Retour sur quelques notions-clé de la sociologies des usages des TIC
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Hélène Bourdeloie École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon FRANCE Retour sur quelques notions-clé de la sociologies des usages des TIC: le cas des cédéroms de musée NOTA BENE _________________________________________________________ L'accès aux textes des colloques panaméricain et 2001 Bogues est exclusivement réservé aux participants. Vous pouvez les consulter et les citer, en respectant les règles usuelles, mais non les reproduire. Le contenu des textes n'engage que la responsabilité de leur auteur, auteure. Access to the Panamerican and 2001 Bugs' conferences' papers is strictly reserved to the participants. You can read and quote them, according to standard rules, but not reproduce them. The content of the texts engages the responsability of their authors only. El acceso a los textos de los encuentros panamericano y 2001 Efectos es exclusivamente reservado a los participantes. Pueden consultar y citarlos, respetando las pautas usuales, pero no reproducirlos. 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En effet, contrairement à certaines TIC comme la télévision ou l'Internet, le cédérom n'est pas un service mais un bien de consommation – bien qui se situe à mi-chemin entre l'objet technique et l'objet culturel (Davallon et Le Marec, 2000). Ainsi, comme l'ont montré Joëlle Le Marec et Jean Davallon (ibid., p.175): "l'objet cédérom relève d'une catégorie qui n'est pas nécessairement (ou simplement) celle des objets techniques, des machines et de leurs périphériques, mais qui est aussi celle des livres, des vidéos etc." Et de constater "que se pose la question du lien entre usages et pratiques culturelles" (ibid., p.176). C'est notamment cette observation qui motive la présente analyse. Dès lors, il s'agit de revisiter quelques notions, notamment celle d'usage à l’aune de la sociologie des usages des TIC, et ce, dans les limites de cette communication. Puis nous livrerons quelques résultats de notre enquête sur les cédéroms de musées. DE L'USAGE À l'USAGE SOCIAL L'émergence de la notion d'usage Depuis près de deux décennies, la notion d'usage a été mobilisée par un nombre important de recherches consacrées à la sociologie des TIC. Mais ce sont néanmoins ces dernières années que les recherches sur les usages des TIC se sont révélées fécondes et que la notion d'usage est devenue l'objet d'enjeux théoriques et de clivages comme en témoigne la littérature se référant aux TIC. Au risque de paraître redondant, on rappellera donc que cette notion a émergé dans les années 80 avec les TIC caractérisées par l'interactivité mettant en avant la figure active de l'usager. Pourtant comme le remarque Josiane Jouët (2000, p. 493), cette notion n'était pas récente puisqu'elle s'impose dans les années soixante avec la tradition de recherche anglo-saxonne dite des "uses and gratifications" qui renverse le paradigme des effets au profit d'une analyse sur ce que les "individus font des médias". Or, c'est sur cette problématique que repose l'appropriation sociale des TIC – dans la perspective de l'approche de l'appropriation - la question étant de savoir ce que les gens font des TIC plutôt que ce que les TIC font aux gens (Chambat, 1994b, p.46). Néanmoins, cette réhabilitation du rôle actif de l'usager dans la recherche (dans les années 80) doit certainement aux travaux de Michel de Certeau. Dans son ouvrage, de Certeau n'emploie jamais l'expression "usager" pour désigner celui qui utilise les médias (Méadel, Proulx, 1993, p.9) mais il utilise le terme "usages" qui renvoie à des "manières de faire", des "opérations d'emploi". L'auteur reste pionnier en ce que son analyse fait poindre l'écart "plus ou moins grand" entre production et consommation. Ainsi, le "consommateur" appréhendé par de Certeau n'est pas un être passif mais actif, qui "fabrique" du sens (ibid, p.10). La notion de consommation, employée par l'auteur, prend ici un tout autre sens que celle du modèle classique de l'économie de marché (ibid., p.12). Incontestablement, les premières études en sociologie des usages qui situent l’usager au premier plan s'inspirent des écrits de de Certeau. Mais ce pouvoir accordé à l'usager a probablement engendré l’ambiguïté et la polysémie qui caractérisent la notion d'usage, celle-ci