Présentation du colloque

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Présentation du colloque
COLLOQUE « L'OCÉANIE CONVOITÉE »
RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS
Présentation du colloque
Jean Montpezat
Ancien Haut-Commissaire de la République
en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française
Remercions nos deux Professeurs résidents de l’Université de Polynésie française, JeanMarc Regnault et Sémir Wardi, dont on connait l’implication dans tout ce qui touche au
Pacifique, pour porter aujourd’hui, sous l’égide du CNRS, qui nous accueille - et il faut l’en
remercier tout particulièrement dans la personne de Jean-François Sabouret – la question des
nouveaux enjeux géostratégiques de ce continent « maritime » où peut se jouer l’avenir
environnemental de notre monde au XXIème siècle.
Océanie convoitée : un Vent Jaune vient de se lever sur le Pacifique ! Rompant avec cinq
siècles d’isolement continental, la Chine réarme ses navires marchands et sa marine pour repartir
à la conquête de sa « mer intérieure », dominée depuis 1945 par les États-Unis, et historiquement
sous l’influence occidentale depuis le XVIIIème siècle ; elle noue des alliances et passe des
accords de coopération avec les pays de la zone dans tous domaines, économiques, financiers,
sanitaires… Pour les États-Unis, la Chine a « entrepris d’acheter les Iles du Pacifique » et les
voisins immédiats de la Chine se sentent agressés par les revendications belliqueuses de
frontières maritimes élargies.
Dans ce nouveau contexte géostratégique, qu’elle est la position de la France ?
Sa présence dans le Pacifique sud, en Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, Polynésie
française, la Terre Adélie n’est plus véritablement contestée - il en sera question - la Chine s’y
manifeste déjà par ses missions commerciales, et des promesses de financements exceptionnels
dans le tourisme, le transport, l’aquaculture ; les perspectives d’exportations de nickel vers la
Chine et peut-être demain une participation dans les usines métallurgiques du Caillou soulèvent
des interrogations locales.
Mais l’enjeu géostratégique est plus large !
Deux points majeurs vont être soulignés au cours du Colloque :
L’Océanie pacifique représente par son immensité océanographique, ses enjeux
climatiques, les menaces déjà visibles qui y sont constatées de pollution de la planète par les
activités industrielles des grandes puissances, à la fois le territoire d’alerte sur la planète et le
Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
laboratoire des recherches et des actions qui doivent être menées par la communauté
internationale, il en sera question à la COP 21, souvenons-nous que les petits pays de la zone ont
demandé au Président Hollande lors de son voyage récent, qu’il soit leur interprète et défenseur
de la cause des Iles du pacifique menacées de disparition devant la montée des eaux !
C’est ici qu’intervient le rôle éminent que peuvent jouer les scientifiques, chercheurs,
institutions françaises de développement, très présents dans la zone ! Souvenons-nous que c’est
au nom de la science et de la découverte du monde que nous sommes arrivés dans le Pacifique au
XVIIIème siècle !
Depuis lors, à travers les dures épreuves imposées aux originaires par les colonisateurs, la
quasi-disparition des rites locaux sous la pression des religieux, l’implication de ces petits
peuples dans les conflits mondiaux, le nucléaire, les chercheurs sans désemparer ont étudié la
nature, explorent les océans, et ont contribué à sauver les insulaires, les cultures et langues
locales, restituant à ces petits peuples leur Histoire, leurs civilisations, leur mémoire et leur
dignité. Dans le temps long, c’est ce qui marquera notre véritable vocation et notre apport de
Puissance occidentale !
C’est à ce titre que je tiens particulièrement à vous saluer aujourd’hui, chercheurs
confirmés ou jeunes doctorants enthousiastes en France où dans les Universités à l’étranger où
vous représentez la France : les sujets que j’ai simplement évoqués, vous allez les traiter par des
communications très denses , je suis sûr que monsieur l’Ambassadeur Lechervy partage le plaisir
et l’intérêt que j’éprouve personnellement à constater la vivacité et la richesse de vos travaux qui
honorent notre Pays en Océanie ; il en est d’ailleurs un des acteurs privilégiés.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Le poids de l’histoire en Océanie
L’exemple des essais nucléaires
Jean-Marc Regnault
Laboratoire GDI
Université de la Polynésie française
Le général de Gaulle avait reconnu qu’il existait bien un « monde du Pacifique », visant en
particulier les Anglo-Saxons qui avaient expérimenté le nucléaire en Océanie, mais n’admettaient
pas que la France pût en faire autant. Il n’en démordait pas et lâcha : « Notre bombe est pacifique
! c’est même ce qu’on a inventé de plus pacifique depuis que la France existe ! ».
Sa déclaration ne faisait que confirmer que, selon les autorités françaises, les essais ne
présentaient aucun danger. Les différents Gouvernements français tinrent ce langage sur « les
essais propres » à destination des populations polynésiennes et des États et territoires de la
région, comme le montre cette note du MAE pour l’ONU (25 octobre 1988) :
« Les expérimentations auxquelles la France procède sur son territoire,
en Polynésie, ne portent en rien préjudice ni aux intérêts des États de la
région, ni à l’environnement, comme les études réalisées sur place par
plusieurs commissions nationales et internationales l’ont amplement
prouvé ».
Rien n’y fit. Les relations de la France avec les nations d’Océanie furent tendues, en
particulier à cause de l’affaire du Rainbow Warrior et du retard apporté à la signature du traité de
Rarotonga (1985) sur la dénucléarisation de la zone. Dans ce « monde du Pacifique », il aurait
fallu tenir compte que « pour nombre [d’Océaniens] qui se nourrissent de la mer, imaginer les
poissons empoisonnés, les récifs détruits est insupportable. On aura beau publier rapport sur
rapport démontrant l’absence de fuite ou de pollution, ils n’entameront pas les certitudes
largement partagées par les peuples du Pacifique Sud… Les populations d’Océanie perçoivent
les essais nucléaires comme “un viol, un sacrilège” » comme l’écrivait Le Monde en 1994. Non
seulement les mentalités étaient rétives, mais les conceptions géopolitiques différaient trop de
celles de la France. « Les États de la région, écrivait Isabelle Cordonnier, estimaient que ces
essais, loin de les protéger indirectement contre une menace visant le monde occidental [...] les
entraîneraient dans la spirale de la terreur en cas de conflit nucléaire ».
Après l’arrêt des essais en Polynésie française et la signature du traité de Rarotonga (1996)
et après l’Accord de Nouméa (1998), dans un contexte de périls grandissants en Océanie, la
France redora son image dans la région.
Cependant, l’Océanie reste marquée par les expérimentations nucléaires et les populations
ne croient toujours pas en leur innocuité. Il y a une donnée fondamentale que Christian Huetz de
Lemps avait notée : le temps n’efface pas les plaies en Océanie et il semble même que celles-ci se
creusent, une conséquence sans doute de l’histoire orale (revue Hérodote, 1994).
