Poésie
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“Axolotl” N°52 - Août 2009 A ISSN 1660-5713 “xolotl” Revue littéraire et trimestrielle indépendante N° 52 - Nouvelle série - Août 2009 Conditions de publication: Les auteurs désireux de voir publier leurs textes sont priés de les faire parvenir sur support informatique exclusivement (de préférence Word 2005 pour MacIntosh ou compatible) à l’adresse de la rédaction. Au besoin, une épreuve leur sera envoyée pour ultime contrôle avant parution. De manière générale, les textes publiés doivent être inédits. Un délai est à prévoir entre la date de retour de l’épreuve éventuelle à “Axolotl” et la date de publication. Ce délai peut se prolonger pour les textes de prose dépassant les 3’000 signes. Délai rédactionnel pour le prochain numéro: 15 octobre 2009 SOMMAIRE (En guise d’) Editorial 2 et 3 Poésie: 3 à 8 Prose: 9 à 11 Page d’outre-langues: 12 et 13 Essais: 14 et 15 Librairie virtuelle: Notes de lectures: 16 17 à 20 Adresse de la rédaction: J. Grin - Avenue Edouard-Rod 15 - (CH) 1007 Lausanne Diffusion: Editions de l’Escarboucle - Case postale 894 - (CH) 1401 Yverdon-les-Bains www.escarboucle.ch Axolotl : Larve de l’amblystome — salamandre d’origine du Mexique — qui a la particularité de ne se métamorphoser, pour atteindre l’état adulte, que dans certaines conditions, mais qui peut se reproduire à l’état larvaire. Axolotl : A la quête, par son immobilisme, d’une réconciliation du temps et de l’espace, comme ils le furent peut-être jadis, en des temps lointains, où l’univers appartenait aux Axolotls. Petit mot de la rédactio En guise d’éditorial Un petit mot de la rédaction Jean GRIN Ceci n’est pas une œuvre en prose, mais la restitution, à partir de ma lecture personnelle des faits, d’événements réels. Depuis plusieurs années, le rédacteur en chef de la revue belge Inédit Nouveau, Monsieur Paul Van Melle, me fait l’honneur et l’amitié de lire tous les numéros d’“Axolotl” et de les commenter à chaque fois. Ce qu’il en dit ? Il commente le graphisme –qui n’est pas toujours à son goût – apprécie ou déprécie les textes retenus… En bref, il effectue ainsi un véritable travail de critique littéraire. Puis, il me fait parvenir par courrier postal la photocopie de la page de sa revue où figure son compte-rendu. Ainsi, je ne manque jamais de lui adresser le nouvel “Axolotl” in extenso, et non la simple photocopie du sommaire, ce qui serait peutêtre une idée à retenir… Il n’a pas remarqué que, depuis le numéro de novembre 2007 (Nº 45), j’exige une version numérique des textes destinés à publication, ce juste pour m’éviter la fastidieuse tâche de devoir ressaisir à l’ordinateur un nombre considérable de poèmes, nouvelles, recensions critiques, etc… Mon temps est trop précieux pour que je le gaspille et, tant qu’à faire, je préfère encore saisir mes propres productions. En revanche, avec la nouvelle formule graphique d’“Axolotl” (dès août 2008, Nº 48), cette exigence étant désormais placée en première page, et non plus en dernière, Monsieur Van Melle l’a remarquée. Elle lui a suggéré un commentaire dudit numéro que je cite ici : « Axolotl 48 est également bien sympathique, mais (encore un !) je regrette fort que Jean Grin exige désormais le “support informatique exclusivement”. De surcroît en Word 2005 et MacIntosh. Il est triste d’exclure ainsi les poètes et autres écrivains qui ne sont pas encore passés à l’informatique absolue. Exit Gérard Lemaire ? Lamentable ! On n’exigerait pas en plus des références ? » (Inédit Nouveau, Nº 226, page 18). Sur le moment, j’ai pensé que Monsieur Van Melle trouvait à la fois le moyen de palier une panne d’inspiration éventuelle et de défendre un poète que par ailleurs il édite. Son compte-rendu de l’“Axolotl” de novembre de la même année (Nº 49) m’a par contre surpris. Là encore je le cite : « Axolotl 49, comme trop d’autres aujourd’hui, exige des textes sur support informatique. Et “Axolotl” N°52 - Août 2009 je m’étonne d’y trouver par exemple notre ami Gérard Lemaire, que je sais aussi démuni que nous dans ce domaine. Je n’admets pas ces exigences purement techniques. On dirait que l’on veut contraindre les poètes à s’équiper à grands frais ! (…) » (Inédit Nouveau, Nº 228, page 23). Idem pour l’“Axolotl” de ce mois de février (Nº 50). « (…) trouvant ici d’excellent poètes engagés comme Béatrice Gaudy, mais surtout plus divers qu’avant, maintenant que Jean Grin rejette les manuscrits sur papier et ne joue plus qu’avec l’informatique. C’est vraiment dommage, et il a fallu sans doute une exception pour un Gérard Lemaire. (…) ». (Inédit Nouveau, Nº 231, page 18). Si cela ne représente pas de la persévérance… C’est alors que j’ai préféré m’amuser plutôt que me fâcher. C’est ainsi que j’ai glissé un petit papillon de format 10 sur 21 centimètres, de couleur rouge, dans les seuls exemplaires destinés aux dénommés Lemaire et Van Melle de l’“Axolotl” de ce mois de mai (Nº 51), où j’avisais les auteurs en mal d’ordinateur, ou désireux de s’éviter de payer les services d’un écrivain public, qu’ils avaient la possibilité d’envoyer leurs manuscrits pour saisie informatique audit Van Melle, qui le ferait gratuitement et transmettrait à “Axolotl”. Ils ne pouvaient, ni l’un ni l’autre, le manquer ! La réaction ne s’est pas faite attendre. Le jeudi 11 juin, en cours d’après-midi, je recevais un coup de téléphone alarmé d’une dame de Nyon, anciennement domiciliée en Belgique et amie de Paul Van Melle, me certifiant que jamais, ô grand jamais, un tel accord n’avait été convenu et m’explicitant la surprise – pour le moins légitime ! – du destinataire. Il l’avait mandatée de découvrir mon numéro de téléphone et de me contacter. J’avoue ici, ouvrant une parenthèse, que je regrette fort de n’avoir pas pu être présent au moment où il a ouvert son courrier ; j’aurais aimé voir sa tête. Mais, trêve de cruauté : j’ai expliqué toute l’histoire et ses justifications à la Dame, qui fut par ailleurs fort surprise d’apprendre que je ne refuserais pas, le cas échéant, de m’entretenir avec ma « victime ». Par ailleurs, Monsieur Van Melle n’a pas tardé à me téléphoner dans les minutes qui suivirent ; cela m’a permis de lui confirmer que mon éthique m’avait interdit de reproduire ce canular à l’ensemble des abonnés et correspondants de la revue et qu’il ne serait pas envahi de textes à saisir pour mon seul confort personnel. Je me suis par ailleurs engagé à ne pas récidiver sans l’en informer au préalable. Que retenir de cette histoire, si ce n’est que je me suis bien amusé ? Je crois qu’il appartient “Axolotl” N°52 - Août 2009 Poésie à tout auteur qui tient à se faire publier de tenir compte des impératifs – techniques et/ou littéraires – qu’impose un éditeur, à moins que ce ne soit son agenda – plus qu’à son talent pur et intrinsèque. J’ai une famille, des projets de rédactions, trois emplois à temps partiels officiellement – quatre officieusement – et le souci de ne pas faire un infarctus à cinquante ans. J’aime autant cuisiner des petits plats pour mes proches que de passer de longues après-midi à lire sur ma terrasse lorsqu’il fait beau, ou encore à me ressourcer en été quelques semaines dans les paysages merveilleux du Pays d’EnHaut (fromages, fondues, balades, fondues, fromages, voire encore fendre du bois à la hache). De ce fait, je maintiens mes exigences d’un texte fourni en version numérique et je remercie ici les nombreux auteurs qui jouent le jeu. Les autres ? Le petit monde des revues à tirage confidentiel ou semi confidentiel (ce qui revient au même) comporte encore assez de réfractaires à l’informatique – que ce soit par conviction ou par nécessité – pour trouver une petite place. Le « bastion » d’Axolotl” ne leur est pas fermé, il suffit de faire preuve de collaboration. Caveau Raymond Tschumi La source de l’esprit est à jamais enfouie sous les ossuaires des peuples disparus. Les