recouvrant de multiples dimensions: l'usager étant consommateur, mais aussi utilisateur, client, "tacticien" etc. La notion d'usage l'a donc emporté dans la littérature consacrée aux TIC car elle avait davantage vocation à rendre compte de la complexité du phénomène de réception. Les termes de "récepteur" ou de "consommateur" employés pour les médias de masse apparaissaient trop réducteurs pour désigner l'usager des TIC. En effet, le 1 Il s'agit d'une recherche en cours dans le cadre d'une thèse de doctorat en sciences de l'information à l'université Paris II, sous la direction de Josiane Jouët. La présente analyse est tirée de cette recherche: treize entretiens approfondis auprès de possesseurs de cédéroms de musées ont été réalisés en contexte privé. Nous avons également recueilli des données hors situation d’enquête, au cours de nos conversations informelles. Les résultats présentés n'ont évidemment aucun caractère représentatif. 2 Par cédérom de musée, nous faisons ici référence au cédérom dont le contenu est culturel, en relation avec les musées ou les expositions. terme de "consommateur" connote une démarche passive et renvoie à la simple consommation qui évoque un schéma économiste linéaire et causal offre/demande où l'utilisateur n'a aucune résistance mais est seulement envisagé en tant que réponse à une offre. Or, ce modèle ne résiste pas à l’analyse des TIC. Toutefois, la notion d'"usage" tant mobilisée par la recherche semble entourée d'un flou conceptuel, lié notamment aux problématiques de recherche3, et a rarement été défini. A cet égard, Josiane Jouët (1993, p.371) a par exemple distingué l'"usage" de la "pratique" : "l'usage est cependant plus restrictif et renvoie à la simple utilisation tandis que la pratique est une notion plus élaborée qui recouvre non seulement l'emploi des techniques (l'usage) mais aussi les comportements, les attitudes et les représentations des individus qui se rapportent directement ou indirectement à l'outil", et l'auteur reconnaît elle-même que "la distinction entre les deux notions est souvent ténue car les termes sont dans la littérature fréquemment employés l'un pour l'autre" (ibid.). Il est vrai que dans la littérature, la notion d'usage a été ennoblie et a largement rejoint ce que Josiane Jouët désigne comme "pratique". En tout cas, il semble opportun d'avancer comme principe consensuel le fait que l'usage déborde de l'utilisation, entendue au sens ergonomique (Davallon et Le Marec, 2000, p.176) et que le rapport à la technique n'est pas purement instrumental (Chambat, 1994b p.52). Dès lors, la notion d'usage incline à s’attacher à la dimension sociale. Le temps de l'"usage social" Pour s'affranchir du flou qui entoure la notion d'usage, certains auteurs parlent d'"usages sociaux" (Lacroix, 1992, 1994; Pronovost, 1994) pour désigner des pratiques qui se structurent dans le temps. Ainsi, il convient de parler d'"usages sociaux" à partir du moment où "des modes d'utilisation se manifestent avec suffisamment de récurrence, sous la forme d'habitudes relativement intégrées dans la quotidienneté, pour être capables de se reproduire et éventuellement de résister en tant que pratiques spécifiques ou de s'imposer aux pratiques culturelles préexistantes" (ibid.). Or, l'intérêt de cette définition repose sur la considération du temps dans la constitution de l'usage social. Dans le cas du cédérom culturel, cette dimension n'est pas négligeable comme en témoigne l'engouement en France pour le cédérom culturel qui a connu à ses débuts une situation exceptionnelle. Le succès du cédérom Le Louvre, peintures et palais, vendu à plus de 160 000 exemplaires en est l'illustration la plus frappante. Ce succès tenait manifestement à la notoriété du musée mais également à l'attrait pour l'innovation technologique. Aujourd'hui, les parts de marché du cédérom culturel ont considérablement baissé et l'offre éditoriale commence seulement à se stabiliser4. Or, comme le remarquent les auteurs, comment les utilisations peuvent-elles se stabiliser si la technologie ne l'est pas elle-même (Lacroix et al., 1992)? En ce qui concerne l'édition multimédia, l'évolution du dispositif technologique se poursuit régulièrement ce qui n'est pas sans répercussion sur les usages. Ainsi, il s’avère que les personnes ne peuvent plus renouveler leurs cédéroms car leurs appareils ne pourront les lire ou a