Structure de la réalité et réalité de la structure

Transcription

Structure de la réalité et réalité de la structure
1
Introduction
Intention de notre travail
Nous nous proposons dans ce travail d'aborder la
notion d'émergence par le biais de la métaphysique,
we hope in a non pejorative sense
(Kripke) : malgré une certaine méance de la pensée analytique vis-à-vis de la métaphysique, méance qui culmina aux heures du positivisme logique, quand Carnap assimilait
les métaphysiciens à des musiciens sans talent, cette discipline philosophique a paradoxalement bénécié des acquis de cette école de pensée. S. Blackburn suggère ainsi
une transition : transition qui irait d'un regard initialement méant à un optimisme
nal, en partie expliqué par ce renouveau méthodologique :
It is important to notice that analytical philosophy arose not primarily as
a crusade against metaphysics, but only against the undisciplined perversions of metaphysics, which seemed to the major early analysts to surround
them.
It is in fact notable that the pioneering works of Moore and Rus-
sel are themselves preoccupied with the questions of what there really is.
[...] What drove analytical philosophy was not originally hostility to metaphysics, but belief that
found
the correct method for pursuing it had nally been
(Blackburn, 2003, p. 70, nous soulignons).
Le projet métaphysique
Alors qu'il dière de Quine par beaucoup de ses thèses
philosophiques, Lowe fait pourtant sienne la question inaugurale que celui-ci posait
en matière d'ontologie. Pour ses deux philosophes, le point de départ de la réexion
ontologique moderne se laisse dénir par cette citation :
A curious thing about the ontological problem is it simplicity. It can be put
in three Anglo-Saxon monosyllables : `What is there?' It can be answered,
moreover, in a word - `Everything' and everyone will accept this answer as
true. (On
what there is
in Quine, 1961, p. 1)
Qu'y a-t-il ? Si cette question programmatique se laisse ainsi clairement
elle admet une réponse sous forme d'énigme :
everything,
1
formuler,
et c'est précisément cette
1. Peut-être contestera-t-on ce dernier qualicatif. De fait, nous laissons pour l'instant de côté la
question de savoir s'il faut distinguer
there is
(`What is there?') et
exists
(`What exists?'). Voir à ce
propos Geach (1968); Miller (2002). Notons cependant à ce propos que la position de Lowe, comme
celle de la majorité des métaphysiciens est la suivante : il n'y a pas ici d'ambiguïté puisque les deux
expressions ont synonymes. But I would also urge that [this] position which I favor is, as it were, the
`default ' position, which should be presumed correct unless it can be shown to be mistaken(Lowe,
2002, p. 216).
1
énigme que l'ontologie aura pour but d'expliciter. Orons en guise d'introduction une
première explicitation méthodologique.
Commençons par distinguer l'ontologie des disciplines scientiques. Après tout, en
eet, les disciplines scientiques ont aussi pour but d'étudier tout ce qu'il y a - everything
et l'on est en droit de se demander quelle est, de ce point de vue, la
spécicité de l'ontologie. Peut-être décrira-t-on cette spécicité de la façon suivante :
les physiciens étudient, certes, les structures générales de la réalité, mais d'une réalité
qui est déjà, d'une certaine façon, particulière : ils bornent leurs investigations à un
domaine de la réalité, le domaine de la réalité matérielle et physique. Il en va de
même des biologistes : ceux-ci étudient certes les structures générales de la réalité, mais
la réalité dont ils étudient les structures est déjà, d'une certaine façon, particulière : il
s'agit, pour eux, d'étudier la réalité vivante . Il en va de même des mathématiciens :
certes, ceux-ci étudient les structures générales de la réalité, mais uniquement de cette
réalité abstraite et conceptualisable que sont les nombres et l'extension quantitative.
De ce point de vue, la spécicité de l'ontologie est la suivante : il appartient à cette
discipline - et seulement à cette discipline - d'étudier les structures générales de la
réalité, mais de la réalité comprise, cette fois-ci, dans son extension la plus universelle
2
possible, non pas la réalité en tant que ceci ou cela, en tant que réalité physique ou
autre, mais la réalité en tant que réalité, la réalité
Cet
everything
qua
3
réalité , la réalité
simpliciter .
qui est, pour Quine, pour Lowe et pour tous les métaphysiciens, l'objet
d'étude de l'ontologie, c'est la réalité à l'état brut, la réalité dans son extension la plus
fondamentale. Résumons ceci ainsi :
Prop. 1
L'objet d'étude de l'ontologie est la réalité en tant que réalité, la réalité prise
de la façon la plus fondamentale.
Notre question initiale perd ici son air de trivialité puisque notre qu'y a-t-il ? se laisse
maintenant traduire ainsi : quelle est la réalité prise à son niveau fondamental ? .
Peut-on répondre à cette question par un simple et expéditif everything ? La réponse
sonne creux et c'est à ce moment précis de leur réexion que Lowe - tout comme Quine
2. Pour Aristote, l'universel est ce qui qualie une réalité selon le tout ,
kat'holos.
3. Cette manière de formuler l'entreprise ontologique remonte à Aristote ([1953]a, IV, 1003a21).
On peut y voir avec Poli (1994) une manière d'exprimer la diérence entre ontisme heideggérien
(étude de la réalité) et ontologie (étude de la réalité
qua
qua
réalité). Pour Poli, l'usage de la réduplication
est alors à mettre en rapport avec le lien entre ontologie et science : if ontology is a science, we
must admit that there is a common genus for the entities studied by ontology. The principal dierence
between the study of being and of being
qua
being therefore consists in the fact that being lacks a
common genus [for being is not a genus]. Thus appears one of the functions performed by the functor
qua
: that of assigning a common genus to whatever in itself does not possess it (p. 90).
2
- opère un choix interprétatif. Pour eux, il ne faut pas entendre cette question ainsi :
Q. 1.1
Quelle est la réalité fondamentale ?
La question ainsi posée sous-entendrait la chose suivante : quel est
l'être
qui fonde
toute réalité ? (et suivant les auteurs, on répondra : l'univers, rien, l'absolu, la substance, Dieu, etc.). Mais il faut entendre cette question de la manière suivante :
Q. 1.2
Quelle est la
catégorie
fondamentale de la réalité ?
On notera que les deux questions ne s'excluent pas. De
jure,
il semble toutefois que la
deuxième soit eectivement le meilleur point de départ de l'entreprise métaphysique.
Thomas d'Aquin, qui ne rejette certes pas la première question note dans le prologue
du
De ente et essentia
qu'en matière de métaphysique, il s'agit (1) d'être prudent et
terme d'une réexion plutôt
que comme son commencement (Quia parvus error in principio magnus est in ne ) (2)
d'envisager l'étude de la réalité primordiale comme le
d'être pédagogique et de commencer par les réalités qui nous sont les plus familières
(Quia
vero ex compositis simplicium cognitionem accipere debemus et ex posterioribus in
priora devenire, ut, a facilioribus incipientes, convenientior at disciplina ) (Thomas,
[1948], Ÿ1). Celles-ci, de fait, appartiennent à des catégories ontologiques précises (Pour
Thomas, la substance et l'accident).
Parvenu à ce stade de la réexion, nous pouvons commencer à préciser les choses.
Nous trouvons dans Cocchiarella cette phrase qui résume bien ce projet métaphysique :
The methodology of ontology [as opposed to formal ontology and cosmology]
is based on the analysis of ontological categories, i.e., categories of being,
where the goal is to discover the laws connecting these categories and the
entities in them with one another (Cocchiarella, 2007, p. 1)
L'objet d'étude que la métaphysique a pour but d'expliciter de manière rationnelle se
caractérise par un double trait : (1) la réalité est composée d'une multitude d'entités,
de choses et (2) ces entités relèvent de certaines catégories fondamentales, dites
catégories ontologiques . Pour employer une image, on dira que la réalité est comme
composée de briques (les diérentes entités) et que ces briques relèvent d'un certain
type de briques (les catégories). A la suite de Quine et de Lowe, la métaphysique
consistera donc, pour recenser cet énigmatique
everything,
à explorer les diérentes
catégories ontologique qui compose la réalité qui nous entoure.
3
Les principes
Notons que projet métaphysique tel que nous l'avons caractérisé
repose sur la validité de deux principes que nous formulons sous forme de questions :
Q. 2.1
La notion de catégorie ontologique a-t-elle un sens ?
Dans la mesure où il semble y avoir actuellement un consensus pour répondre armativement à cette première question, nous présumerons de la validité de la notion de
catégorie ontologique . Il faut toutefois citer l'exemple historique d'Occam qui rejette l'idée de catégorie ontologique . Pour lui, le terme d'entité ne désigne a qu'une
catégorie conceptuelle et les réalités que ce terme désigne (entité substantielle et accidentelle) sont tellement disparates que la notion de catégorie ontologique n'a de sens
que subjectivement. Il est univoque
tertio modo
: tertio modo accipitur pro conceptu
communi multis non habentibus aliquam similitudinem, nec quantum ad substantialia,
nec quantum ad accidentalia (III
sent. q. IX s.l. Q ).
Cet agnostique métaphysique
est peut-être le précurseur de Kant qui, en lieu et place de catégorie ontologique, parle
de catégorie de pensée. On appelle cette vue parfois le conceptualisme, conceptualisme
que Lowe entend réfuter de la manière suivante :
For the conceptualist is at least committed to arming that concepts - or,
in another version, words - exist and indeed that conceptusers do, to wit,
ourselves. These, at least, are things that the conceptualist must acknowledge to have identities, independently of how we conceive of them, on pain
of incoherence in his position. The conceptualist must at least purport to
understand what a concept or a word is [i.e. what
kind
of thing it is], and
indeed what he or she is, and thus grasp the essences of at least some things.
And if of these things, why not of other kinds of things? (Lowe, 2006b, p.
19)
Aussi, nous nous restreindrons dans la suite de notre travail à l'examen de cette
deuxième question :
Q. 2.2
La réalité appartient-elle fondamentalement à une ou à plusieurs catégories ?
Cette question occupe une grande place dans la réexion métaphysique contemporaine :
les métaphysiciens, s'ils s'accordent généralement sur la réponse qu'il faut donner à cette
première question point peuvent néanmoins diérer radicalement quant à la réponse
qu'ils entendent donner à à la deuxième. Quine et Lowe que nous citions plus haut, ont
encore valeur d'exemple par la divergence de leur pensée à cet égard.
Plan
Notre réexion sera pour la suite la suivante :
4
1. Nous commencerons par supposer avec Lowe qu'il existe plusieurs catégories ontologiques et nous présenterons les quatre catégories ontologiques classiques.
2. Puis, dans un chapitre ultérieur, nous nous poserons la question de savoir s'il
peut y avoir plusieurs catégories ontologiques fondamentales. Notre réponse sera
négative.
3. Ayant ainsi distingué catégorie ontologique
logique
classique
et une seule catégorie onto-
fondamentale, nous nous demanderons enn si cette catégorie ontologique
fondamentale peut être une des quatre catégories ontologiques classiques.
5
2
Un paradigme métaphysique : le carré ontologique.
2.1
Lowe et le Carré ontologique
Ainsi que nous l'avons dit en introduction, dans cette première partie, nous étudions
quelques-unes des caractéristiques de la métaphysique classique. Nous avons choisi pour
cela un auteur de référence, E. J. Lowe, puisque, par l'ampleur de son système, chacune
des nuances métaphysique contemporaine peut y retrouvée, et, peu ou prou, décrite et
classée.
Reprenons maintenant notre réexion là où nous l'avons laissée. Pour Quine, la
what is there? admet comme réponse directe et simple everything, et par là,
comprendre every things : everything, i.e. every things, is a thing. C'est-à-dire
question
il faut
que, pour Quine, la réalité est composée d'entités particulières, et uniquement d'entités
particulières : Jean qui est en face de moi, la chaise sur laquelle je suis assis, la table
sur laquelle j'écris. Autrement dit encore, la catégorie ontologique des objets sut à
épuiser le contenu de la réalité. Telle est en tout cas la façon dont Lowe interprète la
4
position de Quine (Lowe, 1998, p. 29) . A l'inverse, voici comment lui-même comprend
everything : everything is not a thing Lowe (2006a, p. 69). Cela veut dire pour
Lowe que everything et every things ne sont pas deux expressions synonymes, autrement
ce
dit : la seule catégorie des objets ne sut à pas à épuiser l'ensemble de la réalité. Ou
encore, les objets ne sont qu'une facette parmi d'autres de la réalité : sous-entendu, il en
existe d'autres. Pour Lowe, il n'y a pas seulement la table sur laquelle j'écris, Jean qui en
face de moi, le stylo que j'ai dans la main ; il y a encore autre chose, en l'occurrence, des
kinds ,
des
properties
et des
modes
(nous conservons pour l'instant les termes anglais).
Si bien que, au total, la réponse de Lowe à la question
what is there?
tient dans le
tableau suivant, qui exprime ce qu'il appelle le carré ontologique (Lowe, 2006a, p.
22) :
4. Cette position est parfois appelée nominaliste . A la suite de Putnam, on pourrait aussi
l'appeler extensionnaliste : It has been maintained by such philosophers as Quine and Goodman
that purely extensional language suces
for all the purposes of properly formalized discourse. Those
entities that were traditionally called - universal, properties, concepts, forms, etc - are rejected on the
ground that `the principle of individuation is not clear ' (Putnam, 1969, p. 243, nous soulignons).
6
What there is
substances
universals
kinds
↓
non − substances
→
characterized by
instanciated by
particuliars
↓
objects
.
→
→
.
properties
↓
exemplif ied by
instanciated by
characterized by
↓
modes
→
2.1.1 Description de ces catégories
Nous présentons maintenant la façon dont ce tableau nous semble pouvoir être traduit en langue française. Compte tenu des connotations philosophiques que véhiculent
les termes anglais employés dans ce tableau, notamment le terme de
mode,
kind
et le terme de
nous avons été amené à faire certains choix. Expliquer ces choix sera pour nous
l'occasion de faire une présentation de chacune des notions que ces termes recouvrent.
Kinds.
C'est, au regard de notre propos général, le mot crucial de l'ontologie de
Lowe. Nous avons choisi de le traduire par le terme de condition et non par le terme
d'espèce, comme cela se pratique généralement. Il y a à cela plusieurs raisons.
(1) En anglais, le terme de
kind
ne signie pas seulement espèce mais contient de
façon indiérenciée les termes anglais à la fois de
genus
(genre) et de
species
(espèce).
Pourquoi devrait-on alors privilégier le terme d'espèce sur celui de genre ?
(2) L'espèce étant par dénition ce qui est inclus dans un genre, si nous avions
traduit
kind
par espèce (ou par genre), cela aurait introduit comme allant de soi l'idée
que, à la manière dont les espèces sont incluses dans des genres, les
kinds
peuvent
être inclus entre eux, voire hiérarchisés, classiés, et qu'ils peuvent entrer dans une
organisation en arbre, à la manière des arbres phylogénétiques en biologie. Or, de soi,
la notion de
kind
n'implique pas une telle vision hiérarchique et, bien plus qu'un simple
raccourci linguistique, seule une véritable réexion philosophique saurait - ou non - la
justier.
kind et species : l'une
notion a posteriori. Pour le
(3) En anglais philosophique, il y a une opposition entre
est vue comme une notion
a priori,
l'autre comme une
montrer, prenons l'exemple de l'espèce en biologie : l'espèce biologique a souvent en
eet été considérée comme le paradigme de la
species.
Or, voici comment on dénit
généralement une espèce biologique : une espèce biologique est un ensemble de plantes
7
ou d'animaux particuliers satisfaisant un certain critère, à savoir le critère d'interfécon-
5
dité . On parle alors d'une population qui a la capacité de se reproduire. Ici, le point
species est construite à partir d'une population partiLipotes vexillifer (ou Dauphin de Chine) est construite
important, c'est de voir que la
culière. Par exemple, l'espèce
par rapport à une population particulière, aujourd'hui disparue : celle, historique, des
dauphins qui vivaient en eau douce et se reproduisaient entre eux. On le voit, la
species
est par dénition toujours construite à partir des éléments qui la composent : elle se
réduit à la somme de ses éléments. La
l'inverse, le
kind
species
est donc elle-même un particulier. Or, à
est une notion qui se veut première par rapport aux particuliers qui
l'instancient : pour Lowe, comme on le verra, le
kind
détermine l'être et l'identité, il
structure l'existence de ceux qui le possèdent (Lowe, 1998, p. 53). Traduire
kind
par
le terme d'espèce (species ) reviendrait alors à court-circuiter la pensée de Lowe, à faire
d'une notion empirique une notion
a priori
et, en quelque sorte, à rigidier ce qui dans
la réalité est mouvant : à faire (pour prendre un exemple qui nous concerne) de l'espèce
des
Homo sapiens,
c'est-à-dire de cet ensemble historique de primates de la famille des
Hominidés que nous sommes, une espèce que l'on pourrait isoler de toute l'évolution
naturelle, pour la considérer en quelque sorte
sub specie aeternitatis ,
indépendamment
des individus qui la composent, alors même que cette notion est précisément construite
pour rendre compte d'une population particulière d'animaux donnés. De plus, l'histoire
de la philosophie nous enseigne que, à cause d'une telle confusion, les ontologies qui
accordent à la notion d'essence une place centrale ont souvent été - et à juste titre critiquées
6
: il n'est donc pas question de donner à nouveau dans la même erreur.
De ce point de vue, traduire
tion
7
kind
par condition nous a semblé la meilleure solu-
. Le terme de condition est ici employé dans le sens où on peut parler de condition
5. Espèce : groupe de populations qui ont le potentiel de s'accoupler dans la nature bell, N.A.,
Biology
,
in
Camp-
(New York : Cummings, 1993) traduit par Matthieu, R. (Bruxelles : Université
s.v. Espèce. Nous laissons ici de côté les débats d'école sur la dénition de
Ibid., chap. XXII).
de Boeck, 1995), Glossaire,
l'espèce biologique (
6. Since Aristotle, species have been paradigmatic examples of natural kinds with essences. An
essentialist approach to species makes sense in a pre Darwinian context. God created species and an
eternal essence for each species.
After God's initial creation, each species is a static, non evolving
group of organisms. Darwinism oers a dierent view of species. Species are the result of speciation.
No qualitative featuremorphological, genetic, or behavioralis considered essential for membership
in a species. Despite this change in biological thinking, many philosophers still believe that species are
natural kinds with essences. (Ereshefsky, 2010, sec. 2.1). En laissant de côté la question de savoir
,
si, pour Aristote, les espèces au sens de formes, sont bien des
en évidence les problèmes qui résultent de la confusion entre
kinds, cette citation n'en met pas moins
kind et espèce, et les dommages qui en
résultent pour la notion d'essence.
7. Condition signiait en latin une formule d'entente entre deux personnes et l'expression de
8
animale , de condition humaine , de condition biologique ou physique , etc. De
même que le terme de
kind
suggère dans la langue anglaise quelque chose de premier
par rapport aux individus qui l'instancient, le terme de condition suggère aussi dans la
langue française quelque chose de non réductible aux individus qui la possèdent, quelque
chose de déni
a priori.
C'est ainsi, par exemple, que l'on peut parler de la condition
humaine en générale, sans que l'on se sente obligé de dénir par référence à tel ou tel
homme particulier, à tel ou tel échantillon d'humanité particulière, ce dont on parle.
Ceci nous permettrait alors de distinguer clairement - mais sans les opposer - l'homme
entendu dans un sens a priori et au sens de condition (kind ) de l'homme entendu dans
un sens
a posteriori
8
et au sens d'espèce biologique (species ) .
A partir des emplois autorisés de condition humaine, animale, biologique, etc, nous
proposons d'étendre l'usage de ce terme de façon à pouvoir englober toutes sortes de
réalités : des atomes aux particules subatomiques, des plantes aux étoiles, etc. On
parlera ainsi de condition atomique, corpusculaire, végétale, astrale, etc. La question
de savoir si de telles conditions existent étant bien entendu sauve, de même qu'est aussi
sauve la question de savoir s'il existe une hiérarchie entre ces conditions (par exemple
9
de savoir si la condition humaine est incluse dans la condition animale) .
Notons cependant, pour nir, la légère diérence sémantique qu'il existe entre condition et
kind
: le terme de
kind
semble désigner la catégorie des universels substantiels
en soi , tandis que le terme de condition semble désigner cette catégorie en tant
qu'elle détermine le comportement des objets , en tant qu'elle les structure et qu'elle
les conditionne pour ainsi dire. S'agit-il là d'une limite de notre traduction ? Il nous
semble que non, car il semble bien que la
condition
française et le
kind
de Lowe réfèrent
eectivement à une même catégorie (celle des universels substantiels), quoique d'une
manière légèrement diérente.
condition humaine signiait alors l'esclavage. Au terme d'une histoire relativement compliquée, on
e
siècle), l'acception
e
philosophique de ce terme étant quant à elle relativement tardive (XVIII siècle). Cf Rey, A
.
en est venu au sens plus général de situation, état en parlant des humains (XIII
et al
Dictionnaire historique de la langue française (Paris : Le Robert, 1992), s.v. Condition. Notons enn
qu'une autre possibilité était de traduire kind par type ou sorte ; mais, après essai, la lourdeur
stylistique qui en résultait devenait trop excessive.
8. Avec Kripke, on pourrait dire par exemple que nous identions la condition humaine avec les
Homines sapientes,
mais que cette identication entre la préconception de ce que nous sommes et
l'observation scientique de ce que nous sommes est nécessaire
a posteriori.
9. Un autre avantage de cette traduction est qu'elle suggère un lien entre philosophie métaphysique
(existe-t-il une condition humaine ?) et philosophie morale (quelle éthique de la condition humaine ?).
On pensera ici au roman existentialiste de Malraux
9
La condition humaine.
Substance / non-substance.
Dans le tableau ontologique de Lowe, à côté de la
distinction entre universel et particulier prend place la distinction entre substance et
non-substance. Ainsi, pour Lowe, il y a deux types de non-substances (les propriétés
et les modes) et deux types de substances (les conditions et les objets) : tandis que les
propriétés (resp. avoir une masse, pouvoir se reproduire, être capable de penser) caractérisent les conditions (resp. la condition physique, biologique et humaine), les modes
(resp. telle couleur concrète, telle vitesse eective, telle pensée que j'ai maintenant)
caractérisent des objets (resp. la table sur laquelle je travaille, une onde étudiée en
laboratoire, moi). Propriétés et modes sont donc des
substances
ces
non-substances
qui
caractérisent
que sont les conditions et les objets.
Nous revenons maintenant sur la notion de substance. La première chose que nous
devons ici signaler, c'est la richesse, voire la trop grande richesse du vocabulaire qui
concerne cette catégorie
10
. L'histoire de la philosophie nous enseigne que, derrière le
terme de substance, se cache le terme latin
grec
ousia.
substantia, qui, à son tour, traduit le terme
En multipliant les couches linguistiques, on a multiplié les dicultés de
traduction et il ne saurait être question de proposer une traduction simple et directe,
mais qui court-circuiterait ce chemin historique : The one Greek word, `ousia' has had
to be translated by many Latin forms, giving us such English words as `essence', and
`substance', accompanied by such outriders as `quiddity', `form' and `nature' (Dewan,
2006, p. 97). Quel mot faudrait-il choisir ? La meilleure solution est probablement encore
la suivante : garder le terme canonique de substance, mais en restant conscient de sa
complexité sémantique.
Exhumer cette complexité sémantique qui se cache pudiquement derrière le mot de
substance a son importance : on reproche souvent aux ontologies substantialistes de chosier et de réier la réalité (Heidegger, 1927-1986). Or, si nous nous
souvenons de la richesse sémantique de ce mot, nous nous garderons bien d'enfermer
cette catégorie ontologique dans une opinion préconçue et rigide de ce que devrait être
10. ... et de sa complexité philosophique ! Traduire
ousia
par substance semble en eet une manière
de confondre la question fondamentale de l'ontologie (quel est la réalité dans son fondement ?) avec
une réponse particulière (celle d'Aristote dans les
Catégories )
lies under' (from
hupokeisthai,
substantia ,
to hupokeimenon, i.e. `that
: The Latin term
literally means `that which lies under' translates Aristotles's term
which
which
`to lie under') (Poli, 1994, p. 12). Il semblerait de plus qu'Aristote
Categories, Aristotle argued
to hupokeimenon [...]. But this is a particular view about what prote ousia
question `what is prote ousia ' is asking. It is not what the term means or what
ait changé d'avis ! It is true, as we will see, that in his earlier work, the
that
prote ousia
is simply
means or what the
the question `what is prote ousia ?' is asking.. Voici, en conséquence, la traduction que Poli propose
: We have chosen to use the term `primary being' for
prote ousia
and in general for
ousia. . Derrière
le terme `primary being', nous retrouvons la notion de réalité fondamentale décrite plus haut.
10
la substance, ce qui serait eectivement chosier la réalité. Ainsi, à titre d'exercice, il
faudrait par exemple s'entraîner à concevoir un champ quantique universel comme une
substance, de telle sorte que this single substance might be identied with space-time
and the various eld be regarded as, in Spinozistic terms, highly complex modes of that
single substance (Lowe, 2002, p. 235)
11
.
Passons maintenant au terme de non-substance. Compte tenu de la complexité du
terme de substance que nous venons de décrire, nous avons choisi de traduire le terme
de non-substance par le terme plus courant et plus transparent de caractéristique, que
Lowe s'autorise parfois lui-même (Lowe, 2006a, p. 35) pour désigner ces catégories que
sont les modes et les propriétés. Ceci nous permettra d'éviter de multiplier inutilement
les dicultés, tout en honorant le lien de caractérisation qui existe entre la catégorie
des substances et celle des non-substances
Tropes
et Modes.
12
.
Nous abordons maintenant la catégorie des caractéristiques par-
ticulières, à savoir ce que Lowe appelle les modes. A vrai dire, il y a plusieurs termes
possibles pour désigner cette catégorie. Nous en considérerons trois en particulier dont
nous expliciterons le sens : les modes, les tropes et les phénomènes
mettra
in ne
13
. Ceci nous per-
d'essayer de saisir ce qu'est une caractéristique particulière.
Le terme de trope
14
désigne cette catégorie par opposition aux caractéristiques
universelles (les propriétés). En voici quelques exemples : telle teinte particulière de
11. Cet exemple a de l'importance pour ceux qui pensent qu'il faut aborder l'ontologie à partir
des sciences physiques ( The quantum theory of elds is the contemporary locus of metaphysical
research Howard Stein, cité
in
Redhead (1990)). Pour certains auteurs, les dicultés à faire rentrer
les ondes, les particules, les champs dans la catégorie de la substance devrait alors conduire à une
refonte de l'ontologie. Or, ce qui semble poser problème ici, c'est moins la catégorie en tant que telle
de la substance que la diculté que nous avons à nous détacher d'une conception prédéterminée de
la substance, à savoir ce qui est individué dans l'espace et dans le temps . Voir à ce propos Seibt
(2002).
12. Une autre possibilité, en suivant la terminologie issue de la scolastique, est d'utiliser le terme d'
accident . On parle alors d'accident soit abstrait soit concret pour désigner soit les propriétés soit
les modes.
13. Pour être exhaustif, il faudrait rajouter : les qualités particulières (Cook Wilson), les formes
individuelles (Geach), les propriétés concrètes (Küng), les instances-de-qualité (Long), les
cas ou aspects (Wolterstor ), les instances (Grossman), les accidents (Kenny), les caractères (Stout). Mulligan et al., de qui nous tenons cette liste (Mulligan
et al.,
1984, p. 293),
utilisent le terme de moments . Notons que Lowe (2006a, p. 97) lui-même emploie une fois aspect au sens de
feature.
14. Historiquement, le terme de trope est récent. C'est à Williams (1953) qu'on doit sans doute
cette terminologie regrettable : It has nothing to do with gures of speech in rhetoric, Leitmotiv in
music, or tropisms in plants. Williams coined it as a sort of philosophical joke: Santayana, he says,
had employed `trope' pointlessly for `essence of an occurrence' Bacon (1997, sec. 1).
11
rouge dans tel tableau, la masse concrète du pot de eur que je porte, telle vitesse
de telle particule qu'un ingénieur s'eorce de mesurer, telle émotion particulière que
j'éprouve quand je vois telle personne - par opposition à la couleur en général, la masse
en général, la vitesse en général, l'émotivité en général, qui, elles, sont des propriétés.
trope s'oppose à
d'une propriété, son
propriété,
ou mieux encore, que le
trope
On dira alors qu'un
une
est
la concrétisation
expression concrète et particulière, celle que l'on
rencontre dans la vie quotidienne. La propriété est une caractéristique universelle, en
quelque sorte abstraite, tandis que le trope est une caractéristique concrète et dont nous
faisons l'expérience. On parle alors pour plus de clarté de propriété particulière , par
là, entendons des propriétés particularisées car manifestées dans toute sa concrétion
dans tel ou tel événement historique.
Dans la mesure où le terme de trope véhicule avec lui des connotations nominalistes
15
et que Lowe s'oppose à cette école philosophique, il lui préfère le terme de
mode. La traduction du terme de trope par le terme de mode ne semble toutefois pas
immédiate et il semble qu'il faille distinguer à ce sujet deux étapes de la pensée de
Lowe
:
1. Dans
The possibility of metaphysics,
Lowe estime que, exceptés leur connota-
tions philosophiques respectives, les termes de mode et trope sont parfaitement
synonymes
16
.
A four category ontology , les modes sont appréhendés comme étant d'abord
modes d'objets, et, de ce point de vue, ce terme se distingue dorénavant au
2. Dans
des
terme de trope
17
.
Nous retiendrons ici cette dernière position puisqu'elle est la plus récente. Explicitons
maintenant quelle est la spécicité du terme de mode ainsi entendu. Distinction n'est pas
séparation et mode et trope , quoique distincts, ne s'opposent pas. Ils semblent
au contraire entretenir la relation suivante : si le terme de trope désigne la catégorie des
15. Ces connotations lui viennent du fait que ce terme est principalement utilisé par des nominalistes,
notamment Campbell (1990). Pour ces derniers, toute la réalité repose alors sur l'existence des
tropes.
Ceci leur permet en particulier d'exclure la catégorie des propriétés de leur ontologie. The appeal of
tropes for philosophers is as an ontological basis free of the postulation of supposedly obscure abstract
entities such as propositions and universals. (To be sure, there is no dearth of those who nd tropes
more obscure.) (Bacon, 1997, intro.).
16. The particular heaviness of the stone (a
trope
or, as I would prefer to call it, a
mode
of the
stone) (Lowe, 1998, p. 236, italiques dans le texte).
17. I should remark that one reason why I prefer the term `mode' to the term `trope' to denote
something in the category of
particular
properties, is that this preserves the traditional association
substances, or `objects' Lowe, The
Four-Category Ontology : a Metaphysical Foundation for Natural Science p. 96, italiques dans le texte.
between such entities and the correlative category of particular
12
caractéristiques particulières par opposition aux caractéristiques universelles, le terme
de mode désigne, quant à lui, les caractéristiques particulières par opposition cette fois
à la catégorie des substances particulières. On dira ainsi que les modes sont des modes
d'objets. C'est dire que les modes expriment la façon concrète dont les objets existent,
leur manière concrète d'être et de se comporter (They are ways of being, Lowe,
2006a, p. 14). On donnera alors les exemples suivants de modes : le nez de Socrate
est un
objet
qui a un
mode
camus (c'est-à-dire que le nez de Socrate se comporte
dans l'espace suivant une caractéristique sinusoïdale particulière) ; telle particule qu'un
ingénieur observe sur un écran de contrôle est un
objet
qui a un
mode
physique (elle
se meut selon telle trajectoire particulière et avec telle vitesse, en émettant tel courant
électrique) ; la table devant moi est un
objet
qui a un
mode
rouge, etc.
Notons cependant que ce terme anglais de mode véhicule d'autres connotations
philosophiques qui nous font hésiter à l'employer. En eet, mode comporte - au dire
de Lowe lui-même - des connotations scolastiques (sic)
18
, le terme de scolastique
renvoyant pour Lowe à Locke en particulier. Utiliser le terme de mode serait alors
une manière pour Lowe de s'inscrire dans la tradition philosophique issue de Locke
19
tout en véhiculant une impression de classicisme ( scolastique au sens de tradition
philosophique ayant fait école ). On se demandera pourtant s'il ne faut pas privilégier
une certaine uidité du langage philosophique et si, de ce point de vue, le sens classique
et relativement technique du terme de mode ne représente pas plus un inconvénient
qu'un avantage (speciosa
Phénomènes.
sunt restrigenda ).
Aussi, à la place du terme de trope ou de mode, nous voudrions
expliciter un troisième terme qui a notre préférence et qui provient de la tradition phénoménologique
20
, à savoir le terme, précisément, de phénomène. Que signie ce terme ?
18. Some of these entities can helpfully be described as ways things are,
Scholastic distinction
recalling to mind the
between substance and mode (Lowe, 1998, p. 38, nous soulignons). S'il s'agis-
sait de préserver des connotations scolastiques, au sens historique du mot, un Français devrait traduire
le terme de mode par le terme d'accident (du latin
accidit
: qui se produit, qui arrive) puisque la
scolastique, en France, réfère au Moyen-Âge, qui parlait alors d'accident comme
modus essendi .
19. Modes I shall call complex Ideas, which however compounded, contain not in them the supposition of subsisting by themselves, but are considered as Dependencies on, or Aections of Substances,
such are the Ideas signied by the Words Triangle, Gratitude, Murther, etc. (Locke, [1690], livre
II, chap. XIV, sec. 4). En plus de Locke, il faudrait citer ici aussi Descartes ([1825-1993], 3, II, 28),
Spinoza ([1993], I) et Hume (1739, livre I, part. III, sec. IV).
20. Signalons un autre terme, plus technique, provenant de cette tradition et que Mulligan
et al.
utilisent : We have taken the term moment from Husserl's masterful and painstaking study of
the notions of ontological dependence and independence and of associated problems in the theory of
part and whole. A moment is an object whose existence is dependent upon that of another object 13
En phénoménologie, ce terme désigne ce que nous connaissons parce qu'il nous apparaît . Notons cependant que, s'il est utilisé non plus dans le cadre de l'épistémologie
phénoménologique mais dans le cadre de l'ontologie, le terme de phénomène change de
sens. Il signie alors :
Dans un sens restreint : ce qui est observable (mais n'est pas nécessairement
observé). Par exemple, il y a des phénomènes astronomiques qui ne sont pas
observés.
Dans un sens large : évènement, processus, ce qui se produit (et ne requiert plus
d'être directement observable). Par exemple, le souvenir épisodique est un phénomène mental.
C'est seulement dans ce dernier usage que nous proposons de prendre le terme de
phénomène pour désigner la catégorie des caractéristiques particulières, puisque, pour
Lowe, celles-ci ne sont pas nécessairement observables
21
.
Sommes-nous ici en train de proposer de remplacer un terme technique ( mode et mode ) par un autre terme technique ( phénomène ) ? Que l'on se rassure :
il semble que nous ne fassions que suivre l'usage courant de la langue française. En
eet, celle-ci parle tout autant de la foudre que d'une émotion comme de phénomènes
naturels. L'usage courant nous autorise encore à reprendre les exemples cités plus haut
et à parler de telle ondulation de telle particule comme d'un phénomène, de la couleur
rouge magenta de telle table comme d'un phénomène, etc. Ceci donne au terme de
phénomène un avantage certain : davantage que le terme de trope ou de mode, il
donne un contenu intuitif à cette catégorie des caractéristiques particulières
22
puisque,
intuitivement, tout le monde sait ce qu'est un phénomène. La traduction du terme
anglais
trope
par le terme de
phénomène
plutôt que par qu'utilise Lowe par le terme de
phénomène donnerait alors le résultat suivant : il hériterait des connotations classiques
(Mulligan
et al., 1984, p. 294).
21. Il n'en reste pas moins vrai que le terme de phénomène conserve une connotation épistémologique.
Nous faisons nôtre à propos des phénomènes ce que dit Molnar à propos des manifestations : Power, or
dispositions, are properties for some behavior, usually of their bearers. These properties have an object
towards which they are oriented or directed. The objects of powers are usually called `manifestations'
[here, phenomenon], a name that carries an epistemological loading. This should not be taken very
seriously since it is clear,
pace vericationism, that unobservable objects have unobservable powers with
manifestations that are not at all `manifest'. We cognize these hidden manifestations only indirectly,
through their remote eects. I will continue to use the word `manifestations', despite its potential to
mislead, as the general name for the dispositional object (Molnar, 2003, p. 60)
22. Sur l'importance d'avoir un contenu intuitif, voir Kripke (1972, p. 42) : Of course, some
philosophers think that something's having intuitive content is very inconclusive evidence in favor of
it. I think it is very heavy evidence in favor of anything, myself. I really don't know, in a way, what
more conclusive evidence one can have about anything, ultimately speaking .
14
d'un vocabulaire philosophique particulier (celui la phénoménologie) tout en préservant
une certaine familiarité d'usage.
En guise de conclusion, faisons la remarque suivante : le terme de phénomène ainsi
utilisé pour traduire la notion de mode et phénomène est très proche de la notion
d'événement, et peut-être même de la notion de fait, ou d'état de faits. Ceci marque
une diérence notable avec Lowe :
On the contrary, I think it is important to distinguish very carefully between
the following items, which belong to quite dierent ontological categories :
(1) The particular heaviness of the stone (a
call it, a
mode
trope
or, as I would prefer to
of the stone), (2) the stone's state of being heavy in such-
and-such a degree (a
state
of the stone), and (3) its being the case that the
stone is heavy in that degree (a
fact
or
state of aairs
concerning the stone)
(Lowe, 1998, p. 236, italiques dans le texte).
Pour celui-ci, le terme de mode doit donc être distingué de la notion de fait.
Pace
Lowe,
nous sommes en droit de nous demander s'il y a entre la notion de fait et de mode d'objet
une diérence telle qu'il doive s'ensuivre une diérence ontologique. Notre
doctor subtilis
modernus
l'avoue lui-même : of course, some may feel at this point that our
metaphysical distinction are becoming overtly scholastic . Aussi nous semble-t-il que,
entre les notions de mode, de phénomène et de fait, plutôt que leur diérence, c'est leur
proximité qui doit être remarquée.
2.1.2 Des catégories classiques ?
Compte tenu des remarques précédemment faites, nous pouvons maintenant le tableau présenté plus haut de la façon suivante :
Réalité
universels
substances
caractéristiques
conditions →
↓
instanciées par
particuliers
↓
objets
.
→
caractérisées par
→
.
propriétés
↓
exemplif iées par
instanciées par
caractérisées par
↓
phénomènes
→
Ainsi donc, pour Lowe, il y aurait donc quatre catégories ontologiques : les conditions, les propriétés, les objets et les phénomènes. Avant de nous nous poser la question
15
de savoir si les catégories ainsi recensées sont fondamentales , remarquons en quel
sens ces quatre catégories peuvent être décrites comme quatre catégories ontologiques
classiques 23
.
L'héritage aristotélicien
Lowe appelle le tableau que nous avons reproduit le
carré ontologique (Lowe, 2006a, p. 40). Ce tableau récapitule tous les termes que
nous avons présentés plus haut, ainsi que la manière dont Lowe comprend chacun d'eux.
Or, au dire de Lowe lui-même, c'est à Aristote qu'il faut faire
in ne
remonter la genèse
de ce tableau :
What we have in place now is nothing other than the
four category ontology
to which I have alluded in earlier pages, my conversion to which is the most
signicant change in my metaphysical thinking since I wrote
Kinds of beings.
This is the ontology that we nd briey sketched in the opening passages
of Aristotle's
Categories,
the foundational text for all subsequent system of
categorial ontology (Lowe, 2009a, p. 9)
Le
locus classicus
24
.
auquel allusion Lowe est le suivant :
Les choses peuvent se dire d'un sujet sans être cependant dans aucun sujet
[...]. D'autres choses peuvent être dans un sujet et ne se dire cependant
d'aucun sujet ; et je dis d'une chose qu'elle est dans un sujet, lorsque, sans
y être comme partie de ce sujet dans lequel elle est, elle ne saurait toutefois
exister indépendamment de lui [...]. Certaines choses peuvent à la fois et se
dire d'un sujet et être dans un sujet [...]. Certaines choses enn ne peuvent
être ni dans un sujet ni se dire d'un sujet [...] (Aristote, [1989], 1b - 2a).
Or, on a coutume de résumer ce passage d'Aristote dans le tableau suivant :
Ne pas être dans un sujet
Être dans un sujet
Être dit d'un sujet
l'humanité
la blancheur
Ne pas être
Socrate
telle blancheur
dit d'un sujet
tel homme
particulière
Ce tableau d'Aristote dit des Catégories présente beaucoup de similitudes avec
le tableau dit carré ontologique de Lowe. Eectivement, moyennant un remarque
23. Classique , non pas en référence à quelque période historique, mais au sens de courant .
Mainstream
en anglais.
24. La première mention historique chez Lowe de cette quadripartition ontologique se trouve dans
Lowe (1998, p. 203-204). Pour une autre référence à Aristote, voir Mulligan
16
et al. (1984).
sur la notion de sujet , il est possible de tracer un rapport direct entre les deux
tableaux : si Socrate et tel homme ne sont dit ni d'un sujet ni être dans un
sujet, c'est qu'ils sont eux-mêmes le sujet. Cette catégorie, Aristote l'appelle le ce qui
gît sous (hupokeimenon ), traduit en latin par
substantia (sub-stare ), dont l'équivalent
sujet (sub-iacio ).
On mettra ainsi en rapport la notion de
moderne est eectivement le
sujet des Catégories avec la notion d'objet du Carré Ontologique : un objet désigne une
en tant que celle-ci instancie une certaine condition. Un sujet
désigne une substance particulière en tant que celle-ci est suppôt , un substrat de certains phénomènes. L'attribution à Aristote du carré ontologique appelle toutefois
substance particulière
deux remarques.
(1) La quadripartition de la réalité opérée dans le première chapitre des
Catégories
n'est pas la seule partition ontologique que propose Aristote dans cet ouvrage et on
trouve au quatrième chapitre la partition suivante :
Les mots, quand ils sont pris isolément, expriment chacun l'une des choses
suivantes : ou substance, quantité, ou qualité, ou relation, ou lieu, ou temps,
ou position, ou état, ou action, ou enn passion (Aristote, [1989], 1b25).
Il s'agit ici de ce que l'on a appelé la liste des dix prédicaments . Quelle est donc
la validité de cette partition ? doit-elle être opposée à celle du Carré ontologique ? La
tradition philosophique s'est longtemps interrogée au sujet de cette recension
culté du texte des
Catégories
25
, la di-
y est certainement pour beaucoup puisque, dans ce livre,
Aristote passe sans cesse des analyses linguistiques aux analyses ontologiques, rendant
l'exégèse de ce texte très dicile. Aristote parle de mots , mais parlant des mots et
des catégories, il semble viser plus loin qu'une simple analyse linguistique et réêchit
de fait sur réalités ontologiques par là désignées.
A l'époque moderne, avec le renouveau de la linguistique, il semble toutefois qu'il
y ait dorénavant susamment de consensus pour que l'on doive concéder le point suivant : Aristote aurait sans s'en rendre compte déduit cette partition des catégories
grammaticales grecques
26
.
Quandoque bonus dormitat Homerus.
Il ne saurait plus être
25. Citons entre autre, au moyen-âge, la position de Thomas d'Aquin qui essaye de justier ontologiquement cette partition contre celle d'Occam qui pense pouvoir réduire cette partition à la distinction
substance et qualité, la qualité englobant alors les huit autres accidents.
26. Tel est, dans la sphère francophone, l'impact de l'article de Benvéniste
catégories de pensée
Catégories de langue et
: Aristote pose ainsi la totalité des prédicats que l'on peut armer de l'être, et
il vise à dénir le statut logique de chacun d'eux. Or, il nous semble - et nous essayerons de le montrer
- que ces distinctions sont d'abord des catégories de langue, et qu'en fait Aristote, raisonnant d'une
manière absolue, retrouve simplement certaines des catégories fondamentales de la langue dans laquelle
il pense. Pour peu qu'on prête attention à l'énoncé des catégories et aux exemples qui les illustrent, cette
17
question de garder cette partition ontologique, trop relative à une culture linguistique
donnée. De cette partition, on ne retiendra que l'opposition entre la substance et les
neuf autres prédicaments, appelés généralement accidents sans plus de précisions, et
dont l'exemple paradigmatique est en métaphysique moderne la notion de propriété (ta
idioma ), terme qui ne se trouve pas dans la liste originale d'Aristote, mais qui pour-
rait peut-être correspondre à la notion de qualité et d'action
27
. Il est alors possible,
moyennant l'introduction d'une distinction entre particulier et universel, de retrouver
à mot couvert sous la liste des dix prédicaments le Carré ontologique.
