LE risquE dE proLiFéraTion
Transcription
LE risquE dE proLiFéraTion
Le danger de prolifération nucléaire est proportionnel au nombre de nouvelles centrales dans le monde entier. Malgré tous les efforts de régulation de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la limite entre l’usage civil et militaire de cette technologie, n’est pas infranchissable. L’exemple le plus récent en est l’Iran. En fin de compte, nul ne peut être contraint à se soumettre à des contrôles. L’expansion de l’énergie nucléaire fait naître le besoin croissant de construire des installations de retraitement et des surgénérateurs rapides pour produire le combustible nucléaire. Ceci entraîne une amplification de la circulation de plutonium qui elle-même a pour effet de produire d’énormes quantités de matière fissile pouvant servir à la fabrication de bombes : un cauchemar ! À la veille de la Conférence d’examen du Traité sur la nonprolifération des armes nucléaires (TNP) en mai 2010, les grands pays se sont concentrés comme jamais auparavant sur la réduction des stocks actuels d’armes nucléaires américain et russe, sur la fin de l’intensification du programme nucléaire de Pyongyang, et l’arrêt des activités de l’Iran en matière d’armes nucléaires. L’espoir étant que tous ces efforts se renforcent mutuellement et que les avancées en matière de réduction des armes nucléaires incitent les états non dotés de l’arme nucléaire (ENDAN) à éviter les activités productrices de combustible nucléaire civil dangereuses. Ces attentes risquent cependant de ne pas se concrétiser. À moins d’un changement de régime en Corée du Nord ou en Iran, le renoncement de Pyongyang à son arsenal nucléaire et l’arrêt des activités iraniennes en matière d’armes nucléaires restent très improbables. Les chances que la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël parviennent à un accord sur la réduction du nombre d’ogives semblent par ailleurs, encore plus minces. Si les tendances actuelles persistent, la sécurité internationale sera mise à l’épreuve durant les deux prochaines décennies comme jamais auparavant. Le risque de prolifération : dilemme du nucléaire civil et militaire ECOLOGIE Rue d’Arlon 15, -1050 Bruxelles, Belgique T +32 2 743 41 00 F 32 2 743 41 09 E [email protected] W www.boell.eu ECOLOGIE UNION EUROPÉENNE Le risque de prolifération : dilemme du nucléaire civil et militaire TABLE DES MATIERES Préface: l'énergie nucléaire dans l'impasse 3 Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? 5 Par Otfried Nassauer Introduction 6 1. Les efforts de non-prolifération – bref aperçu 2. Les installations nucléaires civiles – bref aperçu 8 11 3. Les états comme risque de prolifération 16 4. Les risques liés aux acteurs non étatiques 4.1 Des armes nucléaires aux mains de terroristes 4.2 Des bombes sales aux mains de terroristes 4.3 La contrebande de matières nucléaires 4.4 Les acteurs non étatiques et la sûreté du cycle de combustible 4.5 Les autres risques de prolifération 19 20 20 21 22 22 5. Les instruments de contrôle et de limitation de la prolifération 5.1 Les traités importants 5.2 La non-prolifération grâce aux garanties 5.3 La non-prolifération grâce au contrôle des exportations 5.4 La non-prolifération par la coopération 5.5 Des mesures coercitives et militaires contre la prolifération 24 24 27 29 30 31 6. Une approche contradictoire – la politique de non-prolifération avec Barack Obama 6.1 Le nouveau Traité START 6.2 Le Sommet sur la sécurité nucléaire 6.3 La Nuclear Posture Review 6.4 Paroles et actions – problèmes et contradictions 34 35 36 37 39 7. Un monde à la recherche d'énergie 41 Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions 45 de CO2 . De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire. Par Henry D. Sokolski 1. Prolifération des armes nucléaires et prévention: les vingt prochaines années 2. La course à l'armement nucléaire? 46 3. Ce qu'il est possible de faire 54 Conclusion 62 Glossaire et liste des abréviations 64 Biographies d'Otfried Nassauer et d'Henry D. Sokolski 64 48 Avec le support de Heinrich-Böll-Stiftung Publié par Heinrich-Böll-Stiftung, Union européenne, Bruxelles Imprimé en Belgique, mai 2011 © Les auteurs, Heinrich-Böll-Stiftung, Union européenne, Bruxelles Tous droits réservés Bureau de traduction : LUND Languages / LUND Verlagsgesellschaft mbH Adaptation française et édition finale : Carole Courtoy Coordination : Annett Waltersdorf Production: Micheline Gutman Photo de couverture : Gisela Giardino/ Photo originale : auteur inconnu www. giselagiardino.com.ar Certains droits réservés pour les photos des pages 22, 34 et 48. Liés à la licence suivante : Créative Commons license : http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/ D/2011/11.850/4 Cette publication peut-être commandée à Heinrich-Böll-Stiftung, Union européenne, Bruxelles 15 Rue d’Arlon B-1050 Bruxelles Belgique T (+32) 2 743 41 00 F (+32) 2 743 41 09 E [email protected] W www.boell.eu 3 Préface : L’énergie nucléaire dans l’ impasse Les déclarations régulières sur une renaissance de l’énergie nucléaire, pourraient donner l’impression que le nombre de nouvelles centrales nucléaires augmente à vive allure et de manière constante. De fait, des statistiques récentes enregistrent 60 centrales en construction, dont la majorité en Chine, et les autres en Russie, en Inde, en Corée du Sud et au Japon. Les États-Unis n’auraient qu’un seul projet concret de construction. Toutefois cette liste (de VGB Power Tech) comporte un grand nombre de projets anciens inachevés et donc de fait de véritables ruines. D’autre part, on compte actuellement quelque 160 projets de nouvelles centrales nucléaires d’ici 2020, dont 53 rien qu’en Chine et 35 aux ÉtatsUnis, suivis de la Corée du Sud et de la Russie. En Europe, la Grande-Bretagne est première de la liste avec huit nouvelles constructions prévues, suivie de l’Italie, de la Suisse, de la Finlande, de la Roumanie et de la Lituanie. La France, qui aimerait doter le monde entier de nouvelles centrales nucléaires, ne prévoit quant à elle qu’une seule centrale. La majorité des états européens ne nourrissent aucun projet nucléaire concret. En fait, le nombre des centrales nucléaires dans le monde diminue constamment. Actuellement, 436 réacteurs sont encore en exploitation. Au cours des 15 à 20 prochaines années, on assistera à un plus grand nombre de déconnexions de centrales vieillissantes que de nouvelles mises en service. Les déclarations d’intention ne seront pas toutes concrétisées . Plus les marchés de l’électricité sont ouverts à la libre concurrence, plus les chances de l’énergie nucléaire s’amenuisent. En outre, les coûts des nouvelles installations explosent. Ainsi le prix de construction de la nouvelle centrale nucléaire d’Olkiluoto en Finlande est déjà passé de trois à quelque 5,4 milliards d’euros, et ce bien que la coque extérieure ne soit pas encore en place. A cela s’ajoutent les problèmes non résolus de l’élimination des déchets et la forte probabilité d’une défaillance de la technologie. Aujourd’hui aucun conglomérat énergétique privé ne prendrait le risque de construire une nouvelle centrale sans subventions publiques ni garanties. Il est intéressant de noter que les nouvelles centrales sont avant tout construites là où l’État et l’économie de l’énergie passent une alliance contre-nature. Jusqu’à aujourd’hui les centrales nucléaires étaient en grande partie financées par des aides publiques. La somme de ces aides en Allemagne s’élève dans l’ensemble à plus de 100 milliards d’euros et ce traitement de faveur subsiste encore aujourd’hui. Ainsi, avec ces provisions chiffrées en milliards destinées à l’élimination des déchets et au démantèlement des centrales, les compagnies ont à leur dispositon une manne financière, libre d’impôts. La responsabilité civile des exploitants est en outre limitée à 2,5 milliards d’euros – une infime fraction de ce que coûterait un accident nucléaire de gravité moyenne. Finalement, l’énergie nucléaire s’avère être aussi chère que risquée. Aux arguments d’usage sur l’énergie nucléaire viennent s’en ajouter quelques nouveaux. Premièrement, le danger de prolifération nucléaire est proportionnel au nombre de nouvelles centrales dans le monde entier. Malgré tous les efforts de régulation de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la limite entre l’usage civil et militaire de cette technologie, n’est pas infranchissable. L’exemple le plus récent en est l’Iran. En fin de compte, nul ne peut être contraint à se soumettre à des contrôles. L’expansion de l’énergie nucléaire fait naître le besoin croissant de construire des installations de retraitement et des surgénérateurs rapides pour produire le combustible nucléaire. Ceci entraîne une amplification de la circulation de plutonium qui elle-même a pour effet de produire d’énormes quantités de matière fissile pouvant servir à la fabricationde bombes : un cauchemar ! Deuxièmement, le prolongement de la durée de vie des centrales nucléaires existantes et plus 4 encore la construction de nouvelles centrales constitueraient un obstacle majeur au développement des énergies renouvelables. L’affirmation selon laquelle l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables seraient complémentaires est un mythe. Elles doivent non seulement rivaliser pour de piètres capitaux d’investissement et des lignes électriques mais l’exploitation continue non flexible des centrales nucléaires limite le potentiel de croissance des énergies renouvelables, l’éolien en particulier. Les jours de grand vent et de faible consommation en Allemagne, celui-ci couvre une grande partie la demande énergétique. Comme dans un futur proche, il y a peu de risque pour des motifs économiques, que la production des centrales existantes (ainsi que celle des grandes centrales au charbon) soit réduite, l’excédent énergétique devra être exporté à perte. Une folie qui ne manque pas de méthode. Quel que soit l’angle d’approche, il est clair que l’énergie nucléaire n’a pas le potentiel de contribuer de manière décisive à la protection climatique et n’est pas indispensable pour garantir la sécurité d’approvisionnement. C’est le contraire qui est vrai. Ceux qui décident de promouvoir le développement des énergies renouvelables afin qu’elles subviennent à 100% de la demande en électricité, doivent s’opposer à la construction de nouvelles centrales ainsi qu’à l’extension de la durée de vie des plus anciennes. Quoi qu’on en dise, l’énergie nucléaire n’est pas la stratégie de transition adéquate vers l’ère solaire. Berlin, janvier 2010 Ralf Fücks (Président de la Fondation Heinrich Böll) SéRIE éCOLOGIE Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? Par Otfried Nassauer 6 Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? INTRODUCTION En tant que puissance nucléaire, en tant que la seule puissance nucléaire ayant eu recours à l’arme nucléaire, les États-Unis ont une responsabilité morale à agir. (…). Alors aujourd’hui, j’affirme clairement et avec conviction l’engagement de l’Amérique à rechercher la paix et la sécurité d’un monde sans armes nucléaires. Je ne suis pas naïf. Cet objectif ne sera pas atteint rapidement – sans doute pas de mon vivant. Il faudra de la patience et de la persévérance. Mais maintenant, c’est à nous d’ignorer les voix qui nous disent que le monde ne peut pas changer. Nous devons insister, « Oui, nous le pouvons. » (…) tous ensemble, nous allons consolider le Traité de non-prolifération nucléaire comme base de coopération. L’accord de base est sain: les pays dotés de l’arme nucléaire conviennent d’œuvrer en faveur du désarmement et les pays ne la possédant à ne pas se procurer de telles armes; et tous les pays ont accès à une énergie nucléaire pacifique. (…) Nous devons utiliser le pouvoir de l’énergie nucléaire pour le compte de nos efforts à combattre le changement climatique et pour offrir à tous des perspectives d’avenir.1 Barack Obama à Prague, le 5 avril 2009 Il y a un an, le Président américain Barack Obama faisait renaître la vision d’un monde libéré de l’arme nucléaire. Lors d’un discours à Prague, il faisait part de son engagement à atteindre cet objectif et promettait de mettre à profit son mandat pour accomplir les premiers pas dans la voie d’un tel monde, pour réaliser des progrès dans le désarmement nucléaire et des améliorations en matière de non-prolifération. Un an plus tard, le sujet s’invite à nouveau dans l’agenda du Président américain. Les développements qui ont particulièrement attiré l’attention du public en avril 2010, sont les suivants : la signature d’un nouvel accord de réduction des armes nucléaires stratégiques entre les États-Unis et la Russie (New START) ; la publication de la doctrine nucléaire des États-Unis, la Nuclear Posture Review (NPR), un rapport dans lequel le gouvernement américain présente les grandes lignes de sa future politique d’armement nucléaire au Congrès ; une Conférence internationale sur la sécurité des matières fissiles susceptibles d’être utilisées pour la fabrication d’armes pour laquelle le Président américain avait convié plusieurs pays à se rendre à Washington ; une conférence des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’OTAN sur l’avenir des armes nucléaires au sein de l’OTAN et en Europe ; et la prochaine conférence de révision du Traité de non-prolifération nucléaire. On peut y rajouter les tentatives effectuées auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies afin de renforcer les sanctions à l’égard de l’Iran en raison de son programme nucléaire. Le débat public sur la technologie nucléaire a donc été déterminé par les sujets suivants: l’avenir des armes nucléaires, la réduction soutenue de leur nombre et l’avenir de la non-prolifération nucléaire. Un autre sujet fait toujours partie de ce débat : l’avenir de l’énergie nucléaire. Cela n’est pas dû au hasard mais au fait que les usages militaire et civil du nucléaire sont étroitement liés ou dépendants. Tout le savoir, les matières et la technologie acquis dans l’usage civil du nucléaire peuvent être utilisés pour un programme militaire atomique. C’est la raison pour laquelle, les programmes nucléaires d’envergure – même s’ils sont déclarés comme étant exclusivement civils – font presque toujours naître des craintes substantielles de prolifération. La querelle existant depuis plusieurs années autour du programme atomique de l’Iran, en est l’illustration. 1hhttp://www.whitehouse.gov/the_press_office/Remarks-By-President-Barack-Obama-In-Prague-As-Delivered Le manuscrit de cette intervention a été achevé mi-avril 2010. Tous les renvois à des sources sur Internet ont été contrôlés pour la dernière fois le 13.4.2010. Promu par la hausse mondiale des besoins énergétiques, l’électricité en particulier, et les efforts de lutte contre un changement imminent catastrophique du climat par la réduction des émissions de CO2 , l’usage civil de l’énergie atomique se trouve peut-être à l’aube d’une renaissance dans les prochaines décennies. Dans son discours à Prague, Barack Obama a formellement fait allusion à son éventuelle contribution à l’enraiement du changement climatique. Il a depuis mis à disposition des crédits publics d’un montant de plus de 50 milliards de dollars, comme incitation à la construction de nouvelles centrales nucléaires. Ses partisans avancent l’argument que l’énergie nucléaire permet la production d’importantes quantités d’électricité ne provoquant pas d’émissions de CO2. En matière de politique climatique, l’incitation est forte. Cet avantage contrebalance-t-il toutefois les risques d’une politique de sécurité liés à son usage – et celui en particulier de toute nouvelle prolifération – de l’énergie nucléaire ? L’utilisation de celle-ci dans un nombre toujours plus grand de pays – même si elle répond à une politique climatique – justifie-t-elle les risques de prolifération qui lui sont liés ? Ou bien les risques croissants de sécurité l’emportent-ils sur les prétendus bénéfices d’une telle politique ? Des éléments essentiels du cycle de combustible nucléaire civil confrontent l’humanité à des risques de sécurité caractéristiques de la technologie nucléaire. L’enrichissement par exemple peut servir à produire le combustible pour les réacteurs, 7 et aussi les matières utilisées pour la fabrication d’armes nucléaires. La différence dans l’utilisation est de nature plus graduelle que fondamentale. De nombreux types de réacteurs permettent en même temps la récupération de plutonium nucléaire à des fins militaires et la production d’électricité. Dans les installations de retraitement, le plutonium à usage militaire peut être séparé de la même façon que le plutonium utilisé dans un réacteur – ce dernier n’étant pas très utile à la fabrication d’armes atomiques. Les technologies du nucléaire, le savoir-faire qui les accompagnent et les matériaux nucléaires peuvent se propager. Les experts peuvent voyager ou émigrer. L’existence même d’un large éventail de contrôles spécifiques à l’exportation, de tests de fiabilité pour les employés et d’une politique spéciale de non-prolifération, démontre bien que le danger de prolifération nucléaire doit être pris au sérieux. Dans les chapitres suivants, nous illustrerons – sans rentrer dans des détails trop techniques ou trop spécifiques – à quel point les usages civil et militaire du nucléaire sont étroitement liés et entremêlés. Ils sont de véritables frères siamois. Le risque de prolifération de la technologie nucléaire au profit de son usage militaire est, par conséquent, bien réel. Finalement, seul le renoncement aux deux usages de la technologie – une option double zéro2 – permettrait de réaliser l’idée d’un monde exempt d’armes nucléaires, car il n’y a que dans ces conditions qu’on peut garantir et contrôler que le nucléaire n’est pas utilisé à des fins militaires. 2« L’ option double zéro » fait référence au Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire de 1987. Ce premier traité de désarmement nucléaire a éliminé deux classes de missiles nucléaires des stocks de l’OTAN et de l’Organisation du Traité de Varsovie : les missiles balistiques à portée intermédiaire et les missiles de croisière à portée courte. Les états contractants, la Russie et les États-Unis, ne peuvent plus posséder de missiles lancés à partir du sol d’une portée de 500 à 5.500 kms. © iStockphoto 8 Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? 1. Les efforts de non-prolifération – bref aperçu Au temps de la Guerre froide, les craintes de prolifération se concentraient avant tout sur les pays suspectés de s’intéresser aux matières, à la technologie ou au savoir dans le but de fabriquer des armes nucléaires. Dans les années 1960 et au début des années 1970, on comptait parmi ces pays, la République fédérale d’Allemagne, l’Inde, Israël, le Japon, la Suisse et la Suède. Au milieu des années 1970 et au début des années 1980, l’Argentine, le Brésil, l’Égypte, l’Inde, l’Irak, le Pakistan, la Corée du Sud, Taïwan et l’Afrique du Sud font partie des pays dont les ambitions nucléaires sont préoccupantes. Depuis le début des années 1990, les craintes se sont surtout concentrées sur l’Irak, l’Iran, le Pakistan et la Corée du Nord. Quasiment tous les états non dotés d’armes nucléaires ayant entrepris des recherches nucléaires intensives ou des programmes d’énergie atomique, étaient observés avec méfiance dès le début du développement de leurs programmes, et leurs intentions nucléaires examinées de près. Le nombre de pays ayant effectivement acquis l’arme nucléaire est toutefois resté étonnamment faible jusqu’à la fin de la Guerre froide : et la principale raison en est le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Les efforts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dont la mission comprend la surveillance des centrales nucléaires civiles, y ont également contribué. Sans oublier les contrôles multilatéraux ou nationaux des technologies et des exportations, la retenue volontaire des états non dotés d’armes nucléaires (ENDAN), les garanties de sécurité des puissances nucléaires ainsi que – quand le risque d’usage militaire était particulièrement pris au sérieux – la pression diplomatique et les sanctions imposées par la communauté internationale. Après la signature du TNP et durant la Guerre froide, Israël, l’Inde et l’Afrique du Sud rejoignent le clan des cinq états dotés de l’arme nucléaire (EDAN), les États-Unis, la Russie, le Royaume Uni, la Chine et la France. Dans le cas de l’Inde et d’Israël, les États-Unis étaient convaincus lors des négociations pour le traité, qu’il ne serait pas possible d’empêcher les deux états de développer l’arme atomique. Ce qui s’est vérifié en l’espace de quelques années seulement. L’Afrique du Sud et son régime d’apartheid, fut le seul pays durant cette période à parvenir de façon plus ou moins surprenante, à construire des armes nucléaires, malgré l’existence du régime de non-prolifération. Le Pakistan et – selon ses propres déclarations – la Corée du Sud, sont les premiers membres non nucléaires du régime TNP à en fabriquer, après la fin de la Guerre froide. 1. Les efforts de non-prolifération – bref aperçu Au début des années 1990 l’espoir existe, pendant un laps de temps assez court, que le désarmement nucléaire et les efforts renforcés de non-prolifération parviennent à libérer le monde du danger de la destruction atomique. Suite à quoi les États-Unis et la Russie s’engagent rapidement à signer des traités de réductions de leurs armes stratégiques à longue portée (traités START) et des Initiatives nucléaires présidentielles de réductions réciproques et unilatérales de leurs armes nucléaires tactiques. L’Afrique du Sud abandonne son programme militaire à la fin de l’Apartheid. La Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine consentent – sous la pression – à renoncer à leurs armes nucléaire héritées de l’Union Soviétique et à adhérer au TNP comme membres non nucléaires. À ceux-ci s’ajoutent deux pays que l’on avait longtemps soupçonnés d’avoir des ambitions militaires, le Brésil et l’Argentine. En 1995, un accord d’extension à durée indéterminée du TNP – dont la validité était de 25 ans au départ – et non soumis aux conditions du traité était possible. Entre-temps, la situation a considérablement évolué. La prolifération est de nouveau considérée par de nombreux gouvernements comme l’un des plus grands dangers pour la sécurité internationale. Divers facteurs ont contribué à cette situation. Les puissances nucléaires n’ont pas réduit leurs arsenaux aussi rapidement que l’espéraient et l’attendaient de nombreux ENDAN après la fin de la Guerre froide. Elles parlent plus fréquemment de la nécessité de les moderniser et signalent ainsi leur objectif de maintenir leurs armes atomiques encore quelques décennies. La dissolution de l’Union Soviétique et l’affaiblissement de la Russie qui en a résulté, ont donné naissance à de nouvelles inquiétudes sérieuses : les états émergents succédant à l’Union Soviétique, ébranlés par la crise, seront-ils en mesure d’assurer suffisamment la sécurité des armes atomiques, des matières nucléaires, de la technologie et du savoir des experts sur leur territoire ? En 1991, après la Guerre du Golfe, des inspecteurs 9 internationaux découvraient aussi un programme nucléaire militaire secret en Irak. En 1998, après des premiers tests réussis, le Pakistan – comme l’on s’y attendait depuis un certain temps – devait aussi être placé sur la liste des puissances atomiques. Après une longue période de flottement, la Corée du Nord était en 2003 le premier pays à quitter le TNP et à déclarer posséder des armes atomiques. Depuis les attaques du 11 septembre, la sensibilisation du public aux risques de prolifération a fortement augmenté. Les États-Unis, victimes de ces attaques terroristes, ont donné une place importante dans leur analyse des menaces liées à la politique de sécurité, à un nouveau groupe d’acteurs et de bénéficiaires de la prolifération: des agents transnationaux non étatiques tels que les terroristes, la criminalité organisée, les extrémistes religieux ou des entreprises transnationales. Bien que surveillés depuis quelques décennies déjà par nombre d’experts, ce n’est qu’après les attaques terroristes sur New York et Washington, que le monde politique et le grand public ont véritablement commencé à s’inquiéter de tels groupes. Et si pour une attaque majeure dans le futur, des terroristes employaient une arme nucléaire ou juste une « bombe sale » faite de matière radioactive et d’explosifs conventionnels ? Une grande part de cette nouvelle attention est le fait de politiques, de think tanks, et de l’industrie aux États-Unis et ailleurs. Ceux-ci ont tenté, avec beaucoup de succès, de transformer la menace terroriste – en particulier, celle des armes de destruction massive – en arguments de vente de leurs propres produits, prestations de services et intérêts, et aussi en garantie d’accès aux ressources financières correspondantes. Ils ont bénéficié du soutien immédiat et disposé de l’administration de George W. Bush.3 Il reste néanmoins vrai que des acteurs transnationaux non étatiques, comme les terroristes, pourraient effectivement être tentés d’accéder aux matières nucléaires, aux technologies et au savoir-faire 3Ces schémas structurels se perpétuent sous Obama, qui a fait de la prévention du terrorisme nucléaire, une de ses priorités avec la Nuclear Posture Review 2010, jusque dans les études académiques. Cf. : http://belfercenter.ksg.harvard.edu/files/al-qaeda-wmd-threat.pdf et la critique correspondante : http://sitrep.globalsecurity.org/articles/100126542-the-busted-watch-of-us-wmd-thr.htm 10 adéquat. Si ces groupes devaient faire le projet de construire, voler ou acquérir voire élaborer des dispositifs explosifs nucléaires, sales et primitifs, alors la simple éventualité qu’ils y parviennent avec succès constitue un sérieux problème. Comme la prolifération est revenue au premier plan de l’agenda des politiques de sécurité internationale, les risques liés aux programmes nucléaires civils et militaires bénéficient eux aussi d’une attention renouvelée. Le débat actuel sur le programme nucléaire iranien en est un bon exemple : l’Iran n’est pas uniquement suspecté parce qu’il a gardé secrète une partie de sa technologie nucléaire et violé quelques-uns de ses engagements en tant que membre non nucléaire du TNP sous le contrôle de l’AIEA, mais aussi en raison des expériences avec l’Irak et la Corée du Nord. L’exemple irakien a clairement fait comprendre qu’il est possible pour un pays de développer un programme militaire sous couvert d’un programme civil et de le dissimuler aux contrôles effectués par l’AIEA. La Corée du Nord a elle aussi été capable de transformer un programme nucléaire « civil » en programme militaire. Bien que soupçonnée dès le départ et malgré la prise, par la suite, de sanctions très sévères à son Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? égard, la Corée du Nord s’est retrouvée si proche de la possibilité de développer l’arme atomique, qu’elle était disposée à prendre le risque de se retirer du TNP et à revendiquer la possession d’armes nucléaires. Quelques années plus tard, la Corée du Nord faisait la démonstration de sa volonté à entreprendre ses premiers essais d’armes nucléaires.4 Raison pour laquelle, l’argument selon lequel il faut empêcher l’Iran de devenir une « deuxième Corée du Nord » est très soutenu aujourd’hui. Même si le programme nucléaire iranien, tout comme les intentions du pays, était de nature purement civile, comme l’affirme Téhéran, il conviendrait d’en douter, suite aux expériences avec la Corée du Nord. Tous les nouveaux programmes nucléaires civils qui dépassent l’exploitation des réacteurs à eau légère importés et visent la maîtrise d’éléments importants du cycle du combustible, sont observés avec beaucoup plus de scepticisme que par le passé. L’Iran est le premier pays confronté à ce nouvel aspect de la politique de non-prolifération. Ce qui pourrait créer un précédent sur l’attitude à adopter à l’avenir envers les états souhaitant s’engager dans l’usage complet de la technologie nucléaire. 