The Basics of the Open Economy* 1. Définition de l

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The Basics of the Open Economy* 1. Définition de l
The Basics of the Open Economy *
Christian Deblock
The English free traders and List also argued from a comprehensive social and political vision that we
may or may not accept; both, moreover, argued from their respective national standpoints; both, finally,
advocated policies that suited some group interests better than others. In all these respects there is no
difference whatever between the cases of Carey and of either the English free traders or List except, of
course, so far as our own preferences are concerned. But the English free traders implemented their
visions and their politics analytically and with success—the theorem of comparative costs was a major
contribution to our analytic apparatus. This is the reason why they may claim a place in the history of
scientific analysis—not because of the advocacy of free trade per se. List made no original contribution
to the analytic apparatus of economics. But he used pieces of the existing analytic apparatus judiciously
and correctly. And this, too, spells scientific merit.
Joseph Aloïs Schumpeter, History of economic analysis, Taylor & Francis e-Library, 2006: 492
L’ouverture économique est l’un des traits caractéristiques de notre temps. Phénomène
économique mais aussi politique, l’ouverture économique s’inscrit dans l’histoire du
capitalisme et du libéralisme. Elle a toutefois pris un tour nouveau avec la globalisation ;
toutes les économies sont aujourd’hui orientées vers l’extérieur, à des degrés divers
cependant.
Trois questions seront successivement étudiées dans ce chapitre. Tout d’abord, what is an
open economy? Ce sera l’objet de la première partie. Nous y associerons l’ouverture à
l’internationalisation des économies, à l’extension planétaire de la concurrence et aux
relations d’interdépendance qui découlent du développement des échanges internationaux.
L’ouverture est toujours relative. Comment la mesurer ? La seconde partie tentera de
répondre à cette question et présentera quelques indicateurs. Pas d’ouverture sans
institutions ni coopération. Pourquoi, dans ce cas, la coopération soulève-t-elle tant de
problèmes ? C’est la question que nous aborderons dans la troisième partie.
1. Définition de l’économie ouverte
Une économie ouverte est une économie qui entretient des relations amicales et non
discriminatoires avec le reste du monde. De façon plus précise, une économie ouverte est
une économie qui est à la fois tournée vers les marchés internationaux, exposée à la
concurrence internationale et en interaction avec les autres économies de la planète. La
littérature économique a développé des concepts particuliers pour chacune de ces
dimensions. Nous en présenterons les plus importants, en commençant par celui
d’internationalisation.
À paraître dans «The Basics of the Open Economics », à paraître dans Greg Anderson et Christoher Kukucha (dir.)
International Political Economy, Oxford Univsersity press (2013).
*
1.1. L’internationalisation des économ ies
Le mot international fut introduit au début du dix-neuvième siècle par Jeremy Bentham,
pour distinguer le droit national du droit qui s’applique aux relations entre les nations. Il
fallut cependant attendre la fin du siècle pour que les économistes abandonnent
progressivement l’expression de commerce étranger et adoptent celle d’économie
internationale. Les deux expressions coexistent aujourd’hui mais celle d’économie
internationale a un sens plus large1 dans la mesure où elle couvre l’ensemble des relations
économiques qui constituent l’espace économique mondial. Une économie qui se tourne vers
l’extérieur est une économie qui s’internationalise. L’internationalisation peut être définie
comme un processus d’expansion des activités économiques hors des frontières nationales2.
1.1.1. Les quatre formes de l’internationalisation
L’internationalisation prend diverses formes. Nous en distinguerons quatre principales3.
La première, la plus ancienne, est le commerce 4 . Le commerce international a
considérablement évolué et surtout fortement progressé depuis le temps des grandes routes
marchandes et du commerce au long cours. En partie, grâce aux progrès réalisés dans les
transports et les communications, et en partie, grâce aux politiques d’ouverture qui ont été
mises en place dans le cadre du GATT/OMC. Selon les estimations de Maddison 5 , le
commerce international représentait environ 8 pour cent du PIB mondial en 1913 ;
aujourd’hui, il en représente le tiers. Les marchandises représentent 80 pour cent du
commerce mondial et les produits manufacturés (manufactures) les deux tiers du commerce
des marchandises. On estime à 60 pour cent la part des intrants dans le commerce global.
Signe des temps, la part des pays en développement dans le commerce mondial est passée
de 20 à 40 pour cent entre 1990 et 20116.
La seconde forme d’internationalisation est l’investissement direct. Il y a investissement
direct lorsque les entreprises ouvrent des filiales à l’étranger ou achètent des entreprises à
l’étranger – c’est la forme la plus commune de l’investissement direct –7. L’investissement
direct est souvent envisagé comme un moyen de contourner les barrières commerciales.
C’est d’abord un moyen pour les entreprises de se rapprocher des marchés lointains,
d’exploiter sur place des ressources naturelles, d’être présentes sur les marchés financiers
ou encore de produire à plus bas coûts des biens qu’elles réexporteront ensuite.
L’investissement direct caractérise l’internationalisation depuis la Seconde Guerre
mondiale. Selon les données de la CNUCED, le stock total d’investissement représentait, en
L’économie internationale constitue également une branche de l’économie.
D’autres concepts sont également utilisés, notamment celui de transnationalisation. Bien que très proches, les deux concepts
ne sont toutefois pas synonymes. La transnationalisation rend compte des activités économiques transfrontalières, celles des
firmes multinationales et de leurs filiales en particulier, alors que l’internationalisation rend compte de l’expansion des
activités économiques hors des frontières nationales.
3 Il faudrait y ajouter la circulation des personnes, les télécommunications, ou encore les envois de fonds (remittances).
4 On notera également qu’une part importante du commerce international, notamment l’e-commerce, passe par les paradis
fiscaux. On estime que la moitié des flux financiers liés au commerce international transite par ces derniers. Le cas le plus
célèbre est celui de Jersey qui figure parmi les premiers pays exportateurs de bananes.
5 Angus Maddison. The World Development, OCDE, Development Centre Studies, Paris: 2006.
6 Ibidem : 133.
7 Outre l’investissement direct, les entreprises peuvent nouer des alliances avec des partenaires étrangers, accorder des
franchises ou encore céder des brevets.
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2012, le tiers environ du PIB mondial, comparativement à 5 pour cent au début des années
1980. Près de 72 millions de personnes travaillaient dans les filiales à l’étranger en 2012,
comparativement à 22 millions en 1990 8 . Leurs exportations représentent le tiers du
commerce mondial. Les deux tiers des investissements se trouvent dans les pays développés
et les deux tiers également dans les services.
Plus récemment, l’internationalisation a pris une troisième forme : l’externalisation. Il
s’agit dans ce cas pour l’entreprise de faire produire plutôt que de produire directement.
L’externalisation est associée à la sous-traitance et concerne de plus en plus les services,
mais les entreprises peuvent aussi octroyer des contrats de gestion et se contenter de
coordonner les différentes étapes de la chaîne de production. L’Asie est devenue la plaque
tournante de ce nouveau type de production. Les firmes multinationales y contrôlent la
majeure partie des activités. À la différence de l’investissement direct, l’externalisation
nécessite peu de capitaux et apporte une grande souplesse de gestion. Par contre, elle
exacerbe la concurrence entre les fournisseurs et s’accompagne de conditions de production
et de travail souvent précaires.