contrario, que certains usagers sont frustrés de par l'écart entre leur matériel sophistiqué et le caractère obsolète de leurs cédéroms. L'évolution technique dans le temps influe donc sur les usages et doit être prise en compte pour la constitution de ceux-ci. À cet égard, la première étude sur les usages de cédéroms de musées5 (Davallon et al., 1997) avait d'ailleurs fait le constat que les usages n'étaient pas encore "construits": "tout portait à penser que les usagers n'étaient pas encore massivement engagés dans le processus d'appropriation de l'objet" (ibid., p.9). Ce constat invite à considérer la dimension temporelle dans la constitution de l'usage. A partir de ces considérations, le terme "usage" recouvre diverses dimensions qu'il s'agit d'explorer en regard de cette enquête. Ici, le terme "usager" sera utilisé pour désigner tout possesseur de cédérom(s) culturel(s) que celuici soit acheteur, consommateur, usager assidu etc. DE LA CONSOMMATION A LA PRATIQUE CULTURELLE Le cédérom: produit de consommation 3 On peut se rapporter sur ce point à l'article de Pierre Chambat (1994a) qui présente de manière synthétique les différentes problématiques de la sociologie des usages. 4 A ses débuts, le cédérom culturel représentait plus de 20 % des parts de marché en volume alors qu'il représente aujourd'hui à peine 10 %. 5 Cette enquête s'est déroulée en 1996 et il s'agissait donc des premiers cédéroms. Or depuis, d'une part le secteur de l'édition multimédia a évolué, d'autre part on peut supposer que l'effet de nouveauté de l'innovation a pu induire sur les résultats de l'enquête qui auraient certainement une autre teneur aujourd'hui. C'est d'ailleurs un aspect souligné par les auteurs. Avant d'entrer plus avant dans l'analyse, on conviendra que le cédérom, comme tout autre produit culturel tel le livre, la cassette vidéo etc. a une dimension consommatoire. D'emblée, l'acquisition du cédérom quelqu'elle soit, copiage, achat, cadeau ne signifie pas qu'il y ait usage de l'objet: "la consommation, pratique d'achat, n'est pas jusqu'à nouvel ordre une pratique culturelle, même si on peut lui accorder une dimension culturelle", remarque Joëlle Le Marec (1998, p.28). Or, nous avons rencontré plusieurs individus se livrant volontiers à ce type de pratique. Et on peut aisément avancer que les facilités de copiage avec l'émergence des graveurs contribuent à accroître cette tendance. Dans ce cas, c'est une logique de projet d'usage qui semble ici sous-jacente, logique qui n'est pas seulement celle du cédérom culturel mais également celle d'autres objets comme le livre ou la vidéo etc. On consomme des "potentialités": on sait qu'on pourra en faire usage à un moment, ce qui équivaut à ce que nous entendons ici par "projet d'usage", mais qui ne correspond pas nécessairement à un usage effectif. Ainsi, se trouve cet informateur qui songe à sa retraite: "les CD, on les conserve, c'est facilement transportable, facilement "recopiable". (…) Je me dis, je ferai ça à la retraite. C'est comme les films que j'enregistre et que je regarderai quand j'aurai le temps. (…) On se les grave et on met ça dans un coin". Ou encore cet ingénieur informatique qui acquiert ses cédéroms par piratage, essentiellement par le club du comité de son entreprise, et qui les consulte peu: "et puis y'a le futur, les enfants, je sais pas ce qu'ils vont faire plus tard (…) le jour où mes enfants en auront besoin ben tiens, on sort ci, on sort ça". Le coût du cédérom reste cher et est souvent évoqué comme un frein à l'achat du "produit". À ce titre, il est notable que la manière dont le cédérom a été acquis influe sur l'"usage" de ce dernier. Ainsi plusieurs informateurs qui ont copié ces cédéroms culturels n'auraient probablement pas fait acquisition de ces objets s'il avait fallu les acheter. La pratique du copiage est donc intéressante puisqu'elle permet l'accès de ces objets à des personnes qui sans ce mode, n'y auraient pas eu accès. D'ailleurs, plusieurs usagers déclarent spontanément pirater leurs cédéroms. Un d'entre eux me fait part de sa stratégie employée pour prendre possession de quelques cédéroms: c'est à la FNAC où on pouvait acheter les cédéroms et on avait 15 jours pour les rendre - pendant ce temps, on avait la possibilité de les copier. Lorsque le cédérom a été copié, sa faible ou "non-utilisation" n'engendre pas de sentiment de culpabilité puisqu'on