4 La plupart des experts ne considèrent pas les tests d’explosions nord-coréennes comme des tests d’armes nucléaires réussis. © Hemera Overview and Trends 11 2. Les installations nucléaires civiles – bref aperçu D’après les données de l’AIEA, 32 des 193 pays de la planète exploitaient en 2009 un total de 438 réacteurs nucléaires commerciaux pour la production d’électricité. 54 nouvelles centrales étaient en construction l’an dernier et cinq tranches mises à l’arrêt pour révision.5 Les réacteurs en service actuellement fournissent moins de 5% du total des besoins énergétiques mondiaux, alors qu’en 2007 ils produisaient encore environ 14% de l’électricité mondiale disponible.6 La grande majorité des réacteurs commerciaux sont exploités par des pays du monde industrialisé. En 2008, les États-Unis exploitaient 104 réacteurs, la France 59, le Japon 55, la Russie 31 et la Grande-Bretagne 19. L’Allemagne en avait 17, le Canada 18 et l’Ukraine 15. La Corée du Sud disposait de 20 centrales, l’Inde 17 et la Chine 11. Taïwan en exploite 6. L’Argentine, le Mexique, le Pakistan et l’Afrique du Sud exploitent chacun 2 installations.7 Les nouvelles tranches de réacteurs sont principalement construites par la Chine (21), la Russie (9), l’Inde (6) et la Corée du Sud (6).8 L’Iran a quasiment achevé son premier réacteur à Bushehr et en prévoit d’autres. La plupart des réacteurs dans le monde sont des réacteurs à eau pressurisée (264). On trouve aussi des réacteurs à eau lourde (44), des réacteurs à eau bouillante (94), des réacteurs modérés au graphite refroidis 5AIEA : Nuclear Power Reactors in the World, Reference Data Series No 2, 2009 Edition, Vienne, 2009, http://www-pub.iaea.org/MTCD/publications/PDF/RDS2-29_web.pdf et : http://www.iaea.org/programmes/a2/index.html En plus de sa mission de surveillance de non-prolifération dans le domaine militaire, l’AIEA a également la tâche d’encourager et de soutenir l’usage civil du génie nucléaire. Elle n’est donc pas en mesure de mener une étude fondamentalement critique de l’usage civil. Les données qu’elle met à disposition peuvent occasionnellement être « colorées positivement » du fait de sa mission propre. Cela devient clair quand les pronostics les plus pessimistes de l’AIEA sur l’usage futur de l’énergie nucléaire sont invariablement plus élevés que les pronostics optimistes de l’Agence Internationale de l’Énergie ou du Ministère américain de l’énergie. Régulièrement publiées, les données de l’AIEA sont toutefois disponibles pour la comparaison. Elles reposent sur les informations des États membres ainsi que sur les conclusions de l’AIEA sur la surveillance mondiale des sites nucléaires. Aucune autre banque de données de qualité de cette taille n’est à la disposition du public. 6 http://www.iaea.org/NewsCenter/News/2008/np2008.html En 2004, on atteignait encore 16%. 7 AIEA : Loc. cit. p. 10 et suivante. 8 AIEA, loc. cit. actualisé par : http://www.iaea.org/cgi-bin/db.page.pl/pris.opercap.htm 12 à l’eau légère (16) et des réacteurs modérés au graphite refroidis au gaz (18). La grande majorité des centrales nucléaires utilisent de l’uranium faiblement enrichi (UFE), qui contient de 2 à 5% d’U-235. D’autres, comme un grand nombre de réacteurs à eau lourde, peuvent être exploitées avec de l’uranium naturel. Seuls deux surgénérateurs rapides fonctionnent aujourd’hui.9 La plupart des pays exploitant des centrales nucléaires ne disposent pas d’un cycle de combustible complet fermé, mais n’ont soit que les réacteurs soit que des installations particulières utilisées dans le cycle du combustible. Ces pays optent donc pour un cycle de combustible ouvert.10 Les cycles de combustible fermés sont utilisés en particulier par les pays qui possèdent ou possédaient un programme d’armes nucléaires ou ont la capacité de réaliser un tel programme. Le pays qui possède le plus grand arsenal d’armes nucléaires, les États-Unis, dispose d’un cycle de combustible civil ouvert, parce que son gouvernement a décidé en 1980, de renoncer au retraitement d’éléments de combustible irradié issus de l’usage civil des réacteurs. L’uranium11 utilisé comme combustible dans les réacteurs provient essentiellement de deux sources. Environ les deux tiers proviennent de mines d’uranium, localisées aujourd’hui dans 19 pays fournissant entre 40.000 et 50.000 tonnes d’uranium naturel par an. Les plus grands fournisseurs sont le Canada, l’Australie et le Kazakhstan. Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? En 2007, ils ont livré ensemble presque 60 % de l’uranium nouvellement extrait. D’autres fournisseurs importants sont le Niger, la Russie, la Namibie et l’Ouzbékistan.12 Depuis quelques années, l’Iran extrait également de l’uranium pour ses propres besoins. En 2003, 46 % de l’approvisionnement mondial en uranium pour les réacteurs civils provenaient encore de sources secondaires, comme le ré-enrichissement d’uranium appauvri, le retraitement de combustible usé et l’appauvrissement d’uranium hautement enrichi (UHE) issu d’anciens stocks militaires, alors aujourd’hui cette part représente à peine plus de 30%.13 Quelle sera la part des sources d’approvisionnement secondaires à l’avenir est difficile à dire. Cela dépend par exemple soit du fait que les états dotés d’armes nucléaires continue à l’avenir à mettre à disposition de l’UHE issu de leur arsenal militaire pour « l’appauvrissement »14 soit d’une augmentation significative des capacités mondiales de retraitement. Aux taux actuels de consommation, l’AIEA et l’OCDE pensent que la demande d’uranium peut être couverte par les gisements connus pendant 83 années encore. Ce chiffre diminuera proportionnellement en cas de consommation croissante.15 L’OCDE, qui s’attend à une hausse de la demande d’uranium fraîchement extrait à partir de 2020, a répertorié un total de 43 pays, disposant de ressources d’uranium exploitables. 9 AIEA, loc. cit. p. 61. 10Un cycle de combustible fermé est un cycle dans lequel le combustible de réacteur est produit à partir d’uranium naturel, alimenté dans un réacteur, puis « brûlé » et ensuite retraité pour être utilisé à nouveau comme combustible. Un cycle de combustible est ouvert lorsque le combustible ne traverse le réacteur qu’une seule fois. Les éléments de combustion brûlés ne sont pas retraités par la suite, mais stockés. 11Une multitude d’informations utiles sur l’uranium, le cycle de combustible et les installations de traitement de l’uranium dans le monde entier se trouvent sur le site internet de WISE Uranium Project. Cf. : www.wise-uranium.org 12http://www.iaea.org/Publications/Reports/Anrep2008/fuelcycle.pdf Les données reposent sur le dénommé « Red Book », guide publié tous les deux ans par l’AIEA et l’OCDE. La source mentionnée ci-dessus se base sur l’édition 2008, la version 2010 n’étant pas encore publiée. Les données du « Red Book » sont en outre disponibles en ligne, régulièrement actualisées et de grande qualité à l’adresse : http://www.wise-uranium.org/umaps.html 13 Ibid. 14 L’« appauvrissement » consiste – pour simplifier – à mélanger de l’uranium hautement enrichi avec un autre uranium jusqu’à obtention d’un uranium faiblement enrichi. 15 Dans ses prévisions optimistes avant la crise financière de 2008, l’AIEA prévoyait que la production d’électricité nucléaire pourrait doubler et passer de 372 GW(e) en 2008 à 748 GW(e) d’ici 2030. On s’attend à une construction massive de nouveaux réacteurs. Cf. ibid. p. 26. Le second rôle de l’AIEA, la promotion de l’utilisation de l’énergie nucléaire, se reflète aussi bien dans des scénarios optimistes de ce genre que dans les déclarations encore plus optimistes sur les réserves d’uranium économiquement exploitables, et par conséquent, sur les perspectives de disponibilité du combustible nucléaire. 2. Les installations nucléaires civiles – bref aperçu Les deux organisations prévoient une hausse significative de l’utilisation de l’énergie nucléaire. Différentes technologies peuvent être employées pour enrichir de l’uranium. La technologie la plus répandue est l’enrichissement à l’aide de centrifugeuses à gaz. On utilise toutefois aussi la diffusion gazeuse, la séparation électromagnétique des isotopes et le dénommé procédé Becker. Les cinq puissances nucléaires traditionnelles, les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine exploitent des installations d’enrichissement à des fins civiles et l’ont également fait à des fins militaires.16 Le Pakistan pratique également l’enrichissement à des fins militaires et civiles.17 L’Allemagne, les Pays-Bas, le Japon et l’Afrique du Sud exploitent des installations d’enrichissement commerciales à des fins civiles. De la recherche en laboratoire ainsi que des installations d’enrichissement à l’essai ou de petite taille, existent en Australie et en Corée du Sud. L’Iran développe actuellement sa capacité d’enrichissement, qui se compose de plusieurs installations dont on soupçonne qu’elles serviront dans le futur à un programme militaire.18 La Corée du Nord est soupçonnée de posséder un programme d’enrichissement militaire non déclaré. En mai 2006, le Brésil a mis en service les premières centrifugeuses d’une petite installation commerciale d’enrichissement d’uranium, 13 laquelle est configurée de manière à pouvoir enrichir de l’uranium jusqu’à 5% ; il serait néanmoins possible de l’adapter à la production d’UHE. Des conflits avec l’AIEA, qui surveille l’installation, ont existé quant à l’accès que le Brésil doit garantir à l’organisation, pour la surveillance de la technologie des centrifugeuses employées.19 L’installation opère à l’essai depuis 2009. Le combustible usé des réacteurs doit être soit stocké sur une longue durée20, soit retraité dans des installations exploitées commercialement en Grande-Bretagne, en France et en Russie. Le Japon est depuis 2008 le premier État non nucléaire à exploiter une installation de retraitement commerciale.21 Les installations de retraitement utilisent une version moderne du procédé PUREX, qui permet entre autres le recyclage de l’uranium à partir des éléments de combustibles usés et la séparation du plutonium de réacteur fabriqué durant le processus. On trouve des installations de retraitement militaires, qui séparent le plutonium pour des armes nucléaires, non seulement dans les cinq EDAN, mais aussi en Israël, en Inde, au Pakistan et en Corée du Nord. Certains des pays qui exploitent des centrales nucléaires civiles, comme l’Allemagne, la 16 L a Chine, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et les États-Unis n’enrichissent plus d’uranium à des fins militaires. 17 L’Inde et Israël ont lancé des programmes d’essai d’enrichissement ; leurs armes nucléaires ont toutefois été fabriquées à base de plutonium. 18 L’Iran a construit dans un premier temps une installation d’essai utilisée depuis pour tester trois types différents de centrifugeuses. Une installation d’enrichissement de taille plus importante est en construction et doit accueillir jusqu’à 50.000 centrifugeuses. Plusieurs milliers de centrifugeuses, on déjà enrichi de l’uranium à moins de 5%. À l’avenir, l’uranium sera enrichi à 20% afin de pouvoir alimenter un réacteur de recherche iranien. L’Iran a d’autre part annoncé sa volonté de construire jusqu’à dix nouvelles installations de plus petite taille, dont une est en construction. Vu la violente querelle autour du programme nucléaire iranien, il n’est pas sûr que la construction, peu judicieuse en fait sur le plan économique comme technique, d’une multitude d’installations plus petites, ne soit pas liée au désir de Téhéran de rendre la destruction de ses sites nucléaires par des attaques aériennes, plus difficile. 19 Le Brésil craint un soi-disant espionnage technologique lié à sa volonté de développer des centrifugeuses capables d’enrichir l’uranium de manière bien plus efficace et moins coûteuse. Il argumente que l’AIEA peut tout à fait exercer ses misions de contrôle sans connaître tous les détails techniques de la technologie. Cfr. http://www.gigahamburg.de/dl/download.php?d=/content/publikationen/pdf/gf_lateinamerika_0606.pdf Concernant la situation actuelle, cfr. http://www.swp-berlin.org/common/get_document.php?asset_id=6948 20 Le cycle de combustible reste ouvert, le procédé est appelé « once through » (stockage direct sans traitement). 21Cf. http://www.sckcen.be L’installation de retraitement à Rokasho-Mura peut traiter 800 tonnes de combustible par an. Pour empêcher le risque de la prolifération, le plutonium séparé est transformé sur place en oxyde mixte (MOX). 14 Belgique, la Suisse et les Pays-Bas, envoient leur combustible irradié à l’étranger pour le retraitement. Le plutonium de réacteur y est séparé et soit renvoyé, soit entreposé temporairement à titre fiduciaire, ou encore acheminé dans une autre installation pour y être converti en oxyde mixte (MOX). Le plutonium séparé est stocké par bon nombre de pays développés soit sur leur propre territoire soit dans les pays qui prennent en charge le retraitement.22 L’entreposage dans les ENDAN est soumis aux « garanties » de l’AIEA.23 Il en est de même pour les installations de fabrication de MOX. Les sites nucléaires des EDAN ne sont soumis à une surveillance internationale que si le pays concerné l’approuve expressément. La plupart des pays en développement qui exploitent des centrales nucléaires ne font pas de retraitement. Ils stockent le combustible usé ou le renvoient aux pays fournisseurs. C’est le combustible usé qui est à la base de la majorité du plutonium présent aujourd’hui dans le monde. Si aucune décision ne se prend sur le devenir de ces déchets hautement radioactifs et dangereux, il devient difficile d’évaluer avec certitude un éventuel nouveau risque de prolifération à long terme. La Belgique, la France, la Grande-Bretagne, l’Inde et le Japon produisent du combustible Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? MOX commercial. L’utilisation du MOX permet de limiter les stocks de plutonium séparé, et par ailleurs d’utiliser le plutonium additionnel dans le cycle du combustible. Les pays qui utilisent ce genre de combustible sont la Belgique, l’Allemagne24, la Suède et la Suisse. On sait que la Chine l’envisage. Le Japon et la Russie ont l’intention d’exploiter des surgénérateurs rapides avec du combustible MOX. L’Allemagne avait prévu à un moment donné la production à grande échelle de combustible MOX, mais a entre-temps supprimé les installations pilotes et aussi les installations commerciales de production de MOX. La Russie et les États-Unis s’engagent dans la production de MOX pour réduire leurs stocks de plutonium militaire. En 2004, le combustible UHE était encore utilisé dans quelque 130 réacteurs de recherche, chiffre resté à peu près le même jusqu’en 2010.25 Parmi eux, on retrouve le seul réacteur allemand de recherche, Garching II26, actuellement exploité avec de l’uranium enrichi à 93%. L’utilisation du combustible UHE dans ce genre de réacteurs a suscité des craintes en matière de sécurité et de prolifération pendant un certain temps, parce que le combustible UHE est assez simple à manipuler avec des risques comparativement limités 22 P arce que les installations de retraitement disponibles ne traitent qu’un tiers environ des combustibles usés par an et que les installations MOX disponibles ont une capacité encore plus faible, le surplus de plutonium est temporairement entreposé sous forme d’éléments de combustible. Ceux-ci ainsi que les niveaux de plutonium séparé et entreposé ne cessent d’augmenter. 23 Pour les États membres de l’EURATOM, c’est EURATOM et non l’AIEA qui prend en charge les mesures de garanties dans les installations nucléaires civiles. Ces pays appliquent donc leurs propres réglementations dans un cadre de collaboration multilatérale. 24 La condition préalable pour utiliser cette méthode d’élimination du plutonium est l’existence de réacteurs à eau légère opérationnels ou de surgénérateurs rapides compatibles avec le MOX. La durée d’exploitation restante des réacteurs allemands compatibles avec le MOX ne suffira sans doute pas à écouler tout le plutonium disponible jusqu’à la sortie du nucléaire décidée par la politique. Ce qui veut dire qu’il faut examiner des possibilités et des technologies supplémentaires de stockage final. 25Cf. http://www.iaea.org/NewsCenter/Features/ResearchReactors/security20040308.html L’AIEA offre des données actuelles sur le statut de chacun des réacteurs de recherche sur le site : http://www.iaea.org/worldatom/rrdb/ Il semble qu’il en existe un nombre équivalent (environ 130) en service en 2010. Cf. la discussion sur le nombre de réacteurs de recherche dans : Matthew Bunn : Managing the Atom 2010, Harvard University/Nuclear Threat Initiative, April 2010, p. 43/44. Cf. http://www.nti.org/e_research/Securing_The_Bomb_2010.pdf 26 À l’encontre des demandes pressantes des États-Unis, le réacteur Garching II est exploité depuis 2004 avec de l’uranium à 93% importé de Russie. Il doit être modernisé au cours de l’année – là où c’est techniquement possible. Sachant qu’on ne dispose jusqu’ici d’aucune alternative en matière de combustible, permettant une source de neutrons d’énergie similaire, le réacteur continue d’être exploité avec de l’UHE. Les recherches se poursuivent sur des combustibles uranium-molybdène avec un degré d’enrichissement plus faible (jusqu’à 60%). On suppose désormais que ces combustibles pourraient être utilisés pour la première fois le cas échéant vers la fin de cette décennie. 2. Les installations nucléaires civiles – bref aperçu et parce que de nombreux réacteurs de recherche ne disposent pas de systèmes de sécurité élaborés. Des quantités considérables de combustible UHE usé sont toujours stockées dans ou près des réacteurs de recherche mis à l’arrêt. La déconstruction de plus de la moitié des quelques 380 réacteurs déclassés jusqu’à 2004 n’est pas achevée à l’heure actuelle.27 Les éléments du cycle de combustible civil qui contribuent le plus à la prolifération cycle sont : les technologies et installations d’enrichissement d’uranium ; 15 les combustible UHE pour les réacteurs de recherche et réacteurs navals ; les réacteurs de recherche et centrales nucléaires qui peuvent fabriquer du plutonium ; les installations de retraitement permettant la séparation de plutonium et les technologies qu’elles utilisent ; les entrepôts pour le plutonium militaire séparé et le plutonium de réacteur ainsi que pour l’uranium hautement enrichi ; les installations de recherche et de traitement pour la fabrication d’autres matériaux à des fins militaires tels que le tritium ou le polonium-210. 27Cf. http://www.iaea.org/NewsCenter/Features/ResearchReactors/security20040308.html L’AIEA offre des données actuelles sur le statut de chacun des réacteurs de recherche sur le site : http://www.iaea.org/worldatom/rrdb/ © Hemera 16 Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? 3. Les états comme risque de prolifération Les risques de prolifération liés aux cycles de combustibles nucléaires civils peuvent être divisés en deux groupes. Le premier comprend les risques résultant d’une perte de contrôle d’un programme nucléaire civil. Les matériaux nucléaires, la technologie ou le savoir-faire peuvent être volés et emmenés à l’étranger dans le but de soutenir un programme militaire dans un autre pays. Le vol d’Abdul Q. Khan de la technologie de centrifugation pour l’enrichissement de l’uranium en 1974 chez URENCO (Uranium Enrichment Company) aux Pays-Bas en est l’exemple le plus célèbre. Les activités ultérieures de son réseau, qui a fourni le savoir nucléaire ainsi que la technologie et l’équipement à l’Iran, la Libye et la Corée du Nord, montrent comment un bénéficiaire de la prolifération peut lui-même devenir proliférateur.28 De plus : il n’y a pas que les matériaux nucléaires, la technologie et le savoir-faire qui peuvent « migrer », mais aussi le personnel spécialisé bien formé (dont le mot clé est « la fuite des cerveaux »). Les différents risques de prolifération peuvent survenir isolément, mais également de manière combinée. La deuxième forme de risque de prolifération s’appuie sur les mêmes composants : les matières nucléaires, la technologie, le savoir-faire et les spécialistes. Un programme nucléaire civil existant peut en plus servir à développer un programme de mise au point d’armes atomiques. Dans ce cas, un état suit l’option militaire et utilise en priorité ses sources d’approvisionnement nationales. Seules ces ressources n’existant pas dans le pays et ne pouvant pas y être fabriquées sont importées. Pour développer la capacité à construire des armes nucléaires, les intéressés peuvent suivre deux voies. Ils peuvent tenter de fabriquer une arme soit à base d’uranium, soit de plutonium. Dans les deux cas il leur faut une quantité significative de matière fissile. Selon l’AIEA il faut au minimum 25 kg d’uranium hautement enrichi 28 Cf. Egmont R. Koch : Atombomben für Al Qaida, Berlin 2005. 3. Les États comme risque de prolifération (UHE contenant 90% ou plus d’U-235) ou 8 kg de plutonium pour fabriquer une arme nucléaire simple, mais fonctionnelle.29 Les pays qui ont construit les deux types d’armes nucléaires sont les États-Unis, l’URSS, la Grande-Bretagne, la France, la Chine et le Pakistan. Israël, l’Inde et éventuellement la Corée du Nord ont construit leurs premières armes nucléaires en ayant eu recours au plutonium. Le seul pays à avoir utilisé exclusivement de l’uranium et construit avec succès sa première arme atomique est l’Afrique du Sud. On accuse l’Iran de vouloir s’engager dans la même voie. Le plutonium est un produit dérivé de l’irradiation de l’uranium dans différents types de réacteurs. En fonction du type de réacteur et de la durée d’irradiation du combustible, différentes quantités de plutonium militaire (il renferme plus de 95% des isotopes fissiles Pu 239 et Pu 241) et/ ou du plutonium de réacteur (contenant « seulement » 67% environ de ces isotopes) peuvent être produites. En principe, les deux peuvent être utilisés pour la construction d’armes, le plutonium de réacteur « dans une moindre mesure » toutefois. Avant de pouvoir servir à la fabrication d’une bombe atomique, le plutonium doit être séparé du combustible de réacteur irradié dans des installations chimiques de retraitement. L’UHE au contraire est produit dans des installations d’enrichissement utilisant différentes technologies. L’enrichissement par centrifugation est la méthode la plus répandue à ce jour. Les programmes de construction d’armes nucléaires peuvent être divisés en deux catégories. D’abord, les programmes nucléaires qui dès le début ont un objectif militaire. C’est la façon dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union 17 Soviétique et la Chine ont acquis leurs armes nucléaires. Ensuite, les programmes au départ civils et dont l’aspect militaire a été poursuivi de manière implicite d’emblée ou plus tard de façon dissimulée. Il est souvent difficile d’évaluer si les programmes civils ont dans leur phase initiale, des objectifs militaires ou exclusivement civils. Parmi les pays qui semblent avoir développé des programmes militaires en les masquant par des programmes civils, on trouve la France, l’Inde, Israël, la Corée du Nord et l’Afrique du Sud. Le besoin d’installations nécessaires au cycle de combustible est défini par chaque pays selon la méthode choisie pour acquérir une capacité militaire. Un pays qui veut construire une arme à l’uranium aura besoin d’une installation d’enrichissement, mais pas nécessairement d’une centrale de retraitement avec la possibilité de séparer le plutonium. Il ne s’intéressera pas forcément non plus aux types de réacteurs particulièrement adaptés à la production de plutonium militaire, comme les réacteurs à eau lourde. Inversement, les pays souhaitant fabriquer une arme au plutonium développeront plutôt ce genre de réacteurs ainsi que des installations de retraitement, tout en ne souhaitant pas posséder nécessairement une installation d’enrichissement d’uranium, puisqu’ils peuvent obtenir le plutonium nécessaire à partir de réacteurs appropriés ou même d’uranium naturel. C’est pourquoi, les pays qui veulent développer une capacité militaire nucléaire en utilisant une seule de ces deux possibilités peuvent se limiter à un cycle de combustible ouvert, tandis que les pays qui préfèrent disposer des deux options se concentreront principalement sur un cycle de combustible fermé. Un grand nombre de pays ont, dans le passé, essayé de développer les deux méthodes ou de préserver leur possibilité de choix. 