L’ouverture financière est une quatrième caractéristique de l’internationalisation. La
finance et l’argent ont longtemps été associés au commerce international. Ce lien existe
toujours comme l’a brutalement rappelé la crise financière de 2007, mais il est plus
distendu, les marchés financiers fonctionnant sur un mode opératoire différent de celui du
monde réel. Toujours en effervescence, le monde de la finance internationale repose sur trois
piliers : la confiance, les anticipations et le risque. Longtemps entravés par les contrôles des
changes, les capitaux ont retrouvé leur liberté et leur mobilité sous l’effet de trois facteurs :
1) la fin des accords de Bretton Woods dans les années 1970 ; 2) la dérèglementation et le
décloisonnement généralisés des marchés financiers dans les années 1980 ; et 3) les
innovations dans les télécommunications et le traitement des données dans les années 1990.
La libéralisation financière a entraîné une forte croissance des investissements et permis à
un plus grand nombre de pays d’accéder aux marchés financiers, mais elle a aussi engendré
beaucoup d’instabilité et poussé la prise de risque jusqu’à l’imprudence et la rupture. On
prendra pour indicateur de l’internationalisation financière, le rapport au PIB mondial de la
valeur totale des obligations, des actions et des actifs bancaires. Il était de 369,1 pour cent
en 20119.
1.1.2. Les facteurs de l’internationalisation
De nombreux facteurs poussent les économies à s’internationaliser. À commencer par le
progrès technique qui, en réduisant le coût des transports et des communications, rapproche
les marchés et incite les entreprises à se tourner vers les marchés extérieurs. Les
changements dans l’organisation économique constituent un second facteur.
C’est dans l’économie, plus précisément dans la dynamique du capitalisme et dans
l’aiguillon de la concurrence, qu’il faut rechercher l’origine de l’internationalisation. Le
capitalisme est d’abord et avant tout un système orienté vers le futur. C’est un système qui
repose sur les anticipations, le crédit et la croissance. Mais c’est aussi un système qui n’a de
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Source: UNCTAD. World Investment Report. Global Value Chains: Investment and Trade for Development, Geneva, 2013
Source: IMF. Global Financial Stability Report, April 2013.
cesse de s’étendre, de sortir des frontières nationales, de se libérer des contraintes
territoriales et de faire du monde son seul horizon. Karl Marx fut le premier grand
économiste à avoir pleinement pris la mesure de cette dynamique. La mondialisation,
écrivait-il déjà dans Le Capital, est incluse dans le concept même de capital. Le monde lui
appartient et l’économie mondiale est sa seule réalité. Rivalisant en ingéniosité et en
mobilité, les entreprises déploient aujourd’hui leurs activités sur tous les marchés de la
planète, pour gagner toujours plus en efficacité, mais aussi en rentabilité.
Enfin, troisième facteur : les politiques et les institutions. L’internationalisation ne se
construit pas dans le vide ; elle a besoin d’institutions. Ce sont les institutions qui, en
apportant protection et sécurité, rendent possible l’activité à l’étranger et libèrent les
entreprises des contraintes frontalières. À cet égard, notre monde a peu à voir avec celui
d’avant la Seconde Guerre mondiale. L’ouverture des économies est devenue la règle et la
protection, l’exception.
1.1.3. Un processus historique
L’internationalisation est aussi un processus historique. Avec ses avancées, ses
transformations, mais aussi des reculs, parfois violents comme dans les années 1930. À
grands traits, on peut dégager quatre grandes périodes. La première période couvre les
quinzième et dix-septième siècles. Le monde se construit alors autour de l’Europe. C’est le
temps des découvertes, de la création des États-nations, des premiers grands empires
économiques, du commerce et du mercantilisme. Le commerce sillonne le monde, fait de
l’Europe, et plus particulièrement des Pays-Bas, son centre économique.
La seconde période court de la révolution industrielle à la Seconde Guerre mondiale.
L’internationalisation n’est plus liée au commerce comme auparavant, mais à
l’industrialisation. La révolution industrielle a besoin de débouchés pour ses manufactures,
de matières premières pour alimenter ses hauts-fourneaux, etc. Doctrine économique autant
que mot d’ordre politique, le libre-échange devient alors le fer de lance d’une politique
commerciale – souvent agressive – d’ouverture des marchés. Berceau de la révolution
industrielle, atelier du monde, la Grande-Bretagne s’en fait le champion, en ouvrant
unilatéralement ses marchés et en imposant sa Pax Britannica. D’autres suivent, marchent
dans ses pas, non sans le plus souvent protéger leur industrie derrière des murailles de
Chine tarifaires. L’histoire finira mal, très mal d’ailleurs. C’est la grande fracture des
années 1930, dont on va tirer une grande leçon : ouvrir les marchés pour prévenir les
guerres.
Réguler l’internationalisation sera, avec l’État-Providence et le plein-emploi, la grande
ambition de la troisième période, celle des Trente glorieuses. L’histoire de
l’internationalisation est à nouveau en marche, et avec elle, la libéralisation des échanges.
Ou plus précisément, la libéralisation ordonnée des échanges. L’impulsion vint des EtatsUnis, nouvelle grande puissance mondiale. Convertis à leur tour aux vertus de l’ouverture
et de la libéralisation des échanges, les Etats-Unis allaient faire du commerce ouvert à tous
la pierre angulaire de leur ambitieux programme de reconstruction de l’économie mondiale.
C’est sous leur égide que le GATT, entre autres, devait voir le jour, ouvrant ainsi la
première grande période d’internationalisation ordonnée de l’histoire de l’humanité.
La quatrième période d’internationalisation, c’est la nôtre. C’est celle de la globalisation.
Elle démarre, à nouveau sous l’impulsion des Etats-Unis, avec la libéralisation des marchés
des capitaux pour s’étendre à tous les domaines de l’économie mondiale.
L’internationalisation n’est plus un choix, mais une obligation. Le monde n’est plus une
excroissance des nations. Il ne se construit plus non plus au croisement des nations ; les
nations sont désormais ancrées dans l’espace monde, celui des entreprises, de leurs réseaux
et chaînes de valeur. Son centre de gravité bascule aussi, de l’Atlantique vers le Pacifique.
Le temps de l’économie « inter-nationale » est désormais révolu ; nous sommes entrés dans
celui de l’économie globale. Celui également le temps du libre-échange et de la concurrence
globale.
1.2. Concurrence et com pétitivité
La seconde caractéristique d’une économie ouverte est d’être exposée à la concurrence
internationale. L’exposition à la concurrence a deux conséquences. La première est que les
pays acceptent non seulement d’ouvrir leurs frontières aux entreprises étrangères, mais
également qu’ils leurs reconnaissent les mêmes droits, obligations et sécurités qu’aux
entreprises nationales. En clair, les entreprises étrangères ne doivent pas faire l’objet de
discrimination, à la frontière comme à l’intérieur des frontières. Des anciens traités de
commerce au système commercial moderne, les gouvernements ont toujours cherché à faire
reconnaître ces deux principes qui constituent l’essence même de la liberté économique et de
l’internationalisme libéral. Le premier principe trouve sa consécration juridique dans le
traitement de la nation la plus favorisée et le second dans le traitement national10. Avec la
réciprocité, le comportement loyal et la transparence, ils sont les piliers du système de
l’OMC (WTO)11.