(2) Nous passons maintenant à une deuxième remarque, plus problématique pour
l'attribution à Aristote du Carré ontologique. D'après les exégètes (voir Poli, 1994, p.
12 déjà cité, p. 110 et suivantes et chap. 7), il existerait une diérence de point de vue
Métaphysique. Plus précisément,
entre ces deux livres, Aristote aurait changé d'avis. Dans les Catégories, Aristote partiontologique entre le livre des
Catégories
et celui de la
tionne la réalité en quatre catégories ontologiques et soutient que l'idée selon laquelle,
de ces quatre catégories, la catégorie de l'objet serait la plus importante des catégories
(Catégories 2b). Dans la
Métaphysique,
cherchant à nouveau à identier la catégorie
ontologique fondamentale, voici maintenant les possibilités qu'il recense :
Primary being (ousia) is spoken of, if not in even more ways, then certainly
in four main ways. For the essence, the universal and genus are thought to
be primary being with regard to each thing, and also, fourthly, that which
lies under (hupokeimenon) (1028b25
28
)
Autrement dit, il reprend à nouveaux frais la question de savoir à quoi identier la
catégorie ontologique fondamentale. Il recense pour cela quatre catégories ontologiques,
lesquelles ne sont plus les catégories du carré ontologique, et il soutient l'idée selon
laquelle, de ces quatre catégories, la plus fondamentale est la catégorie de l'essence.
Plus précisément,
1. L'universel et le genre sont écartés. Aristote reste proche ici de son analyse dans
les
Catégories :
c'est ce qui ultimement le diérencie d'avec Platon, pour qui les
interprétation, se vérie sans longs commentaires (Benvéniste, 1966, p. 66). A noter que cet article
ne doit pas être surinterprété : il semble que Benvéniste récuse l'idée d'une dépendance entre système
culturel et système métaphysique. Tout au plus y a-t-il pour lui de l'un a à l'autre prédisposition .
Et il ajoute : La langue n'a évidemment pas orienté la dénition métaphysique de l'`être' [ousia],
chaque penseur grec a la sienne, mais elle a permis de faire de l'`être' une notion objectivable, que la
réexion philosophique pouvait manier, analyser, situer comme n'importe quel autre concept (p. 71).
27. En son temps, Occam proposait de parler de substance et de qualité.
28. La traduction est prise dans Politis (2004, p. 197), la traduction de Tricot étant ici plus obscure.
18
idées universelles sont le fondement de la réalité.
2. Entrevoyant l'objection d'un bare substratum
, c'est-à-dire de l'impossibilité
métaphysique d'abstraire un objet de toutes ses caractéristiques (Cf. infra), Aristote refuse dorénavant d'identier, comme il le faisait dans les
Catégories,
la ca-
tégorie fondamentale avec la catégorie des objets.
3. Il n'analyse plus, comme il le faisait auparavant, la notion d'essence comme étant
une réalité universelle. Au contraire, l'essence et sa notion connexe de forme deviennent des réalités particulières (Métaphysique 1032b1). Cette notion d'essence
ne correspond donc à aucune notion du
Carré ontologique.
cela était possible, à une condition particulière 29
Elle correspondrait, si
.
4. Il identie la catégorie ontologique fondamentale, non plus avec les objets, mais
avec les essences.
Que conclure ? Le carré ontologique ne représente pas
d'Aristote, mais
une
la
partition ontologique dénitive
partition ontologique d'Aristote, partition envers laquelle il a lui-
même pris des distances. Concédons cependant que
Catégories, qui est la
plus souvent retenue dans la philosophie moderne (la position de la Métaphysique
1. C'est généralement la première position d'Aristote, celle des
avec la théorie de l'hylémorphisme étant peut-être jugée trop obscure).
2. Il existe dans toute un pan de la philosophie (avec notamment Suarez) qui s'eorce
Métaphysique les catégories des Catégories :
on dénie que la forme soit un universel matériel, mais on l'interprête comme un
universel formel. La notion de sujet (hupokeimenon ) est, quant à elle, interprétée
de retrouver dans les catégories de la
comme un mode d'être.
Un cadre de référence pour la métaphysique contemporaine
Le rapport
du carré ontologique avec Aristote étant clarié, nous mettons de côté la réception du
Carré par Boèce et de toute la tradition qu'il représente pour passer directement à la
métaphysique contemporaine. Nous soutiendrons ici que le cadre métaphysique proposé
par Lowe permet d'embrasser la majorité des positions métaphysiques contemporaines
tant du point de vue (1) de l'extension que (2) de la compréhension.
29. Peut-être aussi propriété particulière puisqu'il semble y avoir une essence des accdients. Il
s'agit ici de la
forma accidentalis
scolastique : Lux sub uno respectu est forma substantialis, sub alio
vero forma accidentalis (Bonaventure,
Commentaire du Livre des Sentences, II, d. XIII,a. 2,q. 2.
19
(1) Le carré ontologique semble en eet représenter la limite maximale de catégories
métaphysiques communément admises
30
: grâce à cette richesse ontologique, le sys-
tème de Lowe peut être vu comme un cadre de référence, duquel les autres systèmes
ontologiques contemporains procèdent par négation de certains aspects. Ainsi, suivant
l'importance ontologique accordées seulement à certaines catégories du Carré, il est
possible de faire droit aux ontologies axées sur :
les phénomènes (trope
theory )
: Campbell (1990).
les objets (Reism ) : Brentano et Kotarbi«ski
les propriétés (bundle
theory )
31
.
: Russell (1940).
les objets et les phénomènes : Martin (1980) et Cocchiarella.
les objets et les propriétés : Armstrong (1989); Armstrong (1980) et Moreland (1998).
les propriétés et les phénomènes : Cook, Wilson.
les objets, conditions, propriétés et phénomènes : Schneider (2009), Loux
(1998) et, bien sûr, Lowe.
(2) Cette manière de classer les ontologies peut s'avérer d'une certaine importance
lorsque les diérences entre auteurs s'avèrent par trop subtiles pour que l'on parvienne
toujours à s'y retrouver. L'on est parfois en droit de se demander si le clivage traditionnel entre réalisme et nominaliste est encore d'une grande utilité pour se retrouve
dans ce qui ressemble parfois à une jungle métaphysique. Il sut de voir les diérences
qu'il peut exister entre par exemple Lowe et Armstrong, tous deux pourtant tenants
du réalisme immanent (les universaux n'existent qu'instanciés par des particuliers)
ou entre Campbell et Cocchiarella, pourtant tous deux tenants du particularisme (seules les entités particulières existent). De ce point de vue encore, le Carré ontologique est représentatif du débat contemporain car il ore une
compréhension
claire
montrant quelles sont les motivations des diérentes positions métaphysiques possibles.
Au regard du tableau proposé, il est en eet clair que celles-ci procèdent du refus ou de
l'acceptation non pas d'une distinction métaphysique (universel/particulier) mais de
deux
distinctions métaphysiques (universel/particulier et substance/caractéristique).
30. Signalons toutefois le cas exceptionnel de Ellis qui admet six catégories dans son ontologie : (1)
les substances, (2) les caractéristiques, (3) les événements ou processus, tous les trois pouvant être soit
particuliers soit universels (3
x
2 = 6). Voir Ellis (2001).
31. Voir sur le réisme Wolenski (2004). Reism is a noteworthy metaphysical thesis because of its
simplicity and extreme ontological austerity, comparable to the varieties of nominalism championed
by empirically minded philosophers in medieval philosophy and in the contemporary analytic descriptive metaphysics and calculus of individuals propounded by W. V. Quine and Nelson Goodman Jacquette (2004, p. 17).
20
Nous analyserons plus loin ces motivations.
Pour le dire encore d'une autre façon, nous proposons de voir dans le carré ontologique un paradigme de la métaphysique moderne, non pas en ce sens que tous
les systèmes métaphysiques postulent les mêmes catégories d'entités que le carré ontologique, mais en ce sens que les distinctions métaphysiques que le carré ontologique
propose sont généralement acceptées, la question restant alors de savoir si telle catégorie
particulière possède une extension non-nulle.
2.2
La formalisation du Carré ontologique.
Ayant présenté le Carré Ontologique et ayant présenté les diérentes catégories
ontologiques classiques, nous explicitons maintenant l'ontologie formelle de ce cadre
métaphysique. Il s'agit moins ici d'un deuxième volet de l'entreprise métaphysique que
de la clarication du travail déjà eectué :
Formal ontology is a discipline in which the formal methods of mathematical
logic are combined with the intuitive, philosophical analyzes and principles
of ontology.
cision
In this way, formal ontology brings together the clarity, pre-
and methodology of logical analysis on the other (Cocchiarella,
2007, p. 1).
L'intention est claire, peut-être ambitieuse. Nous commencerons par clarier les limites
de l'ontologie, liées à la distinction entre fond et forme, avant d'en proposer une symbolique adaptée.
2.2.1 Les limites de l'ontologie : sa forme La distinction entre fond et forme
Si l'on regarde attentivement le tableau
présenté plus haut, on s'aperçoit que, à côté des quatre catégories, on trouve aussi mentionnées des relations reliant les catégories les unes aux autres. Telles sont les relations
d'instanciation, de caractérisation, d'exemplication. Notamment, c'est parce que Lowe
les intègre dans son carré ontologique que celui-ci en retire une plus grande force et une
plus grande robustesse. Notre question dans la présente section sera la suivante : quel
statut ontologique faut-il leur donner ?
Reprenons ici l'image des briques que nous avions utilisée. Pour construire un
mur, non seulement il faut des briques, mais il faut aussi du ciment. De même, pour
construire un cadre ontologique, non seulement il faut recenser les catégories ontolo-
21
giques, ici au nombre de quatre - ce sont nos briques - mais il faut aussi du mortier
pour relier et cimenter entre elles ces diérentes briques . S'il n'y avait pas de telles
relations pour lier entre elles ces catégories, le tableau pourrait nous donner la fausse
impression d'une simple juxtaposition des diérentes facettes de la réalité, d'un simple
recensement de ses diérentes catégories. Or, il s'agit de comprendre le tableau comme
un tout et de l'appréhender à travers la dynamique qui le parcourt et qui relie entre
elles nos quatre briques ultimes. Après tout, il s'agit en ontologie d'appréhender
non les catégories ontologiques de façon isolée mais de façon à pouvoir voir comment
la réalité qui nous entoure est structurée en un tout uni.
C'est pour cela qu'il y a, à côté des quatre catégories fondamentales, autant de rela-
instancient les universels, les objets
exemplient les propriétés, les propriétés caractérisent les conditions et les phénomènes
caractérisent les objets. On dira, par exemple, que Socrate instancie la condition hutions ontologiques fondamentales : les particuliers
maine, qu'il exemplie la propriété de penser, que la propriété de penser caractérise la
condition humaine et qu'un mode camus caractérise le nez de Socrate. On dira encore
que le verre d'eau que je tiens à la main instancie la condition chimique des polymères
(en supposant qu'une telle condition existe), qu'il exemplie des propriétés chimiques
de cohésion et de tension inter-moléculaires, qu'il se caractérise concrètement par certains phénomènes (telle température, telle pression, telle réfraction de la lumière, telle
uidité). Ces relations ontologiques sont généralement qualiées de formelles . Peuton dénir ce que nous entendons ici par relation formelle ? Au regard de ce que nous
venons de dire, il serait tentant de proposer cette première dénition :
Def. 1
Les relations formelles sont les relations qui relient les catégories ontologiques
entre elles.
Selon cette dénition, une relation formelle est une relation caractérisée par le fait que
ses
relata
appartiennent à des catégories ontologiques diérentes. Il semble toutefois
qu'il nous faille rejette cette première dénition. Prenons par exemple la relation de
comprésence. Dans la littérature philosophique, la relation de comprésence est une relation qui unie des phénomènes (des tropes) entre eux. Par exemple, une molécule peut
à la fois avoir une masse particulière et une forme spatiale particulière. On dit alors alors
que cette masse particulière et cette forme spatiale particulière sont comprésentes dans
cette molécule. Dans la mesure où les
relata
de la relation de comprésence appartiennent
à une même catégorie ontologique, elle ne vérie pas le critère proposé ci-dessus. Or,
et c'est là le point important, la relation de comprésence est généralement considérée
22
dans la littérature philosophique comme une relation formelle. D'autres exemples de
relations formelles sont possibles : la relation d'identité, de constitution ou de composition sont proposées par Lowe lui-même comme des exemples de relations formelles
32
.
Pourtant, ces relations ne sauraient être des relations entre diérentes catégories ontologiques. Enn, à bien regarder le corpus philosophique, il semble qu'en plus de relations
formelles, il faille aussi admettre l'existence de propriétés formelles : la propriété d'être
un objet, la propriété d'être une propriété, etc.
Le mieux est donc ici de suivre Lowe. Voici la manière dont ce dernier introduit la
distinction, qu'il pense très nette, entre ce qui relève de de la
et ce qui relève du
contenu
formalisation
de l'ontologie
de l'ontologie (Lowe, 2006a, p. 48) :
Def. 2
Relèvent du contenu de l'ontologie : les diérentes catégories d'entités et ce
qu'elles contiennent (les objets, les conditions, les phénomènes et les propriétés).
Relève de la formalisation de l'ontologie : la manière dont les diérentes catégories se rapportent à elles-mêmes ou aux autres
Comment comprendre ceci ? Peut être ainsi : certes, dira-t-on, dans la réalité, les particuliers instancient les universels, les objets exemplient les propriétés, les propriétés
caractérisent les conditions, mais distinguer entre fond et forme et armer que l'instanciation, la caractérisation et l'exemplication relèvent de la forme de l'ontologie et
non de son contenu, c'est dire que ces dernières relations ne sont pas à proprement
parler des facettes de la réalité et qu'il faut prendre très au sérieux le fait que ces relations ne font pas partie des quatre catégories fondamentales :
la réalité.
elles n'ajoutent rien à
Par exemple, la caractérisation n'est ni une propriété, ni un phénomène, ni
une condition, ni un objet. Elle n'est que l'explicitation de la manière dont substances
et caractéristiques sont reliées entre elles. Plus précisément, la distinction opérée entre
fond et forme engendre le critère ontologique suivant (Lowe, 2006a, p. 46) :
Def. 3
Tout ce qui relève du contenu de l'ontologie est une entité (They are elements
of being
).
Rien de ce qui relève de la forme de l'ontologie n'est une entité (They are no
32. Dierent ontologists will, of course, have dierent views, as to which formal ontological relations
need to be invoked for these purposes.
relations need to be invoked :
composition
and
dependence
My own view is that at least, the following dierent such
identity, instantiation, characterization, exemplication, constitution,
(Lowe, 2006a, p. 34, nous soulignons)
23
addition of being
33 ).
Ayant ainsi distingué forme et contenu en ontologie, essayons maintenant de justier
cette distinction.
Une justication analogique
Lowe propose de comprendre cette diérence en
ontologie entre contenu et formalisation par analogie avec ce qui se fait en logique. Voici
ce que dit Lowe à ce sujet :
What then, is it about formal ontological relations that permits us to regard
them as having to do with
how
things are but not with
Surely, it is above all their formal character.
what
things are ?
But what does formal in
this context mean ? The proper contrast is here between
form
and
content.
Such a contrast is of course drawn in logic between the logical form of a
proposition and its non-logical content (Lowe, 2006a, p. 48).
De même qu'en logique, on aurait l'habitude de distinguer entre ce qui relève de la
forme et ce qui relève du contenu, en ontologie, il faudrait faire, toutes choses égales par
ailleurs, la même distinction. Or, Lowe continue en parlant d'une forme ontologique,
sans que celle-ci soit pour autant plus explicitée et comme si elle allait de soi. En lisant
Lowe, on en est donc en dernier recours ramené à cette analogie entre logique et ontologie
pour comprendre cette distinction entre fond et forme. Or, cette analogie va-t-elle de
soi ? Il semble pourtant que cette justication soit doublement fragile.
(1) En particulier, on pourra se demander si ce n'est déjà pas prendre implicitement
parti pour certaine manière de concevoir la logique que d'armer que l'on puisse distinguer avec autant d'évidence le fond et la forme de la logique. Pour Cocchiarella, disciple
en ceci de Bochenski, on peut en eet opposer deux conceptions et deux pratique de la
logique, à savoir la logique comme calcul abstrait et la logique comme langage :
The idea that logic has content, and ontological content in particular, is
described today as the view of logic as language.
This view is generally
rejected in favor of view of logic as an abstract calculus that has no content
of its own, and which depends upon set theory as a background framework
33. On peut voir ici une allusion à Armstrong : Whatever supervenes or, as we can also say is
entailed or necessitated in this way, is not something ontologically additional to the subvenient, or
necessitating, entity or entities. What supervenes is
no addition of being.
Thus internal relations are
not ontologically additional to their term (Armstrong, 1997, p. 12, nous soulignons). On trouve
également mentionnées dans cette citation les relations internes dont nous parlerons dans le paragraphe
suivant.
24
by which such a calculus might be syntactically described and semantically
interpreted (Cocchiarella, 2001, p. 118)
34
.
On pourra toujours dire qu'il existe certes une conception de la logique, la logique
comme calcul abstrait, que cette conception est la conception dominante et que cette
manière de faire de la logique trace eectivement une distinction très nette entre fond et
forme (pour d'ailleurs ne s'occuper alors que de la forme et non du fond...), néanmoins,
cette conception, pour prédominante qu'elle soit, ne peut être considérée comme allant
simplement de soi. Il ne s'agit évidemment pas de prendre parti ici pour l'une ou pour
l'autre conception de la logique, mais simplement de noter que le
princeps analogum
de Lowe n'a pas l'évidence requise pour justier la distinction que celui-ci trace en
ontologie entre forme et fond.
(2) Que deviendrait encore cette distinction entre fond et forme si nous nous basions
sur les travaux de Haack qui distingue en logique non pas un niveau formel mais quatre
niveaux formels, chacun ayant à chaque fois un peu plus de contenu Voici les niveaux
qu'elle distingue (Haack, 1978, chap. 3) :
1. Le niveau purement syntaxique (vocabulaire et règles d'inférence).
2. La sémantique pure, laquelle interprête la syntaxe (par exemple les tables de
vérité).
3. Le sens courant de la syntaxe (notions de proposition, de prédicat, de connecteur).
4. La justication informelle de la sémantique pure (depraved semantics ) : par
exemple justication de l'axiome du tiers exclus.
Ayant distingué entre fond et forme en logique, auquel de ces niveaux formels Lowe
identiera-t-il la forme logique ? et ce niveau sera-il dépourvu de tout contenu ? Il nous
semble quant à nous qu'il faudrait pouvoir ultimement justier cette distinction entre
fond et forme par autre chose qu'une simple analogie et qu'il y aurait ici matière à un
plus grand développement.
La notion de relation interne
Une autre tentative pour justier cette notion de
forme ontologique serait de reprendre une distinction couramment avancée entre relation
34. Plutôt qu'une opposition entre les deux logiques, il est d'ailleurs possible de voir une certaine
complémentarité : la logique comme calcul a permis de mettre au point certains outils que la logique
comme langage peut à son tour reprendre. (p. 123). Cette complémentarité ne fait d'ailleurs qu'accroître
le ou qu'il peut y avoir entre forme et contenu en logique.
25
interne et relation externe. Regardons pour cela une autre piste que Lowe suggère luimême, lorsque, à la suite d'Armstrong, il reprend la notion de relation interne pour
tenter de l'appliquer à la notion de relation formelle
35
.
In order for an internal relation to hold between two or more entities,
sucient for those entities to exist.
it is
A paradigmatic example of an internal
relation, it would seem, is numerical distinctness or non-identity. Thus the
pair of objects
distinct from
b
{a,b}
serves as the truthmaker of the statement that
a
is
(Lowe, 2006a, p. 167, nous soulignons).
Autrement dit, pour qu'une relation interne soit vériée, il n'y a pas besoin qu'il y
ait une véritable relation (une relation réelle), mais simplement que les deux
existent
36
relata
. Ayant ainsi déni une relation interne dans ce passage, Lowe propose ensuite
de considérer (au moins) la relation ontologique formelle de caractérisation comme une
relation interne. Nous pouvons donc dire que, pour Lowe, au moins une relation formelle
(la caractérisation) est une relation interne. Peut-on étendre cette remarque à l'ensemble
des relations formelles ?
La diculté nous semble être la suivante : la notion de relation interne est une notion
en elle-même obscure. Nous proposons à titre d'essai la démarche suivante : (1) nous
partirons de la notion de relation logique pour (2) la mettre en rapport cette notion de
relation interne et à partir de là (3) nous interprêterons la notion de relation formelle.
35. On remarquera que nous concentrons notre analyse dans la suite de cette section sur les relations
formelles et non sur les propriétés formelles. Nous mettons donc de côté la question suivante : peut-on
parler à propos des propriétés formelles de propriétés internes ?
36. Ceci marque une diérence avec la dénition que donne Armstrong des relations internes (il est
vrai, dans un autre contexte) : Two or more particulars are internally related if and only if there
exist
properties
of the particulars which logically necessitate that the relation holds (Armstrong,
1980, vol. II, p. 85). Là où Lowe dit : it is sucient for those entities to exist, Armstrong dirait it
is sucient for those entities to exist
with the properties they have .
Les relations internes, au sens
d'Armstrong, sont les relations qui se réduisent à leur fondement monadique (les propriétés). Cette
dénition ne peut donc être utilisée : si les propriétés formelles se réduisaient à certaines propriétés
monadiques, elles appartiendrait au contenu de l'ontologie et non à sa forme. A l'inverse, dans la mesure
où l'existence est pour certains philosophes, dont probablement Lowe, une propriété formelle, c'est à
dire une propriété qui n'est aucune
de ces
relata
addition of being , dire qu'une relation interne se réduit à l'existence
expliquerait pourquoi cette relation est une relation formelle et n'appartiendrait pas au
contenu de l'ontologie. Entre Armstrong et Lowe, notons la position médiane de Schneider (2009,
p. 27) : Une relation interne est une relation qui découle de la nature de ses relata (They hold
of their terms in virtue of the nature their terms ). Schneider semble alors comprendre les relations
internes comme des relations réelles, quoique d'une certaine manière transcendantales : They do not
belong to the content or matter of reality as represented by ontological square but to its form, since
they constitute the structure of the world.
Nonetheless, they are full-edged entities of a distinct
ontological category 26
(1) C'est peut-être dans dans la notion de relation logique qu'il nous faut chercher.
Les philosophes médiévaux avaient l'habitude de faire la distinction entre relation réelle
(relatio
secundum esse )
et relation logique (relatio
secundum rationem ).
Nous citons
e
pour ce faire un passage de Jean Cabrol (début XV siècle), qui reprend lui-même
Avicenne :
Des relations logiques conviennent souvent aux choses alors même que nous
n'y pensons pas, voire même, dans des cas extrêmes, alors même que personne n'y a jamais pensé. Et pourtant, de telles relations ne sont pas attribuées aux choses selon leur existence objective [...]. Ces relations ne sont
pas dites telles parce qu'elles expriment une relation existant objectivement
dans la réalité de laquelle elles sont dites, mais parce qu'elles expriment cette
réalité par l'intermédiaire d'un concept relatif qui unit deux choses. Et j'appelle relation logique,
non pas une relation existant objectivement,
mais ce
rapport qui consiste dans une compréhension ordonnée de deux choses, en
soi isolées, mais appréhendées l'une par rapport à l'autre [...] Telle est aussi
l'opinion d'Avicenne (3
Met.
8, n de la section)
37
Autrement dit encore, les relations logiques portent sur la réalité mais n'appartiennent
pas à la réalité. Au regard de ce passage, celles-ci seraient dénies par les deux critères
suivants :
1. Elles expriment par l'intermédiaire d'un concept relatif deux réalités pourtant
distinctes .
2. Elles sont vraies indépendamment de la question de savoir si un sujet les pense.
(2) Ayant ainsi déni ce qu'est une relation logique, nous essayons de voir si cette
notion entretient un certain lien à avec la notion de relation interne. Faisons d'une
manière très simple en reprenant la relation de distinction, proposée par Lowe comme
exemple paradigmatique de relation interne, et en notant que cette relation vérie les
deux critères énoncés à propos de la relation logique.
37. Talia enim quae dicuntur respectus rationis saepe conveniunt rebus sine consideratione nostri
intellectus, vel etiam alterius, si, per impossibilive, nullus intellectus consideraret. Nec tamen illi respectus conveniunt rebus secundum esse quod habent extra animam [...]. Talia enim non ideo dicuntur
relativa quia important relationem in re existentem, de qua dicuntur, sed qui signicant rem mediante
Et hoc dico esse relativum secundum rationem, scilicet
quod non dicit relativum in re existentem, sed tamen eius ratio consistit in quadam collatione et ordinatione unius ad alterum. Est enim in se absolutum, sed non intelligitur nisi collative [...]. Et ista est
mens Avicennae 3 Met 8 in ne . In 1 sent. d.30 q.1 ad. Gregorii, contra 1. Le sujet de Est enim in
se est Unius (aut alterum). Voir à ce sujet Krempel (1952, chap. XIV, sec. 7).
conceptu relativo et collativo unius ad aliud.
27
6= exprime par l'intermédiaire d'un concept relatif (la distinction) deux
pourtant isolées (a et b ).
1. La relation
réalités
2. Cette relation n'a pas besoin d'être pensée pour être vraie : elle découle directement de l'existence de
proposition
a
et
b.
L'existence de
{a,b}
sut en eet à rendre vraie la
a 6= b.
Que conclure ? Ne pourrions-non pas identier les deux relations ? Concédons qu'il y a
au moins
un lien entre la relation interne et la relation logique. Or, à bien y regarder,
cette dernière notion de relation logique frôle la contradiction puisque celle-ci vérie les
propriétés suivantes :
1. Une relation logique est une relation conceptuelle.
2. Une relation conceptuelle, par dénition, a besoin d'être pensée pour exister.
3. Or, une relation logique n'a pas besoin d'être pensée pour être vraie.
4. Donc, une relation logique n'a pas besoin d'exister pour être vraie.
Mais comment une relation logique peut-elle être vraie si elle n'existe pas ? A lire cette
phrase, on ressent comme un malaise et l'on y subodore une contradiction implicite
38
.
La conclusion que l'on en retire la suivante : la notion de relation interne à un lien avec
une notion qui frôle,
prima facie,
la contradiction. Ceci semble d'ailleurs curieusement
en accord avec ce que disait Lowe In order for an internal relation to hold between two
it is sucient for those entities to exist. En reprenant les symboles
courants, on dira qu'il y a autant de contenu ontologique {a,b} que dans R(a,b). Autrement dit, aucune réalité objective et aucune consistance n'est requise pour R dans
la vérité de R(a,b).
or more entities,
(3) Nous revenons maintenant à la notion de relation formelle. Admettons que la
relation formelle soit une relation conceptuelle. Comment alors ne pas retomber dans
le projet kantiste ou husserlien dans la mesure où il nous faut dorénavant faire appel à
un sujet transcendantal (sic
39
) pour justier cette notion de relation formelle ? et
la conséquence ne serait-elle pas la suivante : nous ne considérerions plus les catégories
38. Que l'on justiera peut-être ainsi en référence à Thomas d'Aquin : la valeur de l'existence et celle
de la vérité sont convertibles.
39. Pour que la distinction entre logique formelle [ici contenu ontologique] et logique transcendantale [formalisation ontologique] ait un sens, il faut admettre deux choses : (1) qu'il y a des catégories
qui gouvernent la syntaxe de la logique [ici, des catégories ontologiques qui expliquent la réalité], c'est
à dire les formes de la pensée pure [les formes des entités pures] (2) qu'il y ait un sujet transcendantal
qui en appelle à ces catégories, soit pour former et se donner des représentations (Kant) soit pour poser
et saisir des représentations (Husserl) [...]. Le refus du sujet transcendantal s'annonce dans le compte
rendu que Frege fait en 1894 de la
Philosophie de l'arithmétique
28
de Husserl . Chauvet (2007)
ontologiques mais les catégories de la pensée, niant par là les principes de notre réexion
(voir introduction) ?
Une absence de compréhension
Résumons notre parcours jusque là : (1) in-
tuitivement, il semble qu'il y a une diérence entre, d'une part, des relations réelles,
bona de , telle que la relation amoureuse, la relation de gravitation physique et d'autre
part la relation d'instanciation ou de comprésence. De même, il semble intuitivement
y avoir une diérence entre des propriétés
bona de
(avoir une masse, ressentir des
émotions) et des propriétés formelles (être une propriété, être un trope). Intuitivement,
il semble que les unes représentent des
additions of being
et non les autres. (2) Il semble
toutefois que nous ne soyons pas en mesure de justier ce fait ou au moins de proposer
un compréhension claire de ceci.
Faut-il abandonner cette notion de forme ontologique ? Quitte à anticiper, l'existence
d'une diérence entre fond et forme est, pour les systèmes métaphysiques que nous
avons choisi de représenter ici par le carré ontologique, d'une importance vitale. Cette
importance explique qu'il ne saurait être question d'abandonner cette distinction. Elle
explique les eorts développés ici dans lesquelles nous avons tenté, mais sans u parvenir,
de faire crédit cette notion d'ontologie formelle, car, toujours à cause de son importance,
cette distinction demande une justication et une compréhension telle qu'elle ne saurait,
in ne,
reposer sur une simple analogie ou sur la simple notion de relation interne.
D'où précisément la façon dont beaucoup de philosophes introduisent ces relations
de comprésence ou d'instanciation. Pour celui-ci, ces relations sont tout simplement des
faits métaphysiques bruts , des primitives inexplicable . C'est ainsi qu'Armstrong
comprend la la relation d'instanciation et que Campbell comprend la relation de comprésence.
However, it is fair enough to admit that the explanation must end somewhere (Schneider, 2009).
Ces relations formelles représentent en quelque sorte la limite de l'analyse ontologique, le
mot de la n . Dans la mesure où l'ontologie est l'étude de la réalité, si les relations
formelles représentent l'ultime limite de cette reexion, on comprend alors peut-être
pourquoi elles ne sont pas des
additions of being.
Ayant décrit cette distinction entre
fond et forme, nous sommes maintenant en mesure de formaliser la manière dont le
carré ontologique nous amène à penser la réalité.
29
2.2.2 La notation symbolique du carré ontologique.
Dans cette section, nous nous dotons d'une notation symbolique qui soit adéquate
au carré ontologique
40
: comme le dit Frege, le langage naturel est à une notation
symbolique ce qu'un oeil est à un microscope. Le premier est plus souple, le second plus
précis et adapté à une plus grande rigueur scientique (Frege, [1997], p. 49).
Caractéristique/substance
La formalisation que Lowe adopte pour rendre
compte de la diérence entre substance et caractéristique reprend la formalisation logique moderne issue de Frege
41
. Plus précisément, le lien entre ces deux formalisation
est le suivant (Lowe, 2006a, p. 56) :
Aux sujets d'attribution correspondent, dans le carré ontologique, généralement
les substances (objets et conditions). On les symbolise par une constante :
c,
42
a, b,
etc.
Aux prédicats correspondent, dans le carré ontologique, généralement
43
les ca-
ractéristiques, au sens de Lowe (propriétés et phénomènes). On les symbolise par
une fonction :
A(), B(), C(),
etc.
Socrate a le nez camus est symbolisé par NC(s), le cheval galope par
G(c), l'humanité pense par P(h). Notons que, à la suite de Function and Concept in
Frege ([1997]), ces prédicats NC, P sont pensés sur le mode de la fonction mathématique, pouvant prendre un nombre indéni d'arguments : Abélard aime Héloïse devient
Aime(Abélard, Héloïse) ; le fer est entre le marteau et l'enclume devient Entre(fer, marteau, enclume), etc. Par là, les relations sont intégrées de façon formelle dans le carré
Par exemple,
ontologique.
40. Nous nous inspirons dans cette section de la
ontological square
sortal logic
de Lowe, 2009a et de la
Logic of the
de Schneider, 2009. En reprenant la dénition de Haack (1978, ch. 1) et en
l'adaptant à notre propos, nous dénirons ici une notation symbolique comme une collection de
symboles ayant une interprétation telle que cette interprétation puisse être vue comme incarnant les
règles d'une argumentation valide
dans un cadre ontologique précis
(les italiques correspondent à
notre ajout).
41. Frege distinguait les entités saturées (qu'il appelle objets) des entités insaturées (qu'il appelle
concepts). Les objets sont alors vus comme des sujets d'attribution et les concepts comme des prédicats
(avec le résultat paradoxal que certains concepts peuvent être des sujets d'attribution :
mortel )
l'homme est
: A concept - as I understand the word - is predicative. On the other hand, a name of an
object, a proper name, is quite incapable of being used as a grammatical predicate Frege ([1997],
p. 182)
42. Sur la question de caractéristiques mises en position de sujet, comme dans la phrase suivante :
la noirceur est le propre des corbeaux, voir infra.
43. Même remarque pour les substances qui seraient prédiquées :
30
Socrate est humain.
Universel/particulier
Si la formalisation logique issue de Frege se contente gé-
néralement de cette distinction entre sujet et prédicat, pour Lowe, cependant, comme
son carré ontologique le suggère, il faut rendre compte d'une deuxième distinction. Si la
logique frégéenne distingue entre objet (substances) et prédicat (caractéristiques), elle
occulte cependant la distinction universel/particulier :
Suppose we agree with Frege in advocating something like his object/concept
distinction, construed as capturing -
or perhaps, rather, as conating
pects of two more familiar distinctions of traditional metaphysics :
- asthe
distinction between substance and property and the distinction between
particular and universal. (Lowe, 2006a, p. 56, nous soulignons)
44
An de bien distinguer également ces deux plans de l'universel et du particulier
45
,
Lowe suggère de ménager dans la notation symbolique de quoi diérencier substances
particulières (Bucéphale ) et substances universelles (animal ). Ces dernières sont, en
conséquence, alors désignées par des minuscules grecques : par exemple, la condition
γ , tandis que
l'animal galope G(γ).
animale est notée
G(b)
et
Bucéphale est noté
b. Bucéphale galope
sera ainsi noté
Quoique Lowe ne semble pas le faire et qu'il semble réserver la symbolisation de la
diérence entre universel et particulier à la catégorie des substances, nous suggérons
d'étendre celle-ci à la catégorie des caractéristiques
46
. Cela nous permettra de nous
doter d'une symbolisation permettant de rendre compte de la diérence entre caractéristiques particulières (phénomènes) et caractéristiques universelles (propriétés). Ceci
revient en fait à relire ainsi le passage que nous venons de citer :
44. En témoigne ce manuel de logique qui décompose ainsi les propositions : each of the sentences
has one part which refers to a property (being a man, being mortal, crackling and leaking) and another
part which refers to some entity (Plato, Socrates, the chicken and this kettle) (Gamut, 1982, p. 65).
Ici, on distingue d'un côté les constantes individuelles des prédicats. Les constantes recouvrent les
objets particuliers (Platon qui est mortel, la poule qui est en train de pépier) tandis que les prédicats
recouvrent les trois autres catégories.
45. On peut se demander si l'absence de distinction entre les deux plans n'est pas la source de
problèmes philosophiques. Par exemple, la question du
substratum
que nous étudierons plus loin semble
provenir du fait que, si l'on admet comme seule distinction la distinction substance / caractéristique
et que l'on assimile la condition à une caractéristique, on ne parvient plus à donner une certaine
consistance à la notion de substance qui devient alors un
bare particular
: celle-ci, réduit au strict rôle
de suppôt, devient alors une sorte de pure abstraction dont la pensée ne saurait se satisfaire
46. Pourquoi Lowe ne fait-il pas cette distinction ? Peut-être parce qu'il pense qu'on ne peut référer
à un phénomène particulier, ou que cela est inutile. Considérons cependant la phrase suivante
ainsi que galope le cheval. Ainsi
c'est
dans cette phrase semble fonctionner à la manière d'un déictique et
le galop dans cette phrase semble moins désigner un galop en général qu'une manière bien particulière
de galoper. Quoi qu'il en soit par ailleurs de la pertinence de cette distinction, d'un point de vue
strictement formel, elle semble légitime.
31
Suppose we agree with Frege in advocating something like his object/concept
distinction, construed as capturing - or perhaps, rather, as conating - aspects of two more familiar distinctions of traditional metaphysics : the distinction between substance and [characteristic] and the distinction between
particular and universal. (Lowe, 2006a, p. 56)
Nous réservons ainsi l'usage des capitales grecques aux propriétés et l'usage des capitales romanes aux phénomènes. Ainsi, en supposant que se mouvoir est une propriété
la condition animale possède la propriété de se mouvoir sera notée
Γγ , et l'animal particulier Bucéphale possède la propriété de se mouvoir Γb. A l'inverse,
universelle, la phrase
en voulant parler du galop de Bucéphale (celui par exemple qu'il eut lors de la dernière
course hippique de Longchamp, alors que, au grand dam des bookmakers, il se mit à
G la façon qu'il a eu
de se mouvoir à telle occasion. La phrase Bucéphale se mouvait de telle manière pourra
47
alors se traduire par Gb .
boiter en n de course de la jambe avant-gauche), on pourra noter
Relation formelle.
Nous complétons enn la symbolisation de Lowe en intro-
duisant une dernière notation an de symboliser la distinction entre fond et forme de
l'ontologie. Nous proposons ainsi de symboliser ce qui relève de la formalisation ontologique par des lettrines calligraphiées :
C
I
pour instanciation
48
,
E
pour exemplication,
pour caractérisation, etc. Résumons ceci ainsi :
Bételgeuse est caractérisée par telle émission précise de lumière sera
notée C(b, L).
La phrase la condition astrale (être une étoile) est caractérisée par une émission
de lumière sera notée C(α, Ψ).
La phrase Bételgeuse instancie la condition astrale sera notée I(b, α).
La phrase Bételgeuse exemplie l'émission de lumière sera notée E(b, Ψ).
La phrase
47. Une façon simple de construire des prédicats référant à des phénomènes particuliers est de modier un prédicat référant à une propriété universelle en lui adjoignant un adjectif démonstratif ou un
il manifeste une couleur et il manifeste
il a l'habitude de rougir ainsi. Ces modications
adverbe fonctionnant comme un déictique. On comparera ainsi
telle couleur
ou encore
il a l'habitude de rougir
et
obligent à concevoir le prédicat qui référait auparavant à une propriété universelle comme référant
maintenant à un phénomène historique particulier. Sur l'idée d'un
,
predicate modier
appliquée aux
prédicats désignant une propriété voir aussi Jansen (2006, p. 163).
48. Lowe semble admettre qu'il faille réserver une notation spéciale pour ce qui relève de la forme de
.
l'ontologie puisqu'il formalise la relation d'instanciation de manière spéciale
Π
la condition végétale, la phrase
ceci est une plante
est noté par Lowe par
,
Par exemple
xlΠ.
en notant
Voir Lowe (2006a,
p. 64). Nous pouvons donc considérer cette dernière symbolique comme une extension de ce que Lowe
fait par ailleurs.
32
L'émission de lumière en 1006 dans la constellation du Loup fut une
instanciation particulièrement frappante de la propriété qu'ont les étoiles massives
d'imploser I(L, Ψ).
La phrase
Soit encore
49
:
Réalité
substances
universels
α
↑
I
↑
a
particuliers
caractéristiques
← C ←
%
E
%
← C ←
Γ
↑
I
↑
G
La formalisation à laquelle nous aboutissons semble rendre possible une analyse du
type de prédication mis en jeu dans chaque proposition. Par exemple, la proposition
plante (φ) absorbe (Ψ) de l'oxygène (ω)
est notée
Ψ(φ, ω).
une
Cette proposition attribue
donc un prédicat à deux sujets. En suivant les relations entre les diérentes catégories
ontologiques, on peut maintenant expliciter le type de prédication mis en place dans
cette proposition : s'agit-il d'une prédication de type instanciation , de type caractérisation , de type exemplication , etc. ? Ici, comme la plante, l'oxygène et
l'absorption sont des universels, les deux premiers de type substantiel , le dernier de
type caractéristique , nous sommes dans une relation de type caractérisation . On
peut donc expliciter
Ψ(φ, ω)
en
C(φ, ω, Ψ).
Puisque la caractérisation appartient à la
forme de l'ontologie, du point de vue de la réalité, ces deux phrases sont rigoureusement
identiques.
Nous n'avons listé ici que les relations formelles les plus importantes : il faudrait mentionner pour être exhaustif la dépendance ontologique, l'identité, etc. Faisons toutefois
une mention spéciale pour la relation formelle d'union, notée
plus en détails par la suite. Cette relation
U
U
que nous expliciterons
exprime le fait que des entités d'une même
catégories ontologique peuvent être unies :
Divers phénomènes peuvent s'unir de façon formelle : on parle alors de comprésence
50
. Dans Socrate, un phénomène mental
M
est comprésent avec un
49. Les èches respectent le sens de prédication.
50. D'autres appellations auraient pu être possible. Voici comment Paul (2010) introduit cette
notion : Historically, the bundling relation [between particulars properties] has been taken to be
a primitive relation, not analyzable in terms of or ontologically reducible to some other relation,
and has been variously characterized as, e.g., `compresence', `concurrence', or `consubstantiation'.
33
P
phénomène physique
:
U (M,P ).
Divers objets peuvent s'unir de façon formelle : on parle alors de coïncidence .
Deux objets quantiques peuvent coïncider en un état intriqué
U (m,p ).
Diverses propriétés peuvent s'unir de façon formelle : un animal peut avoir des
propriétés physiques
Γ
et des propriétés psychologiques
∆ : U(Γ, ∆).
La notion
la plus proche est ici de la notion technique de survenance (McLaughlin et
Bennett, 2005).
Divers conditions peuvent enn s'unir de façon formelle : Socrate peut être de
condition rationnelle
σ
et de condition animale
δ . On parle alors parfois d'instan-
ciation (Schneider, 2009).
Concluons cette section par une remarque. La logique du carré ontologique ici décrite
présente des modications substantielles par rapport à la logique classique. Or, comme
le note Haack, logic
is
revisable, but the reasons for revision had better be good (Haack, 1978, p. 228). Redisons le, les raisons invoquées sont ici le besoin de symboliser
une ontologie (ce qui, notons-le, implique que nous avons donné un contenu à la logique
...). Notons aussi que, ainsi formalisée, la logique du carré ontologique vérie le théorème
de abilité (soundness ) et de complétude (completeness ). Nous renvoyons pour des
éléments de la preuve à Schneider (2009).
2.3
La cosmologie du Carré ontologique : l'émergence
Nous nous tournons maintenant ce dernier volet de la métaphysique qu'est la cosmologie. Voici la dénition qu'en propose Cocchiarella :
Metaphysics itself has usually been divided into ontology and cosmology
[...], the study of the physical universe at large [...] The methodology of cosmology is based on the analysis of such categories as space, time, matter,
and causality, where the goal is to discover by observation and experiment
the laws connecting those categories and their constituents with one another, including in particular the natural kinds of things (being) in nature (Cocchiarella, 2007, p. 1).
Bertrand Russell (1940) defends compresence of universals, and Hector-Neri Castañeda (1974) defends
consubstantiation of universals.
John Bacon (1995) defends concurrent tropes and Keith Campbell
(1990) defends compresent tropes. Jonathan Schaer (2001) bucks this trend, endorsing compresence
understood as co-location in spacetime, but this brings with it undesirable consequences such as the
impossibility of distinguishing between objects (such as electrons or other microentities) with the same
location. 34
Autrement dit, pour Cocchiarella, la cosmologie se dénit comme étant cette partie
de la métaphysique qui entend proposer une vision portant sur l'ensemble de la réalité
telle que cette vision soit uniée et compatible avec la science. De ce point de vue,
le concept pivot sera ici celui de lois et on assignera à la cosmologie la tâche de
découvrir ces lois . Plus précisément, notons le point suivant : de façon signicative,
dans cette dernière citation, Cocchiarella commence par mentionner les catégories telles
que l'espace, le temps et la causalité et nit par mentionner la catégorie des conditions
naturelles. Il semblerait donc que la cosmologie, en voulant étudier les lois des premières,
nisse par étudier les lois des dernières. Comment expliquer cette transition ? Peut-être
ainsi : l'explicitation
de fait
de ces lois naturelles, voilà le domaine de la cosmologie
scientique. Il s'agira de répondre aux questions suivantes : quelles sont les causes
naturelles ? comment décrire l'espace physique ? qu'est ce que la matière ? Cependant,
la
possibilité
qu'il y ait de telles lois naturelles et la conception de l'espace-temps qui
en découle, voilà ce dont doit rendre compte la cosmologie métaphysique, et à laquelle
nous nous intéressons ici.