29 Tous les experts sont d’accord pour dire que ces quantités sont trop élevées, si un acteur devait accéder à la technologie moderne pour construire un explosif nucléaire sophistiqué. Dans le cas du plutonium, on considère que 4 kg seraient suffisants. Le Ministère américain des affaires étrangères se référait également à cette quantité lorsqu’il annonçait, à l’occasion du Sommet sur la sécurité nucléaire à Washington en 2010, que les États-Unis et la Russie avaient conclu un nouveau protocole élargissant un accord antérieur sur la future utilisation non militaire de 34 tonnes de plutonium par pays, devenu inutile à l’usage militaire. Le total de 68 tonnes de plutonium est la quantité équivalente à 17.000 têtes nucléaires, selon le communiqué de presse du 13.4.2010. Cf. http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2010/04/140097.htm 18 Peu de temps après que les États-Unis aient lancé le programme de coopération nucléaire civile « Atomes pour la paix », se sont exprimées des craintes quant à l’éventualité d’un déploiement trop vaste de la technologie nucléaire, donnant ainsi à trop de pays l’opportunité de chercher à fabriquer l’arme nucléaire. En 1963, le Ministère américain de la défense, dirigé par Robert McNamara, estimait qu’onze pays supplémentaires pourraient acquérir l’arme atomique en l’espace d’une décennie, suivis par beaucoup d’autres en peu de temps. Lorsque le Traité de non-prolifération fut négocié, dans la seconde moitié des années 1960, l’objectif était de ne pas se laisser développer la situation d’un monde comptant 20 ou 30 puissances nucléaires – un argument très utilisé à l’origine de ce traité qui reste toujours d’actualité. Compte tenu du nombre de programmes nationaux nucléaires civils, mais aussi potentiellement militaires, le Traité de non-prolifération (TNP), combiné aux contrôles de l’AIEA, aux régimes de contrôle des exportations du Groupe des fournisseurs nucléaires30 et du comité Zangger31, ainsi que des pressions diplomatiques et des garanties politiques de sécurité, s’est montré étonnamment efficace. À part Israël et l’Inde, résolus déjà au moment de l’entrée en vigueur du TNP, de fabriquer des armes atomiques, seuls l’Afrique du Sud32, le Pakistan et peut-être la Corée du Nord y sont parvenus jusqu’ici. Les efforts nationaux et internationaux entrepris jusqu’ici afin d’empêcher de nouveaux pays33 de fabriquer des armes atomiques, prouvent bien que la tâche est loin d’être facile. Bien qu’il ait été contenu, le risque de prolifération n’a cependant pu être éliminé. La découverte d’un programme nucléaire secret en Irak et l’expérience acquise Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? avec la Corée du Nord montrent qu’une amélioration du système de surveillance est nécessaire à l’avenir si l’on veut maintenir l’efficacité du régime de non-prolifération face à ce danger. Les expériences gagnées avec des programmes militaires réussis et contrôlés montrent que : Premièrement : à l’heure actuelle, les risques de prolifération les plus importants se situent dans le secteur des technologies d’enrichissement de l’uranium, de retraitement et de séparation du plutonium, la fabrication de plutonium et les réacteurs à l’UHE. Deuxièmement : les programmes nucléaires civils ont à chaque fois joué un rôle dans la prolifération, comme couverture et comme soutien aux programmes militaires. Ils rendent l’évaluation des intentions réelles d’un pays difficile. Troisièmement : les contrôles de sécurité et d’exportation mis sur pied dans les années 1960 et 1970 et étendus jusqu’à un certain point dans les années 1990, sont aujourd’hui insuffisants pour empêcher avec certitude la transition d’un pays d’un programme civil à un programme militaire. Quatrièmement : tous les pays poursuivant des activités nucléaires forment du personnel avec le temps et disposent de capacités techniques leur permettant de s’appuyer de plus en plus sur leurs capacités nationales et de moins dépendre d’une aide extérieure. Le progrès technologique contribue à ce développement dans la mesure où de plus en plus de pays sont à même de fabriquer des équipements nucléaires à des normes que seuls les pays industrialisés étaient capables de remplir auparavant. Cinquièmement : le concept qui consiste à empêcher la prolifération de la technologie nucléaire à des fins militaires mais à encourager dans le même temps l’utilisation de l’énergie nucléaire civile, connaît une crise profonde. 30 L e groupe des pays fournisseurs les plus importants de matière et de technologie nucléaires, actuellement 45 états. 31 Le comité Zangger, qui assiste à Vienne l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), établit depuis 1974 des listes de matériau fissile et de marchandises pertinentes au niveau nucléaire dont l’exportation présuppose des mesures de sûreté au sein de l’état destinataire. 32 L’Afrique du Sud a de nouveau renoncé à ses armes nucléaires. 33 S’informer sur les programmes nucléaires nationaux : http://www.globalsecurity.org/wmd/world/index.html ; http://www.nti.org/e_research/profiles/index.html © iStockphoto Overview and Trends 19 4. Les risques liés aux acteurs non étatiques À la fin des années 1960, les acteurs non étatiques étaient déjà considérés comme un problème de prolifération et de sécurité. Les experts savaient qu’il était possible de fabriquer une arme nucléaire rudimentaire à partir d’informations accessibles au public.34 En 1975, une étude de la CIA statuait : « la possibilité que des terroristes trouvent des armes nucléaires constitue l’obstacle le plus important aux efforts politiques visant à contrôler la prolifération. C’est aussi l’aspect le plus irritant et le plus extrême du potentiel de diversification des acteurs nucléaires. On peut s’attendre à ce que la disponibilité accrue des matériaux nucléaires et de la technologie, qui a permis l’accès des pays en développement aux explosifs nucléaires, les mettent tôt ou tard à la portée des groupes terroristes. [...] Les terroristes nucléaires qui par définition opèrent en dehors des procédures gouvernementales officielles, échappent complètement aux contrôles politiques inter- nationaux. Les garanties de l’AIEA par exemple, ne comportent aucun dispositif contre le vol de matériaux dans un complexe de réacteurs par des terroristes».35 Cette inquiétude s’exprime davantage publiquement depuis la dissolution de l’Union Soviétique. Devant l’immense infrastructure nucléaire, la crainte de risques massifs de prolifération a grandi. Si l’Union Soviétique autoritaire avait contrôlé de manière très stricte ses matières nucléaires, son savoir-faire et les techniciens – villes fermées, limitations de circulation strictes et surveillance par l’armée et le KGB –, il semblait peu vraisemblable que de telles mesures perdurent efficacement après son effondrement ou qu’elles soient maintenues par les états succédant à l’URSS. Depuis 1991, un niveau d’attention considérablement plus grand est accordé aux dangers liés à l’éventualité que des matériaux, des technologies voire même des ogives com- 34 U niversité de Californie, Laboratoire de radiation Lawrence : Rapport de synthèse, Nth Country Experiment, UCLR 50249, Livermore, CA, Mars 1967 (classification d’origine : SECRET, en partie publié dans le cadre de la loi FOIA, 4.1.1995). 35Central Intelligence Agency: Managing Nuclear Proliferation: The Politics of Limited Choice. Research Study. Langley VA, 1975 (classification d'origine : SECRET/NOFORN, en partie déclassée 21.8.2001), p. 29. 20 plètes, ne tombent aux mains de terroristes ou de groupes criminels organisés. 36 4.1 Des armes nucléaires aux mains de terroristes En théorie, les terroristes pourraient aussi se procurer des armes nucléaires. Il leur faudrait soit les fabriquer, les acheter, les voler ou encore les recevoir en cadeau. Si leur intention était de fabriquer une arme, alors ils auraient à produire, acheter ou voler les matériaux nécessaires.37 Produire les matériaux eux-mêmes, les confronterait aux mêmes difficultés qu’un état qui cherche à devenir une puissance atomique. Les acteurs non étatiques n’étant pas des pays avec un territoire propre, ils auraient besoin d’un état pour les héberger et de l’infrastructure nécessaire – ce qui se ferait de manière délibérée ou parce que l’état ne contrôle pas totalement son territoire. La fabrication d’une arme nucléaire est un parcours parsemé d’obstacles considérables. Même si un groupe terroriste parvenait à acquérir la matière fissile indispensable, en l’achetant ou en la volant, il aurait encore besoin de concepts d’armes, de fusées de précision en état de marche et d’autres composants difficiles à se procurer. Il est peu vraisemblable que des terroristes parviennent à surmonter rapidement ces problèmes de différentes natures. La possibilité que des groupes terroristes fabriquent une bombe atomique à partir de matériaux qu’ils auraient produits reste pour l’instant plutôt lointaine. Les chances de réussite sont plus grandes en coopérant avec un état (ou ses services secrets) possédant déjà des armes ou les matériaux nucléaires et mili- Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? taires. L’accès au savoir-faire et la collaboration avec du personnel bien formé rendraient également la tâche plus facile. Toutefois, s’il avérait qu’une puissance nucléaire soit prête à collaborer étroitement avec une organisation terroriste, il faudrait se poser la question suivante : pourquoi cet état ne lui fournit-il pas directement l’arme complète ?38 Des terroristes en possession d’une véritable arme nucléaire représenteraient un énorme danger. Les experts sont toutefois d’accord pour dire que l’éventualité que des terroristes possèdent une arme en état de marche ou qu’ils puissent en acquérir, est relativement faible. 4.2 Des bombes sales aux mains de terroristes Un scénario dans lequel des terroristes ou des groupes criminels organisés fabriqueraient et utiliseraient une bombe atomique sale est plus vraisemblable. Une bombe sale contient de la matière radioactive qui est dispersée par un dispositif explosif conventionnel. Elle ne provoque pas de réaction en chaîne incontrôlée. On peut imaginer une voiture piégée conventionnelle avec quelques douzaines ou centaines de grammes de substances radioactives. L’explosion ferait certainement des blessés et des morts et entraînerait la contamination radioactive des zones avoisinantes; l’effet d’une bombe sale serait avant tout psychologique.39 Une simulation, ayant pour but d’examiner les répercussions de l’explosion d’une bombe sale contenant deux tonnes d’explosifs dans le centre-ville de Washington, a permis de 36Cf. Siegfried Fischer, Otfried Nassauer (éditeur) : Die Satansfaust, Berlin 1993, p. 315 et suivantes. Graham T. Allison et al. : Avoiding Nuclear Anarchy, Containing the Threat of Loose Russian Nuclear Weapons and Fissile Material, Cambridge/Londres 1996. Jessica Stern : The Ultimate Terrorists, Cambridge/Londres 1999. 37 C’est pourquoi, les installations de recherche fonctionnant à l’UHE et leurs réserves d’UHE non encore irradié, sont considérées comme un risque important pour la sécurité. 38Compte tenu de l’expertise nucléaire moderne, apporter la preuve qu’un état ait mis à disposition de terroristes les matières nucléaires et le savoir-faire comporte à peine moins de risque que celle de leur avoir fourni une arme nucléaire. L’expertise nucléaire permet de déterminer la centrale dans laquelle la matière nucléaire employée a été fabriquée ou transformée. 39 L’explosion d’une bombe sale dans un centre de décision économique et politique comparativement bien sécurisé, nourrirait de sérieux doutes quant aux capacités des autorités du gouvernement et de l’état à remplir une de leurs plus importantes missions : garantir la sécurité des citoyens. L’événement – indépendamment des dommages réels limités – susciterait en outre une énorme incertitude, parce qu’une contamination radioactive n’est pas perceptible, mais reste extrêmement dangereuse. 4. Les risques liés aux acteurs non étatiques conclure qu’une zone de la taille d’un bloc d’habitations subirait des dommages sévères et peut-être permanents. D’autres simulations ont conclu que les dommages s’étendraient à plusieurs blocs d’habitations ou même à tout un quartier. Toutefois, un obstacle majeur à la fabrication de ces armes réside dans les difficultés de manipulation des matériaux radioactifs. Sachant que l’impact d’une telle arme – à part l’effet immédiat de l’explosion – dépend essentiellement de la radioactivité et de la toxicité des matériaux utilisés, les matières radioactives présentent un risque tout aussi élevé pour ceux qui fabriquent, manipulent ou utilisent la bombe. Le niveau de dangerosité pour les terroristes est proportionnel à l’efficacité radioactive et/ou toxique de l’arme qu’ils veulent fabriquer. C’est sans doute une des raisons principales au fait qu’aucune arme sale n’ait été employée jusqu’à présent. Il est assez peu probable que pour la fabrication de ce genre de bombe, des terroristes utilisent des matériaux radioactifs des installations prenant part au cycle du combustible nucléaire civil. L’acquisition des matériaux n’est pas toujours simple ; la manipulation est souvent assez difficile et la plupart du temps très dangereuse. Il existe plusieurs autres matériaux beaucoup plus faciles à acquérir et qui conviennent tout aussi bien aux exigences d’une bombe sale voire même mieux que l’UFE, l’UHE ou encore le plutonium de réacteur. Les matériaux radioactifs tels que le césium 137, le cobalt 60, le strontium 90, le crypton 85 ou l’américium 241 sont beaucoup plus facilement accessibles et plus appropriés puisqu’ils sont largement utilisés dans le domaine civil, comme par exemple dans les hôpitaux, l’industrie, les tests sur les matières et les tests d’étanchéité ou dans les détecteurs de fumée 21 4.3 La contrebande de matières nucléaires Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, il a été fait état d’un grand nombre de pertes et de découvertes de matières nucléaires et d’un nombre équivalent de cas de contrebande. Les criminels ordinaires, les membres du crime organisé, les terroristes mais aussi les services secrets et les autorités de polices ont montré un grand intérêt pour ce sujet – tout comme les médias. Il s’est alors avéré difficile de faire la différence entre les tentatives réelles de trafic illégal, les opérations frauduleuses et trompeuses ou des cas de contrebande falsifiés. L’analyse des documents médiatiques ne nous dit pas grand-chose sur l’impact réel de la contrebande sur la prolifération nucléaire. Une source plus fiable d’évaluation d’un commerce nucléaire illégal est la banque de données sur le trafic illicite établie par l’AIEA en 1995. Plus de 650 incidents ont été officiellement confirmés par l’agence entre 1993 et 2004. Plus de 60% de ces cas concernaient des matériaux radioactifs non fissiles tels que le césium 137, le strontium 90, le cobalt 60 ou l’américium 241. La plupart de ces matériaux soulèvent des inquiétudes en raison du fait qu’ils pourraient servir à des opérations terroristes ou criminelles, puisqu’ils peuvent être utilisés dans des dispositifs dispersant de la radioactivité ou dans des bombes sales. Environ 30% de tous les cas impliquaient des matières nucléaires telles que l’uranium naturel, l’uranium appauvri, le thorium et l’UFE. Des matières nucléaires à usage militaire étaient présentes dans 18 cas. Il s’agit des cas les plus importants d’un point de vue de la prolifération. Sept incidents impliquaient du plutonium, dont six dans des quantités allant de moins d’un gramme jusqu’à dix grammes. Le septième cas, concernant plus de 363,4 grammes de plutonium, a eu lieu à l’aéroport de Munich en août 1994. Les autorités russes et les services de renseignements allemands y étaient mêlés.40 Onze 40 A près que Der Spiegel ait fait de l’incident d’août 1994 la une de son magazine (cf. http://www.spiegel.de/spiegel/print/index-1994-34.html), celui-ci rapportait en avril 1995 le développement du BND (les services de renseignements allemands) intitulé « Panik made in Pullach » Cf. http://www.spiegel.de/spiegel/print/d-9181696.html. Le Bundestag a nommé une commission d’enquête afin d’éclaircir les circonstances de l’incident. Cf. http://dipbt.bundestag.de/dip21/btd/13/013/1301323.asc 22 autres cas concernaient de l’uranium hautement enrichi dans des quantités allant de moins d’un gramme jusqu’à plus de 2,5 kg. Il semble que dans la plupart de ces cas, des échantillons en vue de contrats plus importants, aient été saisis.41 Fin 2008, le nombre de cas confirmés de possession illicite, de perte ou de vol et autres incidents illégaux touchant des matériaux nucléaires était passé à 1.562. Du plutonium ou de l’UHE étaient présents dans 15 de ces cas. Pour une grande partie d’entre eux, il s’agissait de petites quantités, mais aussi de kilos pour quelques-uns. L’AIEA n’a plus fait de rapports sur les détails de ces cas mais a reconnu que la majorité des plus célèbres d’entre eux étaient des « offres » n’ayant pas trouvé d’acheteurs. Il faut bien sûr tenir compte de l’éventualité de cas réussis de contrebande nucléaire et de trafics illégaux qui n’ont pas été découverts ou déclarés. 4.4 Les acteurs non étatiques et la sûreté du cycle de combustible Les terroristes pourraient représenter une menace sérieuse pour la sécurité des installations nucléaires civiles. Toutefois, on ne connaît pas d’étude officielle systématique de ces risques. Quelques aspects du problème ont été mis en lumière. Dans les années 1990, les États-Unis ont simulé 75 attaques sur quelques-uns de leurs réacteurs. Les résultats ont mis à jour de graves défaillances dans la sécurité. Dans 27 cas, les attaques auraient pu entraîner un endommagement du cœur du réacteur et la dissémination de radioactivité.42 En 2003, Greenpeace parvenait à pénétrer dans la centrale britannique Sizewell, Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? sans rencontrer de résistance.43 Les réacteurs de recherche des universités, fonctionnant à l’UHE, posent un problème particulièrement sérieux parce qu’un grand nombre de personnes doivent souvent y avoir accès et que les dispositifs de sécurité sur place sont comparativement limités. Quand des problèmes de sécurité sérieux surgissent dans des pays industrialisés disposant des moyens et de la capacité pour investir dans la sécurité de cette infrastructure sensible, on peut supposer que dans ces pays au pouvoir financier plus limité, le risque de voir disparaître des matières nucléaires des réacteurs, laboratoires et installations nucléaires soit considérablement plus élevé. Le risque d’attaques terroristes sur ce genre d’installations ne doit pas être négligé non plus. Elles pourraient entraîner la dissémination d’immenses quantités de matières radioactives, même sans explosion nucléaire. Il faut considérer la probabilité d’une attaque terroriste sur des installations nucléaires civiles comme étant nettement supérieure à celle de voir une arme tomber dans des mains terroristes, et vraisemblablement encore plus forte que le risque d’utiliser une bombe sale. L’existence ces dernières années, de discussions sur la protection des centrales contre des attaques aériennes montre que ce problème commence à être pris très au sérieux. 4.5 Autres risques de prolifération En 1977, il fut révélé que le Ministère américain de l’énergie avait déjà mené avec succès en 41 L’AIEA a donné par le passé et jusqu’en 2004, un aperçu détaillé de cas de ce genre, à l’adresse http://www.iaea.org/NewsCenter/Features/RadSources/Fact_Figures.html Cette liste n’est plus disponible. Aujourd’hui on trouve des parties importantes de données comparables à l’adresse : http://www.iaea.org/NewsCenter/Features/RadSources/PDF/fact_figures2005.pdf Les chiffres de 2004 proviennent de ces sources. Une représentation actuelle de la situation à partir de 2009 contenant des informations qui ne sont pas directement comparables peuvent être consultées à l’adresse : http://www-ns.iaea.org/downloads/security/itdb-fact-sheet-2009.pdf Ces chiffres ne sont pas directement comparables d’abord parce que la méthode de rapport de la banque de données a été modifiée à partir de 2006, et ensuite parce que le nombre de pays rapportant des incidents est monté à 192 au fil des ans. Les dernières informations de ce paragraphe proviennent de la source mentionnée ci-dessus. 42 Union of Concerned Scientists: Backgrounder on Nuclear Reactor Security, Cambridge (MA) 2002. 43Greenpeace UK : Greenpeace Volunteers Get into Top Security Nuclear Control Centre, communiqué de presse, Londres 13.1.2003. Également dans : Daily Mirror, 14.1.2003. 4. Les risques liés aux acteurs non étatiques 1962 un essai souterrain avec une arme atomique fabriquée à partir de plutonium de réacteur. Il devint évident à partir de là qu’il était en principe possible de construire une arme à partir de plutonium « civil », à savoir de plutonium de réacteur. Une enquête menée au Laboratoire national Los Alamos en 1990 concluait que des états ou des groupes terroristes qui tenteraient de construire une arme à partir de plutonium de réacteur ne s’affronteraient pas aux mêmes difficultés que celles rencontrées par des groupes ayant accès à du plutonium militaire, en termes de degré et non pas de qualité.44 La guerre contre l’Irak en 2003 révélait un nouveau risque de prolifération considérable : lorsque les troupes américaines ont occupé le pays, elles n’ont pas suffisamment protégé des pillages la plus importante centrale de recherche nucléaire du pays. Des sceaux de l’AIEA dans l’installation avaient été fracturés, de la matière nucléaire avait disparu et des documents avaient été volés. L’AIEA a entre-temps sécurisé tous les matériaux qu’elle a pu retrouver. 23 La dissolution de l’Union Soviétique a montré que des « états défaillants » pouvaient aussi représenter des risques de prolifération pour la communauté internationale. Il ne peut y avoir de garantie à ce que tous ceux des pays exploitant des réacteurs de recherche ou des programmes nucléaires civils ne deviennent instables ou ne s’effondrent jamais – qu’ils perdent à cette occasion le contrôle temporaire ou permanent de leurs centrales et des matières nucléaires. Que les « états défaillants » posent un problème de sécurité générale est un fait largement reconnu alors que l’éventualité qu’ils puissent dissimuler des risques de prolifération considérables l’est moins. L’effondrement du Pakistan, puissance nucléaire, poserait par exemple de sérieux problèmes. Le Pakistan et le « supermarché nucléaire » du réseau Khan, y compris la Malaisie, mettent aussi en évidence qu’un nombre croissant de pays en développement sont désormais en mesure de fournir la technologie requise pour des nucléaires et des armes nucléaires. 44 Département américain de l’énergie : Nonproliferation and Arms Control Assessment of Weapons-Usable Fissile Material Storage and Excess Plutonium Disposition Alternatives, Washington 1997, pp. 37-39. National Academy of Sciences : Management and Disposition of Excess Weapons Plutonium, Washington 1994, pp. 32-33. Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? Florian 24 5. Instruments de contrôle et de limitation de la prolifération 5.1 Les traités importants Le Traité de non-prolifération (TNP), entré en vigueur en mars 1970, est la base du système international de non-prolifération. Il est signé par presque tous les pays du monde. Seuls Israël, l’Inde et le Pakistan ne sont jamais devenus membres. La Corée du Nord s’est retirée de l’accord en 2003.45 Dans son article 2, le TNP contraint les états non nucléaires46 « à n’accepter de qui que ce soit, ni directement, ni indirectement, le transfert d’armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires ou celui du contrôle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs; à ne fabriquer ni acquérir de quelque autre manière, des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs ; et à ne rechercher ni recevoir une aide quelconque pour la fabrication d’armes ou autres dispositifs explosifs nucléaires. » Réciproquement dans l’article 1, les états dotés d’armes nucléaires (EDAN) s’engagent, à ne jamais aider des états non dotés d’armes nucléaires (ENDAN) à contourner ces engagements, directement ou indirectement. L’article 4 garantit aux ENDAN le droit d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques et d’acquérir les technologies adéquates : « aucune disposition du présent Traité ne sera interprétée comme portant atteinte au droit inaliénable de toutes les Parties, de développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. […] Toutes les Parties du Traité s’engagent à faciliter l’échange le plus large possible d’équipement, de matières et de renseignements scientifiques et technologiques en vue d’une utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, et ont le droit d’y participer. » Le traité fait donc la différence entre les états qui sont toujours autorisés à disposer d’armes nucléaires (« Haves ») et ceux qui ne le sont pas (« Have Nots »). On y trouve aussi deux clauses 45 A yant commis un faux pas en se retirant du TNP, la Corée du Nord continue d’être traitée comme membre non nucléaire du régime. 46 Le texte du traité ainsi que de nombreux documents relatifs aux efforts internationaux de non-prolifération peuvent être consultés dans : Ministère fédéral allemand des affaires étrangères : Preventing the Proliferation of Weapons of Mass Destruction, Key Documents, 2éme édition, Berlin 2006. 5. Instruments de contrôle et de limitation de la prolifération stipulant que cette distinction n’était et n’est pas, destinée à durer définitivement. La première clause se trouve dans l’article 6 et contraint les EDAN « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, ainsi que sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace. » La deuxième apparaît dans l’article 10 en ces termes : « Vingt-cinq ans après l’entrée en vigueur du traité, une conférence sera convoquée en vue de décider si le traité demeurera en vigueur pour une durée indéfinie […]. » La conférence de révision du Traité de 1995 a décidé de prolonger le traité de manière inconditionnelle et illimitée. Cette décision a été rendue possible par l’adoption dans le même temps d’un document sur les « Principes et objectifs », luimême complété par un document avec treize étapes pratiques lors de la conférence suivante en 2000. Ce dernier élaborait pour la première fois, des objectifs concrets ainsi qu’un plan de travail visant à renforcer aussi bien la non-prolifération que le désarmement des états dotés d’armes nucléaires. Ces décisions ont révélé le facteur important de « compromis » qui était déjà apparu lors des négociations sur le TNP : les règles strictes de non-prolifération n’étaient acceptables pour de nombreux états non nucléaires que parallèlement à des avancées dans le désarmement – avec l’objectif ultime d’abolir toutes les armes atomiques. La mise en œuvre des engagements entre 1995 et 2000 a progressé à un rythme beaucoup plus lent que celui attendu par la majorité des états. La situation s’est même aggravée lors de la conférence de révision suivante, en mai 2005 : les États-Unis de l’administration George W. Bush font alors clairement fait savoir qu’ils ne se sentent plus liés aux « Principes et objectifs » et au processus des treize étapes, élaboré en coopération avec l’administration Clinton. Le gouvernement américain se concentre davantage aujourd’hui sur des 25 initiatives unilatérales afin de renforcer la nonprolifération et n’accepte plus d’autre engagement lié au désarmement des EDAN. Cette attitude a profondément remis en question l’idée générale de « compromis » prôné par le TNP et les accords sur sa prolongation. La conférence s’est achevée sans nouvel accord, négligeant un problème lourd de conséquences pour l’avenir. Est-il possible de ranimer le régime multilatéral de non-prolifération et si oui, comment ? Le traité présente en outre quelques faiblesses spécifiques à la prolifération : La distinction entre « Haves » et « Have Nots » est unique dans le droit international, qui normalement traite tous les états souverains de manière équitable. Le prolongement illimité dans le temps du TNP « perpétue » cette différence de statut alors qu’en même temps le désarmement option « zéro » est perdu de vue. C’est pourquoi de nombreux états non nucléaires ont réagi avec beaucoup de critiques lorsque le gouvernement américain a retiré son soutien au « Principes et objectifs » et au processus des « treize étapes », y décelant un manque de volonté à désarmer. Ce conflit peut profondément miner les fondements du TNP. Le traité concède à tous les membres le droit d’utiliser des technologies nucléaires à des fins pacifiques. Il contraint les pays en possession de ces technologies d’en donner l’accès aux pays qui ne les possèdent pas, mais qui souhaiteraient les utiliser à des fins civiles, comme la production d’électricité. Selon le TNP, il est tout à fait légal pour un ENDAN d’exploiter un circuit de combustible fermé.47 Ce qui implique toute une série d’installations comportant un risque inhérent de prolifération élevé. Les propositions de « sauvegardes » additionnelles et de limitations des exportations pour ces éléments du cycle de combustible – souvent faites ou soutenues par les « Haves » – renforcent la distinction susmentionnée. Les ENDAN du Sud redoutent un « Apartheid nucléaire » en ce qui concerne l’usage civil de l’énergie nucléaire et l’accès aux technologies avancées. 