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Ainsi, les îles Marshall, qui ont été durement éprouvées par les essais d’après guerre, ont
engagé une procédure devant la Cour internationale de Justice (2014) contre les États qui
manqueraient à l’obligation de désarment prévue par le Traité de non prolifération nucléaire de
1968. Les États-Unis sont même accusés d’avoir procédé à des expériences sur des êtres humains
pour étudier les réactions aux retombées nucléaires.
En Polynésie française, par ailleurs, tandis que les opposants traditionnels aux essais se
radicalisent, ceux qui avaient soutenu leur « propreté » en sont à exiger de la France des
« réparations » pour atteintes à l’environnement et à la santé des Polynésiens. L’ancien président
Flosse, pourtant déchu de ses mandats, et plusieurs de ceux qui ont longtemps défendu
l’innocuité des essais avec lui multiplient les déclarations contre l’héritage nucléaire. La loi
Morin - une timide reconnaissance de la nocivité des retombées - est donc jugée insuffisante
tandis que le Gouvernement actuel promet une révision de celle-ci plus favorable aux Polynésiens
victimes des essais.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Les résistances océaniennes
Dr Sémir Al Wardi
Directeur du laboratoire GDI (EA 4240)
Maître de conférences en science politique
Université de la Polynésie française
Écrire sur les résistances océaniennes ne signifie pas évoquer des révolutions, des émeutes
ou des insurrections. Ce n’est pas un rejet violent des apports exogènes mais plutôt, dans une
acceptation officielle et reconnue, la mise en place de processus de contournement des idées, des
institutions et des modèles imposés. La résistance n’est pas frontale mais plus subtile : on fait
mine d’accepter, mais on garde ses propres visions du monde, du moins en partie. Les sciences
humaines ont d’ailleurs manifesté récemment un intérêt certain pour ces résistances qualifiées de
« petites résistances locales ». Elles apparaissent dans toute l’Océanie et vont toucher tous les
domaines de la vie en société, avec des intensités plus ou moins fortes, comme en politique, en
économie, sur le plan institutionnel, culturels, fonciers bien d’autres encore...
Prenons un exemple : la résistance aux modèles politiques et institutionnels.
L’Océanie a été colonisée par les grandes puissances occidentales et chacune de ses
puissances a imposé son modèle institutionnel, juridictionnel, économique et politique. Certains
de ces territoires se sont émancipés, d’autres non, mais les influences de ces dominations sont
restées bien présentes. Par exemple, le monde politique des anciens territoires sous domination
anglo-saxonne, a maintenu le système appelé « Westminster ». Ce mimétisme se retrouve aussi
dans les territoires français. C’est que les nouveaux États ou territoires autonomes ont souvent
tendance à s’inspirer des modèles institutionnels et politiques de l’ancienne puissance coloniale.
Ces États et territoires ont intégré, à l’instar de tous les États du monde, les cultures politiques
dominantes : des élections sont organisées à intervalle régulier, les partis politiques sont
structurés et des constitutions ou des lois statutaires sont mises en place. Or, le monde politique
océanien, quel que soit le type de colonisation, est aussi caractérisé par une instabilité politique
forte motivée par un nomadisme politique, une autonomie des hommes politiques par rapport à
leurs partis, une relation affective incontournable, un clientélisme au grand jour, une forte
captation des ressources publiques mais aussi une partie magique très présente dans la vie
politique. Aucun État ou territoire n’est épargné par ces caractéristiques. Les « big men », les
« chefs », les « grands hommes », les « metua » ne sont pas relégués en dehors du champ
politique mais participent pleinement au renouveau politique.
Une tentative d’explication : La résistance comme réponse à la violence symbolique
Dans les sociétés océaniennes, la perception des choses est différente de celle du Monde
occidental. Comment expliquer ces comportements, ces résistances ? Expliquer les résistances,
c’est comprendre l’autre rationalité. Les résistances représentent une façon saine de réagir face à
des situations complexes, des apports exogènes vécus comme une agression, une violence
symbolique. Pour réduire le coût psychologique de la violence symbolique, on recherchera
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
surtout l’utilité de l’apport exogène et ses avantages. Enfin, on intériorise ces apports en
s’inclinant, certes, mais dans un cadre « traditionnel ». Il n’y a pas d’incompatibilité ou de conflit
entre les visions du monde, les modèles et les pensées mais une adaptation à la réalité
océanienne, passage obligé pour être pleinement acceptés et reconnus.
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Régionalisme et sub-régionalisme : une nouvelle approche de la
dynamique politique régionale dans le Pacifique Sud
Nathalie Mrgudovic
Aston University (Royaume-Uni)
L’architecture régionale se caractérise par les organisations régionales qui la composent,
notamment la CPS et le FIP, autour desquels gravite une nébuleuse d’organisations ou d’agences
partenaires dites sub-régionales portant sur un domaine bien spécifique. Pour tenter de limiter
leur nombre et redonner de la cohérence à la structure régionale, un CROP (Conseil des
Organisations Régionales du Pacifique) a été créé et est présidé par le FIP. Or, tout comme le
FIP, il fait désormais l’objet de vives critiques : sur-bureaucratisé, focalisé sur les États et
agissant comme une super organisation régionale.
En parallèle, s’est développé un sub-régionalisme « à l’océanienne », focalisé sur une zone
géographique ou culturelle bien spécifique. Le Groupe du Fer de Lance mélanésien (GFLM), créé
en 1988, avait deux piliers initiaux : soutenir le mouvement indépendantiste kanak en NouvelleCalédonie et mettre en place une zone de libre-échange. Le Sommet des Chefs de l’Exécutif de
Micronésie (SCEM), créé en 2003, est principalement centré sur les questions d’environnement
et de gestion des ressources naturelles. Le groupe des Leaders Polynésiens (GLP), créé en 2012,
vise avant tout à développer des liens culturels entre les peuples polynésiens.
Cependant, depuis 2011, un nouvel acteur a émergé sur la scène géopolitique régionale qui
a quelque peu bousculé l’ « ordre »régional établi : le Forum de Développement des Îles du
Pacifique (FDIP), a été créé en 2013 par Fidji. En écho à la ‘Pacific Way’ développée par Ratu
Mara pour lancer le FIP en 1971, le FDIP représente une nouvelle ‘Fijian Way’ où l’actuel
Premier ministre fidjien Bainimarama dénonce un FIP peu représentatif des intérêts des
insulaires. Après le coup d’État de 2006, Fidji a été suspendue du FIP (et du Commonwealth). Le
GFLM a alors servi, plus ou moins malgré lui, de tremplin à l’ambition géopolitique de Fidji.
