L`écriture et le silence chez Elie Wiesel par Dorith Toledano

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L`écriture et le silence chez Elie Wiesel par Dorith Toledano
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L'écriture et le silence chez Elie Wiesel
par
Dorith Toledano
Mémoire de maîtrise soumis à la
r ... :;ulté des
études supérieures et de la recherche
en vue de l'obtention du diplôme de
Maîtrise èl:J Lettres
Département de larigue et littérature françaises
Uf'iiversité McGill
Montréal, Québec
Mars 1993
(Q
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Dorith Toledano, 1993
•
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
.............................................................. 1
CHAPITRE 1
LA i-iÉPONSE DES ÉCRIVAINS JUIFS DE
1850-1945
FACE
A LA
CATASTROPHE
LEUR INFLUENCE SUIF! ELIE \/VIESEL
.. ..........................
6
CHAPITRE Il
L'IMPUISSANCE DES MOTS
ET L'IMPOSSIBILITÉ DU SILENCE
CONC.LUSION
NOTES
BIBLIOGRA,PHIE
.......... " ................. 36
......... , ..................................................... 95
............. , .................................................... 102
........................................................... 126
•
L'écriture et le sllencb chaL Elle Wiesel
.Résumé
Elle Wiesel, rescapé de l'holocauste fait face au dilemme tragique du
survivant: Il faut témOigner pour combattre l'oubli, pour éViter, peut-être, que
l'histoire se répète. Mais avec quels mots témOIgner"} Comment exprimer
toute l'horreur 7 Le silence, en fait, ne s'Impose HI pas comme lô seule forme
de respect à la mémOire des victimes 7
Ce dilemme, Elle Wiesel :"est pas le premier à le connaître L'histOire
JUIve est Jalonnée de catastrophes et les éCrivams JUifs sont Ilombreux qUI ont
eu à le vivre et à en débattre Elle Wiesel. baigné de tradition JUive, a prodUit
une oeuvre qUI peut être analysée à la lumlèl ~ de ces écoles IIttéralreô, qUI l'ont
précédé d::.ns la quête du témOignage face élU malheur Dans la période IIttéréllre
"moderne" (1850-1945), de nombreux courants, des plus cOllservateurs aux
plus révolutionnaires, ont proposé des formes de réponses variées aux traÇJedlos
de l'histOire JUive
Mais l'holocauste n'est pas une autre tragédie, pas même ulle autre
catastrophe. L'événement est unique, il représente le paroxysme du mal.
Alors, Elle Wiesel dOit trouver sa propre forme de témOignage Il dOit hnser le
cercle mfernal de l'ImpUissance des JTIots et de l'ImpOSSibilité du silence Au
delà du langage, il fera entendre le silence. Au delà du réCit des événements.
Il fera appel à la suggestion
Wiesel maintient une distance rJar rapport à
''l'É .,rénement" qUI marque le beSOin de conserver ent!!:!1 le non-dit de l'horreur
Les surVivants, qu: savent, s'expriment par un code. non transmiSSible Car le
langage a été dénaturé par les NaZIS durant l'Holocauste, et dévalué ensuite par
les faux témOignages MaiS garder le Silence risque par ailleurs d'être une
trahison.
Alors, à pal tir de La NUIt Wiesel s'attelle à témOigner sans porter atteinte
au respect des VICtll~~S Il rPj8tte le silence qUI serait synonyme de passIvité
et d'acceptation. Il S'Identifie à Job et demande compte à Dieu de Son absence
et de Son Silence face à l'inJustice. Wiesel s'év9rtue à tradUire au mieux
l'UniCité de L'Holocauste, tout en se méfiant du langage
Il trouve son
inspiration dans les contes, réCits et fables de la littérature biblique. talmudique,
hassidique pour évoquer, suggérer. dire, tout en respectant les blancs entre le~
mots. En paroles et en silences, Wiesel a développé un certain art ae tradUire
l'IntraduiSible.
Donth Toledano. Mars 1993
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W[!l!Daand Silence
ln
Elle Wiesel
Abstract
Elle Wiesel, a Holocausts surVlvor, confronts a traglc d"emma: hG must
bear wltness ln order to pay respect to the memory of vletlms and perhaps help
prevent a repetltlon of hlstory. But are there words that can express the horror
of the Holocaust ') Would silence not be more ôppropnate ln respect to the
vlctlms ')
Elle Wiesel IS not the flrst to confronT such a dllem na. Throughout
Jewish hlstory, tr3gedlec:; and catastrophes have forced Jewish wnters to face
the Issue. Many Iiterary schools have emerged, partlcularly ln the "modern
penod" (1850-1945). whlch have dealt wlth the question of hO'J\1 to best
respond to the tragedy It IS therefore flttlng to try and conslder Elle Wlesel's
works ln Iight of these vanous hterary currents
However, the Holocaust IS not Just another tragedy, not even another
catastrophy.
The event has no precedent. It IS unique; It represents the
ultlmate evll How to come ta terms wlth It ') What IS the way between the
powerlessness of language and the Imposslbllity of silence') Elle Wiesel must
fmd the dellcate art of makmg silence be heard beyond the nOise of words. He
will suggest rather than tell the event. He Will mamtam a distance tn proteet
the secret of the vlctlms m front of the horror. Survlvors who share the secret,
express themselves wlth a code, whlch IS not transmissible. Language has
been devalued and words have lost thelr meanlng. But to remaln sile nt mlght
also be a form of treason.
From Night, hls flrst book, and throughout ail hls works, Wiesel
asslduously develops !lIS way of beanng wltness ln the name of the victlms.
He reJects the Silence whlch would be synonymous wlth passive acceptance.
He Identifies wlth Job and demands account from God for HIS absence and His
Silence, whlle ev" was commltted. He dlstrusts language but must find the
way to translate the unlqueness of the Holocaust. He fmds hls inSpIration m
the tales and legends of the IIterature of the Bible, the Talmud and the
Hassldlsm. He evokes, suggests and tells whlle trylng to respect the blanks
between the words ln language and 111 SIlence, WIesel developed a certain art
of suggestlng for what cannot be told otherwlse.
Donth Tot"dano, Ma,eh 1993
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INTRODUCTION
Écrire ou se taire: ce dilemme est au coeur de l'oeuvre d'Elie
Wiesel. Cet éCrivain juif onginaire d'Europe de l'Est est un rescapé de
l'Holocauste 1.
"témoigne de son expérience à Ausr.hwltz et autres
"camps de la mort", en yiddish d'abord dans La NlIIe (1958), puis en
français dans tous ses écrits ultérieurs.
Toute son oeuvre est un long monologue où il se fait le porteparole des six millions de Juifs mis à morts entre 1938 et 1945. Il prend
la responsabilité de les représenter, sur la scène publique, et, par son
oeuvre, il leur érige une sorte de pierre tomhale sans nom.
La tâche n'est pas facile: au dilemme "écnre ou se taire" se mêle
invariablement la question centrale du mode d'écriture
apte à ne pas dénaturer "1'Événeml1t".
•
QUI
serait le plus
D'autres témOinS - les
intentionnalistes - rejettent le type de discours "universitaire",
QUI
risque
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2
d'ôter à "l'Événement" son unicité historique en le banalisant.
Pour
certains, tel Yehuda Bauer, une attitude distante et quasi-scientifique est
aussi inhumaine que celle des individus qui ont commis ces crrmes ou qUI
en furent les témoins détachés.
D'autres, telle Lucy Davldovicz,
affirment qU'II ne faut pas confier une telle tâche aux historiens, qUI,
inéVitablement, trivialisent la catastrophe.
D'un côté, donc, la peur de cet événement "unique" retient encore
bon nombre d'historiens et de sociologues et empêche la "normalisation"
de l'étude de l'Holocauste. SI "l'Événement" est unique, Il semble que
toute analyse d'un témoignage écrit, tel celUI d'Elie Wiesel, équivaudrait
à une exploitation de "L'Événement"3, et la démarche d'étudier E. Wiesel
devrait alors être rejetée.
Par ailleurs, il eXiste un besoin d'étudier
l'Holocauste comme on étudie n'importe quel autre sujet, afin de
transmettre et de communiquer ce que nous savons, dit Marrus 4 •
Mais le témoignage est une forme de littérature, et malgré l'unicité
de "l'Événement", le témoin-écrivarn ne peut réinventer à neuf. Il bâtit
nécessairement son oeuvre sur un art pré-existant et, curieusement, la
perception du survivant-écrivain juif des ghettos était celle du "déjà-vu" .
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3
Car une tradition eXistait déjà:
la tradition l'-lIVe"
él
en effet étl~
confrontée aux catastrophes depuIs les origmes mêmes de SOIl
race
I1lstom~,
à cette tradition, le témoin réagissait nécessairement, en
s'engageant ou en répudiant le double héritage
héritage de la
destruction et héritage traditionnel jUif - qUI lUI était légué,
TOlite
réponse littéraire juive à la catastrophe est bâtie sur cette dialectique.
Elle 101ie les générations, puisqu'elle véhicule en elle la 101 orélle et éCrite
telle que reçue par MO'Ise sur le Mont Sinai.
Elle est faite de lOIS, de
légendes, de contes, de coutumes, et de valeurs morales, éthiques et
culturelles du peuple juif.
En se soumettant à l'IIlterprétatloll des
rabbins, des prophètes et des scribes, elle encourage l'adepte à partager
la saga d'expériences passées, à condition que ce dernier veUille recevoir
cet héritage, et s'engager.
Et Elie Wiesel est avant tout cet éCflvdlll
"engagé" .
Le lien unissant les générations unit les catastrophes - ou vice
versa - , l'un::! s'empilant sur l'autre.
Il s'exprime par une continuité
d'approche qUI se reflète dans la littérature des auteurs JUifs, réagissant
aux pogroms et aux persécutions .
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4
Une étude de ces réactions face au désastre, dOit établir SI Elle
Wiesel se situe dans ce continuum. Le choIx de Gette pénode d'histoire
littéraire - 1850 à 1945 - correspond à la révolte des Intellectuels juifs
d'Europe dE: l'Est.
Nous pouvons distinguer, avec D. Roskles, six
groupes d'écrtvalns. appartennant à troiS écoles de pensée - l'école néoclassique, l'école romantique, et le modernisme - dont les éGnts
permettent de COUVrir le champ entier des réactions face à
la
catastrophe. Cette première partie doit déterminer s'JI ya un mode plus
apte qu'un autre à exprimer la destruction, SI Elle Wiesel 3dopte ce mode
et SI ses éCrits appartiennent à l'une ou l'autre de ces écoles (ou
courants de pensée).
Mais, seule une comparaison entre les éCrivains qui ont marqué
ces courants et Elie Wiesel devrait permettre de déterminer, dans une
deuxIème partie, s'il est possible de parler d'un héritage et d'une
tradition JUive face à la destruction.
Quelles sont les attitudes
d'Abramovitch, de Blallk, de Sholem Aleichem, de Peretz, d'Ansky, de
Lelvlck, de Sutzkever, face aux problèmes du langage, du témoignage et
du silence?
En quoi la tradition jUive et les oeuvres rédigées par les
écnvallls d'Europe de L'Est influencent-elles directement l'oeuvre d'Elle
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5
Wiesel? EXiste-HI un lien qUI perrnette au lecteur d'aborder
de familiarité l'oeuvre du "poète de l'holoCéillste"h.,
dVt'C p!lI~
Enfin, Il
S'él~JIr.t
d'établir SI "l'Événement" en SOI se situe dans la Ilgn8 des CélWstroprws
précédentes, ou bien s'II marque une cassure déllls l' hlstcme JlIlve nt celle
de l'humanité.
Dans un deUXième chapitre, nous verrons si cette connalSSélnce cie
l'histoire et de la tradition mèneront E. Wiesel à résoudre son dilemme
dl:
témoin, face à des mots qUI lui semblent ImpUissants à rélconter "lél
Catastrophe", et face à un Silence impossible à garder pour un exllésurvivant juif .
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CHAPITRE 1
LA RÉPONSE DES ÉCRIVAINS JUIFS DE 1850-1945 FACE A LA
CATASTROPHE: LEUR INFLUENCE SUR ELIE WIESEL
La littérature traditionnelle juive est essentiellement de
source rabbinique.
Après les périodes talmudique et géonique 7 , elle
continua de se développer avec les Rishonim8 et les Aharonim 9 • Au sens
strict du terme, la littérature rabbinique est basée exclusivement sur la
transmission et l'interprétation de la loi, la Halakhah.
Dans un sens plus large, la littérature juive traditionnelle comprend
les oeuvres poétiques devenues chants liturgiques ou Piyyutim, les écrits
cabalistiques et les exégèses philosophiques de la Bible. Le Hassidisme mouvement
populaire créé au
XVIIIe siècle,
par opposition
au
mouvement littéraire traditionnel - introduisit les fables et les contes, le
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7
folklore et les héms, mais il maintint la cO!1ceptlon selon laquelle
l'Histoire constituait une expression hiéroglyphique du sacré.
Cependant, le mouvement rabbinique s'imposa de nouveau au
XIXe siècle. Pendant cette période pré-moderne, la mémoire collective
était transmise par les rituels, les prières et les archétypes littéraires
reliés au pacte sacré du Mont Sinaï, à l'exode, et à l'akedah lll .
La
réponse des rabbinS, face à la catastrophe, met l'accent sur la réalité
'3ubjective des faits. Elle ordonne, en des configurations Intemporelles,
les détails tirés du temps historique, et confère un sens sacré à la
destruction en référence aux textes anciens. Cette "première génération
d'écrivains""
a toujours une explication toute raite pour chaque
catastrophe, car elle associe tout acte de destruction à un sacrilège
passé, inscrit dans le calendrier juif; et elle l'interprète à l'aide des
mêmes archétypes et des mêmes textes anciens (telle répertoire du livre
des lamentations) sur un même mode liturgique, Les Plyyutlm et .(lnot
ou chants liturgiques et chansons historiques.
En 1856, à la fin de l'ère cantoniste'2,
IdS
idéologies séculières se
mêlèrent au Judaïsme traditionnel et provoquèrent une cassure
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8
qualitative.
Les intellectuels juifs d'Europe de l'Est se rebellent
progressivement contre le credo de la tradition. Ils rejettent notamment
les réponses qu'ils considèrent "passivistes", face à la catastrophe.
Cette deuxième génération d'écrivains est caractérisée par
l'optimisme et la foi en l'émancipation ou Haskalah.
Sous la double
influence des valeurs propagées par la Révolution française et du
mouvement socialiste naissant, ces éCrivains sont imprégnés de
rationalisme et d'une croyance profonde en la possibilité et ja nécessité
de changer la société. Selon eux, la recherche et la reconnaissance des
causes du mal dOivent permettre à la société juive de surmonter, voire
d'éviter les catastrophes, au sein d'un établissement non juif. Avec ce
mouvement apparaissent les personnages littéraires au sens moderne du
terme, le premier journal juif, et le premier roman sur les pogroms par
Berman.
Deux nouvelles tendances littéraires apparaissent en cette fin de
siècle: la première consiste à appliquer des méthodes modernes et les
romans produits seront caractérisés par l'utilisation d'une même
structure schématique. Ils donnent une importance démesurée à une
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histoire d'amour entre une femme juive et un homme chrétien. A force
de mettre l'accent sur les héros de l'intrigue romanesque, Ils ne
réussissent f.ias mieux que les lamentations et les sermons traditionnels
à éclairer la crise qui surgit en RUSSie.
La deuxième approche révolutionne le modèle liturgique. Elle ne
3e réfère
pa~
directement au pogrom, mais l'exprime à travers l'allégOrie
métaphysique. L'allégOrie apparaissait alors comme une bien meilleure
méthode pour décme les torts inhérents à la SOCiété, les Inégalités
sociales et la dualité des forces du bien et du mal, face à la destructlor:.
Cette méthode est d'abord utilisée par S. Y. Abramovltch dans ses
romans Di Klyatsche ou The Mare 13 et Pit y the Poor Anlmal 14 • cet auteur
est le premier à établir l'agenda intellectuel et le répertoire artistique de
la réponse moderne du XIXème siècle face à la catastrophe.
Ce mouvement littéraire néoclassique était toujours rejeté par le
mouvement litt4raire traditionr.el
rabbinique.
Celui-ci continue à
s'organiser autour de la poésie et de la chanson, des symboles publics
et des formules thématiques applicables partout et en tout temps. D'un
pogrom à l'autre, il perpétue les mêmes archétypes, les mêrpes
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méthodes,
les
mêmes
rythmes.
ToutefoIs,
des
changements
surviennent. D'une part, certains, tels Judah Leib Gordon, commencent
à explorer le thème de la catastrophe nationale - la catastrophe étant
devenue une partie Intrinsèque de la vie jUive de cette deuxième moitié
du XIXème Siècle. D'autre part, la démarche de ces traditionalistes ne
se fonde plus seulement sur le livre de prières, mais aussI sur l'étude du
"passé", de l'histoire des Juifs.
Les intellectuels anti-traditionalistes, dont Peretz, Abramovitch et
Spektor, se penchent également sur le passé historique, pour y trouver
des exemples de grandeur; mais ils les cherchent dans le mouvement
Hassidique, chez les cantonistes, ou dans la littérature mystique.
Cependant, leur croyance en l'émancipation et leurs liens avec les
positivistes russes se brisent à la sUite des vagues de pogroms Qui
ravagèrent la Russie en 1881 et 1882. Ces catastrophes détruisirent
toute fGI en la notion de progrès pour les trois générations d'écrivains à
venir. Un mouvement "d'auto-défense" remplace celui de l'Haskqlah.
La troisième génération 15 d'écrivains ,~st à la recherche d'une
transcendance indiViduelle, et se moque de l'idéal héroïque qu'elle
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oppose à une société fragmentée.
Elle réagit à la violence At au
désespoir existentiel des shtetlekh 16. Sholem Aleichem, Bialik, Shapiro.
Weissemberg ou Brug essaient, par la parodie et le burlesque, de faire
face aux destructions. Ce mode d'écriture devient le lien Vital e/ltre la
réponse littéraire traditionnelle et la réponse moderne, face à la
catastrophe: la paiodle sacrée a cédé la
pl~ce
à la parodie "sacrilège".
Weissenberg écrit le premier récit flctionnel en hébreu 8t en
yiddish, The Shtetl. Il souligne que les grandes catastrophes surviennent
d'abord dans les petites villes. Il y attaque les notions de communauté
et de responsabilité censées caractériser la SOCiété juive.
Cette nouvelle génération d'écrivains se bâtit précisément sur les
ruines du shtetl. Dans The Dead Town 18, Shapiro transforme un "talush"
ou héros d'inaction, en homme d'action libre de toutes contraliltes. Cc
que Shapiro cherche à montrer par l'intermédiaire de Vasll, c'est la
déshumanisation de l'homme moyen, qUI, dans La NUI\, verra le corps
vaincre l'esprit dans les camps d'extermillation nazIs. Pour mieux agir,
ces écrivains anti-tradltionnallstes s'organisent et forment le groupe
d'Odessa. Ils créent des bureaux pour rassembler une documentation
•
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historique sur les destruc:tlons. Les poèmes de Bialik sont anti-religieux,
politisés et essentiellement axés sur les faits. Ils illustrent la colère et la
frustration d'une génération prise au piège entre le monde perdu des
traditions et leur existence en voie de désintégration, car la catastrophe,
tlBil le pogrom de Kishimw en 1903, constitue leur vécu.