47 T outes les installations nucléaires que l’Iran possède par exemple et – pour autant que cela se sache – projette d’avoir, sont autorisées selon le TNP pour un usage exclusivement civil, si elles peuvent être contrôlées par l’AIEA. 26 Israël, l’Inde et le Pakistan n’ont jamais signé le traité mais ont pourtant acquis des armes nucléaires. Puisque le traité ne permet pas l’adhésion de nouveaux EDAN, le renoncement aux armes nucléaires serait une condition préalable à l’adhésion au traité de tous ces états. Ce qui a peu de chance d’arriver. De nombreux ENDAN deviennent de plus en plus critiques à l’égard du fait que ces EDAN soient de fait tolérés comme des états dotés d’armes nucléaires en dehors du traité ou reconnus indirectement. Les preuves de cette tendance les plus citées en exemple sont, l’accord bilatéral entre les États-Unis et l’Inde négocié sous George W. Bush et qui devrait permettre aux deux états d’instaurer une collaboration sur des projets nucléaires civils, et celui de la politique de Washington à l’égard d’Israël.48 Le « Traité d’interdiction complète des essais nucléaires » (TICE) est un autre traité multilatéral qui pourrait avoir des répercussions sur la prolifération. En février 1963, Robert McNamara écrivait dans un mémorandum adressé au Président John F. Kennedy : « une interdiction complète des essais approuvée par les États-Unis, l’URSS et la Grande-Bretagne serait favorable à un ralentissement de la prolifération [d’armes atomiques]. Il n’est sans doute pas exagéré d’affirmer qu’il s’agit là d’une condition nécessaire, insuffisante certes, de maintenir à un faible niveau le nombre des pays nucléaires. »49 Un tel traité ne pouvait se conclure qu’après la Guerre froide. Depuis 1996, 182 pays l’ont signé et 151 l’ont ratifié, parmi eux des états dotés d’armes nucléaires tels que la Russie.50 Il n’est cependant pas certain que le TICE entre un jour en vigueur. Pour cela, il faut que l’ensemble des 44 pays ayant un programme nucléaire civil ou militaire Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? le ratifient. Un grand nombre de ces pays – parmi lesquels la République populaire de Chine, l’Inde*, le Pakistan*, la Corée du Nord*, l’Indonésie, Israël, l’Iran et les États-Unis – ne l’ont pas encore fait ; trois pays ne l’ont même pas signé.51 Si ce traité entre en vigueur, sa contribution à la non-prolifération serait de taille. Les pays fabriquant des armes pour la première fois ne pourraient savoir avec certitude si le concept fonctionne comme prévu. Ce qui est particulièrement vrai des armes fabriquées à partir de plutonium de réacteur. L’objectif du projet de « Traité interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d’armes nucléaires » (TIPMF) est de geler la quantité de matériaux militaires dans le monde entier, d’interdire la production de nouvelles matières fissiles militaires afin d’en réduire définitivement le montant. L’idée existe depuis des décennies déjà et bien que la résolution 1148 de l’Assemblée générale de l’ONU ait exigé dès 1957 l’arrêt de la production de matériaux nucléaires militaires, aucunes négociations sérieuses n’ont encore eu lieu à la Conférence du désarmement des Nations Unies, chargée de rédiger le traité. Toutefois, celle-ci discute désormais de façon informelle sur de possibles éléments d’un tel traité. L’année dernière, la création d’un groupe de travail sur ce thème était adoptée dans le plan de travail de la Conférence. Mais aucun progrès sérieux n’a été accompli. Il y a 65 pays qui participent à la Conférence du désarmement des Nations Unies et qui doivent trouver un consensus. Par conséquent, la bonne volonté des puissances nucléaires, y compris les plus petites, qui continuent d’augmenter leurs stocks militaires et qui n’ont toujours pas adhéré au TNP, est une condition préalable à toute avancée substantielle. 48 Entre-temps, la Chine et le Pakistan ont signé un traité similaire. 49 Secrétariat de la défense : Memorandum for the President, Subject : The Diffusion of Nuclear Weapons with and without a Test Ban Agreement, Washington DC 12.2.1963, p. 3 (classification d’origine : SECRET). 50Cf. http://www.ctbto.org/ pour les généralités et http://www.ctbto.org/the-treaty/status-of-signature-and-ratification/ sur le statut des pays ayant signé ou ratifié le Traité. 51 Les états marqués d’un * n’ont ni signé ni ratifié le contrat. Cf. http://www.ctbto.org/the-treaty/status-of-signature-and ratification/?states=4®ion=63&submit.x=17&submit. y=4&submit=submit&no_cache=1 (statut : déc. 2009). Sous le Président George W. Bush, le gouvernement américain avait envisagé son retrait de l’accord TIPMF. Le Président Obama a annoncé qu’il visait la ratification, mais il n’a pas encore la majorité nécessaire au Sénat. 5. Instruments de contrôle et de limitation de la prolifération En faisant de l’accumulation de stocks d’armes une violation de droit international, ce genre d’accord, imposerait aux EDAN de limiter la quantité de matières fissiles disponibles aux stocks existants, et serait pour les ENDAN un instrument de sûreté supplémentaire. En le combinant avec des projets déjà existants tels que l’accord entre la Russie et les États-Unis consistant à transformer 500 tonnes d’uranium militaire russe en UFE, et celui où chacun s’engage à faire que 34 tonnes de plutonium soient inutilisables à des fins militaires, on réduirait considérablement les réserves de matières fissiles militaires sur le long terme.52 Il existe par ailleurs, une proposition de Traité sur les matières fissiles (Fissile Material Treaty) qui inclurait aussi les matières nucléaires potentiellement militaires et qui contraindrait juridiquement toutes les puissances nucléaires à réduire leurs stocks. Dans de nombreuses régions du monde ont été conclus, conformément à l’article 7 du TNP, des Traités de zone exempte d’armes nucléaires. Ce sont des mesures régionales de confiance contre l’éventuelle prolifération d’armes et de technologies nucléaires, soutenues du côté des puissances atomiques par des « garanties négatives de sécurité ». Ces garanties sont une promesse politique, mais non contraignante juridiquement, faite aux États membres des zones exemptes d’armes nucléaires, que les états dotés d’armes nucléaires ne les menaceront ni ne les attaqueront avec leurs armes.53 D’autres accords multilatéraux traitent de la sécurité des matières nucléaires militaires et des questions spécifiques qui y sont liées. On y trouve par exemple : 27 sur le plan international, la « Convention sur la protection physique des matières nucléaires » ouverte en 1980, entrée en vigueur en 198754, et qui au départ traitait seulement la sécurité du transport international des matières nucléaires. Elle a jusqu’ici été ratifiée par 142 pays. En 2005, elle est complétée par un accord additionnel contenant des engagements pour la sécurité des sites nucléaires civils, des matériaux nucléaires et l’entreposage, ainsi que pour le transport;55 la « Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire » de 2005 ;56 les accords de mise en œuvre technique pour la protection des matériaux et dispositifs nucléaires par l’AIEA, actuellement en phase finale de révision (INFCIRC 255/Rev.4 (1999) et Rev.5 (2010)).57 5.2 La non-prolifération grâce aux « garanties » Les garanties internationales de non prolifération s’appuient sur l’article 3, alinéa 1 du Traité sur la non-prolifération. Le principe de base en est que les ENDAN ne seront autorisés à recevoir des matériaux nucléaires et la technologie correspondante que s’ils permettent à l’AIEA de vérifier que leurs programmes poursuivent uniquement des objectifs pacifiques. La préoccupation majeure de ces contrôles est donc d’empêcher que les matières nucléaires d’un cycle de combustible civil ne se retrouvent dans des circuits militaires. Le système de surveillance actuel a été développé en deux phases. Pendant la première, une structure pour la mise en œuvre d’accords de garanties a été créée et dans la deuxième, ont été négociées des directives détaillées sur la conduite 52 w ww.bellona.no/en/international/russia/nuke_industry/co-operation/8364.html http://www.nti.org/c_press/analysis_ Holgate_INMM%20Paper_061005.pdf 53 D’après la forme (politique, mais non contraignante juridiquement) et le contenu de ces garanties, les états dotés d’armes nucléaires conservent toutefois l’option de retirer ces garanties le cas échéant. 54Cf.: http://www.iaea.org/Publications/Documents/Infcircs/Others/inf274r1.shtml 55Cf. : http://www.iaea.org/About/Policy/GC/GC49/Documents/gc49inf-6.pdf 56Cf. : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/Res/59/290 57 Toutes les circulaires d’information (INFCIRC) de l’AIEA peuvent être consultées à l’adresse Internet suivante : http://www.iaea.org/Publications/Documents/Infcircs/index.html 28 des inspections de l’AIEA. L’accord concernant ce document, la Circulaire d’information 153 (INFCIRC 153) a été obtenu en 1972. Sur base de celui-ci, des accords de garanties entre l’AIEA et les différents états ont été conclus et publiés. Ceux-ci réglementent quand et dans quelle mesure les états non dotés d’armes nucléaires sont contraints de fournir à l’AIEA certaines informations sur leurs installations, matériaux et programmes nucléaires. Ils autorisent l’AIEA à vérifier l’exactitude des renseignements par le biais d’inspections effectuées dans le pays membre. Si l’AIEA juge qu’un pays a pleinement collaboré avec elle et travaille uniquement sur des projets nucléaires civils, celui-ci peut continuer à se fournir en matières nucléaires et en technologie, etc. Si au contraire l’AIEA juge que des doutes subsistent ou que des questions quant au programme nucléaire d’un pays restent sans réponses, elle est autorisée à mener des investigations supplémentaires soit pour blanchir le pays de tout soupçon, soit – en cas de violation des engagements – en faire part au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale des Nations Unies, afin de décider d’une action ultérieure. Début 2008, 163 accords étaient en vigueur entre l’AIEA et différents pays.58 Après la Guerre du Golfe de 1991, les inspecteurs de l’AIEA révélaient que l’Irak, pays non nucléaire, avait pendant des années mené un programme militaire secret. Le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé l’AIEA à effectuer des inspections plus approfondies à la fin de la guerre. La découverte du programme irakien a conduit à la conclusion que les accords de garanties actuels ne suffisaient pas à empêcher un pays de mettre en œuvre un programme secret d’armes nucléaires et que pour faire face à de tels défis, des contrôles supplémentaires plus complets étaient nécessaires. Les membres de l’AIEA ont négocié un « modèle de protocole additionnel » (INFCIRC 540) volontaire sur des mesures de sécurité élargies. Les pays qui acceptent ce proto- Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? cole autorisent l’AIEA à réaliser entre autres choses, des inspections supplémentaires dans un délai bref ou à prélever des échantillons environnementaux. En outre, le protocole contraint les membres à informer au plus tôt et de manière plus détaillée, les autorités nucléaires sur les nouveaux sites prévus et à mettre à disposition de l’AIEA davantage d’informations, par exemple des déclarations sur toutes les importations et exportations de marchandises reprise dans la Liste fournie par le « Groupe des fournisseurs nucléaires ». Fin 2008, le protocole additionnel était en vigueur pour 88 pays.59 D’autres états l’ont signé, mais pas encore ratifié.60 Le protocole additionnel a une valeur particulière lorsqu’un pays est soupçonné de violer les engagements pris dans le cadre du TNP ou d’accords de garanties. En 2003, lorsque la République islamique d’Iran est devenue suspecte, l’AIEA et de nombreux pays membres ont pressé l’Iran de signer le protocole additionnel afin d’octroyer à l’AIEA les droits supplémentaires qu’il renferme. L’Iran a signé le protocole en novembre 2003. Tandis que le gouvernement iranien s’est dans un premier temps comporté comme si le protocole était en vigueur, le parlement iranien a par la suite refusé sa ratification. En février 2006, le gouvernement iranien informait l’AIEA de la décision du parlement, à savoir que l’Iran ne reconnaîtrait plus le protocole en raison de l’ampleur prise par le litige au sujet de son programme atomique, tout en respectant dans la pratique quelques-uns de ses engagements. Les garanties visent à empêcher l’utilisation de capacités nucléaires civiles à des fins militaires par les états non dotés d’armes nucléaires. Elles ne couvrent ni les installations militaires dans les états dotés d’armes nucléaires ni les centrales civiles de ces pays, à moins que ceux-ci n’acceptent de plein gré de soumettre certains dispositifs ou matériaux aux mesures de contrôle de l’AIEA (INFCIRC 66).61 Des accords de garanties peuvent 58 Cf. : http://www.iaea.org/Publications/Reports/Anrep2008/safeguards.pdf 59Ibid. ; et un aperçu détaillé plus actuel sur le type d’accord de garantie avec quel pays en décembre 2009 à l’adresse : http://www.iaea.org/OurWork/SV/Safeguards/sir_table.pdf 60 Sur la situation en décembre 2009, cf. : http://www.iaea.org/OurWork/SV/Safeguards/sir_table.pdf 61 Les EDAN font plus ou moins intensivement usage de cette possibilité. Ainsi le Président américain Barack Obama a remis au Congrès le 6 mai 2009 une liste de 267 pages de toutes les installations nucléaires déclarées par Washington à l’AIEA. 5. Instruments de contrôle et de limitation de la prolifération également être conclus pour des sites nucléaires dans des pays non membres du TNP. Israël, l’Inde et le Pakistan permettent désormais à l’AIEA d’effectuer des contrôles limités sur leur territoire.62 Bien que constamment remises en question, parce qu’elles sont coûteuses, longues et insuffisantes, les inspections de l’AIEA sont largement plus efficaces que ce qu’en disent les critiques. En Irak, ce sont les inspecteurs de l’AIEA (et la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations Unies, la COCOVINU) qui ont découvert le programme atomique irakien. En 2003, lors de la lutte menée par les États-Unis et la GrandeBretagne en vue d’obtenir le soutien des Nations Unies pour une nouvelle guerre contre l’Irak, ils étaient arrivés à la bonne conclusion, à savoir que ce programme n’avait pas été poursuivi. Les propositions actuelles de renforcement des garanties de l’AIEA englobent l’exigence d’universaliser le protocole additionnel et de le rendre obligatoire pour les états non nucléaires qui veulent importer des marchandises nucléaires. Par ailleurs, l’idée d’une nouvelle génération de garanties est une fois de plus examinée. 5.3 La non-prolifération grâce au contrôle des exportations Depuis le début des années 1970, aux garanties de l’AIEA se sont ajoutées des mesures multilatérales de contrôle des exportations. Elles se fondent sur l’article 3, alinéa 2 du TNP, lequel contraint tous les États membres à ne fournir de la matière nucléaire ou des technologies qu’à des pays qui acceptent de les soumettre aux garanties de l’AIEA. Ces états en mesure de fournir de la technologie nucléaire ont commencé à avoir des rencontres informelles en 1971. Ces entretiens ont été plus tard institutionnalisés et sont connus sous le nom de Comité Zangger. Les membres de ce Comité ont établi une liste des marchandises nucléaires pour l’exportation (« liste de base ») qui exigeaient l’in- 29 troduction de contrôles et ont posé trois conditions aux pays souhaitant les importer : le destinataire doit avoir conclu un accord de garanties, utiliser toutes ses importations à des fins pacifiques et appliquer ces deux conditions à d’éventuels bénéficiaires de réexportations. En 1975, ces mêmes pays mettaient aussi en place, sur un mode informel, le Groupe des fournisseurs nucléaires. Celui-ci s’est mis d’accord sur une « liste de base » élargie de matières nucléaires, de technologies et d’équipements à soumettre au contrôle national des exportations, et aussi à inscrire sur une liste des technologies importantes utilisables à la fois à des fins militaires et civiles (« double usage »). Ces listes sont actualisées de temps à autre en fonction des développements de la technologie. Les deux listes font partie intégrante des directives du Groupe des fournisseurs nucléaires, lesquelles impliquent un engagement politique mais ne sont pas juridiquement contraignantes. Si toutefois des États membres s’engagent à inclure ces marchandises dans leur système national de contrôle des exportations, ces listes deviennent alors juridiquement contraignantes. De nouvelles initiatives visant à renforcer le contrôle de la fourniture de technologie nucléaire ont été lancées les dernières années. Sur proposition des États-Unis, le sommet du G8 de juin 2004 a adopté un moratoire prolongeable d’un an sur de nouveaux transferts de technologies d’enrichissement d’uranium et de retraitement dans des états ne les possédant pas encore. Comme le Groupe des fournisseurs nucléaires n’a pu se mettre d’accord sur une politique commune, le moratoire continue d’être respecté jusqu’à aujourd’hui par ces huit pays.63 En 2009, le Conseil des gouverneurs de l’AIEA approuvait à 23 voix contre 8, une proposition russe suivant laquelle la Russie garderait une réserve de 120 tonnes d’uranium légèrement enrichi utilisable internationalement par des états exploitant des réacteurs 62 Cf. http://www.iaea.org/OurWork/SV/Safeguards/sir_table.pdf 63Cela s’est fait d’une façon légèrement inaperçue par des affirmations répétées du paragraphe 8 du communiqué du G8 d’Aquila. 30 pour la production d’électricité. L’Égypte, l’Argentine, le Brésil, la Malaisie et l’Afrique du Sud entre autres, ont voté contre cette proposition. Ce qui contribua à nourrir le scepticisme avec lequel de nombreux ENDAN jugent encore les garanties, les contrôles à l’exportation et les visites, sur le fait que des exportations nucléaires pertinentes dépendent de si le pays destinataire remplit ou non des conditions additionnelles. Ils craignent que ces réglementations soient appliquées de façon discriminatoire et qu’elles puissent gêner voire interdire l’accès légitime à une technologie nucléaire moderne, garanti par le TNP. Afin de résoudre ce problème, il faudrait mettre en œuvre des propositions consistant à « multilatéraliser » les composants du cycle de combustible qui s’appliquent à la prolifération. Par exemple, effectuer l’enrichissement de l’uranium ou le retraitement pour un usage international seulement et dans des installations contrôlées en outre par l’AIEA. Ce qui aurait pour effet d’encourager la résistance à la prolifération. 5.4 La non-prolifération par la coopération L’effondrement de l’Union Soviétique et l’inquiétude relative à son immense héritage nucléaire ont engendré une multitude de mesures de non prolifération en coopération avec les états successeurs. Les États-Unis ont été les plus rapides à prendre des initiatives, et sont désormais impliqués dans le financement et la mise en œuvre de telles activités dans toute une série de pays.64 Beaucoup de programmes développés dans ce contexte se sont, par ailleurs, avérés utiles dans d’autres pays. Divers projets visent un entreposage plus centralisé et plus sécurisé techniquement des matières nucléaires et des armes en Russie et dans les autres Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? états successeurs de l’Union soviétique. D’autres visent la sécurisation du combustible nucléaire de sous-marins déclassés. Des projets tels que le programme du Centre pour la Science et la Technologie, l’Initiative sur les « villes nucléaires », l’Initiative de Transition russe et l’Initiative pour la Prévention de la Prolifération se concentrent sur la création d’emplois pour les scientifiques nucléaires, afin d’éviter une fuite des cerveaux – prévenir une prolifération résultant de la recherche d’emplois par les scientifiques à l’étranger. D’autres programmes traitent de l’amélioration des contrôles frontaliers et des exportations dans les états successeurs de l’Union soviétique. Certains tentent de mettre fin de manière coopérative à la production de matière fissile pouvant servir à la fabrication d’armes en Russie et d’en réduire les réserves dans le pays. En 1996, avec l’Initiative trilatérale, les ÉtatsUnis, la Russie et l’AIEA s’accordent à placer les matières fissiles d’origine militaire (le plutonium et l’uranium) excédentaires sous le contrôle de l’AIEA. En 1993, les États-Unis avaient acheté à la Russie 500 tonnes d’UHE, lequel a été appauvri et employé comme combustible dans des centrales nucléaires américaines. D’après les renseignements de l’entreprise mandatée, 382 tonnes d’UHE, l’équivalent de 15.294 ogives, ont été transformées en UFE dans le cadre du programme « Megatons to Megawatts ».65 L’accord d’élimination du plutonium conclu en 2000, par lequel les États-Unis et la Russie acceptaient, dans un premier temps, de transformer chacun 34 tonnes de plutonium militaire en combustible MOX ou de les neutraliser en les mélangeant avec des déchets nucléaires pour les rendre inoffensifs et pouvoir les entreposer, n’a pas été couronné de succès jusqu’ici, à cause du report constant de sa mise en œuvre.66 En avril, il était 64 V ous en trouverez un aperçu sur les pages du site Internet : http://www.ransac.org/ http://www.bits.de/NRANEU/NonProliferation/index.htm 65 http://www.usec.com/megatonstomegawatts.htm 66 L’accord est basé sur des déclarations unilatérales des gouvernements Clinton (1995) et Eltsine (1997) qualifiant chacun 50 tonnes de plutonium comme superflus aux besoins militaires. En 1996/97 une commission bilatérale élaborait des options visant la gestion de l’excédent de plutonium militaire, qui ont servi de base à un accord cadre entre les deux états en 1998 et à l’accord 2000 susmentionné; voir : http://www.nti.org/db/nisprofs/russia/fissmat/ plutdisp/puovervw.htm. Les États-Unis prévoient de faire usage des deux options, la Russie considère l’uranium militaire comme matériau recyclable et souhaite transformer tout le stock en combustible MOX. Ni la Russie ni les États-Unis ne disposaient de centrales de retraitement pour fabriquer le combustible MOX au moment de l’accord. 5. Instruments de contrôle et de limitation de la prolifération amendé d’un protocole additionnel. La Russie a désormais le droit de transformer entièrement son plutonium militaire en combustible MOX et de l’employer dans des réacteurs et des surgénérateurs rapides soumis à des contrôles spéciaux de non-prolifération.67 Depuis 2002, il existe un « Partenariat mondial contre la prolifération des armes et des matières de destruction massive » instauré par le G8. Les membres du G8 se sont engagés à dépenser 20 milliards de dollars pour cette initiative sur une période de dix ans. En mai 2004, la Russie, les États-Unis et l’AIEA lançaient l’Initiative mondiale de réduction de la menace. Son objectif est, entre autres choses, de mieux sécuriser les matières fissiles provenant des États-Unis et de Russie trouvées dans plus de 40 pays dans le monde, et de les rapatrier dans le pays d’origine. L’Initiative s’intéresse d’abord à l’UHE utilisé actuellement dans des réacteurs de recherche et la plupart du temps fourni soit par l’Union soviétique, soit par les États-Unis. L’UHE doit être interdit comme combustible de réacteur dans les programmes nucléaires civils. Les réacteurs de recherche fonctionnant à l’UHE doivent être arrêtés ou transformés pour fonctionner avec de l’UFE. Plus de 90 états avaient adhéré à l’initiative en 2007. Des matières fissiles militaires de Serbie, de Bulgarie et du Kazakhstan avaient déjà été transférées aux États-Unis ou en Russie avant même que cette initiative ne voit le jour. Pendant le sommet sur la sécurité nucléaire d’avril 2010, une série d’autres états ont exprimé leur volonté de ne plus utiliser d’UHE dans de tels réacteurs à l’avenir. Un grand nombre des initiatives bilatérales conclues entre les États-Unis et la Russie sont aujourd’hui multilatérales. On y trouve l’assistance aux pays dans l’exécution efficace du contrôle des exportations en vue de réduire la prolifération, ainsi que des projets visant la création d’emplois alternatifs pour les spécialistes et les scientifiques, et enfin le soutien à la sécurisation des installations et matériaux nucléaires. Des discussions sur les 31 défaillances de sûreté et de sécurité dans l’ancienne Union soviétique ont également contribué à des initiatives de l’AIEA, lesquelles visent à renforcer la sécurité des exploitations nucléaires civiles. 