Nous pouvons maintenant nous poser la question suivante : quelle est la cosmologie
métaphysique issue du carré ontologique ? La réponse semble être la suivante et, pour
Lowe, comme pour Cocchiarella, la cosmologie du carré ontologique est caractérisée par
les deux propositions suivantes :
Prop. 1
La possibilité qu'il y ait des lois naturelles est métaphysiquement fondée dans
le rapport qu'entretiennent conditions et propriétés naturelles
Prop. 2
51
.
Le carré ontologique est neutre par rapport aux débats métaphysiques concer-
nant l'espace, le temps. La causalité est, quant à elle, analysée ainsi : elle est fondée
dans les propriétés et exercée par les objets, ayant les phénomènes pour eet.
Il n'est pas lieu ici de traiter du rapport qu'entretiennent dispositions, lois naturelles et
causalité dans le cadre du réalisme métaphysique
52
. Et, plutôt que reprendre ici la des-
51. In a natural language, natural laws are most naturally expressed - or so I wish to claim - as
dispositional predication [terms designating properties] with sortal term [terms designating kinds] in
subject position (Lowe, 2009a, p. 142). De même : So, in virtue of what is `water is H2O' broadly
logically necessary ? Why, in virtue of the nature of water ! Not, thus, in virtue of the laws of logic
together with the concepts or denitions of water and H20. It seems perfectly appropriate, then to
call this kind of necessity metaphysical necessity, since its ground is ontological, rather than formal
or conceptual (Lowe, 1998, p. 15). On notera le rapprochement entre la notion de nature et la
notion de condition .
52. Pour l'étude de cette question, nous renvoyons à notre mémoire de première année (deuxième
chapitre, deuxième section). Qu'il nous suse ici de nous référer à ce passage signicatif de Heil : The
exciting idea [...]
that, to be real is to possess causal powers can lead directly to the thought that
35
cription de cette position philosophique, nous voudrions croiser la première proposition
cosmologique avec une autre hypothèse, naturelle au sein du carré ontologique :
Hyp.
Il existe plusieurs conditions et plusieurs propriétés.
Notre question sera la suivante : à supposer qu'il y ait plusieurs conditions (par exemple,
la condition humaine et la condition physique) et qu'il y ait plusieurs propriétés (par
exemple, la propriété de penser et la propriété d'avoir une extension physique), comment
préciser d'avantage des rapports qu'entretiennent ces diérentes conditions avec ces
diérentes propriétés ? Nous achèverons ainsi notre présentation du carré ontologique
tout en explicitant la cosmologie qui lui est inhérente.
2.3.1 Justication de l'hypothèse
L'émergence comme motif cosmologique
Nous commençons par justier notre
hypothèse cosmologique en montrant comment elle découle d'une réexion centrée autour de la notion d'émergence
53
. C'est à vrai dire chose bien étonnante que cette notion
d'émergence : les particules forment des atomes, les atomes des molécules, les molécules
des cellules, des cellules des organismes, lesquels à leur tour s'organisent en écosystème,
puis en système planétaire, enn en univers. La réalité, nous dit la science, s'échelonne
en divers étages, qui du microscopique au macroscopique nissent par se retrouver et
coïncider, mais non pas, certes, sans avoir rendu possible au préalable l'émergence de
cet espace à taille humaine dans lequel nous vivons et que les modernes aiment à appeler
le monde mésoscopique. Aussi, quelques soient les questions philosophiques que cette
notion pose, il semble que le point suivant doive être concédé : avant d'être problème
properties are purely dispositional : all there is to a property is its contribution to the dispositionalities
of its possessor (Heil, 2003, p. 97, nous soulignons). Cette position est reprise par Lowe, dans Lowe
(2009a).
53. Pour une l'histoire de ce concept, voir Clayton (2006). Qu'on nous permette seulement de
faire justice à l'émergentisme français (Auguste Compte et Claude Bernard), injustement occulté par
l'émergentisme britannique (Mill, Morgan, Alexander et surtout Broad). Historiquement et philosophiquement, Comte précède Mill et c'est à lui que l'on doit, en France, la réaction philosophique la
plus forte contre le réductionnisme. Quant à Claude Bernard, réagissant contre le vitalisme, c'est lui
qui développe une première théorie de l' intelligent design au sens moderne du terme : Quand
un poulet se développe dans un oeuf, ce n'est point la formation du corps animal, en tant que groupement d'éléments chimiques, qui caractérise essentiellement la force vitale. Ce groupement ne se fait
que par suite des lois qui régissent les propriétés chimico-physiques de la matière ; mais ce qui est
essentiellement du domaine de la vie et ce qui appartient ni à la chimie ni à la physique, ni à rien autre
idée directrice de cette évolution vitale.
chose, c'est l'
Dans tout germe vivant, il y a une idée créatrice
qui se développe et se manifeste par l'organisation . (Bernard, 1865, Intro. partie 2, chap. 2, nous
soulignons). Il faut également mentionner un autre précurseur, Etienne Georoy de Saint Hilaire, avec
sa notion de plan d'organisation .
36
philosophique, l'émergence est un constat que l'on ne saurait remettre en question.
We are everywhere confronted with the emergence in complex adaptive systems - ant colonies, networks of neurons, the immune system, the Internet,
and the global economy to name a few - where the behavior of the whole
is much more complex than the behavior of the parts.
There are deep
questions about the human condition that depend on understanding the
emergent properties of such systems : How do living systems emerge from
the laws of physics and chemistry ?
Can we explain consciousness as an
emergent property of certain kinds of physical system ? (Holland, 1999,
p. 2).
Autrement dit, non seulement l'émergence est un constat, mais les questions philosophiques découlent, non de l'émergence elle-même, mais de notre interprétation de ce
phénomène. Plusieurs critères ont pu être proposés pour interpréter cette notion d'émergence : imprévisibilité, irréductibilité, non-additivité, diérence qualitative, nouveauté
(Stephan, 1992)
54
. A chaque fois, on trouve derrière ces critères l'intuition suivante :
la notion d'émergence ne doit pas être comprise comme signiant l'enrichissement de
quantitatif d'entités mais, bien plus, comme signiant son enrichissement par accroissement qualitatif. Plus précisément, on fait la
constat d'une certaine discontinuité, discontinuité que l'on découvre, agissante au sein
la réalité par un simple accroissement
de la réalité et que l'on aimerait fonder métaphysiquement. De ce point de vue, le
constat de l'émergence se laisse énoncer dans l'hypothèse suivante :
Hyp. 1
Il existe une certaine discontinuité, inscrite au coeur de la réalité.
Le point important de cette hypothèse est le suivant : cette discontinuité doit être ellemême comprise comme quelque chose de positif, comme étant elle-même une certaine
réalité. Autrement dit, le il existe impersonnel mentionné dans cette hypothèse doit
être interprété dans le sens d'une existence actuelle :
Interprétation. 1
Certaines discontinuités, inscrites au coeur de la réalité, existent.
Il est vrai, la terminologie la plus courante utilise moins le terme de discontinuité que de niveau de réalité 55
. D'où une deuxième interprétation, probablement équi-
54. Nous mettons de côté le critère que propose Holland, cité à l'instant : much coming from little .
Ce critère, basé sur la notion de système et de structure ne s'intègre pas naturellement dans le carré
ontologique. C'est précisément pour faire droit à cette analyse qu'en dernière partie, notre mémoire
traitera du réalisme structurel .
55. Voir, par exemple o'Connor : There are
complexity.
Each new layer
layered strata, or levels, of objects, based on increasing
is a consequence of the appearance of an interacting range of `novel
37
valente
56
:
Interprétation. 2
Certains niveaux de réalité existent.
Par niveaux de réalité , entendons un certain ensemble de lois naturelles (lois physiques, chimiques, biologiques, etc), déni par rapport à certaines conditions naturelles
(natural
kind s).
Témoin de cette manière de concevoir la réalité en niveaux fon-
dée dans l'existence de plusieurs conditions, citons Lowe pour qui les lois de la nature
normant le comportement des individus découlent des conditions naturelles :
As I see it, the most that a putative law such as `Ravens are black' purports
too tell us concerning individuals is what we should expect any normal indi-
it appears
to be concerned, rather, with characterizing the raven species or kind. Such
vidual raven to be like in respect of its color - and apart form this
a law is `normative' or regulative in force with regard to individuals [...]. It
sets standards. (Lowe, 2009a, p. 150, nous soulignons)
Cette dernière proposition permettra de résumer comment le constat de l'émergence
motive la cosmologie du carré ontologique : Les conditions naturelles fondent certains
niveaux de réalité . Cette proposition permet de justier de manière intuitive les critères énoncés plus haut : comparant certaines entités entre elles et certaines propriétés
entre elles, on dira que leur diérence qualitative correspond à un fait métaphysique
brut, à savoir l'existence de diérentes conditions. Par là encore, on explique le critère
d'irréductibilité : parce que ces conditions sont des entités substantielles à part entière,
elles sont irréductibles les unes aux autres. Par là enn, on explique la notion de niveau
de réalité : un niveau de réalité est l'ensemble des objets qui instancient une condition
particulière. Peut-on décrire plus précisément quels sont ces niveaux et quels sont les
conditions naturelles ? Il n'est pas évident de donner une réponse à cette question. Donnons comme simple exemple une échelle de la nature inspirée de Ellis (2006, p. 80) :
(1) condition des particules, (2) condition nucléaire, (3) condition atomique, (4) condition moléculaire, (5) condition cellulaire, (6) condition végétale, (6) condition animale,
qualities.' Their novelty is not merely temporal (such as the rst instance of a particular geometric
conguration) [...].
,
Instead
it is a novel, fundamental type of property altogether.
We might say
that it is `nonstructural,' in that the occurrence of the property is not in any sense constituted by the
occurrence of more fundamental properties and relations of the object's parts.(O'Connor et Wong,
2006, sec. 3, nous soulignons)
56. Nous mettons de côté ce qui nous apparaît comme étant la principale diérence : la première
interprétation souligne l'aspect évenementiel de l'émergence (vision dynamique de l'émergence). Celleci est alors analysée comme une sorte de mouvement, l'éclosion de l'acte au sein de la puissance ,
pour paraphraser Aristote. L'autre interprétation, plus moderne, souligne au contraire la stabilité de
l'émergence (vision statique de l'émergence).
38
(7) condition humaine. Cependant, dans la mesure où la recension des conditions est,
dira-t-on, aaire de la science et non de la philosophie
Une cosmologie moderne et radicale
57
.
Dans la mesure où il n'est pas rare de la
retrouver de manière sous-jacente dans des discours modernes traitant de l'émergence, le
premier qualicatif de cette vision du monde est d'être une vision du monde moderne
58
.
Considérons par exemple la façon dont Kim résume une cosmologie contemporaine qui
entend faire droit à la notion d'émergence :
[The doctrine of emergent evolution] holds that, although the fundamental
entities of this world and their properties are material, when material processes reach a certain level of complexity, genuinely novel and unpredictable
properties emerge, and that this process of emergence is cumulative, generating a hierarchy of increasingly more complex novel properties.
Thus
emergentism presents the world not only as an evolutionary process but
also as a layered structure - a hierarchically organized system of levels of
properties, each level emergent from and dependent on the one below (Kim,
1992, p. 120)
59
.
D'un point de vue métaphysique, cette citation de Kim se laisse reformuler ainsi :
Il y a des entités
qui possèdent certaines propriétés
qui sont caractérisées par certains processus
et qui appartiennent à un certain niveau de la réalité.
L'avantage de la cosmologie du Carré ontologique est de donner une véritable consistance à cette vision du monde, et ce, de façon très simple :
Les entités dont il est ici question correspondent aux objets ,
Les processus correspondent aux phénomènes Les niveaux de réalité correspondent aux conditions .
57. Pour paraphraser Armstrong : I do not think that there is any infallible way of deciding what
are the true [conditions]. It seems clear that we must not look to semantic considerations [...]. Better,
I think, is a posteriori realism. The best guide that we have to just what universals there are is total
science (Armstrong, 1989, p. 87)
58. Et uniquement moderne, c'est-à-dire depuis le XVIII
e
siècle, époque à laquelle le concept de
nature a changé. Voir Laqueur (1992). Ce qui prime dans la conception moderne de la nature, c'est
l'idée d'un plus grand xisme et d'une discontinuité radicale entre des états de la nature.
59. Il est vrai que Kim critique cette vision du monde. Il serait néanmoins de la retrouver quasiment
telle quelle chez les philosophes émergentistes. Voir par exemple Lowe (2008).
39
Une deuxième qualication de cette cosmologie serait sa radicalité. En particulier, dans
tout le débat moderne centré autour de la question de l'émergence et au sein du panel
qui va du matérialisme au dualisme en passant par le physicalisme non réductif, une
telle cosmologie apparaît comme étant située à un extrême et comme étant radicalement réfractaire à toute entreprise réductionniste. Parce qu'elle prend au pied de la
lettre et avec un sérieux métaphysique cette notion de niveaux de réalité en la fondant
ontologiquement dans la notion de contions naturelles, on a pu qualier un tel type de
réponse de réponse fondamentaliste (sic
60
). On notera ici les connotations négatives
dont ce terme est chargé. Par honnêteté intellectuelle, il semble même qu'il faille jusqu'à concéder le point suivant : à cause de la cosmologie qui la sous-tend, cette position
métaphysique s'avère relativement proche d'une version sophistiquée du créationnisme.
Le créationnisme part du constat suivant : le monde physique, biologique et animale
se caractérise par des ensembles relativement homogènes, équilibrés et relativement dans
le temps (les espèces animales, les éléments chimiques, etc.). Ce qui dénit le créationnisme, c'est l'explication qu'il entend donner à ce constat : (1) ces ensembles dérivent
d'entités
ad hoc,
les conditions naturelles (2) ces conditions naturelles proviennent di-
rectement d'un acte créateur.
La [biologie] systématique d'Aristote à Darwin, s'adressait à des groupes
naturels, c'est-à-dire créés et (plus ou moins) constants, de plantes et d'animaux. ces groupes diéraient entre eux par des essentiae, des idées au sens
biologique du terme, qu'ils matérialisaient et à leurs formes étaient associées
des âmes, caractéristiques de chacun d'eux (De Wit et Baudière, 1994,
p. 64).
Notons le point suivant : le créationnisme commence là où le carré ontologie arrête sa
réexion. Il permet en eet de donner une réponse à une question laissée en suspens
par la cosmologie du carré ontologique puisque, dans le carré ontologique, le fait qu'il
60. Voici comment Bird dénit le fondamentalisme : More generally we may identify natural kind
fundamentalism, which is that version of natural kind realism which holds that not only are there
natural kinds (as entities), but also that natural kinds nd a basic and sui generis place in our ontology
[...] Contrasting with Armstrong, E. J. Lowe takes natural kinds to be entities (1998, 2006a, 2006b).
Thus Lowe is a natural kind realist.
Furthermore, to form an irreducible ontological category (one
category in his four-category ontology) -
hence he is a natural kind fundamentalist
(Bird et Tobin,
2008, sec. 1.3, nous soulignons). Autrement dit, le fondamentalisme métaphysique serait dénit par
la reconnaissance d'une certaine catégorie ontologique. Il nous semble toutefois que c'est confondre la
réponse avec la question. Ce qui dénit le
natural kind fundamentalist
et le motive, c'est d'abord la
volonté de prendre au sérieux la notion de niveau de réalité , raison pour laquelle il admet ensuite
dans son ontologie la notion de
natural kind .
40
existe plusieurs conditions naturelles est un fait ontologique brut, quelque chose que
l'on constate mais que l'on explique pas. Ici, ce fait brut devient expliqué à la lumière
d'un acte créateur. Il s'agit, certes, d'un
deus ex machina,
donc d'un paralogisme.
Cette réponse a cependant le mérite de reconnaître la limite du carré ontologique et
d'en proposer une solution. Pour nuancer les connotations négatives de ces termes de
fondamentalisme et de créationnisme, notons enn les qualités de cette cosmologie :
1. Cette vision du monde s'intègre dans le cadre du carré ontologique, qui est un
paradigme de la métaphysique moderne.
2. Elle est, des visions du monde qui s'eorcent de rendre compte de la richesse et
de la diversité de la réalité qui nous entoure, la vision plus intuitive.
3. Cette vision du monde n'est pas, de soi, incompatible avec les résultats de la
science moderne.
Chacune de ces trois nuances mériterait une plus ample justication. C'est toutefois sur
le simple aspect de l'explicitation formelle que nous placerons notre réexion.
2.3.2 Explicitation de l'hypothèse
Ayant justiée l'hypothèse cosmologique dont est grosse la métaphysique du carré
ontologique, et nonobstant ses connotations négatives, nous en explicitons maintenant
les conséquences.
La notion de survenance
Une première question concerne l'introduction des
nuances modales : il est nécessaire que ()
et il est contingent que (♦).
Une
première option consisterait à suivre Cocchiarella et sa cosmologie qu'il qualie d' essentialiste 61
. Pour le partisan de l'essentialisme, un individu instancie de façon essen-
tielle la condition à laquelle il appartient. Autrement dit, l'essence d'un objet, ce qui
explique son identité même, c'est sa condition. D'où cette première caractéristique :
∀x∀γ I(Γ, x) → I(Γ, x).
1
Tout objet qui instancie un condition l'instancie de façon nécessaire .
61.
Cocchiarella se réclame d'Aristote en armant que les formes aristotéliciennes sont des uni-
versaux (Cocchiarella, p. 290). Toutefois, sur la diérence entre la pensée d'Aristote et le carré
ontologique, voir page 18. Cette note de bas de page est peut-être l'occasion de signaler le point suivant : pour Cocchiarella, le système approprié par l'essentialisme est le système de logique modale
S4.
41
Le point important est le suivant : la nécessité est fondée dans le rapport qu'entretiennent
objets et conditions. Lowe est-il un essentialiste, au Cocchiarella ? Dans certains passages, Lowe semble ne pas adopter une position essentialiste. Comme le note Kistler :
Particular objects,
e.g.
plants, essentially belong to their kinds : `It is true
of any particular oak tree that it could not have failed to be an oak tree'
(Lowe, 2002, p. 113) (Kistler, 2004, p. 151)
A l'inverse :
True, Lowe allows transubstantiation, an object changing in kind while continuing to exist as an object. `It appears to be metaphysically possible for
an individual living organism to start life as, say, a cat and yet to survive
a process of transmutation which turns it into a dog' (Lowe, 1998, p. 184)
(Kistler, 2004, p. 147)
Mais comment un objet (par exemple Socrate) peut-il instancier sa condition de façon
uniquement contingente (par exemple être un humain) ? Peut-être la raison est-elle la
suivante : pour Lowe, la catégorie ontologique des conditions comprend à la fois
des conditions articielles (il donne l'exemple de la statue dans Lowe, 2002)
et/ou des conditions naturelles.
Dire qu'un chat peut devenir un chien est peut-être alors motivé par le parrallèle suivant : un bloc de bronze peut devenir une statue. Nous adoptons donc la position
suivante : nous restreignons notre analyse aux conditions naturelles, pour lesquelles
nous avons vraisemblablement
I(γ, x) → I(γ, x) 62 .
Nous continuons par dénir la notion de survenance
63
que Cocchiarella (2007,
p. 284) appelle subordination stricte :
2
δ ≤ γ =def ∀x [I(δ, x) → I(γ, x)] 64
3
δ < γ =def (δ ≤ γ) ∩ ¬(γ ≤ δ)
(subordination)
(subordination stricte : survenance)
62. Voir pour une plus ample justication page 90. Voir aussi la diérence entre conditions naturelles
(
kinds ) et conditions accidentelles (species ) page 51.
63. La notion de survenance est ici prise dans son sens courant et non dans un sens technique. Voir
McLaughlin et Bennett (2005) : `Supervenience' and its cognates are technical terms. This is
not news; `supervene' is rarely used outside the philosophy room these days. But it occasionally is,
and when it is, it typically has a dierent meaning. It is typically used to mean `coming or occurring
as something additional, extraneous, or unexpected' (sec. 2.1).
64. Plus exactement, Cocchiarella introduit un nouveau foncteur
c
(il est causalement possible,
c'est-à-dire, possible en accord avec les lois naturelles qui existent) et déni la subordination à l'aide
de ce dernier foncteur :
et
c
δ ≤ γ =def C ∀x [I(δ, x) → I(γ, x)]
.
42
Nous mettons de côté la diérence entre
Par exemple, en dénissant l'homme comme un animal rational, on dira que l'humanité
est une condition qui survient à la condition animale (subordination stricte) car (1)
nécessairement, tout objet qui instancie la condition humaine instancie la condition
animale et, pourtant, (2) tous les animaux n'instancient pas nécessairement la condition
humaine. Plusieurs principes viennent développer cette notion de survenance :
4
∀δ∀γ (♦∃x I(δ, x) ∩ I(γ, x)) → ((δ ≤ γ) ∪ (γ ≤ δ))
Si un objet instancie deux conditions, alors soit ces conditions sont identiques, soit l'une survient à l'autre.
5
∀δ∃γ ((δ ≤ γ) ∩ ¬(∃θ γ ≤ θ))
Il existe une condition fondamentale
cette condition (summum
genus ).
γ
telle que tout ce qui existe instancie
Ce serait peut-être aujourd'hui la condi-
tion de corpuscule quantique.
6
∀δ∀xI(δ, x) → ∃γ (I(γ, x) ∩ ∀θ(I(θ, x) → γ ≤ θ)
Si un objet instancie une condition, alors il instancie une condition de laquelle rien ne survient (inma
specie ).
Passons maintenant des conditions aux propriétés. Pour cela, commençons par redénir
dans un sens restreint la relation de caractérisation
7
C
:
∀Γ∃γ C(γ, Γ) ∩ ∀σ (C(σ, Γ) → (γ = σ))
Ou encore
∀Γ∃γ! C(γ, Γ)
Autrement dit, une propriété ne peut caractériser qu'une seule condition. La notion de
caractérisation qui relie condition et propriété est donc prise ici dans un sens restreint,
à savoir la prédication
selon le propre 65
:
Le propre, c'est ce qui, tout en n'exprimant pas la quiddité [ici condition]
de la chose, appartient pourtant à cette chose seule et peut se réciproquer
avec elle. Par exemple, c'est une propriété de l'homme d'être susceptible
d'apprendre la grammaire [...]. En eet, on appelle jamais propre ce qui peut
appartenir à autre chose, par exemple dormir dans le cas de l'homme ; même
s'il se trouve en fait que, pour quelque temps, cet attribut lui appartient à
lui seul (Aristote, [1965], Topiques, 102 a 20).
Ainsi, dormir n'est pas le propre de la condition humaine mais le propre de la condition
animale. On dira donc que la propriété de dormir ne caractérise pas la condition
65. Aristote dans les
Topiques
humaine
distingue trois type de prédication : selon le genre, selon le propre et
selon l'accident [101b15].
43
mais la condition
animale.
Par exemple encore, en toute rigueur de terme, la propriété
d'avoir une masse ne caractérise pas en propre la condition
animale
mais la condition
matérielle. De même, la propriété de respirer ne caractérise pas en propre la condition
humaine mais la condition animale. Nous étendons maintenant la notion de survenance
dénie sur l'ensemble des conditions à l'ensemble des propriétés :
8
∆ ≤ Γ =def ∀x [E(∆, x) → E(Γ, x)]
9
∆ < Γ =def (∆ ≤ γ) ∩ ¬(Γ ≤ ∆)
(subordination)
(subordination stricte : survenance)
Ainsi la propriété d'avoir une conscience est une propriété qui survient sur la propriété
d'avoir une masse car tout objet qui exemplie cette première propriété exemplie aussi
cette deuxième propriété. Inversement, les propriétés qui satisfont le sixième critère
(critère de subordination) mais non le septième (subordination stricte) sont susceptibles
d'être des propriétés coextensives :
∆ = Γ =def (∆ ≤ γ) ∩ (Γ ≤ ∆)
10
(coextension)
Par exemple, la propriété d'avoir une masse (même nulle) et la propriété d'avoir une
vitesse (même nulle) sont coextensives, puisque tout objet qui exemplie l'une exemplie
aussi l'autre. Ou bien encore, la propriété d'avoir une température et la propriété d'avoir
une pression.
Emergence faible et forte
Nous pouvons maintenant redénir avec l'aide de ces
dernières formules la notion de propriétés émergentes. L'émergence, on s'en souvient,
découle, par hypothèse, des conditions. De là, une propriété
par rapport à une autre propriété
Γ
sera dite émergente
si elle satisfait le critère suivant :
C(δ, ∆) ∩ C(γ, Γ) ∩ (∆ < Γ) ∩ (δ < γ)
11
∆
(propriétés émergentes)
Par exemple, la propriété d'avoir une conscience émerge par rapport à la propriété
d'avoir un masse car
La propriété d'avoir une conscience caractérise en propre la condition humaine
tandis que la propriété d'avoir une masse caractérise en propre la condition physique
C(δ, ∆) ∩ C(γ, Γ).
Tous les objets qui exemplient la propriété d'avoir une conscience exemplie la
propriété d'avoir une masse. Autrement dit, la propriété d'avoir une conscience
survient par rapport à la propriété d'avoir une masse
∆ < Γ.
Cette condition humaine survient par rapport à la condition physique
(δ < γ).
L'émergence interprétée d'un point de vue ontologique (ici à travers la notion de condition) amène aussi à penser un volet historique : Consider that most everything we are
44
scientically interested in it did not exist at the moment of the Big Bang, and, therefore, that most everything we are scientically interested in had to emerge since that
time (Bickhard et Campbell). D'où le critère suivant, que Cocchiarella appelle
modal moderate realism
:
12
∀γ♦(∃xI(γ, x))
13
∀Γ♦(∃xE(Γ, x))
Autrement dit, l'ensemble des propriétés et des conditions qui existent est déni par
l'ensemble des propriétés et des conditions qui peuvent être instanciées étant donné la
structure causale du monde : The being of such a natural property or relation [or
condition] does not consist of its being a characteristic of some object at some time
or other, i.e., its being
in re,
but rather the causal possibility of its being
in re
- a
possibility that can be accounted for only by that property or relation having a mode
of being as such within the causal structure of the world . (Cocchiarella, 2007, p.
21). Cocchiarella oppose le
Le
moderate realism
modal moderate realism
au
moderate realism .
correspond au réalisme immanent proposé par Lowe : seules
les conditions qui sont actuellement instanciées existent.
Le
modal moderate realism
∀γ(∃x I(γ, x))
possède, quant à lui, une tendance platonicienne :
one should note that one thing that seems to keep a theory of uninstantiated
universals going is the widespread idea that it is sucient for a universal to exist
if it is merely possible that it should be instantiated (Armstrong, 1989, p.
80).
Il y a ici de la place pour une plus grande réexion métaphysique que nous reportons à un
deuxième chapitre (voir page 90. Ultimement, la multiplicité des conditions naturelles
restent cependant appréhendé comme un fait brut, et il est dicile de voir comment
une telle cosmologie peut ne pas déboucher sur une variante du créationnisme.
Nous revenons un instant sur la dénition des propriétés émergentes :
11
C(δ, ∆) ∩ C(γ, Γ) ∩ (∆ < Γ) ∩ (δ < γ)
Cette dénition doit être contrastée avec cette autre dénition :
14
C(δ, ∆) ∩ C(γ, Γ) ∩ (∆ < Γ) ∩ (δ = γ)
La diérence est la suivante : dans le premier cas, il y a un parallèle entre survenance des
propriétés et survenance des conditions. Dans le deuxième cas, ce parallèle n'est plus observé et la survenance des propriétés n'implique pas la survenance des conditions. Pour
distinguer ces deux cas, on parle d' émergence forte et dans l'autre d' émergence
faible .
45
Excursus : propriétés déterminables et déterminées
An d'expliciter cette
diérence entre émergence faible et émergence forte, nous partons de la notion propriété déterminable (notion due à Johnson, 1921) que nous présentons dans ce paragraphe. L'exemple paradigmatique des propriétés déterminées sont les couleurs particulière - le vert, le rouge, le jaune - tandis que l'exemple paradigmatique des propriétés
déterminables est la couleur en général. De ce point de vue, on dira que la propriété
être rouge se trouve dans une relation particulière avec cette autre propriété qu'est
être coloré et cette relation particulière est une relation de détermination. On dit
alors que la première est une propriété déterminée (determinate
la seconde est propriété déterminable (determinable
properties )
properties ).
tandis que
On dit encore que la
première est une détermination de la seconde.
Autrement dit, les propriétés déterminées sont toujours en relation avec une propriété déterminable. Il semble que ces propriétés vérient le critère énoncé plus haut :
C(δ, ∆) ∩ C(γ, Γ) ∩ (∆ < Γ) ∩ (δ = γ)
14
(∆)
exemplient la propriété d'être coloré (Γ) , mais non pas l'inverse, nous avons bien ∆ <
Γ. De plus, ces deux propriétés caractérisent vraisemblablement une même condition,
En eet, dans la mesure où tous les objets exempliant la propriété d'être rouge
à savoir la condition physiques : tous les objets qui ont une couleur et tous les objets
qui sont rouges sont des objets physiques :
C(δ, ∆) ∩ C(γ, Γ) ∩ (δ = γ).
De ce point de
vue, les propriétés déterminées seraient des exemples d'émergences faibles.
Avant de poursuivre ce parrallèle entre émergence et détermination, continuons notre
descriptions des propriétés déterminées, en nous inspirant, pour cela, de Funkhouser
(2006).
E(∆, x) → (∃Γ(Γ < ∆) → ∃Θ(Θ < ∆ ∩ E(Θ, x)))
15
An object instantiating a determinable must also instantiate some determinate under that determinable. Colored objects must be red or yellow or
blue, etc. No object is merely colored
p.2)
simpliciter
(Funkhouser, 2006,
66
E(Γ, x) → ∀∆(Γ < ∆ ∩ E(∆, x))
16
An object instantiating a determinate also necessarily instantiates every
determinable that determinate falls under. Every scarlet object is also red
66. Notons une légère divergence. Funkhouser opterait vraisemblablement pour la formalisation suivante :
E(∆, x) → ∃Γ(Γ < ∆ ∩ E(Γ, x)).
suivant : prenons un électron
propriété
∆
x
Cependant, cette formalisation admet un contre-exemple
et la propriété
∆
d'avoir un spin de 1/2. Il ne semble pas que la
admette de propriété déterminée qu'un électron puisse exemplier. Voir le principe 18.
46
and colored. (Funkhouser, 2006, p.2)
Nous ajoutons, à titre de propositions, les deux derniers principes suivants :
∀∆∃Γ ((∆ ≤ Γ) ∩ ¬(∃Θ Γ ≤ Θ))
17
Toute propriété déterminée admet une propriété déterminable qui n'est pas
elle-même déterminée.
∀∆∀x I(∆, x) → ∃Γ (I(Γ, x) ∩ ∀Θ(I(Θ, x) → Γ ≤ Θ)
18
Si un objet instancie une propriété, alors il instancie une propriété qui n'est
pas déterminable par une autre propriété.
Arrêtons-nous un instant sur ces deux derniers principes. (17). Cette propriété
Γ, déter-
minable mais non déterminée, est une propriété fondamentale ou, pour reprendre la
terminologie classique, une faculté . La faculté est aux propriétés ce que le
genus
summum
est aux conditions (quatrième principe). Prenons un exemple. Par rapport à la
propriété peser moins de cent kilos , la propriété peser environs trois kilos est
une propriété déterminée. En revanche, par rapport à la propriété peser trois kilos et
cinq cents grammes , cette dernière est une propriété déterminable. Le dix-septième
principe stipule que cette propriété peser environs trois kilos , comme toutes les propriétés, est la détermination d'une propriété fondamentale qui, elle, n'est pas
in ne
déterminée : cette propriété sera ici la faculté d' avoir une masse . penser , vivre sont, vraisemblablement, d'autres exemple de facultés, c'est-à-dire des propriétés déterminables mais non déterminées.
Γ, déterminée mais non déterminable, est une propriété opposée
aux propriétés ce que l'inma species est aux conditions : Par
(18) Cette propriété
aux facultés. Elle est
exemple, un électron peut avoir la propriété avoir un spin . Cette propriété peut être
déterminée : par exemple, avoir un spin de 1/2 . Cependant cette dernière propriété
ne peut être d'avantage déterminée.
Notons, pour terminer cet excursus, qu'il semble y avoir dans l'analyse de la détermination des propriétés place pour des développements ultérieurs :
Our familiar example of color will explain the point:
a color may vary
according to its hue, brightness, and saturation; so that the precise determination of a color requires us to dene three variables which are more or
less independent of one another in their capacity for co-variation; but in one
important sense they are not independent of one another, since they could
not be manifested in separation (Johnson, 1921, p. 181).
47
Autrement dit, pour Johnson, toute détermination d'une propriété se fait
certain aspect.
selon un
Par exemple, le rouge est une détermination de la couleur en fonction
de trois aspects : selon la valeur (l'amplitude lumineuse dénissant la couleur) ; selon
la saturation (la vivacité et la pureté d'une couleur) ; selon la teinte (les fréquences
engendrant l'impression chromatique). Ces trois aspects sont trois dimensions (de-
termination dimensions
) que toute couleur particulière possède et pour lesquelles elle
admet une valeur particulière, une détermination particulière
67
. Par exemple encore, la
propriété d'avoir une forme spatiale est déterminable selon trois dimensions (longueur,
largeur et profondeur).
Émergence faible
Nous revenons maintenant sur le rapport qu'il y a entre dé-
termination des propriétés et émergence faible des propriétés. Voici comment on passe
de l'une à l'autre notion. Toutes les facultés admettent des déterminations. Cependant,
certaines de ses déterminations peuvent sembler à ce point inattendues qu'elles donnent
l'impression d'être, non pas la simple détermination d'une faculté par ailleurs connue,
mais d'être une autre faculté caractérisant une autre condition : elle donne donc l'impression d'être une propriété émergente . Par exemple, la propriété pouvoir voir
grâce à un oeil est la simple détermination d'une autre propriété, celle d'être photosensible. Cependant, cette détermination a semblé à ce point inattendue que certains y
ont vu l'émergence d'une nouvelle propriété fondamentale. Il s'avère pourtant que cette
détermination est n'a rien d' exceptionnelle 68
.
Autrement dit, une propriété sera dite faiblement émergente (weak
erty )
emergent prop-
s'il existe une certaine continuité avec d'autres propriétés, à savoir un rapport de
déterminée à déterminable, et s'il existe, pour l'homme qui la découvre, une apparence
de discontinuité. Cette discontinuité n'est cependant pas fondée ontologiquement mais
dépend de notre capacité limitée de notre connaissance :
Weak emergentists grant that dierent sorts of causal interactions may appear to dominate `higher' levels of reality. But our inability to recognize in
these emerging patterns new manifestations
cesses
of the same fundamental pro-
is due primarily to the currently limited state of our knowledge. For
this reason weak emergence is sometimes called `epistemological emergence',
67. La notion de détermination devient alors réductible à la notion d'inclusion au sens topologique
(Funkhouser, 2006, p. 10)
68. L'évolution des espèces montre comment par deux chemins diérents le (plus ou moins) même
oeil apparaît et chez les encéphalopodes et et chez les mamifères. Voir Dawkins et Pyle (1991).
48
in contrast to strong or `ontological' emergence. (Clayton, 2006, p. 8, nous
soulignons)
La première occurrence de cette notion d'émergence faible semble en France être dûe à
Georoy de Saint-Hilaire travers sa théorie des analogues :
C'est ainsi que [Meckel] admet deux lois principales ; l'une dite de la variété
(mannichfaltigkeit ) et l'autre de l'unité (einheit ), qu'il nomme aussi loi de
réduction. Par sa loi de variété, il veut dire que la nature tend à manifester
constamment des diérences ; et par sa loi de réduction, que toutes ces
diérences se peuvent réduire ou ramener à un type uniforme. Or c'est
précisément ce que j'avais établi, et ce que j'ai fait connaître sous le nom
moins ambitieux de théorie des analogues.(Saint-Hilaire, 1822, p. 446).
En parallèle de cette notion d'émergence faible, nous dénissons la notion de condition
accidentelle (ca )
:
ca = {xi | E(Γ, xi ) ∩ (∃∆ ∀δ∀γC(δ, ∆) ∩ C(γ, Γ) ∩ (∆ < Γ) ∩ (δ = γ))}
19
Autrement dit, une condition accidentelle (ca ) n'est pas une substance universelle
(une condition
simpliciter )
mais un ensemble historique d'objets particuliers. Cette
diérence entre condition et conditions accidentelles correspond à la diérence que fait
Lowe entre
kinds
et
species
:
I do not accept the doctrine that biological natural kind terms have their
extension xed partly by evolutionnary descent. What I do accept is that the
dog species that exists on Earth has its membership xed by evolutionnary
descent [...]. However, I do not identify specie (in the biological sense) with
kinds.
Species have members, whereas kinds have instances : species are
collections, where kinds are universals (Lowe, 1998, p. 187)Sur la nécessité
de faire une telle distinction, voir la note de bas de page page 8. .
Autrement dit, à l'inverse de la notion de condition qui est une entité universelle, la
condition accidentelle correspond à un ensemble particulier d'individus et les individus qui la composent ont tous en commun d'exemplier une même propriété déterminée. Cette distinction pourrait paraître d'une ranemment technique superfétatoire. Il
semble cependant qu'il y ait nécessité à faire une telle distinction (voir la note de bas
de page, page 8).
Pour illustrer la dénition d'une conditon accidentelle, prenons l'exemple des espèces
biologiques pour illustrer notre propos.
49
(1) Au XVIIe, Les espèces biologiques (animales et végétales) étaient supposées être
avant des exemples d'émergences fortes. Ainsi, pour Linné, inventeur de la classication
biologique moderne, les espèces végétales étaient autant de
conditions
diérentes : ce qui
primait était la discontinuïté et le xisme entre les espèces. Aussi Linné, en même temps
qu'il inventa la classication biologique moderne fonda le créationnisme moderne. Linné
expliquait en eet ces espèces biologiques comme autant d'actes créateurs distincts. En
dénissant les espèces, il voulait en fait retrouver les conditions naturelles créés par
Dieu.
(2) Avec l'avènement du transformisme de Lamarck et de la théorie de l'évolution
de Darwin, l'accent est dorénavant mis sur la continuité : la notion d'espèce biologique
et la notion de condition deviennent dissociées
69
. L'espèce biologique devient alors in-
terprétée non plus comme l'émergence d'une condition mais comme l'émergence d'une
condition
accidentelle. Ces conditions accidentelles sont des ensembles historiques d'in-
dividus qui émergent lorsqu'apparaît une détermination particulière d'une propriété
fondamentale.
Reprenons maintenant notre dénition de la condition accidentelle. Dans le cas de la
condition animale
δ , supposons que la propriété fondamentale ∆ soit la faculté d' être
un organisme pluricellulaire . La détermination peut se faire en plusieurs étapes : (a)
la propriété d'être un chordé
Π,
(b) la propriété d'avoir plan d'organisation sagittal,
Γ, (c) la propriété d'être bipède Φ. A chaque fois cette propriété est un
exemple de survenance ∆ < Π < Γ < Φ. Néanmoins tous les individus qui exemplient
ces diérentes propriétés appartiennent tous à une même condition δ . Soit maintenant
les individus qui exemplient la propriété déterminée Φ : ces individus forment au sein
de la condition animale un ensemble particulier {xi | E(Φ, xi )}, à savoir l'ensemble des
frontal et pariétal
primates. Nous dirons alors que les primates forment une condition accidentelle
70
.
69. Ont-elles jamais été associées ? Notons que (1) la querelle sur le transformisme et le xisme date
d'après le XVIII
e
e
siècle, or, avant le XVII
siècle, le concept de nature était beaucoup moins gé et une
nature était susceptible d'évoluer (Laqueur, 1992) (2) dans les sommes de théologie médiévales,
il n'est pas évident que les espèces aient été xées
sub specie aeternitate .
Témoin Thomas d'Aquin
citant Augustin : les espèces animales ne correspondent pas à autant d'actes créateurs, n'ont été crées
qu'en puissance et non en acte et correspondent, non pas à l'ordre de la création, mais à l'ordre de
l'ornementation Thomas ([1888], I q. 72 a. 1).
70. Peut-on retrouver dans le cas des propriétés animales la notion de
determination dimensions ?
Peut-être n'est pas impossible. Avec la découverte des gradients en morphogénèse, on s'est aperçu que
l'évolution d'un embryon et, partant, la morphologie générale d'un organisme, avait un rapport avec
la manière dont certaines molécules chimiques (les gradients) étaient réparties dans la cellule oeuf
maternelle. On pourrait retrouver dans ces gradients l'équivalent des
50
determination dimensions.
Conclusion
Ayant présenté la métaphysique du Carré ontologique et sa forma-
lisation, ayant diérencié émergence faible et émergence forte, nous avons distingué
deux sortes de propriétés : les facultés (c'est-à-dire les propriétés déterminables non
déterminées) et les propriétés déterminées. En suivant la logique de cette distinction, il
semble qu'il faille aboutir à la distinction modale suivante : si, par exemple, la condition
animale est caractérisée de façon nécessaire par la faculté pouvoir se reproduire (en
supposant qu'une telle faculté existe), elle n'est caractérisée par la propriété pouvoir
se reproduire par mode sexué que de façon contingente, puisqu'il existe des animaux
qui ne se reproduisent pas de façon sexuelle. D'où, en guise de conclusion, les critères
suivants.
20
∃Γ (∆ < Γ) → ∀δ (C(δ, ∆) → ♦C(δ, ∆))
Si une propriété
∆ n'est pas une faculté, alors elle ne caractérise une condi-
tion que de façon contingente.
21
¬∃Γ (∆ < Γ) → ∀δ (C(δ, ∆) → C(δ, ∆))
Si
∆
est une faculté, elle caractérise de façon nécessaire une condition.
On notera enn que cette section a été plus formelle : c'est à dire que nous avons proposé
non pas une explication du phénomène de l'émergence mais comment celui-ci pouvait
s'inscrire dans la cosmologie du carré ontologique. En particulier, la distinction entre
condition, faculté et propriété déterminée suscitent (au moins) trois questions :
1. Sommes-nous toujours en présence de deux classes d'universel (les conditions et les
propriétés) ou en présence de trois classes d'universels (les conditions, les facultés
et les propriétés déterminées) ?
2. Avons-nous multipliés indûment les distinctions ontologiques ? En particulier, la
distinction entre condition et faculté est-elle redondante ? (Armstrong, 1980,
II, p.62).
3. Les propriétés déterminables peuvent-elles vraiment exister ? (Armstrong, 1980,
p. 117)
Pour voir si la hiérarchie des conditions telle qu'elle est proposée ici est ultimement
cohérente, ces trois questions devraient être approfondies.
51
3
Interprétation existentielle du carré ontologique
Le carré ontologique propose deux distinctions : la distinction, d'une part, entre
particuliers et universelles et, d'autre part, entre substances et caractéristiques. Trois
adjectifs qualient, au dire de Lowe, la quadripartition que le croisement de ces deux
distinctions engendre :
Cette partition est exhaustive : toute la réalité peut être décrite à l'aide du carré
ontologique.
Cette partition est fondamentale : elle ne peut être réduite à une partition plus
simple.
Cette partition est existentielle : elle amène à penser la distinction entre particuliers et universels, entre substances et caractéristiques en terme d'entités.
Arrêtons-nous sur le troisième qualicatif et conrmons-le par une citation de Lowe,
puisque c'est ce dernier trait qui nous occupera tout au long de deux prochains chapitres :
Everything whatever that does or could exist may be categorized as an
`entity' (Lowe, 2002, p.7).
D'après cette citation, le carré ontologique, comme tout les systèmes métaphysiques,
décrirait diérentes catégories d'entités, et, puisqu'une entité est ce qui existe ou peut
exister, nous qualions les distinctions du carré ontologique de distinctions existentielles .
Justions maintenant plus amplement ce dernier qualicatif. La prépondérance du
terme d'entité dans la littérature métaphysique contemporaine, et en particulier dans
celle de Lowe, provient de l'inuence de la métaphysique latine qui parle de l'ens .