Jusqlle-Ià,
les
écrits
littéraires
de
ces
anti-traditionalistes
reflétaient encore certaines valeurs traditionnelles;
jusque-là,
les
traditionalistes continuaient à coder les catastrophes en archétypes.
Mais les conséquences des massacres, des pogroms successifs, de la
première guerre mondiale et de la guerre civile d'Ukraine, où périrent
soixante mille Juifs, furent traumatisantes: avec la perte de leur home 19 ,
du shtetl, les Juifs d'Europe de l'Est voient leur environnement éclater.
L'ordre ancien qUI régissait les liens au sein de la communauté était
défait, les relations entre Juifs et non-Juifs étaient dissoutes.
Les
écrivains d'après-guerre réagissent avec brutalité: un mouvement pour
la lutte révolutionnaire universelle ou nationale jUive succède au
mouvement d'auto-défense qui avait caractérisé la troisième génération.
Babel, Shapiro, Leyb Olitsky, Warshawsky, Ansky et Halpern
•
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13
forment une "quatrième génération" d'auteurs (1900-1920) qui se
détournent du néo-romantisme et se dirigent vers un nouveau réalisme
critique.
Ils s'éloignent totalement des traditionalistes et de toutes
notions de contrainte et de solidarité.
Les anciennes valeurs (de
rédemption et de rétribution) sont déflllltivement rejetées. A la place, Ils
subvertiront les tradll'ions; cette subverSion est codée à travers l'Image
du shtetl.
Dans The Smugglers 20 , Warshawsky exprime, de manière
brutale et très physique, le grand thème de la destruction.
Il inSiste
autant sur la destruction physique du shtetl que sur le déclin du sens de
communauté entre JUifs.
L'accent est mis surtout sur la sensation,
plutôt que sur la réflexion. Alors qu'auparavant les JUIfs se refusaient
à exprimer la violence sur l'homme, dans l'oeuvre d'Isaac Babel,
l'agression et le mal sont omniprésents.
Babel ne montre pas tant la
dislocation communautaire, que celle de l'indiVidu. Selon lUi, la personne
doit renier son héritage de symboles, d'archétypes, renier son passé, afin
d'exprimer
sa
volonté
dans
l'histoire
et
à
travers
l'Histoire.
Parallèlement, Ansky dans Khurbm Galitsye 21 transmet son témOignage
sous forme de mémoire: Il révèle la tension entre la dimension universelle
de la violence et ses effets destructeurs sur l'individu .
•
•
14
Bialik accusait déjà la re:ligion et cherchait à détruire le genre
traditionnel, en désacralisant l'Histoire.
Les anti-romantiques, tel
Halpern, iront plus loin: face aux destructions, la transcendance et la
fui1e ne semblent plus possibles: restent l'anonymat et l'oubli de sa
propre Identité. Il s,emble qu'en littérature, l'effet des destructions au
début du XXe siècle,
s'exprim,~
par l'isolement de l'individu: celui-ci est
devenu une communauté en miniature, il est le seul témoin des
catastrophes.
De 1920 à 1940, une "cinquième génération d'écrivains", dont
L€!ivick, A. Leyeles, Israel Rabon et Markish, oppose au sacré l'exaltation
esthét~~ue.
Ils vont revivre l'épopée et choisissent les paradigmes les
plus sacrés de la destruction, soit le martyre collectif.
Selon eux, le
suicide collectif est la réponse inévitable des victimes des pogroms.
Leyeles succède à Leivick pour introduire des parallèles bibliques et
révéler la nature archétypale' du pogrom, en opposant au rationnel un
déchiffrement métaphysique.
Au XIXe siècle, il n'y avait qu'un seul paradigme d'interprétation
face à la catastrophe. Au XXe siècle, il apparait que,
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15
Numerous alternatives were now
put forward: the pogrom as
prophetic indlctment (Biallk); as
personal nightmare (Halpern); as
pornography
(Marklsh);
as
pastoral
(Leivlck); and
as
phllosophlcal
postulate
(Leyeles).27
conclut D. Roskies.
La rébellion progressive, amorcée par les anti-traditionalistes en
1880, ne réussit pas à établir de nouvel archétype convenant à la
destruction. Malgré eux, ils ont même renforcé la notion de catastrophe
collective, chère aux stratégies rabbiniques. Le shtetl regagne son statut
archétypal et n'a plus besoin d'un protagoniste ou d'un endroit précis
pour exister. En littérature, l'attitude apocalyptique face à la catastrophe
s'impose de nouveau. Entre 1850 et 1945, une boucle s'est refermée.
Le mode de référence préféré par les écrivains JUifs du début du XXe
siècle confrontés à la catastrophe, demeure celui qUI caractérisait la
littérature traditionnelle juive et les néoclassiques.
Le travail des anti-traditionalistes n'aura pas été vain. Il permet,
entre autres, à un exilé-survivant, tel Elie Wiesel, d'avoir le choix: celui
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16
de témoigner en s'Inspirant des Anciens ou des Modernes. Chacun de
ces courants littéraires assume une fonction différente et importante.
L'Influence de la tradition naturaliste, chez les modernes, entraîne
le témoin à se concentrer sur l'expérience vécue per se.
Ses écrits
ressemblent alors à un document: peu de rhétorique, d'émotions, de
sentiments et
de
fiction
caractérisent ces
chroniques, appelées
"reportages" en yiddish.
L'histoire racontée, vibre et vit grâce à
l'abondance des détails.
Dans sa première oeuvre et seul récit
autobiographique, La Nuit, Elie Wiesel côtoie ce mode naturaliste. Il y
accentue la réalité de l'expérience vécue, car il se refuse à l'analyse
abstraite de "l'Événement".
Le deuxième courant littéraire en ce domaine est celui des
Anciens.
Il appartient à la plus vieille tradition juive et :')era repris par
Abramovitch et les écrivains de la deuxième génération (1860-1880).
Le mode d'écriture néo-classique est éloquent, rhétorique et il fait
référence constamment aux anciens archétypes. Il devient populaire au
lendemam de la Deuxième Guerre mondiale .
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Elie Wiesel utilise ce mode. dans une grande partie de son oellvre.
A travers la fable :lassidique, Il pourra ainsi transformer le compte-rendu
en anecdote. Au lieu d'expliquer "l'Événement', Il choIsit de rapporter
des faits dont le récit éclairerait le dessous des choses. Il substitue la
suggestion à l'analyse. L'anecdote acquiert ainsi ulle portée universelle
car
elle
se
prête
d'interprétation.
à
olfférents
niveaux
de
compréhension
et
Ailleurs, l'emploI de méthodes mythiques et de
références bibliques lui permet de recréer le lien entre l'Antiquité et le
monde contemporain.
D'Abramovich à Leyeles. les écrivains d'Europe de l'Est semblent
s'appuyer sur l'héritage de leur tradition juive, afin d'exprimer les
catastrophes et les souffrances de leur peuple.
Dans la même veine, Elie Wiesel dira: "the Bible was for me 1... 1
what literature is today for many others"23. En effet, dès son enfance
à Sighet 24 , Wiesel est initié au Talmud, à la Bible, et au Hassidisme
auprès de son grand-père Doddye-Grey.
Il pratique l'ascétisme du
langage, ou tentative de perfectionnement, fondé sur la lutte non pas
contre le corps, mais contre lé. parole. Ainsi, Il entre en contact pour la
•
•
18
première fOIs avec le monde du silence et les vOies du mysticisme. Cette
formation influencera, entre autres, ses modes d'écriture, la conception
qu'II a du rôle du témoin-écrivain, et l'importance qu'il attribue à la
parole, à l'écriture et au thème du souvenir. Ainsi Wiesel dira, que:
As a Jew, with my Jewlsh
background, whatever 1discover,
1 must derive trom wlthin my
own tradition. 25
Après la guerre, vivant à
P~ris,
l'auteur se frotte au roman français
moderne; il s'imprègne de l'existentialisme de Sartre, et de l'humani'5me
de Camus.
Ces nouvelles influences, qUi s'ajoutent à sa formation
traditionnelle, sans la remplacer, expliquent en partie le caractère
éclectique de son oeuvre.
Wiesel adopte an effet des modes d'écritures aussi variées que
ceux propres au mémoire, à l'autobiographie, à la fiction, au dialogue,
aux essais et à la légende. Au cours des dix dernières années, Wipsel
semble pencher plus parti<;ullèrement vers la fable 26 : l'écrivain s'essaie
ainsi à traduire la réalité à travers la légende. 27
•
•
19
En rédigeant son propre commentaire des fables tirées de la
littérature des
rabbins,
Lamentation~ l~t
Wiesel
compose son
des enseignements des prvphètes ct
propre
mldrash 71l ,
liant
all1S1
nos
expériences à celles du passé, et sa propre histoire à celle de l'HlstolW
juive.
De la tradition juive, Wiesel hérite aussi une conception humaine
du rôle du témoin: le prix d'un humain est égal, vOire supérieur, tl ses
yeux, à celui de l'humanité. Dans Le Serment de Kolviliag 2H , Azriellmse
le pacte de silence maintenu pendant cinquante ans, au sujet du
massacre de son peuple (à Kolvillag), un silence susceptible de hâter ln
venue du Messie et d'assurer par là l'avenir des hommes sur
terr~,
mais
un silence impuissant à sauver la vie d'un homme.
L'importance que l'écrivain attache à la parole, au thème du
souvenir et au témoignage, est directement liée à l'héritage de sa
tradition, qui privilégie la valeur de la parole.
Le Talmud et la Bible
attribuent la pUissance du verbp. à l'acte premier, car Dieu même plaça
la parole avant la création en s'adressant à MOise. La valeur suprême de
l'écriture fut également consolidée par la remise, au Mont Sma'" des
•
•
20
Tables de la loi. Dans Le Serment de Kolvil/ag, Wiesel attribue le rôle
principal au pinkhas, oeuvre collective racontant les événements
survenus aux générations juives. la raison d'exister du Qinkhas est le
sujet du récit: écrire et maintenir la tradition consiste à inscme tout
événement dans le livre. Parce que Kolvillag signifie "tout le monde", il
est possible de déduire que l'histoire de l'humanité est mise en péril
Quand Moshe le mystique cherche à imposer la loi du silence au peuple
juif de KQlvlliag. Wiesel doit donc choisir entre le langage et le silence;
à la fin du récit, le pinkhas retrouve son statut:
Eh oui, l'infini existe, et il
se trouve dans les mots Que tGt
ou tard il fera éclater [".] peu de
civilisations vivantes sont aussi
imprégnées de passion pour la
parole. 30
le double héritage de lél destruction et de la tradition influence le
cheminement humain et littéraire des écrivains d'Europe de l'Est et d'Elie
Wiesel. leur réaction face à "la Catastrophe" est basée sur des mêmes
valeurs, sur des sources de références semblables et le partage d'une
mp-moire incluant l'expérience collective de leur peuple depuis ses
•
•
21
origines. La connaissance de cet héritage et l'utilisation vanée de ses
symboles, permettent au lecteur de mieux saisir certaines des dimensions
de l'oeuvre d'Elie Wiesel; grâce à elles, l'écrivain peut se raccrocher à
lin
message sacré, le message de la Bible, un message de survie collective.
Il importe maintenant d'aborder les différents modes d'approche
qu'illustrent Abramovitch, Blalik, Peretz, Sholem Aleichem. Ansky.
Leivick et Sutskever, face aux thèmes du langage, du témOignage et du
silence, thèmes qui charpentent l'oeuvre d'Elie Wiesel. Peut-on toujours
parler de continuum entre ces générations et Elie Wiesel, ou y a-t-il une
cassure face à l'Holocauste?
En 1945, Elie Wiesel décida de garder le silence pendant dix ans. Après,
il dira:
After the war,
observed,
unwittingly,
perhaps
unconsciously, the obsession to
tell the tale, to bear witness. 1
knew that anyone who remained
alive had to become a storytel 1er , a messenger, had to speak
Up.31
•
•
22
De la même façon, après la vague de pogroms en Russie (188182), Abramovitch décida d'arrêter d'écrire. "This period of tribulations
for Jews set upon my IIps the seal of silence"32, dit Abramovitch. Après
les pogroms, Il reprend la plume pour mattre en scène un de ses anciens
héros: Mendele. Le choix de ce personnage contradictoire reflète les
circonstances tragi-comiques de ('8tte période: Il n'est pas assez
intelligent pour se pencher sur les grandes questions du cosmos et du
chaos, mais il sait se débrouiller dans la dynamique interne de la vie
juive. Il s'exprime en hébreu, en yiddish, et combine tous lE;s registres
du langage dans un style prosaïque. Ce mélange de langues est en soi
révolutionnaire, car l'hébreu était alors un véhicule mythique à caractère
rédempteur, à ne pas confondre avec le yiddish, plus populaire. Le choix
de ce personnage, ainsi que d'un langage mêlé de sacré et de profane,
traduit la position d'Abramovitch face à l'absurdité des catastrophAs. A
travers ce protagoniste, il cite des paragraphes bibliques, rabbiniques et
liturgiques, parodiant ainSI les textes sacrés.
Ces écrits mêlés de
burlesque, ne pourront jamais retrouver leur sens original. Bafoués, ils
garderont toujours en eux l'expérience de l'atrocité présente. Face à la
destruction, Abramovitch témoigne, d'abord en se taisant puis en se
rebellant co.ltre l'horreur, à travers
•
I\.~endele
et son !anÇJage de dérision .
•
23
Finalement, il se réfugiera dans les écrits hassidiques.
Pour sa part,
Wiesel témoigne par le silence d'abord, puis en écrivant sa première
oeuvre en yiddish, le langage populaire. Lé! première version de ce qui
est devenu La Nuit, s'Intitulait Et le monde se taisait. Le message de ces
864 pages n'est pas exactement le même que celuI de
La_~!.!lj,
car
l'auteur y appelle les Juifs à la vengeance, et à la rébellion. Comme SOIl
prédécesseur, E. Wiesel cherchera à travers les récits hassidiques lin
langage et un mode d'écriture capables d'exprimer "l'Événement".
Peretz appartient à la même génération qu' Abramovltch (deuxième
génération). Dans Impressions of a Journey through the Toman-Shav
Region 33 , il raconte la dégradation, pUIS la destruction du shtetl. "écrit
ce livre à la première personne, dans un style naturaliste., presque
journalistique, et empreint du niggun. Le niggun ou mélodie religieuse et
thème traditionaliste courant à cette époque, est présent dans l'oeuvre
de Wiesel non par son GOI:tenu objectif, mais par la sonorité, le rythme
et la répétition des mêmes mots qui se retrouvellt en fins de phrases ou
de paragraphes. La première oeuvre d'E. Wiesel est éCrite dans cette
même veine et cherche à adapter le nlggun du passé au présent. Plus
tard, Peretz témoigne de l'absurdité de la destruction en intériorisant
•
•
24
l'expérience puis en changeant radicalement de mode d'écriture: il
devient ainsI le conteur hassidique le plus important du XIXe siècle. Et
pourtant, ses premiers écrits montrêlit::i1 t à quel pOint l'héritage juif lui
était étranger. C'est difficilement que ce JI..!lf non religieux reconquit
cette matière. "semble qu'Elie Wiesel ait suivi le même cheminement,
car il avait perdu momentanément la foi et souffert, après l'Holocauste,
d'une coupure avec son passé. Pou: Peretz et Elie Wiesel, la fable est
l'instrument de création et le médium d'expression susceptible de
transmettre leur me,:;sage à un public qui, au XIXe comme au XXe siècle,
ne croyait plus en Dieu et avait renié son passé. Elie Wiesel témoigne
presque exclusivement à travers ce mode depuis 1971 avec Célébration
hassidique: portraits et légendes 34 • Peretz et Wiesel semblent dire que:
"When facts or tests [or silence] are unacceptable [ ... ], legend is
nobler"35.
Face à "la Catastrophe", Elie Wiesel adoptera une attitude similaire
à celle de Bialik, leivick et Sutzkever.
Bialik réagit en s'identifiant à
l'expérience collective. Il devient le poète national juif, leprésentant et
accusant sur la scène publique la cruauté des pogroms. Son message
est pOlitisé: ln the City of Siaughter 36 montre Qu'un nouveau système de
•
•
25
valeurs émergera à condition seulement de détrUire l'ancien système. Il
montre que rien de transcendant ne peut jaillir du meurLre des Juifs.
Avec lui, le pogrom est poétisé. Mais à l'encontre des éCrivains de la
deuxième génération, Blalik appelle à l'action: ses poèmes portent en eux
un message de colère et de rage, un message qUI sera universalisé, car
le poète des pogroms sera lu et ses poèmes seront scandés Jusque dans
les ghettos. Au message de colère de Biallk, Elie Wiesel substitue un
message de peur pour l'avenir de l'Humanité. Paradoxalement, le "poète
de l'Holocauste" affirme Que la poésie, encore possible durant l'ère des
pogroms, ne "est plus avec Auschwitz: les camps de concentration nient
toute littérature. La solution réside dans la politisation du message chez
Bialik, et dans l'éveil, voire le bouleversement des conSCiences, chez
Wiesel: tous deux appellent à l'action.
Leivick est, plus que les autres, le précurseur direct d'Elie Wiesel.
Après s'être échappé des prisons du tsar, il traverse la Sibérie à pied. Ce
survivant écrira alors des poèmes autobiographiques, où, à l'encon(re de
Bialik, il cultive le sublime.
l'atrocité.
Il montre le lien vital de la beauté et de
Il devient le symbole du mouvement soclélliste juif et il
représente, à titre de survivant, le peuple juif sur la scène publique .
•
•
26
Sutzveker est un des poètes les plus Importants de l'Holocauste.
A l'encontre d'Elle Wiesel, il ne s'inspire pas, dans son oeuvre, de son
héritage traditionnel jUif. Mais Sutzveker, comme Biailk, Lelvick ou Elie
Wiesel, partagent une tradition propre aux éCrivains engagés qui n'ont
pas hésité à témoigner publiquement des traumatismes causés par les
catastrophes.
Ansky se situe entre Peretz et Leivick. Sa volonté de témoigner
était exacerbée par la peur de voir l'Histoire occultée et de laisser le
silence s'instaurer, entraînant l'oubli. Aussi, après la Première Guerre
mondiale, guerre où les Juifs souffrirent à la fois de la violence des
tranchées et de celle des pogroms, un nouveau genre apparaît avec
Khurbm
Galitsye 37 :
le mémoire classique jUif.
Ce
livre rempli
d'anecrjotes, est une sorte d'encyclopédie des réponses populaires à la
catastrophe.
Ce mode d'écriture "documentaire" sera repris dans les
ghettos. Pour témoigner, Ansky intériorise son expérience personnelle
pour y retrouver le panorama de la souffrance juive. A l'inverse, Elie
Wiesel illustrera la souffrance du peuple à travers son vécu. Tous deux
se font le porte-parole de la douleur collective, afin de prévenir le silence
qui risque de s'étendre en proportion de l'énormité de "la Catastrophe" 1
•
•
27
et d'instaurer l'oubli.