pinceaux et les pioches des archéologues l’attestent quelquefois sans la ressusciter, afin qu’elle soit pour chacun son seul secret. Les vedettes paradent devant salle comble: les déçus, les frustrés, les miséreux s’embourbent, oubliés des secours, loin de toute assistance. La vérité sourd au plus noir de la caverne pour ne laisser couler que sa propre lumière. Ceux qui survivent sur le sable ou dans la boue, notre Dieu incarné voulut les secourir. En vain. Devenus prolétaires, Marx les prit sous sa baguette théorique inspiratrice de haine programmée au rythme des slogans. Comment ne pas les reconnaître en les sondant au fond de ta détresse, où le choc de ta chute ranime le désir de te désenchaîner? C’est dans la pénurie qu’il convient de fêter la victoire de la conscience sur le mal. Tandis que la fourmi s’évertue sans répit, tu te replies sur ton mystère inaccessible. Silence bienvenu, pause revigorante. Décontracte-toi donc, laisse le cours d’eau claire guider tes pas dans les ténèbres assoiffées! La Madelomphe Guillaume RODIEN Au coucher du soleil, sur les bords de la Meuse Brillent les feux des camps Gallas et Somalis Et leurs flammes dorées sur la rive brumeuse Prennent leur vol vers les lendemains abolis. Et puis, dans la nuit verte aux phosphores subtils S’ouvrent les roses des amours, ô seins de lis ! Et viennent se dresser les cheveux des pistils Et rôder les fennecs dans les volubilis ! Mais par le matin blême où rumine l’exil − Mais où l’Ophir lui-même échoue sous le grésil −, Monte, plus raide qu’un cadavre : la Daromphe ! … Et dans tes yeux, sous un vaste soir zinzolin Couchent les larmes noires d’un rêve orphelin Et l’astrale berlue d’un bateau qui triomphe. Poésie Chips aux crevettes et pot de confiture Jean-David Christinat Pot de confiture et chips aux crevettes Ciné, théâtre, et un brin de causette Communauté et du pâté en croûte Amour à la montagne et sur la route Ranger, ménages, et une danse érotique Chasse aux paillons et soirée au cirque Pot de confiture et chips aux crevettes Clin d’œil complice, respect de la planète Partir à l’aventure sans rien prévoir Manger à l’aveuglette, rencontres d’un soir Rire sans se moquer, et sympathies Libertés, rêves, et un plat de rösti Pot de confiture et chips aux crevettes Faire des folies et perdre la tête Cornichons, galipettes et ananas Sport d’hiver, athlétisme, vol en delta Socialisme, cyclisme et parachutisme Vacances, aller voter, alcool, civisme Chips aux crevettes et pot de confiture Mégot, gigot, ragot, littérature Examens du permis de bien s’conduire Pyjama à petits pois, avenir Du fromage et un croissant au jambon Des pastèques, musique tzigane et gens bons Claude LUEZIOR Faut-il l’urgence de la foi ou celle du jeu pour jeter sur papier des fractals de mots : faut-il qu’elle soit chanoinesse drapée d’oraisons ou païenne cachée au bout des sens ; faut-il des oracles ou quelque virtuelle caresse ; faut-il un semis d’encre, faut-il le sang d’une rose noire sur vélin ; faut-il une jumelle presque utérine ; faut-il la nonchalance d’une moniale, la fourrure d’une louve, les arcanes d’une conteuse ; faut-il l’alcool rare du manque ? Faut-il une vouivre qui affleure mes racines : là-bas et qui m’attend. “Axolotl” N°52 - Août 2009 Ivresse Marianne Charlotte MYLONASSVIKOVSKI En titubant lentement il s’empresse, embrasse le lampadaire, éructant ces mots de profonde sagesse cachés dans l’ivresse de sa vie en détresse Dans le brouillard de sa tête, il s’oriente sans perdre le nord au fond de la bouteille pendouillant de ses bras ballants Il parle a ses fantômes discourant dans une langue que personne ne comprend, s’agrippant aux mots, les éructant du tréfonds de ses boyaux, les pourchassant. Les idées s’enchaînent dans une logique que lui seul saisi ; anesthésié, transi, sa tête éclate dans un ailleurs étouffant, ses entrailles se révulsent dans un vide terrifiant se dévidant dans le vomis d’une vie qu’il vomit. Verte, visqueuse est sa vie ; il la noie dans ce vide de néant écoeurant, dans cet oubli sécurisant Ci-devant,, un quelconque autre … il frappe, cogne, gueule, se venge de tout ce qui le démange et mange, ronge le passé, la vie ; il ne se maîtrisent plus. C’est la bouteille sa maîtresse, cette garce exigeante qui lui donne l’ivresse, l’insatiable envie qui le triture sans cesse, le réduit en un tas de fiel, lui suce le sang jusqu’à la moelle, jusqu’à la cirrhose, noire et morose. Chute dans le sommeil-entonnoir Finalement le noir ! “Axolotl” N°52 - Août 2009 Poésie Temps perdu Chère inconnue Albert ANOR Jacques HERMAN Que de temps perdu Dans nos rêves mortels A compter les flocons De neige à mesure Qu’ils descendent du ciel A dénombrer Les étoiles A séparer Dans le tissu des souvenirs Le bon grain de l’ivraie A gommer ces chagrins Qu’on voudrait oublier Mais qui reviennent en force Comme pour vous narguer Puis colorent de gris Pas même nuancé Les jours à venir Que de temps perdu A noircir le papier A gémir A se plaindre A supplier les dieux De s’asseoir près de nous Et de nous soutenir Que de temps perdu A regarder tourner Les aiguilles du temps Sur les heures gravées En chiffres romains Dans le bois d’un cadran Floralie Béatrice GAUDY La corolle pourpre d’un coquelicot rêvait de se faire oiseau Les doigts d’une brise compatissante la cueillirent dans le chant du ciel l’élevèrent Ainsi naquit l’aurore Extrait du recueil inédit Légendes vraies de l’Orbe Chère inconnue tu ne seras pas mon escapade Ni ma fuite en avant toutes voiles dehors Tu ne seras pas mon bol d’air au fond de l’eau Mon école buissonnière ma planche de salut Ma dérive émotionnelle flottante Mon radeau de la Méduse ma plaisance Mon escale mon port d’attache Chère inconnue Tu ne seras pas mon projet de société secrète Ma compensation ma récompense Mon lieu noir ma veine cave Chaire d’inconnue tu seras juste un battement une pulsation Ma fraction de seconde d’un bonheur inachevé arraché au monde Lacet Jean-Marc THEVENIN Gardait le bout de figue en ses mains de crevard D’un essaim de lacets de la terre qui berce Sa verdure échappée de la prière éclose Soudure qui rougeoit dans l’automne des peaux. De vos grâces cuivrées en métronome gourd Et la rondeur du vent que tassent les pesants Dont les fientes lavées tachent le crépuscule Des leurres effrités que soignent les copains. Aux sources de la clope en des ronces qui bavent Ses lèvres abusées de la fleur oportune Et la haie retrouvée que souillent les berceaux. Les sales punitions que le social engendre Plus proches du larcin des ombres dominos A déjouer la brise en des luttes de feuilles. Poésie La flamme de la paix Brigitte NEULAS BERMOND Dans les cœurs, des flammèches d’espoir vacillent parmi les souffles des vivants. 6 février 2008 ! 