L’exposition à la concurrence a une seconde conséquence : elle impose aux économies
d’être compétitives. Avec la libéralisation généralisée des échanges, la mobilité à peu près
complète des capitaux et les innovations technologiques, l’environnement économique
international a profondément changé depuis que nous sommes entrés dans l’ère de la
globalisation. La globalisation a ouvert les marchés, créé de nouvelles opportunités
économiques et, sauf à accepter de voir leur niveau de vie baisser, les pays ne peuvent,
aujourd’hui, se détourner des grands courants économiques internationaux ni se fermer à la
concurrence internationale. La globalisation ne crée toutefois pas que des gagnants : elle
peut aussi avoir des effets dévastateurs sur les économies fragiles comme sur celles qui sont
mal préparées à l’affronter. Complémentaire du concept de concurrence, le concept de
compétitivité est au cœur des stratégies d’entreprise et des politiques économiques en
économie ouverte.
Le traitement de la nation la plus favorisée offre les mêmes garanties d’affaires et les mêmes avantages à un État que ceux
qui ont été concédés à un autre État. Le traitement MFN inconditionnel implique que ces droits et avantages sont
automatiquement accordés. Plus simplement, un État ne peut accorder moins à un État qu’à un autre État. Le traitement
national signifie qu’un État doit accorder aux étrangers les mêmes droits et privilèges que ceux qu’il accorde à ses citoyens.
Ces deux principes permettent d’établir l’égalité dans les relations d’affaires entre les États et à l’intérieur des États.
11 Ils ne sont pas nécessairement reconnus dans d’autres domaines des relations économiques internationales. Le cas de
l’investissement montre toutefois que, malgré l’absence d’entente internationale, les tendances vont dans la même direction.
10
1.2.1. Les principes généraux
La concurrence est longtemps restée cantonnée dans l’espace national. Deux principes ont
toujours guidé les autorités publiques en matière de politique de la concurrence. Du moins
dans une perspective libérale. Le premier principe est celui de neutralité. Il renvoie à l’idée
selon laquelle les politiques publiques ne doivent pas interférer dans le jeu économique, ou,
pour reprendre le langage des économistes, les politiques publiques ne doivent pas
intervenir sur les marchés ni modifier l’allocation des ressources qui en résulte. Le rôle des
autorités est de garantir le libre jeu du marché et de s’assurer que les droits des acteurs
économiques sont respectés. Le second principe est celui d’égalité. Le principe d’égalité
renvoie à l’idée de non-discrimination entre les acteurs économiques. Il trouve son
application dans le droit de la concurrence. Son objet est de garantir le respect de la liberté
commerciale et d’empêcher les pratiques restrictives, notamment 1) l’abus de position
dominante, 2) les cartels et les collusions, 3) les prix prédateurs ou de dumping, et 4) la
concurrence déloyale.
Ces deux principes ont pour objectifs principaux de permettre le libre accès au marché, de
viser l’efficience économique et d’assurer la protection du consommateur. L’idée centrale, ici,
est que les entraves à la concurrence entraînent des distorsions dans le fonctionnement des
marchés et que, par voie de conséquence, elles faussent les choix économiques tout en
réduisant le bien être général. En pratique, cependant, ces deux principes n’ont pas toujours
été respectés. Les raisons en sont multiples. Les unes tiennent aux pratiques anticoncurrentielles des entreprises et aux imperfections des marchés, les autres à la volonté
des gouvernements d’intervenir dans l’économie au nom de l’intérêt collectif, et d’autres
encore à l’incurie des pouvoirs publics12, au corporatisme de certains groupes ou encore à la
collusion entre les acteurs privés et publics. Ces raisons ne sont évidemment pas de même
nature mais ce n’est pas tant là-dessus que nous voudrions insister que sur le fait que la
globalisation a non seulement ouvert les économies à la concurrence, mais également
changé la manière de l’aborder.
1.2.2. La concurrence globale
Premièrement, le concept de neutralité se trouve élargi, notamment pour rendre compte
de la mobilité des capitaux. La littérature économique a développé deux critères de
neutralité, selon que le concept s’applique aux capitaux qui entrent ou à ceux qui sortent13.
On parlera de « neutralité à l’entrée » (Capital Import Neutrality) lorsque les
investissements des résidents et des non-résidents sont traités de la même façon, sur le plan
fiscal comme dans tout autre domaine. On parlera de « neutralité à la sortie » (Capital
Export Neutrality) lorsque les politiques économiques n’influencent pas les choix de
localisation à l’étranger des investisseurs : il importe peu que les investissements se fassent
à la maison ou à l’étranger pourvu qu’ils soient les plus productifs.
Ces deux critères trouvent désormais leur application dans le droit international de
l’investissement et dans les traités commerciaux. Le vent a tourné depuis les années 1980 et
Encore aujourd’hui, beaucoup d’États n’ont pas de politique de la concurrence.
Pour une présentation synthétique des débats, voir Reuven S. Avi-Yonah. “Globalization, Tax Competition, and the Fiscal
Crisis of the Welfare State.” Harvard Law Review, 113, 7, 2000:1573-1676.
12
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la tendance n’est plus aujourd’hui au contrôle, mais à la promotion et à la protection de
l’investissement. L’ALENA est exemplaire à cet égard14. La protection de l’investissement y
est très large et les disciplines très fortes. Toutefois, si l’ALENA a servi de modèle à une
nouvelle génération d’accords, aucune entente internationale n’est jusqu’à présent
intervenue depuis l’échec des négociations menées dans le cadre de l’OCDE pour en arriver
à un accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Le sujet reste toujours un sujet de
discorde entre les membres de l’OMC. Par contre, les traités bilatéraux prolifèrent. La
CNUCED comptabilisait, à la fin de 2012 (by the end of 2012), pas moins de 2857 traités
bilatéraux sur l’investissement et 331 « autres accords sur l’investissement ». La discipline
collective est toujours un exercice difficile à pratiquer quand les intérêts économiques
nationaux sont en jeu…
Le second changement a trait à la manière d’aborder la concurrence internationale. Son
champ s’est trouvé considérablement élargi avec l’ouverture des marchés. Premièrement, les
marchés sont contestables, dans le sens où, à tout moment, des entreprises étrangères
peuvent entrer dans des marchés ouverts. Deuxièmement, la taille du marché effectif n’est
plus l’espace économique national, mais le monde. L’efficience économique change ainsi de
dimension. Une entreprise peut être, en raison de sa taille, dominante sur un marché
cloisonné, mais n’être pas forcément en mesure de rivaliser avec ses concurrents sur les
marchés internationaux. Air Canada est un exemple. Troisièmement, la législation sur la
concurrence s’étend à l’ensemble des activités des entreprises. Le cas de Microsoft est à cet
égard exemplaire. Bien qu’elle soit américaine, l’entreprise a été condamnée à plusieurs
reprises pour abus de position dominante par les autorités européennes de la concurrence,
avec la collaboration des autorités américaines d’ailleurs.
Ces changements modifient l’esprit des législations sur la concurrence et leur
application15. Leur efficacité demande toutefois une coopération renforcée entre les États et
des règles communes. Si un Réseau international sur la concurrence (International
Competititon Network) a été créé en 1987, il y a eu peu d’avancées jusqu’à présent : à
l’exception des accords régionaux, notamment l’UE, la coopération demeure essentiellement
volontaire, bilatérale et limitée à l’adoption de principes directeurs à l’OCDE. Pour dire les
choses simplement : le sujet intéresse peu les membres de l’OMC.