Ces écrivains témoignent pour informer, pour que l'humanité se
souvienne, ou encore pour corriger les injustices:
Today, IIterature has a moral
dimension [ ... ] a
moral
imperative. We must change
humanity. We must save it.
And the tale of what humanity
has done to itself can save It
fram future catastrophe. 3R
dit Elie Wiesel.
Jusqu'en 1920, le choix de témoigner en yiddish, en hébreu ou en
russe, n'était pas un choix neutre. Une valeur symbolique était attachée
à chaque languü: le yiddish était populaire, l'hébreu demeurait sacré, et
le russe prouvait une assimilation ou encore une prise de position
politique.
Après la Première Guerre mondiale, l'acculturation, la
dispersion des Juifs d'Europe de l'Est et le cosmopolitisme naissant,
effacent ces considérations. Témoigner en hébreu ou en Yiddish n'avait
plus de connotation symbolique.
Pour Elle Wiesel, chOisir d'écrire en
français, donc une langue étrangère au YiddiSh, sa langue maternelle,
•
•
28
"meant a new home ... The language became a haven, a new possibility,
a new wor Id [ ... J"39 .
Dans son oeuvre, Sholem Aleichem montre l'évolution du langage,
son
importance,
puis
son
avilissement,
annonçant
par
là
"la
Catastrophe". Il souligne la force du langage dans The Town of Little
people 40 • A travers le langage, il transforme en victoire la défaite d'une
collectivité en exil; il crée une tension grandissante, en révélant la
différence entre l'Histoire et la manière dont elle est racontée.
Le
changement des événements apparaît seulement à travers la texture
même du langage.
Ainsi, ses trois narrateurs, Yankl Yunever, Moet
Tevye et Menakhem-Mendl utilisent les mêmes mots pour exprimer les
mêmes
peurs
face
à
la
catastrophe,
mais
dans
un
langage
synthétiquement différent. Il révèle le danger potentiel inhérent au mot:
puisque son sens peut être altéré, voire dénaturé, le langage peut être
manipulé.
Dans le Conte des mille et une nuits 41 , toutes les anciennes
structures de la société s'écroulent une à une. Le langage qui avait une
fonction rédemptrice au début de l'oeuvre, est devenu synonyme de
•
•
29
terreur: il n'est plus capable d'empêcher les meurtres et il devient en soi
un moyen de destruction. Dans les écrits de Sholem Aleichem, le train,
véhicule de transport, devient avec les pogroms un symbole et une
source de dislocation; avec l'Holocauste, il sera le véhicule de la mort.
Le langage est rationnel, et précisément parce QU'II est rationnel, Il ne
peut raconter des événements qUI ne le sont pas. Pour la première fois,
un écrivain juif propose, face à la catastrophe, une alternative aux mots:
le silence. Yankl Yunever, le narrateur de l'histoire dira: "If It IS ta be a
disaster, you lose your tongue"42. Or, le langage jUif est basé, au Sinaï,
sur l'acte primordial de la parole. Se taire, pour les JUifs, n'est pas une
solution: cela équivaut à une répudiation de la judéité. Dans le contexte
profondément juif de l'époque, la réponse à la catastrophe proposée par
Sholem Aleichem est inacceptable. Mais il ne se taira pas. La crise du
silence, dans son oeuvre, transpirera à travers le langage. Pareillement,
Elie Wiesel ne cesse pas d'écrire et de décrire son besoin de silence.
Alors que l'auteur de La NlIil est toujours à la recherche d'une
solution au dilemme, "écrire ou se taire", Sholem Aleichem résout le sien
en affirmant que le langage de la foi est seul capable de protéger les
Juifs .
•
•
30
Pour Sutzkever, le poète de la nature d'avant et d'après la dernière
Guerre mondiale, la tension entre la mémoire du passé, des pogroms et
la terreur du présent devient insoutenable.
dialogue face à "la Catastrophe"?
Comment maintenir le
Parce qu'il tient à préserver la
mémoire des morts, ce JLlf non religieux changera radicalement
d'approche et de mode d'écriture.
Au début, il rejetait la dialectique
habituelle de la réponse juive à "la Catastrophe" avec ses archétypes.
Mais son public est mort et il réalise qu'il s'adresse à un nouvel auditoire.
En effet, "la Catastrophe" est devenu d'intérêt public car tous, Juifs et
non-JUifs, se penchent sur ce thème. Il abandonne le ton lyrique de ses
écrits, et il commence à utiliser le paradoxe pour maintenir la tension et
la mémoire fraîche. Finalement, il censure dans ses écrits tout ce qui
pouvait offenser le souvenir des victimes. Pour réécrire certains poèmes
connus, il se réfère à l'Holocauste - devenu archétype en soi - à la
lumière des anciens archétypes. La censure, le changement de style
d'écriture et de référence, la sensation d'être porteur de la mémoire
collective, chez un écrivain qUI a vécu les pogroms et l'Holocauste,
semblent indiquer que le chaînon des catastrophes s'est brisé avec
"l'Événement" .
•
•
31
Mais s'il y a véritablement rupture, il semble paradoxal Que Chagall
en art, ou Katznelson et lekh-lekho (sixième génération d'écrivains JUifs
d'Europe de l'Est), cherchent à réinterpréter les anciens archétypes.
Ce paradoxe n'en est pas un. le retour à la dialectique félmillère
de la destruction ne fait que confirmer l'Importance de la cassure'
comme toute catastrophe majeure, et plus peut-être, "l'Événement" a
poussé les artistes et les écrivains à repenser le passé. Ce faisant, Il a
renforcé, en littérature, les liens avec les anciens, avec les HaSSidiques
et les Néo-cIFlssiques.
The great Imitation Dei of the
modern period has been [ ... ] the
Jew's [ ... ] ability to know the
apocalypse, express It, mourn It
and
transcend
It;
for,
if
catastrophe is the presumptlon
of man acting as destroyer, then
the fashioning of catastrophe
into a new set of habits, is the
primai act of creation carried out
in the na me of god. 43
Et ce n'est qu'après avoir essayé les anciens archétypes que les
écrivains juifs - les survivants - réalisent que, pour survivre, il leur fallait
•
•
32
un nouvel archétype, et que cet archétype était l'Holocauste ~~ (telle
est l'attitude de Sutzkever).
L'Holocauste est devenu un archétype en soi, assujetissant, voire
rejetant les autres modèles: l'approche des particularistes, tels Wiesel,
Langer et Weiss, consiste à mettre en éVidence cet aspect afin
d'accentuer l'unicité de "l'Événement". Ils isolent "la Catastrophe" et
ainsi, soulignent l'importance de la cassure qu'elle opère avec les
souffrances passées.
L'approche comparative, qui est celle de Roskies et de Mintz, tend
à montrer, pour sa part, que la forme de "la Catastrophe" et de la
persécution était connue et reconnue par les JUifs d'Europe de l'Est. Elle
leur rappelait la Destruction du Temple, l'Inquisition espagnole, la
persécution des Marranes et l'Expulsion d'Espagne.
Ces tragédies
passées semble.lt avoir en commun le même niggun (ou mélodie), la
même essence. A travers L'Holocauste dans l'histOire, Marrus souligne
la différence entre "l'Événement" et les autres massacres; toutefois, par
la reprise de thèmes que l'on retrouve ailleurs, l'Holocauste se relie aux
•
tragédies passées. ces chaînes de catastrophes culminent et aboutissent
•
33
avec ''l'univers concentrationnaire"44, le rendant plus dramatique et
douloureux, en partie à cause de l'héritage des persécutions passées.
La transmission de la souffrance jUive d'une génération à l'autre,
semble avoir provoqué le développement d'un même vocabulaire et d'un
langage empli de symboles et de références sirTlilalres: pour ne prendre
qu'un exemple, il apparaît que le train était un symbole de dislocation et
de mort lente dans l'oeuvre de Sholem Aleichem. Il continuera à être un
véhicule de mort chez Elie Wiesel et pour tous les survivants de
l'Holocauste. Tous semblent s'inspirer d'une même tradition littéraire et
d'un même système de croyances codifiées, provoquant des réponses
individuelles et
spéclfique~\
à la catastrophe collective. La connaissance
de cet héritage de mots, de thèmes, de valeurs et d'attitudes communes,
est accessible à travers la lecture des autres textes hébraiques et
yiddish, d'avant et d'après l'Holocauste.
Lire Elle Welsel dans son
contexte, un contexte de tradition juive, de persécution JUive et de
littérature juive, telle que la IIttérdture des Lamentations et celle des
écrivains d'Europe de l'Est pré-holocaustien, permet, outre une meilleure
compréhension,
m~,noire
•
de mieux sltller l'oeuvre de Wei sel au sein de la
collective .
•
34
Même s'il n'existe aucune analogie possible entre les événements
du passé et "la Catastrophe", une mise en contexte pourrait actuellement
fournir au lecteur une base de référence.
A ce propos, Adolf Rudnick dira:
Everybody knows that what the
Germans dij during the Second
World War, has no equivalent in
history. [ ... ] Vet it was ail within
the
Jews'
[ ... ] ancient
vocabulary.45
Quel que soit le point de départ dans l'histoire juive, il semble que
le lecteur rencontrera en poésie ou en fiction les mêmes vérités de base,
les mêmes codes et symboles littéraires.
Bien qu'indirect, le lien entre un Peretz, un Sholem Aleichem et
Elie Wiesel apparaît évident car ils se nourrissent du même héritage
commun et appartiennent à la même mémoire collective.
Toutefois, si Elie Wiesel n'a pu échapper à leur influence, son
message diffère. Alors que celui des écrivains d'Europe de l'Est est un
•
•
35
message universel adressé à un groupe particulier, le message de Wiesel
est particulier et il s'adresse à un auditoire universel - car le groupe
particulier n'est plus - c'est la fin du dialogue entre les éCrivains d'Europe
de l'Est et de leur public juif (yiddish). Leur communauté, leur langage,
leur culture sont disloqués ou disparus: la rupture est irréparable et
unique, car cette fois-ci,
If it is true that not ail victims
were Jews [ ... ] ail Jews were
victims. 46
Avec la cassure, "la Catastrophe" devient la préoccupation
principale des témoins, le coeur de toutes les oeuvres: auparavant, elle
n'en représentait qu'une dimension. Le survivant d'après la cassure est
un exilé car l'imagination humaine semble inapte à capter son expérience
et, par ailleurs, il ne sait pas comment la transmettre. Il s'agira de vair,
dans la deuxième partie de ce mémoire, comment Elie Wiesel fera face
à ce nouveau dilemme .
•
•
36
CHAPITRE Il
L'IMPUISSANCE DES MOTS ET L'IMPOSSIBILITÉ
DU SILENCE
"Le livre, dit mon père, le Herem 47 dit Moshe, la mémoire, insista
mon père, tout est dans la mémoire; le silence, le corrigea Moshe, tout
est dans le silence. "48
Écrire, dit le père d'Azriel; se taire, dit Moshe.
Après "la
Catastrophe", ce dilemme prend de nouvelles proportions, car les exiléssurvivants semblent appartenir à deux mondes à la fois: l'un prêche le
silence, car "to be a Jew
IS
to have ail the reasons in the world not to
have faith in language ... "49, l'autre prône le langage, car il faut que le
monde sache; après Auschwitz" ... the human condition is no longer the
same [ ... ] the unthinkable has become real"50.
•
Il ne faut pas que le
•
37
monde oublie.
Mais le survivant est confronté à une double problématique, car
s'il décide de témoigner, il devra trouver un mode d'expression
susceptible
de
transmettre
son
expénence
de
"l'univers
cG~1~entrationnaire"51. "Je sais qU'II nous faut parler [ ... ] je ne sais pas
comment"52, dira E. Wiesel.
Les différents modes d'écriture adoptés par l'auteur attestent de
son désarroi et de ses difficultés à témoigner. Wiesel s'est exprimé de
diverses manières - par l'autobiographie, le roman, les essaiS, les
nouvelles, le théâtre et les contes.
Il y a fait passer toutes ses
obsessions: du rire à la folie, de Dieu à l'injustice, du langage au silence.
Mais toutes ces formes et tous ces thèmes n'ont été qu'un long
monologue sur le témoin et pour la mémoire.
Car dans sa mémoire, il trouve la nécessité de transmettre un
message, une vision du monde et le besoin impérieux de témoigner. Et
ce témoignage comporte lui-même une tragédie .
•
•
38
L'impuissance des mots à exprimer le passé, les difficultés du
témoignage face à la banalisation de "l'Événement", à la perversion du
langage et à la singularité irréductible de l'Holocauste, feront l'objet
d'une analyse où l'auteur pourrait devenir le messager des morts, le
messager du monde du silence.
En contrepartie, l'Impossibilité du silence et les formes variées qu'il
peut adopter - telles les silences stratégiques, apathiques, évocateurs et
obsessionnels - établira le dilemme de l'auteur face au témoignage. E.
Wiesel deviendra-t-il un messager pour les vivants? Enfin, y a-t-il un
mode permettant de transmettre l' "Expérience" sans la trahir? Dans
l'affirmative, en quoi la connaissance de l'héritage et de la tradition, telle
que nous l'avons abordée au premier chapitre, offre-t-elle une éventuelle
solution au dilemme du témoin ?
Rabbi Nahman de Bratzlav raconte:
Il était une fois un roi qui avait lu dans les
étoiles que la récolte serait maudite;
quiconque en mangerait serait frappé de folie.
[ ... ] " fit construire un grenier où il fit mettre
en dépôt la dernière moisson. Il en confia la
clé à son meilleur ami et dit: "Quéind [ ... ] nous
serons atteints de folie, toi seul aura le droit
d'entrer [ ... ] et de te nourrir.
Mais, en
échange, tu auras pour mission de parcourir le
•
•
39
monde [ ... ] et tu raconteras des histoires, les
nôtres, et tu crieras [ ... J: Bonne gens,
n'oubliez pas que vous êtes fous, n'oubliez
pas, il y va de votre vie et la nôtre" .51
Cette fable, non commentée par Elie Wiesel dans Un Juif
aujourd'hui, sert d'introduction au chapitre sur "Le plaidoyer pour les
survivants"54.
Il semblerait que le roi y représente le monde des morts et qu'en
leur nom il confie aux survivants (son ami) le rôle de représenter les
morts dans le monde des vivants, établissant ainsI une continuité entre
l'univers du passé et celui du présent.
message
de
Wiesel
et
consiste
en
Sa "mIssion" correspond au
la
nécessIté
de
raconter
"l'Événement", afin de l'empêcher de sombrer dans l'oublI, afin que le
monde sache. La situation du survivant est tragique: le témorn devenu
maggid 55 est chargé de perpétuer l'Histoire et les hIstoires, pour alerter
le monde - et le monde dans sa folie refuse d'entendre ou peut-être
refuse d'essayer de comprendre.
La vision que Wiesel a du monde actuel est fondamentalement
•
•
40
pessimiste: les hommes sont négatifs,
leur refus de s'assumer,
d'assumer toute responsabilité, crée un milieu vide de sens, dominé par
l'indifférence,
car
"une
conscience
muette est
une conscience
bafouée"5B.
L'existence de l'''univers concentrationnaire", surtout en un siècle
qUI se voulait "civilisé", relève de l'absurde. L'indifférence persistante
des hommes est surprenante et dangereuse, car Auschwitz fut - entre
autres choses - un avertlssemem morbide. Face aux camps de la mort,
les hommes auraient dû réagir plutôt
qLJ.:
de choisir de se souvenir de
certains éléments de l'Histoire passée et d'oublier les autres.
Aussi
Wiesel cherchera-t-il à corriger les injustices et surtout à prévenir
l'humanité de la possibilité d'un futur Holocauste nucléaire. "Who says
l, says 1 for ail men "57, et quand E. Wiesel s'exprime, il le fait aussi au
nom des survivants de l'Holocauste, et en notre nom.
Selon sa
définition, "nous sommes responsables aussi des survivants"58.
Quand il se sent responsable d'empêcher l'auto-destruction du
monde actuel, il s'adresse directement à nous, lecteurs, à nous,
survivants.
•
Le rôle qu'il s'est assigné est partagé par de nombreux
•
41
témoins de "l'Événement", qui pensent avoir été épargnés afm
d'accomplir une mission: "ta tell the tale"59, empêcher l'oubli de
s'installer, éveiller les consciences.
Ce devoir, plus particulier à E.
Wiesel, devient sa seule raison de vivre.
Cette attitude provient, semble-t-il, d'une double influence: celle
du Hassidisme qui cherche à transformer la tristesse en joie et à donner
un sens à ce qui n'en a peut-être pas, et celle de l'existentialisme
sartrien, au nom duquel l'homme forge sa propre liberté en se
choisissant, sans oublier que ses choix affecteront les autres.
Pour
Wiesel, les hommes sont responsables les uns des autres et doivent
assumer ensemble la condition du monde actuel, en combattant
l'ennemi: l'indifférence. 1: ne faut pas fuir le monde d'hier, et il faut faire
face à celui d'aujourd'huI, semble dire Wiesel. Sa viSion se traduit par
la "littérature du témoignage,,6o.
Seule cette forme d'éCriture est
possible face à "l'Événement", selon Wiesel. Affirmer qU'II eXiste "une
littérature de l'Holocauste" est un contresens, car Auschwitz nie tous les
systèmes et toutes les doctrines 61 .
Fidèles à sa conception de l'humanité, ses écrits viseront à
•
•
42
déranger pour surprendre et à s'inscrire dans la mémoire du lecteur.
Ainsi, dans La Nuit, au milieu du chaos, le son pur d'un violon brise le
silence de la mort et nous fait tressaillir.
L'oeuvre de Wiesel appelle à la vie; elle appelle l'homme moderne
à faire un choix et à s'engager dans la vie: Le serment de Kolvillag 62
raconte la destruction physique d'un village, symbole de tous les villages,
et montre sa renaissance symbolique à travers la sauvegarde d'une vie
humaine. Ainsi, le récit se termine sur un message d'espoir et de foi en
l'humanité,
en sa capacité de
reconstruire sur
les cendres de
l'Holocauste et malgré elle. Pour Elie Wiesel, la littérature a une fonction
et l'écriture est plus qu'une profession: ''l'art pour l'art" cède la place à
l'art "for man's sake,,63. Témoigner par le biais de l'art, est aussi une
forme de plotestation:
We must remember, not only because of the
dead; it is too late for them [".] Not only
because of the survivors; it may even be late
for them.
Our remembering is an act of
generosity aimed at saving men and women
fram apathy to evil, if not from evil itself. 64
La littérature d'Elie Wiesel présente une dimension et un impératif
•
•
43
d'ordre moral: celui de changer l'humanité, de la sauver et de lui donner
une raison d'être, en lui montrant, sa capacité d'auto-annihilation, à
travers l'Holocauste.
Tout en prévenant les générations futures des périls qu'incarnent
la discrimination, l'oppression et l'injustice, l'auteur réussit, Incidemment,
à transformer sa propre souffrance en un acte de créativité. ToutefOIS,
Elie Wiesel ne se considère pas écrivain: il clst d'abord et avant tout un
"messager" dont le devoir est de remplir une mission: celle de témoigner.