5.5 Des mesures coercitives et militaires contre la prolifération Pour lutter contre la prolifération, les ÉtatsUnis de George W. Bush ont misé essentiellement sur des mesures coercitives unilatérales. On en trouve deux exemples : le premier, l’Initiative de sécurité contre la prolifération créée en mai 2003. Son objectif est à la fois de légitimer et faciliter l’interception de transports d’armes nucléaires, biologiques ou chimiques par voie aérienne ou maritime. Elle vise aussi les systèmes de missiles et la technologie, la technologie de traitement et les matériaux liés à toutes ces armes. De nombreux pays ont accueilli cette proposition avec scepticisme car sa mise en œuvre entre en conflit avec une série d’accords internationaux garantissant la libre circulation d’avions et de bateaux. Toutefois, après que le gouvernement Bush ait modifié et limité l’Initiative afin de répondre aux réserves d’ordre juridique, d’autres nations ont alors manifesté plus d'intérêt. Plus de 90 pays participent à l’Initiative aujourd’hui.68 Les opérations de contre-prolifération constituent la deuxième forme de mesures. Leur objectif est de faire reculer ou entraver la prolifération par l’usage des forces militaires. Sont envisagés, par exemple, des actes de sabotage à l’aide de forces spéciales, de frappes militaires par voie aérienne ou maritime ou même d’interventions ou d’attaques avec des armes nucléaires. Ce genre d’opérations génère une multitude de problèmes sérieux sur le plan du droit international. Tant qu’elle ne bénéficie pas d’un mandat des Nations Unies, toute opération militaire ayant pour objectif d’empêcher un état de fabriquer l’arme nucléaire par exemple serait contraire au droit international. Si elle vise un acteur non étatique qui tente de fabriquer des ogives nucléaires, 67Concernant le contenu de l’amendement, cf. : http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2010/04/140097.htm 68Cf. http://www.state.gov/t/isn/c10390.htm 32 les problèmes de droit international sont encore plus importants. L’action militaire toucherait le territoire de l’État dans lequel se trouve l’acteur non étatique, indépendamment du fait que celuici approuve ou ne puisse tout simplement pas empêcher les activités de l’acteur non étatique. Des missions de la sorte peuvent être menées aussi bien comme des actions préventives ou préemptives que comme des mesures de représailles. Considérées du point de vue légal comme des actes d’agression, elles impliquent dans la plupart des cas, une violation grave du droit international. En outre, de telles actions de lutte contre la prolifération sont sans doute dans la plupart des cas, organisées secrètement pour accroître l’élément de surprise et les chances de réussite. Du coup, aucune obtention de légitimité au niveau du droit international ne sera tentée au préalable. Bien sûr, il est possible que l’opération soit menée secrètement ou même pas du tout rendue publique après coup. Ce qui rend impossible aussi toute légitimation de l’action en matière de droit international. Sous George W. Bush, les États-Unis ont fait de ce type d’interventions une composante à part entière de leur stratégie nationale de sécurité officielle. Des pays comme la Russie ou la France affichent une certaine disposition à envisager également de telles options. Même avec le Président Obama, par principe de telles interventions ne sont pas exclues. On souligne néanmoins qu’elles doivent être menées autant que possible en utilisant des moyens conventionnels. George W. Bush quant à lui se réservait le recours éventuel à des armes nucléaires. La plupart des opérations connues à ce jour participaient d’opérations en temps de guerre, comme les attaques des Alliés et les actes de sabotage durant la Seconde Guerre mondiale contre la centrale de production d’eau lourde NorskHydro en Norvège, contrôlée par l’Allemagne, ou le laboratoire nucléaire japonais de Tokyo. En dehors d’elles, d’autres événements comme l’attaque israélienne sur le réacteur atomique irakien Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? à Osirak en 1981 et celle de 2007 sur un réacteur atomique suspect en Syrie. La guerre contre l’Irak en 2003, est une guerre totale justifiée en grande partie par la nécessité de lutter contre la prolifération d’armes de destruction massive. On apprenait après coup que les soi-disant « preuves » à partir desquelles Washington avait justifié son engagement, n’étaient pas défendables voire trompeuses. Ce qui soulève un autre problème : l’exigence supposée de secret et la prétendue nécessité d’agir rapidement, en raison du danger imminent, empêchent dans de nombreux cas la vérification ou la réfutation en temps voulu des motifs mis en avant pour justifier une intervention militaire. Cela ne vaut pas seulement pour le domaine public, mais aussi pour le pouvoir législatif compétent, dont le rôle est de contrôler les intentions de guerre de son gouvernement. Les organisations internationales comme les Nations Unies n’ont généralement pas non plus la possibilité de procéder en temps voulu à des vérifications. Ainsi une prétendue prolifération ou perçue comme réelle peut-elle être utilisée comme motif de guerre à la place d’une prolifération détectée et vérifiée, voire dans des cas extrêmes, comme prétexte à des guerres69 à mener pour de toutes autres raisons. Quand les renseignements des services secrets sont impliqués de manière importante, leurs sources ne sont généralement pas révélées. Dans ces cas-là, la vérification ou la réfutation rapide des accusations avant le recours aux forces militaires est quasi impossible. Elle peut éventuellement avoir lieu après coup, mais il est alors trop tard. Ce qui a été accepté ne peut être défait. Évaluer l’efficacité d’interventions militaires visant à supprimer ou retarder des programmes atomiques est extrêmement difficile. Pour autant que l’on sache, leurs effets par le passé se sont avérés plutôt minces voir même contreproductifs. Il semble évident que l’Irak ait décidé de développer l’arme atomique après l’attaque israélienne sur son réacteur. Les nombreuses 69 Le « cas de l’Irak» en 2003 ne peut que nous apprendre qu’il ne peut y avoir de « cas iranien » analogue avec des « preuves » aussi insuffisantes. 5. Instruments de contrôle et de limitation de la prolifération années de débat public sur l’éventualité d’une frappe militaire des États-Unis ou d’Israël contre des installations nucléaires iraniennes apporte un nouvel éclairage à la complexité, le peu de chance de réussite et les impondérables d’une opération militaire visant à détruire des installations nucléaires iraniennes.70 33 Il reste en outre à voir le type d’influence qu’aurait une frappe militaire sur les décisions futures de l’Iran quant à l’orientation de son programme atomique. La possibilité qu’elle encourage les forces partisanes d’un programme nucléaire militaire à Téhéran, ne peut être exclue.71 70 Les experts se demandent si Israël possède ou non les moyens militaires de détruire sans aide extérieure les sites nucléaires iraniens les plus importants. La plupart en croient les forces américaines capables mais des experts militaires doutent de leur capacité à éliminer complètement ces sites par surprise, ou le déconseillent sachant que Téhéran dispose de nombreuses options de représailles. 71 Dans le conflit actuel sur l’arme nucléaire, le gouvernement et l’opposition à Téhéran ont, chacun dans leur rôle, fait tous les efforts pour éviter de donner l’impression que l’Iran ait réagit ou cédé à la pression extérieure. Si l’approche est maintenue, il n’est pas exclu que les craintes que Téhéran aspire à construire des armes nucléaires ne se transforment en prophétie réalisée, même si l’orientation militaire du programme iranien n’était pas décidée ou prévue au début du conflit. Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? David Drexler 34 6. Une approche contradictoire – la politique de non-prolifération avec Barack Obama La présidence de Barack Obama marque un nouveau tournant en ce qui concerne les politiques de non-prolifération et de désarmement nucléaire. Le 5 avril 2009 à Prague, trois mois à peine après la prise de ses fonctions, Obama tenait un discours dans lequel il affirmait sa volonté d’œuvrer pour un monde libéré des armes nucléaires, mais s’engageait aussi au nom de l’Amérique à prendre les mesures nécessaires. Obama a annoncé qu’il: « réduirait le rôle des armes nucléaires dans notre stratégie nationale de sécurité et recommanderait aux autres d’en faire de même » ; « négocierait un nouveau Traité de réduction des armes stratégiques avec la Russie », sur la limitation et la réduction des armes atomiques stratégiques dans les deux pays ; « poursuivrait sans plus tarder et de manière agressive la ratification du Traité d’interdiction complet des essais nucléaires par les États-Unis » ; « chercherait un nouveau traité mettant fin de manière vérifiable à la production de matières fissiles destinées à être utilisées dans les armes de l’état » ; « renforcerait le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires comme base de coopération » ; nous avons besoin de plus de « ressources et d’autorité » pour renforcer les inspections internationales, de « conséquences immédiates à l’encontre des pays qui ne respectent pas les règles », et nous avons besoin d’« un nouveau cadre de coopération nucléaire civile », y compris une réserve internationale de combustible pour les centrales nucléaires, à laquelle les pays pourraient accéder sans augmenter les risques de prolifération.72 Dans le même temps, Obama souligna explicitement que chaque état non nucléaire avait un droit d’usage civil de la technologie illimité pour autant qu’il respecte ses obligations prises dans le cadre du TNP et celles vis à vis de l’AIEA. Ce qui selon lui contribuerait à freiner le changement climatique. Les annonces d’Obama avaient clairement pour objectif de signaler la disposition des ÉtatsUnis à adopter une politique multilatérale de non-prolifération. La date et le contenu du discours étaient des facteurs importants dans le contexte de la conférence de révision du TNP prévue en mai 2010. On ne devrait pas permettre à 72 http://www.whitehouse.gov/the-press-office/remarks-president-barack-obama-prague-delivered 6. Une approche contradictoire – la politique de non-prolifération avec Barack Obama celle-ci de connaître le même échec que cinq ans auparavant. L’ensemble des thèmes importants du TNP ont été abordés, et les principes fondamentaux du « deal » réaffirmés : les puissances nucléaires doivent se désarmer ; les états non nucléaires doivent accepter des contrôles plus stricts de non-prolifération et le droit de tous les membres respectant le traité à poursuivre l’usage civil de la technologie nucléaire a été confirmé à nouveau. Selon Obama, les États-Unis seraient prêts à jouer un rôle de leader dans cette voie. Un an plus tard, en avril 2010, Obama s’évertuait à présenter les premières réalisations pratiques et démontrer que ses paroles étaient suivies d’actes. En l’espace de sept jours, il signait la Nuclear Posture Review – un plan de la future politique nucléaire américaine dans le domaine militaire – et retournait à Prague signer un « nouveau traité START » avec son homologue russe Dimitri Medvedev. Pour finir, il organisa à Washington une conférence sur la sécurité nucléaire à laquelle ont participé 47 pays. Les trois projets avaient pour objectif de renforcer la mise en œuvre du TNP. Toutefois peuvent-ils déjà y parvenir ? 6.1 Le nouveau traité START Signé le 8 avril 201073, le nouveau traité START limite le nombre de systèmes porteurs stratégiques nucléaires des deux parties à 800 chacune, dont 700 peuvent être actifs, et le nombre d’ogives déployées à 1.550 pour chacune des parties. Washington et Moscou ont tenu à souligner que le nombre des systèmes porteurs était par conséquent réduit de plus de la moitié par rapport au traité START arrivé à expiration en décembre 2009. Le nombre d’ogives avait baissé de 74% et de 30% par comparaison au nouveau Traité de Moscou – le 35 Traité SORT de 2002. Ce qui à première vue ressemble à un nouvel engagement de désarmement majeur n’est en réalité qu’un petit pas. Ni la Russie ni les États-Unis ne possèdent aujourd’hui encore le potentiel nucléaire qu’autorisait l’ancien traité START. En faisant la comparaison avec l’actuel potentiel actif des deux pays, il devient clair que les États-Unis doivent jeter à la ferraille une douzaine de porteurs stratégiques seulement et mettre hors service une autre centaine de missiles. La Russie ne doit rien faire. Ne possédant que 566 missiles actifs disponibles, la Russie pourrait même en théorie augmenter son arsenal de 200 systèmes supplémentaires – si elle était en mesure de les payer. La situation est la même en ce qui concerne les ogives : selon les estimations de la Fédération des scientifiques américains et du Conseil de défense des ressources naturelles, les ÉtatsUnis possédaient en 2009 quelques 2.200 ogives déployées sur des systèmes porteurs actifs et environ 150 de réserve.74 La Russie avait entre 2.500 et 2.600 ogives actives.75 À première vue, on pourrait donc penser qu’avec le Traité les réductions semblent plus importantes : Washington – si l’on se base sur la limite maximum absolue de 2.200 ogives en 2012 du traité SORT de Moscou – devrait renoncer à 650 têtes explosives actives et Moscou à au moins 950.76 Mais les apparences sont trompeuses. Résultat en grande partie d’une manipulation astucieuse des chiffres, cette étape de désarmement apparemment ne doit pas vraiment avoir lieu. Un détail du nouveau traité START l’illustre clairement : à l’avenir les bombardiers stratégiques seront comptabilisés comme une seule arme nucléaire, alors que dans l’ancien traité START, ils comptaient pour dix armes s’ils pouvaient transporter des missiles de croisière 73 Vous pouvez consulter le traité à l’adresse : http://www.state.gov/documents/organization/140035.pdf Et le protocole correspondant à l’adresse : http://www.state.gov/documents/organization/140047.pdf 74Hans M. Kristensen et Robert S. Norris : U.S. Nuclear Forces 2009, dans : Bulletin of Atomic Scientists, Mars/Avril 2009, p. 59-60. 75Hans M. Kristensen und Robert S. Norris: Russian Nuclear Forces 2010, dans : Bulletin of Atomic Scientists, Janvier 2010, pp.76-77. 76 Le traité SORT contraint les deux états à limiter le nombre de têtes explosives entre 1.700-2.200 pour 2012. Si l’on se base sur la limite inférieure, les États-Unis ont une obligation nominale de désarmement de 150 ogives et la Russie de 500. 36 et pour une arme seulement s’ils ne pouvaient transporter que des bombes atomiques. Le Traité SORT de Moscou ne comporte aucune révision de ces accords. En réalité, ces bombardiers peuvent chacun transporter 6, 12, 16 voire même 20 armes. Cela a deux conséquences : premièrement, seules quelques centaines d’armes doivent être détruites sur le papier et deuxièmement, les deux parties sont autorisées à garder plusieurs centaines d’armes supplémentaires que le chiffre officiel de 1.550 ogives.77 À quoi vient s’ajouter le fait que le nouveau traité START, comme son prédécesseur, n’impose pas de limite au nombre de têtes explosives que les deux parties sont autorisées à garder en réserve. Ce qui comprend les armes pouvant être réactivées en situation de crise et celles qui n’ont pas encore été désamorcées. Le nombre de ces armes était déjà dans le passé nettement supérieur au nombre autorisé dans le traité. En 2010, les deux états possèdent encore ensemble beaucoup plus de 20.000 armes atomiques non désamorcées. Les engagements de désarmement limités du nouveau traité START se sont déroulés aux ÉtatsUnis dans un contexte politique de contraintes domestiques. Dans le cadre de la loi budgétaire 2010, le Congrès donna au Président des directives restrictives pour ses négociations sur le nouveau traité START. L’administration Obama n’était autorisée, par exemple, à contracter aucun engagement qui limiterait le développement du système de défense anti-missiles des États-Unis ou le développement et le déploiement d’armes conventionnelles à longue portée. Comme Washington envisageait la construction de missiles conventionnels à longue portée basés à terre ou en mer, les négociateurs d’Obama se sont vus contraints d’adopter une approche très conservative lors des négociations sur les systèmes de missiles stratégiques. De plus la ratification du nouveau traité START au Sénat, exige le vote d’au Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? moins huit républicains, or beaucoup d’entre eux refusent fondamentalement les accords de contrôle de l’armement. Il reste à voir si, malgré ces empiétements négligeables sur l’actuel potentiel d’armes nucléaires des États-Unis, le traité obtiendra au Sénat la majorité des deux tiers indispensable à sa ratification. Pour la grande majorité des États membres du TNP, l’ampleur limitée des nouveaux engagements de désarmement n’est sans doute pas suffisante, et donc pas assez convaincante, pour qu’ils approuvent un renforcement des règles de non-prolifération lors de la conférence de révision. 6.2 Le Sommet sur la sécurité nucléaire Les 12 et 13 avril 2010, Barack Obama lançait aux représentants internationaux de 47 pays, une invitation pour un sommet sur la sécurité nucléaire à Washington. L’objectif du sommet était d’initier un processus dans lequel les états participants s’engageaient à renforcer les mesures de sécurité pour restreindre voire renoncer à l’usage de matières fissibles militaires sur leur territoire. Le sommet adopta un communiqué78 et un plan de travail.79 Aucun des documents n’était juridiquement contraignant, mais plutôt l’expression d’une bonne volonté politique. Les accords mettaient l’accent sur les engagements librement consentis des états membres : renforcer les accords internationaux tels que les conventions sur la protection physique des matériaux nucléaires et sur la prévention d’actes de terrorisme nucléaire par une mise en œuvre rapide et satisfaisante, ainsi que l’encouragement à leur universalisation ; ceci est également valable pour la Résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations Unies80, dont l’objectif est entre autres de maintenir les armes de destruction massive hors de portée des acteurs non étatiques ; 77 La quantité finale d’armes dépend du nombre de bombardiers stratégiques déclarés des deux côtés à l’avenir comme systèmes porteurs stratégiques. La Russie et les États-Unis envisagent de moderniser leurs stocks de missiles de croisière nucléaires à lanceurs aériens. 78Cf. http://www.whitehouse.gov/the-press-office/communiqu-washington-nuclear-security-summit 79Cf. http://www.whitehouse.gov/the-press-office/work-plan-washington-nuclear-security-summit 80Cf. http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N04/328/43/PDF/N0432843.pdf?OpenElement 6. Une approche contradictoire – la politique de non-prolifération avec Barack Obama mettre en place et renforcer certaines des initiatives de l’AIEA servant à améliorer la sécurité des matériaux nucléaires et des installations, comme la version actualisée de l’INFCIRC 225, le Plan de sécurité nucléaire 2010-2013 et les nouvelles directives pour les systèmes de comptabilité des matières nucléaires dans les installations ; sécuriser les matériaux nucléaires, en particulier ceux utilisés pour des armes, ainsi que les installations de façon appropriée et garder l’information et la technologie permettant l’usage des matières nucléaires à des fins dangereuses, hors de portée des acteurs non étatiques ; encourager les mesures permettant de sécuriser et de consigner l’UHE et le plutonium séparé (plutonium militaire et plutonium de réacteur), consolider le stockage de ces matériaux et promouvoir la conversion de l’UHE de réacteurs en UFE, « lorsque cela est possible techniquement et économiquement » ainsi que remplacer les objectifs UHE par d’autres matériaux, là où c’est possible ;81 s’efforcer de mettre un terme à la contrebande nucléaire et améliorer le système d’échange d’informations ainsi que l’expertise dans le secteur médicolégal lié au nucléaire ; améliorer les mesures pour une utilisation sûre des ressources radiologiques et envisager de nouvelles étapes dans ce domaine. Le sommet sur la sécurité nucléaire a permis d’engager le processus voulu d’une coopération continue. Un prochain sommet doit se tenir dans deux ans à Séoul. Le sommet a permis à Barack Obama de signaler sa disposition à des initiatives de non-prolifération largement multilatérales et de faire comprendre qu’à l’inverse de son prédécesseur George W. Bush, il n’avait pas l’intention de suivre une démarche unilatérale. On peut finalement dire que le signal envoyé par le sommet à tous les membres du TNP est que l’attention portée à la sécurité des matériaux nucléaires et des installations a pris de l’importance dans un grand nombre 37 de pays. Ce sommet n’a toutefois pas donné naissance à de nouvelles initiatives substantielles. Il fut toutefois associé à un signal très ambivalent : le gouvernement Obama – ainsi que dans sa Nuclear Posture Review (voir § 6.3) – a clairement mis l’endiguement des efforts terroristes pour accéder aux matières nucléaires, aux technologies voire même aux armes, à l’avant-plan de toute son argumentation. En mettant en avant cette menace dans l’analyse des risques et dans la justification de la nécessité du processus d’auto-déclaration d’engagement, il devenait comparativement simple d’obtenir le soutien d’un nombre important d’états, ou de rendre un refus plus difficile. Mais la médaille a un revers : que des terroristes tentent d’accéder à des matières nucléaires pouvant servir à la fabrication d’armes représente un risque plus faible que la même tentative menée par des états. Si l’on exigeait une application conséquente de toutes les auto-déclarations d’engagement des acteurs gouvernementaux, lesquels sont concernés par un grand nombre de mesures approuvées ou convenues, il faudrait s’attendre à ce que certains acteurs gouvernementaux estiment de telles exigences discriminatoires. 6.3 La Nuclear Posture Review La Nuclear Posture Review 82 présentée le 6 avril 2010 est un rapport exigé par le Congrès dans lequel le Président Obama définit tous les aspects importants de sa future politique nucléaire. Il englobe les domaines de la politique nucléaire, de la stratégie et de la doctrine nucléaire, le potentiel d’armes nucléaires, l’avenir de ce potentiel ainsi que des déclarations sur la conception future des complexes nucléaires industriels militaires.83 L’avenir de l’usage civil de l’énergie nucléaire ne rentre pas dans le cadre de ce rapport. Seuls les aspects présentant une importance particulière pour l’avenir du régime de non-prolifération sont présentés ici. 81Cette formulation garantit le maintien de l’exploitation du réacteur de recherche à Garching avec de l’UHE, puisque le développement de combustibles alternatifs uranium-molybdène n’est pas encore parvenu à un résultat permettant une conversion sur le plan technique. 82 http://www.defense.gov/npr/docs/2010 Nuclear Posture Review Report.pdf 83 Vous trouverez un recueil de documents et d’études sur le sujet à l’adresse suivante : http://www.bits.de/main/npr2001.htm 38 Le document contient pour la première fois l’objectif explicite d’un monde sans armes nucléaires. Le danger que des terroristes puissent accéder aux matériaux permettant de fabriquer ou même éventuellement utiliser une arme nucléaire y est décrit comme la plus grande menace à l’heure actuelle, suivie par la prolifération à d’autres états du nucléaire militaire. Par conséquent, le document fait de la relance et du renforcement du régime du TNP une priorité de la politique nucléaire d’Obama. C’était aussi la première fois que cela apparaissait dans un document touchant à la politique nucléaire stratégique des États-Unis. Le maintien d’une dissuasion et d’une stabilité stratégique à l’encontre d’autres puissances nucléaires comme la Russie ou la Chine arrive seulement en troisième position. Le rapport souligne le fait que la nouvelle administration veut envisager l’usage d’armes atomiques avec des restrictions beaucoup plus importantes que les gouvernements précédents. Elle se détache surtout très nettement de la politique de George W. Bush. Selon la Nuclear Posture Review, les USA peuvent faire face à un grand nombre de ces risques, au nom desquels le gouvernement Bush se réservait l’usage d’armes nucléaires, – comme l’usage par des états non nucléaires, d’armes chimiques et biologiques – avec des moyens conventionnels. La « tâche et le rôle fondamentaux » des armes atomiques est de « dissuader une attaque nucléaire sur les ÉtatsUnis, leurs alliés et partenaires ». L’objectif est de réduire davantage leur rôle, de manière à ce que la dissuasion d’une attaque nucléaire demeure à l’avenir le « seul rôle » des armes nucléaires. Toutefois, il convient d’ici là de préserver l’option de l’usage des armes nucléaires afin de pouvoir « dans des circonstances extrêmes, protéger les intérêts vitaux des États-Unis, de leurs alliés et partenaires ». Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? Le rapport donne aussi un aperçu nouveau et clair des garanties importantes de sécurité négative pour les états non nucléaires, pertinentes avec le régime du TNP : les « États-Unis ne menaceront pas de l’usage d’armes nucléaires les états qui sont des membres non nucléaires du TNP et qui remplissent leurs engagements en termes de non prolifération.84 » Cette garantie s’applique aussi explicitement dans le cas où un de ces états venait à employer des armes biologiques ou chimiques.85 Seules les puissances nucléaires et les états ne respectant pas leurs engagements pris dans le cadre du TNP, sont exposés à la menace nucléaire américaine. Ce qui veut dire aujourd’hui, principalement la Corée du Nord et l’Iran. Washington se réserve également le droit d’utiliser des armes nucléaires pour répondre à l’usage éventuel que feraient ces pays d’armes biologiques ou chimiques – une indication claire que Washington se réserve toujours le droit de l’usage premier d’armes nucléaires. Ce droit n’est plus mentionné de manière explicite dans la nouvelle Nuclear Posture Review. Cependant, deux aspects très problématiques restent non résolus : qui décide du fait qu’un état ait rempli ses engagements envers le TNP ou pas ? Les Nations Unies, l’AIEA ou le Président des États-Unis ?86 Par ailleurs, cette décision se prendra-t-elle sur base de preuves claires ou de suppositions prises pour des vérités. Deux aspects ayant été mis en évidence de façon peu honorable et dérangeante dans la guerre contre l’Irak en 2003. Dans les politiques déclaratoires, le rôle des armes nucléaires a, sous Barack Obama, été fortement limité et réduit. Néanmoins, il est vraisemblable que l’introduction de ces change- 84 Par comparaison : en 2002 sous George W. Bush, la formule était : Les États-Unis « ne feront pas usage d’armes nucléaire contre les pays non nucléaires ayant adhéré au Traité sur la non prolifération(TNP), sauf en cas d’invasion ou toute autre attaque contre les États-Unis, son territoire, ses forces armées ou toute autre troupe, ses alliés ou un état avec lequel existe un accord de sécurité, menée ou soutenue par un état non nucléaire qui se serait associé ou allié à un état doté d’armes nucléaires». Le rôle des armes nucléaires était d’une autre ampleur sous Bush. 85En cas de percée technologique en matière d’usage et d’efficacité des agents biologiques, le gouvernement Obama se réserve le droit dans la Nuclear Posture Review, de revenir à l’ancienne politique.. 