1.2.2. La compétitivité globale
La compétitivité économique d’une nation reste pour les économistes, un concept ambigü,
voire dangereux écrira Krugman 16 . Pour celui-ci, 1) la compétitivité s’applique aux
entreprises et non aux nations ; 2) c’est la productivité et sa croissance qui comptent dans
l’augmentation du niveau de vie des populations ; et 3) rechercher la compétitivité à tout
Voir à ce sujet Christian Deblock. “Les Etats-Unis et l’investissement direct étranger. Une histoire en trois temps.” in
Mathieu Arès and Éric Boulanger (eds), L’investissement et la nouvelle économie mondiale, Bruxelles, Éditions Bruylant, 2012:
153-224.
15 C’est notamment le cas de la législation canadienne, modifiée en 1985 : « La présente loi a pour objet de préserver et de
favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie canadienne, d'améliorer
les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la
concurrence étrangère au Canada, d'assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à
l'économie canadienne, de même que dans le but d'assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les
produits » (Art. 1.1). (http://laws-lois.justice.gc.ca/eng/acts/c-34/page-1.html#h-3)
16 Paul R. Krugman. “Competitiveness: A Dangerous obsession.” Foreign Affairs, 73, 2, 1994: 28-44.
14
prix, c’est prendre l’économie mondiale pour une arène et ouvrir la porte aux guerres
commerciales. L’argument a du poids mais il n’a jamais empêché pour autant les
gouvernements à rechercher les politiques publiques qui aident les entreprises à produire
des biens et services qui satisfont les normes internationales du marché et leur permettent
ainsi de rivaliser à armes égales sur les marchés internationaux. L’expérience historique
montre à cet égard que les réussites économiques exemplaires ont toujours été dues à une
combinaison de facteurs, incluant des formes ou autres d’intervention publique orientées à
cette fin. L’ouverture accrue des économies n’a rien changé, si ce n’est que la concurrence
internationale se fait davantage sentir et que les gouvernements ont moins de marge de
manœuvre.
La compétitivité économique renvoie à la capacité d’un pays d’assurer l’accroissement du
niveau de vie et des emplois de sa population tout en demeurant ouvert à la concurrence
internationale. C’est la définition qui est généralement retenue, notamment par les
organismes qui cherchent à la mesurer et à identifier ses facteurs déterminants. La
compétitivité économique est toujours relative et, en bout de ligne, ce qui compte, c’est que
l’économie puisse exporter ses produits, faire face aux importations ou encore attirer les
investissements étrangers dans un environnement concurrentiel. Pendant longtemps, on
s’est contenté de mesurer la compétitivité à partir d’indicateurs simples comme l’évolution
relative des prix, des coûts unitaires de la main d’œuvre ou encore des taux de change. Ces
indicateurs sont importants, mais d’autres facteurs interviennent également, comme la
stabilité des institutions, l’environnement macroéconomique, les infrastructures de
recherche ou encore à la qualité de la main d’œuvre. Et surtout, la compétitivité se construit
à la maison, en améliorant la productivité, en développant la recherche & développement ou
encore en soutenant l’initiative privée. C’est de ce côté que s’oriente dorénavant la recherche
sur la productivité, c’est-à-dire du côté des facteurs qui vont donner un avantage comparatif
durable aux nations.
De nombreux indicateurs ont ainsi été développés. Le plus connu est l’indice de
compétitivité globale (Global Competitiveness Index (GCI))17. Publié régulièrement depuis
1979, l’indice couvre maintenant 144 pays et repose sur douze (12) blocs d’indicateurs,
appelés piliers (Pillars of competitiveness), eux-mêmes regroupés pour former trois sousindices, respectivement appelés : 1) Basic requirements subindex, 2) Efficiency enhancers
subindex, et 3) Innovation and sophistication factors subindex. Pour 2012-2013, les trois
premiers pays sont, dans l’ordre, la Suisse, Singapour et la Finlande. Longtemps premiers,
les Etats-Unis figurent maintenant au septième rang. Le Canada se classe quatorzième et
la Chine vingt-neuvième. Le premier pays d’Amérique latine, le Chili, n’apparaît qu’au 33ème
rang. L’indice a souvent été critiqué, sur sa méthodologie comme sur la robustesse de ses
indicateurs, mais il s’est imposé et aujourd’hui, il est devenu la référence par excellence en
matière de compétitivité.
On trouvera l’information sur l’indice ainsi que les rapports annuels à l’adresse suivante :
http://www.weforum.org/issues/global-competitiveness
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1.3. L’interaction économ ique
L’interaction est un trait caractéristique de tout système organisé. Il y a interaction
lorsqu’il y a action réciproque et influence mutuelle entre les agents ou les unités qui le
composent. Dans la sphère économique internationale, les interactions passent
essentiellement par les canaux du commerce, de la production et de la finance. Elles sont
poussées par trois forces motrices (three major forces) : l’accroissement des échanges, la
libéralisation des marchés et les changements technologiques. En clair, plus une économie
est ouverte, plus elle interagit avec les autres économies. En réduisant sans cesse le temps
et la distance, les changements technologiques ne font qu’accélérer le phénomène. Deux
concepts permettent de rendre compte des interactions économiques : l’interdépendance et
l’intégration.
1.3.1. L’interdépendance économique
L’interdépendance est un concept familier aux économistes. Il permet de prendre la
mesure non seulement du degré d’imbrication des économies entre elles, mais également de
la manière dont elles sont connectées. Par interdépendance, on désigne tout processus ou
situation d’interaction découlant d’un échange entre deux ou plusieurs unités distinctes. Si
ces unités sont les économies nationales, l’interdépendance signifie 1) que les échanges
entre les économies créent une dépendance réciproque, 2) qu’elles s’influencent réciproque
par ce canal, et 3) que plus les échanges croissent en intensité, plus les économies
dépendent les unes des autres.
La réciprocité n’est, bien entendu, pas synonyme de symétrie. Les différences dans la
taille, le niveau de développement, la proximité géographique, le degré d’ouverture, etc.
permettent d’expliquer non seulement pourquoi les échanges se concentrent dans l’économie
autour de quelques pôles d’attraction, mais aussi pourquoi la transmission des conjonctures,
des décisions économiques ou des politiques publiques n’a pas le même impact d’une
économie à l’autre. Ainsi y a-t-il interdépendance entre le Canada et les Etats-Unis, mais on
en conviendra aisément en regardant le tableau 1, l’économie du Canada suit davantage
celle des Etats-Unis que l’inverse n’est vrai !
Table 1. Le Canada et les Etats-U nis.
Indicateurs choisis, 2012
Population
Canada
United States
315,6
35,1
1488311
15684750
42734
49922
30,0
70,3
21,1
14,1
16,1
2,3
32,0
61,5
19,7
17,5
13,1
2,3
(millions)
GDP
(Billions, ppp $)
GDP per capita
(ppp, $)
Exports of goods and services
as a % of GDP
bilateral, as a % of exports
bilateral, as a % of GDP
Imports of goods and services
as a % of GDP
bilateral, as a % of imports
bilateral, as a % of GDP
Source: IMF. Statistics Canada. Bureau of Economic Analysis.
L’interdépendance comporte de nombreux avantages, en termes d’efficience et de bien
être économique notamment. Elle a cependant un coût : elle rend les économies plus
sensibles et vulnérables aux chocs extérieurs. La notion de sensibilité réfère à la
prédisposition d’une économie à subir l’influence d’une autre économie, que son degré
d’ouverture soit élevé ou non, alors que la notion de vulnérabilité est la contrepartie
négative de l’avantage qu’une économie tire de ses échanges avec l’extérieur : tout choc
extérieur ou tout changement dans l’environnement international aura ainsi un impact
d’autant plus grand sur cette économie qu’elle est ouverte sur l’extérieur. La crise de 20072008 en est un exemple patent : le PIB a reculé de 3,1 pour cent aux Etats-Unis en 2008,
mais les exportations de biens du Canada ont chuté de 14,4 pour cent et celles du Mexique,
de 21,1 pour cent18.