Nous avions déjà noté, en parlant du grec
ousia,
les dicultés de traduction. La même
chose vaut évidemment pour ce terme latin. En particulier, nous notons les diérentes
sémantiques suivantes. En langage moderne, une entité est un être, c'est-à-dire, ce qui
existe, ce qui exerce un acte d'existence
71
. En latin, le terme d'ens n'a pas toujours
ce sens existentiel fort et sa signication apparaît comme étant plus oue, plus proche
71. Plus précisément, une entité est dénit comme ce qui existe mais dont l'existence est problématique. Voici la dénition qu'en donne
Dictionnaire historique de la langue française
: Entité est
introduit en philosophie avec le sens de l'étymon ; par extension, il se dit, avec une connotation péjorative, d'un concept abstrait que l'on considère à tort comme un être réel (1840), puis d'un objet concret
e
considéré comme un être doué d'une unité matérielle et d'individualité (XX ) . Rey, A
Le Robert, 1992),
s.v.
et al. (Paris :
entité. Autrement dit, le terme entité désigne quelque chose dont on pense, à
tort ou à raison, qu'elle possède les marques distinctives de l'existence. On reconnaît dans le défaut de
considérer à tort
x
comme un être réel la
misplaced concreteness
52
dénoncée par Whitehead.
en cela du terme moderne de réalité. Voici ce que dit Lallement à propos de ce dernier
terme :
Il faut savoir que réel comporte une double acception : en un premier sens,
réel s'oppose à fabriqué par l'esprit ; en un second sens, réel se dit de ce qui
existe actuellement (Lallement, 1955, p. 369).
Aussi, à rapprocher comme le fait Lallement le terme latin
lité
72
,
ens
ens
du terme français réa-
signie :
1. (Interprétation objectiviste) Soit quelque chose de simplement objectif, et par là,
on veut insister sur le fait qu'on l'a découvert et non pas inventé.
2. (Interprétation existentielle) Soit ce qui existe eectivement.
Autrement dit, quand Lowe arme que les partitions ontologiques qu'il propose dans le
carré ontologique décrivent diérentes catégories d'entités, si le terme d'entité est pris
comme translittération du terme
ens ,
Lowe peut vouloir dire
1. (Interprétation objectiviste) Soit que ces distinctions métaphysiques sont objectives.
2. (Interprétation existentielle) Soit que ces distinctions métaphysiques séparent des
choses qui, chacune, existent actuellement.
Inversement, si Lowe prend le terme d'entité dans son sens moderne, il faut exclure
la première interprétation au prot de la seconde. La question est donc la suivante :
laquelle de ces deux interprétations Lowe accepte-il ? Pouvoir répondre à cette question
serait d'un grand secours pour l'analyse détaillée du carré ontologique. Nous ne sommes
malheureusement pas en mesure d'y répondre avec l'évidence que nous souhaiterions.
Proposons encore cette citation de Lowe pour mettre en évidence notre hésitation :
Traditionally, most such systems are hierarchical in structure, having the
form of an inverted tree, the topmost category being that of
entity
or
being
in general. Anything that does or could exist is, it would seem, uncontroversially describable as an `entity' of some sort. (Lowe, 2002, p. 15, italiques
dans le texte)
La question est la suivante : quand Lowe dit qu'une entité est ce qui
peut
exister ,
comment faut-il interpréter cette existence potentielle ? S'agit-il
72. Qu'un tel rapprochement soit nécessaire, il sure pour s'en rendre compte de se rappeler l'opposition scolastique entre, par exemple,
esse existentiae
et
cette distinction par ailleurs, pouvoir distinguer ainsi deux
pas l'existence en acte.
53
esse essentiae. Quelque soit la valeur de
esse suppose que, de soi, l'esse ne signie
1. Soit de l'existence de possibilités (auquel cas il s'agirait simplement de souligner
l'objectivité de certaines possibilités pour en faire l'objet propre des systèmes
métaphysiques).
2. Soit des possibilités d'existence (auquel cas il s'agirait de ce qui n'existe pas en
acte mais pourrait exister en acte si telle ou telle circonstance était vériée).
Probablement, c'est cette deuxième interprétation qu'il faut privilégier : (1) dans Lowe
(2006b), Lowe fonde les possibilités objectives dans les essences, lesquelles, il ne cesse
de le répéter, ne sont pas des entités. Comment, de ce qui n'est pas une entité, pourrait
découler une entité ? (2) Il semble d'autre part que l'expression
may exist
dans ce
passage précédent ne soit qu'une allusion à la doctrine du possibilisme et uniquement
une concession temporaire de la part de Lowe. Dans le même livre (Lowe, 2002, p. 132),
Lowe dit en eet à propos de l'actualisme ( the doctrine that the only entities which
exist are entities which actually exist ) et du possibilisme ( the view that certain
possible entities exist which do not actually exist ) ceci : I shall not attempt to
resolve this dispute here, though my own sympathies lie with the actualist .
Concédons qu'il s'agit ici d'une simple conjecture exégétique et, probablement, imposer à la pensée de Lowe une distinction entre un sens objectiviste et un sens existentiel durcit sa position. Néanmoins, il nous semble que cette distinction soit nécessaire,
puisque, comme nous essayerons de le montrer dans la suite de ce chapitre, si une
entité est ce qui existe (interprétation existentielle) le système du carré ontologique
débouche sur une aporie. Nous faisons donc, quant à nous, l'hypothèse d'une interprétation existentielle tout au long de ce chapitre et nous étudierons ce qu'il advient du
carré ontologique sous cette hypothèse, en commençant par la première séparation entre
substance et caractéristique.
3.1
La séparation entre substance et caractéristiques.
Introduction : l'asymétrie ontologique
La séparation entre substance et ca-
ractéristique peut-elle être une séparation entre des types d'entités, c'est-à-dire une
séparation existentielle ? Pour nous engager dans l'analyse de cette distinction, il nous
faut commencer par décrire plus précisément ce qu'est une substance et ce qu'est une
caractéristique. Pour ce faire, nous reprenons la manière dont Dewan, commentateur de
Thomas d'Aquin, introduit ces deux notions. Pour Dewan, une substance est quelque
chose qui existe de façon absolue :
54
A substance, as such, simply is, absolutely (Dewan, 2006, p. 111)
73
.
Inversement, une caractéristique n'existe pas de façon absolue, mais dépend, quant
à son existence, de quelque chose d'autre qu'elle-même, à savoir, précisément d'une
substance :
Substance are not all that there is. There are all the things-which-happento-substances or things-which-are-found-in-substances - there are accidents
and movements [characteristics in the ontological square] and so on. However, all these others have being only in dependence upon substances.
If
other beings do not ow from the substance in which they have being, then
they ow from some other substance which is thus inuencing the substance
in which they are found.
on substance.
All the things that are depend for their existence
(Dewan, 2006, p. 110, nous soulignons)
74
.
La question est la suivante : que veut dire l'expression exister de façon absolue et
que veut dire l'expression dépendre quant à son existence ? Sans pouvoir tout de
suite répondre à cette question, notons pour l'instant une première caractéristique que
ces deux expressions suggèrent : au coeur de la distinction entre entre caractéristiques et
substances se trouve l'intuition d'une certaine asymétrie. Il peut s'agir d'une asymétrie
existentielle (une plus ou moins grande perfection dans l'acte d'être) ou une certaine
asymétrie causale (l'une étant, d'une certaine manière, cause de l'existence de l'autre),
mais il semble qu'il faille au moins concéder le point suivant : l'existence d'une substance
est une condition de l'existence d'une caractéristique.
Quelle est la force de cette condition et de cette asymétrie ? La question peut avoir
sa pertinence si l'on sait que l'idée d'une asymétrie ontologique n'est pas propre à la
distinction entre substance et caractéristique : comme nous le verrons, dans la version
la plus courante du réalisme (réalisme immanent), les entités universelles sont dites,
elles-aussi, dépendre d'autres entités. Il y a donc aussi, au coeur de la diérence entre
73. Quoique Thomiste, Dewan paraît ici bien proche de Descartes. Comme le note avec précision
Grenet [Descartes] tend à identier la substance avec son existence, et avec son attribut principal :
`per substantiam nihil aliud intelligere possumus, quam rem quae ita exsistit, ut nulla alia re indigeat
ad exsistendum' ;
l'existence
indépendante
dénit
donc
la substance . (GRENET, 1959, p. 103, nous
soulignons)
74. Nous avons cité Dewan. Nous pourrions encore citer Lowe qui s'inscrit dans une autre tradition :
Thus, a substance is often conceived to be an object that does not depend for its existence upon
anything else. (For example, Descartes asserts that `by substance we can understand nothing other
than a thing which exists in such a way as to depend on no other thing for its existence' (Writings,
vol. I, p. 210).) Again, properties are often said
possess them.
to depend for their existence upon the objects that
(Thus, Descartes also remarks that `we know by the natural light that a real attribute
cannot belong to nothing' (Writings, vol. II, p. 114).) (Lowe, 2009b, sec. 1).
55
particuliers et universels, l'idée d'une asymétrie existentielle. Quelle est alors la spécicité de la distinction entre substance et caractéristiques ? Peut-être celle-ci : il y a,
concernant les caractéristique vis-à-vis des substances, l'idée d'une dépendance ontologique
radicale
:
1. Soit un particulier instanciant une entité universelle : l'existence de ce particulier
est une condition
susante
mais non nécessaire pour l'existence de cet universel
75
.
2. Soit une substance possédant une caractéristique : l'existence de cette substance
est une condition
nécessaire
pour l'existence de cette caractéristique
76
.
Donnons un exemple pour illustrer ces deux types de dépendance. Soit une substance
douée de caractéristiques, par exemple, Socrate et son nez camus : (1) si Socrate cesse
d'exister, la condition humaine ne cesse pas pour autant d'exister mais (2) si Socrate
cesse d'exister, la courbure camus de son nez cesse d'exister
ex opere operato . Résumons
ceci ainsi :
Prop. O
Une caractéristique n'existe que parce que la substance qu'elle caractérise
existe.
Inversement, une substance ne dépend pas, quant à son existence, d'une caractéristique :
si Socrate se fait opérer du nez et que son nez est redressé, Socrate ne cesse pas pour
autant d'exister. Allons plus loin, l'expression d' existence absolue suggère qu'une
substance ne dépend d'aucune caractéristique pour exister, c'est-à-dire : une substance
serait une entité qui jouirait d'une indépendance absolue et pourrait exister en l'absence
de toute caractéristique.
3.1.1 Analyse logique de l'être
Univocité forte
L'objectif de cette partie est de voir si, étant donné l'interpré-
tation existentielle du carré ontologique (les substances et les caractéristiques sont des
75. (Dans l'hypothèse du réalisme immanent). Ce qui est nécessaire, c'est l'existence d'au moins
un particulier instanciant cet universel. Lowe appelle cette dépendance entre universel et particulier
dépendance non-rigide :
necessarily,
x
x
depends non-rigidly on the
exists only if there is something
z
such that
y s =df for some F, the y s are the F s and,
z is an F (Lowe, 2006a, p. 36).
76. Lowe appelle cette deuxième dépendance une dépendance rigide : x depends rigidly for its
existence upon y
=df
Necessarily, x exists only if y exists (Lowe, 2009b, sec. 1). Il peut sembler,
prima facie, étonnant de dire qu'une propriété, qui est un universel, dépendent rigidement, en tant que
caractéristique, d'une substance particulière. Ceci semble pourtant explicitement armé par Lowe :
But the properties do indeed need support in the sense that they are ontologically dependent entities which only exist as
the properties of that very individual substance
soulignons).
56
Lowe (2006a, p. 27, nous
entités qui existent en acte), nous pouvons orir une explication cohérente de l'asymétrie radicale par laquelle se dénit l'opposition entre substances et caractéristiques. Une
première diculté est la suivante : si l'existence des caractéristiques dépendent, dans
un sens fort, de l'existence des substances, en quel sens les caractéristiques sont-elles
dites exister ? Pour répondre à cette question, il nous faut nous plonger dans ce qu'on
a pu appeler l'analyse logique de la notion de l'être. Cette analyse entend répondre
77
à la question suivante : que signie, pour une entité, exister ?
Considérons une
première réponse :
Prop. 1
Pour toutes les entités, qu'il s'agisse des substances ou des caractéristiques, il
y a un seul mode d'existence.
Cette première réponse pourrait être appelée la thèse de l'univocité : lorsque nous
disons qu'une chose existe ( Socrate existe ) ou qu'une caractéristique existe ( il y
a une mauvaise odeur ici ), le verbe exister et la tournure de phrase il y a signient rigoureusement la même chose. Ou encore, l'existence de nos sensations a
le même sens que notre existence
position
par défaut.
tout court 78 .
Lowe arme que cette réponse est la
A propos de la réalité des évènements et des caractéristiques, il dit
en eet ceci :
Consequently, I shall assume in what follows that, contrary to this proposal,
a perfectly proper way to acknowledge the reality of events it to say that
they exist, and indeed, that all real beings or entities `exist' in precisely the
same sense of the verb, which I shall henceforth take to be perfectly
univocal.
(I acknowledge that the proposal which I am now dismissing merits more
discussion than I can aord to give it here, but I would also urge that the
position which I favor is, as it were, the `default' position, which should be
presumed correct unless it can be shown to be mistaken)
79
(Lowe, 2002,
p. 216, nous soulignons).
77. En langage scolastique, il nous faut chercher la quiddité d'une entité, où par quiddité, il faut
entendre le quod quid erat esse , le qu'est ce que c'est pour
x
que d'exister .
78. Il ne faut pas confondre cette thèse moderne de l'univocité avec la thèse médiévale de Duns
Scot : pour Scot, l'être est univoque, ce qui, pour lui, signie, non pas que les diérentes catégories
ontologiques ont un même mode d'existence, mais que des substances aussi disproportionnées que Dieu
ens communis .
et les créatures peuvent entrer dans une même catégorie ontologique celle de l'
79. La possibilité ici rejetée est celle qui est étudiée plus bas, dans la proposition 1.2. C'est peut-être
ici encore l'occasion de noter que cette thèse de l'univocité implique l'interprétation existentielle de la
notion d'entité. En eet, il ne peut y avoir d'interprétation objectiviste et d'interprétation existentielle
que si le mot d'entité est susceptible de deux sens diérents : soit il signie ce qui est objectif, soit il
signie ce qui exerce un acte d'existence. Dans cette citation, Lowe refuse d'admettre une pluralité de
sens à la notion d'entité. Donc, par défaut, c'est le deuxième sens, plus courant, qui sera retenu.
57
Pourquoi Lowe adopte-il cette position ? Il semble qu'il y ait, pour lui, une nécessité
ontological commitment
quanticateur existentiel, ∃, de
et que cette nécessité soit liée au débat sur le
de Quine. Pour
Quine, de même qu'il n'existe qu'un
même, il existe
un seul mode d'existence dépourvue d'ambiguïté. Ainsi, quoiqu'il en dise, Lowe semble
accepter cette phrase de Quine :
To insist on the correctness of the criterion [...] is indeed merely to say that
no distinction is being drawn between the `there are' of `there are universals',
`there are unicorns', `there are hippopotami' and the `there are' of `(∃x)',
`there are entities
x
such that' (Quine, 1961, p. 105).
Sans rentrer plus avant dans les motivations de cette thèse
80
, nous distinguons main-
tenant deux interprétations de l'univocité, à savoir, une interprétation forte et une
interprétation faible. Nous commencerons par l'interprétation forte (proposition 1.1)
avant d'étudier l'interprétation faible (proposition 1.4) :
Prop. 1.1
Il y a un seul mode d'existence pour les entités, que celles-ci soient des
caractéristiques ou des substances,
et ce mode d'existence est un mode d'existence
plein et entier.
Par qui a un mode d'existence plein et entier , entendons ceci : qui possède, en
propre, son existence ou encore qui possède, en raison de soi, l'existence . Aussi,
selon cette interprétation forte, Socrate en tant que substance particulière et la camusité
de son nez en tant que caractéristique possèdent tous deux leur propre existence.
Cette proposition est-elle compatible avec l'idée selon laquelle une caractéristique
dépend d'une substance ? Il semble que non. La thèse initiale (proposition 0) que nous
essayons de comprendre s'énonce en eet ainsi : une caractéristique n'existe que
que
parce
la substance qu'elle caractérise existe. Or, si l'existence d'une caractéristique dé-
coule obligatoirement de l'existence d'une substance, l'existence d'une caractéristique
doit être d'une certaine manière sensible à l'existence de cette substance. Autrement dit, son inhérence à telle ou telle substance doit être inscrite au coeur même de
son existence
81
. Or, si une caractéristique possède l'existence en raison d'elle-même,
elle acquiert une indépendance existentielle qui ne permet plus de penser son inhérence
80. En particulier, Lowe refuse que la distinction logique entre
quantiers
objectual quantiers
et
substitutionnal
puisse être d'une quelconque importance métaphysique. Pour une position diérente, voir
Haack (1978, p. 50)
.
81. This is because modes plausibly depend for their very existence and identity upon the objects
which possess of bear them. If a ball possesses a particular yellowness, than that very yellowness could
not be possessed by any other object and
could not exist un-possessed
unattached (Lowe, 2006a, p. 167, nous soulignons).
58
by any object, free-oating and
autrement que comme une condition imposée de l'extérieur. Le fait que les caractéristiques dépendent fortement des substances est alors appréhendé comme, au mieux, une
coïncidence ontologique que le métaphysicien se borne à constater mais qu'il ne peut
expliquer (comment le pourrait-il si les caractéristiques possèdent leur raison d'existence ?). De ce point de vue, l'interprétation forte de la thèse de l'univocité de l'être
doit être rejetée au prot de son interprétation faible.
L'existence dérivée
Avant de développer cette dernière interprétation, arrêtons-
nous toutefois un instant sur une position intermédiaire, position que nous appelons ici
la thèse de l'existence dérivée. Cette position s'énonce ainsi
Prop. 1.2
82
:
Il y a parmi les catégories d'entités, une seule catégorie dite principielle ,
c'est-à-dire un catégorie d'entité qui existe dans le plein sens du terme. Les autres
catégories ne sont alors dites exister que dans un sens dérivé.
Autrement dit, il existe diérents modes d'êtres et parmi ces modes d'être, il existe
un mode plénier d'où tout découle et duquel toutes les autres catégories participent.
Dans la mesure où Lowe (2002, p. 215-216) nous dit que c'est à Aristote qu'il faut
attribuer en premier cette position, c'est à ses écrits que nous nous référerons. Après
avoir comparé la notion de santé et la notion d'être, Aristote dit ceci :
De même aussi, l'être se prend en de multiples acceptions, mais, en chaque
acception, toute dénomination se fait par rapport à un principe unique [pros
hen ].
Telles choses, en eet, sont dites des êtres parce qu'elle sont des sub-
stances [ousia ], telles autres parce qu'elles sont des déterminations de la
substance, telles autres parce qu'elle sont un acheminement vers la substance [..] (Aristote, [1953]b, 1003 b 5)
82. Cette position est la position que Lowe écartait dans la dernière citation. Elle est encore appelée dans la scolastique, par opposition à la théorie de l'univocité, théorie de l'analogie . Dans la
littérature contemporaine, on parle plus facilement de sens ambiguë, voir de sens systématiquement
systematical ambiguity ) (systématiquement voulant dire, en fonction des catégories d'entités considérées ) (Loux, 1997). Le désavantage du terme ambiguë est toutefois de suggérer que la
ambiguë (
notion d'entité soit une notion équivoque. Ceci serait vrai si les diérents sens du terme entité étaient
totalement étranger l'un à l'autre, comme, par exemple, le sens du terme chien est diérent dans
l'expression un chien de chasse et un chien de fusil . Tel ne semble pourtant pas le cas, au
moins pour Aristote auquel nous nous référons plus bas : le sens
la
Métaphysique
pros hen dont il est question dans
Catégorie s 1b, laquelle
1003b5 semble avoir des anités avec la paronymie des
n'est ni la synonymie (univocité) ni l'homonymie (équivocité). Voir Happ (1971, p. 331-332).
Inversement, les analyses d'Aristote suggère plutôt la notion de sens dérivé, c'est-à-dire d'un sens qui
découle d'un certain rapport. D'où notre choix du terme dérivé .
59
Autrement dit, pour Aristote,
x
est une entité si
x
entretient un rapport avec quelque
chose qui fonction comme un principe - ici, la substance - et de ce rapport dérive l'appellation d'entité. Par exemple, la
couleur
est qualiée d'entité parce qu'elle se
rapporte à la substance comme ce qui l'aecte, le
devenir
est qualié d'entité car il se
rapporte à la substance comme étant le terme vers lequel il tend. Notons ici deux points
pour clarier cette thèse. (1) Sous l'interprétation existentielle de la notion d'entité, une
entité est ce qui exerce un acte d'existence. Dire qu'une caractéristique
x
n'est appelée
y, c'est donc dire que
caractéristique x. (2) Il semble
entité qu'à raison du rapport qu'elle entretient avec une substance
cette substance
y
est la raison de l'existence de cette
qu'il faille dire qu'une substance est dite une entité dans un sens premier, car, pour
elle, être une entité, ce n'est rien d'autre qu'être identique avec elle-même : elle est à
elle-même sa propre raison d'existence. Nous proposons en conséquence de reformuler
la position d'Aristote ainsi :
Prop. 1.3
Parmi les catégories fondamentales d'entités, il faut distinguer,
les substances : les entités qui possèdent en propre l'existence
les caractéristiques : les entités qui ne possèdent pas en propre leur existence.
Cette position d'Aristote est-elle acceptable ?
Salva reverentia ,
comme le note un com-
mentateur, le problème suivant apparaît :
On comprend, en eet, par les exemples même que donne Aristote, que
cette notion une, à raison du rapport à un (pros
pas intrinsèquement
hen ) ne se vérie
dans tout ce à quoi on l'applique. Ainsi la santé est
intrinsèque à l'être vivant, mais reste extrinsèque au climat, à la nourriture,
et même au teint et à l'urine. Dire que l'être se vérie dans l'accident [et la
caractéristique] à raison de son rapport à l'être de la substance, c'est donc
suggérer qu'il n'y a pas plus d'être dans l'accident [et la caractéristique] que
de santé dans le climat (GRENET, 1959, p. 141, italiques dans le texte).
Explicitons l'objection (Obj.) Le problème est le suivant : de ce que les caractéristiques
ne sont pas réelles
en elles-mêmes,
il semble qu'elles ne soient pas réelles
du tout.
Pouvons-nous imaginer la réponse suivante ? (Rép.) De ce que les caractéristiques ne
possèdent pas
tout
en propre
leur existence, il ne s'ensuit pas qu'elles ne possèdent pas
du
l'existence. On dira alors que les caractéristiques existent bel et bien (ce sont des
entités qui exerce un acte d'être) mais que cette existence leur est
donnée
et
causée
par les substances. Cette réponse consiste en fait à assimiler caractéristiques et entités
contingentes :
60
Tout ce qui est contingent ne possède pas de façon absolue l'existence.
[Donc,] tout ce qui ne possède pas de façon absolue l'existence n'a pas
de soi ce qui est demandé pour qu'il possède d'une façon ou d'une autre
l'existence
83
.
La substance sera ici assimilée à cette cause eciente qui explique l'existence des caractéristiques, c'est-à-dire des entités contingentes. Mais cette réponse est-elle satisfaisante ? Il ne nous semble pas (Obj.) : à supposer que les caractéristiques soit les entités
contingentes, que deviennent les substances ? Probablement ceci : les substances sont
des entités qui ne sont pas contingentes, c'est à dire des entités qui possèdent, en propre,
leur existence, donc des entités qui ont cette caractéristique traditionnellement réservée
à Dieu d'être des actes purs d'existence puisqu'elles trouvent en elles-même l'origine
et l'explication de leur propre existence
84
. Or certainement, ces substances particulières
que sont Socrate, Fido et un électron sont, elles-aussi, des entités contingentes, puisque
le sens commun nous enseigne (1) qu'elles auraient pu ne pas exister et (2) que leur
existence est nie (l'acte d'existence est une perfection qui, en soi, n'est pas limitée
mais possède une extension maximale : il faut donc que cette limite soit imposée de
l'extérieur). Il semble donc qu'il faille rejeter la proposition 1.2
85
.
83. Nous reprenons ici la dénition que donne Bonnet de laa contingence : Quidquid est contingens
ex se
est simpliciter indierens ad existendum. Quidquid
non habet
ex se
ex se
est simpliciter indierens ad existendum
quidquid requiritur ut non sit simpliciter indierens ad existendum (Bonnet, 1924,
p. 85, italiques dans le texte).
84. C'est d'ailleurs ici que Grenet situe la diérence entre Thomas d'Aquin et Aristote : Thomas
ne peut admettre que la substance soit l'être au sens tout à fait premier [...]. Bref, au lieu de dire que
tout ce qui est dit être est dit tel à raison de son rapport à la substance, Thomas préférerait dire
que tout ce qui est dit être est dit tel à raison de son rapport à Dieu. Il ne s'agit donc plus d'un
rapport d'inhérence comme celui de l'accident à la substance dans laquelle il a l'être, il s'agit d'un
rapport de dépendance causale : celui de la créature à l'égard du Créateur par lequel elle a l'être (GRENET, 1959, p. 141). Toujours dans la même perspective, on pourra se référer à Spinoza qui,
ayant déni la substance comme ce qui existe en soi et est cause de soi (ce dont l'essence implique
l'existence), conclue alors que toute substance est innie, c'est-à-dire limitée par rien. Spinoza pose
alors l'existence au plus d'une substance, Dieu.
85. Mentionnons la réponse de Grenet. En distinguant, à la suite de Cajetan, analogie de proportion
(
proportio )
et analogie d'attribution (
proportionalitas ,
ici le sens dérivé), Grenet utilise l'analogie de
proportion entre Dieu et les créatures pour sauver l'analogie d'attribution entre les substances et les
caractéristiques : Ce que l'acte pur et inni de l'existence par soi est à Dieu, cela, l'existence nie par
réception dans une essence faite pour exister en soi l'est à la substance créée, cela [aussi], l'existence
nie par réception dans
une essence faite pour exister en un autre
l'est à l'accident, et c'est ce rapport
partout semblable que désigne l'être en tant qu'être (GRENET, 1959, p. 164, nous soulignons). Il
n'est toutefois pas évident que la solution proposée ne soit pas autre chose qu'une simple reformulation
du problème à expliquer. L'essence , c'est-à-dire le quod qui erat esse , c'est le ce que signie
exister pour
x
. Dire que
x
ce que signie exister pour
a une essence faite pour exister dans un autre , c'est donc dire que
x,
c'est exister dans un autre , mais ceci est précisément ce qu'il faut
61
Univocité faible
Nous passons maintenant à la dernière option, l'univocité faible,
qui semble la seule option qui reste disponible. Commençons par dénir cette position :
Prop. 1.4
Il y a un seul mode d'existence pour les entités, qu'il s'agisse des substances
ou des caractéristiques, et ce mode d'existence est un mode incomplet.
D'après cette position, il n'y aurait donc qu'un seul mode d'être (univocité), et ce mode
serait incomplet (univocité faible). Par mode d'être incomplet , entendons ceci :
ce qui possède en propre seulement certaines marques de l'existence . Autrement
dit, certaines marques d'existence lui font défaut, mais non pas toutes. Autrement
dit encore, sous cette interprétation, substance et caractéristique possèdent leur raison
d'être en partie en vertu d'elles mêmes et en partie en vertu d'autre chose qu'ellesmême. Pour reprendre la terminologie de Frege, on dira que ces entités abstraites ont
un mode insaturé d'existence et qu'elles n'existent de façon pleine et entière qu'en
se complétant mutuellement.
Notons que cette position amène à relativiser l'asymétrie ontologique qui opposaient substances et caractéristiques et que nous avions qualiée de radicale. A propos
des substances, nous avions parlé plus haut d'existence absolue et d'indépendance
toutes les unes des
suivant : a priori, toutes
existentielle or, d'après cette position, les entités dépendraient
autres, y compris le substances. Concédons toutefois le point
les catégories ne sont pas pas incomplètes de la même manière car (1) il faut bien que
subsistent quelques diérences entre les diverses catégories d'entités et (2) s'il faut relativiser l'asymétrie entre substance et caractéristique, il faut bien qu'il en reste quelque
vestige
86
.
3.1.2 La théorie du substrat
Ayant opté pour l'univocité faible de l'existence, la suite de notre analyse devra
se poser, à propos de la substance comme à propos des caractéristiques, la question
suivante : quelles marques de l'existence possèdent-elles et lesquelles leur font défaut ?
expliquer.
86. Proposons, à titre d'essai, en reprenant la terminologie de Lowe adoptée plus haut (voir la note
page 56), la diérence suivante : (1) Les caractéristiques dépendent rigidement des caractéristiques,
c'est-à-dire que l'existence de la substance est une condition nécessaire pour l'existence des caractéristiques. (2) Les substances dépendant non rigidement des caractéristiques, c'est-à-dire que l'existence
d'au moins un caractéristique est nécessaire pour l'existence de la substance. Autrement dit, il ne se
rencontre pas dans le monde de substance qui ne soit accompagnée d'au moins une caractéristique.
Peut-être de cette manière une certaine asymétrie ontologique est conservée entre substance et caractéristique.
62
Toutefois, avant de poursuivre notre analyse dans cette direction, nous voudrions nous
assurer de l'ancrage de notre analyse dans le corpus métaphysique contemporain.
L'existence abstraite
Pour vérier la manière dont cette notion d'existence in-
complète se retrouve dans la littérature métaphysique contemporaine, nous la rapprochons maintenant de la notion d'existence abstraite (existence abstraite s'oppose alors
à existence concrète). Lowe dénit ainsi ce mode d'existence :
An abstract entity is conceived of as one logically incapable of enjoying a
`separate' existence - separate, that is, from some other entity or entities
- even though it may be separated `in thought' from that entity or those
entities (such separation `in thought' - a psychological process - seems to be
what such philosophers as Locke understood by `abstraction' ; but in calling
the entities thus separated `abstract', we are now invoking a
metaphysical
distinction, dened in terms of the impossibility of their separate existence).
(Lowe, 1998, p. 210, italiques dans le texte).
Abstraire
x
de
y
signie ici : séparer par la pensée
x
de
y
87
. A lire ce passage de
Lowe, on ne confondra donc pas la notion d'abstraction dont il y est question avec une
autre notion d'abstraction parfois utilisée : ce qui n'existe pas dans l'espace et dans le
temps . Notons que, pour Lowe, si l'abstraction est tout d'abord un processus cognitif,
ce n'est pas uniquement un processus cognitif : à ce processus cognitif, a-t-il soin de
préciser, correspond une distinction métaphysique. Plus précisément, pour Lowe, ce
processus cognitif est déni,
ex parte rei ,
par l'objet suivant : ce qui est abstrait n'est
pas simplement un aspect objectif de la réalité mais une entité, où par entité , il faut
entendre quelque chose qui jouit de l'existence (enjoying
existence 88 ).
Autrement
dit, il ne faut pas confondre les deux propositions suivantes :
87. On rapprochera encore ce processus d'abstraction du second type d'abstraction chez Thomas
d'Aquin, à savoir l'abstraction par composition et division : Dans le second cas, l'intellect sépare des
objets qui se trouvent habituellement ensemble dans l'expérience, mais que la pensée peut conserver
séparément après leur division (GREENWOOD., 1942, p. 131). La première abstraction (focalisation de la pensée sur
focalisation n'abstrait
x ) ne porte pas sur une entité mais sur
x de y, mais porte simplement sur x.
une formalité (la nature). De plus, la
88. Précisons ce que nous voulons souligner par une question : lorsque Lowe dit que an abstract
entity is conceived of as one logically incapable of enjoying a `separate' existence , sur quoi porte la
négation ? sur le fait qu'une entité abstraite est
ce qui peut jouir de l'existence ou sur le fait qu'une
de façon isolée ? le texte suggère de lui-même la
entité abstraite est ce qui peut jouir de l'existence
deuxième interprétation. Autrement dit, ce passage ne saurait être vue comme un rejet de l'interprétation existentielle de la notion d'entité.
63
1. L'existence d'une entité est indissociable de l'existence d'une autre entité mais il
s'agit de deux existences que l'abstraction peut considérer séparément.
2. Deux entités partagent un même acte d'existence et l'abstraction sépare ces deux
entités.
C'est la première option qui est ici considérée. Cette dernière option, étant donnée
l'interprétation existentielle de la notion d'entité n'est pas possible ici puisque, par
hypothèse, être une entité, c'est posséder une existence. Dire qu'une entité est abstraite,
c'est donc dire que nous avons séparé l'existence d'une chose d'autre chose dont elle ne
peut jamais concrètement être séparée. Une entité abstraite est donc quelque chose qui
jouit de l'existence mais jamais de façon isolée.
A dénir ainsi l'existence abstraite, il semble que nous soyons très proche de la notion
d'existence incomplète et nous proposons la relation suivante : l'existence abstraite est
à l'existence incomplète ce que l'eet est à la cause. L'eet est le suivant : l'existence
d'une entité abstraite ne peut être totalement séparée de l'existence d'autres entités.
La cause est la suivante : cette entité ne peut être totalement séparée car, à elle seule,
elle ne possède pas toutes les marques de l'existence nécessaires pour exister de façon
pleine et entière.
Nous nous posons maintenant la question suivante : dans le cadre du carré ontologique, quelles entités sont des entités abstraites ? Pour Lowe, sont, sans aucune doute,
des entités abstraites les universaux, qu'il s'agisse de conditions ou de propriétés
aucun doute aussi, les phénomènes
90
89
. Sans
. Reste la délicate question des substances parti-
culières, c'est-à-dire des objets : à lire attentivement Lowe, nulle part les objets ne sont
qualiés d'entités abstraites, voire, certains passages semblent indiquer le contraire :
But what about abstract particulars - do any objects in this category actually exists ? As regards [abstractness in the sens previously described], I
have already challenged the claim of some metaphysicians that tropes provide an example of such particulars - because I do not believe that tropes
can be seen as having determinate identity-conditions and so do not think
89. Concernant les conditions : Universals - or, at least, some universals, notably kinds - appear, as
we have seen, to qualify as abstract objects in both of these senses (Lowe, 1998, p. 219). Concernant
les propriétés : But the properties do indeed need support in the sense that they are ontologically
dependent entities which only exist as the properties of that very individual substance Lowe (2006a,
p. 27, nous soulignons)
90. This is because modes plausibly depend for their very existence and identity upon the objects
which possess or bear them.
If a ball possesses a particular yellowness, then that very yellowness
could not be possessed by any other object and could not exist un-possessed by any object whatever,
free-oating and unattached (Lowe, 2006a, p. 167)
64
that they can qualify as object at all. I allow that modes exists, but not as
objects. (Lowe, 1998, p. 220)
Le raisonnement semble ici le suivant : les modes ne sont pas des objets abstraits car ce
ne sont pas des objets. Autrement dit, le fait que les modes ne soient pas des objets est
utilisé par Lowe comme un argument pour dire que les modes ne sont pas des entités
abstraites. Cette citation peut donc être interprétée comme suggérant qu'aucun objet
n'est une entité abstraite. De ce point de vue, Lowe se distingue d'Armstrong qui, lui,
arme explicitement que les objets - qu'il appelle particuliers - sont des entités
abstraites
91
. Quelle position faut-il donc choisir ? Celle d'Armstrong ou celle de Lowe ?
Pour répondre à la question, supposons avec Lowe que les caractéristiques, mais non
les objets, soient des entités abstraites : dans ce cas, les objets seraient des entités
conceived of as one logically
capable
of enjoying a `separate' existence. La diculté
de cette position est cependant double :
1. Si l'existence peut être conçue comme signiant (1) soit une indépendance existentielle (2) soit une dépendance existentielle, l'existence est une notion qui admet
une pluralité de sens. Donc, il nous faut rejeter la thèse de l'univocité de l'existence, thèse à laquelle Lowe arme adhérer.
2. (1) Si les caractéristiques dépendent des objets en tant qu'entités abstraites et
(2) si les objets ne dépendent, quant à leur existence, d'aucune autre entité, nous
retrouvons ici la position de l'existence dérivée, dont nous avons dit qu'elle devait
être rejetée (et que Lowe lui-même rejette explicitement).
La conclusion semble donc la suivante : si Lowe refuse de considérer les substances
particulières comme des entités abstraites, il paraît extrêmement dicile de concilier ce
refus avec l'analyse logique de l'être qu'il admet par ailleurs. Qu'il nous faille rechercher
une solution, voilà qui paraît évident. Nous la chercherons en faisant un détour par
la métaphysique d'Armstrong, pour qui les substances particulières sont, comme les
caractéristiques, des entités abstraites.
Armstrong : un monde de faits
Pour clarier les concepts employés, nous
reprenons une distinction que Armstrong dresse entre les deux notions de thick par-
91. I do not suppose that those who accept that there are universals will nd it too dicult an
idea that properties and relations are literally, if un-mereologically, parts of states of aairs. But that
particulars should be in the same situation - tables and thunderstorms - may seem a strange, not to
say a ratbag, view. I think that the sense of is eased if we draw a distinction between the thin and
the thick particular [...] The thin particular is the particular considered in abstraction from all its
properties. (Armstrong, 1993, p. 433, nous soulignons)
65
ticular
thin particular 92 . Par dénition, nous dirons, avec Armstrong, que
épais (Thick particular ) est l'entité particulière qui existe concrètement,
et de
le particulier
c'est-à-dire le particulier avec toutes ses propriétés et tous ses phénomènes. Inversement, nous dirons que le particulier mince (Thin
abstraitement,
particular ) est le particulier qui existe
c'est-à-dire le particulier séparé de ses propriétés et de tous ses phéno-
mènes.
A vrai dire, il convient peut-être d'apporter une légère correction à la dénition
du particulier mince pour l'adapter au carré ontologique et respecter la distinction qui
y existe entre substance particulière et substance universelle. Aussi, nous redénissons
ainsi le particulier mince : par dénition, nous dirons que le particulier mince (Thin
ticular )
par-
est le particulier qui existe abstraitement, c'est-à-dire le particulier séparé de
ses propriétés,
de sa condition, et de tous ses phénomènes. Continuons maintenant à dé-
velopper un court instant la métaphysique d'Armstrong. Pour ce dernier, comme nous
l'avons dit, toutes les entités sont des entités abstraites qui se complètent mutuellement.
Leur synthèse formelle est ce qu'il appelle un fait ou un état de fait :
Let us advance to the proposition that states of aairs are all that there is.
It is not denied on things view that there are things - particulars - nor is it
denied that there are properties and relations. But it is denied that there
is anything that exists outside states of aairs.
It is denied that there is
anything that is not a constituent of one or more state of aairs.
[...]
If
states of aairs are all there is, then there are no bare particulars meaning
by this phrase particulars conceived to exist in independence of any state
of aairs. (Armstrong, 1993, p. 433)
Autrement dit, la métaphysique d'Armstrong se dénit (au moins) par les propositions
suivantes : (1) Les faits sont tout ce qui existe, c'est-à-dire, tout ce qui existe
tement.
(2) Dire que tout ce qui existe
concrètement
concrè-
est un fait n'empêche pas de dire
qu'il y a des entités autres que les faits : il y a en eet de la place pour des entités
abstraites.
(3) Dire que seuls les faits existent concrètement n'implique que les faits
soient des entités. Conrmons le dernier point qui pourrait paraître étonnant par une
citation :
I do not think that the recognition of states of aairs involves introducing a
new entity. At any rate, it seems misleading to say that there are particulars,
92. En plus de la note précédente, citons encore un autre passage d'Armstrong : Substratum plus
properties constitutes the thick particular.
Aristotle's primary substances - individual things, this
man, this horse - are thick particular (Armstrong, 1989, p. 60).
66
universals and states of aairs (Armstrong, 1980, vol. II, p.80).
Cette dernière armation d'Armstrong doit être comprise à la lumière de ce que nous
avons dit de l'existence dérivée. Si les états de faits étaient des entités qui existaient à
part entière et si les particuliers et les universaux étaient des entités abstraites, alors
nous serions très proche de l'analyse de l'existence dérivée et la position d'Armstrong
serait très probablement la position métaphysique suivante :
Prop. 1.3*
Parmi les catégories fondamentales d'entités, il faut distinguer,
les états de fait : les entités qui possèdent en propre l'existence
les substances particulières et les caractéristiques universelles : les entités qui
ne possèdent pas en propre leur existence.
Si tel était le cas, nous retrouverions alors,
mutatis mutandis ,
décrite dans la proposition 1.3 et qu'il nous avait fallu rejeter
Objet et substrat
93
la position d'Aristote
.
Reste maintenant à comprendre comment ce qui existe concrè-
tement peut ne pas être une entité, c'est-à-dire, peut ne pas exercer un acte d'existence.
La question se laisse reformuler ainsi : comment comprendre qu'en se complétant mutuellement, substances et caractéristiques ne forment pas pour autant une nouvelle
catégorie ontologique ? Peut-être pouvons nous suggérer la réponse suivante : il sut
de se rappeler la distinction qu'il existe dans le cadre du carré ontologique entre fond et
forme. Plus précisément, on dira que l'union des substances avec leurs caractéristiques
n'est pas une unité ayant une consistance ontologique propre, c'est-à-dire n'est pas une
union
réelle
mais est une union
formelle, c'est-à-dire encore, une union qui n'appartient
pas au contenu de l'ontologie et qui n'est pas une entité. On pourra alors rapprocher
cette notion d'existence concrète du lien formel de caractérisation et d'exemplication :
La caractérisation est l'union formelle entre objet et phénomènes.
L'exemplication est l'union formelle entre objets et propriétés.
93. Faisons l'hypothèse qu'un état de fait soit une entité. La critique serait alors la suivante : The
Γ, a, and P , where fact P is
Γ and a, not the resultant of some
Γ + a + (fact-producing principle of
error can be seen in this way: for Armstrong we have the three entities
to be the [phenomenon]producing principle of unication among
P=
P = Γ + a + P.
further unier among them. Now, according to Armstrong,
unication among
Γ
and
a).
Then by substitution,
Hence, fact
P
(on the left side)
is identical to something that is more than itself (the right side). Or alternately, [phenomenon]
a proper part of itself, or, fact
P
P
is
is ontically prior to itself. (Mertz, 2006, p. 33) Autrement dit,
pour Mertz, si nous disons que les constituants
Γ
et
a
d'un fait
P, bien que jouissant seulement d'une
P qui
existence incomplète, ont tout de même une consistance ontologique propre à eux, alors le fait
les unit, lui-même ayant une consistance ontologique, inclut à la fois sa propre consistance ontologique
et celle de ses constituants : il est donc plus que lui-même. La solution pour Armstrong, comme elle
l'était pour Aristote, serait de dire que
a
et
Γ
n'existe pas
67
du tout
et que seul existe le fait
P.
L'existence concrète est l'union formelle entre substances et caractéristiques.
Il nous sura alors, pour comprendre la position métaphysique d'Armstrong, de dire
ceci : cette existence concrète qui n'est qu'une union formelle, Armstrong l'appelle état
de fait . Revenons maintenant à Lowe. Cette manière de comprendre ce qu'est un état
de fait et de le dénir comme une union formelle entre substance et caractéristiques,
Lowe la refuse : comme nous l'avions signalé plus haut (voir page 15) et subtilité de
vocabulaire mise à part, les états de faits invoqués par Armstrong sont assimilés chez
Lowe à la catégories des phénomènes. Autrement dit, les faits restent assimilés à des
entités abstraites, et, toujours de ce point de vue, on ne pourra pas dire que le monde
soit l'ensemble des faits.
Facts, I suggest, are ways the world is - where by world, now, I mean
not Wittgenstein's totality of facts (everything that is the case) but rather
something, quite literally, more substantial : the whole to which all objects
belongs as parts, whether these be concrete objects existing in space and
time or abstracta [...] (Lowe, 1998, p. 244).
Ainsi, la réalité, pour Lowe, n'est pas constituée par l'ensemble des faits mais par l'ensemble des objets. Parvenu à ce stade du raisonnement, nous introduisons maintenant
une dernière notion qui nous permettra de donner une solution au problème qui nous
embarrasse dans la pensée de Lowe (comment comprendre que, pour lui, les objets ne
soit pas des entités abstraites ?). Cette notion que nous introduisons en guise de conclusion est celle de substrat. Nous l'utilisons en lieu et place de la notion d'objet telle
qu'elle était présente dans le carré ontologique. Ainsi :
substances
Réalité
universels
caractéristiques
conditions →
↓
instanciées par
particuliers
↓
substrats
.