Avant de pouvoir articuler clairement ce qUi constituera les pIliers
de son oeuvre, l'enfant de Sighet, devenu "un vieil homme" à dix-sept
ans, se recueillera dans un long silence (de 1945 à 1955).
Wiesel émerge de sa retraite impuissant face au cnme absolu, face
à l'Holocauste: doit-il se taire, hurler ou murmurer
?65
Son premier point
de référence est la tradition juive, dont il hérite le sens uu partage et de
la communication: le témOin, martyr dans la religion chrétienne, y occupe
la fonction essentielle de "messager" .
•
•
44
Si vous me servez de témoin, je suis votre
Dieu; si vous récusez le rôle, je refuse le
mien. 66
Dieu semble avoir besoin des hommes pour se manifester: Wiesel
implique qu'ils forment le lien, l'intermédiaire, avec les sphères célestes.
Par
ailleurs,
l'appel
des
"morts-vivants"
de
"l'univers
concentrationnaire", persiste, le hante et accuse le besoin de perpétuer
la mémoire; le "N'oubliez pas"67 de Shimon Dubnov est un cri, un appel,
six millions da fOIS répétés; il manifeste l'idée fixe des victimes d'être
raconté~
ou de raconter, "and that became an obsession, the single most
powerful ob~esslon that permeated ail the lives ( ... ) of these people"68.
Chaque ghetto avait son historien, et Chaque camp, son chroniqueur.
Ringelblum et Kaplan, Marshall Roinick et Anne Frank, Rabbi Simon
Ruberland et Leo Welles 69 , tenaient un journal, prenaient des notes pour
témOigner des horreurs, des enfants jetés dans les flammes 70, de
l'existence "des cheminées"71, pour rester fidèles à eux-mêmes et aux
autres.
Après l'Holocauste, Fackenheim 72 proposera la création d'un
•
•
45
614ème commandement, au nom duquel chaque Juif aurait l'obligation
de suivre sa traditior (témoigner), en maintenant le lien avec son passé
vieux de quatre mille ans, et d'assurer par là le souvenir des martyrs
dans le monde post-holocélustlen. AUSSI, Wiesel témoigne à la fOIS de la
sainteté du Sinaï et de l'Inhumanité d'Auschwitz, solidifiant par là ses
liens avec le passé juif, sans toutefoIs y replonger. POLIr Fackenhelm,
comme pour Wiesel, il est Impératif de déposer et d'assumer le poids de
l'Histoire afin que la mémoire des camps entre <.Jans l'actualité.
Son propre silence et celui de l'humanité révèlent à l'auteur "Ia
mission" et la responsabilité, du survivant; mais ce qU'II a vécu se situe
"au-delà du langage"73, au-delà des mots semble-t-il: quel mode
d'expression utiliser pour traduire "l'Événement" ? Mauriac, le premier,
l'incitera à écrire et à éditer son premier ouvrage: "11 f3Ut parler ... Il faut
parler aussi"74, lui répète-t-il. L'obsession qUI tenaille Wiesel à titre de
Juif et de survivant, s'exprimera dans son autobiographie, La NUIt, par
un style sans complaisance, ni envers autrUI, ni envers lUI-même.
L'auteur raconte l'Holocauste au moyen de phrases brèves, dénuées de
sentimentalisme, de grandiloquence, de rhétorique ou d'Idées abstraites.
Cette technique d'écriture sous-dit ce qui est dit et condense mille mots
•
•
46
en un: "Jamais je n'oublierai cette nuit.
Jamais je n'oublierai cette
fumée. "75, dit Eliézer.
La Nuit marque le début du cauchemar de Wiesel, le début 11e son
oeuvre et de son leitmotiv. Elle suggérera les tnèmes qUI jonchent ses
écrits posténeurs, ceux de la mémoire, du silence et de l'impuissance des
mots, thèmes qUI eXistent pour "la nuit" et è cause d'elle. Pareil à un
témoin à la barre, le survivant combat l'oubli de cette "nuit", car l'oubli
entraînerait sa propre destruction: il signifierait une deuXième mort pour
les victimes
san~
sépultures, car seuls les mots peuvent ranimer des
milliers de communautés détruites.
Oublier Impartirait également une
autre victoire à l'ennemi qUI répétait "même si tu survis, même si tu
racontes, nul ne te croiralt"76. En exterminant le peuple juif, les nazis
essayaient d'éteindre et de réduire au silence sa mémoire. Le processus
déjà engaoé réduIsit les villes en quartiers, les quartiers en maisons, les
maisons en cendres et les êtres survivants dans les camps de
conct::ntratlon, en numéros: "Je deviens A-7713.
Je n'eus plus
désormais d'autre nom,,77, raconte Wiesel.
•
Parler, raconter, témoigner devint un acte de victoire sur l'ennemi,
•
47
mais surtout un acte de victoire de l'esprit sur le corps: la fin de hË NUll
implique l'inverse, car le no A-7713 ne tenait plus à sa mère, à son père
et à son passé; seul un morceau de pain pouvait l'exalter: "Notre premier
geste d'hommes libres fut de nous Jeter sur le ravitaJllement"lH, raconte
l'auteur. ToutefoIs, l'acte d'écrire est une victoire,
1111
acte de réslstancn
et de restitution du moi, prouvant que l'homme et sa mémOire n'ont pas
succombé à l'univers déshumanisant des "camps de la mort". Raconter
permettra également à Wiesel d'exorCiser sa propre envie de tuer, de
sombrer dans la folie ou le suicide, car Il expérimente ces solutions par
l'écriture. Témoigner est donc avant tout une affirmation de la vie et
surtout de la survie: déposer permet a la victime d'opposer à son moipassé (à son mOI mort) son moi de survivane 9 , et de confronter l'un à
l'autre, en liant le passé et le présent par le témoignage.
Dans La Nuit, alors que tout en Ehézer est mort, sa famille, sa fOI
en Dieu, l'enfant en lUI, le reflet de son visage dans le mirOir "où un
cadavre me contemplait"aO marque la fin de la nuit et le début de la survie.
Elie Wiesel doit survivre, car Il a tout vu changer autour de lUI,
jusqu'à son propre visage; car Il cherche à comprendre ce changement
et à nous rappeler l'existence de ce cadavre symbolique, prodUit du
•
•
48
monde chaotIque (comparable au cataclysme cosmique) où il vécu. Le
survivant se sent obligé de raconter ce qui autrement, resterait enfoui
sous les cendres. Son rôle est double pUisqu'II doit assumer la continuité
avec le passé et préserver ce passé pour sauvegarder les générations
futures.
De La Nuit, où Wiesel montre la désintégration de l'être humain,
sa pensée s'achemine vers la réintégration (dans L' Aube 81 , Le Jour82 ) et
vers l'expansion: J,..e Serment de Kolvillag est un appel à la vie. Avec ce
roman, Wiesel modifie la conception qu'il avait du rôle du témoin.
Il
n'exige plus que son témoignage prenne des dimensions historiques et
cosmiques, mais avant tout personnelles: le but d'Azriel, témoin du
massacre de Kolvillag, n'est pas de sauver le monde ou d'annoncer le
Messie mais d'aider un homme en lui apprenant à ne pas désespérer et
à concevoir la vie, même après Auschwitz.
L'humanisme, dont font preuve Azriel et Wiesel, vient de leur
tradition juive: tous deux choisiront de raconter l'Histoire pour sauver un
homme. Cette nouvelle conception du témoignage sanctifie le survivant
•
au risque d'éclipser la victime.
S'il est vrai que le témoin ne peut
•
49
qu'exprimer sa propre vérité et sa propre expérience, incidemment, il
devient le messager de l'expérience collective juive à laquelle il assigne
une place dans l'HistOire. "1 have received the words and
ln
combllllllg
them, 1 am simply fulfilling the function of a messenger"B " dit Wiesel.
L'homme juif a reçu de Dieu sur le Mont Sinaï des mots porteurs de foi
et de vie: il doit réutiliser ces mêmes mots pour expnmer l'épreuve du
néant. Dès lors, il assume un rôle qui se confond avec celUI d'éCrivain
ou d'artiste.
Ce messager est un "exilé-survivant", car le langage et les
hommes qui l'ont entouré sont disparus. Rabbi Zousia de Koloney dira
à Azriel: "Tu seras Navenadnik, en exil perpétuel, étranger parmi des
étrangers [ ... ]"84.
Dans le monde amnésique d'aujourd'huI l'exilé-
survivant est déchiré entre son monde ancien, ses traditions, son passé
et son moi de survivant.
Wiesel traduit cette double appartenance par un style d'écriture et
des références issus tant du HasSidisme que du roman français. I)ans
La Nuit, le double du témoin, à la fois mortel et immortel, est le père
•
d'Eliezer, dans la mesure où il reflète les tourments de son fils .
•
50
Essentiellement, la tragédie de l'exilé-survivant résulte de son
sentiment de culpabilité pour avoir survécu aux victimes des camps à qui
il doit ses racines et sa mémoire. En devenant leur messager, il espère
leur assigner une place dans notre mémoire, les faisant revivre par l'art.
Pendant ses dix années de silence (1945-1955), il cherchera les mots
justes, susceptibles de maintenir en eux une part de sacré nécessaire à
la commémoration de six millions de morts. Wiesel appréhende les faux
témoignages, les témoignages prématurés ou les témoignages tout
courts, car Ip témoin c. peur de trahir l'Expérience et les victimes en les
racontant. Il se méfie des mots, se demandant si le silence n'aurait pas
été plus apte à traduire un événement dont il ne peut pas transmettre
l'essentiel. "Le vrai témoin ici [ ... ] ne peut être que muet"85, car il craint
de dire ce qu'il convient de taire.
S'il lui est "impossible de parler", il
demeure messager et gardien des secrets transmis par les morts, et à ce
titre, il lui est "impossible de ne pas en parler"B6, affirme Wiesel.
Au
"Jamais je n'oublierai cette nuit"87 d'Eliezer, dans La Nuit, s'oppose le
"Jamais (je ne révélerai) ni par écrit ni par la parole ce que nous allons
voir et endurer"HB, de Moshe-Ie-fou dans Le Serment de Kolvillag. Ces
deux personnages sont ceux qui expriment le mieux le dilemme de l'exilé-
•
survivant. Ils montrent le devoir de ne pas oublier et la peur qu'inspirent
•
51
les mots, qui menacent de réduire le mystère et l'intensité de
"l'Événement". En conséquence, Wiesel en viendra à se battre avec le
langage et à tenter de contourner ses limitations, qUI l'empêchent de
traduire l'Holocauste.
Selon l'auteur, "La Catastrophe" est un "mysterium tremendum",
un mystère sacré qui peut être approché, mais jamais compris. Cette
croyance s'exprime dans le style de Wiesel et dans sa fiction. Le centre
de l'oeuvre est toujours La Nuit, et les thèmes du silence et du langage
y gravitent en cercles concentriques autour de "l'Événement", sans
jamais le dE!Crire, laissant les incidents raconter leur propre histoire.
Ainsi, il étarlit une distance entre "l'Expérience" et l'histoire racontée,
et suggère que l'horreur est telle qu'elle doit être tue. Cette distance
conserve entier le secret, le lien entre écrivain et lecteur s'établissant par
l'absence même de liens.
Semblable au Pardes90 , lieu ultime de la
Connaissance Totale, ce monde, s'il est abordable, ne peut l'être
qu'après d'amples préparations spirituelles et en encourant les risques de
devenir fou ou de ne pas revenir du royaume des morts.
C'est
seulement en pénétrant le Pardes et en nous identifiant avec les
victimes, que nous (lecteurs) acquerrons le droit de poser des questions,
•
•
52
suggère Wiesel. Qui n'a pas vécu "l'Expérience" ou ne s'est pas identifié
avec les victimes ne pourra Jamais connaître l'Holocauste et doit garder
le silence, de peur de dissiper le mystère de "l'Événement" et de trahir
la mémoire des morts. Par ailleurs, celui qui l'a vécu ne le révèlera pas,
pas entièrement, affirme l'auteur.
Il semble y avoir un fossé
infranchissable entre la mémoire de l'exilé-survivant et les mots Qui le lie
à nous:
"We sf,leak in code, we survivors, and the code cannot be
broken"91, dit Wiesel. Paradoxalement, l'auteur maintient que tous les
Juifs sont responsables et que leurs traditions leur ordonnent de
témoigner du Sinaï et d'Auschwitz "comme s'ils y avaient été
présents "92.
Ces paradoxes visent à sacraliser "l'Événement" et par là, à
affirmer son unicité. Il existe une relation privilégiée entre les Juifs et
l'Holocauste,
mais celle-ci est encore plus particulière entre les
survivants et "l'Événement", suggère l'auteur.
Il distmgue ainsi les
"camps de la mort", de toutes les catastrophes précédentes. Auschwitz
est, semble-HI, la rupture du pacte fait au Mont Sinaï entre Dieu et les
hommes, pacte où Dieu s'engageait à protéger les hommes, d'où
l'interdiction de comparer cette catastrophe-là à d'autres événements .
•
•
53
Certes, la connaissance de la destruction du Temple et de
l'expulsion des Juifs d'Espagne, permettrait de saisir une certalile
dimension de l'Holocauste. Mais "l'Événement" atteint le paroxysme de
l'incompréhensible et tout drame antérieur, aussI bouleversant qu'II ait
pu être, ne peut offrir d'analogie permettant de saiSir "la Catastrophe"
dans toute son ampleur.
Wiesel.
l'Holocauste demeure donc unique, selon
Paradoxalement, l'auteur comparera lUI-même l'unicité de
l'holocauste, où les hommes furent sélectionnés pour mourir, à l'unicité
de l'événement au Sinaï, où les hommes furent choisis pour vivre.
Même pour l'initié ou pour le survivant, écrire sur l'Holocauste
devient un défi: il doit utiliser un langage perverti et trouver un ton et un
style de préserver la singularité de "l'Expérience" sans la trahir. Reste-HI
encore des mots justes et vrais après l'Holocauste? le langage n'y a-t-il
pas été sali et corrompu? Plutôt que d'établir un lien, ne s'énge-t-II pas
en obstacle et ne devient-il pas synonyme du chaos qu'II maquille.
Eliezer raconte comment, à Auschwitz même, un officiant lisait la prière
pour la nouvelle année juive. Mais,
•
•
54
il s'arrêtait à chaque instant, comme s'il
n'avait pas la force de retrouver sous les
mots, leur contenu. La mélodie s'étranglait
dans ~a gorge [ ... ) j'entendis qu'on se
souhaitaIt une bonne année. 93
L'ironie de la situation et son horreur sont traduites par des mots
simples, un style austère allant droit à l'essentiel et laissant les
événements parler d'eux-mêmes. Comment se souhaiter une "bonne
année" alors que devant soi il n'y a que mort et privations? Comment
prier Dieu alors que la présence divine ou shekhina 94 semble être en exil?
Comment utiliser des mots de liberté, de joie et des souhaits, alors que
la parole elle-même a déserté l'''univers concentrationnaire" et le monde?
Les mystiques parlent d'''exil de la parole"95, soit que les mots
refoulent leurs sens ou que le sens rejette les mots. Le décalage entre
les mots et ce qu'Ils recouvrent date de la période nazie.
Le langage
dans les camps fut réduit à quelques paroles issues de différentes
langues:
manger, dc.rmir, travailler,
se lever,
condensation s'exprime dans les écrits de Wiesel
se laver ...
Cette
et dans ceux des
survivants qui forment une littérature du témoignage, surnommée à juste
titre, "littérature de l'essentiel,,96. L'auteur n'intervient pas; comment
•
•
55
pourrait-il commenter l'absurdité d'un écriteau comme celui qui, à
l'entrée dl Auschwitz, annonçait aux futures victimes que "le travail,
c'est la liberté"97? Les mots mentent. Pour être compris, ils doivent
être traduits: "travail" signifierait labeur forcé sous les coups de
matraque, après avoir à peine dormi et à peine mangé. "La liberté" serait
synonyme d'esclavage dans un monde déshumanisant et déshumanisé.
Le langage des camps nie tout autre langage en le remplaçant:
qu'un soldat hausse les épaules et des hommes sont exécutés.
Ce
langage obscène et animal vise à inciter la victime à se faire une
conception inhumaine de soi. Entre-eux, les survivants "spoke in splte
of language, in spite of the IImits that existed between what we say and
what outsiders hear"98 dit Wiesel. Primo Levi 99 supposait que l'existencC!
prolongée des camps aurait créé un nouveau langage ou argot, portant
l'empreinte du crime et de la démolition de l'homme. Pour Wiesel, Il est
difficile de témoigner, précisément parce que le langage a été SOUillé:
comment peut-on parler après Auschwitz?
Comment assembler les
mots et les dire, les écrire, tout en sachant que les nazIs les utilisèrent
également, peut-être de la même manière?
•
=
•
56
Au langage dans les camps se superpose le langage nazi: Hitler a
inventé "l'univers concentrationnaire" pour la gloire de la race aryenne.
La perversion absolue du langage date de ce moment-là: les nazis
assassinaient des milliers d'êtres humains et parlaient de "traitement
spécial";
"chûses",
"objets"
signifiaient
hommes
et
femmes,
"relocalisation" voulait dire déportation, évacuation, liquidation:
Un mot terrible circule: la sélection. Nous
savions ce que ça voulait dire: lorsqu'ils
trouveraient un faible [ ... ] ils inscriraient son
numéro: bon pour le crématoire. lOo
Le ton de Wiesel n'est pas violemment accusateur. Sans tomber
dans la sensiblerie, il raconte la réduction de la victime en numéro et de
numéro en poussière. Tragique et ironique, le choix du mot "sélection"
vient ici désigner la mort; dans l'Histoire juive, Dieu "sélectionna" le
peuple Juif pour le représenter dans le monde des vivants.
Les nazis
cherchent à parodier Dieu et usent de termes poétiques - comme
"sélection", "nuit" et "brouillard" et des plus beaux sites - mais pour
cacher les crimes les plus ignobles .
•
•
57
Le vocabulaire a été codé; des règles de "langage" étaient même
appliquées; les termes ainsi prémanufacturés (tels "solution finale",
"évacuation", "traitement spécial") servaient de masque au public et
permettaient à ceux qui les employaient de ne pas aVOir à admettre
l'énormité et les conséquences de leurs actes. Il n'est pas étonnant que
Wiesel s'érige contre les abstractions et les symboles dans l'éCriture: ils
lui rappellent la rhétorique exagérée et trompeuse des nazis qui cachaient
leurs massacres sous des mots innocents.
Aussi Il questionne et se
demande:
comment être sûr que les mots une fois
lâchés, ne vont pas trahir, déformer le
message dont ils étaient porteurs 1101
Enfant, Wiesel était déjà récalcitrant à l'égard des mots. Il avait
peur d'être pris dans leur engrenage "on se contente des mots, , ... J on
en fait des dieux"102. Il pressentait qu'ils s'érigeraient en obstacles. Ces
appréhensions se sont confirmées car la technique verbale des nazIs a
dénaturé la langue.
terminologie,
Cette technique n'affecte pas seulement la
mais touche des
"concepts clés",
significative" ou "la résolution tragique".