1.3.2. De l’interdépendance à intégration
L’intégration est souvent associée à l’interdépendance. Les deux concepts sont très
proches, au point d’être parfois pris pour synonymes. Il est préférable de les distinguer dans
la mesure où dans l’interdépendance, les économies conservent leur identité. Le concept
d’intégration est utilisé dans deux sens différents. Dans son premier sens, il désigne un
processus de fusion de deux ou plusieurs économies pour n’en former plus qu’une. C’est le
sens qu’on retient lorsqu’on parle d’intégration régionale ou d’accords d’intégration, à propos
de l’ALENA ou de l’UE par exemple. Dans son second sens, il désigne un processus
d’insertion d’une économie dans un ensemble plus large, l’économie mondiale par exemple.
C’est le sens qu’on retient lorsqu’il est question d’intégration compétitive dans l’économie
mondiale. Dans les faits, les économies sont encore aujourd’hui davantage interconnectées
18
Source: IMF. World Economic Outlook Database.
qu’intégrées entre elles. Par contre, quatre tendances lourdes poussent dans le sens de
l’intégration : la concentration géographique des échanges, la densité croissante des réseaux
transfrontaliers des entreprises, la mobilité des capitaux à l’échelle planétaire et la
concurrence sur les marchés internationaux.
2. Mesurer l’ouverture
Un indicateur est un instrument qui permet d’évaluer une situation ou une tendance et,
ainsi, d’aider à la prise de décision. Mesurer le degré d’ouverture d’une économie est une
tâche complexe. Non seulement l’ouverture est toujours relative, mais encore faut-il compter
avec les différences de taille et de développement. L’ouverture est également un choix
politique qui ne s’évalue pas toujours à partir d’indicateurs quantitatifs. Enfin, les échanges
sont toujours soumis à certaines restrictions. Le système commercial multilatéral, bien
qu’orienté vers l’ouverture des marchés, en reconnaît un certain nombre. Les unes relèvent
de l’intérêt, de la morale et de sécurité publique, mais d’autres relèvent de choix
économiques en faveur de telle ou telle catégorie de pays, de secteur ou d’industries. Bref,
tout cela pour dire que si les indicateurs d’ouverture sont utiles, leur construction pose de
nombreux problèmes méthodologiques et qu’il convient en conséquence de les utiliser avec
précaution.
Les indicateurs d’ouverture sont extrêmement nombreux. Nous pouvons les diviser en
deux grandes catégories : ceux qui portent sur l’ouverture même et ceux qui portent sur les
obstacles aux échanges. Nous en donnerons un aperçu dans cette partie.
2.1. Les indicateurs d’ouverture
En matière d’ouverture, il n’existe pas d’indicateur unique, mais plutôt une variété
d’indicateurs techniques. Prenons le cas du commerce. C’est dans ce domaine que l’on
retrouve le plus grand nombre d’indicateurs, que ce soit pour mesurer l’intensité
commerciale d’une économie, la diversification ou la concentration géographique des
échanges, la spécialisation commerciale, la pénétration des importations, ou encore l’effort à
l’exportation.
L’indicateur plus utilisé est celui d’intensité commerciale. On le calcule en prenant pour
un pays i le rapport de la somme de ses importations (Mi) et exportations (Xi) de biens et
services – ou leur moyenne – au PIB (Yi), soit : T = (Xi + Mi)/ Yi,
Lectures com plém entaires
Kyle Bagwell and Robert W. Staiger, The Economics of the World Trading System, Cambridge,
Mass.: MIT Press, 2002.
Paul Bairoch, Economics and World History: Myths and Paradoxes, Chicago: University of Chicago
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Jeffrey Williamson and Kevin O’Rourke, Globalisation and History: The Evolution of a Nineteenth
Century Atlantic Economy, Cambridge: MIT, 1999
Figure 1. Trade openness
Selected countries, 2011
Average of total exports and imports (goods and services) as a percentage of GDP,
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
il
ra
z
B
Ja
U
pa
ni
n
te
d
St
at
es
a
ne
si
a
A
us
tr
al
ia
di
In
In
do
hi
na
Tu
rk
ey
C
ad
a
O
E
C
D
ic
o
an
C
M
ex
C
hi
le
K
in
gd
om
d
U
ni
te
N
et
Ir
el
an
d
he
rl
an
ds
K
or
ea
G
er
m
an
y
0
Source: OECD Factbooks Indicators
Le graphique 1 nous donne le taux d’ouverture moyen pour un certain nombre de pays. Le
cas du Canada est particulièrement intéressant. De tous les pays de l’OCDE, c’est celui dont
le taux d’ouverture a le plus baissé au cours de la dernière décennie, passant de 42,7 pour
cent du PIB en 2000 – un sommet – à 31 pour cent en 2011. Le graphique montre également
que, d’une façon générale, plus les économies sont de petite taille, plus leur taux d’ouverture
est élevé. C’est un biais important qui invite à la prudence. Ainsi, les Etats-Unis ont un
taux d’ouverture comparable à celui du Japon et du Brésil. Et ce, bien que leur économie
soit plus ouverte que celle de ces deux pays. L’indicateur a un autre biais important : les
données sont calculées en données brutes. Plus un produit circule d’un pays à l’autre, plus
sa valeur augmente. Le problème se pose avec d’autant plus d’acuité que la chaîne de
production est fragmentée et que la valeur des intrants est importante dans la composition
des exportations. Pour remédier à ce problème, l’OCDE et l’OMC ont mis en place un
programme conjoint pour calculer les échanges en termes de valeur ajoutée. C’est un autre
regard qui est ainsi porté sur le commerce international. Il est ainsi significatif de constater
que 80 pour cent environ des exportations canadiennes ont un contenu national,
comparativement à 70 pour cent environ pour le Mexique et un peu plus de 67 pour cent
pour la Chine (Table 2).
Table 2. OECD-W TO Trade in Value Added
Canada and selected countries, 2009
Imports
Exports
Domestic
value added content
in gross value
in value added
Canada
United States
21,8
8,6
29,2
13,3
Germany
Japan
24,7
10,2
Mexico
Brazil
China
in gross value
in value added
of gross exports
22,1
9,3
27,5
10,4
80,5
88,7
30,2
11,9
25,8
10,5
35,1
12,3
73,4
85,2
18,2
10,0
27,8
11,1
18,4
10,1
26,4
11,1
69,7
91,0
16,6
21,1
17,1
25,4
67,4
as a % of GDP
%
http://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=TIVA_OECD_WTO
La globalisation nous oblige à porter un regard plus large sur l’ouverture économique.
Beaucoup d’indicateurs traditionnels ont été construits à une époque où l’essentiel des
échanges se concentrait sur le commerce. De nouveaux indicateurs doivent être développés
pour rendre compte de réalités nouvelles économique comme l’activité transfrontalière des
firmes multinationales par exemple. La globalisation ne se limite pas non plus à la seule
sphère commerciale. Les technologies se diffusent, les communications personnelles se
développent, les liens diplomatiques se multiplient, les fonds envoyés à l’étranger
(remittances) deviennent un enjeu financier, le tourisme est devenu une véritable industrie,
etc. Pour rendre compte de ces faits nouveaux, deux méthodes sont utilisées.