l'a acquis pour une modique somme, ce qui est moins le cas lorsque le cédérom a été acheté, d'autant plus de son propre chef. Puis contrairement au livre qu'il est possible de consulter avant achat, il n'en va pas de même pour le cédérom: les magasins tel la FNAC par exemple se sont vite aperçus des ruses des consommateurs et ont conséquemment interrompu ce service de consultation avant achat. Dans certains cas, la pratique du copiage, d'achat, semble s'en maintenir là sans qu'il n'y ait appropriation de l'objet - probablement parce que les usagers potentiels n'ont exprimé aucune attente précise par rapport à l'objet et n'ont donc pas construit d'usage selon leurs sources d'intérêt. Devant ce "faible usage" ou "non-usage", les usagers invoquent souvent "le manque de temps". Or, si dans ses travaux, Gilles Pronovost (1994, p. 387) a montré que le "manque de temps" traduisait l'intensité des pratiques culturelles – nous avons également fait ce constat - mais il apparaît aussi que le temps peut-être consacré à d'autres activités qui ne relèvent pas toujours des pratiques culturelles sinon que les usagers investissent leur temps dans d'autres activités plus dignes d'attention pour eux. Toutefois, à travers ce comportement consommatoire, se dégagent deux profils d'usagers à savoir ceux qui n'ont pas une pratique assidue de la visite du musée lesquels ont acquis le plus souvent le cédérom par piratage et ceux qui ont une pratique plus régulière de visite et pour qui le cédérom culturel s'inscrit dans un corps de pratiques qui lui précèdent. On constate ainsi que la possession des cédéroms de musée n'est pas liée directement à la pratique de visite même si cette observation reste la plus fréquente. Dans ce second profil, le cédérom a été acheté parce qu'il correspondait aux centres d'intérêt et son usage est investi d'un ensemble de significations. Nous faisons ici référence aux recherches sur les "significations d'usage" mais surtout à Gilles Pronovost (1996 p.65) qui, au sujet des pratiques culturelles, entend par "significations" un système de normes et de valeurs qui donnent sens aux pratiques des individus à savoir les finalités, les motivations à l'œuvre sous-jacentes à l'exercice de cette pratique. Ainsi, avant une visite, le cédérom peut avoir le rôle d'un guide, après, il peut avoir valeur de souvenir6 etc. Ce sens accordé à l'objet nous amène à penser que 6 Cet aspect avait d'ailleurs été relevé par l'enquête de Jean Davallon, Hana Gottesdiener et Joëlle Le Marec (1997). l'usage des cédéroms de musée a partie liée avec les pratiques culturelles lesquelles sont alors sous-tendues par diverses dimensions comme le temps, la trajectoire de vie des individus, leur habitus etc.7 Ce lien à la pratique culturelle peut apparaître sous plusieurs formes: le cédérom peut être envisagé en tant que pratique complémentaire par rapport à des pratiques antérieures, il peut être l'objet de confrontation à la visite, appréhendé en tant que complémentarité ou en tant que substitut, enfin il peut prendre place parmi les pratiques culturelles et prendre la forme d'un usage social. L'usage du cédérom comme complément à la visite Il ressort de l'enquête que les informateurs confrontent le cédérom à d'autres objets culturels comme le livre, la cassette vidéo ou encore à la visite8. Il vient alors s'ajouter à d'autres pratiques antérieures, ce qui va dans le sens de la recherche en sciences de l'information qui montre que les usages sont souvent le prolongement de pratiques sociales déjà formées (Jouët, 2000, p.500). Nous avons affaire à trois informatrices confrontées à ce type d'usage. Ainsi une pratiquante intense des musées a acheté la plupart de ses cédéroms de musées après la visite d'exposition, à la place du catalogue d'exposition qui est à peu près aussi coûteux que le cédérom alors que ce dernier prend beaucoup moins de place. C'est un peu dans cette optique qu'une autre informatrice a acheté ses cédéroms après des visites qui ont pour elle valeur de souvenir, ou encore cette consommatrice qui diversifie les supports la reliant à l'art. Dans cette perspective, le cédérom est un support supplémentaire qui participe à l'univers artistique de ces personnes qui ont déjà une pratique intense de visites, des livres d'art et une grande participation à toutes sortes d'activités culturelles. Néanmoins, le point commun entre ces