La Majorette : Queen ou has-been - Info-mag

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La Majorette : Queen ou has-been ?
En France 50.000 majorettes évoluent dans 2.500 clubs. En Haute-Vienne les Majorettes de Limoges, qui ont évolué vers le
cabaret, sont les dernières représentantes d'une époque révolue.
" Majorette un jour, majorette toujours ", comme dit l'adage. Stars des défilés, parades et fêtes de villages dans les années
60-70, les majorettes ont connu leur heure de gloire avant la descente aux enfers dans les années 1985 à 2000.
Démodées, ringardisées par la génération rock et twirling-bâton, de nombreuses troupes ont disparu faute d'avoir su se remettre
en question.
DERNIÈRE TROUPE
Les Majorettes de Limoges ont su casser leur image
militaire… (Photo © Majorettes de Limoges)
Arrivées en France à la Libération avec les GI's, les majorettes ont rapidement trouvé un écho favorable dans les milieux
populaires. Bien qu'elles aient cédé du terrain, elles répondent toujours présentes pour animer les fêtes de villages et Carnavals.
La Haute-Vienne compta jusqu'à vingt-quatre troupes il y a quinze ans. Aujourd'hui les majorettes de Limoges sont les
dernières survivantes de cette glorieuse époque, avec les deux troupes de paradeuses de rues de Sauviat et Oradour-sur-Vayres.
Fondée par Gilles Lacotte en 1965, la troupe de Limoges a perpétué la tradition, tout en essayant de gommer, ces dernières
années, l'image kitch qui leur colle à la peau.
" Lorsqu'on parade avec d'autres majorettes, on se dit que ce sont elles les vraies majorettes car elles ont gardé les bottes, le
costume militaire et le bâton ", admet Jean-Pierre Dumas, le président.
40 ANS…
Après avoir dirigé la troupe durant trente-sept ans Gilles Lacotte, au soir de sa vie, lui avait fait promettre, en 2003, de fêter les
40 ans de la troupe. Jean-Pierre, qui faisait partie des cadres, a tenu promesse. Alors que la troupe ne comptait plus que six
filles, l'année suivante, elle paradait avec quatorze filles.
Les majorettes de Limoges vont tout faire pour redorer leur blason en apportant une touche de fantaisie et de modernité.
Aujourd'hui le président est satisfait de l'esprit qui règne dans sa troupe.
" Gilou a laissé un bel héritage, il n'aimait pas déléguer, ce fut difficile de lui succéder. Nous avons gardé son esprit les deux
premières années puis nous avons changé le costume et recruté des jeunes filles pour assurer la relève… ".
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La troupe a trouvé une méthode de recrutement originale, ce sont les majorettes qui recrutent.
" Le recrutement est meilleur ainsi, elles laissent leur chance à toutes les filles mais savent repérer les bons profils… ".
NOUVELLE TENUE
Un style plus cabaret pour un spectacle tout en plumes…
(Photo © Majorettes de Limoges)
Entrée dans la troupe à 11 ans la capitaine Audrey, 28 ans, a vu évoluer les majorettes.
" En dix ans le changement de tenue a été radical, l'ancienne capitaine avait instauré les plumes qui nous caractérisent
aujourd'hui. Rares sont les troupes à défiler en plumes. J'ai imposé les chaussures à talons en lui succédant en 2005. Nous
défilons en justaucorps rouge et préparons une nouvelle tenue pour la fin de l'année, toujours avec les plumes adoptées, après
nous, par d'autres troupes en France… ".
Les bottes et le chapeau, attributs qui ont forgé leur identité, ont été relégués au rang des souvenirs. Dans les années
soixante-dix, au sommet de leur gloire, les majorettes de Limoges avaient déjà rangé le costume aux accents militaires pour une
tenue légère et confortable, le chapeau cédait sa place au diadème à plumes. Il y a trente-cinq ans la troupe était avant-gardiste.
ESPRIT CABARET
Le style militaire a donc viré au genre cabaret, avec toujours le bâton pour compléter une tenue qui met en valeur le charme de
ces demoiselles. Un costume qui a été copié par d'autres. Les jeunes filles ont été séduites par ce nouveau style puisque la
troupe compte désormais vingt éléments.