→
caractérisées par
→
.
propriétés
↓
exemplif iées par
instanciées par
caractérisées par
↓
phénomènes
→
Dénissons ce que nous entendons par substrat et par objet. Qu'est-ce qu'un substrat ?
le substrat, c'est une catégorie d'entités abstraites, à savoir la catégorie des substances
particulières, c'est le
thin particular
d'Armstrong. Qu'est-ce maintenant que l'objet ?
l'objet, c'est ce qui existe concrètement et qui pourtant n'est pas une entité : c'est
68
le
thick particular ,
c'est-à-dire l'union formelle entre un substrat, une condition, des
phénomènes et des propriétés :
O(s, σ, P, Γ). Il n'est pas évident que Lowe admette une
telle distinction entre objets et substrat : ce dernier rejette en la thèse métaphysique
selon laquelle les objets seraient constitués par des substrats et des caractéristiques.
Their mistake is to think that we can only deny that an individual substance,
or particular object, is the sum of its particular properties or tropes by
that it somehow consists of these properties plus an
extra non qualitative ingredient, its substratum or bare particular (Lowe,
contemning, instead,
2006a, p. 27)
94
.
Concédons donc que cette distinction entre substrat et objet apparaît comme une déviation par rapport à la pensée de Lowe, déviation cependant minimale et nécessaire,
compte tenu de ce qu'il dit par ailleurs. En particulier, elle ore les avantages suivants
qui nous la font admettre comme un moindre mal :
Elle permet de comprendre pourquoi, selon Lowe, la réalité est composée de l'ensemble de tous les objets (si les objets sont qu'une catégories d'entités parmi
d'autres, pourquoi réduire le monde à l'ensemble des objets ?).
Elle permet de comprendre pourquoi, selon Lowe, les objets ne sont pas des entités
abstraites (mais ce sont les substrats qui remplissent ce rôle).
Enn, et surtout, elle permet de comprendre comment le carré ontologique est
compatible avec la thèse de l'univocité faible (le substrat existe de manière incomplète).
3.2
Problèmes liés à cette séparation
Nous avons essayé de montrer dans la section précédente comment, étant donné
l'interprétation existentielle du carré ontologique, nous avons été amené à distinguer la
notion de substrat, entité abstraite, de la notion d'objet, entité concrète qui unit de
manière formelle substance et caractéristique. Nous reprenons maintenant une question
laissée en suspens : quelles marques d'existence les substances et les caractéristiques
possèdent-elles ? et lesquelles ne possèdent-elles pas ? Nous nous intéresserons ici principalement au cas de la substance, sans parvenir, avouons-le, à donner à cette question
94. Dans un autre passage, Lowe semble encore identier substrat et objet : Remember, I introduced
the notion of material substratum as the notion of an item which provides ontological support for a
thing's properties.
But why shouldn't we say that it is
the thing itself
- the thing which
has
the
properties - which provides ontological support for those properties and which thus occupies the role
of `material substratum ' ? (Lowe, 1998, p. 193).
69
de réponse satisfaisante.
3.2.1 La substance considérée en soi
Nous procéderons en deux temps. Nous répondrons d'abord à deux objections contre
l'idée de substance qui ne nous semblent pas susamment fondées. Ceci sera l'occasion
d'analyser quelles sont les marques d'existence des conditions et substrats. Puis nous
nous poserons la question problématique de leur insertion dans le temps.
Les marques de l'existence
Rappelons deux points importants :
(1) Dans le carré ontologique, La substance est distinguée,
ex hypothesi,
des pro-
priétés et des phénomènes. Autrement dit, elle ne peut être décrite au moyen d'aucune
caractéristique et ne possède aucune propriété et aucun phénomène. La substance, dirat-on, c'est ce qui reste une fois enlevée toutes ses propriétés et tous ces phénomènes.
(2) La substance, quoique de catégorie ontologique diérente des caractéristiques, ne
peut pourtant exister absolument sans aucune caractéristique : c'est une entité abstraite.
On dit alors qu'elle dépend des caractéristiques, quoique non rigidement
95
.
La proposition suivante permet de résumer ces deux points :
Prop 2.
Une substance n'a pas,
de soi,
de caractéristique.
Liée à cette proposition, il est possible de voir une première marque d'existence manquante à la substance, qu'il s'agisse d'une substance particulière ou universelle : ne
pouvoir se manifester dans la réalité. En eet,
a priori,
ce qui se manifestent dans
la réalité, ce sont certains phénomènes et les propriétés qui se révèlent dans ces phénomènes
96
. Notons que cette proposition laisse cependant ouverte la possibilité pour
une substance d'être caractérisée : ce que cette proposition nie en eet, c'est qu'une
substance soit
d'elle-même
caractérisée, c'est-à-dire qu'elle soit à elle-même sa propre
caractéristique ou encore que sa caractéristique soit inhérente à son existence, mais elle
ne nie pas qu'une substance puisse être associée à certaines caractéristiques. On dira
qu'une substance est caractérisée en raison d'autre chose qu'elle-même. Dans la mesure
où il y un
a priori
négatif sur la cohérence d'une existence qui dépourvue de caracté-
ristique, commençons par étudier, pour les repousser, deux objections préalables. Une
95. On mettra cette dernière armation avec la notion de faculté développée dans le dernier chapitre
page 47. L'existence d'une faculté découle nécessairement de l'existence d'une condition. Voir aussi sur
la dépendance non rigide page 56.
96. Tout en admettant qu'il existe peut-être des phénomènes qui ne sont pas directement observables :
par exemple, les phénomènes mentaux. Sur le rapport entre phénomène et observabilité, voir page 13.
70
première source apparente de contradiction serait la suivante :
Prop. 2.1
Une substance a, de soi, la caractéristique de ne pas avoir de caractéristique.
Si tel est le cas, objectera-t-on, une substance ne peut être dépourvue de toute caractéristique. Il semble donc qu'il y ait contradiction. Pour répondre à cette objection, il
sura, une fois de plus, de se référer à la distinction opérée plus haut dans le carré
ontologique entre fond et forme
97
. Selon cette distinction, on dira que ne pas avoir
de caractéristique n'est pas une propriété ontologique
logique
formelle.
réelle
mais une propriété onto-
La source de la contradiction est ainsi enlevée et l'on dira que, si une
substance ne peut posséder de caractéristique réelle, elle peut néanmoins posséder des
caractéristiques formelles
98
. Cette manière de répondre semble valable et le point doit
probablement être concédé. Citons encore, si jamais besoin était, une autre manière de
répondre à cette objection :
Confusion about the distinction between sparse and abundant properties
underlies the following quick argument against truly bare particulars: `If
something had no properties, then it would have the property of having
no properties, and so it would have at least one property after all' (Sider,
2006, p. 8)
Sider, que nous citons ici, ne s'appuie pas, pour répondre à l'objection, sur la distinction
entre forme et fond mais sur une autre distinction, celle que beaucoup de philosophes
à la suite d'Armstrong font entre
sparse
et
abundant properties .
Pour qu'une propriété
soit une propriété abondante, il lui sut d'être désignée un prédicat doué de sens. Pour
qu'elle soit une propriété rare, il faut que son existence ait été conrmée par la science.
Autrement dit, ce n'est pas parce qu'un prédicat a un sens qu'il désigne une propriété :
seulement quelque rares prédicats découvert par la science désigne les authentiques
propriétés
99
. Sans vouloir ramener cette distinction à la distinction de Lowe, il est
probable que dans le cas de ce prédicat négatif qu'est ne pas avoir de caractéristique ,
97. Cf. page 21.
98. Une objection similaire serait la suivante : un substance a la caractéristique de pouvoir être
caractérisé, donc il n'est pas sans caractéristique. La relation de caractérisation est cependant une relation formelle. Voir aussi pour la transposition de cette objection sur la notion de tropes (phénomènes)
Hellwig (2008); Stjernberg (2003).
99. In the abundant sense of `property', each meaningful predicate corresponds to a property, so
if we could predicate `has no properties' of a thing, then that thing would indeed have a property
corresponding to the predicate.
Not so if `property' is intended in the sparse sense, for then `has
no properties' - like `is not red' and `is either red or round' - does not correspond to a property (Sider, 2006, p. 8) Pour Armstrong, voir la diérence entre
dans Armstrong (1989).
71
a priori realism
et
a posteriori realism
les deux distinctions (abundant
property
et
formal property ) se recoupent. Nous passons
à une deuxième source apparente de contradiction :
Prop. 2.2
Parce qu'elles n'ont aucune caractéristique réelle, les substances sont indis-
cernables.
Ceci est une conséquence de la deuxième proposition. En eet, en vertu de quoi pourraiton les discerner, si elles ne possèdent aucune caractéristique ? Notons toutefois que, en
tant que telle, cette proposition n'est pas encore une objection. Pour qu'elle le devienne,
il faut la prolonger ainsi : si deux substances ne peuvent être distinguées, elles sont
identiques et ne forment qu'une seule et même substance. Il y a donc au plus une seule
substance.
Pour répondre à cette question, il nous faut commencer à distinguer substances particulières (substrats) et substances universelles (conditions). Commençons par envisager
le cas des substrats. De quelle manière précise les substrats existent-ils ? Probablement
ainsi : si les substrats ne possèdent pas cette marque de l'existence qui est de
pouvoir
se manifester, ils possèdent néanmoins cette autre marque de l'existence qui est celle
d'être individué. Il parait dicile de pas concéder cette marque positive de l'existence.
Posons-nous maintenant cette question : cette caractéristique positive de leur existence
qu'est l'individuation ne semble-t-elle pas à elle seule susante pour éviter l'objection ?
Plus précisément, avec Sider, nous répondrons en niant la diculté :
The possibility of exactly similar particulars will be admitted by the defender of the substratum theory (who may well defend the theory precisely
because it allows this possibility.) So the substratum theorist will reject the
identity of indiscernibles; and why shouldn't she? (Sider, 2006).
Ce déni est-il acceptable ? Il semble que oui :
1. Rien ne s'oppose à ce que l'existence d'entités à la fois individuées et indistinguables soit métaphysiquement possible.
2. Parce que les substrats sont individués, ce n'est pas parce qu'ils sont indistinguables qu'ils forment pour autant un seul et même substrat.
Pour que cette dernière proposition soit vraie, il faudrait démontrer que l'identité qualitative (triviale dans le cas de substrats dépourvus de toute qualité) implique l'identité
numérique. Passons maintenant aux conditions. Il semble, à leur tour, que ce mode
d'existence doive leur être concédé : si les conditions ne possèdent pas cette marque
de l'existence qui est de
pouvoir se manifester,
72
elles possèdent néanmoins cette autre
marque de l'existence qui est celle d'être
déterminé intrinsèquement 100
: ni condition
animale ni la condition humaine ne sont individuées et pourtant l'une est intrinsèquement diérente l'autre. Or, cette caractéristique positive de leur existence ne sut-elle
pas, à son tour, pour éviter l'objection ? Elle nous permet en eet de nier le fait que les
conditions soient, d'elles-même, identiques entre elles donc indiscernables : tout au plus,
pourra-t-on dire qu'il existe une seule condition humaine puisqu'il est vrai que si une
condition humaine est indiscernable d'une autre condition humaine, elles ne forment
qu'une seule condition. Mais n'est ce pas la raison d'être des universaux ?
Des substances éternelles ?
Si ces deux premières objections peuvent admettre
des réponses plausibles, il semble toutefois qu'il faille admettre la diculté suivante :
Prop. 2.4
Les substances ne peuvent commencer ou cesser d'exister.
Commençons par démontrer cette proposition :
1
Par hypothèse, les substances n'ont, d'elles-mêmes, ni caractéristique, ni
phénomène, ni propriété.
2
N'ayant d'elles-mêmes aucune caractéristique, elles n'ont donc intrinséquement, aucune disposition intrinsèque, que cette disposition soit une puissance d'action ou de passion. Elles ne peuvent donc interagir entre elles
3
101
.
En particulier, si les substances ne sont pas soumis à la causalité, rien peut
causer leur existence ou leur disparition : elles sont donc éternelles.
Nous avions déjà évoqué cette diculté en parlant des conditions : comment expliquer
l'existence de telle ou telle condition ? Nous avions suggéré qu'il était dicile au carré
ontologique, quitte à tomber dans le créationnisme, de pas recourir à un
deus ex machina
pour expliquer l'existence des conditions. Dans la mesure où nous étudierons plus en
profondeur l'existence des universaux plus loin dans le chapitre (Voir page 87), dans la
100. Evidemment la cohérence de cette réponse suppose que les déterminations intrinsèques des conditions ne sont pas des caractéristiques. Précision importante : il ne s'agit pas de savoir si les conditions
sont discernables pour nous (donc si nous pouvons connaître leur détermination intrinsèque), mais si,
en elles-mêmes, celles-ci sont discernable. Sur la connaissance des conditions en tant qu'universaux,
voir infra page 96.
101. Nous avions signalé en début de chapitre que nous mettions de côté le lien entre causalité,
disposition et propriété. La précision suivante peut toutefois s'avérer importante : les philosophes
partisans du carré ontologique arment que les substances particulières exercent une causalité.
Mais ce qui est ici nié n'est pas tant le fait qu'une substance puisse exercer une causalité mais ceci :
n'ayant aucune caractéristique en elle-même, rien dans une substance n'ore susamment de prise à
quelque action ou à quelque passion que ce soit. Qu'est ce qui dans la substance pourrait expliquer
qu'elle soit inscrite dans l'ordre de la causalité ?
73
mesure aussi où il n'est pas courant de poser cette question à propos des substances
particulières (substrats), nous nous concentrons sur l'existence de substrats éternels et
nous essayerons de monter plus précisément la diculté à laquelle se heurte un système
métaphysique qui postuleraient l'existence de telles entités
102
.
Aussi proposons-nous de continuer l'argument, en nous concentrant sur les substances particulières (les substrats). Pour ce faire, nous nous inspirerons de Miller
(2002)
103
. Admettons par hypothèse qu'il existe (au moins) un substrat éternel et
appelons-le Socrate , en référence au Socrate historique. L'argument se poursuit
ainsi :
4
S'il existe des substances éternelles, il faut pour que cette notion, pour être
objet d'étude de la métaphysique, ait un sens. En particulier, il faut que la
proposition Socrate existe ait un sens.
Justions cette quatrième étape. Si la notion de substrat éternel n'a pas de sens, un
système ontologique ne saurait raisonnablement les postuler (en vertu du rasoir d'Occam). Il faut donc que cette notion ait un sens pour qu'elle soit admise dans un système
ontologique. Comment prouver que la notion de substrat éternel a un sens ? Probablement en regardant le statut logique de la proposition Socrate existe . Voici l'étape
suivante :
5
Pour que la proposition Socrate existe ait un sens, il faut qu'elle ait un
sens de tout temps, en particulier avant la naissance historique de Socrate.
Miller arme en eet que la proposition Socrate existe doit avoir un sens
aeternitate ,
sub specie
puisque son sujet est éternel. En particulier, il faut que cette proposition
ait un sens avant que Socrate ne naisse. Après tout, la naissance de Socrate n'est qu'une
caractéristique de Socrate et non Socrate lui-même
104
. D'où la nouvelle étape : soit
a
102. Voici ce que dit Mertz à propos des substrats : The causal powers of a particular, both passive
and active, are a function of its properties and relations. Having none of the latter, a bare particular
is causally inert, and, specically, it cannot be destroyed. But, as Campbell puts it, this is to introduce
an `a priori natural philosophy of the most incredible kind' (Mertz, 1996, p. 72, nous soulignons).
Nous retrouvons ici l'argument exposé plus haut, quoique restreint ici au seul cas des substances
particulières. Le jugement sur lequel ce passage aboutit est toutefois contestable et peut-être hâtif.
Certaines religions croient, précisément, dans de telles entités : la croyance en la réincarnation repose
sur l'éternité des substances. De même, la thèse de préexistence des âmes de Platon. Peut-être encore
certaines positions atomistes. L'expérience humaine montre donc que l'éternité des substances n'est
pas à ce point incroyable qu'elle puisse faire l'économie d'une réfutation philosophique.
103. Miller ne parle pas, dans son argumentation, de substrats mais d' essence individuelle .
104. Une remarque est ici peut-être nécessaire : un substrat éternel (Socrate) est-il dépourvu de toute
caractéristique avant sa manifestation historique (sa naissance) ? Si oui, le substrat ne satisfait pas au
critère de dépendance non-rigide car il peut exister sans jamais être associé à aucune caractéristiques.
74
un moment situé avant la naissance Socrate et soit A la proposition le terme `Socrate'
énoncé au moment
6
a
réfère au Socrate historique :
La proposition Socrate existe ne peut être une proposition ayant un sens
à un moment
a
que si la proposition A est vraie à ce moment
a.
Voici comment Miller justie cette étape qu'il arme être l'étape cruciale de son raisonnement : In outline, the argument to show that there could have been no such
proposition as `Socrates exists' before Socrates' conception can be stated very simply.
It turns on the uncontroversial claim that the possibility of a proposition `Socrate exists' at any given time depends on whether `Socrates' refers to Socrates at that time,
i.e.
whether `Socrate' refers to Socrates is true at that time . (Miller, 2002, p.
89) Autrement dit, pour que la notion de substrat universel ait un sens, il faut que
la proposition Socrate existe puisse avoir un sens, avant la naissance charnelle de Socrate. Or, celle-ci n'a de sens que si le sujet de la proposition Socrate existe ,
proposition possiblement énoncée avant la naissance de Socrate, réfère bien au Socrate
historique. En eet, quel sens cette proposition aurait-elle sinon ?
7
Si la proposition A a été vraie à un moment
pu empêcher cette proposition d'être vraie
8
a, après ce moment, rien n'aurait
105
.
Mais avant que Socrate ne naisse, il était possible qu'il ne naisse pas. Donc,
il était toujours possible que la proposition A soit fausse au moment
9
Si les substrats éternels existent, la proposition
A
a.
est vraie au moment a
(étape 5). Donc, il n'était pas possible qu'il ne naisse pas (négation de l'étape
7).
Nous aboutissons donc à une diculté : dans la mesure où les substrats ont une référence
historique, s'il existe des substrats éternels, cette référence historique devient nécessaire.
Dans la mesure où la référence historique xe une partie du sens d'un substrat, l'admission de substrats éternels dans une ontologique implique une certaine philosophie
fataliste.
Mais, dans ce cas, un substrat n'est pas une entité abstraite. Il faut donc que celui qui pose des
substrats éternels explique comment ces substrats peuvent de tout temps être déjà associés à certaines
caractéristiques. Notons toutefois que ceux qui invoquent la préexistence des substances admettent
généralement comme caractéristiques de ces substances d'être des pensées divines, ou d'être caractérisés
par d'autres propriétés similaires. Concédons donc que ce substrat éternel est donc caractérisé de tout
temps.
105. Nous renvoyons à Miller, 2002, p. 88 et suivantes pour leur démonstration.
75
Tentative de réponse
Probablement, la seule manière de répondre à la diculté
serait de nier la troisième étape du raisonnement (si les substances ne sont pas dans
l'ordre de la causalité, rien ne peut causer leur apparition et leur disparition). Pour
tenter une telle réponse, nous proposons à titre d'essai de rapprocher la notion de
substance de la notion de matière première et de nous inspirer de ce passage de Thomas
d'Aquin :
But in itself, insofar as [primary matter] is a certain being in potency, it
is neither generated nor corruptible.
This is clear from the following.
If
matter should come to be, there would have to be something which is the
subject from which it comes to be. [...] But that which is the rst subject
in generation is matter.
For we say that matter is the rst subject from
which a thing comes to be per se, and not per accidens, and is in the thing
after it has come to be. [...] Therefore, it is impossible for primary matter
to be generated and corrupted. But by this we do not deny that it comes
into existence through creation
106
Ce passage de Thomas repose sur la distinction entre devenir et exister et
entre causes du devenir et causes de l'existence 107
. Tandis que la causalité que
procurent les propriétés est une causalité liée au devenir (autrement dit, ils ne donnent
pas d'être, mais ils donnent d'être caractérisé de telle manière), ce qui est demandé pour
expliquer l'existence de la matière première comme des substrats ou leur disparition est
une causalité plus fondamentale, une cause d'existence, quelque chose qui donne à une
entité d'être et non pas simplement d'être tel.
Cette distinction peut alors être utilisée pour nier l'étape 3 du raisonnement : on dira
alors que ce n'est pas parce qu'un substrat n'a pas de propriété qu'on ne peut expliquer
son existence. C'est, de toute façon, une autre explication que l'on doit chercher. Cette
réponse peut-elle être admise ? Intuitivement, il semble qu'il existe de fait une diérence
entre être et devenir , entre être et être tel et donc, peut-être entre
deux types de causalité : une causalité inscrite dans le monde, exercée par les objets,
expliquée par leur propriétés et qui donne d'être caractérisé de telle manière et la
106. In Aquinas
(Phys., I, lect. 15, n. 139.), cité dans Lang (1998, p. 369).
107. Sur cette distinction, voir encore le commentaire de Dewan : The idea (and it is indeed
Thomas's) would be to explain the need for God as conserver by claiming that the proximate causes
of things, the lower agents, are merely
causes of coming to be, not causes of being.
This is why one
can take them away and still the eect. However, God is a cause of being, and so must stay around
and conserve things even once they have been produced Dewan (2006, p. 112, nous soulignons)
76
causalité métaphysique, plus fondamentale, qui donne d'être
108
. Resterait maintenant
une question : peut-on faire jouer à Dieu le rôle métaphysique de cause d'existence dans
le cas particulier de la substance ?
En ce qui concerne la matière première, notons que celle-ci n'est pas pour Thomas
une entité. Dire que la matière première existe pour pour Thomas, c'est simplement dire
que, si le premier moteur qu'est Dieu existe, le néant absolu n'existe pas mais tout est
référé à son existence, et, de ce point de vue, potentialité. Autrement dit, de l'existence
d'un premier moteur découle
ipso facto
l'existence de la matière première. Autrement
dit encore, l'acte créateur qui pose l'existence de la matière première n'est pas un acte
créateur particulier et déterminé mais une simple conséquence de son existence (création
est alors à rapporcher de la notion d'émanation plutôt que de la notion d'intervention
divine). Qu'en est-il des substrats ? La réponse semble plus délicate. Il y a en eet
une diérence entre la notion de matière première et la notion de substrat : la matière
première n'est pas, de soi, quelque chose d'individué (ceci explique d'ailleurs pourquoi
elle n'est pas une entité
Dieu s'apparente à un
109
). Autrement dit, si la création de la matière première par
deus ex machina ,
il est dicile de voir exactement où il se
situe. Inversement, si nous introduisons le fait qu'un substrat est individué, et si nous
voulons expliquer comment chaque individu n'existe pas éternellement mais apparaît
dans le cours du temps, il nous faut dire que chaque substrat particulier dérive d'un
acte créateur (non pas au sens d'émanation mais au sens d'acte historique contingent).
Cette réponse s'apparente donc beaucoup plus à un
deux ex machina, car elle multiplie
les actes créateurs, en en faisant le point de départ historique de chaque individu, qu'il
s'agisse d'un électron, d'une plante ou d'un homme
110
.
108. Il en reste comme un vestige dans la pensée de Lowe. Opposant substantial change avec
phase change , Lowe dit ceci : Normally, a `substantial change' is understood to be one involving
either the
ceasing-to-be
or the
becoming-to-be
of an individual substance. However, in what follows,
I shall simply take a substantial change to be one in which an individual substance either ceases to
instantiate a given substantial kind or else begins to instantiate such a kind, without prejudice to the
question of whether this change necessitates either the ceasing-to-be or the becoming-to-be of that
individual substance. Thus, if a change does involve the ceasing-to-be or the beginning-to-be, then it
will a fortiori count as a substantial change in my sense since it will be one in which that individual
substance ceases to instantiate any substantial kind (Lowe, 1998, p. 174)
109. Thomas reprend ici Aristote. Cohen résume ceci ainsi : But matter fails to be simultaneously
both chôriston and tode ti.
The matter of which a substance [an object] is composed may exist
independently of that substance [that object] (think of the wood of which a desk is composed, which
existed before the desk was made and may survive the disassembly of the desk), but it is not as such
any denite individual it is just a quantity of a certain kind of matter (Cohen, 2008, sec. 6).
110. Nous mettons de coté la question de la création de l'esprit humain.
77
3.2.2 La substance comme union de caractéristiques
Les caractéristiques
Après avoir décrit les marques de l'existence de la sub-
stances, nous décrivons maintenant les marques d'existence des caractéristiques. Une
première marque serait celle, par dénition, d'être caractérisé, c'est-à-dire d'avoir
une
détermination interne, une nature, que cette nature soit universelle dans le cas des propriétés ou particulière dans le cas des phénomènes
serait de
ne pouvoir exister seul,
111
. Leur marque négative d'existence
de ne pas subsister :
Substance are capable of independent existence.
But could, say, a `be-
tweenness' exist on its own, a relation without any terms ? The idea seems
ridiculous, whether the betweenness is a universal or a particular. [... As
for monadic characterisitc,] a trope of a particular mass or particular charge
seems nearly as insubstantial, as incapable of independant existence, as the
corresponding universal (Armstrong, 1989, p. 115).
Cette façon de concevoir les caractéristiques est ce que l'on a pu appeler historiquement
le modèle de l'inclusion ontologique que le slogan de Leibniz résumera :
in subjecto 112 . Selon ce modèle,
comme contenue dedans, référée
Ce en quoi une chose
une caractéristique est
possédée
predicatum inest
par sa substance, et
à elle :
réside comme dans un réceptacle
est dite avoir la chose :
l'airain possède la forme de la statue, et le corps, la maladie (Aristote,
[1953]a, 1023a7).
S'il est vrai que la forme et l'humeur sont pour Aristote des caractéristiques et que
l'airain et le corps sont des substances, ce que ce passage arme, ce que les premières
sont contenues dans les secondes. Soulignons ici un cas particulier, présent dans ce
modèle du
containment
: il s'agit de cette classe de caractéristiques que forment les
111. Concernant la nature particulière des phénomènes : but for tropes, it seems natural to say
that the trope is its particularized nature (Armstrong, 1989, p. 121). Encore une fois, il nous
faut admettre, sous peine de contradiction, que la détermination interne des conditions ne soit pas
une caractéristique. Nous mettons de côté cette question, en nous contentant de suggérer une piste :
la détermination interne des conditions est peut-être plus proche de la notion de programme ou
de structure (les conditions étant alors une sorte de programme naturel ou de structure
naturelle ) tandis que celle des caractéristiques est peut-être, quant à elle, plus proche de la notion
de qualité .
112. Voici comme Mertz décrit ce modèle : A commonsense, but misleading, model is that of containment, according to which a predicate is `present
in ',
`inhere
in ',
`immanent
in '
(Latin
immanere
: to inhabit it) its subject. Here the subject is conceived on the model of a whole that subsume its
predicates, the relation between subject and predicate being that of whole to part. In its naive form,
the model might be spatial containment as by a vessel, whereas in its more sophisticated, abstract
form, it might be that of the relation of elements to a containing class (Mertz, 1996, p. 19)
78
relations (les caractéristiques polyadiques). Selon ce modèle, il faudrait analyser les
relations comme étant contenues dans les substances qui leur servent de
d'esse
ad
et d'esse
in
des relations)
113
relata
(on parle
. Il y a toutefois de bonnes raisons de penser que
cette façon de réduire les relations à leur fondement substantiel soit déciente, voire,
que ces déciences amènent, ultimement, à remettre en cause le modèle de l'inclusion
ontologique Plutôt que de poursuivre ce argument en étudiant la validité de ce modèle
dans le cas particulier des relations
114
, nous voudrions abordons la cohérence du mode
d'existence des caractéristiques en nous posant la question suivante : qu'est ce qui
dans la substance, si celle-ci n'a aucune caractéristique, permet de dire que certaines
caractéristiques lui appartiennent ?
L'unité des objets
Nous nous inspirons dns cette section de Mertz (1996). Pour
apprécier la question, faisons en ressortir voir la nécessité. Celle-ci découle du fait qu'un
objet est quelque chose qui a une unité remarquable. On parle encore parfois d'unité
substantielle, où par unité substantielle , il faut entendre une unité qui persiste par
delà certains changements 115
. Autrement dit, il faut que les caractéristiques soient
reliées et unies entre elles dans un objet :
An object is not a collectable out of its properties or qualities as a crowd
is collectable out of its members. For each and every property of an object
has to be had by that object to exist at all. (p. 8 Martin, 1980)
116
Nous retrouvons ici la marque négative de leur existence : si les caractéristiques ne
peuvent subsister seules, c'est parce que elles doivent appartenir à une unité substantielle, unité qu'elles ne possèdent pas intrinsèquement, mais qu'elles reçoivent de l'exté113. On fait généralement remonter ce projet réductionniste à Occam (1347). La citation est ici de
son précurseur Pierre Auriol (1322) : In rebus non sunt nisi fundamenta et termini ; habitudo vero
et connexio inter illa est ab anima cognoscitiva (In
Sent. I.30.1,
cité dans GRENET, 1959, p. 119)
114. Voir TODO. La raison pour laquelle nous ne poursuivons pas cet argument ici est la suivante : il
semble que Lowe, avec d'autres philosophes, plutôt que de concéder l'objection préfère en déduire que
les relations ne sont pas caractéristiques
bona de ,
voire, ne sont pas des entités du tout. Voir Lowe
(2009c). C'est peut-être aussi la raison pour laquelle Lowe préfèrent parler d'un monde d'objets que
d'un monde de faits : un monde de faits est un monde de relations entre des substances tandis qu'un
monde d'objets est un monde de relations (formelles) entre des caractéristiques et des substances, donc,
potentiellement, un monde sans relations réelles.
115. Nous citons ici Lowe : I want to build in additionally the idea that objects have determinate
in virtue of their unity, countable entities (Lowe, 2006a, p. 75, nous souour pre-philosophical
intuition that familiar objects remain identical through change (Loux, 1998, p. 93, nous soulignons)
identity conditions and are,
lignons). Loux : One objection is that the bundle theorist cannot accommodate
116. De même, voir, pour les phénomènes et les propriétés, Lowe cité resp. page 58 et resp. page 64.
79
rieur d'une autre entité
117
. Autrement dit quelque chose doit expliquer le fait qu'elles
soient unies entre elles de façon substantielle.
Quel sera donc ce
principium unionis ?
Nous reprenons maintenant la distinction
entre objet et substance. Selon la distinction que nous avons opérée plus haut (voir page
68), un objet
a
est composé d'une union formelle entre un substrat particulier
condition particulière
σ
et des caractéristiques
Pi
et
Γj
:
a = O(Pi , σ, Πi , x).
x,
une
Dans la
mesure où nous avons que cette union était purement formelle, c'est-à-dire sans aucune
consistance ontologique, nous pouvons la rapprocher de ce que Mertz appelle un
linking
bare
et qu'il compare à un ensemble mathématique.
A bare linking would be the minimal and unconstrained unity of a list or
set. (Mertz, 2006, p. 33).
Cette comparaison entre union formelle et ensemble semble être
a priori
crédible : après
tout, une union formelle est une union qui n'a pas de consistance ontologique. Comment,
dans ces conditions, fonder quelque propriété que ce soit à partir d'une notion purement
formelle ? et quelle est alors la diérence entre l'union que réalise la notion d'objet et
l'union que réalise un simple ensemble ? De ce point de vue, un objet
la façon suivante
a
serait déni de
:
Prop. 3.1 a =def O(Pi , Πi , σ, x) = {Pi , Γj , σ, x}.
Cette hypothèse se heurte cependant au problème suivant : comment un ensemble
{σ, Pi , Γj , x},
c'est-à-dire une simple juxtaposition d'items, peut-il posséder une véri-
table unité ? comment expliquer que les caractéristiques soient reliées entre elles dans
cet objet ? Pour le voir, considérons la question du changement qui peut aecter un
objet.
a caractérisée par un phénomène de couleur verte (V ) et un taille
petite (P ) : a = {V, P, x} . Imaginons que cette pomme mûrit jusqu'à être rouge (R ). La
diculté est la suivante : un ensemble étant entièrement déni par ses éléments, a est
donc entièrement déni par V, P et x. Autrement dit, il sut qu'un des constituants de
{V, P, x} disparaissent pour que ce soit l'objet a qui disparaisse : lorsque le phénomène
R remplace le phénomène V, c'est la pomme a = {V, P, x} qui disparaît pour être
remplacée par une autre pomme b = {R, P, x}.
Soit une pomme
117. Autremement dit, l'unité d'un objet est distinct des caractéristiques de cet objet. Elles sont des
entités du côté du multiples et leur unité leur est imposée de l'extérieur par quelque chose de déjà
uniée, par une unité déjà constituée : All unication is accounted for by imposing what is
already a distinc singularity, and only in that aspect of which it is one, and in no respect in which it
is heterogeneous, it is a principle of unication. Unity ows from a prior one . (Mertz, 1996, p. 49)
80
{V, P, x}
{R, P, x}. Dans les deux ensembles, on trouve le même substrat x.
Précisons les choses. Considérons la pomme verte
et la pomme mûre
Peut-on dire que cet
élément est ce qui permet d'expliquer la permanence et la continuité entre la pomme
verte et la pomme rouge ? On dira alors que la pomme verte et la pomme rouge sont
une seule et même pomme car elles partagent un même substrat. Il est toutefois peut
probable que cette manière de répondre soit pertinente. Dire que la pomme verte et la
pomme rouge sont une seule et même pomme car elles partagent un même substrat,
c'est dire que le substrat est un principe d'individuation. Cependant, ce que nous recherchons ici n'est pas un
principium individuationis
mais un
principium unionis 118 .
Autrement dit, la question reste entière : qu'est ce qui explique que ce soient d'abord
les caractéristiques
a,
P
et
V
qui soient associées à un substrat
puis, que ce soient les caractéristiques
même substrat
P
et
R
x
dans un ensemble formel
qui deviennent ensuite associées à ce
x?
Radicalisons la question pour mettre en évidence le problème. Ce qui est en jeu
n'est pas simplement le problème du changement qui aecte les objets, mais c'est leur
constitution même : si l'union entre un substrat et des caractéristiques est une union
qui n'a pas de consistance ontologique, pourquoi le substrat
x
caractéristique plutôt qu'avec telle autre ? Soient des pommes
est-il associé avec telle
a
et
b
qui existent en
même temps. L'une est petite et rouge et l'autre, grande et verte : pourquoi avons-nous
{P, R, x}
{G, V, y} plutôt que {P, V, x} et {G, R, y} ? Voir même, pourquoi n'avonsnous pas {x}, c'est-à-dire, le substrat à l'état nu ? ou bien même {x; y} (dualisme
de substance) ou encore l'union de deux propriétés contradictoires {Rouge; V ert} ?
et
L'expérience nous apprend que de tels ensembles, de fait, n'existent pas (par exemple,
le fait que l'on ait jamais
{x} nous faisait parler de dépendance non rigide), voire, le sens
commun nous enseigne que de tels ensembles, de droit, sont impossibles et pourtant le
carré ontologique ore une description de la réalité dans lequel de tels ensembles sont
métaphysiquement possibles
119
.
bundle theory. Comme le note
substratum theory . It is not clear that the
118. On reconnaît ici l'objection que l'on oppose généralement à la
Loux, cette objection peut, en fait, aussi être adressée à la
diculty posed by the objection arises only for the bundle theorist. Although the central premise of the
argument (`Dierence of attributes entails dierence of bundles') was formulated in bundle-theoretic
terms, that premise is merely an instance of a more general principle governing the constituentwhole
relation [...].
But the substratum theorist no less than the bundle theorist construes the attributes
associated with an ordinary object as its constituents. (Loux, 1998, p. 93)
119. Ce qui semble, curieusement, être une possibilité que certains auteurs admettent. Commentant
Scot, Spade dit ceci : Likewise, an individual substance is really distinct from its accidents. Not only
can you have the substance without its accidents, that is, its separable accidents. You can also have
the accidents without the substance - at least by the power of God. Many people thought that his is
81
Autres tentatives
Il nous faut donc rejeter la dernière proposition et rechercher
quelque chose qui puisse expliquer l'union des caractéristiques avec un substrat dans
un objet. Mais quel autre solution peut-on proposer ?
Parce que nous avons dit qu'un objet n'avait pas de consistance propre, nous ne
pouvons pas chercher le principe d'une union substantielle du côté de l'objet
O,
c'est-à-dire du côté d'un ensemble formel.
On ne peut non plus la rechercher du côté des caractéristiques qui, par dénition,
ne peuvent causer l'unité substantielle de la substance à laquelle elles inhérent.
La réponse la plus probable est donc la suivante : le principe d'unité substantielle de
l'objet est à rechercher du coté du substrat. Considérons cette première solution : un
x est, dans un objet a, ce qui explique l'union des caractéristiques entre elles :
x = (Pi , Γj ), c'est à dire un pur lien entre des caractéristiques.
substrat
Prop. 3.2 a = O(Pi , Πi , σ, x) = {Pi , Γj , σ, (Pi , Γj )}.
Il semble toutefois ce pur lien entre caractéristique soit encore, à sa façon encore, un
bare linking
et donc que cette manière de concevoir les objets soit soumise aux mêmes
objections que précédemment
120
.
Il nous faut donc tenter une autre manière de répondre. Considérons par exemple
cette manière de concevoir un substrat :
manière d'écrire, que
(...)
x =def σ(Pi , Γj ).
On dira, pour justier cette
reète le rôle du substrat particulier qui unit des caractéris-
tiques entre elles mais que ce substat possède une certaine consistance puisqu'il instancie
une condition
σ.
(Autrement dit, cette manière de concevoir le rôle du substrat utilise
la distinction entre particulier et universel et en présuppose la validité)
121
.
Prop. 3.3 a = O(Pi , Πi , σ, x) = {Pi , Γj , σ(Pi , Γj )}.
Cette manière de dénir un objet et un substrat est-elle possible ? Pour faire justice
à cette réponse, qui ne manque pas d'une certaine justesse, commençons en citer les
avantages :
exactly what happens in the Eucharist (Spade, 1985, p. 328). La réexion devrait ici se poursuivre
sur la question de savoir quelle est le type de possibilité impliquée par la possibilité métaphysique. Qu'il
nous suse ici de rappeler que la position de Scot est motivée par des présupposé extra-philosophique
(assurer à Dieu une omnipotence totale).
120. En eet, ce substrat fonctionne comme un pur lien , c'est-à-dire un lien n'a aucune caractéristique ou aucune nature intrinsèque. Il se réduit donc à un simple lien nominal entre des caractéristiques,
c'est-à-dire, un lien formel : Having no intension contents [or no determinate contents] , these bare
linking easily evaporate from between the elements, and we end up with the miracle of a unied whole
of diverse elements with no uniers. (Mertz, 1996, p. 56).
121. Il s'agit peut-être de la position de Loux et de sa notion d' individuative universal
: We
have said that the kinds to which concrete particulars belong represent irreducibly unied ways of
being (Loux, 1978, p. 111).
82
1. Elle permet de comprendre pourquoi on identie souvent objet et substrat. Dans
l'ensemble
{Pi ,Γj ,σ(Pi , Γj )},
l'élément déterminant sur lequel le métaphysicien
Pi ou Γj mais l'unité substantielle de l'objet dont
le principe est σ(Pi , Γj ). De {Pi ,Γj ,σ(Pi , Γj )} à σ(Pi , Γj ), c'est donc bien le même
focalise son attention n'est pas
particulier, sous-entendu ici la même unité
122
, que le métaphysicien considère,
et il arrive du premier au second par un processus d'abstraction, passant ainsi,
comme nous l'avions dit, du
thick particular
au
thin particular .
2. Elle permet peut-être d'expliquer pourquoi un objet nous apparaît comme restant
le même malgré les changements qui l'aecte. Soit une pomme dénie par deux
phénomènes (elle est petite et verte)
{P,V,σ(P, V )}.
{P,R,σ(P, R)}. Peut-être
{P,V,σ(P, V )} et {P,R,σ(P, R)} pour
vient rouge :
Si la pomme mûrit, elle de-
y a-t-il susamment de continuité entre
pouvoir expliquer pourquoi nous avons
l'impression d'un seul et même objet demeurant à travers les changements.
Quoiqu'il en soit de ces avantages, divers inconvénients semblent cependant résulter de
cette hypothèse, qui empêchent de l'adopter :
σ(Pi , Γj ) avec la notation
écrivions P(x). Autrement dit,
1. On peut contraster cette façon d'écrire un substrat
développée plus haut page 30 selon laquelle nous
ce sont les caractéristiques qui sont prédiqués des substances et non l'inverse.
2. Si un substrat est ce qui unit des caractéristiques, il est lui-même une relation :
ne doit-il pas alors être classé dans les caractéristiques ?
3. On peut de plus se demander si le substrat
ristiques
Pi , Γj .
σ(Pi , Γj )
ne contient pas les caracté-
Autrement dit, cette dénition du substrat implique que, de soi,
un substrat possède des caractéristiques, ce qui par hypothèse doit être rejeté,
même à concevoir cette posssion comme une simple référence extrinsèque.
La conclusion semble être la suivante : si un objet est l'union formelle entre une substance et des caractéristique, un objet ne peut être pourvu d'une unité substantielle
forte.
La connaissance négative
L'argument précédent ne pose pas seulement un pro-
blème pour l'unité des objets et la manière dont on peut rendre compte de l'inhérence
122. Voir Dewan : The metaphysician, on the other hand, keeps his eye xed on substance as a
primary unit or indivisible (Dewan, 2006, p. 115) et encore Approaches to being and substance
always oblige us to talk about something at least conceptually slightly dierent. To talk about indivisibility is to shift the discussion at least into the domain of unity. [...] we easily see that it is one
and the same thing to preserve one's being annd to preserve one's unity (Dewan, 2006, p. 111)
83
des caractéristiques dans quelqu'autre entité : il pose aussi un problème pour la notion
de substrat lui-même. Pour le démontrer, commençons par considérer la proposition
suivante :
Prop. 3.3
Un substrat n'est pas, de soi, connaissable.
Voici comment Moltmann commente cette proposition :
In order for a substratum to play its role, it has to be bare, devoid of
properties. Then how can we know it? After all, what we experience are
properties: we look at the chair, touch it, and experience its redness, its
weight, its being warm, or cold, etc. (actually, even that we experience here
are properties is controversial, as we shall see, but let us pretend this is
the case, for the time being). But none of these experiences can testify a
substratum which, by denition, is devoid of properties, thus empirically
inaccessible (Moltmann, 2007).
Autrement dit, pour Moltmann, seules les propriétés sont source possible de connaissance. Peut-être ira-t-on jusqu'à concéder une certaine connaissance des phénomènes
(connaissance sensible), voire, une certaine connaissance des conditions (après tout,
nous avons bien une intuition de ce qu'est la condition humaine ou animale), mais ces
concessions sont ici sans importance. Le point important est en eet le suivant : n'ayant
en soi aucune détermination intrinsèque et aucune caractéristique, aucune connaissance
des substances particulières n'est jamais possible, pour la simple et bonne raison qu'il
n'y a rien à en connaître. Le point mérite d'être noté et même les partisans de la
substance le concède. Ainsi Locke :
I confess, there is another Idea, which would be of general use for Mankind
to have, as it is of general talk as if they had it; and that is the Idea of
substance, which we neither have, nor can have, by Sensation or Reection.
If Nature took care to provide us any Ideas, we might well expect it should
be such, as by our own Faculties we cannot procure to our selves . . . (Locke
cité
in
Newman (2000, p. 8))
123
.
123. C'est probablement ici que l'on mesure le mieux la diérence entre la tradition issue d'Avicenne et
la tradition issue de Descrates, tradition que Lowe, via Locke et le carré ontologique reprend. Dans cette
deuxième tradition, une substance est identiée avec son attribut principal qu'est l'existence. Dans la
mesure où l'existence n'est pas en elle-même un objet de connaissance, Locke, après Descartes ( je
connus que j'étais une substance ), précise qu'on ne connaît pas substance en elle-même. Inversement,
dans la première tradition, la substance n'est pas identiée à sa simple subsistence de laquelle il n'y a
natura,
rien à dire mais est identié à un autre de ses attributs, à savoir sa condition (
84
laquelle n'est
Dans la mesure où cette diculté avait déjà été confessée par Locke, nous nous inspirons
de ce dernier pour développer la réponse classique à cette objection. Il sut, dira-t-on
à la suite de Locke, de distinguer deux formes de connaissance : la connaissance positive
124
et la connaissance négative
125
. Voici alors comment Newman (2000) résume la
réponse de Locke : certes, Locke concède que l'on possède aucune connaissance
positive
des substances. Néanmoins, de ce que nous n'avons pas de connaissance positive des
substances, il ne s'ensuit pas que nous n'avons de connaissance
nous pouvons en avoir une connaissance
négative
126
du tout
des substances :
. Classiquement, la façon dont nous
appréhendons pour les connaître ces substances sera analysée ainsi :
The complex idea of a particular substance consists in (i) a united collection
of simple ideas, annexed together with (ii) the supposition of a supporting/uniting something (allowing for some dierence between the philosophical and the commonsensical version of the supposition) (Newman, 2000,
p. 19).