informatrices reste la relative consultation de ces produits en regard des autres objets comme le livre ou même la visite. Elles ne sont parvenues à construire un usage et l'une d'entre elles, avec regret, reconnaît qu'elle entretient ce même rapport d'usage avec les livres peu ouverts. Le cas de ces informatrices est exemplaire en ce qu'il illustre le fait que si cette consommation ne donne pas lieu à un usage constitué, elle vient néanmoins s'inscrire dans un environnement culturel qui lui préexiste et c'est à ce titre que le cédérom est investi d'une légitimité. Le cédérom: objet de confrontation avec la visite Ensuite, la corrélation avec la pratique culturelle se manifeste par les comparaisons qu'établissent la plupart des informateurs entre la pratique du cédérom de musée et la visite dans l'enceinte physique du musée, alors que les autres objets, au stade de l'enquête, ne suscitent pas cette comparaison. Sur ce point, les "visites virtuelles" proposées par les éditeurs du fait des possibilités techniques offertes par le cédérom invitent probablement les usagers à comparer spontanément la consultation à domicile à la visite dans l’enceinte du musée. Or, dans ce petit échantillon, il y a lieu de mettre en relation la familiarisation entretenue avec le musée et la déclaration explicite pour une préférence pour la visite dans le lieu physique. Ainsi, comme le dit cette pratiquante assidue "moi le cédérom, j'ai un peu plus de mal car c'est finalement dans ton environnement quotidien que tu le regardes et c'est pas le même charme et tout ça (…) pour moi le musée, c'est pas simplement le fait de se balader dedans, c'est aussi de le vivre, d'être dedans et tout ça". A contrario, les moins familiers avec l'univers muséal ne manifestent pas ce désir d'expérience "en vrai" et appréhendent le cédérom comme un éventuel substitut. Il y a par exemple cet usager qui habite en province et qui a acheté le DVD-Rom du Louvre car cette visite virtuelle permet de compenser les inconvénients dus à leur situation géographique: "on voulait acheter le DVD du Louvre parce que bon, c'était plus facile pour nous, une sorte de voyage sans se déplacer (…) parce qu'on est quand même loin de Paris (…) et le parking, faut se garer, on perd la journée quoi pour aller voir un musée". Pour lui, le cédérom via les fonctionnalités techniques comme la loupe, le zoom, les commentaires sonores etc. est plus efficace que la simple visite sur place. Un autre usager, peu intéressé par les musées, très déçu par le cédérom du Louvre, pense que le cédérom peut permettre de découvrir des choses là où on ne peut se rendre. Il s'indigne contre ceux qui considèrent qu'il faut avoir le contact avec l'œuvre: "c'est des trucs d'élitistes de dire faut le voir dans la réalité". Ne supportant ni la foule ni la perte de temps, il se déplace peu au musée. Le cédérom peut donc faire l'économie des visites. Pourtant, cette idée semble davantage relever du discours que de la réalité. 7 Sur ce point, on peut se rapporter aux travaux de Gilles Pronovost (1994, 1996) dont nous partageons l'approche sur la notion de pratique culturelle. 8 Ce résultat ressortait également de la première enquête sur les cédéroms de musées (Davallon et al., 1997). Sur la question de la complémentarité entre cédéroms et autres pratiques, voir également Jean Davallon et Joëlle Le Marec (2000). Dans le cas de ces deux informateurs, cette question du cédérom en tant que substitut appelle une remarque: il ne s'agit pas ici d'une pratique de visite abandonnée au profit du cédérom culturel sinon de faibles pratiquants des musées qui, in fine se révèlent également de faibles usagers. Il apparaît dans ce cas que ce discours sur le substitut soit plus de l'ordre de la représentation que de l'usage effectif. Les "usages sociaux" du cédérom Le cédérom peut faire l'objet d'un usage social qui renvoie dès lors à un usage construit qui se traduit par des habitudes. L'usage ainsi constitué peut s'inscrire dans un cadre de références culturelles plus global ou/et avoir un caractère autonome soit faire l'objet d'un investissement intense et non lié directement à la pratique de visite. On remarque néanmoins que cet usage social prend appui sur des pratiques préexistantes, que celles-ci concernent les visites de musées et d'expositions, ou d'autres biens culturels. On assiste dès lors à un continuum d'usages