•
tels
"une
mort
Dans le contexte de
•
58
l'Holocauste, ces termes ne signifient plus rien. Ce qui est en jeu n'est
plus seulement la recherche du mot juste ou de la phrase exacte, mais
notre façon même de penser et d'utiliser le langage.
Comment
transformer notre attitude à l'égard de ces rôles du langage qui nous
gouvernent? Comment convertir terreur et vide en valeur et sens, alors
que le langage d'aujourd'huI, passe trop souvent par la médiation et la
"domestication" des mots
'7
Comment se servir de ces instruments, de
ces mots dévalués et mutilés? L'exilé-survivant redoute les mots car "ils
détruisent ce qu'ils ont pour but de décrire [ ... ] en enrobant la vérité, ils
finissent par prendre sa place"103, dit Katriel dans Le mendiant de
Jérusalem.
Selon les Cabbalistes 104, les mots bien inspir(-C) et utilisés peuvent
changer le cours de l'Histoire et de la nature. Déformés et déformateurs,
ils ont en effet altéré l'Histoire et la nature de l'homme pendant la
période nazie.
Utilisés à bon escient par Wiesel et d'autres, ils sont
capables de sauver l'humanité, en nous rappelant précisément leur
pouvoir néfaste, à travers l'histoire des morts sans sépultures et des
victimes de l'Holocauste.
Les mots, puissants pour SOI, semblent
impuissants devant l'ennemi.
•
Ainsi, dans Le Serment de Kolvillag,
•
59
Shaike, chef du mouvement nationaliste juif, réussit à convaincre son
peuple avec des parOles, mais ces mêmes paroles ne lui permettent pas
de vaincre l'ennemi.
Toutefo·s, s'ils sont impuissants, les mots restent indispensables.
De nature ambivalente, ils créent et ils permettent la destruction, la
trahison, et ils peuvent conduire aux ténèbres. Mais, Ils sont également
porteurs de joie et de vie, tels les mots qu'adresse Dieu à Moise sur le
mont Sinaï, ou ceux des Américains à leur entrée dans les "camps de la
mort" en 1945.
La dualité de la parole affecte l'attitude d'un messager des morts tel Wiesel - face aux mots. D'un côté, il les utilise pour transmettre son
me3sage.
De l'autre, il révèle l'impossibilité de donner un sens à
l'Holocauste et accuse par là, la défaite de l'IIltellect face à l'Histoire.
"Comme je me tais, chaque fOIs que surgit devant mes yeux l'Image de
ce rabbi [ ... ] droit [.,,] devant un groupe de S.S.: ils s'amusaient à le faire
souffrir [. .. ]"105, relate Wiesel. A travers :a conduite du héros, " établit
son propre dilemme face à la parole et au langage.
L' horreur de la
situation impose le silence. Son besoin de silence l'empêche de parler
•
•
60
du royaume des morts, mais ne l'empêche pas de parler tout court, car
il doit parler. A titre de survivant, il est leur messager, il est un "initié".
Mais il nous met en garde: seuls les "initiés" ont le droit de parler des
"camps de la mort". Et lorsqu'ils éCrivent l'histoire de ces victimes qui
auraient dû être ses lecteurs et sont des écrivains, qu'ils le fassent avec
humilité, en pesant chaque mot.
Comme l'auteur situe' l'Événement" sur un plan mystique (sacré),
il
considère
qu'il
échappe obligatoirement à
philosophes, psychologues et romanciers.
l'entendement des
Il associe leur approche
réaliste et objective du langage et de la pensée, à la science morale et à
la technologie Inhumame de la périDde nazie.
Il lie le parti pris de
détachement "objectif" aux violences guerrières du XX e siècle:
La pensée analytique porte en elle une étrange
violence.
Connaître analytiquement est
réduire l'objet de connaissance à un objet [ ... 1
c'est le démembrer. 106
"Connaître analytiquement" ou objectivement, mène à considérer
l'être humain en tant qu"'objet" ou "chose", à substituer l'impersonnel
au personnel, le collectif anonyme à l'unicité de l'individu, les forces de
•
•
61
la mort à celles de la vie. A qui douterait de l'équation entre Holocauste
et pensée objectiviste et analytique, Wiesel répond que "les camps de la
mort" sont le résultat d'une idéologie traduite en une organisation
planifiée avec logique. lo7
"L'homme pèche d'abord en prostituant le langage"lOlI, dit Wiesel,
et la pensée, ajouterait-il. Il n'est pas étonnant que le style de l'auteur
prenne parfois la forme d'une prose discursive atteignant son but par des
séries d'applications partielles de raisonnement, entrecoupées de
paradoxes, de détails, de rêves et de silences stratégiques. En évitant
le recours au langage analytique, il préserve les Iluances, les ambiguïtés
et la complexité de l'expérience originale.
Si Wiesel s'est insurgé contre l'objectivisme dans l'écriture et le
discours, c'est pour éviter, non seulement toute analogie avec le langage
nazi, mais aussi la banalisation et la normalisation de l'Holocauste:
Tu m'a offensé [ ... ] en cédant à la tentation
du verbe.
Tu as fini par me mutiler en
m'adaptant à des situations trop variées. lOCI
reproche la parole dans un dialogue avec l'homme .
•
•
62
Le XX" siècle s'est laissé tenter par le verbe; la "parlotte" règne
à la radio, à la télévision et dans les discours et les écrits trop nombreux.
Tout le monde parle, bruyamment, sans pudeur et sans honte, sans
respect ni crainte.
Tout le monde juge et raconte l'Holocauste, sans
passion; la parole a été "mutilée" . Elle se plaint d'être adaptée à des"
situations trop variées". En effet, les mots perdent graduellement leur
part de sacré et tout intellectuel ou plutôt pseudo-intellectuel à la
recherche d'une stimulation, exploite le thème de l'Holocauste:
démystifie,
il le
car il a des explications toutes prêtes pour résoudre le
mystère de "l'Expérience":
No cocktail party can be called a success,
unless Auschwitz, sooner or later, figures in
the discussion. Excellent remedy for boredom
[... J one need only to know how to add. And
to accept the axiom that everywhere A + B =
C.
If the dead are dead, [ ... ] that is
because. l1O
explique Wiesel.
Offensé, l'auteur réagit au déluge verbal du monde actuel.
Comment peuvent-ils essayer d'expliquer à la froide lumière de l'Histoire
•
•
63
et d'une réalité ordinaire, un phénomène qui échappe à son propre
entendement? Ils se rendent complices des nazIs en utilisant la même
logique. Il est normal qu'ils ne comprennent jamais, mais qu'ils fassent
semblant, affirment, vulgarisent et manquent de respect aux morts, cela
est inadmissible. Wiesel dit non.
Il s'insurge, de manière directe cette fois, contre une production
cinématographique intitulée "l'Holocauste""'. Témoignages fictionnels
et authentiques s'y confondent.
Des effets spéciaux expliquent
"L'Événement", le transformant en un soap opera, ou feuilleton de basse
qualité, divisé en quatre parties.
La vulgarisation de l'expérience des
"camps de la mort" est indécente aux yeux des survivants:
"The
Holocaust must be remembered, but not as a show"";>, s'exclame
Wiesel.
Tel Yehuda Bauer et les intentionnalistes "3, Wiesel déplore la
désacralisation de "L'Événement" et sa divulgation par des professeurs,
des universitaires ou des psychologues. Après avoir accompli un travail
de classification au mieux, ils croient pouvoir tout expliquer. Pour étayer
des positions politiques banales, toutes sortes de gens exploitent
•
•
64
l'Holocauste. Leurs "réponses" ne servent à rien; elles n'inquiètent pas,
elles n'éveillent pas les consciences, elles ne dérangent pas. Ce sont des
exercices
mtellectuels qui transforment un événement unique en un
événement banal, à seule fin d'agiter l'esprit. Au mieux, pense Wiesel,
elles visent à donneï bonne conscience au monde. Mais à quel prix! Ils
bombardent les survivants de questions: qu'avez-vous fait et comment
avez-vous réagi devant le sang et la mort? Pourquoi les morts n'ont-ils
pas offert de résistance? Sans respect pour la mémoire des morts, ils
accusent de lâcheté et de complicité ceux qui ne peuvent plus se
défendre. Affirmer connaître les motivations et les jugements des morts
constitue leur humiliation posthume, infligeant aux absents une seconde
mort.
"1 plead for the dead. 1 say simply we have no right to judge
them.
1 saw them die [ ... ] the least we can do is to leave them
alone"114.
Les mots de tous les les pseudo-intellectuels ne sauront
jamais traduire "The silent tears of that child and his mother, who live
their own death twice,,115. VViesel préfère se situer du côté de la mère
et de l'enfant qui exigent le silence, plutôt que de celui des rhéteurs.
Car, selon lui, jouer avec les mots leur enlève leur force d'expression:
•
•
65
le mot "Holocauste"--pour ne prendre que cet exemple -- veut tout dire,
mais à ses yeux, il ne veut plus rien dire.
Il a été commercialisé,
banalisé, vulgarisé. Wiesel ne voudra plus l'employer.
L'abus des mots les dilue et condamne, par là, "l'Événement" à
l'oubli.
La conjoncture actuelle amène Wiesel à donner raison au
fossoyeur qui, dans Le Serment de Kolvillag, affirme qu'''à l'origine du
mal et de la mort, il y a la parole"116. La différence entre le fossoyeur et
Wiesel, vient de ce que, pour le fossoyeur, la parole décrit, et peut
provoquer les événements les plus sinistres. Pour Wiesel, elle semble
avoir perdu la capacité même de décrire ou d'avoir un sens.
La signification des mots les plus simples lui échappe, échappe
même aux enfants, signe de grande détresse, dit-il dans Un Juif
aujourd'hui: "c'est quoi la sérénité [ ... ]. c'est quoi un bout de gâteau?111
demandent les élèves à leur professeur Benjamm. Wiesel aussi était son
élèVf~.
L'abus
ùe~
mots est donc un signe de faiblesse et d'Impuissance,
car "ceux qui parlent ne savent pas"118, disaient les Anciens. Le non-dit
•
•
66
pèse lourd, tandis que la parlotte est synonyme d'incompréhension. En
remettant en question la nature et la vocation du verbe, Wiesel en vient
à douter de la valeur du témoignage.
La parole semble inapte à
transmettre le message, à faire comprendre qu'Auschwitz était un
avertissement.
Le monde aurait dû changer si le message avait été
transmis. Or, le monde ne s'est pas modifié. Il prouve ainsi lIU'il n'a pas
saisi la menace et le danger; qu'ils aient au moins la décence de se taire,
dit Wiesel, "car Auschwitz est au-dessus de leur vocabulaire"119.
Il faudrait inventer "un nouveau vocabulaire" capable de relier le
langage actuel au silence des morts. Il faudrait inventer un langage qui
dénoncerait l'inexprimable. En attendant, il faudrait cesser de remâcher
les grandes idées car elles perdent de leur sève, et l'histoire passée perd
le poids du silence qu'ellp. exige. Parler, affirmer et dénoncer, enlève aux
morts la seule chose qui leur reste;
l'unicité de leur expérience.
Ce
processus assigne une dernière mort aux victimes des camps, et il
perpétue la déshumanisation commencée avec l'Holocauste en noyant
l'idée même de l'homme sous un déluge verbal.
Pour Wiesel, le silence semble être aujourd'hui le seul mode
•
•
67
d'expression fidèle à la mémoire des morts: il est la voix la plus pure de
ces millions de victimes, car il constituait l'essence de leur univers et
demande à être transmis au même titre que le langage. Pareil à Azrlel
dans Le Serment de Kolvillag, Wiesel porte en lui un monde secret qU'II
ne lui appartient pas de révéler car ce n'est pas son monde. A titre de
messager des morts, il doit faire comme Azriel et se taire: "Rassurezvous, amis morts, je ne vous renierai pas [ ... ] je ne dirai ni la cause, ni
l'effet [ ... ]120, de l'Holocauste, "des camps de la mort".
Il s'adresse directement aux victimes, car ce monde lui est plus
familier et peut-être plus présent que celui dans lequel il Vit et dont il ne
peut se faire comprendre.
Cette barrière le sépare de lui-même et
l'entraîne dans un univers où il n'y a rien de palpable. CEltte sensation
s'exprime à travers ses écrits, où les lieux comme les personnages
semblent venir de nulle part et n'existent que dans son for intérieur.
Dans Le Serment de Kolvillag, l'auteur ne donne aucune information
spécifique de temps et de lieu. Le lecteur ne peut se 'SItuer à travers
tous ces lieux et tous les personnages, signe peut-être qu'ils sont tous
un même lieu et que les personnages sont toujours les mêmes, racontant
toujours une seule et même histoire: celle d'un ghetto suspendu dans
•
•
68
le vide et habité par le néant.
La présence réelle, en Wiesel, d'endroits et d'êtres qui n'existent
plus, explique son déchirement intérieur et son drame: silence ou parole,
se taire ou raconter "L'Événement"? Le langage actuel, selon Wiesel,
raccommode tout, croit contenir toutes les réponses et semble incapable
d'humilité. Ironiquement, les prisonniers chroniqueurs des "camps de la
mort" témoignaient, eux, en dépit du langage nazi et contre lui. Wiesel
pense que "to acknowledge the dead men can only be done in
silence"121. Montrer qu'il n'est guère possible de comprendre les morts
passe par le silence, une manière en soi de leur demander pardon,
suggère Wiesel.
Regarde son écriture claire et précise. Chaque
phrase est définitive. Les mots, il les ciselait ... [. .. ]
avant qu'ils ne se disloquent, corps démembrés
basculant dans le précipice. Je sais maintenant ce
que c'est un pinkhas: un "précipice". 122
Enfant, il s'essayait déjà à l'acétisme du langage par les voies du
mysticisme. Son maître à penser était un Hassid, et le silence est une
notion-clé du Hassidisme. Telle une tradition secrète qui se refuse au
•
•
69
langage, il était transmis entre initiés.
Moshe, dans Le Serment de
Kolvillag, est porté par ce silence. "Rabbi Mendel" écoutait le silence qui
suivait les paroles d'Azriel lorsque celui-ci est venu dire son désarroi et
son exil. Le Rabbi Kotzk enseigne dans la même veine hasSidique dont
Wiesel est imprégné: il y a des choses qu'on peut dire et d'autres qu'il
vaut mieux taire. Les premières, ajoute-t-il "ne valent pas celles qu'on
ne peut pas dire"123. L'auteur et le lecteur peuvent se demander si les
choses qu'on ne peut dire relèvent nécessairement d'une tradition dont
l'existence est un secret pour les non-initiés: le lecteur peut être enclin,
lorsqu'il est imprégné comme Wiesel de toute cette tradition, à aimer et
à vouloir le silence. L'auteur tentera d'imprégner ses écnts de ce silencelà; le silence qui accompagne la révélation au Mont Sinaï: un silence sain,
créateur, positif, qui s'oppose au silence d'avant la création, formé de
chaos, de solitude et de néant.
Le silence devient un thème obsessionnel dans l'oeuvre de Wiesel.
Afin de traduire "La Catastrophe", il cherche à retrouver le silence
d'Auschwitz. Mais ce silence ne lui appartient pas; il l'habite:
Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qUI
m'a privé pour l'éternité du droit de vivre. 124
•
•
70
Dans "l'univers concentrationnaire", le silence annonçait la mort.
Il régnait avant et après "les sélections": lorsqu'un officier S.S. entrait,
"le silence soudain s'appesantit [ ... ] et avec lui, l'odeur de l'ange de la
mort" 125. Il existe différentes formes de silence et pareillement différents
degrés: celui des "camps" était similaire à celuI qui avait dû régner lors
du cataclysme. Un silence néfaste auquel ces êtres humains devaient
résister pour l'empêcher de les happer dans la mort. Le "royaume de la
nuit"
était si imprégné de cadavres, qu'à défaut de trouver les mots
capables de traduire ce silence, Wiesel menace le monde et l'accuse:
vous voulez tourner la page, mais sachez, dit-il, que "leur silence leur
survivra"126.
Le poids de la mort et du silence est tel qu'il a marqué
l'humanité à jamais. Et les mots, synonymes d'absences, capables de
faire disparaître les choses et les événements, les mots sont dangereux.
Ils divisent les hommes et ils séparent Wiesel de lui-même. La parole
créée: "Le prophète qui annonce l'épreuve et le chroniqueur qui la peint,
sont également responsables"127 des drames qu'ils décrivent.
Après
avoir nommé les choses, la parole les remplace et les plonge dans l'oubli.
Pourtant, E. Wiesel ne s'oppose pas à l'emploi de la parole. Seule
•
l'apathie ou un silence-indifférence s'y oppose. L'écrivain cherche au
•
71
contraire, à relater le plus fidèlement possible le monde des morts, pour
les vivants. A cette fin, il faudrait se taire, mais il ne se taira pas. Alors,
cette quête d'un mode de témoignage passera nécessairement par un
discours "sur le silence". Il rejette le "silence sans paroles"
qUI,
comme
"une justice sans mémoire"128 sont des causes de la destruction de
l'homme et de leur avenir; la justice ne peut être, si elle perd sa mémOire.
Le silence à l'état pur écrase et mène à l'oubli, par opposition au silence
évocateur ou provocateur de silences positifs.
Dans Le testament d'un poète Juif assassiné, Pathiel Kassover, le
poète-prisonnier de sa cellule et du silence dira:
Dans cet isolateur, le mot est bien choisi: on
s'y trouve isolé non seulement de l'humanité,
mais aussi de soi-même. [ ... ] le silence [ ... ]
agit sur l'âme et l'emplit de nuit et de mort
[ ... ] 129
Le silence de Grisha est de toute autre nature: il l'atteint car il
cherche à préserver le verbe et la mémoire:
•
Je m'appauvrissais de jour en jour. Plus je parlais et
moins j'existais; [. .. ] encore un mois et J'aurais tout
oublié. Alors eut lieu un miracle [ ... ] à un certain
moment, me sentant plus traqué que jamais [ ... J un
•
72
spasme incontrôlable me fit refermer les mâchoires
sur ma langue. Et je la coupai en deux [ ... ]130
Grisha est devenu muet.
Il ne peut plus succomber aux
interrogatoires qui incriminaient son père. Il ne peut plus succomber au
langage, synonyme de trahison. L'amour a suscité son silence. Il est
devenu le symbole même du silence.
Grisha devenu muet, son père, Pathiel, est délivré de son
"isolement", et sera en mesure d'écrire son testament sous forme de
poèmes. Toutefois, lui aussi succombera à la mort car ses poèmes ne
seront pas publiés: il aura succombé au silence.
A l'inverse de Grisha, Pathiel pénètre le silence par le verbe. Il
reste esclave de ce silence intérieur; "Je ne savais pas que l'on pouvait
mourir de silence"131 dit-il. Le cri qu'il pousse est un cri muet: "c'est
celui qu'on n'entend pas"132 explique t-il.
Celui de Grisha est un cri
silencieux certes, mais de ce silence évocateur. Si tous les survivants
s'étaient tus, tel Grisha, leur silence cumulé aurait-il démasqué le silence
de l'indifférence et l'aurait-il arraché à l'oubli? Ultimement, E. Wiesel
•
•
73
répondra par la négative en dénonçant le dilemme au coeur du silence et
de la parole, à travers ses deux héros: Grisha peut crier dans le silence,
mais pour que le silence soit ent.:mdu, il faut parler. Par ailleurs, tant que
Pathiel parle ou écrit du fond de sa cellule, il ne peut entendre le
message contenu dans le silence.