Autrement dit, nous connaissons les substances, non pas directement, mais indirectement, c'est-à-dire par les eets qu'ils produisent : non pas les substances
en tant que
substance, mais le substance en tant que cause. Parvenu à ce stade de la réexion, deux
questions doivent être posées :
1. Une telle connaissance est-elle justiée ?
2. Une telle connaissance est-elle possible ?
La réponse quant à la première question n'est pas évidente et les philosophes sont ici
d'avis diérents : pour Newmann, cette connaissance est justiée
127
; pour Armstrong,
pas une entité) : la substance, c'est l'acte d'être d'une condition. L'intellect, ayant pour objet formel
cette condition, connaît alors positivement la substance. Voir par exemple Thomas ([1888], IIa IIae
q.180 a.5 ad.2).
124. Par connaissance positive, entendons une idée claire et distincte, ayant un contenu : [...] which
, we have no clear, or distinct Idea of
Support we denote by the name Substance, though it be certain
that thing
we suppose a Support (Locke, [1690], II.xxiii.4, nous soulignons).
125. Par connaissance négative, entendons une idée confuse ou encore an obscure (i.e. non-clear),
confused (i.e. non-distinct), relative (i.e. non-positive) notion (Newman, 2000, p. 8). Voici, parmi
beaucoup d'autres, une citation de Locke mettant en évidence ce caractère apophatique de la substance :
So that of Substance, we have no Idea of what it is, but
only a confused obscure one of what it does.
(II.xiii.19, nous soulignons) .
126. De là, cette fameuse phrase de Locke à propos de la substance : [Substance] is but a supposed
I know not what, to support those ideas we call accidents (Locke, [1690], II, 23, 15).
127. Properly, then, the jargon of thinghood signals nothing more than that we regard the experienced union of co-existing items as somehow dependent - as more than accidental co-existences. This
is somewhat informative, even if false. But where substance-talk is intended to signify a substratum
demonstrable from accidents - qua dependent beings such talk is triing. (Newman, 2000, p. 21)
85
elle ne l'est pas
tons de côté
129
128
. Quoiqu'il en soit de la réponse à la première question que nous met-
, la réponse à la deuxième question semble, quant à elle, relativement
aisée. Pour Locke, la substance nous est en eet connue (1) comme quelque chose qui
supporte des caractéristiques, c'est-à-dire comme quelque chose qui donne aux caractéristiques d'exister, et (2) comme quelque chose qui unit ces caractéristiques entre elles
pour former un objet. Or, (1) nous reconnaissons derrière ce premier rôle une conception de l'existence qui rejoint l'analyse de l'existence dérivée, analyse que nous avions
rejetée. (2) Derrière ce deuxième rôle, nous retrouvons le
principium unionis
que nous
venons de rejeter. Il semble donc qu'il ne nous soit pas possible de connaître - même
négativement - ce qu'est une substance
Prop. 3.4
130
. D'où la proposition suivante :
Un substrat n'est pas, de soi, connaissable -
même négativement.
On voit donc pourquoi le fait que les substances ne puisse unir les caractéristiques ne
posent pas seulement un problème pour l'unité des objets et l'existence des caractéristiques, mais amène aussi à remettre en cause la notion même de substance. Certes,
dira-t-on, il s'agit là d'un argument épistémologique et non ontologique. De ce que
nous ne connaissons pas les substances, ne s'ensuit pas que les substances n'existent
pas. Il est toutefois possible de passer du premier type d'argument au deuxième type
d'argument en recourant au rasoir d'Occam.
3.3
Extension de la remise en cause : particulier et universel.
Après avoir remis en cause la séparation existentielle entre entité substantielle et
entité caractéristique, nous étudions maintenant la deuxième distinction du carré ontologique, à savoir la séparation entre entités universelles et entités particulières, tout en
gardant l'hypothèse de l'interprétation existentielle de la notion d'entité.
128. For Locke, the substratum, the factor of particularity, the thin particular, is a mere postulate,
even if it is one he said that the mind has to make. He called it `something I know not what' that in
some mysterious way support the properties of things. It was this rather unsatisfactory doctrine that
le to the British Empiricist suspicion of substance (Armstrong, 1989, p. 60)
129. Contentons nous à ce propos de suggérer une piste réexion : le fait que la connaissance du
principe d'unication soit une connaissance négative est attestée dans la tradition néo-platonnicienne
et on y trouvera peut-être de quoi asseoir la crédibilité d'une telle connaissance (hénologie apophatique).
130. Évidemment, il est toujours possible que le substrat remplisse un autre rôle que le rôle de support
et d'unication. Il est cependant dicile de voir lequel.
86
3.3.1 Introduction
Il est coutume d'appeler réalisme cette position métaphysique qui consiste à
postuler, en sus des entités particulières, l'existence de certaines réalités universelles,
qu'on les appelle formes , idées , propriétés , kinds
, essences , etc. Cette
appellation de réalisme peut cependant porter à confusion, tant il est vrai que, derrière
l'impression de monolithisme philosophique qu'une dénomination commune suggère, se
trouve en fait une grande variété de positions métaphysiques, souvent incompatibles
entre elles. Pour distinguer les diérentes sortes de réalisme, celles-ci ont pu alors être
qualiées de réalisme transcendant (Platon), immanent (Aristote), fortement immanent (Armstrong), faiblement immanent (Lowe), critique (Thomas d'Aquin), modéré
(Mertz), conceptuel (Cocchiarella), etc. Dans la mesure où notre hypothèse tout au
long de ce chapitre est celle de l'interprétation existentielle de la notion d'entité, nous
restreindrons pour l'instant notre étude aux positions réalistes compatibles avec une
telle hypothèse, c'est-à-dire aux positions réalistes dans lesquelles les universaux sont
appréhendés, non pas comme des simples notions objectives, mais comme des entités
existantes, ou pouvant exister en acte. Nous inspirant de cette citation de Platon, nous
qualierons désormais de platonicienne ces positions réalistes
131
:
Car je ne vois rien de plus clair que ceci, c'est que le beau, le bien et toutes
les autres choses de même nature dont tu parlais tout à l'heure existent
d'une existence aussi réelle que possible (Platon, [1968], 77a)
Le platonisme, tel que nous venons de le dénir, est, à son tour, susceptible de se
décliner en plusieurs variantes qu'il convient au préalable de distinguer. En nous aidant
de l'analyse logique de l'être donnée plus haut, nous proposons de les répertorier de la
manière suivante, que nous espérons être exhaustive :
Univocité forte : les entités universelles, comme les entités particulières, existent
de manière pleine et entière.
Existence dérivée : une catégorie d'entité tire son existence d'une autre catégorie
d'entité.
Univocité faible : les entités universelles, comme les entités particulières, sont des
entités abstraites.
131. Nous suivons ici Balaguer (2009, intro.) : Platonism is the view that there exist such things
as abstract objects where an abstract object is an object that does not exist in space or time and
which is therefore entirely non-physical and non-mental. Platonism in this sense is a contemporary
view. . Cocchiarella (2007) suit aussi une même terminologie.
87
Dans la mesure où il est dicile de s'appuyer sur quelque auteur pour développer
l'univocité forte des universaux, nous mettons de côté cette première option pour ne
considérer que les deux suivantes
132
. Concernant la deuxième variante, celle de l'exis-
tence dérivée, deux options sont en théorie possibles : soit ce sont les entités universelles
qui dérivent des entités particulières, soit, au contraire, ce sont les entités particulières
qui dérivent des entités universelles. On parle encore dans ce cas-là de participation .
Historiquement, il semble cependant que, depuis Platon, seule la deuxième option ait
été développée
133
. La troisième option connaît actuellement un regain de faveur, notam-
ment sous les plumes d'Armstrong et de Lowe. Restent donc comme options vivantes
pour la pensée de notre temps (Armstrong), l'existence dérivée
à la
Platon et l'univo-
cité faible. En référence à la terminologie moderne, nous appellerons ces deux dernières
positions respectivement le platonisme transcendant (Platon) et platonisme immanent (Armstrong et Lowe).
En parallèle de la question du mode d'existence des entités universelles, se pose aussi
la question de l'asymétrie ontologique entre universaux et particuliers. Nous la déclinons dans le cadre d'aborrd du platonisme transcendant, puis du platonisme immanent.
Dans le cadre du platonisme transcendant, cette asymétrie ontologique est radicale :
la distinction entre particuliers et universaux est telle que les entités universelles sont
pensées comme jouissant d'une totale indépendance existentielle. Elles existent de façon absolue , c'est-à-dire qu'elles peuvent exister tout en étant séparées des entités
particulières. Pour le dire autrement, être instancié par un particulier n'est pas une
caractéristique essentielle des universaux, et, dans la mesure où les universaux peuvent
132. Peut-être fut-ce, dans la philosophie contemporaine, la position de Russell : We shall nd
convenient only to speak of thing existing when they are in time, that is to say, when we can point
to some time at which they exist (not excluding the possibility of their existing at all time).
Thus
thoughts and feelings, minds and physical objects exist. But universals do not exist in this sens ; we
shall say that they subsist or have being, where being is opposed to existence as being timeless [...].
But the truth is that both have the same claim on our impartial attention, both are real and both are
important to the metaphysician (Russell, 1999, p. 71, nous soulignons). Si tel a jamais été son point
de vue, il semble toutefois que Russell en ait lui-même changé : I wish to suggest that `this is red'
is not a subject-predicate proposition, but is of the form `redness is here' ; that `red' is a name, not
what would commonly be called a `thing ' is nothing but a bundle of coexisting
qualities such a redness, hardness, etc (Russell, 1940, p. 97, nous soulignons).
a predicate ; and that
133. Platon : Mais si l'on vient me dire que ce qui fait qu'une chose est belle, c'est ou sa brillante
couleur, ou sa forme ou quelque autre chose de ce genre, je laisse là toutes ces raisons, qui ne font toutes
que me troubler, et je m'en tiens simplement, bonnement et peut-être naïvement à ceci, que rien ne la
rend belle que la présence ou la communication de cette beauté en soi ou toute autre voie ou moyen
par lequel cette beauté s'y ajoute ; car sur cette communication je n'arme plus rien de positif, je dis
seulement que c'est par le beau que toutes les belles choses deviennent belles (Platon, [1968], 100c).
Autrement dit, les phénomènes particuliers sont caractérisés à raison des universaux qu'ils instancient.
88
exister sans jamais devoir être associés à quelqu'entité particulière que ce soit, on parle
d'universalia
ante rem .
A l'inverse des entités universelles, les particuliers n'ont des
caractéristiques que dans la mesure où ils participent à ces universaux. C'est cette
asymétrie qui justie le qualicatif de platonisme transcendant.
A l'inverse du platonisme transcendant, le platonisme immanent ne postule qu'une
asymétrie relative et modérée : on y arme, certes, l'existence d'entités universelles,
mais ces entités se voient refuser une trop grande indépendance existentielle. Autrement
dit, les entités universelles n'existent que de façon abstraite - abstraite, non pas d'abord
au sens d'entités non-spatiales, mais abstraite au sens d'entités dont l'existence est indissociable de l'existence d'une autre entité (voir page 63). Autrement dit encore, les entités
universelles sont, concrètement, toujours associées et unies à des entités particulières,
quoique cette union reste à dénir. On parle alors du principe d'instanciation : seules
les entités universelles qui sont instanciées par des entités particulières existent. Tout
au plus, s'autorisera-t-on un certain degré de souplesse sur ce principe d'instanciation :
We certainly should not demand that every universal should be instantiated
now.
It would be enough if a particular universal was not instantiated now,
but was instantiated in the past, or would be instantiate in the future. The
Principle of instantiation should be interpreted as ranging over all time :
past, present and future. (Armstrong, 1989, p. 76)
134
.
Bref, être instancié et instancier sont ici analysés comme des conditions d'existence pour les entités universelles et particulières. En reprenant les termes utilisés plus
haut (Voir page 56), on parlera d'une dépendance non-rigide des entités universelles par
rapport aux entités particulières : il faut qu'un universel soit instancié au moins une fois
pour qu'il existe. Inversement, il y a probablement dépendance rigide des particuliers
vis à vis des universaux : si un particulier
instancie
y
et nécessairement
x
x
instancie un universel
existe seulement si
y
y,
nécessairement
x
existe (Voir page 41).
134. Une question pourrait se poser : la proposition la condition humaine existe peut-elle avoir
un sens avant que des hommes n'instancient cette condition ? On reconnaît ici la question que nous
nous posions à propos de la notion de substances éternelles : la proposition Socrate existe peutelle avoir un sens avant que Socrate ne naisse ? si oui, cette position n'implique-t-elle pas un certain
fatalisme ? Pour revenir aux universaux, Lowe note Plausibly, not even God could have created
the kind
horse
without creating some particular horses (Lowe, 1998, p. 218). Il faudrait voir en
particulier si l'argument que nous avions développé n'utilisait pas de manière implicite le fait que
Socrate renvoie à un particulier, et non à un universel.
89
Entrons maintenant dans le débat. Laquelle de ces deux options, du platonisme
immanent ou transcendant, faut-il retenir ? Pour les raisons suivantes, il nous a semblé
que nous devions centrer notre étude sur le platonisme immanent :
Concernant le statut ontologique des universaux, la dernière version de l'immanence qui sera étudié
135
semble n'entretenir avec le platonisme transcendant
qu'une diérence extrinsèque.
L'asymétrie ontologique radicale que le platonisme transcendant postule (les particuliers dérivent des universaux) ne peut être fondée ontologiquement que dans
le cadre de l'existence dérivée, cadre qui nous avait semblé être défaillant
Prima facie,
136
.
il semble que nous ne puissions pas connaître les universaux qui
n'ont jamais été instanciés : nous n'avons donc aucune raison de les postuler
(rasoir d'Occam).
3.3.2 L'immanence faible
L'immanence forte
Faisons l'hypothèse du platonisme immanent et supposons
qu'une entité universelle - qu'il s'agisse d'une condition ou d'une propriété - doive
nécessairement être instanciée par une entité particulière. Cette position métaphysique
est défendue par Armstrong ainsi que Lowe. Nous citons Lowe :
We can still say, indeed, that its its manner of existing is, in a perfectly good
sense, immanent (rather than transcendent), inasmuch as it exists only
or
through
in
its particular instances, precisely insofar as they instantiate it,
(Lowe, 2006a, p. 26, nous soulignons)
D'où le principe suivant, dont nous essayerons de développer la cohérence, sans pour
autant, avouons-le, y parvenir de façon pleinement satisfaisante :
Prop. 1
S'il existe des entités universelles immanentes, elles existent dans (exist
in )
les entités particulières qui les instancient.
L'expression importante ici est exister dans . C'est cette expression qui justie la
notion d'universalia
idées) et les
in rebus , par opposition aux universalia ante rem de Platon (les
universalia post rem (les concepts). Une première question qu'il nous faut
nous poser à propos du platonisme immanent est la suivante : que faut-il entendre par
to exist in ?
Une première proposition serait la suivante :
135. A savoir, l'immanence formelle, voir page 102.
136. Voir page 59.
90
Prop. 1
S'il existe des entités universelles immanentes, elles existent en partie dans
les entités particulières.
L'expression exister dans a été ici remplacée par l'expression exister en partie (partly
present ), où exister en partie s'oppose à exister dans son entièreté (wholly
present ).
Voici comment Lowe décrit cette existence partielle : For it might be urged
that the so-called `universal' blueness is in reality nothing more nor less than the sum
of all the particular blueness having (rather like the disassembled watch) a `scattered'
location which is the sum of the locations of all of its particular parts. (Lowe, 2002, p.
383-384). Lowe rejette cependant, et avec raison, une telle interprétation : si tel était le
cas, les universels ne seraient en fait que des entités particulières. Plus précisément, ils
seraient à l'image d'un ensemble particulier. Expliquons ceci. Pour reprendre l'exemple
donné par Lowe de la propriété bleu, voici ce que l'on dira : de même qu'un ensemble est
construit à partir des entités qui en sont membres, de même, la propriété universelle bleu
est en fait la somme des bleus particuliers (en l'occurrence, des
phénomènes
bleus) qui se
trouvent présents dans telle et telle entité particulière. Or, de même qu'un ensemble est
une entité particulière car analysable et décomposable entièrement en terme d'entités
particulières, de même aussi ce bleu ne sera pas un authentique universel. Il faut donc
dire qu'un universel est un tout indivisible, présent entièrement (wholly
chaque chose qui l'instancie
137
present )
dans
. Reste à savoir ce que veut dire exister entièrement
dans . La question demeure.
Une autre tentative d'interprétation, suivant certains philosophes, serait la suivante :
il faut interpréter la préposition
dans
en un sens spatial, c'est-à-dire, au sens d'une in-
clusion dans l'espace. Qu'est-ce que ces philosophes veulent dire par là ? Probablement
la chose suivante : puisque les entités particulières existent dans l'espace, lorsque nous
disons que les entités universelles existent dans les entités particulières, il faut comprendre à la même place des entités particulières :
Prop. 2
Les universaux existent à la même position spatiale que les entités particu-
lières qui les instancient.
Telle semble, par exemple, la position d'Armstrong (au moins dans son interprétation
littérale). Il semble en eet que, pour ce dernier, refuser le platonisme transcendant
et refuser l'existence d'un monde de pure intelligibilité, de même qu'opter pour un
137. On parle encore d'universel matériel par opposition à l'universel formel. C'est peut-être ici aussi
l'occasion de rappeler la distinction opérée entre
kind
telle (Voir page 49).
91
et
species , entre condition et condition acciden-
platonisme immanent et refuser un monde supra-spatial fassent partie d'un seul et
même geste métaphysique. D'où une certaine spatialité des universaux :
To bring universals from a Platonic realm down to earth, down to spacetime seems to involve something rather strange.
It seems to follow that
For are they not to be found
wherever the particulars that instantiate they are found ? (Armstrong,
universals are, or may be, multiply locate.
1989, p. 98, nous soulignons)
En suivant Lowe, nous qualierons la position d'Armstrong d' immanence forte 138
.
Chose étonnante, Armstrong lui-même montre une certaine gène vis-à-vis de l'immanence forte. Cette gène est, chez lui, liée au problème de la multilocalité auquel se trouve
confrontée cette position métaphysique. Puisqu'un universel est localisé au même endroit que les particuliers et puisque, par dénition, plusieurs particuliers peuvent instancier en même temps un même universel, les universaux fortement immanent peuvent
posséder plusieurs positions spatiales simultanées. Témoin encore de cette gène, cet
autre passage : If the redness of curtain and carpet is identical, as the orthodox view
maintains, then the one entity must be conceived of as being wholly present
titude of dierent places and times (Armstrong,
in a mul-
1980, p. 79, nous soulignons). En
toute rigueur de terme, et en mettant de côté la question de la localisation temporelle
pour nous concentrer sur la localisation spatiale, le problème de la multilocalité s'énonce
ainsi :
1
Par dénition, un universel est une entité qui peut être instanciée en même
temps par plusieurs entités particulières.
2
Sous l'hypothèse du platonisme immanent, une entité universelle est présente en entier dans chaque particulier qui l'instancie.
3
Chaque particulier possède une position spatiale distincte.
Cette étape demanderait des précisions. Elle oblige à mettre de côté les entités de
raison (comme les licornes, les pensées, etc.). Elle oblige peut-être à mettre de côté ces
entités physiques qui peuvent coexister à une même position temporelle, par exemples,
les ondes quantiques. La question est complexe puisqu'il est dicile de savoir exactement
ce que sont ces entités. Lowe parle à propos des ondes d'objets vagues (Notons à ce
138. Voici comme ce dernier dénit cette position : [On this account], universals are
not
abstract
objects [`abstract' means here `non-spatial'], but exists entirely `in' space and time. According to such
philosophers, every universal is `wholly present' in each particular which exemplies it and accordingly
has a `scattered' spatio-temporal location which is the sum of the spatio-temporal locations of all the
particulars in question. (Lowe, 2002, p. 382, italiques dans le texte).
92
propos qu'elles semblent avoir des propriétés remarquables, comme avoir une extension
spatiale innie , si bien qu'en toute rigueur de terme, une onde ne peut d'ailleurs être
localisée : pour être localisé, il faut avoir en eet une extension spatiale nie). Qu'il
nous suse ici de mentionner des exemples évidents d'entités qui doivent possèdent une
localisation temporelle distincte : des molécules, des gènes, des corps, des tables, des
hommes, etc. L'argument peut très probablement se retreindre, sans dommage, à ce
groupe d'entités particulières.
4
Donc, si un universel existe au même endroit que les entités particulières
qui l'instancient, il est présent en entier dans plusieurs positions diérentes
en même temps.
La conlusion est alors la suivante : si une entité est présente dans plusieurs positions
diérentes en même temps, et si à chaque fois, il y est présent en entier, alors il y
a une distance spatiale qui sépare entièrement cette entité d'elle-même.
Prima facie,
ceci semble une impossibilité métaphysique : comment une entité pourrait-elle en eet
être séparée spatialement d'elle-même ? Pour répondre à cette diculté, Armstrong fait
appel à la notion de fait (phénomène), lequel, nous l'avons dit, est la clé de voûte de
son système (quoiqu'une clé de voûte purement formelle)
quoiqu'il en dise et
139
. Il est cependant dicile,
salva reverentia , de voir en quoi cette réponse neutralise l'objection
et, en l'absence de tout développement ultérieur, la réponse d'Armstrong semble se
réduire à une simple armation
140
.
Une autre réponse serait ici de nier la diculté. Telle semble par exemple être la
réponse de Bigelow qui dénonce ici
an unargued prejudice against [multi]locality
(Bigelow, 1987, p. 148). Mais cette réponse est-elle satisfaisante ? Il ne semble pas.
Pour Heil, un philosophe n'aurait pas à justier la multilocalité if we had some inkling
of what this distinctive way of being present amounted to (Heil, 2003, p. 133). Plus
exactement, Heil concède ici une chose mais en refuse une autre. Il concède le fait que
139. Space-time is not a box into which universals are put. Universals are constituents of states of
aairs. Space-time is a conjunction of states of aairs. In that sense universals are `in' space-time. But
they are in it as helping to constitute it. I think that this is a reasonable understanding of
in rebus ,
universalia
and I hope that it meets Plato's objection (Armstrong, 1989, p. 99). La référence de
Platon est ici
Philèbe
15b.
140. Une solution serait de s'aider de la solution que nous proposons à titre d'essai plus bas Voir
page 95. On dira alors la chose la suivante : les universaux ne sont pas, de soi, dans l'espace et dans
le temps. Ils n'y sont qu'indirectement, parce qu'ils sont dans des faits et que ce sont les faits qui
sont, eux, dans l'espace et dans le temps. Autrement dit, les universaux sont dans des faits qui sont
dans l'espace et dans le temps. Concédons-le, telle est peut-être la position d'Armstrong, quoiqu'il soit
dicile, à partir de ses écrits, de pouvoir être à ce sujet armatif.
93
toute théorie philosophique ne puisse remonter sans cesse dans la recherche d'explication
mais doive s'arrêter à un moment. A l'endroit où une théorie s'arrête, on invoque alors
une notion primitive que l'on pose pour les besoins de la cause comme un fait brut. Ce
fait brut, cette primitive, ce serait ici la multilocalité, dira-t-on. Il faut faire attention
au paralogisme suivante : de ce que toute théorie métaphysique doive s'arrêter quelque
part, il ne s'ensuit pas qu'elle puisse s'arrêter à cet endroit. Autrement dit, il faut encore
justier le fait que l'on puisse s'arrêter à telle primitive (ici la multilocalité). Comment
faire pour justier une primitive ? Il est probable que, ultimement, la seule façon, dont
une notion primitive puisse se justier soit le fait qu'elle possède un contenu intuitif
puisque, si une primitive est corroborée par le sens commun, la charge de la preuve
revient à l'opposant
141
. Or, Heil refuse de considérer la multilocalité comme une notion
intuitive : Any theory must ultimately invoke undened, primitive notion. [However]
ordinarily, a primitive notion is one concerning which we have some prior grasp. This
is not the case at hand [here] . Probablement, ce dernier point doit lui être concédé.
Il semble donc que l'interprétation spatiale de l'immanence doive être rejetée
La non-spatialité et l'identité.
142
.
Nous développons une troisième interprétation
de exister dans , c'est-à-dire non plus (1) dans le sens d'un universel matériel ou
(2) d'une coïncidence spatiale mais (3) dans le sens d'une dépendance métaphysique.
Telle est la position de Lowe, qu'il attribue à Aristote et qu'il appelle immanence
faible 143
par opposition à l' immanence forte d'Armstrong. Parvenu à ce stade
du raisonnement, nous introduisons un auteur classique, à savoir Boèce, pour pouvoir
mettre ainsi la pensée de Lowe en perspective. Voici ce que dit Boèce :
After all, there are two sorts of immaterial substances: (a) those which can
exist independently of bodies and continue in their immateriality though
separated from the corporeal, [e.g.
universals
ante rem ]
; and (b) those
which, although they are immaterial, cannot exist independently of bodies,
141. Of course some philosophers thing that something's having intuitive content is very inconclusive
evidence in favor of it. I think it is very heavy evidence in favor of anything, myself. I really don't
know, in a way, what more conclusive evidence one can have about anything,
ultimately speaking . (Kripke, 1972, p. 42, nous soulignons).
142. Signalons aussi Lowe (2002, p. 382-384) pour une autre approche de la question de la multilocalité.
143. Voici comment il décrit cette position : There is however, also a weak doctrine of immanence
to be taken into consideration. This amounts to an insistence upon the instantiation principle - the
principle that every existing universal is instantiated. Applied to a universal such as the property of
being red, it implies that this universal must have particular instances which exist `in' space and time,
but it doesn't imply that the universal itself must literally exist `in' space and time. (2006a), p. 99
94
in rebus ]. Although their lack of three dimensions leads us
to pronounce them immaterial, yet they are in bodies in such a way that
they cannot be removed or separated from them - or if they are removed
[e.g. universal
from bodies, they cannot survive in any way. (Boèce, [1975], 10.4, nous
soulignons).
Ainsi, pour Boèce comme pour Lowe, dire que les universaux existent dans les entités particulières, ce n'est pas dire (1) qu'ils existent dans l'espace : ils n'ont en eet
aucune dimension spatiale mais c'est dire (2) qu'ils dépendent quant à leur existence des particuliers qui les instancient : sans eux, ils ne peuvent survivre . Pour
analyser l'immanence faible, le travail doit donc justier ces deux propositions. Nous
reviendrons dans le paragraphe suivant sur la manière dont Boèce envisage la deuxième
proposition concernant la dépendance métaphysique et nous consacrerons le reste de
cette section à justier la première proposition, à savoir le fait que ces entités universelles, quoiqu'instanciées par des entités spatiales, ne soient pas elles-mêmes spatiales.
Il semble en eet qu'il peut y avoir à ce propos une diculté : malgré la pression
que l'argument de multilocalité met sur l'existence d'universaux immanents, Boèce se
contente d'armer la non-spatialité mais sans en donner une justication. De même, à
ce sujet, la position de Lowe se résume à nier la diculté :
[F]or something to exist `outside' space and time, it suces that that thing
[here, any universal] should have no
essential
spatio-temporal properties
and relations. I shall not pursue the issue further here, however, not being
convinced that it harbors any real diculty [...] (Lowe, 1998, p. 213).
Pace
Lowe, il paraît cependant dicile de voir comment il pourrait ne pas y avoir,
d'après sa réponse, de diculté. Pour le montrer, prenons un exemple. Avoir une
extension spatiale nie semble être une propriété
bona de.
Or, comment cette pro-
priété universelle pourrait-elle ne pas avoir comme caractéristique essentielle d'être dans
l'espace ?
Il nous faut donc trouver une manière de justier la non-spatialité des universaux
immanents. Nous en développons une ici à titre d'essai. Dans une certaine conception
de l'espace, à savoir, la conception relationnelle de l'espace (Aristote, Leibniz, Mach), le
fait que les universaux existent
dans
les particuliers expliquent précisément pourquoi ils
n'ont pas de dimension spatiale : en eet, selon de tels auteurs, l'espace est entièrement
constitué par les relations que les entités particulières ont
existent
dans
entre elles. Or, les universaux
les objets. Les universaux n'ont donc pas, de soi, de spatialité : ils ne sont
95
dans l'espace qu'à raison des objets dans lesquels ils sont instanciés.
Prop. 3
Les entités universelles ne sont pas, d'elles-mêmes, incluses dans l'espace.
Malgré les nombreux débats autour de la notion d'espace, il y a des raisons relativement directes pour adopter cette conception relationnelle de l'espace (Voir par exemple
Mertz, 1996, p. 39-41), ou, du moins, concédera-t-on que l'absence d'argument diri-
mant contre cette analyse de l'espace oblige à la considérer sinon comme une opinion
vraie, du moins comme une option possible et respectable (voir par exemple Lowe,
2002, chap. 11). Or, étant admise la possibilité de cette conception de l'espace, la nonspatialité des universaux semble découler de manière relativement directe
144
.
Avançons d'un pas : dira-t-on que le philosophe trouve dans la conception relationnelle de l'espace de quoi mettre un terme à la discussion soulevée par la spatialité des
universaux ? Il nous faut être prudent : il peut en eet sembler qu'admettre une telle
réponse ne nous fasse tomber de Charybe en Sylla tant il est vrai que certains auteurs
ont proposé, en prenant la non-spatialité des universaux comme prémisse, l'argument
épistémologique suivant contre l'existence des universaux :
1
Par hypothèse, s'il existe des entités universelles, elles n'existent pas, de soi,
dans l'espace-temps.
2
Les êtres humains existent entièrement dans l'espace-temps.
3
Donc, il est très probable que s'il existe des entités universelles, les humains
ne peuvent pas les connaître.
4
Donc, même s'il existe des entités universelles, nous ne pouvons pas le savoir.
5
Donc, un système ontologique ne saurait admettre des entités universelles
(rasoir d'Occam)
On reconnaît ici,
145
.
mutatis mutandis,
le même argument épistémologique qui avait été
opposé à la notion de substrat et l'on pourra comparer à bon droit les deux propo144. Par honnêteté intellectuelle, concédons qu'il faudrait probablement examiner plus attentivement
les relations universelles entre les objets (être plus grand que, aimer, causer, etc) : sont-elles dans
l'espace ?
145. Nous reprenons Balaguer (2009) en élargissant le propos de la connaissance mathématique
à la connaissance plus large des entités universelles : Over the years, anti-platonist philosophers
have presented a number of arguments against Platonism. One of these arguments stands out as the
strongest, namely, the epistemological argument. This argument goes all the way back to Plato, but it
has received renewed interest since 1973, when Paul Benacerraf presented a version of the argument.
Most of the work on this problem has taken place in the philosophy of mathematics, in connection with
the platonistic view of mathematical objects like numbers. We will therefore discuss the argument in
this context, but all of the issues and arguments can be reproduced in connection with other kinds of
abstract objects. 96
sitions suivantes : (1) De ce que les substances ne sont pas insérées dans l'ordre de
la causalité, on ne peut les connaître et (2) De ce que les universaux ne sont pas
insérés dans l'ordre spatio-temporel, on ne peut les connaître . Cependant, à examiner
attentivement la notion d'universels immanents, on s'apercevra que leur statut épistémologique est légèrement diérent de celui des substances et que, nonobstant cet
argument épistémologique, l'on puisse faire justice à leur non-spatialité.
(Obj.) L'argument épistémologique ne semble pas en eet sans faille. Notamment,
la deuxième prémisse est sujette à caution : dire qu'un humain est quelqu'un qui existe
entièrement dans l'espace et dans le temps, c'est endosser
matérialiste
146
ipso facto
une anthropologie
. Cependant, quoiqu'il en soit de cette anthropologie par ailleurs, elle
n'est pas telle qu'elle puisse être considérée comme pouvant et devant être proposée
par défaut : une justication supplémentaire est ici demandée pour son insertion à titre
de prémissee dans l'argumentation. (Rep.) Une réponse serait de concéder l'objection
mais de nier que la prémisse repose sur la nature de l'homme en général. On dira qu'elle
repose seulement sur la nature de la
connaissance
humaine. Pour monter comment cette
nuance peut être introduite, il sut par exemple de modier cette deuxième prémisse
ainsi :
2*
Toute connaissance humaine est une connaissance sensible.
Autrement dit, puisque les entités universelles ne sont pas spatiales, dira-t-on, elles
ne sont des entités sensibles, et, de ce point de vue, ne peuvent être connues. (Obj.)
Cette manière de répondre n'est pas à son tour exempt de toute critique. Il semble
en eet que toute notre connaissance ne se réduise pas à ce que nous ressentons, et,
objectera-t-on, ceci s'impose à nous comme un constat indéniable : l'homme possède
une certaine connaissance universelle qui dépasse la seule connaissance sensible
147
. C'est
d'ailleurs pour expliquer cet état de fait que certains philosophes ont proposé de séparer
dans l'esprit humain deux types de connaissance, la connaissance sensible et la connais146. C'est peut-être la raison pour laquelle Armstrong, qui se décrit lui-même comme un matérialiste, est particulièrement sensible au fait que les universaux doivent être
quodammodo
matériels. Un
cartésien, dans une anthropologie dualiste, nierait probablement le fait que les humains, en tant que
substances pensantes, existent entièrement dans l'espace-temps.
147. Un exemple serait probablement cette citation de Frege, initialement dirigée contre le psychologisme, mais que l'on pourrat ici reprendre : [I]f the number two were an idea, then it would
straightaway be mine only. Another's idea is already, as such, another idea. [...] But there may then
be not only, in some case, many more numbers than we would normally countenance, but also, in other
cases, none where they would be expected.
1010 ,
for example, might turn out to be an empty symbol,
since there light be no being capable of having the appropriate idea . Frege ([1997], Foundation of
Arithmetic, Ÿ27)
97
sance universelle, et, en lien avec cette double connaissance, de postuler l'existence dans
l'homme une faculté de connaissance spéciale dont l'objet propre serait quelque chose
de non-sensible et de non spatial, c'est-à-dire, une faculté destinée précisément à nous
faire connaître les universaux immanents. La philosophie moderne emploie à cet eet le
terme de grasping ( saisir, comprendre en français, verstehen en allemand).
Le
locus classicus
We do not
do not
see
à cet égard est probablement ce passage de Frege :
have
a thought as we have, say a sense impression, but we also
a thought as we see, say, a star.
So its advisable to choose a
special expression ; the word `grasp' suggests itself for the purpose. To the
grasping of thoughts there must then correspond a special mental capacity,
the power of thinking (Frege, [1997], p. 341, italiques dans le texte)
148
.
On notera pour faire justice à cette réponse que celle-ci ne saurait-être interprétée
comme étant une réponse
ad hoc .
Commentant Moore ([2004], p. 58) qui parlait lui-
aussi de grasping , Lycan dit en eet ceci, qui semble devoir être concédé : And,
he might add, if you say you do not know what he is talking about, you are a liar.
Grasping is something you have directly experienced (Lycan, 2008, p. 72). (Rep.)
Peut-être proposera-t-on alors de modier à nouveau cette deuxième prémisse ainsi :
2**
Toute connaissance humaine
procède
d'une connaissance sensible.
Cette modication est compatible avec une certaine connaissance universelle pouvant
dépasser le seul sensible. Ce qu'elle se contente d'armer, c'est que si telle connaissance il y a, elle doit être reliée d'une manière ou d'une autre à notre connaissance
sensible. La question devient alors de savoir comment une connaissance sensible peut
encoder une connaissance qui la dépasse en universalité. Distinguons cependant deux
sens du terme procéder. Il peut signier d'abord provenir et alors, pris à la lettre, la
prémisse signie alors que notre connaissance universelle provient entièrement de notre
connaissance sensible et s'y réduit. Mais ceci, nous l'avons exclu. Ou bien, le verbe procéder signie survenir à l'occasion de et alors la première prémisse signie en toute
rigueur de termes : notre connaissance intellectuelle nous survient
à l'occasion
d'une
148. Traditionnellement, cette connaissance intellectuelle a pu être appelée intellection ou intuition . Cette tradition remonte au platonisme d'Augustin : Now it is denied that the soul can look
upon them, unless it is a rational one, [and even then it can do so] only by that part of itself by which
it surpasses [other things] - that is, by its mind and reason, as if by a certain "face", or by an inner
and intelligible "eye". To be sure, not each and every rational soul in itself, but [only] the one that is
holy and pure, that [is the one that] is claimed to be t for such a vision, that is, the one that keeps
that very eye, by which these things are seen, healthy and pure and fair and like the things it means
to see (Augustin in Spade, 1985, p. 383).
98
connaissance sensible. Cette prémisse, que l'on concédera d'autant plus facilement que
l'immanence faible des universaux oblige à penser un certain rapport entre les objets
particuliers, spatiaux et sensibles, et les universaux qui existent dedans, n'est cependant plus susamment forte pour entraîner la troisième étape de l'argument : Donc,
il est très probable que s'il existe des entités universelles, les humains ne peuvent pas les
connaître . Certes, cette manière de répondre peut encore laisser le philosophe encore
insatisfait et lui suggérer de plus amples développements
ès
épistémologie. Toutefois,
il semble que le point suivant doive être concédé : l'argument épistémologique contre
l'existence des universaux, ainsi modiée, n'entraîne plus d'objection dirimante contre
la non-spatialité des universaux faiblement immanent.
L'argument de Boèce
Il semble toutefois qu'il y ait un argument beaucoup plus
direct contre l'immanence des universaux que l'argument basé sur leur non-spatialité.
Pour le voir, nous développons comme nous l'avions dit la deuxième proposition citée
plus haut à propos de Boèce et de Lowe, proposition sur laquelle, rappelons-le, repose
l'immanence faible : les universaux dépendent, quant à leur existence des entités particulières qui les instancient. Ce développement sera pour nous l'occasion de reprendre
notre propos initial qui était de donner une interprétation cohérente de l'expression
exister entièrement dans les entités particulières . Ces deux citations de Lowe fourniront notre point de départ :
as the identity conditions of an object are supplied by the kind that it instantiates, so the composition conditions of a composite object are supplied
Just
by the kind that it instantiates (Lowe, 2006a, p. 50, nous soulignons).
et encore :
That is why I prefer to think of instantiation as being akin, metaphysically,
to identity : a particular's instantiating a certain universal is internal to
the (perhaps changeable) nature of that particular - just as its identity is not an external relation which it bears to another entity, even though the
particular and the universal which it instantiates are, of course, distinct
entities. (Lowe, 1998, p. 218)
A la lecture de Lowe, on proposera donc l'interprétation suivante de exister dans :
de même que l'identité d'une entité particulière existe dans cette entité, de même
les universels, dont les particuliers tirent leur condition d'identité, existent dans les
particuliers qui les instancient. Peut-être même faut-il aller plus loin : si les universaux
99
donnent aux particuliers leur condition d'identité, c'est qu'ils
constituent
l'identité de
ces derniers, qu'ils en constitue en quelque sorte la nature (la substance des particuliers, pour reprendre le terme de Boèce). Sinon, que voudrait dire donner aux
entités particuliers leur condition d'identité ? Notons en faveur de cette interprétation
de l'immanence qu'elle respecte et explique la dépendance ontologique entre entités
universelles et entités particulières. Nous avons en eet bien une dépendance non-rigide
des universaux vis-à-vis des particuliers (il faut qu'un universel soit instancié au moins
un fois par un particulier pour exister : c'est-à-dire, il faut qu'au moins un particulier ait une identité qui corresponde à cet universel pour que cet universel existe) et
dépendance rigide des particuliers vis-à-vis des universaux (si un particulier instancie
un universel et si cet universel disparaît, le particulier disparaît aussi : c'est-à-dire, si
l'identité d'un particulier disparaît, c'est le particulier lui-même qui disparaît). D'où la
proposition suivante :
Prop. 4
S'il existe des entités universelles immanentes, elles existent en tant qu'identité
des entités particulières qui les instancient.
Ayant ainsi expliqué la relation la plus vraisemblable qu'il puisse exister entre une
entité particulière et une entité universelle, à savoir, à travers la notion d'identité, nous
pouvons maintenant dénir un universel : par entité universelle , entendons les
traits de l'identité des entités particulières, traits potentiellement communs à plusieurs
entités particulières .
Notons en faveur de cette dénition qu'elle rejoint la dénition que Spade, à l'occasion d'un commentaire d'une phrase de Boèce
149
, donne des universaux : pour Boèce-
Spade, un universel est une entité commune à plusieurs particuliers
150
1
dans son entièreté (Socrate n'instancie pas une partie de l'humanité)
.
2
simultanément (il peut y avoir plusieurs hommes au même moment).
3
en constituant la substance de ces particuliers (ici, la nature et l'identité).
Or, c'est malheureusement à partir de cette dénition que Boèce avait précisément
construit un argument contre l'existence des universaux
151
. Nous nous inspirons de
149. For that which is common belongs to many things, especially when one and the same thing
exists in its entirety in a number of things at the same time (Boèce in Spade, 1996, p. 3).
150. Cf. supra sur la diérence entre
wholly present
et
partly present .
151. From this it follows that the genus as a whole, being located in a number of dierent individuals
at the same time, cannot be a unity; for it is impossible for a totality distributed among a multitude
of things at a single time to be a numerical unity in itself. But given this, a genus could not be any
sort of unity, and hence it could not be anything at all, since whatever exists, exists by virtue of being
a unity. And the same could be said of species (Boèce, [1975], 10.6).
100
Spade (1996)et de Klima (2008) pour retraduire cet argument :
1
Plusieurs particuliers sont distincts s'ils ont des existences distinctes les uns
des autres, c'est-à-dire si l'acte d'exister de l'un est séparé de l'acte d'exister
de l'autre
2
152
.
Si un universel constitue l'identité d'un particulier, de même que l'identité
d'un objet est uni à cet objet pour ne former qu'une seule entité, de même
l'existence de ce particulier et de cet universel sont unis pour ne former
qu'une seule entité
3
153
.
Mais si un universel, dans son entièreté et au même moment, est supposé
pouvoir constituer l'identité de plusieurs particuliers, cet universel doit pouvoir être uni avec autant d'actes d'exister diérents et séparés.
4
Donc son acte d'exister n'a donc pas de véritable unité et n'est pas une
véritable existence
154
Revenons sur la deuxième étape du raisonnement qui est le passage crucial de l'argument.
Il consiste à dire que si un universel constitue l'identité d'un particulier, l'universel et
le particulier ne peuvent être des entités totalement distinctes. Autrement dit, ce qui
est nié dans cette étape, c'est la possibilité même d'interpréter existentiellement la distinction entre universel et particulier dans l'hypothèse de l'immanence faible. En eet,
l'identité d'un particulier - ou, ce qui revient au même, ses conditions d'identité - lui
est à ce point intrinsèque que tout ce qui y a trait et tout ce qui les cause est intériorisé
et approprié dans l'acte d'existence de ce particulier. Ou encore (interprétation minimaliste), si un universel constitue l'identité d'un objet pour lui donner des conditions
d'identité , l'acte d'existence de cet universel et de ce particulier doivent être dans
un certain rapport de continuité existentielle. Et, pour reprendre le joli mot de Spade,
l'acte d'existence de l'un contamine alors l'acte d'existence de l'autre :
152. Nous retrouvons ici l'interprétation existentielle de la notion d'entité.
153. However, if the universal constitutes the [identity] of a particular, then it has to have the same
act of being as the particular, because constituting the substance of something means precisely this,
namely, sharing the act of being of the thing in question, as the thing's substantial part (Klima,
2008, sec. 2)
154. Klima note ceci : Although Boethius does not explicitly formulate his argument in terms of
the distinctness and identity of the acts of being of the entities in question, in the conclusion of his
argument, he quite explicitly alludes to the Aristotelian principle of the convertibility of unity and
being (Klima, 2008, sec. 2, note 8). Notons la diérence avec l'objection de la multilocalité : cette
objection niait qu'une entité puisse être séparé spatialement, c'est-à-dire qu'une entité puisse constituer
en la réunion de plusieurs espaces fermés disjoints. Ici, l'objection est plus profonde : ce qui est nié,
c'est qu'il puisse y avoir dans l'acte d'existence d'une entité une coupure existentielle.
