Usages de la forêt et représentations du Grand Tétras au sein du
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Usages de la forêt et représentations du Grand Tétras au sein du
Projet LIFE08 NAT/F/000474 « Des forêts pour le Grand Tétras » Usages de la forêt et représentations du Grand Tétras au sein du Massif des Vosges Approche ethnosociologique Sophie Bobbé Ensans automne/hiver 2010 1 2 Usages de la forêt et représentations du Grand Tétras au sein du Parc naturel régional des Ballons des Vosges. Approche ethnosociologique Sophie Bobbé (automne/hiver 2010) Rapport final de l’étude ayant fait l’objet d’une décision de subvention action sous Maîtrise d’ouvrage PNR des Ballons des Vosges dans le cadre du Programme LIFE+ « Des forêts pour le Grand Tétras » à l’association ENSANS (Environnement, Santé et Société) 3 « L’anthropologie rappelle que la modernité ne ravage pas tout ce qui lui est antérieur, qu’elle produit des ruptures et manifeste des impossibilités, mais ne parvient jamais à éliminer entièrement ce que le passé a stocké ou mis en mémoire, au sens informatique de cette expression. » (Georges Balandier) 4 Sommaire Introduction méthodologique 1. Analyse sémiologique d’un corpus journalistique Polysémie du terme « Grand tétras » Le Grand Tétras, un objet métonymique Le Grand Tétras, la construction d’un objet patrimonialisable Le Grand Tétras, la construction d’un objet mythique 2. Le Grand Tétras sur la scène locale Visibilité versus invisibilité Voir Voir et savoir. Connaître Visibilité et transparence Langue, langage et traduction 3. Conflit d’usages, conflit de gestion des territoires, conflit de légitimité Rappel du cadre réglementaire relatif à la protection des espèces et des habitats Fragmentation, canalisation et gestion des flux 4. Processus et conditions pour une plus grande responsabilité citoyenne De la pertinence d’une typologie des usagers Appropriare versus prendere : le res nullius en question Réflexions en guise de synthèse conclusive Annexes Liste des interlocuteurs rencontrés Repères historiques Repères bibliographiques 5 Carte des réserves naturelles au sein du PNR1 Carte du paysage du Programme LIFE +2 1 2 http://www.hautes-vosges.reserves-naturelles.org/ http://www.jedecouvrelafrance.com/f-3553.vosges-parc-ballons-vosges.html 7 Introduction méthodologique Dans le cadre du programme européen LIFE +, le Parc naturel régional des Ballons des Vosges (Programme LIFE +) a été désigné pour lancer une étude sur la forêt et le Grand Tétras dont l’un des objectifs est de lutter contre les principales causes d’affaiblissement des populations de Grand Tétras en agissant sur l’amélioration de l’habitat (la diminution de sa fragmentation), et sur la gestion de la fréquentation touristique de façon à accroître l’étendue des secteurs de tranquillité. Un des volets de cette étude vise à examiner, sous l’angle ethnosociologique, les représentations de la forêt et du Grand Tétras pour apporter des réponses aux questions ainsi formulées par le Programme LIFE + dans son projet : · « Bilan de trente années de communication à partir des articles de presse sélectionnés par le commanditaire ; · Quelles valeurs associées aux forêts à tétras ? · Quelles tendances générales ? · Quels sont les facteurs de divergences (lien social, rapport à la forêt, conflit d’usages) ? · Quelles demandes (responsabilisation, qualité de vie, espace de liberté) ? · Quels processus et conditions pour une plus grande participation ? Ce travail doit permettre de mettre en parallèle les différentes demandes sociales actuelles, les représentations culturelles associées, les tendances futures »3. L’une des préoccupations du Programme LIFE + est de saisir les raisons des controverses existantes - « … comprendre pourquoi, comment et dans quelle mesure, le Tétras est présenté par certains acteurs du développement économique comme un frein à l’activité humaine, afin de faire évoluer cette perception et de faciliter la mise en place de mesures de gestion en faveur de cette espèce »4. Pour répondre au mieux à cet objectif, nous avons choisi de consacrer la première partie de cette étude à l’examen des différentes représentations du Grand Tétras et de son habitat (la forêt. L’examen d’un corpus journalistique éclairera la façon dont ces deux éléments (forêt, grand tétras) apparaissent dans les discours et argumentaires des différents auteurs. Cette approche sémiologique permettra d’identifier d’une part les conflits existants autour des usages du territoire (professionnels, récréatifs) des différentes catégories d’acteurs socioprofessionnelles (habitants permanents ou saisonniers, usagers du territoire) et, d’autre part, les modes d’utilisation de chacun de ces deux éléments dans les discours des acteurs. Ce faisant, nous pourrons ainsi constater qu’il n’y a pas une place conférée au Grand Tétras sur la scène locale mais bien des places attribuées selon l’argumentaire déployé, révélant ainsi les enjeux des actuelles controverses autour des conflits d’usages et de légitimité. Dans les seconde et troisième parties de cette étude, nous nous attacherons à repérer différents paradigmes qui permettent de saisir les causes des conflits de gestion, de légitimité, d’usages des territoires ainsi que les enjeux sur la scène locale et qui éclairent. Enfin, dans une quatrième et dernière partie, nous évoquerons à partir d’une typologie d’acteurs spécifiquement établie au regard de la nature de leur engagement dans le devenir du territoire, des pistes de réflexion pour élaborer le plan de communication identifié dans le 3 cf. « ACTION A.1: Etude ethnosociologique sur la forêt, le tétras et les pratiques sociales », Programme Life, page 15. 4 Ibidem. 