Bainimarama a développé une stratégie de visibilité et d’adhésion à son projet consacré par la
création du FDIP. Ce forum veut « Penser globalement, agir localement » et repose sur trois fils
conducteurs : l’inclusion, par un système de partenariat tripartite (États et territoires océaniens ;
société civile ; secteur privé) ; l’innovation, basée sur le concept d’économie verte/bleue et le
leadership insulaire pour le développement.
Ainsi pour le FDIP, l’action passe par la réappropriation (par Fidji) de la représentation et
de la défense des petits États insulaires (sur la scène régionale et internationale). La politique
étrangère du FDIP – et de Fidji – repose sur les relations Sud-Sud axées sur l’Asie avec la « Look
North Policy », voire sur une politique ‘tous azimuts’ étant donnée la diversité des États
mobilisés (Russie, EAU, Brésil, Cuba, etc..).
En 2014, avec la nouvelle Constitution fidjienne et l’élection de Bainimarama, Fidji a été
invitée à rejoindre le FIP. Mais le Fidjien exige que l’Australie et la Nouvelle-Zélande se retirent
du FIP avant que Fidji n’y retourne, quoiqu’un changement récent de vocabulaire évoque
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
désormais le « recul » (‘step back’) plutôt que le « retrait » (‘withdraw’) des deux puissances
australasiennes.
Parallèlement, depuis 2014, les organisations océaniennes reconsidèrent leur position et
leur rôle en initiant de nouveaux plans d’action davantage focalisés sur le dialogue régional
renforcé, le développement économique ou la lutte contre les changements climatiques. Mais
comment rationaliser cette nouvelle architecture régionale ‘en patchwork’ ? Fidji (à travers le
FDIP) entend ou considère représenter les petits États insulaires. Ce faisant, elle semble remettre
en question la légitimité du FIP.
La question cruciale est celle du leadership régional. Qui décide, et comment ? Il faut donc
redéfinir le processus décisionnel dans la région. Pour ce faire, plusieurs solutions sont
proposées, dont le rééquilibrage de la contribution au budget administratif du FIP qui
impliquerait davantage la PNG, Fidji et les autres petits États insulaires.
La façon dont l’auto-détermination sera appréhendée en Nouvelle-Calédonie, à
Bougainville et, peut-être, en Papouasie occidentale, constitue un défi majeur à la cohésion
régionale, de même que l’impact des puissances extérieures porteuses de développement dans la
région ou encore celle du développement durable et de la lutte contre les effets des changements
climatiques.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Les diplomaties sanitaires de Taiwan et de la Chine dans le
Pacifique Sud :
Quels enjeux identitaires et sécuritaires ?
Vincent Rollet
Université Wenzao, Kaohsiung (Taiwan)
et Centre d’Études Français sur la Chine contemporaine Taipei/Hong-Kong.
Sur les 22 alliés diplomatiques de Taiwan, 6 se situent dans le Pacifique Sud (Kiribati,
Nauru, Tuvalu, les Iles Salomon, les Iles Marshall et Palau), ce qui fait de cette région une zone
géopolitique et stratégique d’importance pour les autorités taïwanaises. Parmi les principales
motivations de l’engagement taïwanais dans le Pacifique Sud se trouve inévitablement la
question du soutien à son statut d’État au sein de la communauté internationale ainsi que de
l’accès aux ressources de cette région. De son côté la Chine qui entend bien limiter l’espace
diplomatique de Taiwan a - depuis plus d’une décennie - intensifié ses relations avec de
nombreux pays de la région, en l’occurrence Fidji, la Micronésie, Samoa, Papouasie-NouvelleGuinée, Vanuatu, les îles Cook, le Timor et Tonga et a ainsi renforcé sa présence dans le
Pacifique Sud en vue notamment de convaincre les alliés de Taiwan de se tourner plutôt vers elle.
Dans le cadre de cette concurrence et malgré la « trêve diplomatique » entre la Chine et
Taiwan proposée par le président taiwanais Ma Ying-jeou, l’aide publique au développement
(APD) représente toujours un instrument central des politiques étrangères chinoises et
taïwanaises à l’égard du Pacifique Sud, notamment dans le domaine de la santé. Ces diplomaties
chinoises et taiwanaises se matérialisent alors par l’envoi de missions médicales, le soutien
financier à l’amélioration des systèmes et des institutions de santé, le lancement de programmes
régionaux de santé, le don d’équipements hospitaliers ou encore la formation des professionnels
de santé du Pacifique Sud.
Si à travers ces initiatives, les professionnels de la santé chinois et taiwanais cherchent très
certainement à améliorer la santé des peuples et le développement des pays du Pacifique Sud
avec l’idée que la santé des peuples est aussi une des conditions indispensables au développement
humain et économique, il semblerait qu’une dynamique identitaire soit également à l’œuvre.
Taiwan et la Chine cherchent en effet à travers leurs diplomaties sanitaires dans cette région du
monde, d’une part à affirmer leur statut d’État au sein de la communauté internationale, à
promouvoir leur système de santé au niveau international et leurs capacités à répondre à une crise
sanitaire, à satisfaire le rôle qu’ils se sont donné sur la scène internationale en tant que donateur
émergent (Taipei) ou d’acteur responsable et généreux (Pékin) et enfin à renforcer leur
appartenance au processus de gouvernance mondiale de la santé.
Simultanément, les diplomaties sanitaires de Taipei et Pékin dans le Pacifique Sud
semblent avoir également été motivées par une dynamique sécuritaire qui considère ces
initiatives comme un instrument de leur sécurité sanitaire mais également comme étant au service
de leur sécurité économique.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
L’exploitation des ressources minérales
sous-marines dans le Pacifique sud
Sabine Lavorel
Maître de conférences HDR en Droit public
Université Grenoble Alpes, CESICE
Les deux dernières décennies ont été marquées par un accroissement sans précédent de la
demande mondiale de métaux et de minerais, qu’il s’agisse de métaux classiques (zinc, cuivre…)
ou de minerais stratégiques (à l’exemple des terres rares), indispensables à la fabrication de
produits de haute technologie. La demande pesant sur ces matières premières sensibles, devenues
irremplaçables dans les industries clés, devrait ainsi doubler dans les vingt prochaines années. Or,
l’approvisionnement en métaux rares est rendu difficile en raison de l’appauvrissement généralisé
des gisements terrestres, mais aussi d’une concentration de ces gisements dans des pays
pratiquant un protectionnisme rigoureux (Chine, Russie) ou connaissant une instabilité politicoéconomique croissante (RDC).
Les États importateurs de métaux rares ont donc entrepris de sécuriser leur
approvisionnement, en se tournant notamment vers les océans, dont les ressources minérales
potentielles ouvrent de nouvelles perspectives. L’industrie minière s’intéresse particulièrement
aux minéralisations hydrothermales sous-marines. Les explorations scientifiques menées depuis
une trentaine d’années ont ainsi permis de découvrir d’importants gisements dans la zone sudpacifique, à la fois dans les zones économiques exclusives (ZEE) relevant de la souveraineté des
États et territoires insulaires de la région, mais aussi dans les grands fonds marins hors
souveraineté (la « Zone »), dont la gestion relève de l’Autorité internationale des fonds marins
(AIFM).
