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LE JEU. ORDRE ET LIBERTÉ
Anne Gimbert,
Présidente d’almoreal
À l’heure où les frontières entre le jeu et la réalité sont souvent diffuses, pourquoi ne pas s’interroger sur la notion du jeu, dans son aspect fondamental, ses
particularités et ses limites ? Se caractérisant par sa complexité et sa diversité,
le jeu répond à la fois à une action libre et à l’obéissance à des règles, il associe
le permis et le défendu, la faculté d’inventer à l’intérieur de la rigueur et allie
l’incertitude, le risque, le hasard, la fortune et la stratégie. Autant de traits que
le jeu littéraire et/ou artistique explore et sur lesquels il se construit et se structure.
Le Jeu. Ordre et Liberté, tel est donc le thème de réflexion auquel se sont
livrés les vingt-six enseignants chercheurs dont les contributions sont réunies
dans cet ouvrage et qui sont offertes au lecteur distribuées en quatre parties.
Dans tout jeu intervient un espace de liberté et c’est parce qu’elle n’a pu le
trouver dans sa tentative de traduire Sainte Thérèse d’Avila qu’Aline Schulman
nous a entrainés vers des « jeux interdits » lors de sa conférence inaugurale.
Comment traduire une auteure qui cadenasse sa pensée, interdit toute promenade à l’intérieur du texte, censure toute marge de liberté et proscrit toute possibilité de jeu ? C’est donc par un constat d’échec que s’est ouvert le colloque,
celui d’une traductrice qui renonce car elle se heurte à l’absence de doute, et de
mystère qui fait les délices d’un texte et ceux de son traducteur. La partition du
duo Sainte Thérèse/Aline Schulman n’a pas pu se jouer.
La relation de correspondance qu’entraine le jeu, voire son pouvoir spéculaire peuvent être utilisés dans le contexte social par le roman, le théâtre ou
l’art pictural. Les jeux de cartes par exemple dans la communauté séfarade
d’Amsterdam au xviie siècle peuvent être la métaphore de la vie (F. Copello),
les divertissements dans El matadero de Echeverría peuvent devenir le versant
tragique de l’existence (O. Caro), le théâtre de Denis Molina être le miroir
ludique de la réalité (C. Chantraine Braillon) ou chez Romero Esteo, par son
côté grotesque et carnavalesque, refléter les figures du pouvoir (S. FaureGignoux). Quant à la peinture d’Eduardo Arroyo et Equipo Crónica, par sa
manipulation irrévérencieuse des icônes, elle s’affirme comme résistance au
système (L. Lorenzo-Martin).
Dans sa complexité, le jeu appelle aussi la duplicité. Le personnage du fou
peut être un moyen efficace pour représenter la dissidence dans le théâtre
10 – le jeu. ordre et liberté
espagnol du début du xxe siècle (D. Coste), le jeu de rôle chez Vargas Llosa
peut donner à la femme le moyen de s’émanciper (M. M. Gladieu). Quant à
l’image cinématographique de Fabián Bielinsky elle sert la rouerie et manipule le spectateur (A. Gimbert). Le football et la création littéraire dans des
œuvres de Ramírez y Bubo et Bolaño peuvent devenir révolutionnaires s’ils
transgressent les règles (E. Oviedo). Dans un contexte de violence sociale, si
la vie est conçue comme un jeu et les jeux de mots comme un acte véritablement ludique, l’acte de langage d’un personnage de Raúl Guerra Garrido permet de survivre à la solitude (M. D. Alonso Rey). Face à la mort, le jeu, dans
les récits de Lezama Lima, devient passeur de frontières et permet de dominer
la Faucheuse (T. Barège), ou alors, au sein du couple chez l’auteur portoricain
Luis Rafael Sanchez, il invite au sacrifice pour que l’autre vive ou à la fourberie
pour qu’aucun des deux ne survive (D. Nouhaud). Enfin, on peut se demander
à quel jeu joue Diego Rivera entre l’image qu’il donne de lui-même et son rapport au régime post-révolutionnaire ? (A. C. Hornedo).
Pour certains auteurs, le jeu repose essentiellement sur la stratégie narrative
ou poétique. Soit, il est invitation à résoudre des énigmes et le lecteur de Los
detectives salvajes de Roberto Bolaño devient détective (J. Zárate), soit, pour
l’écrivain uruguayen Mario Levrero il s’emploie à le surprendre pour maintenir son attention (F. Idhmand). L’écriture, parce qu’elle joue avec les mots
devient alors désaliénante et le lecteur de Jardiel Poncela invité à jouer avec les
mots, rit de ses propres habitudes de lecture (C. François). Les jeux de mots
aident aussi à démonter les mécanismes de la création littéraire chez Isaac Rosa
(G. Palomar) et prouvent si besoin est, la grande liberté créatrice d’un auteur
à l’instar de Pablo Neruda (B. Santini). Par ses modalités ludiques, l’écriture
invite à la subversion comme dans les récits de bohème littéraire du début du
xxe siècle (X. Escudero) et par le biais de la devinette et de l’énigme poétique,
celle de Nicolás Guillén, José Martí et Nancy Morejón permet la rénovation
des traditions populaires (S. Hernandez).
