudrait dans ce
domaine, intensifier les efforts visant à limiter les
missiles balistiques offensifs à capacité nucléaire.
Ces recommandations ont l’avantage d’être
applicables dès aujourd’hui. D’un autre côté, leur
mise en œuvre n’est soumise à aucun délai précis.
Dans ce domaine, comme pour tout problème
important, il suffit simplement de s’y mettre.
64
Glossaire et liste des abréviations
AIEA Agence internationale de l'énergie atomique
CEGB Central Electricity Generating Board
CLE en MAINS Contrat forfaitaire comprenant la conception et la construction
de l’ensemble de la centrale
COL Permis américain de construction et d’exploitation
COÛT instantané (ou coût net de construction) : les coûts de construction d’une centrale nucléaire,
comprenant le coût du premier combustible mais pas les frais financiers.
DOE US Département de l'Énergie des États-Unis
EIA Agence américaine d'information sur l'énergie
EPACT Loi sur la politique énergétique
RNR Réacteurs à neutrons rapides ou Réacteur surgénérateur rapide
GDA Procédure d’évaluation de la conception des réacteurs
IDC
Intérêts durant la construction
NII Inspection des installations nucléaires britannique
NINA Nuclear Innovation North America
NRC US
Autorité de sûreté nucléaire américaine
O&M Exploitation et maintenance
PIU Unité performance et innovation britannique
RCTM Régime de contrôle de la technologie des missiles
REB Réacteur à eau bouillante
REL Réacteur à eau lourde (incluant Candu)
REP Réacteur à eau pressurisée
RBMK Réacteur russe utilisant l’eau et le graphite
RRG Réacteur refroidi au gaz
START Traité de réduction des armes stratégiques
TGCC Turbine à gaz à cycle combiné
TICE
Traité d'interdiction complète des essais nucléaires
TNP Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires
VVER Réacteur à eau pressurisée russe
Otfried Nassauer est un journaliste freelance et un chercheur pour la paix qui a étudié la théologie à Hambourg.
Depuis 1991 il dirige le Centre d'Information de Berlin pour la Sécurité Transatlantique (BITS). Nassauer s'intéresse particulièrement à la politique de sécurité et les organisations internationales liées à la sécurité (l'OTAN,
l'UEO, l'UE, l'OSCE, l'ONU), le contrôle et les exportations des armes, le désarmement, les armes nucléaires et la
prolifération. Parmi ses dernières publications figurent des analyses de la politique nucléaire des États-Unis, de
la Russie, l'Iran et l'OTAN. Il est l'auteur et l'éditeur de nombreux livres. Contact: www.bits.de
Henry D. Sokolski est le directeur exécutif du Centre d'éducation de politique de non prolifération (NPEC) basé
à Washington. L’objectif de l’association, fondée en 1994, est la promotion d’une meilleure compréhension des
questions de prolifération d'armes stratégiques dans le monde politique, le monde universitaire et les médias. Il
est aussi professeur adjoint à l'Institute of World Politics de Washington. En tant que membre de la Commission
pour la prévention de la prolifération des armes de destruction massive et du terrorisme du Congrès, Henry
Sokolski est l’auteur et l’éditeur d'un grand nombre d'ouvrages et publications.
Le danger de prolifération nucléaire est proportionnel au nombre
de nouvelles centrales dans le monde entier. Malgré tous les
efforts de régulation de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la limite entre l’usage civil et militaire de cette
technologie, n’est pas infranchissable. L’exemple le plus récent
en est l’Iran. En fin de compte, nul ne peut être contraint à se
soumettre à des contrôles. L’expansion de l’énergie nucléaire
fait naître le besoin croissant de construire des installations
de retraitement et des surgénérateurs rapides pour produire le
combustible nucléaire. Ceci entraîne une amplification de la circulation de plutonium qui elle-même a pour effet de produire
d’énormes quantités de matière fissile pouvant servir à la fabrication de bombes : un cauchemar !
À la veille de la Conférence d’examen du Traité sur la nonprolifération des armes nucléaires (TNP) en mai 2010, les
grands pays se sont concentrés comme jamais auparavant sur
la réduction des stocks actuels d’armes nucléaires américain et
russe, sur la fin de l’intensification du programme nucléaire de
Pyongyang, et l’arrêt des activités de l’Iran en matière d’armes
nucléaires. L’espoir étant que tous ces efforts se renforcent
mutuellement et que les avancées en matière de réduction des
armes nucléaires incitent les états non dotés de l’arme nucléaire
(ENDAN) à éviter les activités productrices de combustible nucléaire civil dangereuses. Ces attentes risquent cependant de
ne pas se concrétiser. À moins d’un changement de régime en
Corée du Nord ou en Iran, le renoncement de Pyongyang à son
arsenal nucléaire et l’arrêt des activités iraniennes en matière
d’armes nucléaires restent très improbables. Les chances que la
Chine, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël parviennent à un accord sur la réduction du nombre d’ogives semblent
par ailleurs, encore plus minces. Si les tendances actuelles persistent, la sécurité internationale sera mise à l’épreuve durant
les deux prochaines décennies comme jamais auparavant.
Le risque de prolifération : dilemme du nucléaire civil et militaire
ECOLOGIE
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Le risque de prolifération :
dilemme du nucléaire civil
et militaire

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