40ème Anniversaire des JO de Grenoble. Ils ont allumé la flamme olympique dans la vasque-souvenir, à l’entrée du parc Paul Mistral. Festivités. Des tambourinaires habillés en vert, collerettes rouges, battent ardemment du tambour. Trois-quatre hommes flocons en blanc sont montés sur des échasses. Ils rebondissent comme des balles neigeuses sur l’espace clôturé près du monument en fer noir semblable à des crêtes stylisées « Afin que la paix règne sur le monde » ; et, autour de la statue du chasseur alpin sous les pierres crêtées d’un autre où il est aussi écrit : « A La Gloire des Diables Bleus. Ils ont aussi apporté un skieur en carton pâte auquel ils mettront le feu. Ces hommes géants et floconneux jonglent avec leurs torches allumées. Un avaleur de flammes fait sortir un feu d’enfer de sa bouche. A côté de l’anneau de vitesse, la grande rampe sur laquelle descendaient les athlètes est illuminée. Un feu d’artifices jaillit en grandes étincelles au cœur du noir. Et des fumées roses et mauves sortent de la Tour Perret environnées de petites torches éclairantes. Une colonne blanche de petits enfants s’avancent dans l’allée. Ils viennent de l’école maternelle Driant. Ce sont des angelets muets pareils à des statuettes en marbre Qui ouvrent leurs esprits à l’amour de la beauté à travers la célébration de sports olympiques ! “Axolotl” N°52 - Août 2009 A la nuit tombante Luce Péclard C’est l’heure des pipistrelles Au ciel crépusculaire. Leur incessant va-et-vient Entre chêne et noyer Tisse le hamac invisible Où je m’endors sous les étoiles. Ah ! Quelle nostalgie affleure En cet instant d’éternité ! Le monde se balance en moi Dans son véritable équilibre. Je le berce comme un enfant ! Adelina LENOIR CICAICI Dans mon enfance, ma mère me disait souvent : « Tiens-toi droite ! » A l’époque, je pensais à la position de la colonne vertébrale. Elle voulait dire : tiens-toi droite devant la vie devant ton destin devant l’amour devant les échecs et n’ oublie pas de sourire… Mélange de physiologie et de philosophie. “Axolotl” N°52 - Août 2009 Poésie Chemin faisant Amalita HESS Sur tes chemins de claire verdure et ses failles de noire caillasse sur tes sentiers de roses trémières et ses abords griffés d’épines sur tes falaises de mer safranée et ses fossés mordus de ronces le cœur ouvert à deux battants à ta rencontre j’irai et nous danserons sur les routes du monde n’empruntant que les itinéraires de l’espoir! A Arthur Rimbaud Adelina LENOIR CICAICI Nous avons vu la roue des mots glissant sur la paupière des chars stellaires nous avons eu des ailes en or devant les labyrinthes de feu nous avons bu le sein du blé et les cascades des champs sauvages et nous nous sommes agenouillés pour rendre amour à La Beauté… Îles du vent Guillaume RODIEN Elles abritent des rivières de brocart Bâtissent un voussoir au galop de l’absence Où glissent vers le soir les îlots du hasard Et où gravitent des bannières de silence. Des chevaux de Gauguin se promènent tranquilles Parmi les flancs prasins des naines altitudes Amis et souverains d’indigènes nubiles Leurs songes pélerins des vaines solitudes, Pareils à ceux des peupliers des cimetières Brillent des feux du sablier de leurs crinières; Et du chemin blanchi qui tombe sur la mer Moulu par l’anarchie des trombes de soleil Je contemple et contourne l’ombre de l’éther Puis m’en retourne au temple sombre du sommeil. La mue de la bestiole Béatrice GAUDY Dans Vienne la fraîche le serpent est un symbole dont la peur se décortique en interprétations psychobibliques Dans les arides contrées de pauvreté où loin de tout secours gens et bêtes meurent d’une morsure Le serpent est un danger Extrait du recueil inédit Profils satiriques Poésie Didier OBER «La poésie, c’est fini !» m’a-t-on dit un jour Mais tout est fini... La nature est à l’agonie ainsi que tout ce qui fait de nous des êtres vivants Il ne peut pas y avoir de poésie dans un monde où les voitures et les machines font la loi dans un monde où les supermarchés de l’arnaque et les centrales nucléaires ont remplacé la forêt où les lumières artificielles aveuglantes ont remplacé la lune et le soleil où les écrans ont remplacé le monde où les machines ont remplacé les êtres vivants où les êtres humains ne sont plus que des accessoires encombrants perturbant le bon déroulement du flot perpétuel des voitures qui puent et qui tuent La poésie n’existe pas dans ce monde n’a jamais existé dans ce monde où les êtres humains vivent par procuration Conscience portative modulable parasitée n’ayant plus besoin de corps qui ne peut que les encombrer dans cet univers qui fonctionne en vase clos et où règnent les machines et les écrans tout-puissants “Axolotl” N°52 - Août 2009 Compagnons Nicole DIENER-CARTON Ils sont guerriers de marbre aux portes du sommeil, immobiles, guettant le sable et ses mirages, ils gardent les déserts de mes livres d’images et les temples perdus sous un autre soleil. Leurs rêves sont faits d’or, de pourpre et de vermeil enroulés à leur cou comme un collier de mage, grains de mémoire à moudre, à donner en partage à des seigneurs du temps, maîtres de mes éveils. L’opacité des nuits se brise en mille étoiles à l’heure où l’horizon peu à peu se dévoile et montre la poussière et le bleu du néant. Sentinelles du point du jour, dans l’aube grise où le silence a pris sa couleur indécise, elles vont se dresser comme des récitants. Pandore Adelina LENOIR CICAICI Es-tu un rêve dans l’harmonie d’une lente musique couvrant les pas énigmatiques ? Es-tu la grâce des blanches colonnes dans les écharpes brûlées de vent ? Es-tu la main furtive chargée de songes de diamants ? Es-tu frisson des autres terres ? Es-tu le dernier éclat ? “Axolotl” N°52 - Août 2009 Prose L’héros binait (roman autobiographique TGV) Jean-Paul GAVARD-PERRET Tel un Bourguignon je suis négociant en vain. Mes souvenirs me servent à rien car ma mémoire d’éléphant me trompe énormément. Je n’ai guère de capacité même si comme tout le monde j’ai une intelligence supérieure. Mais une étoile d’araignée tel un marlou a envahi ma tête pour lui emboîter le trou. Je ne suis plus que le e muet de ma presqu’île. D’une carpe je n’ai même pas pu soutirer le mot diem. Et je ne suis pas de ceux capables de peindre en jaune les canaris quand ils se fâchent tout rouge. Pourtant je ne prends pas la lune pour l’autre. A savoir l’amie pour laquelle je gagne la croûte et qu’après avoir couverte du regard je déshabille des yeux. J’ai toujours su persévérer pour aboutir à l’échec jusqu’à être incapable d’imiter ma propre signature lors de mon mariage. J’en attendant mieux mais pensant que toute chair étant faible il fallait l’accalmer. Cyclope louche je descends plus facilement au fond des choses que je n’en remonte. Mais je ne suis pas de ceux qui se font tant de mal à vouloir toujours les derniers maux. Non il faut que vieillesse se trépasse jusqu’à ce que l’infini reste sur sa faim. C’est pour cela sans doute que mes petits pois sont rouges, que mes discours n’en disent pas long et que mes fins de moi sont difficiles. Fini le temps où je cherchai sans cesse le petit endroit sous un string où satisfaire mes désirs. Je m’en repends même ! (tout en changeant la corde). Tel le nain Atchoum il ne me reste que peut d’éternuité devant moi et dans mon compte à rebours le sable émouvant m’effraie. Jeter de l’huile sur le feu sacré n’y change pas plus que de battre un chien d’aveugle avec une canne blanche. Mais muselons la logique, laissons là aux philosophes musichiens ou autrichiens. A mon âge mieux vaut deux comprimés qu’un con promis. Sachez qu’il n’y a plus d’O dans mon histoire. Les nonnes dont le beau cou plaît beaucoup peuvent montrer leurs saints. Mes appâts rances sauront les saluer sans ambiguïté. Je ne suis plus ce catalan qui franchissait les périnés. C’est pourquoi je vais vous laisser sur ces mots dont vous ne tarderez pas à mesurer la portée comme on disait les géniteurs des 101 dalmatiens. Si vous avez des doutes sur mon hume annie thé je vous enverrai sous peu mon appareil hydraulique à identifier l’humain. Je reste tout à fait conscient de l’importance de ma découverte et de sa pompe funèbre. En attentant je vous remercie de votre attention. ( Ce roman fleuve je le dédie à une Miss si chipie). Invitation à un « samedi lecture » Un « samedi lecture » est un samedi après-midi où des écrivains se réunissent pour lire leurs textes. Ces rencontres proposées par l’Association Valaisanne des Ecrivains, en étroite collaboration avec le Village Suisse du Livre, offrent à ceux qui écrivent une occasion de faire entendre leur voix. Elles s’adressent à ceux qui désirent aller jusqu’au bout de leur démarche créative par une lecture publique. Rectorat du Village Suisse du Livre Saint-Pierre-de-Clages – à 14 heures Les 26 septembre et 21 novembre 2009. Entrée libre à la condition d’amener au moins une personne dans le public, mais inscription indispensable auprès de : Pierrette Kirchner-Zufferey – Petit Mâconnais 28 – 1805 Jongny - % 021 921 12 72 – [email protected] 10 Prose “Axolotl” N°52 - Août 2009 Portefaix Patrice PERRON L’homme, plutôt de stature solide et flatteuse, marche depuis déjà dix jours, son fardeau sur le dos. Il touche au but, les traits tirés, la silhouette légèrement courbée, le souffle court, les habits sales de la poussière du chemin et odorants de la transpiration du jour. Il sent monter en lui la hâte de se décharger le dos. Pourtant, cette ruelle silencieuse, sombre, aux pavés humides et gras, desservant des maisons aux murs fatigués et cintrés, contient tous les ingrédients d’un classique traquenard. Le numéro 51 nécessite de s’engager profondément dans la ruelle partant en forte courbe dès les premiers mètres. C’est par là que le portefaix doit remettre le contenu de son fardeau. C’est bien par là qu’il est attendu. Suspense… La nuit joue à l’appareil photo : le rayonnement des étoiles ne suffit pas à y voir. Il ne subsiste que la lente accommodation des yeux à l’obscurité pour se diriger. L’homme fatigué, courbé sous le poids de la charge, s’adosse un moment à l’angle de la première maison, à proximité d’un porche. Il laisse glisser le sac de ses épaules, lève la tête à la recherche d’un peu d’air. Il s’essuie lentement le front d’un revers de manche tout en soupirant profondément. Il tend l’oreille aux menus bruits et mouvements possibles dans la ruelle. Pas un chat. C’est bien là qu’il faut aller. S’enfoncer avec prudence dans ce coupe-gorge, approcher de la bonne porte et, enfin, livrer la marchandise. En de tels moments de tension, le répit octroyé ne s’avère pas forcément être du repos, même si l’homme à l’arrêt à l’angle de la rue respire, prend son temps. Ce répit laisse l’esprit courir, gamberger, passer en revue des suites de scenarii tous plus fous les uns que les autres. La respiration se calme enfin, mais l’esprit s’emballe. Le portefaix imagine un thriller type cinéma américain, ficelé à point et spectaculaire à souhait. Ayant retrouvé au moins en partie ses moyens, il s’engage dans la ruelle, avance pas à pas en longeant les murs, regardant souvent en arrière dans le noir de façon mécanique, tenant un revolver armé à la main, les sens en éveil à la manière d’un radar. Il lui faut coûte que coûte livrer cette fichue marchandise à son destinataire du 51, lieu du rendez-vous, dans les meilleurs délais. Le plus vite sera le mieux. Le sort de sa fille, prise en otage, en dépend. Tout à coup, dans sa tête, le film démarre, s’accélère, bascule. Des coups de feu giclent en rafales et résonnent dans la ruelle transformée en chambre d’échos. Les lueurs bleues des gyrophares transpercent l’obscurité et la stridence des sirènes de police percutent puis déchirent le silence. Des portières de voitures claquent au carrefour, des hommes accourent, la rythmique de leurs foulées signe leur progression. Soudain, dans le faisceau des lampes apparaissent des traces de sang, un sang bien rouge, qui après une prompte palpation gant enlevé du chef, s’avère encore chaud. A ce moment précis, l’homme est tiré du film qu’il se jouait dans la tête. Exit l’appartenance du sang rouge et chaud, tant pis pour sa fille. Dans la ruelle sombre, étroite et inquiétante, de légers bruits le ramènent à la réalité de sa situation. Il se cabre un peu, tend les sens, se prépare à une accélération de sa vie. Puis expire en se détendant. Ce n’est qu’un chat qui sans doute pourchassé, vient de rater un virage et est parti s’éclater dans les poubelles. L’homme peut souffler un instant. Ces quelques secondes dérobées à l’action lui permettent d’évacuer une partie des symptômes inhérents à l’appréhension : ne pas être aux abois mais à l’affût, maîtriser la respiration et la sudation. Mais rien ne peut empêcher l’esprit de recommencer à s’emballer et à s’inventer une histoire tragi-comique de portefaix des récits de moyen âge, à forte coloration de traditions campagnardes et de bonhomie de chanson de geste, façon téléfilm français. A peine l’homme a-t-il recouvré ses moyens, commencé à s’aventurer dans la ruelle l’angoisse nouée au ventre, à peine a-t-il trouvé les mots à dire à son interlocuteur destinataire du fardeau, à peine at-il levé les yeux au ciel pour négocier quelques bribes de courage, à peine a-t-il senti du bout des doigts l’humidité des murs, qu’une bande de mécréants moustachus, grossiers, sales, “Axolotl” N°52 - Août 2009 Prose rustres, arrogants et probablement féroces l’encercle. La lueur ondulante et mobile des flambeaux donne une dimension diabolique à la scène. Un brusque et éprouvant silence prend le pouvoir sur tout le reste, comme si par la magie de la fiction, le plateau d’enregistrement se transportait à la vitesse de la lumière dans un autre décor. Les murs fatigués, les pavés humides et gras se trouvent remplacés par le fond uniformément coloré d’une bande dessinée simplifiée. L’imagination de l’homme permet à la caméra d’opérer au ras du sol et en étant placée juste derrière les assaillants. Cet angle accroît la dimension d’oppression et de menace exercée par les agresseurs, probablement des bandits de grand chemin. Or ceux-ci sont malins. Ils veulent rester discrets et pour ce faire, ils se sont équipés d’instruments silencieux ou presque : gourdins, dagues, chaînes et couteaux. Ils ont choisi et attendu leur victime : ce portefaix à moitié anémique, à moitié pitoyable, mais véhiculant peut-être un magot intéressant. C’est l’instant de vérité. Comment vont-ils s’y prendre ? La page de publicité tombe à point nommé pour sortir le portefaix de ses pensées et de la fâcheuse posture dans laquelle il se trouvait à ce moment précis du film. Là, dans la ruelle, l’immobilisme semble soudain bousculé comme des peupliers par le souffle de la brise, réactivant la vigilance de l’homme. Ne pas baisser la garde. Or pendant le téléfilm cérébral qui vient d’être interrompu, la transpiration a cessé. L’homme sent le froid de la nuit tomber sur lui, se glisser entre sa chemise et sa peau. Il est temps d’avancer et d’agir. Toi, ami lecteur, tu as pris la place depuis déjà un moment, tu es adossé à l’angle de la maison, la peur tend ton ventre, mais tu es fermement décidé à aller jusqu’au bout de la mission. C’est au numéro 51, plus avant dans la courbe de la ruelle, dont tu ne vois qu’une courte partie à chaque pas, que tu dois te rendre. La prise de vue d’hélicoptère te montre progressant prudemment de trois-quarts, dos au mur, bras armé vers l’avant. Enfin te voilà à portée de vue estimée dans la pénombre du 51, devant le numéro 44, une bâtisse construite en léger retrait des autres, sur le côté gauche de la ruelle. Endroit parfait pour poser ton fardeau, observer et te reposer. T’éponger à nouveau le front, mais cette fois-ci au moyen d’une serviette délicatement pliée et précieusement rangée dans le sac. Et t’essuyer soigneusement 11 les mains pour effacer toute moiteur signe d’appréhension. Puis relâcher le corps et faire tomber les épaules. Et la nuit défile ainsi. Le petit matin frais, saturé de lumière blanche et de rosée, te trouve installé et calé dans le recoin des murs de façade. Tu as juste légèrement déplacé la petite carriole bâchée stationnée là, pour te couvrir du passage. Maintenant que tu te sais indécelable, tu ouvres ton sac et le soulages du fardeau transporté jusqu’ici, tout en jetant un coup d’œil automatique sur le numéro 51, à une vingtaine de mètres pour t’assurer qu’il est toujours dégagé. Voici venue ton heure. Le sourire aux lèvres, la crosse bien en main, le pouce sur le chien et l’index sur la gâchette, tu laisses tes yeux lentement se plisser et ton corps entier ajuster, attendant le moindre mouvement de la poignée de porte du numéro 51. Pour assurer la livraison de la pièce et solder les comptes une bonne fois pour toutes. M «Plume», une illutration due à Christiane BONDER. “Axolotl” N°52 - Août 2009 Pages d’outre-langues 12 Els trens nocturns