Face à ce silence, Wiesel choisit de faire silence et non de se taire,
car "Speech alone can take a stand against speech"133.
Pathiel a été plongé dans le silence. Il voyait son silence, mais il
ne l'entendait plus; déjà, il était condamné.
En restant moralement
neutre et silencieux, le monde a condamné d'avance les victimes de
"'_'Événement" et a mis fin à toute éventuelle action positive. Wiesel
accuse ce silence-indifférence.
Le Montreal Star de juin 1942 avait tiré en première page: "Les
Allemands massacrent des millions de JUIfs au cours d'une campagne
d'extermination"134. Mais personne ne réagit. A Londres, à Washington,
à Paris et à Stockholm, des hauts gradés de l'armée ne divulguaient
•
•
74
aucune des informations qu'Ils détenaient sur les transports des
prisonniers destinés aux fours crématoires. En 1942-1943, ils avaient
déjà des photos.
Le phénomène des camps de concentration était
relégué du côté des accidents de route, et n'occupait pas plus de place
que ces derniers. 135
La présence de guillemets dans le Montréal Star, et le peu d'intérêt
que manifestaient les éditeurs, pouvaient être interprétés comme un
refus de connaître l'ampleur et la signification d'unp, réalité qui était
inacceptable.
La conspiration du silence semblait universelle.
Les
victimes souffrirent plus de ce silence que de la brutalité des assassins.
Ces victimes des camps auraient-elles voulu survivre, si elles avait:::ïlt su
qu'en dehors du Silence de mort qui les entourait, le monde extérieur
savait et se taisait. Pourquoi se seraient-elles battues pour la survie si
elles soupçonnaient que, de l'autre côté des barbelés, des êtres étaient
conscients des crimes commis contre les enfants juifs et ne protestaient
pas?
Les victimes ne savaient pas. L'humanité, elle, savait. Le monde
extérieur était devenu "un wagon hermétiquement
•
clOS"136.
Ne pas
•
75
vouloir savoir et oublier a mené à la complicité par le biais de
l'indifférence.
La trahison du monde extérieur a été ressentie par les
victimes comme plus cruelle que ce qu'ils ont enduré, car elle les frappe
au coeur. Azriel redoute de continuer de se taire, car Il a peur de faire
"du silence même un mensonge ou une trahison"137. L'indifférence du
monde et son silence ont mené au mensonge même et au mal.
L'indifférence mène au mal, on pourrait même dire qu'elle lUi permet de
croître et de s'enraciner.
Azriel n'hésita pas à briser la promesse -- de garder le silence -qu'il avait tenu pendant plus de cinquante ans, pour sauver la vie d'un
seul homme. Mais l'humanité entière n'hésita pas à garder le silence au
prix de plusieurs millions de morts, car elle était simplement indifférente
à la souffrance. Cette "neutralité" n'a aidé que les assassins, jamais les
victimes.
Wiesel fait appel à la mémoire et à la conscience du monde. Il
s'insurge contre la tendance "moderne" qui s'est imposée dans les
sociétés occidentales et qUI rejette toute obligation de conscience. Au
nom de la liberté existentielle, la conscience a été refoulée parce Que l'on
•
•
76
y vovalt un obstacle plutôt qu'une incitation à l'action. Cette tendance,
poussée à l'extrême,
â
entraîné la négation et la dévaluation des valeurs.
Essayer d'éviter tout jugement, en se réfugiant dans l'indifférence,
est une manière d'encourager d'autres pogroms, d'autres holocaustes.
Les jugements de conscience sont nécessaires afin de réduire le mal, afin
de discerner ce Qui peut causer espoir et désespoir et discriminer entre
ce qui servirait ou desservirait l'humanité.
L'interdépendance de la conscience et du rêve, de la mémoire et
de l'imaginable, du passé et du présent, doivent nous garder contre les
excès et le totalitarisme.
Le but de Wiesel est de ressensibiliser les
consciences; c'était le but d'Azriel lorsqu'il cherchait à travers Le
serment de Kolvillag à éveiller l'intérêt du jeune homme pour la vie.
Un rabbi arrive dans la ville de Kotzk [. .. ] ils
furent accueillis par des pierres: voilà qui est
d'excellente augure, dit le Rabbi.
Ici au
moins, les gens ne sont pas indifférents. 138
Si les mots ont été impuissants à éveiller les consciences, un
•
•
77
silence "stratégique", tel celui de Moshe dans Le serment de Kolvillag,
permettra peut-être de combattre le silence destructeur, synonyme de
mal, dont a fait preuve l'humanité.
Le silence négatif a été représenté, du point de vue politique, par
l'indifférence honteuse des témoins muets. Du point du vue humain, il
s'est exprimé par le désespoir des foules anol malement silencieuses, qUI
se dirigeaient vers les fourgons à bestiaux. Du pOint de vue théologique,
le silence négatif est celui d'un Dieu caché, qui a refusé de parler lorsque
son peuple souffrait.
Selon la conception des Juifs orthodoxes, le silence de Dieu était
nécessaire: il punissait les hommes pour leurs péchés, et les aidait amsi
à évoluer vers la perfection.
Pour Wiesel cette Interprétation est
inacceptable. Parmi les obsessions qUI marquent le plus fortement son
oeuvre, il y a celles de Dieu, de l'Injustice et de la mort.
L'auteur se
débat au sein d'une dialectique impossible: comment pUIS-Je vivre avec
le silence de Dieu pendant l'Holocauste et continuer à croire en "LUI", et
"comment puis-je vivre sans Dieu
?"139.
Les thèmes de la protestation,
de la possibilité de la foi en Lui, ou de l'absence de foi en Dieu, de la
•
•
78
nécessité enfin de continuer à vivre avec ces questions, sont liés aux
obsessions de Wiesel. Ils s'expriment essentiellement dans La Nuit où
l'auteur questionne sa fOi en Dieu, et dans Ani-Maamin 140, où il interroge
l'absence
de
fOi
en
"Lui".
A
travers
"Job
ou
le
silence
révolutlonnaire"142, il établit son dilemme et sa position face au silence
de Dieu.
Au début, les hommes croyaient en l'homme et en Dieu.
Ils
vivaient une illusion, suggère Wiesel:
Reb Mendel of Kozk used to say: "Often
when 1 walk in the forest, 1 see é] castle. The
castle is burning and 1 see a man at the
window [ ... ] shouting: [ ... ] "People the castle
is burning" [ ... ] Yes, (says Rabbi Mendel) the
forest is on fire, the holy Word is on fire. But
there is an owner of the castle [ ... ] Someone
we can't see, but someone we must hear. 142
Ce message non commenté par Elie Wiesel, dans Against Silence,
symbolise, à nos yeux, l'Holocauste et le silence de "l'être suprême"
durant notre ère. Une mterprétation plus large suggère que l'humanité
entière est en danger -- "la forêt brûle" -- car l'homme indifférent
•
•
79
n'entend plus Dieu, ou un Dieu indifférent ne cherche plus à se faire
entendre des hommes. Il est dit que la voix du Seigneur ne peut être
perçue que dans le silence -- le vrai silence -- et parfois elle est ce
silence. Mais Wiesel ne comprend pas ce silence, ne l'accepte pas. 1\
questionne Dieu:
dans la tradition juive, il est permis et parfoIs
nécessaire d'interroger le Tout-puissant, de lui demander la raison de ses
actes.
D'Adam à Moïse, d'Abraham à Job, jusque dans la tradition
hassidique, les Juifs l'interrogent. Wiesel essaie de relier le passé et le
présent, Job et l'Holocauste, et il proteste: "Que faire face à l'II1Justice
de Dieu 7"
143,
accepter passivement? ou encore devenir injuste à notre
tour, puisqu'après tout nous sommes créés à Son Image? Pour l'auteur,
cela n'est pas une solution. Le pouvoir de l'homme est précisément de
choisir de rejeter cette solution en se rebellant:
Il n'y avait plus aucune raison que Je Jeune.
Je n'acceptais plus le silence de Dieu. 144
dit Eliezer dans La Nuit.
Pendant Yom Kippur, jour du "Grand Pardon", les JUIfs se
•
•
80
soumettent à la justice de Dieu en Lui demandant de leur pardonner pour
tous les péchés qu'ils ont pu commettre envers Lui et envers les
hommes. Jeûner est un acte d'affirmation et de reconnaissance de la
Justice du "Tout PUissant". En ne jeûnant pas, Wiesel met en doute
cette Justice divine qUI laisse mourir des enfants innocents dans des
camps de concentration.
Son cri est celui d'un élève de Yeshiva ou
d'école talmudique, en voie de devenir un rabbin.
Paradoxalement, ne pas protester équivaudrait à ne pas avoir foi
en Dieu. Wiesel confirme sa foi en "l'être suprême" par le biais de la
protestation même.
De son enseignement talmudique, il a appris à ne pas exiger ou à
attendre beaucoup de l'homme, mais il a tout attendu du "ToutPuissant". "II" ne peut être indifférent car "II" a créé l'homme.
pourquOI ce silence à Auschwitz?
After ail we are Your children. We are associates.
What are you doing? what are you allowing to be
do ne ? [".] This is part of our tradition that we may
say no ta God. 145
•
Alors
•
81
interroge Wiesel.
La question
religieuse devient une question ,d'authenticité;
comment continuer à être croyant et à être fidèle à soi dans le monde
holocaustien?
Ces questions lient la tragédie des surVivants let de
l'auteur) à celle de Job avant sa soumission. Wiesel souligne que selon
la gémetria ou numérologie, le chiffre 19 désigne à la fOIS Job et
~l!!
qUI
signifie "mon frère". Pour Wiesel, Job est notre frère. "met en question
la Justice de Dieu, il lui reproche de ne pas tenir ses promesses et de
. laisser souffrir les innocents.
Cette Interrogation crée une contmuité
entre les personnages bibliques, tels Job ou Jeremiah, les Hassidiques
qui accusaient le Messie de ne pas se montrer pour sauver l'humanité,
et le monde actuel.
L'auteur
perçoit
Job
comme
un
héros
ou
une
victime
contemporaine. Personne n'est sûr de son identité, personne ne sait S'II
vient d'Uz ou d'Edom ou d'ailleurs encore, personne enfin ne salt à quelle
époque il aurait vécu:
celle des Tannalm, des Juges, du royaume de
Sheba ou du temps de Moïse?146
Peut-être n'est-II qu'une figure
illustrant la réalité et l'absurdité de la souffrance humaine.
•
Wiesel
•
82
affirmera que Job a existé et qu'il ne cesse jamais d'exister 147. Car il
appartient à tous les temps.
Dans le monde où la souffrance règne
partout, Job est cet homme qui souffre, et qui proteste contre la
souffrance.
Graduellement et sous forme de crescendo, tous les éléments du
mal l'ont frappé. Pareil aux Juifs d'avant l'Holocauste, il perdit d'abord
ses biens, puis sa famille, puis sa dignité, et il demeura dans la solitude
la plus absolue.
La réaction initiale de Job fut d'accepter passivement la "Justice"
du Tout-Puissant.
pendant dix ans.
Après "L'Événement", Wiesel gardera le silence
Job ne se révoltera que lorsque ses amis Eliphaz,
Bilbad et Zophar 148 , tenteront d'expliquer et de justifier son drame et le
geste de Dieu.
"Mais l'homme est né dans le trouble" 149 , dit Eliphaz.
Amal (en hébreu) ou "trouble", a deux sens dans la langue hébraïque;
celui de la souffrance et celui de la peine, du labeur. Wiesel préfère la
seconde verSion, plus conforme selon lui à la tradition juive: l'homme
est né pour combattre et surmonter la souffrance, non pas pour souffrir.
•
Et Eliphaz de rajouter: "même si tu ignores la cause de ta souffrance,
•
83
quelqu'un d'autre la connaît peut-être et, en conséquence, elle a une
signification 150.
Wiesel réagit à ces propos et le chaos l'envahit. "ne peut plus
distinguer le Bien du Mal. Dieu serait-il devenu insensible à l'individu?
Le Seigneur a-t-il couvert le visage des "Juges" pour qU'Ils ne puissent
plus distinguer le juste de l'injuste, le vrai du faux?
Job survit à la
confrontation avec Dieu, mais son moi reste divisé: "Détruis-moi, dit-II
au Seigneur, mais romps d'abord ton silence et explique-moi pourqUOI
l'homme doit souffrir". Et Job de rajouter: "Though he slay me, 1 will
trust in Him. But 1 will argue my ways before Hlm,,15'. Ces questions,
et ce dernier cri en particulier, résument l'approche de Job et de Wiesel.
Ils maintiennent une même foi totale en Dieu, mais ils refusent de se
résigner.
Le silence du tout-Puissant, face aux invocations de Job, est
interprété comme une punition que lui mfligeralt Dieu pour avoir accepté
passivement de perdre ses biens et sa famille, et pour être resté neutre
lorsqu'il aurait dû prendre position. Bien que pour Wiesel, Job SOit un
frère et que son histoire soit celle des Victimes de l'Holocauste, WIesel
•
•
84
n'accepte pas l'équation selon laquelle Dieu s'est tu parce qu'il a voulu
punir les Juifs de s'être soumis dans les camps de concentration.
Lorsque le Seigneur s'adressera à Job, il l'accablera d'un déluge de
questions: où étais-tu lorsque j'ai fondé le monde? En as-tu pris les
mesures? "II" lui parlera du début de la Création, car même la fin est
inscrite au début. La fin ou Aharit est de la même famille que Aharayout,
ou responsabilité, selon l'mterprétatlon de Wiesel.
Aussi, les temps
messianiques annoncent une époque où l'homme sera responsable pour
l'homme, personne ne sera aher ou "autre" . Cette notion est au coeur
du message de Wiesel et de sa vision du monde. Job a tiré une leçon
d'humilité de sa confrontation avec Dieu et ne parlera plus.
Wiesel
conclut: "Confronted with Job, our silence should extend beyond the
centuries to come" .152 Job s'est tu dans son rapport à Dieu. Mais son
drame est celui d'un seul homme.
Celui des victimes de "La
Catastrophe" a été six millions de fois répété et il impose un long silence:
1 prefer to take my place on the side of Job who
chose questions not answers, silence and not
speeches. 153
dit l'auteur à l'adresse du monde actuel, monde où règne la phraséologie .
•
•
85
Si Dieu est resté silencieux pendant l'Holocauste, comme 111'a été
pour Job, ce silence est négatif et incompréhensible et Il faut protester
face au silence autant que face à l'indifférence du monde lb4 , disait
Wiesel. Toutefois, peut-être a-t-il parlé et peut-être ne l'avons-nous pas
entendu?:
"Someone we can't see" disait Reb Mendel parlant du
propriétaire du château en flammes, "but someone we must hear" l"b.
Dans Evil and Exile, Wiesel dira: "1 am convinced "He" spoke, though 1
do not know how. Nor do 1 know what "He" sald"156.
Face au silence synonyme de mort qui régnait dans les camps de
concentration, face à celui synonyme d'indifférence du monde extérieur,
et face à l'exil (possible) de Dieu lors de "La Catastrophe", Wiesel aurait
pu rejeter toutes les formes de silence.
Toutefois, sa tradition lui
enseigne la force créatrice de ce mode d'expression, et par ailleurs Il se
trouve impuissant à traduire par la parole seule, le message des morts
sans sépulture. Comme Job, il tentera de témoigner de l'ampleur de "La
Catastrophe", par un discours sur le silence qu'II veut provocateur. Sa
quête l'amène à écrire un "plaidoyer" en fr..veur du silence, thème
stratégique qu'il expérimentera de manière constructive dans Le serment
de Kolvi"ag .
•
•
86
Le besoin de silence s'était déjà manifesté chez Wiesel en 1955.
Mais le silence qu'II s'était imposé était fondé sur l'appréhension et
l'hésitation du témoin à révéler l'horreur de "l'Événement". Le silence
qu'il cherche à Imposer (à ses écrits) depuis la parution de La Nuit en
1958, est basé en grande partie sur sa déception et ses désillusions. Le
message qu'II a transmis n'a pas été entendu ou compris. Conscient de
l'impuissance des mots à traduire "L'Événement", l'écrivain réalise qu'au
mieux,
il
pourrait
communiquer
l'impossibilité
même
de
la
communication. Et seul un silence qui demande à être transmis -- par
opposition à un silence ascétique -- traduirait le mutisme d'un témoin qui
a beaucoup à révéler mais qui ne parlera pas. Aussi, l'auteur affirme que
My silence is meant to be a very eloquent silence
[ ... ] a shouting silence [ ... ] an act [ ... ] a deed against
indifference, silence with a capital "S". 157
Parce que nous sommes responsables les uns des autres, Wiesel
cherchera à exprimer son mtérêt pour la souffrance d'autrui par un
silence constructif, un silence mterne qu'il transforme en cri et en un
moyen d'action.
•
Le silence -- thème ou idée -- se transforme en
expérience ou en prédisposition d'esprit. Il devrait inciter le lecteur à
•
87
une réaction existentielle dont les conséquences auraient une portée
métaphysique 158. En s'abstenant de décrire l'Holocauste en soi, il laisse
libre cours à l'imagination du lecteur et il l'incite par un silence-présence
(en tant que représentant du Royaume des morts), à s'interroger sur
l'ampleur et les implications de "La Catastrophe". Éventuellement, ce
processus entraînerait le lecteur à expénmenter le silence.
Wiesel relate l'histoire du "bedeau qUI réveille les fidèles et les
appelait à la prière [ ... ] Il grattait à la porte ou à la vitre, rien de plus.
Les gens effrayés sautaient au bas du lit [ ... ) ce pOUVOir, disait le bedeau,
c'est du rabbi Shmelke que je le tiens [ ... ) il m'apprit l'art de secouer les
êtres sans faire de bruit"159.
L'acte de "gratter à la porte" est un art pour le bedeau; il a le
même effet que le poids du silence dans un texte. Tous deux laissent
entendre par le ton de la phrase -- ou le grattage de la vitre -- le
message: pour le bedeau, il consiste à appeler les fidèles à la prière;
pour Wiesel, ce silence permet de transmettre l'IIlexpllcable. la
VOIX
des
morts, l'absence de Dieu, et l'ampleur de 1"'Expérlence" des cafTIps .
•
•
88
Ce conte de Reb Mendel de Kotzk Illustre donc le pouvoir du
silence, et plus particulièrement de la modulation du silence entre les
mots -- pour appeler et éV8iller la conscience des hommes, (pour le
secouer). La conception du silence propre à ce Hassid (Mendel de Kotzk)
a été reprise, entre autres, par Sholem Aleichem, Peretz et Wiesel. Ils
considèrent cet homme comme leur contemporain, capable de refléter,
par ses révoltes et ses colères, les réactions des survivants d'avant et
d'après l'Holocauste. Il tracera une route où "le silence pénètre la parole
pour la déchirer comme le regard déchire celui sur qui il se pose"160.
Cette approche, considérée comme révolutionnaire et extrémiste au
XVIW siècle, le distingue au sein même du mouvement hassidique.