Militaire de carrière, Audrey a donné le ton pour que la troupe marche à la baguette.
" J'aime bien les choses carrées et les filles aussi, mais c'est évident que mon travail transpire sur mes loisirs. Il faut un chef
sinon c'est la foire ! Ce n'est pas évident de gérer des filles de 15 à 25 ans. Mon rôle est de fédérer, montrer la voie et, comme
dans tout club sportif, on n'est pas là pour s'amuser. Cependant je laisse les filles s'exprimer et les décisions sont partagées.
L'esprit est très familial, on a grandi ensemble, la troupe est une deuxième famille… !".
En dépit des efforts pour changer leur image, les clichés ont la vie dure et les moqueries fusent encore trop souvent, notamment
sur leur apparence.
" Je ne les entends pas car je suis devant, ajoute Audrey, les filles sont plus proches du public et les entendent. On en discute au
debriefing et certaines filles se remettent en question… ".
RÊVE DE FILLETTE
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Dans " Nuit d'ivresse ", Josiane Balasko, aux côtés de Thierry
Lhermitte, avait donné une image désastreuse de la
majorette… (Photo © Gaumont)
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Malgré tout les majorettes de Limoges attirent, de nouveau, les adolescentes. Adeline, 16 ans, a intégré la troupe en 2008. Un
conte de fées pour cette élève esthéticienne.
" Petite je regardais défiler les majorettes en me disant que je ferai comme elles et je l'ai fait. Tout me plaisait le costume, le
bâton, les grands talons, la danse... Au début j'étais stressée, aujourd'hui, je ne vois plus le public, j'ai l'impression d'être seule.
La tenue légère ne me gêne pas car cela reste dans l'esprit spectacle… ".
Et lorsque Adeline parle à ces copines de son loisir, les avis restent partagés.
" Certaines aiment bien, d'autres pas du tout. Elles me disent qu'elles ne pourraient pas porter une tenue comme ça ou qu'elles se
trouvent trop grosses. D'autres disent que c'est ringard d'être majorette… ".
Les majorettes souffrent encore de réflexions comme " Fais pas ta Josiane ! ". L'image véhiculée par Josiane Balasko, dans Nuit
d'ivresse, a marqué durablement et de manière négative les esprits. Grimée en majorette, elle apparaissait ivre morte. Mimi
Mathy a volé à leur secours, l'an dernier, dans Joséphine ange gardien et les clubs ont enregistré des inscriptions.
COMME DES REINES
Déborah a intégré les majorettes en 2003 à l'âge de 15 ans car ses sœurs aînées étaient déjà dans la troupe.
" Je ne serais pas rentrée si mon père n'avait pas été président, j'aimais juste danser. Puis on se prend au jeu, on ne veut pas rater
un déplacement. C'était difficile, au début, de porter le costume et les talons, j'avais mal aux pieds et on s'habitue… ".
Elle regrette que les majorettes ne soient pas appréciées partout.
" Ici on est des has-been. Au carnaval de Limoges on entend des railleries, des garçons veulent nous toucher et on a souvent
froid. C'est différent lorsqu'on va dans le Lot, le Cantal, en Corrèze, aux fêtes d'Oradour-sur-Vayres et de Cheissoux. En
Bretagne, dans le Nord de la France, à Bordeaux, dans les Landes, nous sommes accueillies comme des reines et il y a deux fois
plus de spectateurs. On nous demande comment devenir majorette, s'il y a un casting, si on est professionnelle, combien on est
payé... Les gens disent qu'on est des majorettes modernes. Notre tenue a changé notre image. Et à ceux qui croient que c'est
facile de défiler, je donne mon bâton… ".
Les majorettes sont toujours demandées. L'an dernier la troupe a décroché dix-huit contrats, un bon cru, et 2010 s'annonce sous
de bons augures. Déborah a fait connaître les majorettes à Stéphanie qui défile depuis sept ans.