Helena CREUS Em repenjava callade A la finestra Quan els trens, Totes aquells trens nocturns De Tolosa Amb un so De tambours rituals, Esmicolaven El silenci embruixat De la nit florida. I el torrent ondulat De les parets S’omplia de poesie. Les trains de nuit Helena CREUS Traduction Pierrette KIRCHNER-ZUFFEREY Je m’appuyais silencieuse. A la fenêtre Quand les trains, Tous ces trains nocturnes De Toulouse Au son De rituels tambours, Emiettaient Le silence De la nuit fleurie. Et le torrent ondulé Des parois S’emplissait de poésie. Retour Retorn Helena CREUS He tornat A refer el camì, Per trobar-me Amb els carrers Ou viuen, espectrals, Tantes histories. Per aturar-me Un instant, A les places Pintades d’albada. Per trepitjar Les antigues llambordes, Color de cendre. Per sadollar-me Amb l’olor intensa Del canal silent. Per sentir encara Les vostres petjades En la boira emergent. Helena CREUS Traduction : Pierrette KIRCHNER-ZUFFEREY J’ai refait Le chemin Pour me retrouver Dans les rues Où vivent Tant d’histoires spectrales. Pour m’arrêter Un instant, Aux places Peintes d’aube. Pour piétiner Les anciens pavés Couleur de cendre. Pour me rassasier De l’intense odeur Du canal silencieux. Pour sentir encor Vos empreintes Dans le brouillard émergeant. “Axolotl” N°52 - Août 2009 Pages d’outre-langues Cantiga do só 13 La chanson du solitaire Aidenor AIRES Saber depois que o mar está deserto, que as ondas e as praias morreram no itinerário da infância... Saber depois que a casa continuará vazia e que, à mesa, o pão esperará... Ou será partido por uma mão somente. Dans l´anthologie : “Seleta poética” - Ed. Kelp/UCG 2005 - Aidenor Aires Traduction Yvan AVENA Savoir que la mer est déserte, que les vagues et les plages sont mortes pendant le trajet de l´enfance... Savoir qu´après la maison continuera vide et que, sur la table, le pain attendra... Ou qu´il sera partagé par une seule main. Rien Elizabeth Caldeira Brito Traduction Yvan AVENA Nada Plus de week-end Elizabeth Caldeira Brito ni de belles aurores. Não mais fim de semana, nem lindo amanhecer. Não mais água de março, só estar com você. Não mais pôr-do-sol, nem chuva na plantação. Não mais eclipse lunar, nem luar do sertão. Não mais brisa da manhã, nem leve sopro de vento. Não mais olhar as estrelas, nem o melhor pensamento. Não quer mansidão das águas, nem o silêncio da mata. Só saciar a fome, na solidão que desata. Plus d´eau du mois de mars. Seulement être avec toi. Plus de coucher de soleil, ni de pluie sur les plantations. Plus d´éclipse de lune, ni de lune du sertão. Plus de fraicheur matinale, ni de léger souffle du vent. Plus d´observation des étoiles, ni de superbes pensées. Plus de mansuétude de l´eau, ni de silence de la brousse. Seulement le rassasiement de la faim dans la solitude qui libère. “L´Envers des heures & autres” Ed. Université Catholique de Goiás 2007 14 “Axolotl” N°52 - Août 2009 Essais Jacqueline Thévoz à la droite du Père Paule d’ARX Si saint Anselme de Canterbury et saint Thomas d’Aquin ont tenté d’apporter une preuve ontologique de l’existence de Dieu, si les plus éminents théologiens ont proposé des visions fort divergentes de l’Eternité, Jacqueline Thévoz a recréé dans ses Contes et légendes de l’Au-Delà un paradis qui ressemble parfois à la cour de Louis XIV. Au sommet de la hiérarchie céleste règne un Être Suprême dont Michel-Ange a laissé des portraits frappants sur les voûtes de la Sixtine. Retranché derrière son père, le Christ ne participe guère davantage que le Grand Dauphin au gouvernement du royaume. Colbert et Louvois ont cédé leur place à saint Pierre, prompt à exécuter les ordres et les contrordres de son Maître. A l’instar de Mme de Maintenon, la Vierge, cloîtrée au fond de ses mystérieux appartements, prétend ne se mêler de rien pour mieux glisser son nez partout. Les anges, que commandent les archanges, constituent l’armée et la garde rapprochée du Souverain. Excédé des folies de la Terre, le Très-Haut a subitement déclenché le big bang et les infortunées victime de sa Colère, Il les a recueillies sous le toit de sa vaste Demeure dont le Paradis occupe l’étage supérieur et l’Enfer les sous-sols. Les illustres Réformateurs et les terribles Inquisiteurs ont également promis aux hommes que, le Parvis sacré franchi, ils ne seraient plus que des âmes désincarnées, pures et parfaites. Le Seigneur en a décidé autrement. Il a revêtu les élus d’une toge bleue, agrémentée de deux ailes blanches avant d’assigner des logements distincts aux adeptes des différentes religions monothéistes. Mais Il a concédé si peu de sagesse aux nouveaux immortels qu’ils gardent en sa Présence les défauts, les travers et les ridicules dont ils ont toujours souffert. Même devenus saints, ils n’aspirent qu’à gravir les degrés de l’échelle sociale au détriment de leurs biens chers frères. Parmi la gent écrivassière, l’envie et la jalousie atteignent évidemment leur paroxysme. Des concours richement dotés attisent les haines et les rivalités entre des poètes et des romanciers qui manient le dénigrement avec une rare dextérité. Afin de rétablir la concorde au ciel des cieux, plusieurs concerts sont organisés et ils permettent à l’auteur de témoigner de ses goûts ou de son ample culture musicale. A l’issue de ces festivités, le Tout-Puissant distribue « chocolat…, bêtises de Cambrai, calissons d’Aix, caramels…, fruits confits, dragées, … pralines, roudoudous, sucettes … et pâtisseries. » Puis, Il convie ses hôtes à un banquet où se succèdent les apéritifs, les vins et les viandes, « des légumes bio …et des desserts succulents. » Calvin doit se retourner dans sa tombe ! Mais Dieu n’est-il pas « l’incompréhensible, incontestable 1 » ? Jacqueline Thévoz, en janvier 2009 Le Prince des Ténèbres Les actions ou les manœuvres de Lucifer, de Lucie Ferraille, son épouse et de leurs acolytes “Axolotl” N°52 - Août 2009 Essais divertissent moins que les jeux des angelines et des angelots. Toutefois, entre les brasiers et les grils de l’Enfer, l’auteur s’abandonne volontiers à la satire mordante, à de vives critiques ou à des jugements sévères dont les plaines célestes sont exemptées. Au milieu des damnés comme au milieu des élus se pressent d’anciens terriens que les lecteurs identifieront aisément. Cependant, l’écrivain ne s’abaisse à aucun règlement de compte mesquin. La gentillesse, cette qualité très anoblissante, si longtemps et si sottement vitupérée en Romandie, oriente et anime les démarches littéraires ou humaines de Jacqueline Thévoz, mais elle se double d’une ferme lucidité et d’une subtile malice. Aussi, sans nullement s’acharner contre les coupables, la romancière livre à Satan, outre les criminels ordinaires, les spéculateurs et les profiteurs, les politiciens et les agitateurs professionnels, « les chasseurs et les enfants mal élevés » ou plus bizarrement « les mouches et les guêpes ». Le Nez d’Adèle, un récit largement autobiographique incitera les lecteurs à comprendre pourquoi Mme Thévoz, après avoir frôlé le pire, précipite les médecins incompétents dans les eaux noires du Styx. Les délices du Purgatoire Omniscient et omnipotent, le Dieu de Jacqueline Thévoz n’est pas infaillible. Les Limbes, qu’Il avait supprimés, Il les rétablit à l’intention des personnes indisciplinées dont les excès de langage, de coquetterie, de vanité, d’égoïsme ou de passions désordonnées troublent la sérénité du ciel. Si l’écrivain croit à la rédemption de ces pénitents et de tous les pécheurs, elle n’en dénonce pas moins, à la faveur de ses petites histoires apparemment anodines, le danger de nouvelles pandémies, des armes atomiques et de la conquête spatiale. Des illusions, elle n’en nourrit guère sur l’évolution de la société, les joies de la famille ou le bonheur des couples. « Dans le mariage, il y a … la pomme et la poire, l’une grignotant l’autre », soutient-elle. Quant aux aléas de la circulation