Toutefois, elle le he au rabbi Zoussla de Koloney, qui dans Le serment de
Kolvillag, prêchera également "le dialogue muet": "Je t'écouterai à ma
manière" dit-il à Aznel qui cherche alors à mettre fin au silence que lui a
Imposé le maître:
Je t'écouterai [ ... ) sans paroles. J'écouterai ce que le
langage révèle et dissimule. Tu me regarderas droit dans
les yeux et tu me raconteras les événements. [ ... ] Il [le
rabbi] écoutait en silence [ ... J Je ne comprend!; pas, finit
par dire le rabbI. Tu m'as fait mal et pourtant cela ne t'a
pas soulagé [ ... 1 tu seras Na-venadmk, en exil perpétuel
[... 1. 101
•
•
89
Cette histoire illustre la possibilité de transmettre le silence. Le
rabbi a saisi l'ampleur de "L'Événement" et du message dont AZflel est
porteur. Toutefois, il adhèrera à la "stratégie du silence" imposée par
Moshe. Ce dernier ne le déliera pas de sen serment, n'allèuera pas le
tourment d'Aznel, le condamnant à garder le secret, un secret qUi ne lUI
appartient pas, le secret des morts de Kolvillag.
La "stratégie du silence" proposée par Vviesel à travers Moshe, est
un défi absolu à l'histoire, à la mémoire
prônent l'importance du témoignaçJe.
el à la tradition JUive, qui
L'abdication de la parole est la
seule méthode que les Juifs n'aient pas encore essayée, face à l'injustice
et la cruauté. Peut-être ce silence deviI3ndra-t-ille langage de l'ère post
holocaustienne?
Pour la première fOIS dans l'oeuvre de Wiesel. l'appel au silence
est renforcé par un raisonnement élaboré; Moshe-Ie-fou et le mystique - est le contemporain de Moïse. Il se distingue de ce dernier car Il tente
d'imposer une nouvelle loi, un nouveau commandement, qUI n'est plus
celui de la parole
rTl31S
du Silence, un silence que le monde d'après les
pogroms et d'après l'hoiocauste sElmble exiger .
•
•
90
Moshe se distmgue ent;ore de Moïse et du père d'Azriel, Shmuel
le chroniqueur, car ces derniers sont attachés au passé et é't la mémoire,
tandis que Moshe oeuvre pO'Jr l'avenir et l'Ir Iginatloll. La question qUI
se pose dès lors est de savoir lequel Je ces deux modes selt Il' nlleux la
vie et transmet le plus fidèlement le message des morts aux vlverlts.
Moshe-Ie-mystique
écrit
un
plaidoyer afin
de
prévenir
la
communauté de Kolvillag et Azriel, le futur messager de leur silence:
L'essentiel est de vivre à la limite. Que ta
parole soit cri ou silence, mais rien d'autre [ ... )
rien au milieu. 162
Assumer la loi du silence crée une coupure avec le passé, au nom
d'un avenir incertain et inconnu.
Le "cri" du silence pveilleralt les
consciences des hommes et arracherait Dieu à son Indifférence.
Ce
silence aurait donc un effet, mais à long terme. Moshe fait appel à un
silence qui semble positif, semblable à celui qui se cachaIt derrière les
paroles révélées par Dieu au Mont Sinaï, un silence pur: les arguments
de Moshe et de Wiesel en faveur du sIlence, se rejoignent. A travers ce
protagoniste, Wiesel met en doute la validité de sa propre théorie du
silence-provocateur.
•
•
91
La "stratégie du
sl~ence"
proposée par
Mo~he
doi'l permettre de
résoudre les problèmes de la souffrance JUive, sans l'a;je de Dieu:
souffrance et
SI
la
histoire SO'1t liées, alors celle-là devrait être abolie par la
réfutation de cellA-CI. En cessant de se référer aux événements tragiques
du présent. l'homme éViterait les massacres tians le futur. suggère
Moshe.
SI les hommes cessent de parler de la souffrance, elle
disparaîtra: le silence brisera le cercle vicieux qu'Instaure 1'3 iangage, de
la persécution aux témoignages et des témoignages aux persécutions.
Moshe n'affirme pas léI valeur suprème du silence au-dessus de la parole,
et le
~ilence
4U'II cherche à écabllr ne devrait pas exclure la parole. 1/ doit
servir la vie par son pouvoir créateur.
Dans plusieurs des romans de Wiesel, les protagonistes affirment
ce pouvoir et cette propriété du silence. Dans Les portes de la forêt 163 ,
Gregor se fait pnsser pour un sourd-muet, et réussira ainsi à sauver sa
vie.
Ailleurs, un "silence à deux"
est symbolique de communion
humaine et constitue la source de l'amitié. Michael dira, dans La ville de
la chance 104, qu'il ne \tit et rIe se définit que lorsqu'il est silencieux et à
travers le Silence. En reiusant de parler, Azriel reste fidèle aux morts et
assure la survie du pinkhé.s de Kolvil/ag.
Toutefois, après cinquante ans de silence,
I~zriel
devra choisir
lequel des deux modes d'expression, silence ou Iélngage, est le plus
favorable à la vie.
Doit- il raconter l'hist·')ire de sa communauté à un
jeune survivant dépourvu de passé et qui cherche à se suicider? Doit-il
perpétuei la mémoire, l'histoire le témoignage, et briser son pacte de
•
•
92
silence? Ou, doit-II obéir à Moshe et rester fidèle à sa lOI? Le dilemme
qui se présente à Azriel, au sujet d'un pogrom, est le même -lue celuI de
Wiesel face à l'Holocauste.
En réaccion à "La Catastrophe", les éCrivains d'Europe de l'Est ont
dû faire face au même problème. La connaissance et l'étude de ces
écrivains permettent de comprendre les réactions et les frustrations de
Wiesel et d' Azrie!. Ils nous aident a devancer l'histoire, à savoir qu' Azriel
témoignera -- tout C0'1lme Abramovitc.;h, Blalik, Peretz, et Sutkever avant
lui.
Il témoignera parce que l'oppression et la souffrance n'ont pas
cessé, malgré le silence. Il témoignera parce qu'II est vieux et que sa
mort prochaine entraînerait la disparition d'un passé enfoui dans sa
mémoire d'homme. Un témoignage muet n'a plus de valeur, n'a plus de
sens, tandis que le langage permettrait de rattacher l'homme à la vie:
"On ne se suicide pas au milieu d'u:1e phrase"165, dit AZrle!. La "VOIX"
entretient et perpétue la vie. Elle est le lien entre le passé et le futur, et
transcende le temps. Par contre, le silence de Moshe deVient synonyme
de suicide. Le pacte de silence se transforme en un pacte de mort: "Je
violerai mon serment, non pour te sauver toi, mais pour me sauver mOI
aussi"165. affirme Azrie!. A Kolvillag, "Kaiser le muet" reprochait déjà au
rabbi de parjurer en ne priant pas, en se taisant.
"L'homme n'est plus
seulement responsable pour ce qU'II dit, mais aussi pour ce qu'il ne dit
pas"166. Ainsi le langage et le silence sont tous deux ambigus.
AZflel
aurait voulu se taire sans faire du silence même un mensonge et une
•
•
93
trahison 1fH.
Mais le langnge, malgré ses dangers, crée un pont reliant l'homme
à la vie. Il établit une structure où les hommes peuvent communiquer et
apprendre à se connaître, vOire à se comprendre.
Il semble plus apte que le silence r':I combattre l'Indifférence. En
racontant aux vivants comment sont décédées les victimes, en relatant
l'histoire
élU
jeune surVivant, AZflel provoque une réaction certaine à
l'échelle de l'homme (quI ne se sUIcidera pas) et une réaction possible à
l'échelle de l'humanité.
Le Silence de Moshe, silence du fou ou du
mystique, était réservé à de rares initiés, évoluant dans une tradition
secrète, soustraite du langage de'i hommes.
Ce Silence messianlql!e transcende la réalité et se transmet à
travers la prière et la méditation.
Peu d'initiés y ont accès.
Cette
tradition d'inspiréltion cabalistique Isole l'homme. Wiesel rejettera l'idée
du silence en tant qu'art pur. Il rejette un Silence situé hors de l'Histoire
et de la mémoire.
Pour lui, art et vie, bien et mal, temps et éternité,
histoire et Imagination sont liés.
Moshe a voulu d'un silence qui
transcendp.rait le monde. Celui de Wiesel cherche à le transformer 168 •
Toutefois, le rejet du silence à l'état pur, ou Silence messianique,
ne signifie pas le rejet des autres formes du silence.
Le silence est
nécessaire car tout ne peut être transmis par les mots.
Le silence
rappelle au monde le mystère de la souffrance humaine. Mais le silence
•
•
94
de l'écrivain est lié à ses mots, passe à travers eux. Le but ultime de
Wiesel, face à l'impuissance des mots et à l'Impossibilité du silence, sera
d'unir mots et silence en un langage susceptible de traduire fidèlement
la pensée et les expérrences du témoin.
L'exilé-survivant pourrait mettre fin à sa tragédie et à son dilemme
en trouvant un nouveau langage, où les mots et l'absence de mots se
rejoindraient .
•
•
95
CONCLUSION
Pour traduire fidèlement "l'Expérience", Wiesel salt qu'il devrait
produire un livre aux pages blanches. Parce que cela est impœisible, il
condensera cent mots en un. Écrire, comme sculpter, signifie retl,ancher,
enlever des mots.
With a painting what vou add on the canvas
is important. A sculpture is what Vou chip
awav.
It's what Vou don't say that is
important. 169
affirme E. Wiesel.
Dans un dialogue imagrnaire entre l'homme et la parole, cette
dmnip.re dira:
"Nous nous entendons bien le silence et moi, l'un ne
saurait s'épanOUir sans l'autre, c'est dans l'autre que nous trouvons
notre justlflcation"170.
La parole et le silence sont interdépendants: ils se chargent d'un
sens plus profond lorsqu'ils coexistent. La légende raconte que lorsque
•
•
96
la Torah fut remise au Rabbi Abbahon, les oiseaux arrêtèrent de chantN:
tout l'univers était plongé dans le silence. El quand Dieu parla, "les mots
pénétrèrent dans le silence sans le rompre"111.
La pnère manifeste
l'entrée du silence dans le langage. Elle exclut certains mots, elle en
protège d'autres, et elle s'imprègne des "blancs" qui selon la religion
juive ne pourront être compris que lorsoue le Messie Viendra. Elle sert
la vie et les vivants, reliant leur passé au présent et au divin. A travers
sa qJête de silence, Wiesel a découvert les périls et les pouvOirs de la
parole. Malgré cela ou peut-être grâce à cela, il affirma que "1' III flll 1 se
trouve dans les mots"172.
Il se rattache ainsi à sa tradition qui prône le pouvoir et le pOIds de
la parole. Celle-ci possède une existence en soi. Elle est instrument de
survie, parce que véhicule de l'Histolle du peuple Juif. "Le verbe, nous
le voulions [ ... ] plus puissant que la mort [ ... J (il est) notre âme! ... )
puisqu'il restera quelqu'un pour raconter l'épreuve, c'est que nous
l'avons gagné d'avance,·173, disait Moshe.
Le silence ne peut se substituer à la parole. MaiS un mot, une
parole empreinte de ces silences, permettrait à Wiesel de communiquer
•
•
97
ce que le silence seul ou la parole seule ne peut transmettre. Avec la
fable, il découvre un mode d'expression où les mots sont empreints de
"blancs" .
Cette expression indirecte lui permet de suggérer des réalités
cachées.
Si
Wiesel
a
cherché
désespérément
un
moyen
de
communiquer, ne serait-ce qu'une étincelle de "L'Événement", son
oeuvre a évolué de l'obscurité et de la mort vers l'affirmation de la ViF:
il réintègre ainsI graduellement le monde des vivants, sans cesser d'être
un "pont" reliant ces deux univers.
Ses héros et anti-héros chercheront à s'entraider mutuellement
afin de s'arracher à la mort.
Tel Azriel, ils sacrifieront le monde des
morts s'ils peuvent sauver une vie humaine.
Mais la forme du roman, avec ses structures narratives réalistes
et ordonnées, et le langage qu'imposent ces structures, ne lui permettent
pas de capter les dimensions et les profondeurs de la souffrance, ni de
transmettre le secret de l"Expérience". 1/ substituera donc la fable au
roman. "When tacts or tests are unacceptable, legend is nobler"174, dira
•
•
98
S. Ezrahi.
Désormais, Wiesel témoignera essentiellement il travers ce mode
d'écriture.
L'intemporalité de la fable lUI permet de joindre les
expériences des prophètes et des patriarches à ceux des pogroms et de
l'Holocauste.
En liant l'Holocauste au passé historique et légendaire de la
Tradition juive, Wiesel semble s'éloigner de son affirmation initiale, soit
l'unicité de "L'Événement".
hassidiques,
talmudiques
En devenant un conteur de fables
et
bibliques,
il
inscrit
l'histoire
de
"L'Événement" dans la continuité de l'existence juive, se rattachant all1SI
à sa tradition et à la tradition littéraire des éCrivains d'Europe de l'Est,
tels Sholem Aleichem, Peretz et Sutzkever.
L'usage de la métaphore et de l'allusion lui permettra de capter et
de transmettre des pensées et des expériences qu'un discours direct ne
peut communiquer. Il pourra ainsi témoigner, transformant son vécu en
anecdote tout en l'universalisant. Par contre, ces métaphores ont parfois
des connotations qui ne renvoient pas spéCifiquement à l'Holocauste ou
•
•
99
qui n'en présentent qu'un aspect particulier.
Lorsque le grand Rabbi Israël Baal Shem-Tov
voyait qu'un malheur se tramait contre le
peuple jUif, Il avait pour habitude d'aller se
recueillir à un certain endroit dans la forêt; là,
il allumait un feu, réCitait une certaine prière et
le miracle s'accomplissait, révoquant le
malheur ( ... ] PUIS, ce fut le tour du Rabbi Israël
de Rizsin d'écarter la menace [ ... ] (II] parlait à
Dieu, Je ne connais pas la pnère, Je ne peux
même pas retrouver l'endroit dans la forêt.
Tout ce que je sais faire, c'est raconter cette
histOire ( ... ] Et cela suffisait. 175
Cette fable hassidique exprime, par la métaphore et la suggestion,
plusieurs des thèmes au coeur de l'oeuvre d'E. Wiesel.
prêter à plUSieurs niveaux d'Interprétation.
Elle peut se
Ainsi, la forêt est perçue
comme symbole de l'Holocauste et le rabbin, élu par son peuple, est
l'exilé-survivant représentant du monde des morts parmi les vivants.
Le fait de raconter l' histoire est un défi lancé au désespoir, et une
preuve de sa foi non en Dieu, mais dans les hommes et la parole. Entre
le silence et l'usage de mots "souillés", il n'hésite pas: l'essentiel reste
le témoignage - l'essentiel reste la parole, car elle raffermit la solidarité
•
-
•
100
avec les hommes, et en perpétuant la mémoire prévient le malheur,
préviendra peut-être un autre holocauste.
"Ce n'est pas l'arche qui a sauvé grand-père Noé 1... 1, c'est la
parole"176, dit une tradition hassidique, car en Hébreu "Tevah" déslgrle
à la fois arche et lettre. Pour le sauver du déluge, Dieu ordonna à Noé
de lui construire un langage qui lui servirait d'abrr et de refuge. Ailleurs,
Wiesel raconte que lorsque 1er Romains enveloppèrent la Torah et y
mirent le feu, les disciples demandèrent au maître:
"Que vois-tu
Maître?". Et il répondit: "Je vois les parchemins qui brûlent mais les
lettres, je les vois flotter en l'air"178.
La parole seule ne suffit donc plus après "L'Événement".
Elle
s'érige en obstacle. Il faut reconstruire sur les cendres à l'aide de lettres,
de silences, et de blancs entre les mots, grâce à la fable pour E. Wiesel.
La fable demeure le seul mode capable d'exprrmer les thèmes qui
obsèdent Wiesel, avec des mots qu'il fait Siens, des mots marqués par
le poids et le mystère du silence et de la parole:
j'emploie et moi, le lien devient chargé d'être" .179
•
"Entre les mots que
101
Par son style, la fable s'ouvre à plusieurs niveaux d'interprétations:
elle suggère et suscite de~~ questions chez le lecteur.
Les questions
restent, les réponses changent. L'acte de transmettre "L'Expérience" ne
sera pas compriS, car, selon la tradition juive, seul le Messie peut élucider
"les blancs" entre les mots, et répondre aux questions qUI hantent les
histoires bibliques, talmudiques, hassidiques, les histoires que raconte
l'auteur.
Alors, tout en racontant les histoires, il semble que Wiesel adhère
à la tradition secrète, la tradition cabalistique dont parlait Moshe, une
tradition "dont l'existence même est un secret qui meurt et renaît chaque
fOIs qu'on l'assume, chaque fois qu'on y adhère, chaque fois qu'on s'y
réfère. Seul le Messie en parlera sans le trahir, sans se trahir"180, disait
Moshe .
•
•
102
NOTES - CHAPITRF 1
1
"Holocauste" est un terme
d'mterprétations variées:
dont
la
connotation
est
source
M. Berenbaum, t\merican Journal of Theology and PhllosoQ.by,
p.3: It is a theclogical term in origm; It is an Englrsh denvative
fram the Greek translation of the Hebrew ward Olah, meanlng a
"sacrificial offenng burnt whole before the Lord."
M. Marrus, L'Holocauste dans l'histoire, p.5. "Offrande
sacrificielle qu'on brûle pour la dédier exclusivement à Dieu.
Il
D. Roskles: Nom français utilisé initialement par des éCrivainS
non-juifs au lendemalll de la dernière gU.3rrcl mondiale. Ce n'est
donc pas un nom Spéclflq'je, mais plutôt un synonyme du mal
dans le monde moderne. (ma traduction).
E. Wiesel, Evil and EXile, pp. 38-39.
Dans ce livre, l'auteur fait des commentaires sur le terme
"Holocauste": '''Shoah' (terme hébralque pour Holocauste) a
été choisi par Ben-Gourion pour dénoter un cataclysme naturel.
Mais l'Holocauste n'est pas un cataclysme naturel. J'awHs chOISI
le terme Holocauste ... mais Je ne l'aime plus car Il a été trop
commercialisé", disait E Wiesel. (ma traduction) .
•
•
103
Les termes "1'Evénerrlent", "la Catastrophe" (lorsqu'elle est
entre gUIllemets) et "l'unIvers concentrationnaIre" sont utilisés
également pour désIgner l'Holocauste.
Le terme
"univers
concentrationnaIre" est dû à David Rousset, écrivain français qui
introduisit Cf. mot dans les années '80 pour désigner plus
partIculIèrement le monde des camps.
2
E. Wiesel, La Nuit.
Ce premier livrp. n'est pas e)(::)ctement autobiographique, car il ne
raconte pas toute la vie d'l. Wiesel, et de plus, le héros porte un
autre nom. Toutefois, l'auteur a affirmé que tout ce olJ'il raconte
est vrai: l'histoire de son enfance et de son adolescence. En
conséquence, Il est courant de se référer à la Nuit comme à la
seule oeuvre autobiographique d'E. WIesel.