La première méthode consiste à choisir un certain nombre d’indicateurs significatifs.
C’est la méthode qu’a retenue, par exemple, l’OCDE dans son manuel de référence OECD
Handbook on Economic Globalisation Indicators19. Un nombre restreint mais néanmoins
significatifs d’indicateurs dits de référence ont ainsi été sélectionnés et regroupés en quatre
grandes catégories : l’investissement direct étranger, l’activité économique des entreprises
multinationales, la diffusion internationale des technologies et les échanges commerciaux.
On retrouve là les quatre grandes dimensions de l’ouverture et de l’internationalisation. Le
travail de conceptualisation, de clarification et de compilation accompli par les services de
l’OCDE est tout à fait remarquable. L’intérêt de la méthode est de pouvoir disposer ainsi
d’un très grand nombre d’indicateurs, une sorte d’annuaire statistique de la mondialisation
dans lequel le chercheur peut piocher en fonction de ses besoins.
La seconde méthode consiste à construire un indicateur synthétique. Elle repose sur trois
opérations distinctes : 1) la sélection d’indicateurs représentatifs, 2) leur classement et leur
regroupement à l’intérieur de grandes catégories, et 3) l’application d’un double système de
pondérations, entre les catégories et à l’intérieur de chacune d’elles. L’opération est
complexe et la méthode est loin de faire l’unanimité. Entre autres, les indicateurs n’offrent
pas tous le même degré de qualité, de fiabilité et de généralité, et la part de subjectivité et
d’arbitraire est souvent très grande à toutes les étapes du processus de calcul. Ils n’en sont
pas moins très prisés des acteurs économiques comme des gouvernements. Le Global
Competitiveness Index mesure la compétitivité des nations ; l’indice KOF mesure leur degré
de globalisation20.
Créé en 2002, l’indice KOF est un indice qui mesure sur une échelle allant de 1 à 100, le
niveau de globalisation de plus de 200 pays. Les indicateurs sont regroupés en trois grandes
catégories : l’économie (36 %), la société (37 %) et la politique (27 %). L’indice économique
mesure les flux commerciaux et d’investissement et les restrictions au commerce ; l’indice
19
20
Source: http://www.oecd.org/science/sci-tech/oecdhandbookoneconomicglobalisationindicators.htm
Source: http://globalization.kof.ethz.ch/
social, les contacts personnels et la propagation des idées ; et l’indice politique, la
collaboration politique entre les pays. Le tableau 2 donne les résultats pour 2013. Le
Canada se classe au 13e rang pour l’indice général, alors que les Etats-Unis ne se classent
qu’au 34e rang et la Chine au 73e rang. On notera que le Canada ne se classe qu’au 34e rang
pour l’économie. Par contre, il se classe au 8e rang pour la globalisation sociale et au 12e
rang pour la globalisation politique. Il n’y a d’ailleurs pas que le Canada qui surprend pour
la globalisation économique : les Etats-Unis font pire, se classant au 82e rang ! Tout ceci doit
bien entendu être regardé avec beaucoup de circonspection mais l’avantage d’un tel indice
est de permettre de comparer les pays et d’avoir des données historiques.
2.2. Les obstacles aux échanges
L’autre démarche consiste à rechercher des indicateurs qui vont donner la mesure des
obstacles aux échanges. Le commerce est un domaine privilégié. Les obstacles se divisent en
deux grandes catégories : tarifaires et non tarifaires.
Le GATT a été mis en place pour ouvrir les marchés et, comme son nom l’indique, la
réduction et la consolidation des tarifs douaniers ont toujours été sa grande priorité. Du
GATT de 1947 au cycle de Doha actuel, les cycles de négociations se sont ainsi succédés,
avec le résultat que les tarifs douaniers ont été substantiellement abaissés. L’OMC estime
que dans le cas des pays développés, les tarifs moyens pondérés appliqués sont passés entre
1947 et 2005 de 30 pour cent environ à 4,1 pour cent. Le tarif moyen appliqué était, en 2005,
de 3,8 pour cent pour le Canada et de 3,7 pour cent pour les Etats-Unis. Les tarifs douaniers
restent encore élevés dans les pays en développement, mais, comme le montre le graphique
2, leur diminution est significative depuis le début des années 1980. Le taux NPF était, en
moyenne, de 8,8 pour cent dans leur cas, comparativement à 2,9 pour cent pour les pays de
l’OCDE les plus riches
Figure 2. Average MFN Applied Tariff Rates,
Developing and Industrial Countries,
1981-2010 (unweighted, in %)
40"
35"
30"
25"
20"
15"
10"
5"
0"
1980"
1984"
1988"
Developing"Countries"(134)"
1992"
1996"
2000"
High"Income"OECDs"(11)"
2004"
2008"
World"(164)"
Source: World Bank. Data on Trade and Import Barriers.
Le cycle de Tokyo marqua un tournant dans l’histoire du GATT en élargissant les
négociations commerciales aux mesures non tarifaires. C’est surtout sur elles que portent
aujourd’hui les négociations internationales. Un consensus existe pour dire que leur impact
sur le commerce est plus important que les tarifs douaniers21. L’éventail est très large :
formalités douanières ou administratives à l’importation, normes techniques et standards,
procédures de certification des produits, l’étiquetage, mesures sanitaires ou phytosanitaires,
règles relatives aux marchés publics, règlementations intérieures sur les services, commerce
et sociétés d’État, contrôles des changes, etc. Le lecteur aura une bonne vue d’ensemble de
ces mesures et des problèmes méthodologiques que soulève la construction d’indicateurs
pertinents dans le rapport de 2012 de l’OMC22. Certains indicateurs existent mais on est
encore loin de disposer d’un tableau de bord comme celui qu’a construit l’OCDE pour la
globalisation.
L’investissement est un autre domaine pour lequel des indicateurs ont été développés,
notamment pour mesurer l’attractivité des pays. Il faut mentionner les travaux pionniers de
la CNUCED (UNCTAD) dans ce domaine. C’est toutefois à la Banque mondiale que revient
le mérite d’avoir développé un indicateur composite pour mesurer les règlementations qui
affectent les affaires et les investissements. Appelé Doing Business, ce projet vise à classer
les pays selon la facilité d’y faire des affaires23. La démarche suivie est analogue à celle des
autres indicateurs composites, et les critiques sont identiques, avec toutefois un biais
supplémentaire : l’indicateur laisse entendre qu’il existe une corrélation positive entre
facilité d’affaires et investissement, ce qui est loin d’être toujours le cas. L’indice est
construit à partir d’un noyau de 11 catégories d’indicateurs portant, respectivement, sur la
création d’entreprise, les permis de construire, le raccordement à l’électricité, le transfert de
propriété, l’accès au crédit, la protection des investisseurs, le paiement des impôts, le
commerce transfrontalier, l’exécution des contrats, le règlement des faillites et l’embauche
des travailleurs. Les cinq premiers pays étaient, dans l’ordre, en 2012 Singapour, Hong
Kong, la Nouvelle Zélande, les Etats-Unis et le Danemark. Le Canada n’occupe que le 17e
rang et la Chine, le 91e rang.