routière, qui causent fréquemment à Jacqueline Thévoz des ennuis plutôt cocasses ou burlesques, ils lui inspirent les meilleures pages de son livre. En vue d’aller prendre Un Repas au bord de l’eau bénite, l’ange Absalon-Thévoz accueille dans sa drôle de machine Boucles d’or accompagnée de son mari et pour les lecteurs commence une fête qui leur arrachera des larmes de rire. 15 En dépit de son âge avancé. et de sa santé précaire, Jacqueline Thévoz signe d’un conte à une légende de l’Au-Delà un ouvrage habilement structuré dont le style fluide et précis s’émaille constamment d’un humour délicat et fin, unique dans les lettres romandes. Pourquoi notre pays n’a-t-il pas encore récompensé un tel talent de quelques distinctions ou de quelques prix importants ? Grandeur et misères de la nature Comme j’ai déjà présenté aux lecteurs d’“Axolotl” l’œuvre et la philosophie de Robert Hainard, je ne m’arrêterai que brièvement à l’ombre de ses Forêts sauvages, illustrées de gravures et de dessins. Au gré de cette anthologie, la famille et les proches de l’artiste ont judicieusement rassemblé des extraits significatifs de textes qui inviteront chacun à prendre rapidement connaissance des idées majeures du célèbre Romand. Devant nos villes et nos villages défigurés, devant le massacre impitoyable des arbres le long de nos sentiers, de nos routes, de nos rues, devant le bétonnage irrémédiable du moindre carré verdoyant, devant nos rivières encagées et nos montagnes ravagées, il est l’heure de nous souvenir que Robert Hainard s’est élevé le premier contre la densification frénétique des sols qu’entraîne une surpopulation incontrôlée, néfaste ou suicidaire même. En ces temps obscurs, nous ne traversons pas uniquement une grave crise économicosociale, nous vivons dans l’amertume et la résignation la fin chaotique d’une civilisation. Alors, n’aurions-nous pas tout intérêt à écouter la voix chaleureuse, intrépide et prophétique de Robert Hainard ? Jacqueline THEVOZ : Contes et légendes de l’AuDelà, Sierre, Editions A la Carte, 2008. Robert HAINARD : Les Forêts sauvages, Genève et Saint-Claude-de-Diray, Editions Hesse et Fondation Hainard, 2008. 1 Victor HUGO ; Choses vues, Paris, Gallimard, 1972, Tome III, p. 357. Librairie virtuelle 16 “Axolotl” N°52 - Août 2009 Un de ces livres vous intéresse-t-il? Contactez la rédaction d’“Axolotl”, qui se chargera gracieusement de transmettre l’information à l’éditeur ou l’auteur… Jacqueline THEVOZ: Contes et légendes de l’Au-delà, Sierre, Editions A la Carte, 154 p., 2008. Frs 30.00 Jacqueline THEVOZ: 44 leçons de foi, Sierre, Editions A la Carte, 172 p., 2008. Frs 30.00 Jean-Paul COMTESSE: Le Valanvron, trois détours, Sierre, Editions Monographic, 67 p., 2008. Frs 21.00 – € 12.00 L’écriture de Bocampe semble décidément vouloir avancer vers ce qui sous-tend davantage le désir de création, sa nécessité, que la création ellemême. Ce stupéfiant processus d’arrachements et de reconstitution de soi que provoque tout de même le besoin de créer ne nourrirait-il pas finalement notre désir de néant, que nous n’ayons de cesse d’en rechercher la trace, ce qui, de ce point de vue là, rendrait l’agir au moins aussi fascinant que l’attente ? Et est-ce que la poésie, celle qui avance à visage découvert et nous surprend en flagrant délit de factuel comme de merveilleux, n’aurait pas quelque chose à voir avec la vacuité, mais une vacuité qui merveilleusement répondrait à l’attente, la comblerait ? Autrement dit, l’amour n’entretiendrait-il pas un rapport avec l’inconscient désir de rejoindre ce plein vide? Parce que dans ce texte l’attelage du rêve au langage est prétexte aussi à essayer de comprendre, une réalité explose sur le plan de sa conscience. Eléonore c’est la compassion, évidement, et les Enfants Blessés sont parmi les humains ceux qui, intuitivement, sentent que leur indécrottable nostalgie, leur spleen, n’est autre que le symptôme résurgent de la mémoire oubliée d’une très ancienne blessure d’amour. Bocampe pense le monde en conduisant son véhicule poétique avec toujours autant de fraîcheur, de gravité et de spontanéité. Régis NIVELLE Bocampe, libre penseur comme il aime se définir, est né en France dans les Cévennes. Issu d’un milieu modeste et en contact avec un vieux berger, il apprendra très jeune le travail de la pierre sèche. Dès lors, cette passion ne le quittera plus. Ses pérégrinations de bâtisseur dans le sud de la France le conduiront en Suisse où il suivra une formation de socio-thérapeute en 1988. En relation depuis vingt ans avec des personnes en situation de handicap, il est aussi responsable d’un atelier de céramique et de pierre sèche à Yverdonles-Bains. Aujourd’hui, à travers cette collection, il souhaite partager avec le lecteur ses pensées par amour pour la littérature. Les Editions de l’Escarboucle 15 € ISBN: 978-2-9700557-9-2 www.escarboucle.ch Editions de l’Escarboucle Martine MAGNARIDES: Deux ailes, Paris, Editions La Bruyère, 190 p., 2008. € 18.00 Bocampe Les enfants blessés Jacques HERMAN: L’Homme de Paille, poèmes, Pailly, Editions du Madrier, 108 p., 2009. Frs 15.00 LES ENFANTS BLESSES Les auteurs intéressés à y figurer sont priés de fournir les références exactes du volume (auteur, titre, soustitre, lieu d’édition, éditeur, collection éventuelle, nombre de pages, année d’édition et prix, ainsi qu’une reproduction de la couverture en jpeg ou PDF. Coût: abonné gratuit; non abonné Frs 8.00 € 5.00 Durée: En fonction de la place disponible, mais maximum un an. Luce PECLARD: Le gué des jours, Pailly, Editions du Madrier, 117 p. 2008. Frs 27.- Luc-André REY : La rue, la vérité, le vent, Bruxelles, MaelstrÖm Editions, 31 p., 2009. € 3.00 Bocampe Jean GRIN : Le génie Winnicott (Essais sur la créativité en psychanalyse), Yverdon-les-Bains, Editions de l’Escarboucle, 101 p., 2008. Frs 24.00 – € 15.00 Jean GRIN : John Lennon, militant pour la paix, Yverdon-les-Bains, Editions de l’Escarboucle, 94 p., 2008. Frs 19.00 – € 12.00 LES EDITIONS DE L’ESCARBOUCLE BOCAMPE : Les enfants blessés, Yverdon-les-Bains, Editions de l’Escarboucle, 108 pages, 2008. € 15.00 Jean GRIN : Habiter le livre, Yverdonles-Bains, Editions de l’Escarboucle, 142 p., 2009. Frs 30.00 – € 20.00 “Axolotl” N°52 - Août 2009 Notes de lectures Jean GRIN : Habiter le livre, Les Editions de L’Escarboucle. Yverdon-les-Bains. Avril 2009. 142 pages. Format carré 17x17 cm. 30 F Suisses. 20 €. Dans ce livre dense et touffu, Jean Grin nous conte sa relation à la lecture, à l’écriture et au livre. Non pas d’un point de vue scientifique (d’autres s’y sont essayés dans des revues spécialisées), mais du point de vue original et personnel de son expérience, de l’enfance à l’âge adulte, la structure du livre en témoignant. L’utile préface de Robert Curtat déblaye le terrain des rappels (histoire, évolution des supports et des techniques, diffusion entre autres) et laisse à l’auteur tout le loisir de se concentrer sur son sujet et son vécu. A la différence du scientifique qui démontre, Jean Grin a choisi de parler de son rapport au livre par « une brève esquisse d’instants parsemés tout au long de (son) existence ». Cette démarche est « forcément subjective » (chapitre d’introduction). Nous sommes donc dans le qualitatif propre aux sciences humaines. Il n’y a pas de table des matières, juste un sommaire. Ce dernier joue le rôle de GPS permettant au lecteur de naviguer dans le livre et d’en comprendre l’esprit et la méthode d’écriture. Ainsi, le premier chapitre (architecture d’une bibliothèque) nous plonge dans son enfance. Nous suivons l’auteur dans la maison familiale et nous découvrons que la bibliothèque ne siégeait pas en un lieu unique mais dans presque toutes les pièces. Et pourquoi donc ? Et pour moi, lecteur, comment était-ce ? Voilà d’emblée les deux questions qui vont lier le lecteur et l’auteur. Si la bibliothèque s’avère multi sites, il convient de