Les mouches - Petites histoires d`artistes

Transcription

Les mouches - Petites histoires d`artistes
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SALVADOR DALI (1904-1989)
Les mouches
Cadaqués, 1935. Dans son village de Catalogne, le jeune Salvador observe les mouches…
Lorsqu’il était enfant, Salvador Dali était fasciné par les mouches, comme celles qu’on voyait dans les vignes et sur
les oliviers. Il faut dire qu’en ce temps-là, il y avait énormément de mouches à Cadaqués, car il y avait toujours, sur
le port, des pêcheurs qui nettoyaient leurs filets ou des femmes qui préparaient leurs poissons devant leur maison.
Salvador passait des heures à observer les mouches qui fondaient sur leur proie en escadrilles serrées. Son père lui
avait expliqué que les yeux des mouches étaient faits d’une quantité de petites facettes paraboliques qui leur
permettaient de voir à la fois de près et de loin, dans toutes les directions.
Salvador Dali :
Tête paranoïaque, 1935
Cygnes réfléchissant des éléphants,
1937.
Et depuis ce jour-là, Salvador avait essayé de regarder le monde avec des yeux de mouche : si on regardait les
choses en écarquillant les yeux comme pour accommoder son regard sur un point situé plus loin, on pouvait
imaginer, par exemple, qu’un groupe de personnes sur une plage pouvait former comme un visage, ou que les reflets
de trois cygnes sur un lac pouvaient ressembler à trois éléphants.
Copyright : Sylvie Léonard – Petites histoires d’artistes – 2012
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En grandissant, Salvador était devenu tellement fort en regard de mouche que quand il regardait au loin les rochers
de Cadaqués, il pouvait voir à sa guise un homme couché, une paysanne assise, une barque, une mandoline, un
visage souriant ou un cheval courant.
Salvador Dali :
L’énigme sans fin, 1938.
Le marché aux esclaves, 1940.
A force de s’entraîner à regarder le monde de plusieurs points de vue en même temps, Salvador arrivait à mélanger
mentalement ce qui était autour de lui et ce qui était caché quelque part dans sa mémoire. Un groupe de paysannes
au marché pouvait lui faire penser au buste de Voltaire qui servait autrefois de presse-papier à son père.
Salvador Dali :
La métamorphose de Narcisse, 1937.
Portrait de Mae West, 1934-35.
Ou la silhouette de Narcisse et son reflet dans l’eau pouvaient se transformer, comme dans la légende, en une main
de pierre portant un narcisse…
Un jour, même, il avait décoré son salon d’une telle façon qu’on pouvait voir, en y entrant, le portrait d’une star
célèbre. Il appelait cette façon de voir la « méthode paranoïaque ».
Copyright : Sylvie Léonard – Petites histoires d’artistes – 2012
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Salvador se souvenait encore de la première fois où il était allé voir une corrida avec son père à Figueras :
Au moment où le taureau était tombé sous les coups du toréador, il avait vu une nuée de mouches tourner autour de
son mufle blessé, et l’une d’entre elles était venue se poser juste sur son œil.
Cette image l’avait bouleversé, il y avait souvent repensé.
Salvador Dali :
Etude pour le toréador
hallucinogène, 1969.
Le toréador hallucinogène, 1969.
Et lorsque, des années plus tard, Salvador Dali voulut représenter cette scène, il mélangea dans son tableau l’ombre
des mouches et la tête du taureau, son chien Titan avec une flaque de sang, les banderilles avec les broderies du
costume et le visage tout entier du toréador avec la Vénus de Milo, qu’il voyait autrefois sur le bureau de son père.
Copyright : Sylvie Léonard – Petites histoires d’artistes – 2012

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