101
So in eect [Boethius] argues that the plurality of things to which a universal
is supposed to be common is somehow `contagious' and `infects' the universal
itself, making it plural too, and so not `one'. (Spade, 1996, p. 6)
Plus précisément, à l'occasion d'un commentaire non plus de Boèce mais d'Avicenne,
Spade a soin de noter ceci que la contagion peut aller dans les deux sens : soit un
particulier contamine un universel jusqu'à l'individualiser, soit un universel contamine
un particulier jusqu'à l'universaliser :
`Animal', Avicenna says, is in itself a certain something, but in itself it is
neither singular nor universal.
(`Singular' here means `individual'.)
[...].
Here is the argument for this claim: (a) If animal were in itself universal,
then it could never be predicated of singulars. Anything that is an animal
would be universal. There could be no singular or individual animals. (b)
If on the other hand animal were in itself singular, then it could not be
predicated of many individuals. There would be only one animal. (Spade,
1985, p. 319)
D'où le fait que, pour Avicenne, une identité ne peut être, de soi, ni universel, ni
individuel et que, n'étant ni l'un ni l'autre, elle n'est pas une entité au sens strict du
terme
155
.
3.3.3 Conclusion
Faisons attention au point suivant : l'argument de Boèce ne doit pas être vu comme
une objection contre l'existence des universaux. Bien plutôt, sa conclusion est la suivante : l'interprétation de l'immanence faible en terme d'identité, la seule interprétation
que nous avons réussi à développer jusqu'à présent de l'immanence, s'avère ultimement
incohérente. Reste à développer maintenant une ultime possibilité, que nous appelons
immanence formelle : selon cette interprétation, la relation d'instanciation qui fait
exister un universel dans un particulier est une relation purement formelle. Par là,
entendons, toujours selon la distinction opérée au sein du carré ontologique, une relation qui n'a aucune consistance propre ni aucun contenu ontologique. La proposition
suivante résumera cette immanence formelle :
Prop. 4
Une entité universelle n'est pas, de soi, instanciée.
155. Les scolastiques parleront à ce propos d' esse essentiae .
102
Cette formulation de l'immanence formelle explique pourquoi, à propos de certaines
positions réalistes, qu'elles soient immanentes ou transcendantes, nous avons pu les
qualier de platoniciennes . En eet, dans ces deux variantes, l'instanciation n'est
pas analysée comme étant une caractéristique essentielle des universaux, mais comme
étant une simple caractéristique accidentelle de ceux-ci, quoique, dans le cadre du platonisme immanent et selon le principe d'instanciation qu'il pose, toujours vériée
156
.
Pour développer cette position, explicitons les points suivants :
L'avantage de cette position est de pouvoir soutenir que, étant purement formelle, une relation d'instanciation n'atteint pas l'entité universelle dans son acte
d'existence même. Cette entité est ainsi immunisée de toute contamination .
Le prix à payer est le suivant : dans les faits, cette position renonce à donner
un contenu et une interprétation ontologique à l'expression exister dans . A
l'instar de la relation d'instantiation, exister dans est désormais assimilée à
une relation dépourvue de tout contenu réel. (Certes, il semble que l'on évite ainsi
le problème de la spatialité des universaux).
Parce que fondées sur cette notion d'instanciation, les relations de dépendance
ontologique entre universels et particuliers deviennent, elles aussi, des relations
formelles, c'est-à-dire des relations qui ne peuvent être fondées ontologiquement,
et donc, qui deviennent comme imposées de l'extérieur par le philosophe.
Posons-nous maintenant cette question : la position de l'immanence formelle est-elle
acceptable ? Il semble malheureusement qu'il nous faille encore et toujours répondre
négativement. En eet, l'instanciation en tant que relation formelle est une relation qui
n'a pas susamment de consistance pour inuer de quelque manière que ce soit sur
une entité : elle ne l'atteint que superciellement. Ceci implique que universaux ne sont
pas instanciés dans des particuliers en raison de ce qu'ils sont (en raison d'eux-mêmes).
Ceci implique aussi que les particuliers n'instancient pas d'universaux en raison de ce
qu'ils sont. Or, il semble que cette dernière implication, ultimement, rende les objets
particuliers incompréhensibles. Comme le note Lallement :
Le réalisme [platonicien] entraîne toujours une moindre appréciation des
individus comme tels ; la chose spirituellement intéressante n'est pas dans
l'individu. [... Or,] tout de même les individus existent !
Et comme ce qu'il
156. La dépendant non-rigide des universaux dit ceci : nécessairement, un universel est toujours
instancié par au moins un particulier . Mais comment une relation purement formelle pourrait-elle
fonder quelque nécessité que ce soit ? Au mieux, on peut armer ceci : un universel est toujours
instancié par au moins un particulier .
103
sont dans leur essence individuelle n'est pas expliqué par le réalisme, l'individualité, séparée cette fois de l'unité formelle [de sa condition et de ses
propriétés] prend à son plan toute la valeur [...] Tout cela vient de ce que
l'on ne regarde pas la nature dans l'individu, et de ce que l'individu n'est
pas vu comme intelligible de par sa nature. (Lallement, 1955, p. 381,
nous soulignons)
Nous essayerons de montrer en deux temps. (1) Nous commençons par nous poser la
question suivante : qu'est ce qui explique qu'il y ait des entités individuelles ? ou, plus
précisément, quel est le
individu ?
157
principium individuationis ,
ce qui fait qu'un individu est tel
Ce principe d'individuation ne peut être un agglomérat d'entités univer-
selles : cela, c'est ce que postule la
bundle theory ,
théorie qu'il nous faut refuser pour
les mêmes raisons qui nous avaient fait refuser la théorie du substrat
158
. Il faut signaler
à ce propos la position de Loux, qui introduit une distinction entre certaines entités
universelles qui ne peuvent individuer (les propriétés) et certaines entités universelles
qui peuvent individuer (les conditions,
kinds )
:
Whereas objects exemplify properties by possessing them, things exemplify
kinds by belonging to them.
Philosophers who draw this distinction fre-
quently tell us that while kinds constitute the particulars that exemplify
them as what they are, properties merely modify or characterize particulars
antecedently so marked out ; and they often claim that kinds are
ative
individu-
universals. What is meant is that kinds constitute their members as
individuals distinct form other other individual of the same kind as well as
from individuals of others kinds (Loux, 1998, p. 20).
Il paraît cependant très dicile de concevoir les universels comme principe d'individuation sans être en prise avec l'objection de Boèce : si un universel individue un particulier,
il doit plonger au coeur de l'existence d'un individu et en est forcement contaminé .
Et on ne peut non plus dire que l'individuation procurée par les universaux soit une
individuation formelle qui, à l'image de la relation d'instanciation, puisse être imposée
de l'extérieur : la notion d'entité universelle paraît,
prima facie, si peu compatible avec
la notion d'individuation qu'une justication supplémentaire est ici requise : après tout,
un universel semble être, en raison même de son universalité, quelque chose qui n'est
a et b sont deux entités et si a et b possède le
a et b sont un seul individu.
Pour un exemple de bundle theory , voir la citation de Russell page 88. Pour la théorie du substrat,
157. Par principe d'individuation, entendons ceci : si
même principe d'individuation,
158.
voir page 80.
104
pas individué
159
individuationis
. Restent donc comme seuls candidats possibles au poste de
principium
les entités particulières.
(2) Ayant posé qu'un principe d'individuation ne pouvait être qu'une entité individuelle, nous nous posons maintenant la question suivante : quelles sont les caractéristiques de ce principe d'individuation et comment fonctionne-t-il ? Sous l'hypothèse
de l'immanence formelle, nous avons dit que les entités individuelles, en raison d'ellesmêmes, n'instanciaient aucune propriété et aucune condition. Autrement dit, le principe
d'individuation est un particulier à l'état nu (on parle encore de
tity ) 160 .
propertyless en-
Comment fonctionne-t-il ? Probablement ainsi : ce principe d'individuation
qu'est le pur particulier, en instanciant des conditions et en exempliant des propriétés,
unie ces universaux entre eux, et, ce faisant, les individue jusqu'à constituer ces objets
particuliers dont nous faisons l'expérience concrète :
As a featureless thing in itself (or a bare particular), its two principal functions are (i) holding the qualities together so as to form a concrete object
and (ii) individuating the object which is thus constituted (Denkel, 2000,
p. 431).
Si tel est le cas cependant, la notion de
bare particular
devient cependant très proche
de la notion de substrat et paraît soumise aux mêmes dicultés : si le lien entre un
bare particular
et les universaux n'est qu'un lien formel, c'est à dire un lien qui n'a pas
de consistance ontologique, comment expliquer par exemple qu'un particulier instancie
telle ou telle propriété et non pas telle autre ? comment, en particulier, expliquer qu'un
objet ne puisse exemplier en même temps des propriétés contradictoires ? Par exemple,
en vertu de quoi un particulier ne pourrait-t-il pas unir à un moment donné la propriété
d'être carré avec la propriété d'être rond ? Comme le note à juste titre Denkel :
[In order to avoid this, a bare particular has to be] made sensitive to the
repugnance of any quality (out of an indenite multiplicity) to any other.
How could a substratum be capable of being aected by such a thing, unless
159. Cette incompatibilité paraît telle que le lecteur s'interroge sur sa lectur de Loux et en vient à
supposer qu'il doit chercher, pour ce passage, une autre interprétation du terme universel. Par exemple,
en se souvenant que Loux se réclame d'Aristote, il faut peut-être interpréter universel , non pas au
sens où le pose le carré ontologique, à savoir au sens de ce qui est commun mais au sens de katholou ,
selon le tout.
160. Signalons ici Armstrong qui, comme Lowe, refuse de postuler de tels
principle rejection of bare particular :
bare particulars : The strong
For each particular, x, there exists at least one non-relational
property, P, such that x is P (Armstrong, 1980, vol I, p. 113). La question reste cependant entière :
il se peut certes que, de fait, un particulier soit toujours instancié, néanmoins, l'expression même
d'Armstrong suggère que les particuliers, en raison d'eux-mêmes, n'instancient pas d'universaux.
105
it possessed, in its nature, aspects sensitive to each such potential qualitative
conict ? (Denkel, 2000, p. 434)
106
4
Le primat des relations particulières
Après avoir critiqué les analyses de Lowe et après être arrivé à la conclusion que
le cadre métaphysique dans lequel celui-ci plaçait sa réexion était incohérent, il nous
revient à charge de proposer un nouveau cadre métaphysique : c'est seulement ainsi que
nous pourrons rompre de façon responsable avec cette tradition de pensée que représente
le carré ontologique et dont nous avons dit qu'elle était la tradition mainstream Telle est la raison qui nous motive à choisir une métaphysique alternative.
161
.
Tentons
de caractériser l'intuition fondamentale de cette alternative en quelques lignes.
Le
paradigme métaphysique que nous abandonnons pouvait se dénir ainsi : y était postulé
le primat de substances, sorte d' atomes d'existence , de monades irréductibles , et,
loin de cette plénitude existentielle et occupant le dernier échelon des entités, se trouvent
les relations. Le sens commun témoigne d'une telle vision du monde qui voit dans les
relations des sortes d'entités évanescentes. En témoigne aussi l'autorité d'Aristote, pour
qui les relations sont les plus petites des entités (Aristote, [1953]b, 1088a25) et dont
tout l'être consiste en ce qu'elles sont dites dépendre d'autres choses ou se rapporter
de quelque façon à autre chose (Aristote, [1989], 6a36). L'alternative métaphysique
que nous proposons est la suivante : renverser cette hiérarchie ontologique et voir dans
les relations, non pas les dernières des entités, mais au contraire le modèle de toutes
entités. Ce renversement, nous ne sommes pas le seul à le faire : trouvant sa source
dans les analyses logiques de Russell, il existe désormais un courant qualié de réalisme
structurel (structural
realism 162 ),
courant encore relativement marginal, mais au sein
duquel, pour reprendre l'expression de Mackie, la catégorie de la relation est analysée
comme ce
cement of universe
que le métaphysicien recherche.
Si le réalisme structuraliste peut être encore considéré comme une métaphysique
alternative, c'est qu'il existe toute une tradition profondément ancrée dans la culture
161. Quand un philosophe est-il justié dans son choix d'abandonner son référentiel de pensée ? Voici
ce que dit Lowe : But, of course, Occam's razor stipulates only that we should not multiply entities
(or, more generally, ontological distinctions)
beyond necessity
and it may be argued - as I do indeed
argue in the course of this book - that the four-category ontology has an explanatory power which is
unrivaled by more parsimonious systems and that this counts decisively in its favor (Lowe, 2006a,
p. v, italiques dans le texte). Pour Lowe - et en ceci nous lui donnons raison -, ce n'est pas parce
qu'un système de pensée est criticable qu'il doit être rejeté.
Il s'agit là d'une condition nécessaire
mais non susante. Pour qu'un système de pensée soit rejetable, il faut qu'il soit criticable
autre système de pensée plus puissant (
which has more explanatory power )
et
qu'un
puisse être proposé pour
lui succéder. Un rejet ne peut se justier que s'il est constructif et s'opère à la faveur de quelque chose
d'autre dont on peut rendre compte.
162. Cf. pour une présentation l'article fondateur de Ladyman (1998).
107
philosophique qui s'eorce de minimiser l'importance des relations. Toute métaphysique
qui veut hisser la catégorie de la relation au rang de catégorie ontologique fondamentale
doit donc commencer par se justier. Aussi, c'est par le constat d'une tentation réductionniste et d'un
a priori
négatif qu'il nous faut commencer. Il est de règle commune
pour parler de cette tentation de citer les néo-hégéliens et les idéalistes, en premier
lieu duquel Bradley (1893).
On nous permettra toutefois de remonter plus haut,
jusqu'à Thomas d'Aquin et Pierre Auriol, de façon à montrer par delà la tradition
philosophique récente la pérénnité de cette
a priori.
Pour exemplier ce projet ré-
ductionniste, considérons l'exemple suivant : Roméo est amoureux de Juliette . Les
philosophes distinguent parfois, à propos de la relation :
La relation elle-même (... est amoureux de... ).
de Roméo )
envers Juliette ).
le fondement de la relation (l'amour
Le terme de la relation (l'amour
Dans la pensée de nombre de métaphysiciens, on trouve avec la reconnaissance d'une
relation distincte de son fondement et son terme d'autre part, la tentation conjointe
de réduire cette relation à son fondement ou à son terme.
Telle fut la position de
Thomas d'Aquin pour qui la relation est entièrement constituée par son
esse ad.
L'esse
in
de la relation, c'est son fondement.
nous paraphraserons son analyse ainsi :
esse in
et son
En reprenant notre exemple,
nous dirons que la relation amoureuse est
toute entière constituée par un sentiment amoureux, un accident monadique qui inhère
à la substance qu'est Roméo. La relation ne se distingue de son fondement qu'en lui
surajoutant une réfèrence intentionnelle, un
esse ad.
Cette aection interne à Roméo en
tant qu'elle est tournée vers Juliette, voilà la relation.Certes, formellement, dans cette
analyse, tous les éléments de la relation sont présents et Thomas d'Aquin arme que
certaines relations sont des relations réelles. Néanmoins, dans son insistance à ramener
la relation à son fondement, Thomas d'Aquin semble être partie prenante de ce que l'on
a pu appeler la réduction implicite des relations (Clementz, 2009).
De Thomas d'Aquin à Pierre Auriol, l'histoire de la philosophie nous enseigne une
radicalisation de cet
a apriori
négatif, nous faisant passer d'une réduction implicite à
une réduction explicite des relations. On fait généralement remonter l'explicitation de
cette tentation réductionniste à Occam (†1347). C'est probablement toutefois à Pierre
Auriol (†1322), précurseur d'Occam qu'il faut remonter :
Il n'y a dans les choses que des fondements et des termes. La relation et la
108
connection qu'il peut y avoir entre eux n'existent est issue de l'esprit
163
Cette citation est à elle-même son propre commentaire.
4.1
L'irréductibilité et importance des relations
Pour justier une métaphysique des relations face à ce projet réductionniste, nous
développons dans une première partie la double réponse suivante : (1) la réduction des
relations ne saurait valoir d'un point de vue métaphysique étant donné l'importance
ontologique des relations ; (2) elle ne saurait non plus trouver dans une analyse logique
des relations de quoi motiver son projet réductionniste.
Nous commençons le deux-
ième point, à savoir la découverte moderne de l'irréductibilité logique des relations.
La raison est la suivante :
si cette découverte n'est pas un argument ontologique à
proprement parler mais un argument d'ordre logique, il n'en reste pas moins vrai que
c'est cette découverte qui, historiquement, a motivé la renouveau d'une métaphysique
relationnelle.
4.1.1 D'un point de vue logique
L'importance logique des relations
Nous pouvons commencer par contraster ce
projet réductionniste avec les analyses logiques de Russell.
Ses analyses sont en ef-
fet marquées par une double ruptures et cette double rupture aboutit à accorder une
importance primordiale en matière logique aux relations.
(1) L'insertion dans ces réexions ontologiques d'un développement logique n'est
pas ici fortuit.
D'Aristote à Leibniz, c'était bien sur des distinctions logiques que
venaient se fonder les distinctions ontologiques
164
. Plus précisément, la distinction entre
sujet et prédicat était généralement décrite comme le reet logique de la distinction
ontologique entre substance et caractéristique : ce qui résiste à toute paraphrase et
qui ne peut être exprimé que par un nom ou un sujet, voilà l'indice le plus sûr d'une
substance, que cette substance soit première (substance particulière) ou seconde
(substance universelle). Plus proche de nous, la redécouverte de la
prédicative par opposition à la
vetus logica,
nova logica, la logique
la logique copulative, devient interprêtée
de la même façon, à savoir comme le tibut apporté par la modernité à à ce paradigme
163. In rebus non sunt nisi fundamenta et termini ; habitudo vero et connexio inter illa est ab anima
cognoscitiva (In
Sent. I.30.1,
cité dans GRENET, 1959, p. 119).
164. De même, voir Lowe, cité on page 24.
109
métaphysique
165
. Or, c'est ici que se situe la première rupture de Russell avec l'école.
Plus que le clivage entre logique prédicative ou logique copulative, c'est un autre clivage
que Russell propose de voir comme fondamental. En eet, loin de considérer comme
première la distinction entre sujet et prédicat - sous-entendu prédicat
monadique
-, c'est
sur une autre distinction logique que Russell insiste : au coeur de sa philosophie logique,
Russell pose le primat non pas des propositions
prédicatives,
mais des proprositions
relationnelles.
This view is derived, I think, probably unconsciously, from a philosophi-
it has always been customary to suppose relational propositions
less ultimate than class-propositions (or subject-predicate, with which classpropositions are habitually confounded ), and this has led to a desire to treat
cal error :
relations as a kind of classes. However this may be, it was certainly form
the opposite philosophical belief, which I derived form my friend Mr. G. E.
Moore, that I was led to a dierent formal treatment of relations. Russell
(1903, Ÿ27, nous soulignons).
Ayant mis l'accent sur les propositions relationnelles de type Roméo aime Juliette ,
l'analyse logique de Russell distingue alors prédicat polyadique ( ... aime ... ) et
termes ( Roméo , Juliette ). De façon naturelle, il devient loisible d'interprêter cette
distinction comme la transcription logique d'une distinction ontologique fondamentale,
à savoir, la distinction non plus entre sujet et attribut mais entre relation et
relata.
(2) Une deuxième rupture vient conforter cette première intuition. Cette deuxième
rupture est la suivantte :
pace
Frege, Russell arme qu'un concept, c'est-à-dire un
prédicat désignant une propriété ou une relation, ne change pas de nature lorsqu'il est
considéré pour lui-même et que, par un processus de nominalisation, il est substantivé
sous forme de groupe nominal :
Le fait que le verbe puisse être substantivé et valoir comme sujet logique
atteste qu'il constitue un mot véritable signiant un terme
général, il indique une
relation.
lato sensu . Nom
La thèse de l'invariance conceptuelle s'ap-
plique donc aussi à la relation qui, quelles que soient la forme et la fonction
du nom général qui la désigne, ne change pas de nature et demeure une
entité indépendante et auto-subsistante. (Vernant, 1993, p. 44, italiques
dans le texte)
Prenons un exemple pour clarier cette deuxième rupture. Par exemple, le verbe ...
165. Voir Geach (1972, chap. 1), Lowe, 2006a, p. 64.
110
aime ... dans la proposition relationnelle Roméo aime Juliette peut être substantivé
soit sous la forme d'un nom ( l'amour ), soit sous la forme du groupe nominal si
l'on veut garder toute l'information contenue dans la proposition initiale ( L'amour
de Roméo pour Juliette ). Nous pouvons alors composer cette relation avec d'autres
relations, et ce à l'inni : L'amour de Roméo pour Juliette est plus grand que l'amour
de Roméo pour l'honneur de sa famille . Pour Frege, du verbe au nom, l'entité logique
change de nature : de concept, elle devient objet
166
. Pour Russell, il s'agit toujours d'une
même entité logique qui n'a pas changé de nature (on parle d'invariance conceptuelle).
Qu'il s'agisse d'un prédicat ou d'un nom, il s'agit toujours d'une relation. La conclusion
de cette deuxième rupture est le suivant : les termes d'une relation peuvent être euxmêmes des relations déguisées sous forme nominale.
Réductions monadiques et monistes
Après avoir comment la logique classique
et son insistance sur les prédicats monadiques pouvait être considérée comme un cas
particulier de la logique relationnelle, laquelle insiste sur les prédicats polyadiques, pour
consolider cette thèse de l'importance des relations, nous reprenons la démonstration
de Russell de leur irréductibilité. La première tentative de réduction logique serait la
suivante :
Réduction 1 aRb =def
Fvers b (a)
Telle était la réduction implicite opérée par Thomas d'Aquin : dans Roméo aime Juliette , la relation amoureuse était alors identiée à un accident (une émotion) inhérant
à Roméo et portant en elle une référence à Juliette. Prenons encore un autre exemple :
L
est plus grand que
M
167
. Comment réduire cette proposition ? Russell note à ce
propos que la réduction consisterait à ramener la relation ... est plus grand que ... au prédicat monadique ... est plus grand que
L.
M
. Ce prédicat serait alors attribué à
Cette réducation est-elle valide ? Il semble que non :
But when we examine this adjective [is
that it is complex : it consists, at
greater than M ] it is at once evident
least, of the parts greater and M, and
both these parts are essential [...]. [Such] an adjective involving a reference
166. In my way of speaking, expressions like `the concept F' designate not concepts but objects (Frege, [1997], On concept and object p. 187). Geach (1969, p. 47) commente ainsi : Frege has
gone astray here : he does not clear himself of the charge of having made a concept into an object
just by saying that `the concept F' does not stand for a concept but for an object that `represents'
a concept ; no more than a writer may escape the charge of vulgarity by a parenthetical `to use a
vulgarity' .
167. Cet exemple, rendu fameux par Russell, est tiré de Leibniz ([1900], p. 777).
111
to
M
is plainly an adjective which is relative to
M,
and this is merely a
cumbrous way of describing a relation. Or, to put the matter otherwise, if
L
has an adjective corresponding to the fact that it is greater than
M,
this
adjective is logically subsequent to, and is merely derived from, the direct
relation of
L
to
M.
(Russell, 1903, Ÿ214)
Autrement dit, la réduction est invalide car elle est circulaire : la notion de relation est
comprise à la fois dans le
deendum
et dans le
deniens .
Si cette analyse permet de
montrer de façon indénibale la non-validité de la réduction, par extension, elle permet
de critiquer d'autres exemples plus insidieus. Par exemple, pour reprendre la proposition Roméo aime Juliette , la réduction serait la suivante : Roméo aime-Juliette .
Cependant là encore, il nous faut expliquer comment ce sentiment peut être un sentiment intentionnel, c'est-à-dire un sentiment qui porte sur Juliette. On pourra ainsi faire
la diérence entre Roméo aime Juliette et Roméo aime une chimère : dans la
deuxième proposition, l'intentionalité n'est qu'apparente et la relation amoureuse n'est
pas dirigée vers un objet exterieure à l'imagination de Roméo. Une autre réduction
logique serait la proposition suivante :
Réduction 2 aRb =def F (a) ∩ G(b)
Si la première tentative ressemblait à la réduction implicite de Thomas, celle-ci ressemble à la réduction explicite d'Auriol. Dans ce projet, la relation
étant fondée sur certaines propriétés
F
et
G
de ses
relata a
et
R
est pensée comme
b. Puis, dans un deuxième
temps, la relation, d'un point de vue ontologique, est réduite à ce double fondement. On
arme alors que la relation n'a d'existence que pour l'esprit qui appréhende conjointement
a
et
b.
Reprenons l'exemple donné plus : L
est plus grand que
sera dite être fondée certaines propriétés physiques de
L
et de
M,
M
. La relation
à savoir leur taille :
respectivement, 10 mètres et 5 mètres. Ces deux propriétés sont dites être les vérifacteurs de la proposition initiale :
et que
M
L
est plus grand que
M
parce que
L
mesure 10 mères
mersure 5 mètres. Cette analyse motiverait ensuite une réduction ontologique
suivante : la relation ... est plus grand que ... se réduit, d'un point de vue ontologique, aux deurx propriétés monadiques correspondantes : en elle-même, elle n'a alors
pas d'autre réalité que celle d'être une vue de l'esprit. Cette réduction est-elle valide ?
La réponse de Russell est bien connue. Nous nous contentons de reprendre le résumé
oert par Clémentz :
L'objection bien connue de Russell est, cette fois, qu'une telle analyse est
incapable de rendre compte de la
diérence
112
de grandeur entre A et B, sauf
à introduire entre leurs grandeurs respectives une relation tout aussi asymétrique que celle que les grandeurs en question étaient censées expliquer : une
relation dont nous ne pourrons rendre compte à son tour que moyennant
l'introduction de nouveaux prédicats monadiques, au risque de nous engager
ainsi dans un processus de régression à l'inni (Clementz, 2009).
La réponse de Russell consiste à inclure la relation d'ordre dans les vérifacteurs de la
L est plus grand que M parce que L mesure
10 mères et que M mersure 5 mètres, et que 10 est plus grand que 5. La réduction n'est
proposition L
est plus grand que
M
:
donc pas valide car elle continue de faire appel à la relation d'ordre.
Ces deux premières réductions, Russell les appellent des réductions monadiques .
Un troisième projet de réduction, dit moniste Réduction 3 aRb =def
F (a ∪ b)
(où
a∪b
168
serait le suivant :
est le tout composé par
a
et par
b)
Cependant cette manière de procéder non plus ne saurait convenir. Comment réduire
L
est plus grand que
M
? Peut être ainsi : (L et
M ) ont une grandeur diérente .
Que proposer d'autre en eet ? Mais cette denière proposition est à son tour identique
à (M et
L
) ont une grandeur diérente et donc à M
est plus grand que
L .
: La
conclusion est la suivante : cette réduction moniste est incapable de rendre compte du
sens des relations asymétriques et les transforme en relations symétriques (Russell,
1903, Ÿ215). Ou encore Harpagon aime Mariane devient Harpagon et Mariane
s'aiment et donc Mariane aime Harpagon La réduction de Wiener-Kuratowski
Cette forme de réduction prend place
dans le contexte mathématique de la théorie des ensembles. Russell l'aurait qualié de
trick , mais sans proposer de réfutation. Commençons par décrire cette procédure
de réduction. Celle-ci s'opère en deux temps :
1. La notion de relation est réductible à la notion de classes ordonnées. Formellement,
{(a1 , b1 ); (a2 , b2 ); ...}.
...R... =def
2. La notion de classe ordonnée est réductibles à la notion d'ensemble
{{a} , {a, b}}
(a, b) =def
.
168. Pour Russell, le monisme est la conclusion inévitable du projet monadique : faire des relations
des
entia non grata
ne peut aboutir qu'à poser des monades isolées. Or, comme le monde manifeste de
façon évidence que les monades entretiennent des relations, c'est que ces monades sont des accidents
d'une réalité supérieure, d'un tout englobant. Le monadisme aboutit dans le monisme de Spinoza
qui pose l'existence au plus, d'une substance et dans le mysticisme de Bradley qui voit dans toute
diérence une illusion (Russell, 1917, chap. 1).
113
Nous analysons successivement chacune de ces deux étapes. Concernant la première
étape de cette réduction, Russell lui-même admettait comme recevable, quoiqu'avec
des réserves l'équivalence entre la notion de relation et la notion de couple ordonné.
Voici en quels termes celui-ci exprime ses réserves :
Pierce had developed a logic of relations, but had treated a relation as a
class of couples. This is technically possible, but does not direct attention
naturally towards what is important. (Russell, 1995, p. 67)
Ce passage est ambigue. Nous proposons de l'interprêter comme suit : de la notion de
relation à la notion de couple ordonné, il y a équivalence formelle (this
is technically
(but does not direct attention naturally to-
possible ) mais non équivalence notionnelle
wards what is important ). Plus loin, Russell
donne alors deux arguments pour fonder
ses réserves. Commençons par la première.
I thought of relations, in those days, almost exclusively as intensions. What
give unity to a class is solely the intension which is common and peculiar
to its member (Russell, 1995, p. 67).
Les relations ont un contenu, une intension (une nature), et c'est cette intension qui
donne l'unité d'une classe potentiellement innie. Prenons par exemple la relation précède
y
x
. Nous sommes capable de comprendre cette relation de précédence quoique
nous soyons incapable d'énumérer l'ensemble des couples ordonnés qui lui correspond.
Quelle est la portée de cette remarque de Russell ? Ce premier argument que Russell provient de la manière dont les philosophes traditionnellement défendent la thèse
des universaux
169
. Il s'agit moins de critiquer le passage des relations à des couples
ordonnés que de critiquer le passage d'un dénition intensionnelle des relations à leur
dénition extensionnelle
170
. Autrement dit, l'argument vaudrait tout aussi bien s'il
s'agissait de réduire une relation universelle lières
R
à un ensemble de relations particu-
{aR1 b; cR2 d; ...} plutôt qu'à un ensemble de classes ordonnées {(a1 , b1 ); (a2 , b2 ); ...}.
Nous proposons en conséquence de mettre de côté cet argument puisqu'il s'adresse moins
au fait que la relation que l'on cherche à réduire est une relation et davantage au fait
qu'elle est une relation déni par une intention universelle. Le deuxième argument porte
plus explicitement sur la réduction d'une relation à une classe ordonnée.
169. Pour un argument semblable, voir Frege ([1980], Ÿ27 p.38)
170. En logique, une intension est une qualité ou une propriété connotée par une entité linguistique.
L'extension est au contraire toutes les instances particulières de choses dénotées par cette entité linguistique.
114
There is however a further argument against the view of relations as classes
of couples : the couples have to be ordered couples, that is to say, we must
be able to distinguish the couple x,y from the couple y,x. This cannot be
done except by means of some relation in intension. So long as we conne
ourselves to classes and predicates, it remains impossible to interpret order
or to distinguish an ordered couple from a class of two terms without order.
(Russell, 1995, p. 67)
La critique de Russell prend alors la forme d'une concession : les deux notions de relation
et de couple ordonnée semblent bien équivalentes. Toutefois, cette équivalence ne saurait
être une réduction, puisque la notion de classe
ordonnée
retient par dénition ce qui
fait la spécicité des relations, à savoir la notion d'ordre.
Proposons un troisième argument pour relativiser la portée de cette première étape
de la procédure de Kuratowski. La métaphysique contemporaine distingue plusieurs
sortes de relations : on y distingue en eet les relations internes, les relations externes,
les relations fondées, etc. Posons-nous la question suivante : de quelle sorte de relations,
les classes ordonnées sont-elles proches ? Plus précisément, puisque la notion de classe
ordonnée est une notion mathématique, des quelles types de relations les mathématiques traitent-elle ? Probablement des relations que l'on pourrait qualier `purement
externes'
171
, et par là, il faut entendre les relations qui ne sont ni fondées sur, ni
constitutives de la nature de leurs termes et dont l'existence n'est impliquée en aucune manière par celle de ces derniers (Clementz, 2009). Les relations spatiales sont
de bons exemples de relations purements externes, par exemple ... est entre .... .
Autrement dit, la première étape de la procédure de Kuratowski à ceci de particulier
qu'elle modèle toutes les relations sur le modèle des relations mathématiques, c'est-àdire des relations purement externes. Cecin'est possible bien évidemment que s'il n'y a
d'authentiques relations que les relations purement externes
172
.
L'Architecture des mathématiques, N. Bourbaki, in F.
Les grands courants de la pensée mathématique, Hermann : Paris (1948, rééd. 1997) :
171. Voici un passage révélateur issue de
Le Lionnais,
On peut maintenant faire comprendre ce qu'il faut entendre, d'une façon générale, par une structure
mathématique. Le trait commun des diverses notions désignées sous ce nom générique, est qu'elles
s'appliquent à des ensembles d'éléments
dont la nature n'est pas spéciée ;
pour dénir une structure,
on se donne une ou plusieurs relations, où interviennent ces éléments [...] ; on postule ensuite que la
ou les relations données satisfont à certaines conditions (qu'on énumère) et qui sont les axiomes de la
structure envisagée. Faire la théorie axiomatique d'une structure donnée, c'est déduire les conséquences
en s'interdisant toute autre hypothèse sur les éléments considérés
(en particulier, toute hypothèse sur leur nature propre) (p. 40, nous soulignons).
logiques des axiomes de la structure,
172. Il n'est pas étonnant que Russell ne mentionne pas cet argument, lui qui passa du dogme des
relations internes au dogme des relations externes : Pour Russell, on l'a vu, la doctrine des relations
115
Supposons maintenant la validité de la première partie du programme de WienerKuratowski et passons à la deuxième partie :
(a, b) =def {{a} , {a, b}}.
Qu'en est-il de
cette réduction des classes ordonnées aux ensembles ? Force est de constater qu'eectivement la dénition proposée par Kuratowski permet bel et bien de rendre compte de
la notion d'ordre, et ceci alors même que les ensembles ne supportent aucune relation
d'ordre (ils sont entièrement dénis par leurs éléments). Ainsi,
(a, b) =def {{a} , {a, b}}
6= {{b} , {a, b}} =def (b, a).
Le problème de cette réduction est dicile à cerner. Un premier élément de réponse
est probablement le suivant : il existe pour la notion de couple ordonné une multiplicité
(a, b) =def {{a} , {a, b}} est celle
Wiener : (a, b) =def {{a} , {b, Λ}}. Il
de dénitions possibles. De fait, la dénition proposée
de Kuratowski. Nous aurions pu prendre celle de
apparaît donc qu'une multitude de dénition sont possibles. Que conclure ? Peut-être
ceci : la dénition que Kuratwoski donne de la notion de couple ordonnée ne semble pas
être une dénition valable de façon nécessaire mais seulement une dénition possible. A
cause de cela, certains auteurs ont pu, à propos de la procédure de Wiener-Kuratowsi,
parler non pas de réduction mais de représentation (Wiggins, 1980, p. 42) ou bien
encore de modélisation (Hochberg, 1981, p. 163). Citons Hochberg plus longuement :
It is clear that two relations, say
not a member of a unit class in,
is a member of a unit class in
and
is
are implicitly employed in the analysis of
relational facts by the use of classes like
{a} , {a, b}.
The former relation
[being the rst member of a pair] as an ordering relation, since we
understand that a is the rst element as in the standard denition [...]. The
replaces
appeal to order is not eliminated by the use of the Wiener-Kuratowski pro-
like being a member
of a unit set as an ordering property instead of something like being the rst
member of a pair. In short, what the procedure shows is that a property
cedure. Rather, one uses a property (really a relation)
internes aboutit immanquablement, d'une manière ou d'une autre, à nier la réalité des relations. Du
même coup, à ses yeux, seule la thèse de l'extériorité radicale des relations est en mesure de leur
octroyer une pleine et entière réalité métaphysique. Les philosophes contemporains, dans leur grande
majorité, n'ont pas suivi Russell sur ce point, d'une part parce qu'ils acceptent généralement à la fois
l'existence de relations internes et de relations externes, et d'autre part parce que la plupart d'entre
eux se disent prêts à reconnaître aux relations internes elles-mêmes une certaine forme d'existence
objective. Mais ils n'en demeurent pas moins dèles, cependant, à l'esprit de la doctrine russellienne
en posant en principe que seules les relations externes jouissent d'un forme de réalité autonome, les
relations internes ne bénéciant, quant à elles, que d'un statut ontologique de seconde zone d'une
réalité en quelque sorte elle-même seconde et dérivée (Clementz, 2009).
116
like
being a member of a unit set
can be used to order a pair of elements.
Reprenons ce passage. Soit un couple ordonné ordonnant deux
relata
a et b. Ce que dit
Hochberg est la chose suivante : ce couple peut être transcrit dans un langage symbolique
moyennant certaines conventions d'écriture qui permettront d'interprêter cet ordre. Ces
conventions d'écriture, cela peut être ... est le premier membre d'une paire et ...
est le deuxième membre d'une paire . La transcription de ce couple s'eectuera alors
ainsi : a,b . Mais d'autres conventions sont possible : ... appartient à un ensemble
unaire et appartient à un ensemble binaire . Le même couple sera alors transcrit de
la façon suivante : {a,{a,b}} . Entre les deux conventions d'écriture, on peut noter
l'équivalence suivante qui permet de passer d'une écriture à l'autre :
x
x
x
et
est le premier membre d'une paire =def x
appartient à un ensemble unaire et
appartient à un ensemble binaire.
est le deuxième membre d'une paire x
=def x
appartient à un ensemble binaire
n'appartient pas à un ensemble binaire.
Autrement dit, le plan auquel opère la procédure de Kuratowski n'est pas tant sur le
plan notionnelle (sur ce que signie la notion d'ordre) mais davantage sur le plan de sa
transcription de cette notion (comment, pragmatiquement, symboliser cette notion). La
notion d'ordre peut être transcrite pragmatiquement au moyen de cet ordre particulier
qu'est l'ordre linéaire (être
le premier élément, être le deuxième élément ).
Cette trans-
cription est la plus simple et la plus usuelle, mais elle n'est pas la seule possible : telle
est la leçon de la procédure de Kuratowski. D'autres transcriptions sont tout autant
possibles, qui ne font pas appel à l'ordre linéaire, mais, par exemple, à cet autre ordre
particulier qu'est l'ordre de cardinalité (être
l'élément d'un ensemble unitaire, être l'élé-
ment d'un ensemble binaire, etc). Parce que l'ordre de cardinaité n'est pas l'ordre usuel
et auquel nous sommes habitués, nous avons l'impression qu'elle fait l'économie de la
notion d'ordre. Cependant cette conclusion va trop loin et il faudra nous contenter de la
conclusion suivante : avec la procédure de Wiener-Kuratowski, nous avons aaire non
pas à une réduction de la notion d'ordre mais d'une retranscription de cette notion générale d'ordre au moyen d'un ordre particulier qui n'est pas l'ordre usuel (la cardinalité
d'un ensemble).
4.1.2 Importance ontologique.
Comme nous l'avons signalé plus haut ( page 79), un problème de fond du carré
ontologique est sa diculté à rendre compte de l'unité des objets, et plus largement, à
117
pouvoir donner pour toute totalité un
principium unionis
qui ait une véritable consis-
tance. La possibilité d'une pluralité de catégories d'entités suppose la possibilité de
relier ces diérentes catégories ensemble, c'est-à-dire la possibilité pour elles de s'unir
an de former la réalité telle que nous la connaissons. D'où la nécessité de rendre compte
dans un système métaphysique d'une colle ontologique ( glue of being ).
La nécessité
de cette colle ontologique pouvant expliquer pourquoi les objets s'assemblent en système, comment il peut y avoir une authentique unité entre des phénomènes plaide pour
l'irréductibilité ontologique des relations : le rôle ontologique des relations n'est-il pas
précisément de
relier ?
Nonobstant ce truisme, la littérature métaphysique ne manque
pas d'argument pour tenter, sinon de réduire, du moins de minimiser l'importance ontologique des relations. De ce point de vue, Lowe (2009c), reproduit en annexe page 137,
ore un condensé assez remarquable des critiques habituellement adressés contre la
notion de relation
Obj. 1
173
. Nous reprenons le point de Lowe :
L'irréductibilité logique des relations n'implique pas leur irréductibilité onto-
logique
174
.
Il faut concéder l'objection. Néanmoins, cette concession ne doit pas être surinterprétée :
l'irréductibilité logique des relations suggère en eet une irréductibilité ontologique et lui
donne une valeur
a priori
justiée. Autrement dit, l'irréductibilité logique fait tomber
le poids de la preuve non pas à celui qui défend leur irréductibilité ontologique mais à
celui qui la nie.
Obj. 2
Les relations formelles ne relèvent pas du contenu de l'ontologie
175
Sans nier qu'il puisse exister des relations purement formelle au sens de Lowe, c'est
à dire qui n'ajoute rien au contenu de l'ontologique (un bon candidat serait peut-être
la relation d'identité), la diculté de cette objection provient de ce que toutes les
relations ne peuvent être des relations formelles. Ainsi, Lowe pose comme formelles
173. Ce texte, plus récent de Lowe, dénote une radicalisation de sa pensée : alors que le carré ontologique envisageait l'existence des relations, mis sur le même plan que les propriétés monadiques,
Lowe semble dorénavant les exclure du carré ontologique (il n'y aurait plus alors que des caractéristiques monadiques). Peut-être ne faut-il pas voir dans cette radicalisation un revirement de position
métaphysique mais la simple explicitation dont était grosse sa métaphysique précédente : ranger les
relations derrière le paradigme des caractéristiques monadiques était déjà une façon de les mettre en
dernière place.
174. C'est peut être ainsi qu'il faut interpréter la phrase de Lowe : There are certainly relational
truths, but there may well be no relational truthmakers.
175. Formal predicates include, for example, the predicates `is an object', `is a property', `is identical
with' and `instantiates'. The last two of these are relational predicates. However, they do not denote
or express `real' relations: there is no relational universal or class of relational tropes (or `modes')
corresponding to either of them.
118
les relations d'instanciation et de caractérisation. Ces relations assure le lien, la colle
ontologique entre diverses entités : entre un objet et sa condition, entre un objet et ses
caractéristiques. Cependant, si la colle ontologique est une colle formelle, sans véritable
consistance, l'unité qu'elle procure entre un objet, sa condition et ses caractéristiques
ne saurait à son tour avoir de véritable consistance.
Obj.3
Il y a de façon évidente des propriétés monadiques tandis qu'il n'est pas évident
qu'il y ait des relations réelles
176
.
Notre réponse à cette objection se fera en deux temps : à partir des exemples généralement invoqués, nous remettrons en cause le fait qu'il y ait des propriétés monadiques
évidentes, puis que les relations réelles soient des propriétés monadiques déguisées.
(1) Les exemples allégués - la couleur, la forme, le comportement chimique se
dissoudre - ne prouvent rien et semblent bien plutôt plaider en faveur des propriétés
polyadiques (relations). Il sut de constater concernant les deux premiers exemples
que la couleur et la forme géométrique d'un objet dépendent et sont relatives à un
environnement précis : si nous tamisons la lumière d'une pièce par un ltre vert, tous
les objets présents dans cette pièce change de couleur ; si nous chauons une barre de
fer, elle s'allonge sous l'eet de la chaleur
177
. Autrement dit, les propriétés que Lowe
propose comme exemple paradigmatique de propriétés monadiques telles que la couleur
et la forme géométrique sont en réalité s'avèrent en réalité un ensemble complexe de
relations qu'un objet entretient avec la lumière, la température, les autres objets, le
sujet qui les observent, etc. De façon plus précise, les propriétés monadiques de type
P(a)
semblent être idéalisation des relations de type
P(a,environnement).
Comme,
généralement, on considère les choses dans un environnement idéal , c'est-à dire, non
pas
P(a,environnement)
idéalisation comme
P(a, ceteris paribus), l'habitude nous fait poser cette
équivalent à P(a). Quant à l'exemple de la dissolution (celle du
mais
176. Material predicates, on the other hand, include, for example, `is red', `is square', `is the same
height as', `loves' and `dissolves'. Truths such as `x is red' and `x is square' have monadic tropes (or
`modes') as their truthmakers, viz. a color trope and a shape trope of x, respectively. Truths such as
`x is the same height as y' have pairs of monadic tropes as their truthmakers, viz. x's height trope and
y's height trope.
177. Historiquement, c'est à Goodman que l'on doit cette remarque : To say that a thing is hard,
quite as much as to say that it is exible, is to make a statement about potentiality.
If a exible
object is one capable of bending under appropriate pressure, a hard object is one capable of resisting
abrasion by most other objects. And for that matter, a red object is likewise one capable of certain
color-appearances under certain lights ; and a cubical object is one capable of tting try square
and measuring instruments in certain ways. Indeed, almost every predicate commonly thought of as
describing a lasting objective characteristic of a thing is a much dispositional predicate as any other
Goodman p. 40.