86 À Washington, la réponse à cette question est si évidente qu’elle ne doit même pas être posée. Le Président décide et peut s’assurer du soutien de la communauté internationale, mais ne le doit pas. 6. Une approche contradictoire – la politique de non-prolifération avec Barack Obama ments dans des plans stratégiques, opérationnels et des plans d’urgence des forces armées américaines prenne un certain nombre d’années. D’ici là, la planification se poursuivra selon les règles établies par l’administration Bush.87 Il reste à voir jusqu’où et avec quelle rapidité les forces armées mettront en œuvre les directives « politiques » d’Obama. Elles pourraient garder l’espoir qu’un futur Président républicain change à nouveau la politique déclaratoire des États-Unis. Quant à l’avenir des forces nucléaires américaines, la Nuclear Posture Review ne prévoit que des changements minimes. Elle reste sans équivoque conservatrice, tenant à garder en place les structures existantes. Bien sûr le nouveau traité START doit être mis en œuvre. Il faut entreprendre les investigations préliminaires en vue d’entretiens ultérieurs avec la Russie. Les États-Unis maintiendront toutefois leur triade de systèmes de missiles nucléaires et n’apporteront que peu de modifications. La réduction du nombre d’ogives sur les missiles balistiques intercontinentaux (de 3 à 1) doit être poursuivie et achevée ; une décision doit être prise d’ici deux ans quant à l’abandon ou non de deux sousmarins stratégiques. Il a été possible de réduire à nouveau le nombre de bombardiers à longue portée à capacité nucléaire. Ces changements ne sont toutefois pas vraiment significatifs. Par contre, la décision de poursuivre tous les projets de modernisation importants dans le secteur des systèmes porteurs nucléaires et de développer ou d’introduire des systèmes de remplacements, donne elle un signal très clair. Le développement d’un nouveau missile de croisière longue portée, d’un nouveau bombardier et d’une nouvelle génération de sous-marins pour missiles stratégiques, à construire à partir de 2019 pour assurer une « dissuasion stratégique ininterrompue jusque dans les années 2080 » ont par exemple été approuvés.88 39 De la même manière, la Nuclear Posture Review préconise la modernisation continue des ogives nucléaires pour les missiles Trident (W76-1), un programme complet de modernisation des bombes de type B-61(B-61-12)89 et des travaux préliminaires à une modernisation des têtes explosives pour missiles intercontinentaux (W78). Afin de permettre la réalisation de ces projets, des investissements substantiels ont été accordés aux complexes de l’industrie nucléaire et militaire en vue de la modernisation ou la construction de nouvelles nombreuses installations. Le concept de « nouvelle triade » introduit par George W. Bush et celui d’une dissuasion devant englober à l’avenir un composant nucléaire, des systèmes de défense anti-missiles et des armes conventionnelles à longue portée pour des « Prompt Global Strikes » (PGS, frappes stratégiques rapides) a été maintenu par la nouvelle administration. Il est prévu de transférer cette technologie aux systèmes de dissuasion régionaux, c’est-à-dire à l’Europe et l’OTAN, le Proche et le Moyen-Orient ainsi que l’Extrême-Orient (Corée du Sud, Japon). Ces décisions sur l’avenir de l’armement militaire nucléaire sont en contradiction totale avec les changements dans les politiques déclaratoires. Elles donnent l’impression que la vision d’un monde sans armes nucléaires est au mieux une vision du 22ème siècle. Elles ont par conséquent un effet contre-productif sur les conditions nécessaires à l’amélioration prometteuse d’une politique de non-prolifération. 6.4 Paroles et actions – problèmes et contradictions Comparativement aux annonces de son discours à Prague, le verdict sur les politiques actuelles d’Obama est mitigé. Le Président a tenté de conclure avec la Russie un nouveau traité de désarmement, qu’il a négocié – mais qu’il n’a pas 87Ce point est illustré par exemple, dans l’OPLAN 8010-08 « Strategic Deterrence and Global Strike » dans sa version de février 2009; cf. : Hans M. Kristensen : Obama and the Nuclear War Plan, Federation of the American Scientists Issue Brief, Février 2010. 88Cf. : http://www.senate.gov/~armed_services/statemnt/2010/03%20March/Johnson%2003-17-10.pdf 89 Deux versions tactiques, la B-61-3 et la B-61-4, sont stationnées en Europe. 40 encore pu faire passer au Sénat. La promesse de ratification du Traité d’interdiction des essais TICE n’a pu être tenue par l’administration Obama, par crainte d’un blocage au Sénat ; le nouveau traité START est confronté dans une bien moindre mesure, au même danger. La promesse d’Obama de réduire le rôle des armes nucléaires dans la stratégie sécuritaire de l’administration a été honorée, même si pour beaucoup cela reste insuffisant. Ses efforts pour relancer le multilatéralisme et renforcer le régime du TNP, afin de permettre l’introduction de règles de non-prolifération plus strictes, sont manifestes. Les décisions en faveur d’une restructuration conservatrice du potentiel des armes nucléaires et d’un soutien de presque tous les projets de modernisation introduits sous George W. Bush dans ce domaine, étaient peutêtre des concessions politiques nécessaires sur le plan national, mais se révéleront être un obstacle majeur à l’amélioration des politiques de nonprolifération. En outre, deux points de la politique nucléaire d’Obama sont extrêmement contradictoires et posent tous les deux des risques considérables : tout d’abord, l’administration Obama considère le terrorisme nucléaire et le risque de prolifération bénéficiant à des acteurs non étatiques, comme la menace la plus importante dans le futur.90 C’est pourquoi elle tente de faire des politiques de non-prolifération et du renforcement du régime du TNP, ses priorités. Ceci exige des signaux forts de l’Amérique quant à sa disposition au désarmement nucléaire, qui une fois avoir tirées les conséquences de l’analyse des risques d’Obama, devrait entraîner une réduction plus importante que prévue du potentiel nucléaire existant dans le pays. Au contraire, les décisions sur l’avenir du potentiel nucléaire américain envoient des signaux bien différents : l’ampleur et la configuration des forces nucléaires sont princi- Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? palement et clairement déterminées par le besoin de maintenir le même niveau que les autres puissances nucléaires, ou tenir un rang supérieur à long terme. Elles signalent en outre que les ÉtatsUnis visent jusque dans la deuxième moitié de ce siècle, à préserver une force nucléaire puissante, moderne, et à posséder la capacité et l’infrastructure permettant de la moderniser dans le futur. La probabilité que ces décisions constitue un obstacle majeur à la lutte contre les risques de prolifération est élevée, sachant qu’elles sapent la disposition de nombreux autres états à accepter des règles plus strictes de non-prolifération afin de renforcer le régime du TNP. La deuxième contradiction de la politique nucléaire de Barack Obama montre qu’il est prisonnier des inconsistances inhérentes au TNP : Obama n’a de cesse de souligner le droit des états non nucléaires d’utiliser complètement l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Il s’appuie sur le fait que les centrales nucléaires pourraient jouer un rôle important dans la réduction des émissions de CO2 et l’endiguement du changement climatique. Obama a indiqué que les États-Unis eux-mêmes construiront de nouvelles centrales et encouragé l’idée en dégageant des crédits avantageux d’une valeur de 54 milliards de dollars. Enfin, son administration a signalé qu’ils soutiendront massivement la construction et le développement d’une nouvelle génération de centrales, résistant autant que possible à la prolifération, destinées à l’exportation. Ceci peut tout à fait être compris comme un signe bien intentionné destinés aux états non nucléaires qui souhaitent et – selon Obama – devraient faire un usage civil de l’énergie nucléaire. Dans la pratique, seuls les pays préparés à accepter des risques de prolifération bien plus importants à l’avenir que ceux qui existent aujourd’hui, sont susceptibles de partager cette approche. 90On peut toutefois douter du fait que le terrorisme soit la plus grande menace nucléaire. Il est peut-être seulement la plus opportune. « L’apparition de nouveaux états dotés d’armes nucléaires et de " systèmes de dissuasion multidirectionnels ", plus susceptibles de ne pas réussir, sont jugés par de nombreux experts comme le risque le plus grand. » © Hemera Overview and Trends 41 7. Un monde à la recherche d’énergie L’inquiétude quant à savoir si les sources les plus importantes d’énergie primaire – le pétrole et le gaz naturel – continueront de satisfaire les demandes croissantes de la population mondiale grandit. Malgré la crise financière, la demande énergétique mondiale ne cesse d’augmenter. Depuis que l’Asie a repris une grande part des processus de productions intensifs en travail et en énergie, localisés auparavant dans le monde occidental désormais désindustrialisé, la demande énergétique de la région a augmenté de manière dramatique. Un approvisionnement suffisant en énergie et en électricité est devenu une des conditions de base du développement. Les réserves de pétrole et de gaz de la planète ne sont toutefois pas inépuisables, et ne peuvent être livrées à un prix abordable à tout moment et partout, qu’en quantités limitées. Il faut tôt ou tard s’attendre à des goulots d’étranglement, dus au fossé entre l’offre et la demande, à l’épuisement des réserves exploitables à des prix économiques, ou en raison de conflits régionaux. Parallèlement, il est de plus en plus acquis que les combustibles contribuent fortement au changement climatique et que le renforcement de leur utilisation n’est pas compatible avec un endiguement des risques liés à celui-ci. La recherche de sources d’énergie alternatives additionnelles est donc devenue une tendance majeure – aussi bien dans le monde occidental que dans les pays récemment industrialisés. L’énergie nucléaire est – à côté des énergies renouvelables incontestablement importantes – une des alternatives considérée avec un intérêt croissant. Diverses études partent du principe qu’il est possible de limiter la prolifération tout en continuant à exporter de la technologie nucléaire civile.91 La politique du nouveau gouvernement américain semble avoir adopté le même point de vue. Pourtant, les propositions politiques de non-prolifération faites dans ce but seront à peu près aussi prometteuses et efficaces que celles annoncées dans les années 1960 et 1970. Elles permettent de gagner un peu de temps jusqu’à ce que des failles et lacunes se manifestent à nouveau à travers les premiers cas de prolifération. Quand des acteurs non étatiques commenceront à s’engager activement dans ce domaine, la plupart des éléments du régime de non-prolifération – créés pour empêcher la prolifération 91Cf. p.ex. : The Atlantic Council : Proliferation and the Future of Nuclear Power, Washington DC 2004. 42 entre les états – n’auront qu’un effet limité avec la possibilité que davantage de failles se présentent. Tous ceux qui défendent les exportations de technologie nucléaire en dépit des problèmes de prolifération et de sécurité, refusent d’admettre qu’ils nient complètement de ce fait l’existence d’un problème central : on ne peut pas chercher d’un côté un maximum de protection face à la prolifération, et promouvoir et défendre de l’autre les avantages économiques de l’exportation de la technologie nucléaire civile. Malgré toutes les mesures de sûreté, la prolifération nucléaire restera un danger pour la sécurité internationale dans le futur. Selon toute vraisemblance, il n’est pas exagéré d’affirmer, qu’en l’état actuel et prévisible de la technologie il est impossible de préserver complètement le nucléaire civil du danger de prolifération. Il est certainement possible de renforcer les obstacles et de limiter les problèmes. Cependant, toutes les mesures proposées aujourd’hui dans ce but, perdront de leur efficacité avec le temps. Les progrès technologiques et l’accès croissant à des technologies de pointe permettront un jour de contourner des mesures de non-prolifération même perfectionnées. Même dans le meilleur des scénarios, il faut s’attendre à ce que les risques de prolifération augmentent si le nombre de pays utilisant l’énergie nucléaire pour la production d’électricité se multiplie. Chaque nouveau pays s’inscrivant au club du nucléaire civil, entraîne une augmentation du nombre de lieux avec de la matière nucléaire à surveiller, du nombre d’experts et de scientifiques avec une formation et des connaissances spécifiques à la recherche d’un emploi et capable de développer la technologie par la suite, ainsi que le nombre de sites accueillant des installations vulnérables aux attaques terroristes. Les risques de prolifération vont sans doute augmenter pour différentes raisons : Premièrement : l’uranium – comme le gaz et le pétrole – est une matière première limitée. Les réserves mondiales d’uranium s’épuiseront sans aucun doute, même si elles durent encore 60, Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? 80 ou 100 ans à un niveau constant de consommation. Les institutions qui proclament que l’uranium a une durée de vie longue, prévoient aussi la plupart du temps une hausse rapide du nombre de centrales nucléaires à l’avenir et par conséquent une augmentation tout aussi rapide de la consommation d’uranium. Si l’on veut faire de l’uranium une source d’énergie durable à long terme, il faudrait mettre en place des cycles de combustible fermés et des technologies associées comme le retraitement et la séparation du plutonium afin que la matière première puisse être utilisée plusieurs fois. Le retraitement comporte toutefois des risques de prolifération bien plus importants, et particulièrement quand un plus grand nombre de pays construisent et exploitent ce genre d’installations. Deuxièmement : une des conséquences de la globalisation est l’affaiblissement du monopole d’État sur l’usage de la violence. On désigne souvent ce phénomène par les expressions « états défaillants » ou « états faillis ». Les gouvernements de ces états ont perdu le contrôle de certaines parties de leur territoire où ils sont supposés maintenir la sécurité. Ils ne sont plus en mesure de l’imposer dans ces endroits. Quand ces états défaillants abritent des centrales nucléaires, peu importe qu’elles soient civiles ou militaires, cela crée un sérieux problème de prolifération. L’effondrement de l’Union soviétique a révélé au monde de nombreux aspects caractéristiques d’une telle situation. Pouvons-nous être sûrs que le Pakistan ne devienne jamais un état défaillant ou même qu’il se désintègre ? Cela vaut-il également pour tous les pays africains qui aujourd’hui envisagent de plus en plus l’usage de l’énergie nucléaire ? Troisièmement : le nombre de pays capables de fournir la technologie nucléaire ne cessera de croître, puisqu’ils exploiteront des centrales civiles. Ainsi augmenteront le nombre de sources technologiques, le volume et la qualité des transferts de technologie, et toujours plus de pays se retrouveront peu à peu en mesure de fabriquer eux-mêmes des composants particuliers et donc de les exporter. Par expérience, les incitations économiques liées à ce type d’opérations d’exportation se mettent en place, dans bien des cas, plus rapidement que des systèmes 7. Un monde à la recherche d’énergie efficaces de contrôle des exportations et que la mise en place de normes de sécurité améliorées. La désindustrialisation de l’Occident et l’industrialisation du Sud se transformeront en tests sérieux pour les tentatives actuelles de contrôle, de limitation ou d’interdiction des exportations de technologies nucléaires. Certains des futurs pays fournisseurs potentiels de technologie nucléaire pourraient avoir une interprétation de l’usage civil légitime du nucléaire différente de celle des puissances nucléaires traditionnelles et leurs alliés proches. Il suffit de se souvenir de l’accusation d’« Apartheid nucléaire » utilisée pour décrire les politiques d’exportations de l’hémisphère nord. Ce qui signifierait un nombre considérable de nouveaux défis pour les systèmes de contrôle des exportations nucléaires. Quand des nouveaux pays fournisseurs se mettront à lutter pour des parts de marché, il est tout à fait possible que les industries des pays occidentaux aient recours à un vieil argument dangereux, qui a déjà encouragé la prolifération nucléaire plusieurs décennies auparavant: « si nous ne le vendons pas, d’autres le feront pour nous. Il est donc préférable de le vendre nous-mêmes. » Une étude de l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (SIPRI) sur les risques de prolifération de l’énergie nucléaire datant déjà de1979, arrivait à la conclusion qu’un cycle de combustible basé sur des centres multilatéraux d’enrichissement et de fabrication de combustible, était celui qui offrait la sécurité la plus efficace contre la prolifération.92 L’étude conseillait vivement de mettre à profit les deux ou trois décennies que l’on gagnerait grâce au TNP et à d’autres mesures de non-prolifération, pour développer un tel circuit de combustible. Les trois décennies se sont écoulées sans que des progrès significatifs aient été accomplis dans cette voie. Les intérêts économiques nationaux ont constamment fait obstacle. Ce n’est qu’au cours des dernières années – à cause du débat sur l’Iran – qu’on a recommencé à songer intensément à une multilatéralisation.93 Mais il est toutefois dif- 43 ficile de s’imaginer aujourd’hui encore que les futurs risques de prolifération soient traités de manière innovante. L’énergie atomique est encore considérée dans de nombreux pays comme une technologie d’une grande valeur, complexe et moderne, dont la maîtrise est une preuve de développement technologique et d’expertise. C’est pourquoi elle reste une composante importante du développement et de la modernisation. Tous les pays ne disposent pas des ressources économiques pour emprunter cette voie. Mais ceux qui ont des moyens peuvent choisir l’option nucléaire. Tant que les pays occidentaux intéressés par l’exportation rentable de centrales et de la technologie nucléaire continuent à la présenter comme une source d’énergie moderne, respectueuse du climat et bon marché, ils contribuent au fait que de nouveaux pays s’engagent dans le nucléaire. En agissant de la sorte, le risque de prolifération augmente inéluctablement. Le TNP et le régime de non-prolifération, mis en place entre les années 1960 et le début du 21ème siècle, reposent toujours sur le même concept « de compromis ». Les états nucléaires promettent de supprimer leur arsenal d’armes, les États membres non dotés d’armes nucléaires s’engagent à ne pas les développer – et tous les États membres jouissent du droit illimité de l’usage civil de la technologie nucléaire. Il est naturellement possible de renforcer la non-prolifération ou les mécanismes destinés à la prévenir. Pour cela il faut une volonté politique. L’existence de cette volonté dépendra des progrès accomplis dans le domaine du contrôle de l’armement nucléaire et celui du désarmement. Cela dépendra aussi du fait de savoir si l’on peut limiter l’usage civil du nucléaire voire y renoncer. Ce qui requiert encore à nouveau de la volonté politique. Mais celle-ci fait défaut, autant sur le plan de l’utilisation civile que militaire. Le débat allemand sur la prolongation de la durée de vie de centrales existantes ou même sur l’abandon de l’accord de sortie du 92 Frank Barnaby et al. (Éds.) : Nuclear Energy and Nuclear Weapon Proliferation. Londres, Stockholm 1979. 93Une banque multilatérale de combustible supervisée par l’AIEA et à laquelle pourront recourir les États membres, doit être créée. 44 nucléaire, illustre parfaitement l’ampleur de ce manque de volonté.94 Les usages civil et militaire du nucléaire peuvent être vus comme des frères siamois. Finalement, l’un n’existe pas sans l’autre et chacun comporte des risques spécifiques majeurs. Pour que la vision d’un monde libéré de l’arme nucléaire devienne une réalité durable, il faut renoncer aux deux. La meilleure solution à la prolifération et la plus résistante serait l’« option double zéro » – l’élimination des armes et de l’énergie nucléaires. L’argument le plus puissant utilisé jusqu’ici contre la vision d’un monde sans armes nucléaires – « personne n’est en mesure de garantir ni de contrôler qu’aucun acteur ne poursuive la fabrication d’armes nucléaires » – n’aurait Les armes et l’énergie nucléaires : l’illusion d’un choix ? plus de raison d’être. Il est beaucoup plus facile et efficace de surveiller l’abandon des usages civil et militaire du nucléaire que le renoncement exclusif aux armes atomiques.95 Le 6 avril 2010, la Société allemande de physique, la plus ancienne et plus grande association nationale de physiciens de la planète, publiait une résolution.96 Les scientifiques, pour marquer la conférence de révision du TNP en mai 2010, y suggéraient l’initiation de négociations pour un accord sur les armes atomiques : un traité bannissant et interdisant les armes atomiques devrait être achevé en 2020. Il faudrait une initiative semblable pour l’énergie nucléaire parce qu’il est urgent de sortir du nucléaire et que sa mise en place prendra aussi du temps. 94 Il serait judicieux de présenter plus souvent le nucléaire comme une technologie dépassée et d’expliquer clairement que : dans de plus en plus de pays, les meilleurs techniciens, ingénieurs et scientifiques travaillent aujourd’hui davantage à l’améliorat. 95 Si l’on interdisait exclusivement l’usage militaire du nucléaire, le savoir, l’expertise et les exigences techniques « survivraient » dans le secteur civil ; en renonçant aux deux, l’expertise et les experts « s’éteindraient lentement ». 96Cf. : http://www.dpg-physik.de/presse/pressemit/2010/dpg-pm-2010-12.html SéRIE éCOLOGIE Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2. De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire. Par Henry D. Sokolski Washington D.C., mars 2010 © U.S. Departement of Defense 46 Nuclear Weapons Proliferation, Energy Security, and Carbon Emission Reduction. How to Overcome the Civilian-Military Nuclear Dilemma. 1. Prolifération des armes nucléaires et prévention : les vingt prochaines années À la veille de la Conférence de révision du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) en mai 2010, les grands pays se sont concentrés comme jamais auparavant sur la réduction des stocks actuels d’armes nucléaires américain et russe, la fin de l’intensification du programme nucléaire de Pyongyang, et l’arrêt des activités de l’Iran en matière d’armes nucléaires. L’espoir étant que tous ces efforts se renforcent mutuellement et aboutissent à des accords additionnels de réduction des armes nucléaires entre les États-Unis et la Russie, mais aussi entre les autres pays dotés de l’arme nucléaire. Finalement, l’espoir est que les avancées en matière de réduction des armes nucléaires existantes incitent les états non dotés de l’arme nucléaire (ENDAN) à éviter les activités productrices de combustible nucléaire civil dangereuses et à ouvrir leurs installations à des inspections internationales plus pointilleuses. Ces attentes risquent cependant de ne pas se concrétiser. À moins d’un changement de régime en Corée du Nord ou en Iran, le renoncement de Pyongyang à son arsenal nucléaire et l’arrêt des activités iraniennes en matière d’armes nucléaires restent très improbables. En ce qui concerne la réduction des arsenaux actuels, il y en aura peut-être en ce qui concerne les armes stratégiques (de l’ordre de 1.000 à 500 têtes) une fois que les États-Unis et la Russie se seront mis d’accord sur les suites à donner au Traité de réduction des armes stratégiques (START). Par contre, la conclusion d’accords additionnels susceptibles de limiter le nombre très supérieur des armes nucléaires tactiques russes, ne sera ni facile, ni rapide. Les capacités militaires conventionnelles de la Russie sont de plus en plus distancées par celles de l’OTAN et de la Chine. Moscou est plus susceptible de faire dépendre sa sécurité sur ses milliers d’armes nucléaires que de les éliminer ou d’en réduire le nombre. Les chances que la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël parviennent à un accord sur la réduction du nombre d’ogives semblent par ailleurs encore plus minces. Si les tendances actuelles persistent, la sécurité internationale sera mise à l’épreuve durant les deux prochaines décennies comme jamais auparavant. Avant 2020, les forces nucléaires du Royaume-Uni seront supplantées non seulement par celles du Pakistan, mais aussi par celles d’Israël et de l’Inde. La France ne tardera pas à subir le même sort. La Chine, qui dispose déjà de suffisamment de plutonium séparé et d’UHE pour 1. Prolifération des armes nucléaires et prévention : les vingt prochaines années tripler ses stocks actuels d’environ 300 ogives, augmentera sans doute son arsenal. Le Japon, quant à lui, aura directement accès à des stocks de plutonium séparé permettant la fabrication de milliers de bombes. Les stocks américain et russe de matières servant à la fabrication d’armes – assez importants à l’heure actuelle pour être convertis en dizaines de milliers d’armes – ne diminueront pas de manière significative, alors que ceux du Japon et d’autres états nucléaires pourraient tout à fait doubler.1 La situation s’aggrave avec l’apparition éventuelle d’autres états du « seuil » (ceux sur le point de disposer de l’arme atomique) en 2010, 25 pays au moins ont fait part de leur volonté de construire des réacteurs de grande taille – historiquement, de quoi faire des bombes – avant 2030. Rien de tout cela ne jouera en faveur de l’abolition des armes nucléaires. À ces tendances inquiétantes s’ajoute la popularité grandissante de l’énergie nucléaire « pacifique ». Presque tous les pays fournisseurs de nucléaire affirment aujourd’hui que l’exportation de nouvelles centrales renforcera la non-prolifération, puisqu’elle sera assortie d’inspections nucléaires « approfondies », alors que dans la plupart des cas parmi les plus préoccupants, ce type d’inspection demeure 47 trop peu fiable pour dissuader ou prévenir efficacement des détournements militaires importants. En réalité, les inspections nucléaires internationales ne parviennent pas à assurer la continuité des inspections sur la majorité des combustibles usés ou frais dans le monde – utilisables pour l’enrichissement et dans les centrales de retraitement afin d’accélérer la production de matières militaires. De plus, ces centrales de production de combustible nucléaire sont facilement dissimulables et peuvent, même quand elles sont déclarées, être utilisées pour produire du combustible militaire, sans que les inspecteurs ne le détectent au moment opportun.2 Certains de ces problèmes commencent à être pris en considération aux États-Unis. Il faudrait malgré tout élargir le débat sur ces questions. En effet, même si les initiatives de contrôle favorites de Washington et de l’UE (les suites de START, le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), le Traité d'interdiction de la production de matières fissiles (TIPMF), les banques de combustible nucléaire civil et les inspections nucléaires approfondies) sont toutes adoptées et permettent d’éviter les risques mentionnés ci-dessus, les États-Unis et leurs alliés seront toujours confrontés à une série de nouveaux dangers importants de prolifération. 