3
"L'Evénement" est un autre terme désignant L'Holocauste.
4
M. Marrus, .!".'Holocauste dans l'histoire, p. 203.
5
Encyclopaedia Judaica, Volume 15, p. 203.
•
le terme 'Tradition' est dérivé du latin "tradere", soit transmettre
la tradition. la tradItion juive désigne "the unwritten code of law
given by Gad ta Moses on Mount Sinai; "Massoret" is the general
name for tradition [ ... ] and means originally "bond"". "Masor"
denoting "to give over." The term Massoret is used (in the
Talmudic literature) ta include ail forms of tradition, both those
which relate ta the Bible and those which concern custom, law,
historical events, folkways and other subjects. In Rabbinic
literature, the chain of tradition is given as follows: Moses
received the Torah on Sinai and dolivered it to Joshua who, in
•
104
turn, delivered it to the Eiders, the Eiders to ~he Prophets, and the
prophets to the great men of the synagogue. The transmltters of
tradition included the successors to the qreat men of the
synagogue down to modern time, namL:-y the Scnbes (Soferim)
[. .. ] and the Rashei - ha Yeshivah - ("Heads of the academy").
The signification of tradition has glven Judalsm a contll1uity wlth
the past".
6
"Le poète de l'Holocauste"; c'est ainsi que de nombreux éCrivains, tels
S. Ezrahi, M. Berenbaum, L. Skrener, nomment E. Wiesel.
7
Encyclopaedia Judaica, vol. 7, p. 315, donne Lne définition de la
période géonique; Période qui s'étend du Vlème au Xlllème siècle
et se réfère aux géomin, titre donné aux chefs des académies de
Sula et de Pumbedita, puis de Bagdad, représentant l'autorité
suprême en matière rabbinique; (ma traduction).
8
Voir Encyclopaedia Judaica, volume 14, p. 192:
Les Rishonims sont les premières autorités se référant aux rabbins
de l'époque et succédent aux géonims.
Ils représentaient
l'autorité suprame en matière d'interprétation de la Halakhah (Loi
juive); (ma traduction).
9
Voir Encyclopaedia Judaica, volume 14, p. 192.
Les Aharonim sont définis comme étant les successeurs des
Rishonim, soit les autorités suprêmes en matière d'interprétation
de la loi juive; (ma traduction).
•
•
105
10
D. R'lskies, Against the Apocalypse, p.285. L'auteur définit le terme
akedah comme étant: "A voluntary sacrifice of one, seen as the
atonement for the many [ ... 1".
11
La division des écrivains de l'Europe de l'Est du XIXe et du XXe siècle,
en six générations, est une division arbitraire de D. Roskies, basée
sur le fait que chacune marque un tournant ou une nouvelle
approche dans la pensée littéraire de l'époque: la première
génération est marquée par l'influence des Rabbins, teis: Nathan
Naha Hannover, S. Halchenkatz ...
12
Pendant l'ère cantoniste, à la fin du XIXe siècle, les Russes enlENaient
les enfants aes familles juives pour les envoyer à l'armée russe
pendant une période de 15 à 25 ans.
13
S. Y. Abramovitch, The Complete Works in Yiddish, voir The Mare,
p. 100. "The mare" signifie "jument" en français et est
originellement connu sous le titre Yiddish Di Klyatshe.
14
S.Y. Abramovitch, The Complete Works in Yiddish,
Animal, p.130.
15
Les
•
VOir
Pit y the Poor
générations d'écrivains dont il est question ici, viennent
essentiellement de Russie, et elles se situent à vingt ans
d'intervalles les unes des autres. Ainsi, la "troisième génération
d'écrivains" est localisée entre 1880 et 1900. La quatrième
génération, entre 1900 et 1920 ...
•
106
16
D. Roskies, Against the Apocalypse, p.53.
Dans ce livre, l'auteur définit le terme shtetl ou "towns where
Jews were welcomed and protected [ ... ] market towns of Eastern
Europe based on a non-agrarlan feudal economv, owned by a
squire and run in large rneasure by the Jews". Ces villes jUives
apparaissent à la fin du XVlème siècle. Désormais, les renvoIs au
livre de D. Roskies seront indiqués par le sigle A.A.
17
D. Roskies, A.A., p.69.
18
Voir L. Shapiro, The Dead Town.
ln der toyter shtot, p. 10-23.
Le titre original en Yiddish est
19
Home: Nous avons choisi d'utiliser le terme anglais, car "maison" n'a
pas la connotation de home, soit foyer, endroit d'appartenance
géographique et interne.
20
Voir O. Warshawsky, Under Occupation. Le titre original de l'histoire
The Smugglers, est shmuglares en yiddish.
21
Voir S. Ansky, Khurbm Galitsye, pp. 66-91. La traduction du terme
Khurbm Galitsye signifie: "La destruction de la Galicie". Ce
mémoire marque le début du mémoire classique juif. "a été écrit
en 1915.
22
•
D. Roskies, A.A., p.406
•
107
23
E. Wiesel, Against Silence, p. 100.
24
La ville de Sighet est située en Transylvanie. A la naissance de Wiesel,
la Transylvanie appartenait à la Roumanie, mais en 1939, elle est
reconquise par les HongroIs.
25
E. Wiesel, Against Silence, p. 223.
26
Le mot fable est compris dans le sens d'une anecdote, mais une
anecdote dont l'expression serait indirecte et qui serait empreinte
de symboles et de métaphores. Ainsi, elle se rappror.he de "la
légende" avec laquelle elle fusionnerait.
2'7
Exemples: Legends of our Times, Célébration Hassidique, Contre la
mélancolie: Célébration Hassidique II.
28
Encyclopaedia Judaica, volume 2, p, 150.
Définition de Midrash: "designation of a particular genre of
rabbinic IIterature constituting an anthology and compilation of
homilies consisting of both biblical exegis and sermons delivered
in public and forming a running commentary on specifie books and
stories of tht' Bible or the prophets, It is derived from the raot drsh
which, in the Bible, means "to search", " to investigate", It
seems possible that it means "the results of inquiry of the events
of the times" .
•
•
108
29
Voir E. Wiesel, Le serment de Kolvillag. Désormais, les renvoIs à ce
livre seront indiqués par le sigle S.K.. Kolvillag signifie "tout le
monde". En hongrois villag signifie "le monde" et Koi en hébreu
signifie "tout".
30
E. Wiesel, Signes d'exode, p. 12-13.
31
E. Wiesel, Against Silence, p. 9.
32
E. Wiesel, Against Silence, p. 10.
33. J.L. Perez, Treasury of Yiddish Staries, p. 205-213.
34
E. Wiesel, Célébration Hassidique: portraits et légendes, Legends of
Our Times, et Contre la mélancolie.
35
S. K. Ezrahi, By Words Alone, p.3.
36
C. N. Bialik, Selected Poems of Haym Nahman Bialik, p. 114-128.
37
Voir S. Ansky, Khu rbm Galitsye, p. 66-71 .
•
1
•
109
38
E. Wiesel, Against Silence, p. 283.
39
E. Wiesel, Against Silence, p. 10.
40
S. Aleichem, Ale Verk fun Sholem Aleykhem. Le conte The Town of
the Little People est traduit du Yiddish Kleine mentshelek mit
kleyne hasoges, vol. 8, p. 230.
41
S. Aleichem, Ale Verk fun fun Sholem Aleykhem. Le conte des mille
et une nuits est traduit du Yiddish: Mayses fun toyznt eyn nach,
vol. 3, p. 137.
42
S. Aleichem, Ale Verk fun Sholem Aleydhem, Le conte des mille et une
nuits, voir note 41, p. 150.
43
D. Roskies, A.A., p. 310.
44
le terme "univers concentratil)nnaire" nous vient de D. Rousset,
écrivain français des années 60, et il désigne les camps de la
mort.
45
A. H. Rosenfeld and 1. Greenberg, Confronting the Holocaust, p. 136 .
•
•
110
46
E. Wiesel, Against Silence, p. 146 .
•
•
111
NOTES - CHAPITRE Il
47
E. Wiesel, S.K., p. 274. Elie Wiesel explique que le mot Herem signifie
excommunication en hébreu. C'est un mot de malédiction adressé
ici à quiconque parlera.
48
E. Wiesel, S.K., p. 254.
49
F. H. Littel et H.G. Locke, The German Church Struggle and the
Holocaust, Talking and Writing and Keeping Silent, p.3.
50
E. Wiesel, Against Silence, p. 133.
51
Le terme "univers concentrationnaire" fut utilisé en premier par D.
Rousset, précité, note 44.
52
E. Wiesel, Un Juif aujourd'hui, pp. 137-138.
53
E. Wiesel, Un Juif aujourd'hui, p. 174.
•
•
112
54
E. Wiesel, Un Juif aujourd'hui, p. 174.
55
E. Wiesel, Un JUIf aujourd'huI, p. 175. Le Maggld est celuI qui, en
Europe de l'Est, allait de ville en ville racontant des histoires.
Chacune d'entres elles portait symboliquement la même histoire.
56
E. Wiesel, Silences et mémoire d'hommes p. 128.
57
H. J. Cargas and E. Wiesel, Harry James Cargas in Conversation with
Elie Wiesel, p. 109.
58
H. J. Cargas and E. Wiesel, Harry James Gargas in conversation with
Elie Wiesel, p. 21. (ma traduction). Dans ce livre, Elie Wiesel
définit le terme survivant.
59
E. Wiesel, Witnesses for Life, p. 105.
60
E. Wiesel, Dimensions of the Holocaust, p.9.
61
E. Wiesel, Dimensions of the Holocaust, p. 7.
62
Voir E. Wiesel, S.K., p. 255 .
•
•
113
63
H. J. Cargas and E. Wiesel, H. J. Cargas in Conversation with E.
Wiesel, p. 91.
64
E. Wiesel, Against Silence, p. 161.
65
E. Wiesel, Silences et mémoire d'hommes, p. 18.
66
E. Wiesel, S.K., p. 174.
67
F. H. Uttel and H. G. Locke, The German Church Struggle and the
Holocaust, "Talking and Writing G'I,d Keeping Silent", p. 276.
68
E. Wiesel, Dimensions of the Holocaust p. 9.
69
E. Wiesel, Dimensions of the Holocaust, p. 10.
70
E. Wiesel, Signes d'exode, p. 20.
71
E. Wiesel, Signes d'exode, p. 20 .
•
•
114
72
M. Baumgartem, Forum, "Languages Roles", p.40.
73
E. Wiesel, Signes d'exode, p. 21.
74
E. Wiesel, Un Juif aujourd'hui, p. 31.
75
E. Wiesel, La Nuit, p. 60.
76
E. Wiesel, Silences et mémoire d'hommes, p. 138.
77
E. Wiesel, La Nuit, p. 72.
78
E. Wiesel, La Nuit, p. 178.
79
E. S. Fine, Legacy of Night, p. 77.
80
Voir E. Wiesel, La Nuit, p. 178.
81
Voir E. Wiesel, L'aube .
•
•
115
82
E. Wiesel, Le Jour.
83
E. Wiesel, Against Silence. "Questions and answers at the University
of Oregon between a student and Elie Wiesel", p. 229.
84
E. Wiesel, S.K., p. 44.
85
E. Wiesel, Un Juif aujourd'hui, P. 192.
86
E. Wiesel, Un Juif aujourd'hui, p. 193.
87
E. Wiesel, La Nuit, p. 60.
88
E. Wiesel, S.K., p. 219.
89
M. Berenbaum, American Journal of Theology of the Holocaust, "The
Uniqueness and Universality of the Holocaust".
90
Encyclopaedia Judaica, vol. 10, p. 623.
Une tentative de définition du terme Pardes est incluse sous le
terme Kabbalah et se lit comme suit: "The conventional four
categories by which the Torah was said to be interpreted, the
•
•
116
litteral (peshat), the allegorical (remez), the hermeneutical (Derash)
and the mystlcal (500). These 1... ) categories were flrst glven the
acronym Pardes, Iliterally gardenL by Moses de Leon. Only on ttle
level of t;,e 500 dld the Torah become a body of my~tlcal
symbols whlch have unvelled the hidden-life processes of the
godhead and their connectlon wlth human IIfe".
91
N. Diamant, Prooftexts, a Journal of Jewish Llterarv HlstorV, p. 100.
92
E. Wiesel, Dimensions of the Holocaust, p. 7.
93
E. Wiesel, La Nuit, p. 109.
94
Encyclopaedla Judaica, vol. 1 D, p. 625. Le mot Shekhina est défi nt
comme dés;gnant la présence de Dieu, selon la caballe.
95
Encvclopedia Judaica, vol. 10, p. 630. Selon les mystiques, l'exil de
la parole est une notion cabalistique.
96
S. Ezrahi, Sv Words Alone, p. 3. Cet auteur qualifie de "littérature de
l'essentiel", les écrits d'E. Wiesel.
97
E. Wiesel, La Nuit, p. 69 .
•
•
117
98
E. Wiesel, Against Silence p. 183.
99
A.H. Rosenfeld and 1. Greenberg, Confronting the Holocaust, p. 22.
100
E. Wiesel, La Nuit, p. 112.
101
E. Wiesel, Un Juif aujourd'hui, p. 26.
102
E. Wiesel, Le Chant des morts, p. 147.
103
E. Wiesel, Le mendiant de Jérusalem, P. 147.
104
E. Wiesel, Against Silence, p. 289. A cette page, Elie Wiesel précise
les termes caballe et caballiste.
105
E. Wiesel, le Chant des morts, p. 215.
106
G. Graff, literature Against Itself, p. 25.
•
107
Voir G. Graff, Literature Against Itself, p. 25 .
•
118
108
H. J. Cargas and E. Wiesel, H.J. Cargas in Conversation wlth E. Wiesel,
p.85.
109
E. Wiesel, Signes d'exode, p. 127.
110
E. Wiesel, Legends of our lime, p. 179.
111
E. Wiesel, "Trivializing the Holocaust: Semi-fact and Semi-flction", The
New York Times, (avril 1976), p. 6.
112
E. Wiesel, "Trivilazing the Holocaust; Semi-fact and Semi-fiction", The
New York Times, (avril 1976), p. 6.
113
Les Intentionalistes sont ceux qui rejettent tout type de discours
universitaire sur l'holocauste, voir p. 2 du devoir.
114
E. Wiesel, Legends of Our lime, p. 191 ft.
115
E. Wiesel, Legends of Our lime, p. 182.
116
E. Wiesel, S.K., P. 184 .
•
•
119
117
," '·f. Wiesel, Un Juif Aujourd'hui, p. 150.
118
E. Wiesel, Le Chant des morts, p.
219.
119
E. Wiesel, Le Chant des morts, p. 13.
120
E. Wiesel, S.K., p. 17.
121
E. Wiesel, Evil and Exile, p.
128.
122
E. Wiesel, S.K. p. 78. Elie Wiesel explique que le Pinkas est une oeuvre
transmise de génération en génération, et qui traduit tous les
événements d'une communauté juive.
123
E. Wiesel, Le Chant des morts, p. 215.
124E. Wiesel,La Nuit, p. 12.
125
E. Wiesel, La Nuit, p. 66 .
•
•
120
126
E. Wiesel, Le Chant des morts, p. 204.
127
E. Wiesel, S.K., P. 14.
128
E. Wiesel, Silences et mémoire d'hommes, p. 63.
129
E. Wiesel, Le testament d'un poète Juif assassiné, pp. 172-173.
130
E. Wiesel, Le testament d'un poète juif assassiné, p. 254.
131
E. Wiesel, Le testament d'un poète Juif assassiné, p. 174.
132
E. Wiesel, Le testament d'un poète Juif assassiné, p. 174.
133
E. Wiesel, Evil and Exile, p. 18.
134
M. R. Marrus, L'Holocauste dans l'histoire, pp. 159-160.
135
Voir E. Wiesel, Evil and Exile, pp. 185-186 .
•
•
121
136
E. Wiesel, La Nuit, p. 46.
137
E. Wiesel, S.K., p. 62.
138
E. Wiesel, Célébration Hassidique 1, p. 248.
139
E. Wiesel,
~gainst
Silence, p. 249.
140
Voir E. Wiesel, Ani Maamin. un chant perdu et retrouvé.
141
E. Wiesel, Célébration biblique. portraits et légendes, "Job et le Silence
révolutionnait e" .
142
E. Wiesel, Against Silence. Cette histoire a été racontée en 1968 par
E. Wiesel, dans Teacher's Study Guide. Jewish Legends, p. 34.
143
E. Wiesel and J. Eisenberg, Job ou Dieu dans la tempête, p. 18.
144
E. Wiesel, la Nuit, p. 111 .
•
•
122
145
E. Wiesel, Against Silence, p. 267.
146
E. Wiesel, Célébration biblique, p. 17.
147
Voir E. Wiesel and J. Eisenberg, Job ou Dieu dans la tempête, p. 88.
148
E. Wiesel and J. Eisenberg, Job ou Dieu dans la tempête, p. 25.
149
E. Wiesel and J. Eisenberg, Job ou Dieu dans la tempête, p. 158.
150
E. Wiesel and J. Eisenberg, Job ou Dieu dans la tempête, p. 159.
151
E. Wiesel and J. Eisenberg, Job ou Dieu dans la tempête, p. 237.
152
E. Wiesel and J. Eisenberg, Job ou Dieu dans la tempête, p. 279.
153
E. Wiesel and J. Eisenberg, Job ou Dieu dans la tempête, p. 175.
154
Voir E. Wiesel and J. Eisenberg, Job ou Dieu dans la tempête, p.207 .
•
•
123
155
E. Wiesel, Against Silence, p. 34.
156
E. Wiesel, Evil and Exile, p. 34.
157
E. Lily, "A ConvNsation with Elie Wiesel", p. 19.
158
Voir E. Wiesel, Evil and Exile, p. 56.
159
E. Wiesel, Célébration Hassidique, p. 121.
160
E. Wiesel, Célébration Hassidique, P. 244.
161
E. Wiesel, S.K., P. 43.
162
E. Wiesel, S.K., P. 176.
163
Voir E. Wiesel, Les uortes de la Forêt. Chapitre "été", pp. 63-124.
164
Voir E. Wiesel, La Ville de la chance .
•
•
124
165
E. Wiesel, S.K., P. 19.
166
E. Wiesel, S.K. P. 86.
167
Voir E. Wiesel, S.K., P. 42.
168
Voir E. Fine, Legacy of Night, p. 130.
169
E. Wiesel, Courrier Journal, "Silence bred from the understanding of
Jewish Burden", 29 novembre 1973, p. 23.
170
E. Wiesel, Silences et mémoire d'hommes, p. 128.
171
E. Wiesel, SignE.s d'exode, p. 144.
172
E. Wiesel, Signes d'exode, p. 143.
173
E. Wiesel. S.K., pp. 216-217.
•
174
S. Ezrahi, By Words Alone, p. 3 .
•
125
175
E. Wiesel, Les portes de la forêt, préface.
176
E. Wiesel, Signes d'exode, p. 14.
177
E. Wiesel, Signes d'exode, p. 14.
178
E. Wiesel. Signes d'exode, p. 14.
179
E. Wiesel, Signes d'exode, p. 24.
180
E. Wiesel, S.K. pp. 172-173 .
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