119
sel dans l'eau), il sut de considérer que la dissolution est précisément le passage de
certaines relations chimiques à d'autres relations chimiques (NaCl + H2O
→
HCl +
NaOH).
Nous critiquons maintenant la dernière partie de l'objection : Pour Lowe, il n'est
pas évident qu'il existe des relations réelles. Il prend comme exemple la relation
plus grand que
. Cette relation, quoique irréductible au niveau logique, serait réductible
au niveau ontologique à la hauteur des
relation
être
être aussi grand que
relata.
Étant donné la hauteur de
a
et de
b,
la
surviendrait entre eux (à moins que l'on se contente de dire
que cette relation est une simple vue de l'esprit, une comparaison que l'esprit opère entre
deux quantité qu'il abstrait de
a
et de
b ).
Le point essentiel est le suivant : pour qu'il
y ait réduction ontologique, la hauteur doivent être des propriétés monadiques. Il faut
donc qu'il existe apparemment des hauteur , des largeurs et des profondeurs absolue. Or, comme nous l'avons dit, ces propriétés spatiales sont toujours
un environnement, et concernant la mesure de ces hauteur,
relatives
relatives
à
à un objet que l'on
a pris comme référentiel (cette relativité des mesures spatiales à un référentiel donné
explique pourquoi on parle de la relativité de la géométrie). De ce point de vue, on dira
que le prédicat la hauteur de Pierre est un prédicat oblique, c'est à dire à un prédicat
qui fait implicitement mais nécessairement référence à un contexte référentiel
Obj 4.
178
.
Les relations causales dépendent et surviennent à certains pouvoirs causaux
intrinsèques aux objets.
Voici comment la citation de Lowe à cet eet :
As for truths such as `x dissolves y', which are causal truths, they are very
arguably made true by causal powers and their manifestations.
Causal
powers, however, are intrinsic, non-relational properties of their bearers,
whose special feature as powers is that their `manifestations' are (typically)
properties of objects which are distinct from the bearers of those powers but, again, these manifestation properties are non-relational ones
178. Prenant un autre exemple, celui de la température d'ébullition, Reichenbach fait la même remarque :
tions.
The objective character of the physical statement is thus shifted to a statement about rela-
A statement about the boiling point of water is no longer regarded as an absolute statement,
but as a statement about a relation between the boiling water and the length of the column of mercury.
There exists a similar objective statement about the geometry of real space :
a relation between the universe and rigid rods.
it is a statement about
The geometry chosen to characterize this relation is
only a mode of speech ; however, our awareness of the relativity of geometry enables us to formulate
the objective character of a statement about the geometry of the physical world as a statement about
relations Reichenbach,
The Philosophy of Space and Time
120
p. 37, nous soulignons
Mettant de côté la possibilité qu'il y ait des propriétés strictement intrinsèques, nous
nous penchons sur la dénition de pouvoir causal qu'ore Lowe. Voici comment il dénit
un pouvoir causal : un pouvoir causal est une propriété non-relationnel
à un objet
x
qui manifeste la propriété
manifestation entre
B
d'un objet
y .
A, appartenant
Il y a donc une relation de
A et B. Or, cette relation semble précisément être la relation causale
que Lowe cherche à éviter. Comme le note à juste titre Mertz :
Specically, a dyadic causal relation is taken as equivalent jointly to a
monadic property of actuality in an agent correlative with a monadic property of potency in a patient. Telling of the error here is the necessity of using
`correlative' terms which shows that there is no elimination of cross-subject
linking, and for this to be non-arbitrary it cannot be a `bare linking' and
therefore it must be controlled by a polyadic intension. (Mertz, 2006, p.
95)
179
.
De façon plus générale, la notion de causalité plaide pour l'irréductibilité des relations :
pour que quelque chose cause quelque chose d'autre, il faut qu'il y ait malgré la distance
spatio-temporelle qui peut les séparer un contact entre eux. Il faut d'une part que
la cause aboutisse à autre chose qu'elle même, qu'elle produise quelque chose d'autre
qu'elle-même, qu'elle manifeste un eet qui ne coïncide pas exactement avec elle. Il
faut d'autre part que l'eet soit non pas un eet mais un eet particulier, à savoir
l'eet d'une certaine cause et qu'elle soit en conséquence insérée dans un environnement causal particulier pour que la manifestation de cet eet découle et dépende de
l'existence de cette cause. Bref, entre la cause et l'eet, il faut une certaine continuité,
continuité dont on voit mal comment l'expliquer, sinon par l'existence d'une relation
réelle :
R(cause,eet).
Obj 5.
L'importance ontologique des relations est relative à une certaine conception de
l'espace et du temps. Si on change de conception, cette importance disparaît
180
.
179. Une réponse possible serait peut-être de reformuler une dénition dans le style de Hume et de
remplacer la relation par une simple corrélation : un pouvoir causal est une propriété non-relationnel
A,
x et dont l'exercice est régulièrement suivie par la
y . Une critique porte alors sur le régulièrement .
appartenant à un objet
propriété
B
d'un objet
manifestation d'une
Cet adverbe semble
appartenir de façon essentiel à la dénition de la causalité. Si cela était, comment expliquer que
certaines relations causales peuvent ne jamais se reproduire ? De plus, comment éviter de prendre pour
cause certains phénomènes suivant régulièrement d'autres phénomènes sans être pourtant leur cause (il
s'agit d'une corrélation accidentelle). Voir pour une critique plus approfondie de la théorie humienne.
Kistler (1999, chap. 1)
180. The only relational truths which even appear to demand relational truthmakers are spatial and
temporal ones, such as `x is between y and z' and `x is earlier than y'. But on certain quite plausible
121
Concernant la question du temps, depuis Riechenbach (1956)
181
, une de ses dimen-
sions essentielles sur laquelle tout le monde s'accorde est sa direction : le temps possède
une direction, si bien que ce qui a eu lieu a eu lieu une fois pour toute. Or, la notion
de direction est lié à la notion d'asymétrie. C'est précisément le recours aux relations
qui permet de fonder ontologiquement cette dernière notion. Concernant la question de
l'espace, les choses sont plus délicates : il y a d'une part la conception substantialiste de
l'espace par opposition à la conception relationnelle de l'espace. Considérons toutefois
l'argument suivant :
1. L'espace est réel et possède une certaine consistance
182
.
2. L'espace est constitué de lieux (que l'on symbolise par des points) et de relations
entre ces lieux (que l'on symbolise par des lignes)
183
.
3. L'espace ne peut pas être constitué que de lieux (de points)
184
.
4. Au moins certaines relations spatiales sont réelles et donnent à l'espace sa consistance.
Certes, l'argument proposé ici ne saurait prétendre résumer le débat sur l'ontologie de
l'espace (Voir Lowe (2002, chap. 14-15) qui ne mentionne pourtant pas cet argument) :
tout au plus prétend-il lever la force de l'objection de Lowe. L'argument tel qu'il est
présenté ici, dans sa simplicité, prouve que l'on ne saurait balayer d'un simple revers
de la main la conception relationnelle de l'espace et le poids ontologique que cette
conception amène à accorder à la notion de relation.
accounts of the ontology of space and time this demand also disappears, leaving us with no need at all
to call upon relational truthmakers.
181. Voir encore : With respect to two events that are suciently separated in time, the observer
has an immediate experience of time order, and he uses this experience as the basis for the ordering
of the events. However, in this chapter, we shall not refer to the subjective experience of time order.
Subsequently it will be shown that it is in principle impossible to use subjective feelings for the
determination for the order of external events. We must therefore establish a dierent criterion. Such
a criterion is found in the causal relation :
if E2 is the eect of E1, then E2 is called later than E2
(Reichenbach, 1927-1957, p. 136, italiques dans le texte.)
182. Contre la position de Kant pour qui l'espace est un concept. Cette position est cependant communément rejeté depuis la découverte des géométries non-euclidiennes (Reichenbach, 1920).
183. Nous proposons de voir cette énumération comme exhaustives, faute de pouvoir imaginer d'autres
candidats potentiels.
184. Le point est le suivant. Toute extension spatiale est constituée par des lieux et des relations
entre ces lieux. Supposons que les lieux soient les uniques composants ultimes de l'espace. Ces lieux
soit ont une extension spatiale soit n'en n'ont pas. S'ils ont une extension spatiale, ils ne sont pas les
constituants ultimes de l'espace et peuvent être réduit en un ensemble de sous-lieux et de relations
entre ces lieux. S'ils n'ont pas d'extension spatiale et s'ils sont les constituants ultimes de l'espace, d'où
vient que l'espace ait une extension ?
122
Obj 5.
La notion de relation est contradictoire : elle est pour une part indépendante
de ses
relata
et pour une autre part dépendante de ses
relata 185
Notons cependant que, pour qu'il y ait contradiction, il faut qu'il y ait dépendance et
indépendance
dans le même aspect.
Par exemple, un pays peut être dépendant d'un
autre pays sur un plan militaire et, en même temps, être indépendant de ce pays sur
le plan agricole. Si une relation est indépendante de ses
et dépendante de ses
relata
relata
dans un certain aspect
dans un autre aspect, il n'y a pas contradiction. L'analyse
des relations que nous orons par la suite arme qu'une relation dépend de ses
relata
quand à son individuation et en être indépendante quand à sa nature.
4.1.3 Conclusion
La régression de Bradley
En conclusions, nous commençons par consacrer un
paragraphe spécique à l'objection de Bradley. Historiquement, cet argument est devenu
l'argument contre l'existence des relations. Compte tenu des clarications que nous
avons apportés, nous pouvons répondre succinctement à cet argument. Voici ce que dit
Bradley :
But how the relation can stand to the [relata ]
186
is, on the other side,
unintelligible. If it is nothing to the [relata ], then they are not related at
all; and, if so, as we saw, they have ceased to be [relata ], and their relation
is a nonentity. But if it is to be something to them, then clearly we now
shall require a new connecting relation. For the relation hardly can be the
mere adjective of one or both of its terms; or, at least, as such it seems
indefensible. And, being something itself, if it does not itself bear a relation
to the terms, in what intelligible way will it succeed in being anything to
them? But here again we are hurried o into the eddy of a hopeless process,
since we are forced to go on nding new relations without end (Bradley ,
1893, chap. 3, p. 27).
L'argument de Bradley, tel qu'il est ici énoncé, est donc un argument contre l'existence
des relations
en général.
L'argument peut être reconstitué comme suit :
1. Soit un fait relationnel transcrit en langage logique
2. Ce fait relationnel comprend trois constituants
R(a,b).
{R,a,b}.
185. The very notion of such a thing is deeply mystifying, since it would be something essentially
dependent on two or more distinct and essentially independent things .
186. Pour la clarté de l'argument, nous avons remplacé le terme de
123
qualities
par le terme de
relata.
3. Parce que
R
est relié à
a
et à
b,
il y a deux autres faits relationnels
R'(R,a)
et
R(R,b).
4. Ces faits relationnels comprennent trois constituants
{R',R,a}
et
{R,R,b}.
Nous avons ici le début d'une régression à l'inni inacceptable car, si les relations sont
des entités, cet argument montre qu'on multiplie les entités sans nécessité. Cependant,
cet argument, en voulant trop prouver, est susceptible de pécher par excès. En eet, de
ce qu'un fait relationnel
par que la relation
l'ensemble
a
et
b
{R,a,b}
R
R(a,b)
{R,a,b}, il ne s'ensuit
identique à la relation R dans
est composé de trois constituants
dans le fait relationnel
R(a,b)
est
: dans la première écriture, la relation joue son rôle de relation entre
tandis que dans la deuxième écriture, la relation est abstraite de ses
relata
et,
précisément, n'est plus considérée comme une relation. Supposons par l'absurde qu'il
n'y ait pas de diérence entre
avons
R(a,b)={R,a,b}.
R
dans
R(a,b)
et
R
dans
{R,a,b}.
Si tel est le cas, nous
La seule diérence entre eux est en eet le fait que dans un cas
R est considéré comme quelque chose qui relie des
relata
, dans l'autre cas R est
simplement considéré comme quelque chose . Nous sommes alors dans le cadre de
la réduction d'un fait relationnel à un ensemble. Mais alors, en reprenant l'intuition
de Russell, nous avons
R(a,b)
=
{R,a,b} = {R,b,a} = R(b,a),
ce qui ne saurait être
vrai dans les relations asymétriques. Comme le note Mertz, voici tout au plus ce que
l'argument de Bradley permet de conclure
If the relational unity of a complex
R
R(a,b)
is not a function of the relation
cannot be a function of some
further relation R' as it it occurs in the complex R'(R,a,b) where R(a,b) =
R'(R,a,b) (Mertz, 1996, p. 188, italiques dans le texte)
as it occurs in the complex, then this unity
Une métaphysique structuraliste
En conclusions nous posons deux principes
en faveur d'une ontologie basée sur la notion de relation. Peut-être est-il possible d'éliminer totalement les propriétés monadiques de l'ontologie, mais il n'est pas évident qu'il
faille radicaliser notre ontologie jusqu'à là. Aussi, plus par souci modération que par
opposition à un tel éliminativisme, nous proposons comme premier principe le principe
suivant :
Principe 1
Les propriétés monadiques sont un cas particulier de relations.
Comme le formule Svennerlind (2008, p. 245) : What is essential is that an ontic
predicate has adicity, not of what degree the adicity is . Cette adicité peut être d'ordre
un, mais elle doit exister. En particulier, une propriété spécique des relations est la
124
notion d'ordre asymétrique. Cette propriété ne se retrouve pas dans toute les relations
(par exemple, les relations symétriques) et ne se retrouve pas non plus dans les propriétés
monadiques. On dira s'agit d'un cas limite de relations. Dans le carré ontologique, c'est
implicitement, le principe inverse qui était tenu, les relations sont un cas particuliers des
propriétés monadiques. Prendre toutefois comme paradigme les propriétés monadiques
ne permet plus de donner par la suite un poids métaphysique à la notion d'ordre. Un
deuxième principe est le suivant :
Principe 2
Les relations épuisent le contenu de l'ontologie.
Ce principe provient de la conjonction de deux résultats que nous avons essayer d'établir
jusque là :
Il ne peut y avoir, au plus, qu'une seule catégorie ontologique.
Les relations sont irréductibles d'un point de vue logique et ontologique.
Faire de la catégorie de la relation l'unique cadre de la métaphysique peut donner une
impression d'évanescence, tant nous sommes habitués à considérer la relation comme
la moindre des entités . Aussi pour donner une certaine consistance à la notion de
relation, nous introduisons la notion de structure. On appelle structure un relation dont
certains de ses
Def. 1
relata
sont des relations. Plus formellement,
S est dénie par un ensemble non vide d'éléments x1 , ..., xn (Dom,
le domaine de S ) et un ensemble non vide de relations R1 , ..., Rk (Sys, le système
de S ) dénies sur Dom : Dom contient les relata de Sys)
Une structure
S =def (Dom, Sys) = ((x1 , ..., xn ) (R1 , ..., Rk ))
Par exemple, un cercle de 1 cm de rayon est une structure composée d'un ensemble inni
est distant d'un centimètre telle que, parmi ces points, il
en existe un (le centre x) et, pour tous les autres points y 6= x, R(x, y). Nous retrouvons
de points et d'une relation R
dans la dénition de la structure une référence implicite aux analyses développé plus
haut sur la notion d'objet et d'unité. Avec la notion de structure qui unit un système
de relations avec un domaine de relation, c'est la notion d'unité qui est mis au coeur
de la métaphysique, résolvant ainsi dès l'origine les problèmes que posent les notions
d'agglomérat et de substrat.
Un conséquence de ce deuxième principe est la suivante : si l'ontologie n'admet que
la catégorie des relations, les
relata
des relations sont nécessairement elles-mêmes de
des relations ou des structures. Autrement, nous radicalisons la possibilité ouverte par
Russell et mentionné plus haut : de ce que les
mêmes des relations, il s'ensuit que les
relata
125
relata
des relations peuvent être eux-
des relations sont toujours eux-mêmes
des relations
187
. Ceci laisse implique à son tour que la réalité à son niveau le plus
fondamental n'est constitué que de relations.
4.2
Des relations universelles ou particulières ?
S'il existe une seule catégorie ontologique, à savoir les relations, ces relations sontelles des relations universelles ou des relations particulières ? Si nous suivons Russell
dans sa redécouverte de la notion de relations, faut-il aussi le suivre dans sa tendance
platonisante ?
4.2.1 Le réalisme scotiste
Deux objections
Posons-nous donc la question : les relations qui existent sont-elles
des entités particulières ?
Prima facie,
il semble que cette perspectives métaphysiques
ne nous soit pas disponible : d'une part parce que nous avons remis en cause la notion
d'entités universelles (cf. page 96) et d'autre part parce que la notion de relations
universelles semblent poser des problèmes particuliers. Développons rapidement deux
objections spéciques posées par la notion de relations universelles.
Obj. 1
Considérer les relations comme des relations universelles engendrent des para-
doxes.
Il sut pour le voir de considérer l'exemple suivant (Mertz, 1996, p. 4) : L'amour
de Roméo pour Juliette et plus grand que son amour pour sa famille . Si la relation
amoureuse est une entité universelle que l'on retrouve à la fois dans l'amour de Roméo
pour Juliette dans l'amour de Roméo pour sa famille, nous avons une même entité qui
est plus grande qu'elle même.
Obj. 2
Amener à considérer les relations comme des entités n'est pas compatible avec
une théorie des universaux.
Cette objection provient d'une réinterprétation de l'objection de Bradley. Il est en
eet possible de restreindre la portée de l'argument, dont nous avons dit que, dans sa
formulation initiale, il péchait par excès. Plus précisément, c'est l'idée de la régression
à l'inni qui est reprise et appliquée à la théorie du substrat (Armstrong, 1980, I p.
106), ou bien à la théorie des universaux (Armstrong, 1978, p. 70-71). Nous avons
déjà critiqué pour d'autres motifs la notion de substrat. Nous nous penchons maintenant
sur la question de la régression à l'inni dans la question des universaux.
187. On pourra se rapprocher du slogan de Drossos (2005) : points have structure 126
a instancie l'universel U. a
l'universel U : I(a,U).
1. La théorie des universaux stipule qu'une entité
dans une relation d'instanciation avec
2. Par hypothèse, cette relation
I
est
est une entité.
3. A son tour, cette entité entre dans le cadre de la théorie des universaux : cette
entité
U' ).
I
instancie un universel (on parle alors d'universaux d'ordre deux, noté
Donc, nous avons
I'(I,U').
C'était pour répondre à ce type de régression que Lowe avait introduit la notion de
relation formelle (négation de l'étape 2, cf. Lowe, 2006a, p. 30). Les heurs et malheurs
de cette notion de relations formels ont déjà été développés, ainsi que la conception
ad hoc
de la relation d'instanciation comme
nexus
fondamental ne devant pas être
expliqué.
La réponse de Mertz
Face à ses objections, une réponse possible mais radicale,
consiste à adopter une posture nominaliste et à armer que les seules entités qui existent
sont des relations particulières. Une autre réponse, moins radicale mais plus subtiles,
consiste à voir dans la notion d'universel non pas une notion existentielle (des entités
universelles) mais une notion objective. On dira alors qu'il y a, à l'intérieur de chaque
entité relationnelle, une détermination universelle et une détermination qui individualise. Telle est la réponse de Mertz :
Rin consists in (i) R, a repeatable intension or content and (ii) and unrepeatable linking among an n -tuple of specic entities, a1 ...an . The two aspects of
Ri are formally distinguishable, but they are not, in constituting Ri , relata
for some further relation rendering Ri itself a complex. To hold otherwise
is to start down the futile road of Bradley's regress (Mertz, 1996, p. 191).
Quelques commentaires sont demandés : l'indice
relation R tandis que l'indice
Plus précisément, c'est la
i
i -ème
n
dans
Rin
exprime l'adicité de la
n
exprime le fait que Ri est une relation particulière.
instances particulières de la relation universelle
R. R
est un aspect universel de cette relation particulière, ce qui en elle est répétable, tandis
que le lien, que l'on pourrait symboliser par les parenthèses (...) est l'aspect qui
individualise la relation en fonction de ses
relata.
Parce que la relation
Rin
est une
relation particulière, les paradoxes mentionnées dans la première objection sont évités.
Parce que
R
est seulement un aspect formel (i.e. objectif ) de
Rin
et non pas une entité,
la régression de Bradley est évitée. Voici en tout cas ce qu'arme Mertz. La validité de
cette réponse dépend donc de la validité des propositions suivantes :
127
1. Il existe dans les relations particulières des aspects formels ou objectifs .
2. Certains de ses aspects sont des universels.
3. Les aspects universels des relations ne sont pas soumis à la régression de Bradley.
Nous revenons maintenant sur la notion d'aspect formel. La distinction formelle correspond à la distinction opérée dans le chapitre précédent entre distinction existentielle et distinction objective (Cf. page 53). Tandis que par distinction existentielle ,
le philosophe entend distingue diérents actes d'exister, par distinction objective ou, pour reprendre la terminologie de Mertz par distinction formelle , le philosophe
entend seulement insister sur le fait que le fondement de cette distinction n'est pas d'origine conceptuelle, mais d'origine extra-conceptuelle : le fondement de cette distinction
est découvert, non pas inventé .
La
distinctio formalis a parte rei
Avant de revenir sur la validité de la réponse
de Mertz, nous revenons sur point central de sa réponse pour la situer historiquement.
La notion d'aspect formel est chez Mertz une référence directe à l'oeuvre de Duns Scot,
et plus précisément à sa
distinctio formalis ex parte rei .
C'est la raison pour laquelle on
peut assimiler son réalisme qu'il qualie de modéré au réalisme scotiste. La distinction
formelle de Scot est censée
188
établir de façon explicite deux points :
Il existe distinction médiane entre la distinction conceptuelle et la distinction
existentielle (d'où le terme de
formalis )
cette distinction est objective car fondée dans la réalité (d'où la mention de
a
parte rei ).
C'est alors de Scot et de sa distinction formelle que se réclame les philosophes contemporains tels que Mertz (2006, p. 35), Campbell (1990, p. 56) ou Armstrong (1980,
I p. 106), comme nous le verrons. Voici ce que dit Gilson à propos d'un passage de
Scot
189
:
Son point de départ est la notion, d'inspiration dionysienne, de la
unitiva .
continentia
Cette inclusion unitive inclut des éléments de nature complexe,
car de tels éléments n'auraient pas besoin d'être unis ; ni des éléments qui,
188. Nous disons censé car il est très dicile de pouvoir se référer au texte latin lui-même et, de
façon étonnante, les philosophes modernes reprennent cette distinction sans citer Scot. C'est donc
indirectement,
via
Gilson et Spade, que nous nous référons à Scot.
189. Continentia unitiva non est eorum quae omnino sunt idem, quia illa non uniuntur ; nec est
eorum quae manent distincta ista distinctione qua fuerunt distincta ante unionem ; sed quae sunt
unum realiter, manent tamen distincta formaliter, sive quae sunt idem identitate reali, distincta tamen
formaliter. Op. Ox. 1 II d.16 q.1 n.17
128
après union dans leur contenant, resteraient distincts de la même manière
qu'ils l'étaient avant d'être unis en lui. Elle contient des éléments qui, réellement un , demeurent néanmoins formellement distincts ; autrement dit,
qui sont identiques d'une identité réelle, et ne forment qu'une seule chose,
au sein de laquelle ils demeurent distincts (Gilson, 1950, p. 507)
Le point important est le suivant : quoique distinctes, les diérentes formalités forment
une unité. L'unité dont il est question ici n'est plus le concept négatif de totalité mais
le concept positif d'unité numérique : les diérentes formalités s'unissent dans un même
acte d'être pour ne former qu'une entité. Scot utilise cette distinction de manière abondante : entre les facultés de l'âme (la volonté, l'esprit), entre les personne de la Trinité,
entre la nature commune et l'eccéité, entre les niveaux formels de la réalité (la forme
animale et la forme rationnelle de l'animal rationnel qu'est l'homme). Nous discuterons
plus loin, à propos d'Armstrong, l'usage de cette distinction à propos des universels et
des particuliers. Plus intéressant pour l'heure est le commentaire de Spade :
This is a distinction that applies not in the order of individuals - that is,
of actual existence.
It is not the real distinction, in the technical sense
introduced above (although of course it is `real' in the looser sense that it is
`on the side of reality' - we do not make it up). Neither is it in the order of
concepts or understanding - which is the other kind of act that can accrue
to natures. Rather it belongs to the order of essence or quiddity (Spade,
1985, p. 329).
Dans cette citation, Spade arme très clairement que cette distinction n'est ni une
distinction existentielle (qui sépare des actes d'existence numériquement distincts), ni
une distinction conceptuelle : elle est distinction médian qui porte sur une détermination
objective de l'être, une manière d'être que l'on n'invente pas mais que l'on découvre.
Pour mettre en avant ce point et éviter les contresens, nous proposons d'abandonner la
qualication de formel au prot de la qualication d' objectif . En eet, tandis
que, pour Scot, ce qui est formel doit être mis en rapport avec la notion de
forma
(morphe ) aristotélicienne, dans la métaphysique moderne, ce qui est formel s'oppose
à ce qui possède un contenu ontologique. L'usage moderne de la
parte rei
distinctio formalis a
vise alors moins à capturer son aspect formel que son aspect objectif.
129
4.2.2 Le réalisme scotiste
La distinction objective appliquée à la notion d'universel est une manoeuvre philosophique qui, malgré sa nesse, est prête le an à de nombreuses objections. Il semble
que la reprise moderne de la distinction objective scotiste soit en grande partie due à
Armstrong qui l'utilise pour justier l'existence dans les états de faits d'une dimension
universelle et d'une dimension particulière. Dans la série chronologique des philosophes
qui postulent la distinction objective, Armstrong est évidemment de loin postérieur à
Scot. Nous commençons cependant par citer ce philosophe pour clarier un point.
Obj. 1
Il ne saurait pas y avoir d'aspect objectif universel.
Pourquoi commençons-nous par cette objection ? Pour la raison suivante : pour méritoire que soit la redécouverte opérée par Armstrong de cette distinction médiévale, on
ne peut s'empêcher à lire ce dernier auteur d'éprouver le sentiment d'une reprise
hoc.
ad
A preuve, le malaise dont témoigne Armstrong lui-même :
It is concluded therefore that although particularity and universality are
inseparable aspects of all existence, they are neither reducible to each other
nor are they related. Though distinct, their union is closer than relation.
Scotus talked of a mere formal distinction between the thisness and the
nature of particulars. The situation is profoundly puzzling, but, it is suggested, the Scotist view is the most satisfactory one which can be found
(Armstrong, 1980, II p.3).
Dans cette citation, Armstrong reconnaît prendre à Scot sa distinction objective et l'utiliser pour distinguer un aspect universel et un aspect particulier présent dans toutes
les entités. Une remarque est ici d'importance : là Scot établit sa distinction objective entre nature
commune
et eccéité, Armstrong l'établit entre nature
universelle
et
particularité. Mettons de côté la diérence entre eccéité et particularité pour nous focaliser sur la diérence entre universalité et communauté. Peut-être le malaise qu'éprouve
Armstrong provient en eet de ce qu'il n'établit pas de diérence entre universalité
et communauté, sinon, semble-t-il pour rejeter cette dernière au prot de la première
(Armstrong, 1980, I p. 87). La communauté, c'est le fait de pouvoir être répétable,
de pouvoir être communicable à plusieurs individu. L'universalité, c'est le fait d'être
commun en même temps à une pluralité. Pour reprendre la dichotomie entre acte et
puissance, on dira que l'universalité, c'est la communauté en acte.
Pour bien clarier cela, regardons de quelle manière on peut entendre l'armation qu'une réalité est, en dehors de l'esprit, commune à plusieurs sujets.
130
On peut l'entendre d'une manière positive. Dans ce cas ; il s'agit d'une réalité qui, demeurant indivise, demeurant en son unité, se trouve en plusieurs
sujets distincts [...]. Une telle communauté positive, Scot ne l'arme certainement pas des natures spéciques par rapports à leurs individus. On
peut penser encore à une communauté négative, ce qui signierait seulement qu'une nature n'est pas propre à un sujet particulier. C'est cette communauté négative que Scot arme de la nature spécique en dehors d'une
considération de l'esprit (Lallement, 1955, p. 372)
Souci exégétique mis à part, il semble qu'Armstrong, quant à lui, parle bien, quant
à lui, de l'universalité ou, ce qui revient au même, de communauté positive. Est-il
possible qu'une entité possède un aspect universel, c'est-à-dire un aspect qu'elle partage
objectivement avec une multiplicité d'entités ? On se souvient de l'argument de Boèce
contre l'existence des universaux en acte (cf. page 99) : on voit mal comment la reprise
de la distinction objective par Armstrong peut servir ici à contrer cet argument. Quand
bien même l'universalité ne serait qu'une dimension objective d'une entité, dans la
mesure où cet universel existe concrètement dans cette entité, il nira par contaminer cette entité de la pluralité dont il est porteur. D'où peut-être le sentiment de malaise
qu'Armstrong éprouve.
Scot postule quant à lui qu'il existe dans chaque entité particulière une nature non
pas universelle mais une nature commune. A l'inverse de la nature universelle, la nature
commune exprime non pas non pas une communauté
possible
de fait
mais une communauté
: la nature qui existe dans Socrate peut être commune. L'accent porte ici
autant sur une certaine capacité. Ceci peut se justier ainsi : la nature humaine n'est
pas spécique à Socrate puisque Platon aussi est de nature humaine ; Socrate n'épuise
pas toute les richesses que contient la nature humaine ; Socrate peut engendre des
enfants de nature humaine (il peut leur communiquer une nature humaine). Une telle
distinction entre universalité et communauté met probablement la nature commune ou, pour éviter tout malentendu, répétable - à l'abri de l'objection de Boèce.
Rép. 1
Une entité contient un aspect objectif non pas universel mais commun et ré-
pétable.
A la suite de Scot, Mertz postule un aspect objectif répétable et non pas un aspect
objectif universel . La discussion est-elle close ? il ne semble pas. Nous avons déjà introduit Scot comme
venerabilis inceptor
de cette distinction objective. Historiquement,
la position Scotiste a eu comme grand opposant la tradition thomiste. Il peut donc être
131
opportun de voir quel argument à pu avoir cours dans cette querelle. Nous avons déjà
cité Lallement. Voici la manière dont celui-ci résume la critique de Cajetan face à la
position des scotistes
Autrement dit encore, quand nous parlons de la nature en elle-même, il y
a deux choses à considérer : il y a ce qui convient à la nature en raison de
soi, et puis il y a la condition d'abstraction. L'unité formelle appartient à
la nature en raison de soi, mais la non-appropriation, la communauté, lui
appartient par suite de la condition d'isolement. Or, comme dans les sujets, il y a bien la nature avec tous ses attributs essentiels,
la condition d'isolement,
mais non pas
l'unité formelle de la nature se rencontre dans le
sujet singulier ; par contre, la communauté, la non appropriation, ne s'y rencontre pas ; l'unité formelle est appropriée comme la nature est appropriée
(Lallement, 1955, p. 379, nous soulignons).
Reprenons l'argument. Ce qui existe (les entités) sont des particuliers. Supposons qu'il
y a un aspect commun et un aspect individualisant objectivement présent dans cette
entité particulière. Dans l'existence concrète de cette entité, les deux aspects sont existentiellement inséparables : ce n'est que l'esprit qui les sépare. Cela, même les partisans
de la distinction objective l'acceptent
190
. Or pour qu'une chose soit répétable, il faut
qu'elle soit pour une part séparée de tout ce qui pourrait l'individualiser de manière
trop stricte, de tout ce qui la rattache à cette entité précise plutôt qu'à telle autre :
comment pourrait-elle sinon s'arracher à une existence concrète particulière pour se répéter dans une autre existence concrète particulière ? Il faut donc qu'elle soit pour une
part abstraite de ce qui l'individualise dans une entité singulière. Or, dans la mesure
où être abstraite n'est pas le mode d'existence concret de cet aspect, il faut que ce
soit un agent extérieur qui la sépare. Typiquement, on dira que tel est précisément est
le rôle de l'esprit : l'esprit abstrait la nature de l'existence concrète où elle se trouve
pour la considérer à part de ce qui l'individualise dans tel chose. On dira que cette
nature est commune ou encore répétable
en tant qu'elle est appréhendée par l'esprit
190. An instructive analogy here is to think of a relation distance
Ri
as similar to a circle
which can be considered, by abstraction, as having as real aspect the curves
latter corresponding to the intension and nexus aspects of
Ri .
∩
and the latter
^,
et
,
the
Both curves represent `components'
of the circle, yet one cannot identify either one of them as preexisting anywhere distinguished within
the continuous circle prior to an external act of segmentation. The circle is simple in its continuity,
whereas the complexity of the two component curves is subsequent to abstraction (post rem), though
The circle is simple prior to an external division by an
intellect . (Mertz, 1996, p. 75, nous soulignons).
each represent an aspect of the circle [...]
132
en tant qu'elle est abstraite de l'aspect objectif qui l'individualise. Nous sommes dans
une prédiction
de dicto
et non pas
de re .
La nature ou aspect objectif n'est pas en soi
répétable : cela, c'est une armation de l'esprit.
Ce n'est donc pas entre propre et commune pris isolément qu'il peut y
avoir un milieu ; c'est entre ces deux armations : la nature humaine, de
soi, est propre, et la nature humaine, de soi, est commune. Entre ces deux
proposition, il y a place pour celles-ci : la nature humaine est propre ou
commune par accident. Elle est propre selon la condition d'existence qu'elle
a dans un particulier, et elle est commune selon la condition d'abstraction
qu'elle a dans l'esprit. Elle n'est, de soi, ni propre ni non propre ; elle est
propre en raison de la condition où elle se trouve dans un singulier et elle
est commune en raison de la condition d'abstraction où elle se trouve dans
l'esprit (Mertz, 1996, p. 372).
D'où l'objection suivante :
Obj. 2
La propriété d'être répétable n'appartient pas de soi à la nature, mais à la
nature en tant qu'elle est abstraite par l'esprit de tout ce qui l'individualise.
Deux autres considérations peuvent venir appuyer cette objection. Premièrement, admettre qu'il y a objectivement un aspect répétable dans les entités particulières, c'est
admettre qu'il existe un aspect répétable à l'identique. Cela paraît une armation gratuite : peut être que les entités particulières ne se reproduisent pas de manière rigoureusement de manière identique. Deuxième, à supposer qu'il existe des aspects répétables
dans les entités particulières, comment expliquer leur origine ? Ne serons-nous pas obligés d'en revenir à un
deus ex machina
pour expliquer leur apparition dans l'histoire ?
(cf. la notion de créationnisme métaphysique page 40). La conclusion paraît la suivante :
ce qu'il y a objectivement ce n'est pas une nature commune, mais c'est, pour reprendre
les termes d'Avicenne, une nature
tout court
qui n'est ni commune ni individualisée
191
.
191. Cf. Spade, à propos d'Avicenne : Hence the common nature in itself has no unity. This is not
to say that it lacks unity, in the sense that it is a multiplicity or plurality. It does not have that either.
The question of unity or multiplicity simply doesn't arise at that level. It arises when we ask in what
mode (see the two `modes' distinguished above) that common nature is taken as existing. But then
we are not asking about the common nature in itself any more, but rather about the common nature
as in singulars, or as in a concept. (Spade, 1985, p. 320)
133
4.2.3 Le nominalisme modéré
Si cette nature n'est plus considéré en soi, mais en tant qu'elle est appréhendée par
un esprit, alors elle est commune. Si cette nature est rapportée à l'entité individuelle
dans laquelle elle se trouve, alors cette nature est une nature particulière (un homme,
une
relation amoureuse). D'où peut-être la réponse suivante :
Rép. 2
Il y a objectivement, dans les entités particulières, une nature particulière et
un principe individualisant.
Évidemment, avec une telle réponse, nous avons quitté le réalisme scotiste pour nous
rapprocher d'une philosophie nominaliste. De fait, telle semble la position de Campbell :
Campbell implies we can formally distinguish two aspects of a trope : its
individuality and a nature or content, though in extra-conceptual reality
they consitute a single entity.
In this he is consistent with a realist the-
ory of property instances. He even entions in this regard Scotus's `formal'
distinction (Mertz, 1996, p. 161).
On pourra toutefois objecter à cette réponse que, s'il y a une nature particulière et un
principe individualisant, les deux aspects objectifs présents dans chaque entité risque
fort d'être redondants : une nature particulière et un principe individualisant, cela
fait deux principes individualisants, et donc, un de trop (Cf. Moreland, 1985). Une
tentative de la réponse pourrait être celle-ci
Rép. 3
Il y a objectivement, dans les entités particulières, une nature particulière.
Le problème de cette réponse est qu'elle ne permet pas de voir la nécessité de distinguer
entre existence particulière et nature particulière : les deux semblent se confondre. On
pourra donc assimiler une entité particulière à une nature particulière et refuser de faire
une distinction entre distinction objective et distinction existentielle. Telle semble avoir
été la position d'Occam. Une autre réponse pourrait-être celle-ci, inspirée de Mertz :
Rép. 4
Il y a objectivement, dans les
relations
particulières, une nature particulière et
un pouvoir de connexion.
Il s'agit ici de la réponse de Mertz
modulo
suivant Il y a objectivement, dans les
la question du réalisme. Mertz posait l'analyse
relations
particulières, une nature
commune
et un pouvoir de connexion (Cf. page 127). Cette analyse, que Mertz qualie de
réalisme modéré nous l'avons rejetée au prot d'une analyse que nous qualierions de
nominalisme modéré. Pourquoi préféré cette réponse à celle d'Occam ? Peut-être pour
134
la raison suivante : cette dernière réponse permet de mieux rendre compte de la notion
de relation. Ce n'est pas en eet un hasard si Occam est celui qui propose la troisième
réponse en même temps que celui qui dénie l'existence des relations. Pourquoi cela ?
Mettons de côté la question d'une distinction existentielle qui demande des développements supplémentaires sur laquelle nous reviendrons dans le chapitre suivant, et
supposons qu'une relation soit une entité. Nous pouvons déjà noter la chose suivant :
parler d'une irréductibilité de la relation comme nous l'avons fait amène à distinguer
deux dimensions dans cette entité qu'est la relation.
Une dimension intrinsèque de la relation : si la relation a une certaine irréductibilité, cette irréductibilité doit lui être intrinsèque. Elle doit trouver son origine
dans la relation elle-même. On dira que relation, dans sa manière d'être en soi, a
déjà une certaine spécicité.
Une dimension extrinsèque : si la relation est une relation authentique, elle doit
être ouverte vers autre chose. Elle doit posséder une certaine force de connexion,
connexion qui s'étend à autre chose qu'elle même pour atteindre des
dira que la relation, dans sa manière d'être tourné vers ses
relata,
relata.
On
a aussi une
certaine consistance.
La dimension intrinsèque et la dimension extrinsèque ne doivent pas être trop fortement
distinguée : ces deux dimensions sont dans l'existence concrète d'une relation totalement imbriquées l'une dans l'autre. Autrement dit, il y a bien union entre ces deux
dimensions, mais cette union est plus forte que l'union que réalise une relation. Que
ces deux dimensions soit unies, il sut de s'en rendre compte de voir que la manière
doit une relation connecte entre elles diérentes chose semble découler de sa spécicité.
Deux relations diérentes - une relation amoureuse et une relation spatiale - peuvent
bien réunir les mêmes
relata
- Roméo et Juliette -, elles ne les relient pas de la même
manière et pas avec la même force. D'où vient cette diérence dans la manière de les
relier ? Probablement de ce que, intrinsèquement, une relation spatiale n'est pas une
relation amoureuse. On dira que la dimension extrinsèque de la relation découle et
exprime de la dimension intrinsèque d'une relation.
S'il ne faut pas trop séparer ces deux dimensions, et s'il faut fortement les unir, il
ne faut toutefois pas identier l'une à l'autre : ces deux dimensions sont irréductibles.
A trop mettre l'accent sur la spécicité intrinsèque d'une relation au détriment de sa
faculté à relier diérentes choses, on risque de transformer la relation en substance
moniste. Inversement, à trop mettre l'accent sur sa faculté de relier diérentes choses
au détriment de son irréductibilité intrinsèque, on risque de transformer la relation en
135
une simple collection d'objets.
136
Annexe 1 : Lowe contre les relations
Il s'agit du résumé d'une conférence (non disponible) de Lowe intitulé
Might Really Be No Relations ?
Why There
(Lowe, 2009c)
There are certainly relational truths, but there may well be no relational
truthmakers.
To see what motivates this claim, we must rst of all dis-
tinguish, amongst relational predicative truths, between those that involve
merely formal predication and those that involve material predication. Formal predicates include, for example, the predicates `is an object', `is a property', `is identical with' and `instantiates'. The last two of these are relational predicates. However, they do not denote or express `real' relations:
there is no relational universal or class of relational tropes (or `modes') corresponding to either of them. Truths such as `x is identical with y' and `x
instantiates y' do not have relational truthmakers but are true, rather, in
virtue of the essences of x and y - and essences, it may be argued, are not and
could not be entities of any kind. Material predicates, on the other hand,
include, for example, `is red', `is square', `is the same height as', `loves' and
`dissolves'. Truths such as `x is red' and `x is square' have monadic tropes
(or `modes') as their truthmakers, viz.
a colour trope and a shape trope
of x, respectively. Truths such as `x is the same height as y' have pairs of
monadic tropes as their truthmakers, viz. x's height trope and y's height
trope. (Commonly, it is said that being the same height as is an `internal'
relation which `supervenes' on the heights of its relata; but in fact there is
no need to acknowledge the existence of a real relation here at all, not even
a `supervenient' one.) Truths such as `x loves y' plausibly also have monadic
tropes as their truthmakers, viz. a loving trope of x of which y is the intentional object (and such an object is not a genuine relatum of a real dyadic
relation, of which x is the other relatum). As for truths such as `x dissolves
y', which are causal truths, they are very arguably made true by causal
powers and their manifestations.
Causal powers, however, are intrinsic,
non-relational properties of their bearers, whose special feature as powers
is that their `manifestations' are (typically) properties of objects which are
distinct from the bearers of those powers - but, again, these manifestation
properties are non-relational ones, such as dissolving (in the non-transitive
sense of the verb `dissolve'). Hence, causal truths plausibly ultimately have,
137
once more, only monadic entities as their truthmakers. Upon close examination, indeed, we nd that the only relational truths which even appear
to demand relational truthmakers are spatial and temporal ones, such as `x
is between y and z' and `x is earlier than y'. But on certain quite plausible
accounts of the ontology of space and time this demand also disappears,
leaving us with no need at all to call upon relational truthmakers. This is
perhaps just as well, for the very notion of such a thing is deeply mystifying,
since it would be something essentially dependent on two or more distinct
and essentially independent things.
138
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Contents
1 Introduction
1
2 Un paradigme métaphysique : le carré ontologique.
6
2.1
2.2
2.3
Lowe et le Carré ontologique
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6
2.1.1
Description de ces catégories . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
2.1.2
Des catégories classiques ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La formalisation du Carré ontologique.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
21
2.2.1
Les limites de l'ontologie : sa forme . . . . . . . . . . . . . .
21
2.2.2
La notation symbolique du carré ontologique.
. . . . . . . . . .
30
. . . . . . . . . . . .
34
La cosmologie du Carré ontologique : l'émergence
2.3.1
Justication de l'hypothèse
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
36
2.3.2
Explicitation de l'hypothèse
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
41
3 Interprétation existentielle du carré ontologique
3.1
3.2
3.3
La séparation entre substance et caractéristiques.
52
. . . . . . . . . . . .
54
3.1.1
Analyse logique de l'être . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
56
3.1.2
La théorie du substrat
62
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Problèmes liés à cette séparation
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
69
3.2.1
La substance considérée en soi . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
70
3.2.2
La substance comme union de caractéristiques . . . . . . . . . .
78
Extension de la remise en cause : particulier et universel.
. . . . . . . .
86
3.3.1
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
87
3.3.2
L'immanence faible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
90
3.3.3
Conclusion
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4 Le primat des relations particulières
4.1
4.2
15
102
107
L'irréductibilité et importance des relations . . . . . . . . . . . . . . . .
109
4.1.1
D'un point de vue logique
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
109
4.1.2
Importance ontologique.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
117
4.1.3
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
123
Des relations universelles ou particulières ?
. . . . . . . . . . . . . . . .
126
4.2.1
Le réalisme scotiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
126
4.2.2
Le réalisme scotiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
130
4.2.3
Le nominalisme modéré
134
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
147
148

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