Face au fort potentiel des ressources minérales sous-marines, les États importateurs et les
compagnies minières se mobilisent pour obtenir des permis d’exploration, voire d’exploitation.
Plusieurs États du Pacifique sud ont multiplié les accords d’exploration des gisements se trouvant
dans leur ZEE. Dans la « Zone », l’AIFM a également signé plusieurs contrats d’exploration avec
différents États, organismes scientifiques et entreprises minières. Pour l’heure, une seule
entreprise, Nautilus Minerals, a obtenu un contrat d’exploitation des amas sulfurés au large de la
Papouasie Nouvelle-Guinée, les premières extractions étant annoncées pour 2017.
Cette compétition pour l’accès aux ressources minérales océaniennes suscite des
inquiétudes quant aux risques environnementaux liés à leur exploitation. Les études menées à cet
égard révèlent que les activités minières en milieu profond, quelles que soient les techniques
d’extraction utilisées, auraient des incidences sérieuses, voire définitives, sur l’environnement,
les écosystèmes et la biodiversité.
Hormis ces préoccupations environnementales, la course aux ressources minérales sousmarines soulève plusieurs questionnements juridiques dont les implications politiques sont
susceptibles de générer de vives tensions internationales et interterritoriales : à qui appartiennent
ces minerais ? Qui peut y accéder ? Sous quelles conditions pourra-t-on les exploiter ? Qui est
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
responsable de la protection de l’environnement dans le cadre de cette exploitation ? Si le droit
international et les juridictions compétentes ont déjà éclairci certains points litigieux, ces
questions vont continuer à cristalliser les tensions ces toutes prochaines décennies, au regard des
enjeux économiques, politiques et géostratégiques liés à l’exploitation des ressources sousmarines. En témoignent d’ores et déjà les discussions internationales relatives à l’extension des
ZEE dans la région ou encore les crispations, en Polynésie française, entourant la question de la
répartition des compétences en matière de ressources minières entre l’État et le territoire.
Dans ce contexte sensible, l’Union européenne a initié en 2011 le Deep Sea Minerals
Project, en collaboration avec le Secrétariat de la Communauté du Pacifique et quinze États
insulaires de la région sud-pacifique. Ce projet pionnier vise à aider les États parties à améliorer
la gouvernance et la gestion de leurs ressources, avec une attention particulière à la protection de
l’environnement marin. Plusieurs de ces États se sont récemment dotés de nouvelles législations
visant à encadrer les activités de prospection et d’extraction minière. D’autres ont entrepris
d’établir dans leur ZEE des réserves naturelles interdites à toute prospection. Ces différentes
initiatives suscitent toutefois des controverses relatives à leur impact réel et à leurs véritables
objectifs.
Cette contribution vise donc à déterminer les enjeux liés à l’exploitation des fonds marins
dans le Pacifique sud, en matière de sécurité environnementale comme en matière de sécurité
internationale. À cette fin, l’accent sera mis sur les jeux de puissance dans la région, les
conséquences politico-économiques pour les États insulaires du Pacifique sud et les implications
environnementales de l’exploitation – désormais imminente – des ressources minérales off-shore.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Présence française en Océanie
Entre rétroviseur et marc de café
Jean-Marc Regnault
Laboratoire GDI
Université de la Polynésie française
Tandis que de Gaulle constatait : « les Anglo-Saxons tiennent tout dans le Pacifique » (22
janvier 1964), ces derniers lui rendaient bien son acrimonie. Pour eux, la France était « l’ennemi
n°1 » en raison des essais nucléaires et d’une présence jugée inopportune dans les trois TOM.
Même sous F. Mitterrand, d’abord accueilli favorablement, le contentieux se poursuivit, aggravé
par la situation en Nouvelle-Calédonie et l’affaire du Rainbow Warrior. La France sembla
s’obstiner à ne pas signer le traité de dénucléarisation de Rarotonga de 1985.
Les rapports avec les États océaniens s’améliorèrent après que l’affaire du Rainbow
Warrior fût soldée, les accords de Matignon et de Nouméa sur la Nouvelle-Calédonie fussent
porteurs de paix et après l’arrêt des essais suivis de la ratification du traité de Rarotonga (1996).
L’instabilité des petits États et territoires et l’avancée des pays asiatiques montrèrent que
l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne pouvaient pas à elles seules assurer l’ordre dans la région.
La présence française fut mieux acceptée.
À ces considérations (provisoires) sur les relations internationales, se superpose la nature
de la présence française dans ses territoires. Une caractéristique se dégage : la pérennité d’une
vision à court terme de la part des responsables de l’État. Sous de Gaulle et Pompidou, on peut
parler de brutalité à l’égard des partisans de l’autonomie, voire de l’indépendance, et des
opposants aux essais nucléaires. V. Giscard d’Estaing manœuvra plus opportunément en revenant
partiellement au statut issu de la loi-cadre. F. Mitterrand – sans rien lâcher qui permît de mettre
en cause le nucléaire – accorda des statuts d’autonomie élargie et tenta de trouver des solutions
au problème calédonien, tout en se heurtant à « la force injuste de la loi ». J. Chirac admit le droit
au séparatisme, mais protégea ses clients pour que cela n’arrivât pas. N. Sarkozy annonça, dès
avant son élection, que les aides seraient appelées à diminuer tout en prévenant qu’il y avait une
ligne rouge à ne pas franchir : l’indépendance. Entre F. Hollande premier secrétaire du PS –
convenant que la Polynésie devait être décolonisée selon les critères de l’ONU – et le candidat
(puis Président) qui n’apprécia pas la réinscription de cette collectivité sur la liste onusienne des
pays non autonomes, la mutation peut sembler étonnante, de même que l’intérêt nouveau porté à
l’Océanie. En raison des ressources marines et sous-marines ? Pour des considérations
géostratégiques ? « Le rôle de la France est d’être un pays du Pacifique » déclara Marc Vizy,
conseiller à l’Élysée (16 juillet 2015).
Des questions restent en suspens.
L’amélioration de l’image de la France dans la région est-elle durable ? Vouloir y rayonner
à travers ses trois collectivités avec leurs multiples problèmes (inégalités sociales criantes, crise
économique actuelle ou future, corruption…) est-ce une bonne perspective ? La France n’a-t-elle
pas une perception faussée de la perception dont elle est l’objet ? A-t-elle les moyens (militaires
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
notamment) de ses ambitions ? Mesure-t-elle les réticences à sa présence, parmi les pays
océaniens ou dans ses collectivités elles-mêmes ?