1International Panel on Fissile Materials, Global Fissile Materials Report 2008 (octobre 2008), disponible sur http://www.ipfmlibrary.org/gfmr08.pdf [ces adresses url et toutes les suivantes étaient valables le 7 mai 2009] ; Andrei Chang, « China’s Nuclear Warhead Stockpile Rising, » UPIAsia.com (5 avril 2008), disponible sur http://www.upiasia.com/Security/2008/04/05/chinas_nuclear_warhead_stockpile_rising/7074 2Voir par ex. Henry S. Rowen, « This "Nuclear-Free" Plan Would Effect the Opposite, » Wall Street Journal (17 janvier 2008). Pour de plus amples informations dans le domaine technique, voir David Kay, « Denial and Deception Practices of WMD Proliferators: Iraq and Beyond, » dans Weapons Proliferation in the 1990s, éd. Brad Roberts (MIT Press, 1995) ; Victor Gilinsky, et al., « A Fresh Examination of the Proliferation Dangers of Light Water Reactors » (Washington, DC: NPEC, 2004), disponible sur http://www.npec-web.org/Essays/ 20041022-GilinskyEtAl-lwr.pdf ; et Andrew Leask, Russell Leslie et John Carlson, « Safeguards As a Design Criteria – Guidance for Regulators, » (Australian Safeguards and Non-proliferation Office, septembre 2004), disponible sur http://www.asno.dfat.gov.au/publications/safeguards_design_criteria.pdf Nuclear Weapons Proliferation, Energy Security, and Carbon Emission Reduction. How to Overcome the Civilian-Military Nuclear Dilemma. By Antônio Milena (ABr), via Wikimedia Commons 48 2. La course à l’armement nucléaire? Le premier de ces dangers est que pendant que les États-Unis et la Russie réduisent progressivement leur déploiement d’armes nucléaires, la Chine, l’Inde, le Pakistan et Israël semblent progressivement augmenter le leur. Aujourd’hui, les États-Unis prévoient de réduire les déploiements d’armes stratégiques américaines et russes à environ 1.000 ogives chacun. Il est donc concevable que d’ici 10 ans, la différence du nombre de têtes entre les États-Unis et la Russie et les autres pays nucléaires, se mesure en centaines et non plus de milliers d’armes (voir le graphique ci-dessous). Dans un tel scénario, des changements dans la capacité d’armement nucléaire de n’importe quel état, même mineurs, auraient sans doute un impact beaucoup plus important sur l’équilibre des forces, que ce n’est le cas aujourd’hui. Graphique 1 : congestion nucléaire à venir3 Ogives stratégiques déployées et opérationnelles 3,000 3.000 2,500 2.500 États-Unis Russie France Chine Royaume-Uni Israël Inde Pakistan 2,000 2.000 1,500 1.500 1,000 1.000 500 0 2009 2016 2020 2. La course à l’armement nucléaire? 49 À l’instabilité internationale que ces tendances pourraient provoquer, s’ajoutent les stocks importants et en augmentation constante, de matières militaires (à savoir le plutonium séparé et l’UHE) que possèdent divers états. Ces stocks dépassent déjà la quantité nécessaire à la fabrication de dizaines de milliers de bombes primitives aux États-Unis et en Russie et selon les prévisions, ils devraient croître au Pakistan, en Inde, en Chine, en Israël et au Japon. Ce qui permettra à chacun de ces états d’augmenter son déploiement nucléaire plus rapidement et plus intensément que jamais (ci-dessous les graphiques des « portefeuilles » actuels de ces états). Graphique 2 : stocks nationaux d’uranium hautement enrichi à la mi-20094 Tonnes métriques (TM) * Estimation Stocks disponibles pour les armes Naval (neuf) Naval (irradié) Matière civile Excédent: principalement pour le mélange Éliminé Chine 20 TM* France 30 TM* France 30 TM* Données pour la Russie extrêmement incertaines ± 300 TM Israël 0,1 TM* Pakistan 2,1 TM* Russie Royaume-Uni 17,4 TM États-Unis Pays non dotés de l’arme nucléaire 10 MT Les chiffres pour le Royaume-Uni et les États-Unis sont tirés de leurs publications. Les stocks d’UHE civil de la France et du Royaume-Uni se basent sur leurs déclarations publiques à l’AIEA. Les chiffres suivis d’un astérisque sont des estimations non gouvernementales, et sont largement incertains. Les chiffres pour les surplus d’UHE en Russie et aux États-Unis sont ceux de juin 2009. L’UHE dans les états non dotés de l’arme nucléaire est sous garanties de l’AIEA. Il existe une incertitude de 20 % pour les chiffres relatifs aux stocks totaux en Chine, au Pakistan et en Russie, ainsi que pour les stocks militaires en France, et de 50 % pour l’Inde. 3 Les données de ce graphique sont tirées du Conseil de défense des ressources naturelles, « Russian Nuclear Forces 2007 », Bulletin of the Atomic Scientists (mars/avril 2007), disponible sur http://thebulletin.metapress.com/content/d41x498467712117/fulltext.pdf ; Gareth Evans et Yoriko Kawaguchi, Eliminating Nuclear Threats: A Practical Agenda for Global Policymakers (Canberra, Australia: International Commission on Nuclear Nonproliferation and Disarmament, 2010), p. 20 ; et Robert S. Norris et Hans M. Kristensen, « U.S. Nuclear Forces, 2008, » Bulletin of the Atomic Scientists (mars/avril 2008), disponible sur http://thebulletin.metapress.com/content/ pr53n270241156n6/fulltext.pdf 4Frank Von Hippel, et al., International Panel on Fissile Material, Global Fissile Material Report 2009, pp. 13 et 16, disponible sur http://www.fissilematerials.org/ipfm/site_down/gfmr09.pdf 50 Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2. De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire. Graphique 3 : stocks nationaux de plutonium séparé5 Tonnes métriques (TM) * Estimation Stocks militaires Excédent de matières militaires Stocks stratégiques supplémentaires Stocks civils, dans le pays (janv. 2008) Données pour la Russie extrêmement incertaines ± 300 TM Stocks civils, à l’extérieur du pays (janv. 2008) Belgique 0,0 TM Chine 4 TM* France 5 TM* Allemagne 1 TM Inde 0,7 TM* Israël 0,65 TM* Japon 8,7 TM Corée du Nord 0,035 TM Pakistan 0,1 TM* Russie Royaume- États-Unis Uni 3,5 MT Les stocks civils sont tirés des circulaires d’information INFCIRC /549 les plus récentes pour janvier 2008 et sont énumérés en fonction de leur propriétaire, et non pas de leur emplacement actuel. Les stocks militaires sont basés sur des estimations non gouvernementales, à l’exception des États-Unis et du Royaume-Uni dont les gouvernements ont effectué des déclarations. Les incertitudes relatives aux stocks militaires de la Chine, de la France, de l’Inde, d’Israël, du Pakistan et de la Russie sont de l’ordre de 20 %. L’Inde a classé le plutonium séparé du combustible usé de réacteurs à eau lourde comme « stratégique », et ne devant pas être sous garanties de l’AIEA. La Belgique abrite 1,4 tonne de plutonium appartenant à des propriétaires étrangers, mais ne possède elle-même pas de stocks (Annexe 1C). Enfin, il pourrait en l’espace de 20 ans y avoir plus d’états du « seuil » – des pays en mesure d’acquérir des armes en l’espace de quelques mois, comme le Japon et l’Iran. Plus de 25 états ont en outre fait part de leurs projets de lancement de vastes programmes nucléaires civils. S’ils réali- 5 Ibid. sent tous leur rêve avec une première centrale d’ici 2030, cela doublerait presque le nombre de 31 états développant actuellement de tels programmes, et dont la plupart se trouvent en Europe (voir les graphiques 4 et 5). 2. La course à l’armement nucléaire? Graphique 4 : états ou régions actuellement dotés de réacteurs nucléaires6 LÉGENDE : Capacité actuelle En 2030 – prévisions de l’AIE Graphique 5 : états susceptibles d’adopter le nucléaire (2008)7 LÉGENDES Réacteurs prévus – Approbation, financement ou construction Réacteurs proposés – Propositions sûres, mais sans engagement ferme Envisagent l’option nucléaire – Intérêts déclarés, mais propositions incomplètes 6Graphiques conçus pour le NPEC par Sharon Squassoni. Disponible sur http://www.npec-web.org/Frameset.asp?PageType=Projects 7 Ibid. 51 52 Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2. De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire. Si elle se réalise, cette expansion du nucléaire civil aurait des implications militaires énormes. Les pays qui disposent aujourd’hui de l’arme nucléaire ont tous commencé par installer un réacteur de grande taille avant d’acquérir leur première bombe. Le Royaume-Uni, la France, la Russie, l’Inde, le Pakistan et les États-Unis ont fabriqué la plupart de leurs bombes initiales à partir de réacteurs qui alimentaient également leur réseau électrique. Les États-Unis utilisent toujours un réacteur à eau légère « résistant à la prolifération » exploité par la Tennessee Valley Authority pour fabriquer tout le tritium militaire destiné à son arsenal nucléaire. En plus de ces centrales, d’autres installations seraient bien sûr nécessaires pour séparer chimiquement le plutonium militaire du combustible irradié ou enrichir l’uranium utilisé pour alimenter de tels réacteurs. Cependant, comme on l’a vu récemment avec l’Iran et de la Corée du Nord, il est tout à fait possible de construire ces centrales de retraitement – sans se faire repérer – et de les exploiter de façon à ce que toute production illicite ne puisse être détectée à temps. Si tous les programmes nucléaires civils envisagés aujourd’hui se réalisent comme prévus, en 2030 le monde sera beaucoup moins stable. Au lieu d’un petit nombre d’états officiellement dotés de l’arme nucléaire (que les États-Unis peuvent pour la plupart désigner comme des alliés ou des partenaires stratégiques), nous pourrions nous retrouver face à un nombre ingérable d’états dotés d’une capacité militaire supplémentaire – armés ou quasi (c-à-d en mesure d’acquérir des armes en l’espace de 12 à 24 mois) comme le montrent les graphiques 6 et 7. Graphique 6 : les états nucléaires actuels La prolifération actuelle semble gérable (avec le désarmement de la RPDC et l’Iran non nucléaire) 2009 (non allié de l’OTAN) (partenaire stratégique) (non allié de l’OTAN) (partenaire stratégique) 21 relations stratégiques possibles (6 des plus importantes avec les États-Unis) Graphique 7 : états « du seuil » d’ici 2015 Un avenir de prolifération possible 2015 Taiwan Arabie saoudite RPDC Iran Nato Egypte Pakistan Syrie Israël Algérie Inde Corée du Sud Chine Japon Russie (136 possibilités d’erreur de calcul stratégique) Aujourd’hui, plus Iran, RPDC, Taiwan, Arabie saoudite, Égypte, Syrie, Algérie, Turquie, Corée du Sud, Japon 2. La course à l’armement nucléaire? Dans un tel monde, les États-Unis, leurs alliés et l’UE seraient peut-être en mesure d’identifier leurs amis et leurs adversaires potentiels, mais il leur serait difficile de prévoir les réactions de ces états en situation de crise : serrer les rangs, développer eux-mêmes des options d’armement, ou encore s’en remettre à un autre EDAN. Quant aux adversaires potentiels, les États-Unis, leurs alliés et l’UE auraient bien du mal à déterminer à quel point les forces militaires de ces ennemis pourraient s’avérer meurtrières. Au bout du compte, ces tendances aggravent plutôt les perspectives de terrorisme nucléaire. Il y aura non seulement plus d’occasions d’acquérir des armes nucléaires et des matières militaires, mais aussi plus de centrales civiles et militaires susceptibles à saboter. De plus, les risques de 53 mauvais calcul et de guerre atomique augmenteraient au point où même des actes terroristes non nucléaires pourraient déclencher des conflits plus grands qui pourraient se transformer en conflits nucléaires. Cette instabilité internationale n’est pas sans rappeler celle qui a précédé les Première et Deuxième Guerres mondiales. Pendant ces périodes marquées elles aussi par des objectifs de maîtrise des armements excessivement ambitieux, les états se sont lancés dans des préparatifs militaires de grande envergure secrets et déclarés qui ont accentué les tensions avant d’être mis au service d’une guerre sans limites. La différence serait que dans les 20 prochaines années, les munitions utilisées dans ces conflits ne seraient pas seulement hautement explosives, mais nucléaires. 54 © United States Department of Energy Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2. De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire. 3. Ce qu’il est possible de faire Tout ceci nous amène à la question suivante : est-il possible d’éviter ou d’atténuer ces tendances ? On peut répondre par l’affirmative, mais seulement en respectant strictement plusieurs principes de base. Tout d’abord, parallèllement au déclin des déploiements d’armes nucléaires, il faut faire preuve de vigilance et s’assurer que les réductions ou ajouts militaires contribuent à la baisse des risques de guerre. Si les garanties de sécurité nucléaire américaines et celles de l’OTAN sont prolongées à court et moyen terme pour neutraliser les aspirations nucléaires des alliés clés des États-Unis et des membres de l’OTAN, il est impératif que Washington et l’OTAN évitent toute initiative susceptible d’ébranler la corrélation de forces dont ils bénéficient actuellement face à leurs concurrents nucléaires les plus importants. En plus de réduire leurs arsenaux dans les mêmes proportions que la Russie, les États-Unis et l’OTAN devront à court et moyen terme empêcher les autres états dotés de l’arme nucléaire, tels que la Chine et l’Inde, d’essayer de les rattraper ou – comme dans le cas de l’Inde et de la Chine, du Pakistan et de l’Inde, et du Japon et de la Chine – de se faire concurrence. Cela signifie la mise en place de restrictions supplémentaires, sous forme de réductions de l’armement ou de limitations de production ou d’entreposage de combustibles militaires, non seulement pour la Russie, mais aussi pour la Chine, l’Inde et le Pakistan. En pratique, cela signifie également qu’il faudra amener les autres états du « seuil » ou virtuellement dotés d’armes (par ex., Israël et le Japon) à restreindre ou cesser leur production de matières militaires ou à éliminer une partie de celles qu’ils détiennent actuellement. À ce jour, ni les États-Unis ni l’UE n’ont proposé de solution détaillée pour atteindre ces objectifs. Le Président Obama a appelé à négocier un Traité d'interdiction de la production de matières fissiles (TIPMF). Mais la plupart des versions de cet accord autorisent la production de combustible « civil », pratiquement équivalente à la production de combustible militaire. Par ailleurs, après des décennies de négociations infructueuses à Genève, nul ne sait si un tel accord pourrait un jour entrer en vigueur. Des négociations sont actuellement menées par les Pakistanais. Outre la négociation d’un TIPMF, il existe d’autres moyens de restreindre la production de matières fissiles. Certains officiels, dont des 3. Ce qu’il est possible de faire conseillers auprès de la secrétaire d’État Hillary Clinton, ont notamment proposé une approche complémentaire connue sous le nom d’Initiative de contrôle des matières fissiles (Fissile Material Control Initiative). Au lieu d’un traité contraignant, les états signataires du TNP dotés d’armes et les états non dotés d’armes se contenteraient de déclarer la proportion de leurs stocks de plutonium séparé et d’UHE excédentaire par rapport à leurs besoins militaires ou civils, puis les sécuriseraient ou les élimineraient.8 Il serait également possible de rendre l’accès des états aux surplus qu’ils ont déclarés plus contraignant, en exigeant le consentement préalable de toutes les parties membres de l’initiative.9 Une autre idée concrète et qui aurait un effet direct sur les activités nucléaires militaires de l’Inde, serait de s’assurer que la mise en œuvre de l’accord de coopération dans le nucléaire civil entre Washington et New Delhi, n’aide pas l’Inde à produire davantage de combustibles militaires qu’elle n’en produisait fin 2008 quand celui-ci a été conclu. Dans le cadre du TNP, les états qui disposaient d’armes nucléaires (EDAN) en 1967 – les États-Unis, la Russie, la France, le Royaume-Uni et la Chine – s’étaient engagés à ne jamais aider un autre état à en acquérir de façon directe ou indirecte. En même temps, en vertu de la loi Hyde, qui autorise la coopération entre les États-Unis et l’Inde dans l’utilisation civile du nucléaire, la Maison Blanche est tenue de communiquer régulièrement au Congrès la quantité d’uranium que l’Inde importe, celle utilisée pour l’exploitation des réacteurs civils, la quantité d’uranium produite dans le pays, et dans quelle mesure l’exploitation de ses réacteurs non soumis aux garanties lui permet d’accroître ses stocks de plutonium non garantis, avec l’aide directe ou indirecte des EDAN membres du TNP.10 55 Si le taux de croissance annuelle des stocks indiens de plutonium non soumis aux garanties, s’avère supérieur à celui précédant la finalisation de l’accord de coopération dans le nucléaire civil de 2008, et qu’un lien avec des importations d’uranium provenant d’un ou plusieurs EDAN du TNP peut être établi, ces derniers seraient complices d’une violation par l’Inde de l’Article I du TNP. Pour empêcher une telle situation, ou tout au moins en limiter les dégâts, les États-Unis devraient alors alerter tous les autres états fournisseurs de nucléaire et leur demander de suspendre toute assistance en matière de nucléaire civil jusqu’à ce que la production de matières nucléaires militaires non garanties baisse. La logique voudrait que cette requête soit transmise au Groupe des fournisseurs nucléaires. Cette vigilance devrait s’accompagner d’efforts visant à empêcher le Pakistan de développer ses capacités d’armement nucléaire. En ce qui concerne le maintien de la parité relative des forces entre les états nucléaires se faisant concurrence à travers l’assistance militaire non nucléaire ou le renforcement de potentiel, la difficulté sera de réussir à remplacer les armes nucléaires par des armes conventionnelles de façon à ne pas susciter l’intérêt de l’une ou des deux parties pour davantage d’armes nucléaires. Le simple déploiement de systèmes non nucléaires plus sophistiqués pour compenser les systèmes nucléaires ainsi abandonnés, n’en apporte malheureusement pas la garantie. Prenons le tir de précision à longue portée – et les systèmes avancés de commande de contrôle et de renseignement dans le cas de l’Inde et du Pakistan. Le Pakistan croit qu’il doit menacer de recourir en premier à ses armes nucléaires pour dissuader les forces conventionnelles supé- 8 Voir par ex. la présentation de Robert Einhorn, « Controlling Fissile Materials and Ending Nuclear Testing, » devant la Conférence internationale sur le désarmement nucléaire, Oslo (26-27 février 2008), disponible sur http://www.ctbto.org/fileadmin/user_upload/pdf/External_Reports/paper-einhorn.pdf 9 Voir Albert Wohlstetter, « Nuclear Triggers and Safety Catches, » dans Nuclear Heuristics: sélection d'articles d'Albert and Roberta Wohlstetter, édité par Robert Zarate et Henry Sokolski (Carlisle, PA: US Army War College Strategic Studies Institute, 2009). 10 Voir Henry J. Hyde United States-India Peaceful Atomic Energy Cooperation Act of 2006, Implementation and Compliance Report, disponible sur http://frwebgate.access.gpo.gov/cgi bin/getdoc.cgi?dbname=109_cong_bills&docid=f:h5682enr.txt.pdf 56 Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2. De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire. rieures de l’Inde. Les systèmes de tirs de précision pourraient pourtant tout à fait viser les armes nucléaires du Pakistan. Il est donc tout à fait concevable que doter l’Inde de telles armes aurait pour effet d’augmenter d’un cran le niveau d’alerte nucléaire du Pakistan et d’encourager Islamabad à acquérir encore plus d’armes pour que leurs forces nucléaires ne puissent être anéanties par des tirs de précision conventionnels indiens. Exporter en Inde les mauvais systèmes améliorés d’armes non nucléaires ou l’aider à en construire des quantités déraisonnables, pourrait avoir une influence défavorable sur les projets d’armement nucléaire du Pakistan. Les défenses anti-missiles balistiques pourraient également poser problème. Dans les bonnes circonstances, en posséder peut constituer une forme de dissuasion non nucléaire, susceptible de contribuer à la réduction du nombre d’armes nucléaires déployées. Au lieu de « neutraliser » d’éventuels missiles ennemis en les ciblant avec des armes offensives nucléaires ou non nucléaires, des défenses anti-missiles actives pourraient être utilisées pour les contrer après leur lancement. Elles pourraient aussi être une sorte de garantie contre d’éventuelles infractions à tout nouvel accord de réduction de missiles balistiques à capacité nucléaire. Notons encore une fois que leur simple déploiement ne suffira pas à garantir de tels avantages. Reprenons le cas de l’Inde et du Pakistan. Tandis que le Pakistan persiste à croire que dans l’éventualité d’un conflit d’envergure avec l’Inde, il doit utiliser en premier ses armes nucléaires, New Delhi espère recourir à ses forces conventionnelles pour frapper le Pakistan conformément à la doctrine du « démarrage à froid » (cold start) de façon à ce qu’Islamabad demande rapidement la paix. L’Inde a également commencé à mettre en place ses propres systèmes de défense anti-missiles afin de contrecarrer les menaces de missiles offensifs du Pakistan et de la Chine. Dans ces conditions, le fait que l’Inde et le Pakistan possèdent des quantités équivalentes de défenses anti-missiles ne ferait qu’offrir à l’Inde un autre avantage militaire non nucléaire sur Islamabad. Ce qui risque donc d’encourager le Pakistan à renforcer davantage son stock de missiles nucléaires offensifs. La seule façon d’éviter cela et de renforcer les avantages liés à la défense anti-missiles pour chacun des deux pays, serait de s’attaquer à l’asymétrie sous-jacente de leurs forces conventionnelles. L’une des raisons pour lesquelles les experts en sécurité régionale ont longtemps favorisé la création de zones de déploiement faible, moyen et élevé de type conventionnel, des deux côtés de la frontière indo-pakistanaise, est d’équilibrer la capacité de chaque pays à déclencher des attaques conventionnelles « rapides » contre l’autre. Un des éléments clé de ces propositions est la suppression par les deux parties des missiles balistiques de courte portée, craignant que leur usage ne déclenche une riposte nucléaire par erreur. Mises en oeuvre, ce genre de mesures visant à instaurer la confiance, pourraient suffire à atténuer le sentiment de danger pour la stabilité lié au déploiement de systèmes d’armes non nucléaires, discriminantes et perfectionnées.11 Ailleurs, d’autres mesures pourraient s’avérer nécessaires. La Chine renforçant sa supériorité sur Taiwan en termes de missiles nucléaires et non nucléaires ainsi que sa capacité à cibler les groupes d’aéronavales américains avec des missiles balistiques conventionnels avancés, les États-Unis et leurs alliés du Pacifique peuvent craindre que Pékin ait la capacité d’anéantir les défenses anti-missiles qu’ils sont en train de mettre au point. Dans le même temps, la Chine développe ses propres défenses anti-missiles balistiques afin de contrer d’éventuelles attaques nucléaires et des attaques ciblées de missiles balistiques intercontinentaux américains. Les Chinois cherchent peut-être également à se pro- 11À ce sujet, voir Peter Lavoy, « Islamabad’s Nuclear Posture: Its Premises and Implementation », dans Pakistan’s Nuclear Future: Worries beyond War, éd. Henry Sokolski (Carlisle, PA: Strategic Studies Institute, 2008), pp. 129–66 ; voir aussi General Feroz Khan, « Reducing the Risk of Nuclear War in South Asia », 15 septembre 2008, disponible sur http://www.npec-web.org/Essays/20090813-khan%20final.pdf 3. Ce qu’il est possible de faire téger contre des missiles balistiques offensifs russes. Toutes ces inquiétudes indiquent que les efforts diplomatiques devraient tendre vers une limitation des missiles balistiques offensifs en Asie, afin de s’assurer que les défenses antimissiles déployées dans la région ne soient pas immédiatement neutralisées. Il existe plusieurs précédents. Le traité START, qui limite les systèmes porteurs de missiles balistiques stratégiques américains et russes, en est un. Le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, qui concerne les missiles russes et ceux de l’OTAN dont la portée se situe entre 500 et 5.500 kms, en est un autre. Le Régime de contrôle de la technologie des missiles (RCTM), qui limite le commerce de missiles capables de transporter une charge utile d’au moins 500 kgs sur une distance d’au moins 300 kms en est encore un autre. La difficulté si l’on veut établir de nouvelles limitations en matière de missiles balistiques est de s’assurer qu’elles seront assez sévères pour englober les missiles balistiques concernés afin d’infléchir le besoin ou le désir de déployer plus d’ogives, sans avoir à créer de nouvelles catégories de missiles autorisés. Eliminer les missiles balistiques dont la portée dépasse 500 kms, pour finalement autoriser les missiles d’une portée légèrement inférieure, situés au-dessus des limites fixées par le RCTM, n’aurait pas beaucoup de sens. Une autre préoccupation liée à la limitation des missiles balistiques offensifs avec en même temps la délimitation d’un espace de déploiement de systèmes de défenses anti-missiles utilisant la même technologie, est de s’assurer que la prolifération de défenses anti-missiles ne se transforme pas en propagation accrue de missiles balistiques ou de technologie associée. Il serait peut-être judicieux de commencer par interdire l’exportation des systèmes de défense anti-missiles balistiques qui emploient des fusées 57 dépassant les limites des missiles de catégorie 1 du RCTM (c-à-d les missiles capables de porter 500 kgs à plus de 300 kms). Une autre solution serait d’arriver à des accords incitant les états à se détourner des systèmes de défense anti-missiles reposant sur des systèmes de missiles balistiques importants au profit de solutions alternatives (par ex., drones détruisant les missiles lors de la phase de lancement, des systèmes de défense antimissile basée dans l’espace et des systèmes d’armes à énergie dirigée). Ce qui nous amène au deuxième grand principe. La réduction des armes nucléaires et des systèmes porteurs d’armes nucléaires devrait aller de pair avec la prévention de leur propagation à de nouveaux états. À l’heure actuelle, le lien entre la réduction des armes nucléaires et la prévention de leur propagation est surtout symbolique. Comme les États-Unis et la Russie réduisent leurs déploiements nucléaires, certains pensent que d’autres EDAN prendront le pas, ce qui devrait ensuite convaincre les ENDAN d’accepter des inspections plus approfondies de leurs activités civiles.12 Si on met de côté les cas difficiles de l’Iran et de la Corée du Nord, ce type de raisonnement néglige plusieurs développements techniques majeurs et repose sur des postulats politiques discutables. Premièrement, sachant que l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) n’a pas été en mesure de détecter les programmes nucléaires clandestins en Irak, en Iran, en Syrie et en Corée du Nord, on est en droit de se demander si des inspections nucléaires internationales « améliorées » seront un jour, capables de détecter de manière fiable des activités nucléaires illicites. La question se pose tout particulièrement si, comme certains le pensent, d’importants programmes civils se développent dans des régions comme le Moyen-Orient. 12Voir, par ex. Gareth Evans et Yoriko Kawaguchi, Eliminating Nuclear Threats: A Practical Agenda fo Global Policymakers (Canberra, Australia: International Commission on Nuclear Non-proliferation and Disarmament, 2010), pp. 3-36. 