Enfin et pour clore cette brève présentation on peut se demander si le jeu
ne serait pas une stratégie permettant au « je » de s’affirmer ? Le puzzle auquel
joue l’héroïne du film Rompecabezas l’aiderait à établir un équilibre entre ellemême et les autres (A. Delgado) ; grâce au jeu, la fiction de Soledad Puértolas permettrait à l’auteure de se cacher et de se dévoiler (E. Romón) et chez
Diamela Eltit, les jeux d’enfants, fragiles et éphémères, seraient le reflet de
son propre jeu (C. Pelage). La comedia, lorsque l’auteure est une femme, ne
révèlerait-elle pas son pouvoir démiurgique et du coup la liberté de la femme
(I. Rouane Soupault) ? Quant au théâtre, en tant qu’expérience de travail avec
des étudiants, il permettrait tout simplement de montrer que ne pas vouloir
« jouer le jeu » signifie s’exclure (B. Natanson).
TABLE DES MATIÈRES
7. Avant-propos, par Anne Gimbert.
9. Anne Gimbert.
Le Jeu. Ordre et Liberté.
11. Aline Schulman.
Les jeux interdits : traduire Sainte Thérèse d’Avila.
Jeu et société
23. Olga Caro.
El Matadero d’Esteban Echevarría et les jeux de l’abject.
31. Cécile Chantraine Braillon.
Jeux dangereux dans le théâtre de Carlos Denis Molina ?
41. Fernando Copello.
Naipes, juego y sociabilidad: un lugar de encuentro entre
los miembros de la comunidad ibérica de Amsterdam en el siglo xvii.
49. Sophie Faure-Gignoux.
Le théâtre ludique en liberté de Miguel Romero Esteo :
un jeu d’enfant !
59. Lorenzo Lorenzo-Martín.
La subversión por la imagen en el tardofranquismo. Juegos
iconoclastas en la pintura de Eduardo Arroyo y Equipo Crónica.
Jeu et double jeu
75. María Dolores Alonso Rey.
Juego y trampa en La soledad del ángel de la guarda
de Raúl Guerra Garrido.
87. Thomas Barrège.
À la vie, à la mort, jeu d’échecs et osselets chez José Lezama Lima.
97. David Coste.
Jouer la folie dans le théâtre espagnol des années 1920 :
le cas de Sinrazón et Tararí.
109. Anne Gimbert.
Échec et mat dans Las nueve reinas (Les neuf reines)
de Fabián Bielinsky.
117. Marie-Madeleine Gladieu.
Les jeux de rôle au féminin : Flora, Lucrecia, Otilia, etc.
125. Ana Cecilia Hornedo Marín.
¿ A qué juega Diego Rivera ?
133. Dorita Nouhaud.
Jeux du désamour et du hasard. Luis Rafael Sánchez :
La hiel nuestra de cada día, théâtre, 1962.
« La parentela », conte, 1962 (En cuerpo de camisa, 1966).
143. Ramiro Oviedo.
Quinielas y fútbol: la Universidad desconocida de Andrés Ramírez
y Buba (Roberto Bolaño).
Jeu et stratégie narrative
157. Xavier Escudero.
Jeu narratif et écriture ludique dans El sable. Arte y modos de sablear
(1925) de Pedro Luis de Gálvez.
169. Cécile François.
Jeux et enjeux de l’écriture humoristique
dans la trilogie de Jardiel Poncela.
181. Sandra Hernández.
La devinette dans la poésie cubaine : jeux poétiques et identitaires.
193. Fatiha Idmhand.
L’écriture ludique de Mario Levrero.
207. Gregoria Palomar.
¡ Otra maldita novela sobre la guerra civil ! Isaac Rosa.
Le jeu métalittéraire : une vision distanciée de la mémoire historique.
217. Benoît Santini.
Le jeu dans le Libro de las preguntas (1974) de Pablo Neruda :
énigme, concision formelle et polysémie interprétative.
229. Julio Zárate.
Ironía y juego: Función de las adivinanzas y acertijos
en Los detectives salvajes de Roberto Bolaño.
Jeu et figure du je
243. Aurora Delgado-Richet.
Jeu de (re)construction, (re)construction du je :
Rompecabezas (2009) de Natalia Smirnoff.
255. Brigitte Natanson.
Jeu théâtral et apprentissage de l’espagnol à l’université.
267. Catherine Pélage.
Escritura y juegos de niños en El cuarto mundo
de la novelista chilena Diamela Eltit.
273. Eugénie Romon.
Jeux et joueurs dans l’œuvre de Soledad Puértolas.
283. Isabelle Rouane Soupault.
Les jeux de l’Amour et de la Providence dans Dicha y desdicha
del juego y devoción de la Virgen de Ángela de Azevedo.