« Quel est le projet de la France pour l’Outre-Mer ? » interrogeait Le Monde (12 mai
2007), question qui reste d’actualité. Il faudra que la France s’interroge : sa présence sous sa
forme actuelle dans ses trois collectivités est-elle un atout ou un handicap ? Quant à ces dernières,
elles devraient répondre clairement si la présence française est pour elles un atout ou un handicap
et en tirer des conclusions durables.
Si la pérennité de la présence française ne fait guère de doute, l’incertitude porte sur la
forme de cette présence, tandis que d’autres puissances frappent à la porte. La forme donc… si ce
n’est une méforme.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
La requête de la République des îles Marshall
devant la Cour Internationale de Justice.
Vers une obligation universelle de désarmement nucléaire ?
Laurent Sermet
IEP Aix-en-Provence
En portant devant la Cour Internationale de Justice, le 24 avril 2014, une requête contre les
neufs États dotés de l’arme nucléaire, la République des îles Marshall a véritablement voulu faire
avancer la cause du désarmement nucléaire. Mais que peut un juge, même international, face à un
enjeu aussi considérable ? On se doute de la réponse : celle de son évidente impuissance. Que
peut de surcroît un micro État contre des macros États ? La force du droit peut-elle ici être
utilement convoquée ?
Neuf États ont été mis en cause, que l’on peut décomposer en deux catégories. Cinq d’entre
eux sont également membres permanents du conseil de sécurité des Nations unies. Les quatre
autres sont l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël. Aucun de ces derniers n’a accepté
d’être lié par le Traité sur la non prolifération nucléaire de 1968. Celui-ci semble du reste être
taillé sur mesure pour les cinq États membres permanents du conseil de sécurité dès lors qu’il
reconnaît leur droit (et donc leur légitimité) à posséder l’arme nucléaire. On comprend les
problèmes de rupture de souveraineté et la continuité qui existe entre la Charte des Nations unies
(privilèges de la permanence et du veto au conseil de sécurité) et le traité sur la non-prolifération
(privilèges de la possession de l’arme nucléaire).
C’est la troisième fois que la Cour Internationale de Justice est saisie de la question.
En 1973-1974, la Cour avait été saisie des essais nucléaires français atmosphériques dans le
Pacifique Sud. La Cour avait constaté l’engagement unilatéral de la France à y renoncer pour ne
pas aborder les questions de droit au fond (atteinte à l’équilibre écologique en mer). Et lorsqu’en
1995, la Nouvelle-Zélande avait saisi à nouveau la Cour des tous derniers essais – sur la base de
l’arrêt de 1974 - que le président Chirac avait souhaité poursuivre, elle s’était réfugiée derrière le
fait que les essais n’étaient plus atmosphériques mais souterrains pour ne pas, à nouveau, aborder
les questions au fond.
En 1998, sur la base d’une demande d’avis de l’Assemblée générale des Nations unies, la
Cour s’était prononcée cette fois au fond sur la question de la compatibilité au droit international
de l’usage ou de la menace d’usage de l’arme nucléaire. Cet avis consultatif, à bien des égards,
peut paraître sidérant. En effet, sur un point, c’est bien un cas d’indécision qui résulte de l’avis.
La Cour « avoue » au vu des éléments de fait dont elle dispose ne pas savoir si l’usage ou la
menace d’usage de l’arme nucléaire serait ou non contraire au droit international, c’est-à-dire
illicite ou licite, dans l’hypothèse «extrême» de légitime défense dans laquelle la survie même de
l’État serait en cause.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Cette considération a été abondamment commentée. Elle a été comprise comme
reconnaissant l’existence d’un droit de l’État (comme si celui-ci existait par lui-même et
indépendamment des objectifs de la construction politique de son peuple) à la survie y compris
par l’arme nucléaire. L’avis n’est pas progressiste et se contente d’avaliser l’existence d’un
monde nucléarisé. Toutefois, et peut-être pour compenser la réponse précédente, la Cour avait
admis qu’il existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme les négociations
conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict
et efficace.
En cela, même s’il y a eu une discussion entre les juges pour savoir s’il s’agissait d’une
question hors débat, la Cour n’a fait ni plus ni moins que de se référer à la question de savoir si
l’article VI du Traité sur la non-prolifération nucléaire, de 1968, avait une portée coutumière et
ainsi, une portée universelle. En clair, les États dotés de l’arme nucléaire et qui n’ont pas ratifié
ou accepté le traité sont-ils malgré tout tenus par une obligation de désarmement ? Les cinq États
partie au TNP, liés par l’article VI, seraient aussi liés par l’obligation coutumière.
C’est bien tout l’enjeu que la requête de la République des îles Marshall a porté à nouveau
devant la Cour Internationale de Justice.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
La géostratégie internationale,
moteur des relations franco-polynésiennes ?
Arnaud BUSSEUIL
Doctorant en Droit Public,
Laboratoire CHERPA, Sciences Po Aix
L'effervescence intellectuelle du moment sur l'Océanie n'est pas étrangère au fait que le
centre économique, politique et stratégique du monde s'est déplacé́ de l'Atlantique Nord vers le
Pacifique. De grandes richesses, prouvées ou supposées, s'y trouvent sur terre comme en mer.
L'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Chine ou encore les États-Unis, cherchent à devenir de plus
en plus influents dans la région. Dans ce contexte, il peut être intéressant de questionner la
relation que peut ou doit entretenir la Polynésie française, dans un océan devenu le centre de
gravité du monde, et sa « puissance administrant ». Afin de comprendre les intérêts stratégiques
de la France dans la zone, il convient d'étudier à la fois les enjeux militaires, économiques,
politiques et diplomatiques.
Les enjeux militaires semblent avoir disparus pour la France en Océanie. En effet, on se
trouve dans une région dont les grandes puissances n'ont pas de velléités belliqueuses. Les forces
armées dans le Pacifique français sont donc réduites, même s'il se joue avec l'Australie et
Singapour des intérêts en termes de ventes d'armes françaises.
Les enjeux économiques sont certainement l'intérêt stratégique premier dans la région, y
compris pour la France qui se pose en acteur majeur du fait de sa présence en NouvelleCalédonie et en Polynésie française. L'atout majeur pour le Caillou, c'est essentiellement le
Nickel dont il possède la troisième réserve au monde. Cela est d'autant plus vrai que les premier
et second acheteurs de Nickel au monde sont respectivement les Chinois et les Japonais, d'où un
enjeu Asie-Pacifique dans lequel la France a un rôle à jouer. Pour la Polynésie française, c'est
avant tout la ZEE qui est le centre d'intérêt majeur. Cette ZEE permet à la France de posséder le
deuxième domaine sous-marin au monde et d'être particulièrement bien placée pour l'exploration
et l'exploitation des ressources halieutiques. La zone est riche en terres rares et en nodules
polymétalliques qui sont des ressources stratégiques dont la demande mondiale croît de façon
exponentielle, de sorte qu'il faudra se tourner vers la mer puisque les ressources terrestres
s'épuisent. Mais ces ressources créent des tensions entre l'État et la Polynésie française. La
cristallisation se situe autour de la compétence étatique en matière d'exploitation et d'exploration
des ressources halieutiques stratégiques. La Polynésie, soucieuse de sortir de sa dépendance
économique vis-à-vis de la métropole, désire récupérer cette compétence. Dans le même temps,
la Chine n'hésite pas à se placer sur cette question des métaux stratégiques. La pêche et les
réserves d'hydrocarbures sont également des questions centrales pour les puissances régionales et
globales. Il y a véritablement dans la région un enjeu pour l’accès à la ressource.