Table 3. Classem ent des pays selon certains indicateurs
Ranking
Year
KOF Index
A.T.Kearney FDI Confidence Index
UNCTAD - FDI Attraction Index
Doing Business Index
Global Competitiveness Index
2013
2013
2011
2012
2013
Countries
207
25
25
185
144
1
2
3
4
5
Belgium
Ireland
Netherlands
Austria
Singapore
United States
China
Brazil
Canada
India
Hong Kong
Belgium
Singapore Luxemburg
Ireland
Singapore
Hong Kong New Zealand United States Denmark
Switzerland Singapore
Finland
Sweden
Netherlands
Canada
U.S.A
China
13
4
34
1
72
2
17
14
4
7
91
29
3. Ouverture et politique commerciales
La littérature économique considère généralement les mesures règlementaires comme
discriminatoires : en freinant les échanges, elles réduisent le bien être des populations.
Réduite au statut de variable dépendante, la politique commerciale est ainsi évaluée en
fonction du seul critère de son engagement à ouvrir les marchés à la concurrence. D’un point
de vue politique, le débat est plus ouvert. L’intérêt public peut justifier certaines formes de
règlementations. Le GATT en reconnaît d’ailleurs la légitimité (article XX and XXI), en
Les chaînes de valeur rendent également les tarifs contreproductifs.
WTO, World Trade Report 2012. Trade and Public Policies: A Closer Look at Non-Tariff Measures in the 21st Century,
Geneva, 2012.
23 Source: http://www.doingbusiness.org/
21
22
autant, cependant, que leur application ne constitue pas une forme de discrimination
arbitraire ou injustifiée. Mais où commence et où finit l’intérêt public ? Quid, par contre, des
mesures à caractère économique ? Dans quelles circonstances sont-elles justifiées ? Ainsi
l’OMC octroie aux pays en développement un traitement particulier mais celui-ci fait
toujours l’objet d’âpres débats et l’ouverture des marchés a érodé le système des préférences
commerciales. Quid, également, du cas des pays émergents qui tend à montrer que leur
réussite n’est pas due à la seule libéralisation des échanges, mais plutôt à des politiques
pragmatiques qui combinent ouverture et interventionnisme. Ce constat n’est pourtant pas
nouveau ; il illustre simplement le fait que le développement se construit autant en
interaction avec les autres qu’en s’en donnant les moyens. C’est le dilemme de la
coopération internationale : comment concilier l’intérêt de tous et l’intérêt de chacun ?
Commençons par ouvrir le débat.
3.1. Coopérer ou non ?
La globalisation pousse plus que jamais les États à coopérer : 1) dans un monde ouvert,
les exportateurs cherchent à avoir accès aux marchés, poussant ainsi les gouvernements à
rechercher des ententes et à accepter en contrepartie l’ouverture de leurs propres marchés ;
2) l’interdépendance réduit la marge de manœuvre et la capacité des gouvernements à
mettre en œuvre leurs politiques (défaillance de l’État et des politiques) ; 3) en l’absence de
coopération, la mondialisation favorise les comportements braconniers, voire prédateurs ; et
4) les marchés sont imparfaits et une action commune est requise, tant pour voir à
l’application du principe de concurrence que pour corriger les défaillances du marché et
sanctionner les abus. Ce sont les arguments d’ordre pratique. La coopération ne manque pas
non plus d’arguments d’ordre théorique. Mentionnons tout d’abord ceux avancés par
l’internationalisme libéral24. Pour faire court, en liant les nations les unes aux autres et en
contribuant à leur prospérité, le commerce ouvre la voie à la paix universelle, étant entendu
que les démocraties ne se font pas la guerre et que des voisins prospères sont de bons
voisins. Ce principe général a deux corollaires : 1) entraver le commerce, c’est empêcher les
hommes de s’enrichir, les sociétés de se développer et les peuples de vivre en paix ; 2) briser
le lien de l’interdépendance, c’est tourner le dos à la coopération entre les nations et ouvrir
la porte aux guerres commerciales.
La théorie économique apporte, de son côté, quatre arguments25 : 1) la coopération permet
de profiter au mieux des gains de l’échange tout en mettant les gouvernements à l’abri des
intérêts particuliers ; 2) elle offre un accès garanti, élargi et sécuritaire aux marchés tout en
favorisant l’efficience économique ; 3) les institutions accroissent la transparence, facilitent
les transactions, réduisent l’incertitude, restreignent les comportements opportunistes (free
riding) et permettent de régler les conflits ; et 4) l’intégration des marchés demande de
définir des normes communes, pour réduire les coûts de transaction La théorie privilégie
toujours la coopération multilatérale mais s’accommode néanmoins d’une coopération de
type bilatéral ou régional si cela permet d’ouvrir plus largement les marchés, d’aller plus
Pour une synthèse, voir : G. John Ikenberry. “Liberal Internationalism 3.0: America and the Dilemmas of Liberal World
Order.” Perspectives on Politics, 7, 1, 2009: 71-87
25 Pour une présentation détaillée, voir : WTO, World Trade Report 2007. Sixty Years of the Multilateral Trading System:
Achievements and Challenge, Geneva, 2007.
24
vite et plus loin qu’au niveau multilatéral ou encore de corriger les défaillances de l’action
collective. Toutefois, même assujettis aux disciplines multilatérales, les accords régionaux
ou bilatéraux restent des accords préférentiels, donc exclusifs.
À l’inverse, l’ouverture et l’interdépendance peuvent aussi accroître les conflits
commerciaux. Les États peuvent également trouver de nombreux avantages à ne pas
coopérer 26 . Pensons aux paradis fiscaux ou aux zones franches par exemple. Les faits
penchent autant de ce côté que de celui de la coopération. En voici quelques exemples : 1) la
rationalité économique pousse les entreprises à aller là où les avantages – économiques et
autres – sont les plus nombreux et à tirer ainsi profit des différences nationales ; 2) dans
une situation « à la Strange » où les intérêts privés et publics se conjuguent pour faire du
monde une arène économique, la concurrence incite les nations à faire cavalier seul, à
commencer pour attirer l’investissement ; 3) la pression des lobbies économiques pousse à la
défense des intérêts particuliers, voire à la collusion entre les gouvernements et les acteurs
économiques ; 4) les gouvernements sont sensibles à l’opinion publique, aux échéances
électorales, au jeu parlementaire, etc..
Ces exemples montrent que, bien qu’elle soit toujours préférable à l’isolement ou à l’action
solitaire, la coopération impose des disciplines que les acteurs publics ou privés ne sont pas
forcément prêts à accepter. La coopération rencontre également sur son chemin des
arguments plus théoriques. On peut les diviser en trois catégories.
Il y a tout d’abord ceux des libéraux radicaux. Leur critique de l’État s’applique a fortiori
à la coopération internationale : défaillances de l’action collective, incapacité de prévoir le
futur, institutions non-démocratiques, cartellisation de la coopération au profit de certains
États ou de certains groupes, etc. Nous n’y insisterons pas. Les altermondialistes et, avant
eux, les tiers-mondistes avancent une seconde catégorie d’arguments. Leur critique
s’adresse autant au libre-échange qu’à ses institutions. Au premier, ils opposent certains
principes et droits fondamentaux comme les droits humains ou environnementaux, la
justice économique, la démocratie, ou encore le droit au développement. Quant aux
institutions, ils leur reprochent de défendre les intérêts des grandes entreprises ou ceux des
pays riches, de sacrifier la vie humaine sur l’autel du profit ou encore de privilégier
l’économie et la finance au détriment du bien commun et des populations.
Enfin, les défenseurs de l’identité nationale ne manquent pas non plus d’arguments. La
littérature est variée mais elle a en commun 1) de faire de la nation, et non de l’échange, le
concept organisateur de la vie économique en société, 2) d’accorder la priorité au
développement de l’économie nationale, de la production, des forces productives ou des
capacités à l’exportation, et 3) de faire de l’État et de ses politiques l’instrument du
développement collectif.