" J'avais une image très militaire de la majorette en bottes et j'ai vu des tenues très cabaret avec strass et paillettes. En les
regardant elles ont l'air très dénudées mais ce n'est pas le cas en les portant. Etre souple, gracieuse et souriante fait partie de la
panoplie ! Lorsque je dis aux gens que je suis majorette, ils sont surpris et, lorsque je leur montre des photos, ils trouvent qu'on
est moderne. On défile sur des musiques actuelles David Guetta, Cheryl Cole ".
TIMIDITÉ ENVOLÉE
En endossant son costume de majorette voilà deux ans, Isabelle a laissé sa timidité aux vestiaires. Ce fut comme une thérapie
pour cette jeune femme, notamment lorsqu'elle se produit dans leur spectacle de deux heures.
" J'étais timide, c'était difficile de monter sur scène, de me montrer devant tout le monde. Aujourd'hui lorsque je mets le
costume, je ne suis plus moi même. C'est positif d'autant que je n'ai pas entendu de moqueries me concernant. L'ambiance est
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super entre nous, lorsqu'on part en déplacement, on ne pense à rien d'autre… ".
Alors quel avenir pour ces majorettes ?
" Nous faisons tout pour perdurer mais à petite ou moyenne échéance les troupes disparaîtront pour plusieurs raisons, précise le
président, la fin des subventions municipales, le manque de renouvellement et de bénévoles et la montée du twirling-bâton avec
ce coté sportif et compétition qui attire les filles ".
La capitaine se veut plus positive.
" Des filles qui faisaient du twirling viennent vers nous à cause de la pression de la compétition, la tendance est entrain de
s'inverser, le côté festif et chorégraphique attire les filles… ".
Alors Josiane à quand la suite de Nuit d'ivresse pour vous faire pardonner ?
Corinne Mérigaud
En savoir plus :
06.89.93.02.48
[email protected]
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Micro trottoir : majorettes, ça vous di-rait ?
Julia, étudiante
en droit
" Non, pas du
tout ! Je ne
suis pas très
sportive, et je
n'aime pas trop
me montrer.
L'idée de
défiler en
public me file
des boutons.
De toute façon, je trouve le spectacle des majorettes vraiment trop
désuet. "
Véronique,
employé de
mairie
" Franchement
non ! Disons le
tout net, je
trouve cela
ridicule. Celles
de Limoges
font leur
possible pour
honorer
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comme il se doit la tradition du carnaval, mais je n'ai jamais eu envie
d'intégrer leur troupe. "
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Lucille,
étudiante
" Je peux
comprendre
qu'on puisse
être attiré par
cela. C'est joli
quand c'est
bien fait, mais
c'est
malheureusement
rarement le
cas. J'admire leur courage, leur résistance au froid pendant le carnaval
de Limoges. "
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Etudiées à la loupe...
En 1990 Sébastien Darbon, chercheur au CNRS, débarquait dans la
capitale limousine pour mener une étude ethnographique sur les
majorettes de Limoges. Cinq ans après il publiait " Des jeunes filles toutes
simples. Ethnographie d'une troupe de majo-rettes en France ".
" Je m'étais attaché à décrire ethnographiquement ce qu'elles faisaient, à
voir le rôle des parents, du président, l'évolution de la troupe, les
motivations de ces filles qui venaient, à l'époque, d'un milieu ouvrier avec
tout ce que cela supposait en terme de culture populaire. Je voulais
comprendre comment fonctionnait cette activité particulière, très décriée
par le milieu intellectuel, et qui suscitait un engouement très fort dans la
classe populaire. L'objectif était de sortir les majorettes de cet ostracisme
où on les avait plongés et de dire, finalement, qu'il s'agit d'une activité
aussi intéressante qu'une autre ".
Suite à ce livre, une équipe de Canal + s'est intéressée à la troupe en 1996
et l'a suivie durant un an. Leur reportage a fait l'objet de plusieurs
diffusions.
Article paru le 2010-04-13 - Droits de reproduction et de diffusion réservés ©2008 Yakinfo.com / Info Magazine
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