Or, la vision que l'on peut avoir en métropole de ces collectivités françaises d'Océanie reste
souvent étriquée dans une idée d'opposition entre colonialisme et décolonisation. Il s'agit là d'un
enjeu d'un autre temps, celui du XIXème siècle, alors que l'enjeu actuel est géostratégique.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Cependant, cela ne veut pas dire qu'il faut occulter cet enjeu de la décolonisation. Cela signifie en
réalité́ qu'il est temps de clore ce chapitre au travers de solutions adéquates et acceptables pour se
concentrer au mieux sur les enjeux actuels.
Pour cela, le jeu politique et diplomatique est particulièrement important. L'État français l'a
compris et tente de s'insérer dans tous les organismes régionaux. En outre, la France,
anciennement ennemie des grands voisins du Pacifique, est aujourd'hui très appréciée par les
Australiens et les Néo-Zélandais. Elle représente une grande puissance, capable d'aider
financièrement les petits États instables de la région afin d'éviter qu'ils ne deviennent des États
voyous, base avancée du terrorisme. Mais la surreprésentation des voix des petits États à l'ONU a
également un intérêt en termes de soutien diplomatique.
La France doit garder à l'esprit l'intérêt stratégique et économique des collectivités
ultramarines du Pacifique. Ainsi doit-elle ménager les susceptibilités et jouer au mieux le rôle de
diplomate dans la région. Quant à la Polynésie, elle a beaucoup à gagner à rester dans un grand
ensemble afin de protéger ses ressources locales qui pourraient tomber sous domination
économique de type néocolonial en cas d'indépendance.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Un creux entre deux vagues :
La Marine nationale et le Pacifique, de 1945 à la création du
CEP
Thomas Vaisset
Agrégé et docteur en histoire
Service historique de la Défense
« Le destin de puissance mondiale de notre pays tourne autour des petites terres françaises
de l’Océanie ». Cette déclaration du gouverneur Aimé Grimald témoigne de l’importance acquise
par la région à partir de la création du Centre d’expérimentation nucléaire du Pacifique, le CEP.
La défense des îles qui l’accueille est donc capitale pour la France. Or, compte tenu de la nature
aéro-maritime de ce théâtre d’opérations, la Marine assume dans celle-ci une responsabilité
particulière.
Les années 1945-1963 constituent pour elle une phase de transition et de reflux entre deux
périodes de hautes eaux, qui ont déjà fait l’objet de plusieurs travaux. La première, consécutive
au ralliement au général de Gaulle des territoires français du Pacifique, dès l’été 1940, a conduit
au plus important déploiement de bâtiments battant pavillon français depuis le début du XXe
siècle. La seconde débute avec la création du Centre d’expérimentation du Pacifique qui est l’un
des éléments constitutifs de la dissuasion nucléaire nationale. Elle fait de la capacité des forces
navales à protéger l’Océanie, un facteur primordial de la sécurité de la France.
L’objectif de cette communication est d’étudier l’action et la stratégie de la Marine
nationale dans le Pacifique pendant cet entre-deux, véritable creux entre deux vagues, perçu par
certains marins comme « encore très proche de la belle époque des Pierre Loti et des Gauguin ».
Cette formule de l’amiral Philippon, très stéréotypée et imprégnée du mythe de la Nouvelle
Cythère, cher à Bougainville, est pourtant loin de correspondre à la réalité des opérations des
bâtiments déployés sur place ou aux ambitions de la Marine dans la région pendant cette période.
Ceux-ci peuvent être saisis par l’intermédiaire des documents conservés aux Archives nationales,
aux archives diplomatiques ou au Service historique de la Défense. Parmi ces derniers, les fonds
contemporains de la Marine ont fait l’objet de nombreux sondages. De même, ont été dépouillés
les papiers privés de l’amiral Querville, commandant de la Marine au Tonkin après la conférence
de Genève et ceux du vice-amiral de Toulouse-Lautrec, premier commandant des Forces
maritimes du Pacifique. Enfin, profitant de leur déclassification récente, une attention particulière
a été accordée aux procès-verbaux des réunions du Comité de Défense nationale, un organisme
clé des relations politico-militaires qui permettent de saisir l’ambition des forces armées pour le
Pacifique.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Cette documentation fait ressortir trois grandes périodes. La première correspond à la
manière dont la Marine réagit aux projets de sécurité collective portés par les Américains au
lendemain de la guerre. Les ambitions qu’elle nourrit alors pour la région se heurtent néanmoins
bien vite à la situation financière de la France de la Libération. Le second temps qui se dégage
des archives est celui de l’étiage de la présence navale française dans le Pacifique, entre 1947 et
1954. Si celle-ci ne disparaît pas complètement, comme l’envisage à plusieurs reprises l’étatmajor de la Marine, c’est grâce à la manière dont la flotte recentre son action vers des missions de
souveraineté au profit de l’administration locale. Seule l’évolution du contexte international
permet une remontée en puissance. Néanmoins, cette troisième phase semble plus liée à la
conclusion du conflit en Indochine et à la signature du Pacte de Manille qu’à des considérations
militaires, en particulier la recherche d’une solution de substitution à l’Algérie pour l’accueil des
essais nucléaires.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
L’adaptation au changement climatique,
un instrument pour la diplomatie de l’Union européenne
et de ses membres dans le Pacifique ?