58 Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2. De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire. Deuxièmement, les États-Unis, mais aussi Israël, le Japon, l’OTAN, l’Inde, la Russie et la Chine projettent de déployer des systèmes de défense anti-missiles balistiques – chacun pour des raisons très différentes. Pourtant, dans leur approche du contrôle de la menace nucléaire stratégique, les États-Unis et leurs alliés se sont abstenus de préciser si ces programmes de défense devraient être encouragés ou restreints et, le cas échéant, de quelle façon. De la même manière, n’est pas abordée, en dehors des discussions avec la Russie sur des réductions stratégiques, la question de savoir s’il faut traiter, et comment, le développement de missiles balistiques (nucléaires et non nucléaires) par les autres états. ment nucléaire de la Corée du Nord. En dehors de ces deux cas, il existe une crainte générale que la mise en application des limites fixées pour la non-prolifération manque de fermeté. Qu’est-ce qui sera fait, le cas échéant, pour empêcher de nouvelles violations ? Se posent ensuite des questions d’ordre politique. Peut-on s’attendre à ce que la Russie accepte de procéder à de nouvelles réductions nucléaires en plus des négociations START actuelles ? Y aurat-il un autre accord START pour limiter à 1.000 le nombre d’ogives stratégiques déployées ? La Russie sera-t-elle d’accord de limiter ses armes nucléaires non stratégiques ? Quelles seront les exigences de Moscou pour de telles réductions ? La russie exigera-t-elle que les États-Unis et l’OTAN gèlent leurs plans de défense conventionnelle et anti-missiles ? Et enfin, quand de tels accords seraient-ils susceptibles de voir le jour ? Le succès des politiques américaine et européenne de contrôle de l’armement et de non-prolifération est conditionné par des réponses à ces questions favorables aux États-Unis. Il serait utile de poursuivre les efforts visant à restreindre les arsenaux nucléaires existants tout en évitant qu’ils ne se propagent davantage, et d’associer ces deux objectifs aux tentatives menées pour réduire et restreindre les missiles balistiques à capacité nucléaire. Plusieurs initiatives seraient envisageables. Au lieu d’attendre que l’Iran, le Pakistan, l’Inde, la Corée du Nord et l’Égypte ratifient le TICE, pourquoi ne pas utiliser l’interdiction d’essais nucléaires implicitement contenue dans le TNP pour obtenir l’accord immédiat des états founisseurs de nucléaire civil de s’engager à bloquer tout commerce avec les états non-signataires du TNP procédant à des essais ? Une fois cet objectif atteint, on pourrait rechercher un accord additionnel pour étendre ce genre de restrictions commerciales aux états dotés de l’arme nucléaire. Aux problèmes politiques décrits ci-dessus s’ajoutent les questions de mise en vigueur. Si de nouvelles sanctions ou risques ne sont pas prises à l’encontre du développement de capacités militaires, peut-on vraiment croire que les états ne possédant pas de missiles à capacité nucléaire ou d’armes atomiques ne tentent pas de se les approprier ? Il est sûr que le Grand Moyen-Orient attend de voir quelles mesures prendront les États-Unis et leurs alliés à l’encontre de l’Iran (si toutefois c’est le cas) pour sa mauvaise conduite dans le domaine nucléaire. La plupart des états de la région sont déjà en train de couvrir leurs paris par l’acquisition de programmes nucléaires « pacifiques ». On assiste à la même dynamique en Extrême-Orient avec le programme d’arme- Toutes ces questions font ressortir la nécessité d’une série supplémentaire de mesures de non-prolifération et de contrôle de l’armement, afin de compléter celles que les États-Unis et l’UE mettent actuellement en avant. Pourquoi ne pas ajouter à ces efforts (dont l’aboutissement est incertain) des limitations progressives plus immédiates ? Pourquoi ne pas poursuivre l’Initiative de contrôle des matières fissiles, qui aurait un impact immédiat (même si d’abord modeste) à la fois sur les états dotés et non dotés d’armes, tout en appuyant le TIPMF qui n’affecterait que les EDAN ? À l’heure actuelle, il n’est toujours pas interdit à ceux qui transgressent le TNP et les garanties de l’AIEA et aux états qui se retirent du TNP après avoir commis des actes en violation du Traité, de recevoir de la technologie de missiles à capacité nucléaire ni une assistance de la part des états fournisseurs de cette technologie. Pour- 3. Ce qu’il est possible de faire quoi ne pas remédier à cette lacune en interdisant automatiquement l’accès aux biens contrôlés par le RCTM de ceux qui ont enfreint les règles du nucléaire ? Les états qui méprisent les règles, comme la Corée du Nord, restent également libres de procéder à des essais de missiles à capacité nucléaire à l’extérieur de leurs frontières. Avec les lois internationales actuelles, tout ceci demeure légal. Pourtant, de tels missiles se prêtent très bien au transport d’ogives nucléaires, les développer et les tester est fondamentalement déstabilisant. Une norme internationale ne devrait-elle pas exister – comme c’est le cas pour la piraterie et la traite des esclaves – octroyant aux états le pouvoir technique de débarrasser l’espace aérien international de tels objets (par ex. les États-Unis, la Russie, Israël et bientôt le Japon, l’OTAN et la Chine) comme pour les objets « illicites » ? Si des progrès sont accomplis dans la création de limitations supplémentaires du déploiement de missiles balistiques (par ex. un Traité mondial sur les forces nucléaires à portée intermédiaire), ceux qui violent ces ententes ne devraient-ils pas se voir interdire l’accès à des missiles et des produits nucléaires contrôlés et être soumis à des restrictions d’essais de missiles similaires ? Tant que les inspections nucléaires seront perçues comme la solution à une telle propagation, même si dans beaucoup de cas importants elles ne sont pas fiables, il est clair que la prolifération nucléaire en direction d’autres états persitera. Pour améliorer les choses, il est nécessaire d’appliquer un troisième principe. Il faut encourager les inspecteurs nucléaires internationaux à établir une distinction entre les activités et les matières nucléaires qu’ils peuvent protéger de manière fiable contre un détournement militaire et celles qu’ils sont incapables de garantir. Le TNP spécifie clairement que toutes les matières et activités nucléaires pacifiques doivent être garanties, à savoir inspectées au point d’empêcher de manière fiable qu’elles ne soient détournées pour la fabrication d’armes. La plu- 59 part des États membres du TNP ont pris l’habitude de penser qu’en se contentant de déclarer leurs possessions nucléaires et en autorisant des inspections internationales, ils se conforment à cette exigence. Ce malentendu peut avoir des conséquences dangereuses. Après les mauvaises évaluations des inspections nucléaires en Irak, en Iran, en Syrie et en Corée du Nord, nous savons désormais que l’AIEA est incapable de détecter des activités nucléaires clandestines suffisamment tôt pour permettre une intervention qui empêcherait la fabrication éventuelle de bombes. Nous savons également que les inspecteurs perdent chaque année la trace des stocks de plutonium et d’uranium équivalant à de nombreuses bombes, dans des centrales de fabrication de combustible déclarées. Les officiels de l’AIEA reconnaissent en privé que l’agence ne peut pas assurer la continuité des inspections des barres de combustible usé ou frais dans plus de la moitié des sites inspectés. Enfin, nous savons que le plutonium et l’uranium enrichi déclarés peuvent servir à la fabrication de bombes et que les centrales de production peuvent être transformées si rapidement (dans certains cas, en l’espace de quelques heures ou jours) qu’aucun système d’inspection n’est en mesure de lancer à temps un avertissement de tentative de fabrication de bombe. Or, toute garantie véritable contre un détournement militaire implique que celui-ci soit détecté suffisamment tôt pour permettre à des puissances extérieures d’intervenir et d’empêcher la fabrication d’une bombe. Sans cela, le contrôle pourra, au mieux, détecter un détournement militaire une fois qu’il aura eu lieu. À la lumière de ces différents points, il serait utile que l’AIEA admette qu’elle ne peut garantir tout ce qu’elle inspecte contre un éventuel détournement militaire. Cela permettrait d’aborder enfin les questions essentielles du bien fondé de la production ou du stockage de plutonium, d’uranium hautement enrichi, de combustible nucléaire à base de plutonium, et de se demander si ces activités et matières peuvent être réellement garanties. Cela supposerait pour le moins que les ENDAN ne puissent acquérir plus de matières ou 60 Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2. De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire. d’installations que celles qu’ils possèdent déjà. Ces points sont suffisamment importants pour être abordés avant, pendant et après la Conférence d’examen du TNP de mai 2010. de sécurité liés à la propagation des technologies d’électricité nucléaire, aucun gouvernement ne devrait consacrer plus d’argent à sa promotion ni encourager d’autres gouvernements dans ce sens14 À cet égard, les États-Unis et les pays partageant les mêmes vues pourraient évaluer de manière indépendante la capacité de l’AIEA à atteindre ses propres objectifs ; les circonstances dans lesquelles ils peuvent être atteints ; et enfin si ces objectifs sont suffisamment élevés. La Chambre des représentants américaine approuvait l’an dernier une loi obligeant l’Exécutif à procéder régulièrement à de telles évaluations et à en communiquer les résultats. Une loi similaire a été proposée au Sénat.13 Enfin, pour garantir des formes d’énergie propre à la fois sûres et compétitives économiquement, il sera nécessaire de comparer davantage les coûts et de décourager le recours à des incitations financières gouvernementales pour les projets de commercialisation, spécialement l’électricité nucléaire. Il est sûr que la création de nouvelles incitations financières gouvernementales pour la construction de centrales nucléaires commerciales et d’installations de production de combustible annexes, ne fera qu’augmenter la difficulté d’une comparaison précise avec des alternatives non nucléaires. Ces subventions non seulement masquent le coût véritable de l’électricité nucléaire, mais font que le marché se détourne de solutions moins subventionnées et potentiellement plus sensées. Ce qui est inquiétant car l’électricité nucléaire continue de bénéficier d’un soutien gouvernemental énorme et les formes les plus dangereuses d’énergie nucléaire civile – la production de combustible nucléaire dans la plupart des ENDAN et les projets de grandes centrales dans des régions déchirées par la guerre comme le Moyen-Orient – sont finalement des investissements peu avisés par rapport à des alternatives beaucoup plus sûres.15 Les partisans de l’électricité nucléaire affirment que son développement est essentiel à la prévention du réchauffement climatique. Ils minimisent ou ignorent toutefois le risque de prolifération militaire associé à la propagation de cette technologie. Ceci dit, il sera peut-être impossible d’empêcher le développement de l’électricité nucléaire si celle-ci s’avère une solution économique et pratique pour la fourniture d’énergie faible en carbone. Compte tenu des problèmes Il existe plusieurs façons d’éviter cela. La première serait que le plus grand nombre possible de gouvernements ouvrent tous les grands projets d’énergie civile de leur pays à la concurrence internationale. C’est déjà le cas dans certains pays. Le problème est que lorsque des états veulent construire des réacteurs civils puissants, ils limitent souvent la compétition à des offres nucléaires, au lieu d’envisager des options énergétiques susceptibles de répondre à certains cri- 13Voir Section 416 of the House State Authorization Act of 2010 and 2011 « Implementation of Recommendations of Commission on the Prevention of WMD Proliferation and Terrorism, » disponible sur http://www.govtrack.us/congress/billtext.xpd?bill=h111-2410 14 Tels que le relancement par l’Allemagne de crédits à l’exportation (« Hermes ») pour la production d’électricité nucléaire au Brésil, en Russie et en Chine ou les propositions du Président Sarkozy pour le financement de l’électricité nucléaire à travers des fonds de développement et des prêts. 15 Voir par ex. Peter Tynan et John Stephenson, « Nuclear Power in Saudi Arabia, Egypt, and Turkey – how cost effective? », 9 février 2009, disponible sur http://www.npec-web.org/Frameset.asp?PageType= Single&PDFFile= Dalberg-Middle%20East-carbon&PDFFolder=Essays ; Frank von Hippel, « Why Reprocessing Persists in Some Countries and Not in Others: The Costs and Benefits of Reprocessing, » 9 avril 2009, disponible sur http://www.npec-web.org/Frameset.asp?PageType=Single&PDFFile=vonhippel%20%20TheCostsandBenefits&P DFFolder=Essays ; Doug Koplow, « Nuclear Power as Taxpayer Patronage: A Case Study of Subsidies to Calvert Cliffs Unit 3, » disponible sur http://www.npecweb.org/Frameset.asp?PageType=Single&PDFFile=Koplow%20-%20 CalvertCliffs3&PDFFolder=Essays 3. Ce qu’il est possible de faire tères environnementaux et économiques.. De telles restrictions ne devraient pas être encouragées sur le plan international. La plupart des pays avancés, dont les ÉtatsUnis, prétendent adhérer aux principes du Traité sur la charte de l’énergie et de la Charte mondiale sur le développement de l’énergie durable. Ces accords internationaux visent à encourager tous les états à ouvrir leurs secteurs énergétiques à la concurrence internationale. Et ce afin de garantir que toutes les options énergétiques soient examinées et que les subventions et externalités associées à chacune d’elles soient internalisées et se reflètent dans le prix de ce qui est proposé. Encourager le respect de ces règles est indispensable si les États-Unis et d’autres états souhaitent réellement réduire leurs émissions de CO2 de la façon la plus rapide et la moins coûteuse. On pourrait ici rappeler les principes du Traité sur la charte de l’énergie et de la Charte mondiale sur le développement de l’énergie durable et les appliquer comme faisant partie des amendements des accords atteints à Kyoto et Copenhague. De plus, les états qui choisissent de construire une centrale nucléaire au détriment d’une alternative non nucléaire moins coûteuse et plus sensée, devraient être dénoncés par un organisme de contrôle économique de la concurrence (par ex. l’Organisation mondiale du commerce) qui pourrait avoir la responsabilité de superviser les transactions internationales importantes liées à l’énergie. Enfin, 61 les choix nucléaires peu rentables (par ex. divers projets nucléaires au Moyen-Orient) devraient être soumis à l’AIEA en vue d’une enquête sur les objectifs réels de ces projets.16 Les états les plus avancés du monde pourraient accomplir un effort supplémentaire en en travaillant avec les pays en développement pour mettre en place des alternatives non nucléaires capables de répondre à leurs besoins énergétiques et environnementaux. Dans le cas des États-Unis, cela impliquerait l’application d’une loi existante. Le chapitre V de la Loi de 1978 sur la non-prolifération nucléaire stipule que l’Exécutif doit analyser les besoins énergétiques des pays clés et identifier les façons de répondre à ces besoins avec des sources d’énergie non nucléaires et non fossiles. Jusqu’à ce jour aucun président américain n’a fait le choix d’exécuter cette loi. Le Congrès américain a indiqué qu’il voulait que l’exigence d’analyses énergétiques du chapitre V, (ainsi que des évaluations non gouvernementales de ces analyses à l’extérieur) deviennent une condition préalable à l’amorce par les États-Unis de nouveaux accords américains de coopération nucléaire.17 Les Nations Unies disposent d’une alternative, leur propre initiative sur l’énergie renouvelable (non nucléaire) dont l’objectif est l’assistance aux pays en développement. Comme pour la plupart des suggestions précédentes, les États-Unis et d’autres pays peuvent appuyer ces initiatives sans attendre d’accord international. 16Pour de plus amples informations, voir Henry Sokolski, « Market Fortified Non-proliferation », dans Breaking the Nuclear Impasse (New York, NY: The Century Foundation, 2007), pp. 81-143, disponible sur http://nationalsecurity.oversight.house.gov/documents/20070627150329.pdf Pour plus de détails sur les membres actuels, les investissements et les principes commerciaux du Traité sur la charte de l’énergie et de la Charte mondiale sur le développement de l’énergie durable, veuillez consulter http://www.encharter.org et http://www.cmdc.net/echarter.html 17 Voir la Lettre des membres du Congrès Brad Sherman, Edward Markey et Ileana Ros-Lehtinen à la secrétaire d’État Hillary Clinton, 6 avril 2009, disponible sur http://bradsherman.house.gov/pdf/NuclearCooperationPresObama040609.pdf 62 Prolifération des armes nucléaires, sécurité énergétique et réduction des émissions de CO2. De l’interdépendance du nucléaire civil et militaire. Conclusion L’inquiétude grandissante des états sur la sécurité énergétique et la réduction des émissions de CO2 , a fait que les gouvernements ont une fois de plus penché du côté de l’expansion du nucléaire civil. Les États-Unis, la France, la Russie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Inde, le Pakistan, le Brésil et de nombreux autres pays en développement au Moyen-Orient et en Asie prévoient aujourd’hui d’exporter ou d’acheter des réacteurs nucléaires à l’aide de fonds et financements publics. Dans ce contexte toutefois, un point reste négligé, celui de savoir comment augmenter le nombre de réacteurs sans propager en même temps les moyens de fabriquer des armes. Du point de vue technique, les moyens de faire bouillir de l’eau avec de l’énergie nucléaire sont quasiment les mêmes que ceux qui permettent d’obtenir du plutonium en quantité suffisante pour fabriquer une multitude de bombes. Il est pratiquement impossible de former les centaines d’ingénieurs et de techniciens indispensables à la construction et à l’exploitation de telles centrales sans prendre le risque qu’ils apprennent à produire du combustible militaire à partir de combustible usé. Il n’est non plus pas possible de vérifier efficacement les engagements pris par des états qui disent vouloir renoncer à la production de combustible nucléaire. Par le passé, l’AEIA s’est non seulement révélée incapable de repérer certaines centrales clandestines, mais aussi à maintes reprises n’a découvert la présence de plutonium séparé et d’uranium enrichi (équivalant à de nombreuses bombes) que longtemps après leur production. Aucun système d’inspection, y compris le protocole additionnel, ne s’attaque véritablement à ces problèmes. Par conséquent, à moins d’être convaincu qu’un état n’ait aucune intention militaire, lui transférer les moyens d’exploiter un réacteur nucléaire comporte un risque de prolifération considérable. Si les états n’avaient réellement pas d’autre choix que le nucléaire pour répondre à leurs besoins de sécurité énergétique ou exigences en recherche scientifique, tout en réduisant leur empreinte carbone, il nous faudrait bien nous résigner à accepter ces risques. Le nombre d’états du « seuil » augmenterait et au lieu d’évoluer vers un point zéro et réduire la menace atomique, nous nous rapprocherions chaque jour davantage de la concrétisation de ces risques. Heureusement, il existe des options énergétiques non nucléaires à la fois convaincantes, propres et économiquement compétitives ainsi que des mesures capables de limiter les menaces nucléaires, en dehors de celles favorisées aujourd’hui. Elles portent l’espoir de pouvoir échapper au dilemme du nucléaire civil/ militaire. De nouvelles découvertes de gaz naturel font de ce combustible relativement propre et peu coûteux un tremplin possible vers des options énergétiques alternatives plus compliquées et actuellement plus onéreuses. Les coûts de ces alternatives non nucléaires sont par ailleurs en baisse. Enfin, l’efficacité énergétique, les nouveaux modes de stockage de l’électricité et les systèmes de distribution laissent augurer de réductions significatives de la quantité d’énergie nécessaire à la production d’une unité de produit intérieur brut donnée. Pour promouvoir ces options d’énergie non nucléaire par rapport à l’électricité nucléaire, il faudra les mettre en compétition sur le plan économique pour tous les grands projets énergétiques par le biais d’appels d’offre internationaux. Au lieu de faire jouer la concurrence sur des programmes énergétiques spécifiques – par exemple, en lançant des appels à projets internationaux pour une centrale nucléaire ou un programme de séquestration du carbone – les états devraient être encouragés à organiser des appels qui ne mentionnent que la quantité d’énergie requise et les exigences environnementales à respecter. Ce qui nous intéresse est en effet de promouvoir la solution la plus rapide et la moins coûteuse (en supposant que les coûts des subventions gouvernementales, la gamme des prix possibles pour le carbone, etc., soient internalisés) pour répondre aux exigences formulées. Enfin, il est impératif que les états les plus concernés par la réduction de la menace nucléaire ajoutent à leur liste d’efforts formels liés aux traités – dont la mise en œuvre pourrait prendre des années – des mesures plus pratiques applicables dès aujourd’hui. Il s’agit entre autres d’inciter les états à réduire leur production de matières fissiles militaires en obtenant d’eux qu’ils déclarent les excédents à leurs besoins civils ou militaires, puis en les incitant à éliminer ces matières ou à les rendre beaucoup plus difficiles d’accès. Il faudrait également s’assurer que les ventes de combustible nucléaire civil à des états non signataires du TNP, comme l’Inde n’encouragent pas la concurrence nucléaire comme celle qui oppose cette dernière au Pakistan. 63 Les états fournisseurs de nucléaire devraient en outre encourager à une plus grande honnêteté sur les défauts du système de garantie nucléaire de l’AIEA et faciliter l’identification des inspections non fiables en matière de détection. Enfin, il est indispensable de s’intéresser davantage au déploiement des systèmes non nucléaires afin que l’intérêt ou la dépendance des états à l’égard du nucléaire s’amenuisent. Il faudrait dans ce domaine, intensifier les efforts visant à limiter les missiles balistiques offensifs à capacité nucléaire. Ces recommandations ont l’avantage d’être applicables dès aujourd’hui. D’un autre côté, leur mise en œuvre n’est soumise à aucun délai précis. Dans ce domaine, comme pour tout problème important, il suffit simplement de s’y mettre. 64 Glossaire et liste des abréviations AIEA Agence internationale de l'énergie atomique CEGB Central Electricity Generating Board CLE en MAINS Contrat forfaitaire comprenant la conception et la construction de l’ensemble de la centrale COL Permis américain de construction et d’exploitation COÛT instantané (ou coût net de construction) : les coûts de construction d’une centrale nucléaire, comprenant le coût du premier combustible mais pas les frais financiers. DOE US Département de l'Énergie des États-Unis EIA Agence américaine d'information sur l'énergie EPACT Loi sur la politique énergétique RNR Réacteurs à neutrons rapides ou Réacteur surgénérateur rapide GDA Procédure d’évaluation de la conception des réacteurs IDC Intérêts durant la construction NII Inspection des installations nucléaires britannique NINA Nuclear Innovation North America NRC US Autorité de sûreté nucléaire américaine O&M Exploitation et maintenance PIU Unité performance et innovation britannique RCTM Régime de contrôle de la technologie des missiles REB Réacteur à eau bouillante REL Réacteur à eau lourde (incluant Candu) REP Réacteur à eau pressurisée RBMK Réacteur russe utilisant l’eau et le graphite RRG Réacteur refroidi au gaz START Traité de réduction des armes stratégiques TGCC Turbine à gaz à cycle combiné TICE Traité d'interdiction complète des essais nucléaires TNP Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires VVER Réacteur à eau pressurisée russe Otfried Nassauer est un journaliste freelance et un chercheur pour la paix qui a étudié la théologie à Hambourg. Depuis 1991 il dirige le Centre d'Information de Berlin pour la Sécurité Transatlantique (BITS). Nassauer s'intéresse particulièrement à la politique de sécurité et les organisations internationales liées à la sécurité (l'OTAN, l'UEO, l'UE, l'OSCE, l'ONU), le contrôle et les exportations des armes, le désarmement, les armes nucléaires et la prolifération. Parmi ses dernières publications figurent des analyses de la politique nucléaire des États-Unis, de la Russie, l'Iran et l'OTAN. Il est l'auteur et l'éditeur de nombreux livres. Contact: www.bits.de Henry D. Sokolski est le directeur exécutif du Centre d'éducation de politique de non prolifération (NPEC) basé à Washington. L’objectif de l’association, fondée en 1994, est la promotion d’une meilleure compréhension des questions de prolifération d'armes stratégiques dans le monde politique, le monde universitaire et les médias. Il est aussi professeur adjoint à l'Institute of World Politics de Washington. En tant que membre de la Commission pour la prévention de la prolifération des armes de destruction massive et du terrorisme du Congrès, Henry Sokolski est l’auteur et l’éditeur d'un grand nombre d'ouvrages et publications. Le danger de prolifération nucléaire est proportionnel au nombre de nouvelles centrales dans le monde entier. Malgré tous les efforts de régulation de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la limite entre l’usage civil et militaire de cette technologie, n’est pas infranchissable. L’exemple le plus récent en est l’Iran. En fin de compte, nul ne peut être contraint à se soumettre à des contrôles. L’expansion de l’énergie nucléaire fait naître le besoin croissant de construire des installations de retraitement et des surgénérateurs rapides pour produire le combustible nucléaire. Ceci entraîne une amplification de la circulation de plutonium qui elle-même a pour effet de produire d’énormes quantités de matière fissile pouvant servir à la fabrication de bombes : un cauchemar ! À la veille de la Conférence d’examen du Traité sur la nonprolifération des armes nucléaires (TNP) en mai 2010, les grands pays se sont concentrés comme jamais auparavant sur la réduction des stocks actuels d’armes nucléaires américain et russe, sur la fin de l’intensification du programme nucléaire de Pyongyang, et l’arrêt des activités de l’Iran en matière d’armes nucléaires. L’espoir étant que tous ces efforts se renforcent mutuellement et que les avancées en matière de réduction des armes nucléaires incitent les états non dotés de l’arme nucléaire (ENDAN) à éviter les activités productrices de combustible nucléaire civil dangereuses. Ces attentes risquent cependant de ne pas se concrétiser. À moins d’un changement de régime en Corée du Nord ou en Iran, le renoncement de Pyongyang à son arsenal nucléaire et l’arrêt des activités iraniennes en matière d’armes nucléaires restent très improbables. Les chances que la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël parviennent à un accord sur la réduction du nombre d’ogives semblent par ailleurs, encore plus minces. Si les tendances actuelles persistent, la sécurité internationale sera mise à l’épreuve durant les deux prochaines décennies comme jamais auparavant. Le risque de prolifération : dilemme du nucléaire civil et militaire ECOLOGIE Rue d’Arlon 15, -1050 Bruxelles, Belgique T +32 2 743 41 00 F 32 2 743 41 09 E [email protected] W www.boell.eu ECOLOGIE UNION EUROPÉENNE Le risque de prolifération : dilemme du nucléaire civil et militaire