D’un côté comme de l’autre, les arguments sont nombreux. Comment y voir clair ?
3.2. Le triangle d’incom patibilité
Nous vivons dans un monde libéral, et c’est de ce côté que penchent les idées, les
institutions et les intérêts. La pensée libérale ne se résume toutefois pas au seul laissezUn gouvernement peut très bien conclure des ententes particulières avec d’autres gouvernements – pour échanger des
informations fiscales, promouvoir certains droits ou attirer l’investissement par exemple – sans pour autant souscrire à un
traité multilatéral.
26
faire. Au libéralisme du laissez-faire on peut opposer le libéralisme du méliorisme, celui qui,
à l’instar des travaux de Commons, Sen ou Stiglitz, met l’accent aussi sur la morale, le
progrès humain et l’action collective. Ce débat – pourtant fondamental – à l’intérieur du
libéralisme est souvent occulté par celui, plus profondément ancré dans les institutions et
les sociétés, qui l’oppose au nationalisme.
En fait, dans un monde à la fois ouvert et divisé en États, nous sommes devant une
situation typique du triangle d’incompatibilité « à la Mundell » où entre trois options, on ne
peut en choisir que deux. Ainsi, entre les trois options que sont (1) la coopération
internationale (G) (2) l’autorégulation des marchés (M) et (3) la souveraineté des États (S),
on ne peut en choisir que deux : (1) – (2), (1) – (3), ou (2) – (3).
Figure 3. Incom patibily triangle
Ce triangle, que nous avons appelé G.M.S.27, a quelque chose de frustrant dans la mesure
où les acteurs publics et privés auront, pour des raisons différentes mais compréhensibles,
tendance à privilégier la dyade (2) – (3). Autrement dit, celle qui laisse entière leur
autonomie. Il s’agit bien entendu d’un cas extrême. En pratique, tant les États que les
marchés ont besoin d’institutions dans la sphère internationale. Ce n’est donc pas sur l’une
des trois faces du triangle que vont se faire les choix, mais à l’intérieur du triangle, dans
une zone qui combine les trois options et que nous appelons g.m.s. Nous y avons représenté
(figure 3) trois institutions typiques : l’Union européenne qui privilégie l’action commune,
l’OCDE qui privilégie l’autonomie des marchés et l’OMC qui privilégie la coordination
internationale. Deux éléments la définissent : les choix collectifs et le champ des possibles.
La coopération trouve ainsi sa place, mais 1) de quel côté va pencher le balancier ? Du côté
des marchés, des États ou de la gouvernance collective ? Et, 2) jusqu’où aller sans provoquer
la rupture du système ?
See: D. Brunelle, C. Deblock and M. Rioux. “Globalización, competencia y gobernaza: el surgimiento de un espacio jurídico
transnacional en las Américas.” Foro Internacional, 46, 1, 2004: 66-102..
27
3.3. Rendre les États raisonnables
Le triangle d’incompatibilité nous donne une photographie des choix possibles. Que nous
apprend la théorie ? La construction des institutions est un problème bien connu en
relations internationales et aucune théorie n’est vraiment parvenue jusqu’ici à proposer une
explication synthétique satisfaisante. La meilleure porte d’entrée reste toutefois
l’institutionnalisme de l’action collective qui, dans la tradition de Commons et de Keynes, en
appelle à la fois aux idées et aux intérêts dans la construction des institutions. L’explication
qu’elle donne de la construction des institutions d’Après-Guerre reste sa plus belle réussite.
Cet ordre est un ordre libéral, et les Etats-Unis en furent le grand concepteur. Il n’en
demeure pas moins que l’un de ses traits les plus originaux fut de concilier sur une grande
échelle ouverture et interventionnisme d’une part, et coopération et souveraineté nationale
d’autre part. Cela n’aurait pas été possible si les idées n’avaient pas compté. Mais pas
n’importe lesquelles toutefois ! Encore fallait-il qu’un compromis soit trouvé pour concilier
non seulement le libéralisme économique avec les préoccupations économiques et sociales de
l’époque, mais aussi l’internationalisme libéral avec les intérêts nationaux de chacun. C’est
l’argument du « libéralisme enchâssé », défendu, entre autres, par Ruggie28. Grâce à ce
compromis historique, le libéralisme devenait multilatéral tout en reposant sur la
régulation nationale des marchés.
Le point d’entente correspondrait sur notre triangle à un niveau intermédiaire entre g, m
et s. Il n’en fut pas vraiment ainsi. Dès le départ, la coopération pencha du côté de la
coordination internationale, et, pour permettre la régulation nationale, une ligne de
démarcation fut tracée entre le marché national et le marché international. Le temps a fait
son œuvre : les frontières sont devenues de plus en plus poreuses, le libre-échange est venu
remplacer la libéralisation ordonnée et, laissée à elle-même, la régulation nationale est
désormais mise à mal par l’ouverture des marchés. La globalisation serait-elle allée trop
loin (Has Globalization Gone Too Far?), pourrait-on se demander en reprenant le titre
accrocheur d’un ouvrage de Dany Rodrik. Il ne s’agit pas de faire marche arrière mais le
constat est là : si la globalisation souffre d’un grave déficit d’institutions, les États font
preuve d’une mauvaise foi évidente lorsqu’il est question de coopération.
Ne portons pas non plus un regard nostalgique sur le passé. Regardons plutôt les faits
comme ils se présentent : la globalisation est là pour durer. Il ne s’agit ni de s’en
accommoder ni de s’y opposer, mais de la maîtriser. De façon pragmatique certes, mais en
mettant clairement de l’avant l’action collective. De notre point de vue, cela
implique premièrement de sortir la régulation des marchés du cadre national et d’en
transférer la responsabilité à des organisations spécialisées comme cela a été fait pour le
commerce. Et ce dans trois domaines en particulier – les trois maillons faibles de la
coopération actuelle –: la finance, la concurrence et les conditions de travail. Et,
deuxièmement, de doter ces institutions de compétences exclusives et, lorsqu’il y a partage
de compétences, d’appliquer le principe de subsidiarité29. Le dilemme de la coopération
John G. Ruggie. “International Regimes, Transactions, and Change: Embedded Liberalism in the Postwar Economic Order”,
International Organization, 36, 2, 1982: 379-415.
29 Le principe de subsidiarité découle du partage des compétences. Il autoriserait les autorités internationales à intervenir
lorsque les objectifs convenus par traité ne peuvent l’être de manière satisfaisante au nouveau national. Il y a dans ce cas à
délégation d’autorité et droit d’intervention.
28
internationale se présenterait alors ainsi : comment concilier la régulation globale des
marchés avec la liberté économique d’un côté et l’autorité des institutions mondiales avec
les différences nationales de l’autre ? Nous restons fidèles à la pensée de Commons et de
Keynes : s’il s’agit de rendre le capitalisme raisonnable, encore faut-il aussi rendre les États
raisonnables.
4. Le chemin parcouru
Ce chapitre avait un double objectif : fournir au lecteur des instruments pour comprendre
l’ouverture économique et ouvrir la réflexion sur les problèmes que soulève sa coopération
en économie ouverte. Les éditeurs avaient posé une question : Why do governments pursue
such policies, even in the face of concentrated political opposition? Nous y répondrons
comme Keynes l’aurait fait : parce que le problème est mal posé. Au lecteur de dire si nous
avons atteint nos objectifs.