Émilie Chevalier
Doctorante en géographie humaine
UMR CNRS 6042 GEOLAB, Université de Limoges
UMR CNRS 7301 MIGRINTER
School of Geosciences, Université de Sydney (Australie)
L’émergence d’une diplomatie climatique européenne dans l’espace sud Pacifique s’est,
entre autres, révélée à l’occasion de la conférence onusienne sur les Petits États insulaires en
Développement qui s’est tenue en septembre 2014 à Samoa. L’Union européenne s’est par la
voix d’Andrew Jacobs, son ambassadeur pour le Pacifique, présentée comme un partenaire
stratégique de la région et des PEID lors de l’événement parallèle « Climate-resilient islands
partnership » organisé conjointement par le Centre régional de la Communauté caribéenne sur le
Changement Climatique, la Commission de l’Océan Indien, le Secrétariat du Programme
Régional Océanien pour l’Environnement et le Secrétariat du Commonwealth. La diplomatie
allemande s’est, elle, individuellement signalée par le financement une conférence portant
spécifiquement sur les enjeux de politique étrangère dans la région du Pacifique dans le contexte
du changement climatique. Cet événement, centré autour du concept de diplomatie climatique
était organisé par le cabinet de conseil et de recherche allemand Adelphi. Des acteurs clé sur le
sujet comme Enele Sopoaga, Premier ministre de Tuvalu, Anote Tong, Président de Kiribati ou la
directrice du département général des Nations unies et des Affaires Globales du ministère
allemand des affaires étrangères étaient présents. La fin des échanges a porté de manière explicite
sur une logique de dons et contre-dons diplomatiques en matière d’engagements climatiques de la
part des pays industrialisés et de soutien politique à l’ONU de la part de ces PIED océaniens.
À l’occasion de la conférence de Tahiti sur la gouvernance co-organisée par le GDI et la
Pacific Islands Political Studies Association (Juin 2014), Karis Muller, chercheure à l’ANU
s’était déjà demandée dans son intervention intitulée « The Pacific: EU's environmental testing
ground? », si l’Union européenne ne mobilisait pas les enjeux environnementaux comme des
outils de « puissance douce » dans le Pacifique.
Dans ce contexte, qui pourrait être appelé un front pionnier diplomatico-climatique
océanien doit être exploré. Il pose en effet la question de la reconfiguration des relations des
puissances mondiales dans le Pacifique, à travers les relations de l’UE et de ses membres avec les
PEID de la région mais à travers les territoires océaniens de l’UE.
Cette recherche se propose de contribuer à cette réflexion au moyen de deux études de cas,
Celles qui seront menées dans le cadre plus du projet STRAFPACC (Les stratégies françaises
dans le Pacifique Sud face aux changements climatiques), financé par le Conseil français de la
Formation et de la Recherche Stratégique (négociation du projet en cours de finalisation). La
première porte sur les enjeux des relations entre la Polynésie française, l’État français et l’Union
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
européenne dans le cadre des politiques d’adaptation au changement climatique. La période
actuelle est charnière en ce domaine car elle combine des initiatives récentes sur le changement
climatique dans l’Outre-mer français (Cf intervention du Haut Commissaire de la République en
Polynésie à la fin de l’année 2014) aux suites politiques de la réinscription du pays sur la liste des
territoires à décoloniser en 2013. La seconde étude de cas permettra une vision plus large, à
travers une observation des jeux d’acteurs européens et océaniens à l’occasion de la Conférence
des Parties sur le climat qui se tiendra à Paris à la fin de l’année 2015.
La restitution conjointe des résultats à l’occasion d’une conférence du programme Océanie
convoitée dans une université du Pacifique constitue un élément important pour le projet
STRAFPACC. La diffusion des enseignements du projet au sein même de la région Pacifique
constitue en effet une exigence incontournable.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Le Japon et le Pacifique : histoire d’une relation complexe
Franck MICHELIN
Université Meiji, Japon
chercheur associé à Paris-Sorbonne
Par sa géographie, le Japon semble destiné à être ouvert sur l’Océan Pacifique. Pourtant, sa
relation avec le Pacifique a été, au cours de l’histoire, loin d’être un flot tranquille et la mer a
autant joué un rôle de rempart que de lien, car source de dangers multiples. Les rivages ont
longtemps été source de craintes. Ainsi, le Japon a connu des périodes d’ouverture et de
fermeture. À partir du XVe siècle, les Japonais étendent leurs activités maritimes à l’Asie du Sudest et à l’Océanie sous la forme du commerce et de la piraterie. C’est au siècle suivant que les
Portugais, puis les Espagnols et les Néerlandais s’imposent dans le commerce asiatique et
étendent leur influence jusqu’au Japon. Face au danger perçu par le nouveau shogounat de la
dynastie Tokugawa d’une colonisation espagnole, interdit le christianisme et ferme le pays aux
échanges avec l’étranger, ne maintenant ouverte que la fenêtre de Nagasaki où ne sont autorisés
que les Coréens, les Chinois et les Néerlandais.
En 1853, le Japon doit se résoudre à accepter d’ouvrir ses ports aux Occidentaux. Il doit
prendre en compte son environnement régional et, notamment, maritime. L’intégration
d’Hokkaidô, d’Okinawa, puis de Taiwan au territoire japonais pose le pays en puissance
maritime. Toutefois, ce sont longtemps les migrations d’un nombre important de Japonais en
direction du Pacifique qui constituent le phénomène le plus important. C’est la conquête des
territoires allemands du Pacifique lors de la Première Guerre mondiale qui concrétise ses
ambitions dans la région et le pose en rival des États-Unis. Ces derniers ne tardent pas à tenter de
freiner l’expansion japonaise dans le Pacifique, tant du point de vue naval (Conférence de
Washington, 1922) que migratoire (Johnson-Reed Act, 1924).
Le Japon reste engagé sur le continent jusqu’à la fin des années 1930. Le bourbier chinois,
l’impossibilité d’une expansion en Sibérie face à la puissance militaire soviétique et l’isolement
diplomatique lié au pacte Ribbentrop-Molotov amènent le Japon à envisager le sud comme une
porte de sortie. L’occupation par l’Allemagne des Pays-Bas et de la France et la perspective de
l’invasion de l’Angleterre décident le Japon à saisir l’occasion d’une expansion aux dépens des
puissances occidentales, expansion dont la première victime est l’Indochine française et qui a
pour objet principal les ressources des Indes orientales néerlandaises, et notamment leur pétrole.
Engagé dans une lutte pour la domination du Pacifique occidental, à partir de 1940, sa
stratégie consiste à frapper très fort les Britanniques et les Américains et à constituer un empire
auto-suffisant dans la région. Ses victoires ne continuent guère après une année et il échoue dans
sa tentative d’attirer les populations autochtones de son côté, s’étant montré souvent dur et
maladroit. Il ne parvient pas à protéger son vaste empire qui s’étend, pendant un temps, de la
Birmanie aux Aléoutiennes, en passant par la Nouvelle-Guinée.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Zone occupée par l’armée japonaise au début de la Guerre du Pacifique
(carte gracieusement fournie par le département d'histoire de l’académie militaire de West Point
http://www.westpoint.edu/history/sitepages/wwii%20asian%20pacific%20theater.aspx)
Ses ambitions dépassent largement ses forces et la défaite de 1945 l’isole de nouveau. Il
devient un protectorat de fait des États-Unis, même après avoir recouvré nominalement son
indépendance au traité de San Francisco (1952). Il ne reprend le contrôle de son espace maritime
qu’avec le retour d’Okinawa dans son giron, vingt ans plus tard, retour conditionné par la
perpétuation de la présence américaine dans l’île. Cependant, la subordination de la politique
étrangère et de sécurité nippone aux intérêts américains hypothèque la mise en place d’une
politique autonome en direction du Pacifique. Indécis, le Japon se voit confronté aujourd’hui au
défi de l’essor de la puissance maritime chinoise, essor qui menace ses lignes de communication
et, par conséquent, sa position dans le monde.