sociaux, pour reprendre l'expression de Gilles Pronovost (1994 p.379), qui repose sur une continuité entre des pratiques "déjà structurées" (ibid., p.380) et d'autres plus récentes. Or ces usages en référence à d'autres impliquent des dispositions qui le font naître ce qui renvoie au concept d'habitus, entendu selon Pierre Bourdieu (1979) comme dispositions intériorisées et génératrices de pratiques. Trois personnes de notre échantillon sont des "usagers assidus" qui ont construit de véritables "usages sociaux" (Lacroix, 1992, 1994; Pronovost, 1994): l'usage s'accompagne ici d'un ensemble de représentations, de discours et d'une réflexion sur la conception et l'écriture du cédérom. L’identification de cet usage peut d’ailleurs se rapprocher de la définition de la pratique élaborée par Josiane Jouët (1993). Deux de ces usagers dont la pratique de cédéroms culturels est intense ont des pratiques culturelles cumulatives mais possèdent également une véritable culture technique9. Il s'est trouvé ici que le cédérom de musée avait ce statut hybride d'objet technique et d'objet culturel, pour rejoindre J. Davallon et J. le Marec (2000). En effet, un de ces usagers utilise les cédéroms culturels dans une logique professionnelle car en tant qu'enseignant, il travaille avec ces produits pour comprendre leur interface et y réfléchir avec ses étudiants. Cet usager élabore toute une réflexion quant à la conception de ces produits puisque sa compétence fait autorité pour développer de sévères critiques. Il reproche, à l'instar de cet autre usager, le caractère très technique de certains cédéroms. Or, la sur-exploitation de certaines prouesses techniques conduit à créer des effets qui n'existent pas dans le musée traditionnel ce qui peut aboutir à des dérapages, selon le second usager. Que les fonctionnalités techniques permettent de mieux voir l'œuvre et de mieux la comprendre paraît intéressant, "ça peut être la loupe parce que c'est des choses qui sont vraies, parce qu'on a envie de voir (…), mais rentrer au détail où l'œil n'arrive pas à voir, je ne suis pas d'accord", observe ce dernier. Enfin, pour un usager, on remarque que la pratique du cédérom recouvre une existence autonome par rapport à la visite du musée. Pour cet autodidacte, bien que détenteur d'une certaine culture technique, le cédérom est perçu d'un point de vue essentiellement culturel. Il confronte volontiers ses cédéroms à des encyclopédies puisque la finalité recherchée dans cette pratique participe à son appétence de culture. C'est le seul usager de cet échantillon pour qui le cédérom de musée est utilisé comme substitut à la visite. Si sa relation à la culture muséale passait avant par le livre, les TIC comme le cédérom et l'Internet sont désormais convoqués pour entretenir cette relation au musée. Conclusion Revisiter la notion d’usage en la rapportant à la technologie à laquelle elle se réfère permet de saisir les diverses acceptions qu’elle recouvre. Dans le cas du cédérom de musée, de par sa constante évolution technologique, la dimension temporelle apparaît fondamentale puisque par exemple, peu d'usagers ont constitué de véritables "usages sociaux". Le statut du cédérom en tant que produit culturel le situe au croisement de plusieurs logiques d’usages, allant de l’achat jusqu’à la pratique culturelle en passant par la consommation. Il reste qu'une analyse plus approfondie s'impose pour les considérer comme faisant partie intégrante des pratiques culturelles. 9 A propos de la notion de "culture technique", Josiane Jouët (1987) remarque que celle-ci recouvre différents niveaux: celui des connaissances théoriques, celui des savoir-faire opératoires et celui de la réflexion critique sur la technique. Ici, les deux usagers se situent sur ces trois dimensions. Bibliographie BOURDIEU, Pierre.- La distinction.- Paris : Éditions de Minuit, 1979. CERTEAU, Michel (de).- L’invention du quotidien _1. Arts de faire. Paris : Gallimard, 1990. CHAMBAT, Pierre.- Usages des technologies de l’information et de la communication (TIC) : évolution des problématiques.- In : Technologies de l’Information et Société (TIS), vol.4, n°3 1994a. CHAMBAT, Pierre.- NTIC et représentations des usagers.- In : VITALIS, André.- Médias et nouvelles technologies : pour une socio-politique des usages.- Rennes : Editions Apogée, 1994b. 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