chercher plusieurs réponses : qui l’a organisée ? (les parents). A qui sont destinés les différents sites ? (père, mère, chaque enfant). Quels sont les livres contenus dans chacun des sites ? (spécifiques à l’occupant de la pièce). Qui sont les fournisseurs ? (multiples). Et à quelle époque sont-ils arrivés là ? (âge, scolarité, cadeaux, activités professionnelles, etc..). Et pour moi lecteur, comment les choses se sontelles passées ? Pas de la même façon. Et là, Jean Grin évoque le contrôle parental, les bonnes lectures, le sens social de la lecture (c’est bien vu de lire mais pas n’importe quoi), le refus et l’opposition de l’adolescent rebelle. Toutefois, même rebelle, l’adolescent Grin n’abandonne pas la lecture. Il est même bon en français, écrit des textes, certes pour lui, mais aussi pour les autres à leur demande pour les petites copines ! Pour lui, cette capacité à écrire 17 facilement lui ouvre les portes de l’autonomie, « d’une liberté inconnue jusque-là ». Plus tard, l’écriture devient une activité, « un acte citoyen », afin d’exprimer des avis, des convictions, de rechercher le dialogue. D’où en 1986, la naissance d’Axolotl, la revue permettant de faire connaître des auteurs. Parler des autres auteurs devient son activité principale en écriture, en terme de motivation. Une fois que le lecteur a capté ce premier chapitre, la logique du livre est manifeste. Dès lors, l’existence du chapitre « habiter le livre » éponyme du titre général de l’ouvrage, est cohérente. Et l’auteur aborde la place de tous les acteurs faisant vivre le livre, que ce soit les auteurs, les ouvriers participant à sa création et les lecteurs. Mais je ne dévoilerai pas le contenu des autres chapitres, afin de maintenir votre intérêt à la lecture de ce livre. Je dirai simplement que la conclusion permet à Jean Grin d’élargir son propos à des préoccupations contemporaines et futures autour du livre, des techniques nouvelles et des jeunes générations, en délivrant un message d’optimisme contenu et somme toute, chargé d’espoir. Quelque part dans le livre, Jean Grin dit avoir perdu la facilité d’écrire de sa jeunesse. Ce propos est étonnant, car le style, le rythme, la richesse maîtrisée du vocabulaire et l’étendue des références citées, tendraient à nous faire penser le contraire. La lecture de cet ouvrage est agréable, dynamique, enrichissante, teintée d’une touche d’humour et d’une dose d’autodérision. Jean Grin vit son livre comme il montre qu’une bibliothèque se construit et s’articule autour de ses créateurs et habitants. Il manque juste, en annexe, une liste récapitulative des références bibliographiques et des personnages évoqués, (Winnicott, Lacan et les autres ne sont pas forcément bien connus de tous les lecteurs, dont moi !). Par ailleurs, Jean Grin a récemment publié chez le même éditeur : - Le génie Winnicott. Essai sur la créativité en psychiatrie. Ouvrage lié à ses activités professionnelles. - John Lennon, militant pour la paix. Biographie d’un pacifiste méconnu. Ouvrage lié à son militantisme non-violent. Il participe activement à la vie de revues dont “Axolotl”, Sillages, Terres civiles, Commentaires, et Le scribe, pour n’en citer que quelques-unes. Patrice PERRON Première parution dans la Lettre contact de l’Associaton des écrivains bretons, 2/2009. 18 Notes de lecture “Axolotl” N°52 - Août 2009 Ivan Watelle : Divagation Impénitente, présentant des situations à la fois plausibles et Editions Poèmes Epars, Villeurbanne, non angoissantes. Le lecteur découvrira sans peine les liens à établir entre trois historiettes qui se paginé, 10 €. Don Quichotte sans armure Ivan Watelle parcourt depuis longtemps les chants de la poésie comme autant de champs de bataille. A sa Dulcinée qui n’est pas du Toboso - il adresse parfois ses prières dépressives et enragées : « Rappelle-toi mes joies / Rappelle-toi mes peines ». Et face au « Grand Ordre » qu’il combat il a peu de chance de sortir vainqueur. Mais qu’importe : ce qui compte est de lancer un cri dans l’air acre pour le hanter. La tête chauffe, brûle, le corps suit parfois. Mais face aux magmas des univers coercitifs et injustes le tout est de tenir et de parier sur la blondeur de l’absolu au sein de la dureté des nuits obscurs. Rien ne sert de se laisser envahir par la mauvaise fièvre d’un fiel qui ne ronge que celui qui l’éprouve. Il vaut mieux de faire reculer l’informe par une « langue bavarde » que le poète reprend en insomniaque rêveur face à la dureté du monde et la petitesse humaine. Watelle comme ses semblables, ses frères n’en est pas exempt. Ce qui ne va pas chez lui sans culpabilité et malaise. Mais son grand poème lyrique reste une sorte de d’exception et de brèche dans la poésie du temps. Jean-Paul GAVARD-PERRET Gilbert MARQUES : La trilogie du pouvoir, Clamecy, Editions du Masque d’Or, collection “Paroles d’hommes”, 133 pages, 2008. L’époque contemporaine ne manque pas de soulever trois questions essentielles et existentielles : la mondialisation, la pensée unique et la problématique cruciale du sauvetage de la planète. Bien des penseurs, parmi les plus éminents, s’y sont penchés. Et, si les solutions proposées ont proposé plus de polémiques que de solutions, toutes les réflexions menées à ces propos ont toutefois abouti à une sorte de consensus : il y a urgence d’y apporter remède. Telle n’est pourtant pas la démarche de Gilbert Marquès qui, lui, privilégie la science-fiction pour nourrir la réflexion. A partir de trois nouvelles, brièvement introduites par une notice succincte qui, malheureusement, tend malheureusement à dévêtir quelque peu l’attrait des textes à venir, il expose avec sagacité ces thèmes, en complètent et s’enrichissent mutuellement, malgré un écart important, du point de vue chronologique, entre leurs dates de rédaction. Les mêmes personnages réapparaissent, mais sous des jours différents, ce qui témoigne avec justesse d’une certaine usure du pouvoir exercé. Une judicieuse préface, signée par Laurent Sauzé, souligne à quel point le domaine de la science-fiction ne saurait être tenu pour un genre littéraire mineur. Il sait y faire preuve d’une excellente connaissance du domaine et, références solides à l’appui, il démontre que la « SF » n’a par définition pas épuisé son registre. J. G. Alis THEBE : Tollé, suivi de L’Eau au moulin, Nantes, Editions Sol’Air, 66 pages, 2008. La première partie de ce recueil a ceci de particulier que l’auteure examine, sans complaisance, certains de ses plus vieux poèmes, comme si, en quête d’elle-même et de ce qu’elle fut, elle tenait à procéder à une sorte d’archéologie psychique. Entre dialogue interne et journal personnel, elle met en lien ses textes et les événements marquants de sa jeunesse. Il s’en suit, pour le lecteur, comme un sentiment d’étrangeté : comment l’auteure parvient-elle à concilier dans la même démarche autant de similitude entre ce qu’elle fut et ce qu’elle est encore, tout en se disant aussi distante d’ellemême pour en éprouver jusqu’au besoin de ce regard rétrospectif ? Tenter de répondre ici à une telle question reviendrait à déparer ces pages d’une bonne part de leur saveur ; mieux vaut donc laisser à chaque lecteur la liberté de sa propre interprétation… La seconde partie du recueil s’ouvre sur un hommage émouvant à Betty Lou, Américaine exécutée en 1999. Suit alors une dizaines de poèmes conciliant lyrisme et idées réaffirmées. Alis Thèbe ne se contente pas d’être une artiste aux facettes multiples – littérature, peinture et musique – sensible et anticonformiste. Elle l’affirme et le démontre par une poésie dont la langue, parfois, sait égratigner les tabous et les règles en usage. J. G. “Axolotl” N°52 - Août 2009 Notes de lecture Béatrice ARNAUD-GORECKI : Dans les pressoirs des horloges, Beaune, Prix d’édition poétique de la Ville de Beaune, 56 pages, 2008. Dans ce recueil, l’auteure offre près d’une centaine