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Approche comparative :
les Caraïbes au cœur des rivalités internationales,
état des lieux et perspectives d’avenir
Sylvain Mary
Agrégé et doctorant en histoire (Université Paris-Sorbonne)
De tradition, les colloques du réseau Asie-Pacifique du CNRS donnent la parole à un
chercheur spécialiste d’une autre aire géographique, l’objectif étant de rechercher dans quelle
mesure les problématiques qui se posent à l’aire Asie-Pacifique se retrouvent ailleurs selon une
dialectique ressemblances/dissemblances.
Sur le plan géopolitique, les Caraïbes, ensemble des territoires insulaires ou continentaux se
situant autour du golfe du Mexique et de la mer des Antilles, présentent un certain nombre de
caractéristiques qui se retrouvent au moins partiellement dans l’aire Asie-Pacifique :
Historiquement, ce fut un espace de rivalités entre les impérialismes européens dès
l’époque moderne.

C’est un espace marqué par l’insularité, voire la micro insularité.

C’est un espace fragmenté sur le plan linguistique et politique où se superposent des
organisations régionales souvent plus concurrentes que complémentaires.

Au XXème siècle, ce fut un espace à haute valeur stratégique (canal transocéanique
de Panama) : Guerres mondiales et Guerre froide.

Depuis la disparition des impérialismes européens fin XIXème siècle, c’est une
espace où s’exerce la domination des États-Unis au nom de la doctrine Monroe
(bases militaires, interventions militaires notamment pendant la Guerre froide etc.).

C’est un espace marqué cependant par la permanence de relations originales avec
les anciennes métropoles et avec l’UE (statuts de Régions ultrapériphériques et
PTOM etc.).

C’est un espace qui suscite de plus en plus l’intérêt de la Chine (projet de
construction du canal du Nicaragua, volonté de « retourner » les micros États
insulaires qui reconnaissent Taiwan depuis les années 1970 etc.).

Sur le plan géoéconomique, c’est une interface nord/sud au contact des États-Unis.
On y retrouve toutes les caractéristiques classiques associées à ce type de
phénomène géographique (importance des zones dérogatoires ou illégales etc.)
essentiel aux rouages de la mondialisation. En écho au concept de Roger Brunet, il
existerait un « antimonde caribéen » (Romain Cruse).
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
La politique maritime de la Chine dans le Pacifique Sud
Sébastien Colin
MCF à l’INALCO
en détachement à Hong Kong
au Centre d’Études français sur la Chine contemporaine
La politique maritime de la Chine dans le Pacifique Sud évolue dans un double contexte
marqué par la volonté des autorités chinoises d’asseoir le pays comme une puissance maritime de
rang mondial et par une diplomatie de plus en plus active à destination des États de la région.
Si l’objectif de transformer la Chine en une puissance maritime n’est pas neuf, l’arrivée au
pouvoir de Xi Jinping l’a cependant réaffirmé avec force. La mer constitue plus que jamais une
nouvelle frontière de la puissance de la Chine tant sur le plan militaire que sur le plan
économique et le Pacifique Sud représente incontestablement un terrain d’expression de cette
puissance. Parallèlement, on assiste depuis une dizaine d’années à un approfondissement des
relations politiques, économiques, militaires et culturelles entre la Chine et les pays de la région,
incluant non seulement les micro-États insulaires et archipélagiques, mais aussi l’Australie et la
Nouvelle-Zélande. L’augmentation du commerce bilatéral de la Chine avec chacun de ces États,
de même que celle de ses investissements et de son aide au développement, illustrent ce
phénomène. Cette percée de la Chine alimente une vision selon laquelle émergerait une
compétition, voire une sorte de nouveau grand jeu, entre, d’un côté, la Chine et, de l’autre, les
puissances régionales plus longuement établies et dominantes comme les États-Unis et
l’Australie, auxquelles sont associées des puissances qualifiées de plus secondaires : la NouvelleZélande, la France et le Japon.
Mais la Chine a-t-elle l’intention de dominer le Pacifique Sud et de se livrer à une
compétition avec les autres puissances ? Les discours officiels américains, australiens et chinois
sont contradictoires et il est difficile de se faire une véritable idée sur cette base. Bien que le
débat reste ouvert, du fait de certaines incertitudes statistiques et de l’existence de coopérations
entre les principales puissances de la région, la Chine ne serait pas encore en mesure de
concurrencer l’Australie qui reste de très loin la puissance dominante du Pacifique Sud.
Dans ce double contexte, comment s’inscrivent les actions des acteurs maritimes chinois
dans le Pacifique Sud ? Le domaine militaire et la pêche représentent deux exemples intéressant à
analyser.
Sur le plan militaire, le Pacifique Sud, situé au-delà de la mer de Chine du Sud et de l’arc
insulaire composé des États archipélagiques philippin et indonésien, constitue un espace de
projection pour la marine chinoise dont les principales missions sont de sécuriser les voies
maritimes et de défendre la souveraineté nationale revendiquée sur Taiwan et les îles des mers de
Chine. Pour l’heure, la présence de la marine chinoise dans le Pacifique Sud est surtout illustrée
par la tenue d’exercices militaires, d’opérations de surveillance (y compris dans la ZEE
américaine) et d’une coopération militaire avec les États de la région. S’ajoute à cette présence
physique, une participation – qui reste encore à évaluer – de la marine chinoise au Western
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Colloque « L'Océanie convoitée » - Résumés des interventions
Pacific Naval Symposium, un organe de dialogue et de coopération qui réunit les forces navales
d’une vingtaine de pays.
La présence de la Chine dans le Pacifique Sud est également illustrée par celle croissante de
ses navires de pêches, désormais accusés par les presses locales – comme à Samoa ou aux Tonga
– d’être responsable de la baisse des effectifs de thon rouge. La pêche en haute mer – c’est-à-dire
au-delà des mers de Chine –, que les autorités chinoises subventionnent fortement, est une des
priorités du développement de l’économie maritime du pays. Dans le même temps, la surpêche et
la pollution dans les mers de Chine obligent les pêcheurs chinois à pêcher dans des espaces
toujours plus éloignés des côtes. Au total, les impacts de cette activité halieutique de la Chine
risquent d’être bien plus importants pour les sociétés locales du Pacifique Sud que la présence
militaire chinoise, laquelle inquiète finalement peu au-delà des milieux militaires et stratégiques
américains, australiens, japonais, voire français.
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