de Haïku, un genre poétique simple à première lecture, mais qui recèle de nombreuses difficultés, notamment celle de transcrire en peu de mots des émotions parfois fondamentales. Ce n’est par ailleurs, pas la première distinction qu’elle obtient pour son œuvre. En fin de volume, l’impression demeure cependant plutôt mitigée. Certains vers frappent fort, allant directement à l’essentiel. D’autres ne font hélas que confirmer une certaine monomanie de l’inspiration, ce que le lecteur ne manquera pas de ressentir comme une sorte de monotonie du ton. Je crois pourtant que la faute n’en incombe pas tant au talent de l’artiste, mais à la rigidité du genre, trop succinct pour éveiller ce que d’autres formes fixes – la ballade et le sonnet pour ne citer qu’eux – peuvent éveiller chez le lecteur. Il eût été préférable, peut-être, de ne pas amasser autant de Haïku en si peu de pages. En lire deux ou trois, puis passer à autre chose, puis enfin y revenir, aurait très certainement été préférable et bien plus agréable. La faute, peut-être, à un critique trop pressé de lire beaucoup en peu de temps, et aux illustrations morbides et répétitives d’Olivier Nazat… J. G. Jacques CANUT : Gravillons, précédé de Lamentos, Saintes, Editions de l’Atlantique, collection “Phoibos”, 43 pages, 2009. Comme le mentionne avec justesse, en quatrième de couverture, Silvaine Arabo, ce qui touche avant tout, en parcourant les deux courts recueils publiés conjointement, c’est la sincérité du ton de leur auteur. Pourtant, il est nécessaire d’aller plus avant dans l’analyse et de mentionner aussi cette sorte d’intuition quasi fulgurante de Jacques Canut à accepter pour véridique sa perception immédiate du moment vécu comme représentatif d’une réalité à admettre. Elle – cette réalité – peut revêtir de multiples visages : le temps qui fuit, qui nous abandonne ; l’ambivalence des sentiments ; cette impression que ce qui est connu peut 19 toujours néanmoins surprendre, déstabiliser. « Arrêter le monde, je monde, je veux descendre ! », se sont déjà écriés certains avant lui. Mais le poète sait d’avance qu’il ne servirait à rien de se réfugier derrière une telle injonction. Alors, sereinement – du moins en apparence –, il feint de se réconcilier avec ce que lui propose – impose ? – la vie. Privilégiant un vers libre, peut-être parce qu’il l’assimile avec la liberté que lui propose son statut de créateur, il a recours plus souvent à l’humour, l’ironie et le questionnement qu’à la désormais classique figure de style. Il y a, ça et là, dans le présent ouvrage, de savoureuses images qui suffisent amplement à rendre « digestes » une réflexion pourtant sérieuse et grave. J. G. Fanette Meiller, Je ne suis pas à vendre, Caractères de Rousseau, Les Charmettes, Maison de J.J. Rousseau, Chambéry du 23 Mai au 16 décembre 2009. Rousseau avait anticipé l’apparition de l’idéologie molle qui allait envahir notre monde. « Tout ce qu’on fait les hommes, les hommes peuvent le détruire » écrivait-il. Pour saluer son œuvre dans le cadre des Charmettes (Maison où l’auteur vécut au côté de Madame de Warens ses « seuls instants de bonheur ») Fanette Mellier a proposé la relecture de l’œuvre. Elle en a tiré des fragments en reprenant la typographie originale de diverses de ses premières publications mais en jouant sur les hauteurs et les couleurs. L’artiste rouvre l’espace du texte. Elle le donne à voir autrement afin qu’on le lise mieux dans leurs nouveaux périmètres. Par ses morceaux choisis la graphiste n’abrége en rien le devenir de l’œuvre, au contraire. Elle en propose des fragments de devenir. Entre Rousseau et sa liseuse surgit une unité. Sortant le graphisme du simple registre de l’exquis, de la subtilité empreinte plus d’afféterie que de pertinence, Fanette Mellier ramène vers quelque chose de plus essentiel. Il ne s’agit plus, par ses interventions, de “ planter un décor ” ou de faire de la surface un écran. Une nouvelle lecture est donc possible par cet alphabet plastique renouvelé de l’auteur des Confessions. S’extrayant de toute considération de degrés la graphiste produit du sens. On aimerait à son propos employer le terme de cinétique s’il n’était pas chargé ou surchargé d’une valeur 20 Notes de lecture hypnotique, hallucinatoire que ne cherche pas au sein même de ses rébus la créatrice. La simple stimulation de la perception rétinienne au sein de divers jeux de leurres n’est pas ce qui pousse la réflexion et le travail de Fanette Mallier. C’est pourquoi son installation est concrète et probante. D’ailleurs s’il existe chez la graphiste (et dans ses divers travaux) tout un grand brassage de formes et de formats, il ne se situe jamais dans la recherche d’un aspect nébuleux mais à l’inverse afin de permettre de découvrir ce qui peut s’incarner à partir d’une réflexion complexe de la manière la plus simple. Une sorte de minimalisme est à la base de l’orchestration colorée des textes de Rousseau. L’alphabet des couleurs et des placards n’a donc rien de fortuit. Il constitue la propédeutique idéale à une œuvre toujours ouverte. L’artiste graphiste a eu l’intelligence de se mettre à son service. Mais c’est ainsi que son propre travail devient non seulement archéologique mais généalogique et a valeur d’œuvre d’art au sens plein. Jean-Paul GAVARD-PERRET Simon GERMANIER : Les itinéraires du crayon, Nendaz, Editions IGN, 118 pages, 2008. Comme l’auteur l’indique lui-même en préambule, c’est dans l’urgence de devoir acquérir au moindre prix un moyen d’écrire une liste de commissions pour son fils qu’il a fait l’acquisition d’un lot de douze crayons. Quelque peu vexé d’un achat aussi important pour une liste si courte, à savoir « de l’eau, du pain, des oignons et si possible un journal » (je cite de “Axolotl” N°52 - Août 2009 mémoire), il a décidé de faire un usage plus ample de ces crayons, ce qui a donné naissance au présent volume. L’auteur me pardonnera – j’imagine – de résumer de manière si succincte et simpliste sa démarche, parce que tout dans ce recueil témoigne de son attachement autant à l’écriture qu’à l’alphabétisation. Présentés comme des récits, les textes qui composent ce petit ouvrage en dépassent, en fait, le genre. Il y en a certains qui se révèlent des contes, dans la plus pure tradition de la fantasmagorie orientale (l’histoire de Selim, “Avec la main, dessiner la parole”), d’autres qui touchent à l’hommage rendu à l’artisan de la génération précédente (“Notre oncle”), ou encore à la fiction (ici, je laisse le lecteur faire ses propres découvertes). Le pénultième texte présente un hommage chaleureux et le plus sincère à très certainement l’un des plus simples objets à la disposition de qui sait écrire – sait-on, par exemple, qu’un spécimen des plus usuels de sa « race » permettrait de tracer une ligne de cinquante-cinq kilomètres – et aurait mérité, d’une certaine manière, de clore le livre. Mais voilà, l’auteur a choisi de finir autrement son ouvrage: il propose, dans un dernier récit, d’appeler tous les enfants de la terre à utiliser le crayon pour exprimer leur créativité et à l’adulte de leur rendre possible l’accès à cet objet autant fascinant qu’indispensable. Si l’intérêt strictement littéraire de l’ouvrage est indéniable dès les premières pages, il convient néanmoins d’être également attentif aux soucis de l’auteur de défendre l’importance de l’accès à l’écrit pour toutes et tous. J. G. © 2009 - Mesdames et Messieurs les auteurs demeurent les seuls propriétaires du Copyright. ✄--------------------------------------------------------------Je désire m’abonner à la revue “Axolotl” q 1 an (4 numerii) Frs 35.-/ € 25.- q abonnement de soutien (dès Frs 50.-/ € 35.-) Je souscris pour …… exemplaires de l’ouvrage: ………………………………………………… NOM & Prénom: …………………………………………………………………………………… Rue et numéro: ……………………………………………………………………………………… NPA et Localité: ………………………………………………………… Pays: …………………