7 Programme LIFE + (actions de sensibilisation et de communication) sur les thématiques « forêt » et « Grand Tétras ». Cette étude ne pourra en aucune façon prétendre fournir des réponses détaillées à chacune des précédentes questions posées compte tenu du temps imparti à sa réalisation. Les résultats obtenus apporteront des clés de compréhension pour repenser la stratégie de communication du Programme LIFE + associant décideurs, techniciens et habitants, notamment à partir de l’élaboration d’un argumentaire dans le cadre d’action de communication du Programme LIFE +. En accord avec le parc, une approche écosystémique est ici privilégiée sur une entité territoriale du PNRBV où les enjeux économiques, patrimoniaux et sociologiques ont été préalablement repérés par l’établissement. Cette étude a bénéficié des apports de précédents travaux scientifiques5. Pour mener à bien cette étude qualitative, deux missions sont programmées fin 20106. Une liste d’interlocuteurs privilégiés nous a été fournie par l’établissement à notre demande. L’ensemble des personnes pressenties a pu être contacté et tous les entretiens prévus ont été réalisés, soit 30 entretiens semi-directifs ont été menés auprès d’agents d’établissements publics, de membres d’associations, de particuliers vivant sur le territoire (cf. Annexes, Liste des interlocuteurs rencontrés). Le choix des personnes sollicitées a été guidé par la nécessité d’une représentativité de l’ensemble des catégories de populations concernées. Cet effectif d’interlocuteurs suffit à dégager des logiques de représentations de la nature (forêt, grand tétras), des positionnements des groupes de pression sur la scène locale. Il va sans dire qu’une plus longue période de travail de terrain eut permis d’approfondir et d’affiner les résultats (rencontre d’un plus grand nombre d’interlocuteurs et de groupes d’acteurs locaux). Toutefois, les entretiens réalisés ont d’ores et déjà apporté des outils de compréhension de la complexité du terrain. Les entretiens (d’une durée minimale d’une heure et demie) se sont déroulés au domicile des particuliers, dans les locaux du PNRBV à Gérardmer et à Munster ou sur le lieu de travail des personnes. L’enregistrement de certains entretiens le fut avec l’assentiment des intéressés. Pour plus de clarté et pour les distinguer des extraits de la littérature écrite (scientifique et grise), les citations d’entretiens apparaissent dans le corps du texte en italique. Certaines citations ne sont pas nominatives à la demande des enquêtés. Cette étude fut menée entre le 1er août et le 31 décembre 2010. Une première restitution orale est prévue le 27 janvier 2011 dans les locaux du Conseil Régional de Strasbourg. 5 E. Memoni, 1991, Ecologie et dynamiques des populations du Grand Tétras dans les Pyrénées, avec références spéciales à la biologie de la reproduction chez les poules ; quelques applications à sa conservation, Thèse de doctorat, université de Toulouse ; Nathalie Nardon, 2000, Conditions et moyens pour une amélioration de la gestion des populations de Grands Tétras dans le massif vosgien, audit patrimonial, Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges/Institut National Agronomique de Paris-Grignon. 6 Des problèmes conjoncturels de circulation sur le territoire (indisponibilité de gasoil due à la grève nationale dans les entrepôts, dysfonctionnement des infrastructures ferroviaires du à la situation météorologique de fin d’année) ont retardé le démarrage de la première mission (prévue au début de l’automne) et obligé à annuler la seconde (novembre) ce qui nous a contraint à déplacer la première mission (15 jours) et à poursuivre le programme d’entretiens prévus sur place par des entretiens menés par téléphone. 8 1. Analyse sémiologique d’un corpus journalistique Pour mesurer ce qui se dit, ce qui est évoqué de façon implicite lorsque l’on mentionne le Grand Tétras, nous centrerons cette analyse textuelle sur un corpus non exhaustif de publications journalistiques généralistes7 et spécialistes8, d’une périodicité (quotidienne, hebdomadaire et mensuelle) et d’un rayonnement divers (échelles locale et régionale). Le dépouillement de quelques 70 articles, en grande majorité sélectionnés par le PNBV sur la base de sa revue de presse des 20 dernières années complétée par une série de évoqués le Grand Tétras et son habitat voir même le territoire dans son ensemble. Il est ici essentiel de souligner la façon dont le Grand Tétras est pris dans un double processus d’objectivation : le Grand Tétras étant tour à tour évoqué comme un « objet » matériel (relevant d’une réalité objective) et immatériel (en tant qu’il est le fruit de représentations sociales). Ce mécanisme d’objectivation favorise ainsi un grand nombre d’opérations intellectuelles réalisées en son nom9. Polysémie du Grand Tétras Rappelons que « la polysémie est la qualité d'un mot ou d'une expression qui a deux voire plusieurs sens différents »10. Lorsque les auteurs traitent du Grand Tétras, on est d’emblée frappé par l’usage qu’ils font de ce terme qui peut tour à tour recouvrir et renvoyer à des réalités différentes. Le Grand Tétras permet de dire une réalité sociale, des enjeux politiques, un projet de territoire qui dépasse de loin l’acception du nom de l’oiseau stricto sensu (espèce relevant du règne du vivant). Le Grand Tétras, et l’usage qui est fait de ce mot, permet d’évoque tour à tour : l’oiseau comme élément du vivant, l’espèce protégée en tant qu’elle relève de conventions internationales relatives à la protection de la nature, traduites dans le droit français qui assure des mesures de protection spécifiques. - Le terme « Grand Tétras » est aussi employé au titre d’emblème d’établissements commerciaux – il a également servi à nommer, désigner une infrastructure routière. - On le retrouve sous la forme de logo permettant d’identifier la raison d’être d’un groupe de protection et de recherche sur les Tétraonidés (Groupe Tétras Vosges). Associé au cerf, c’est à nouveau son effigie qui compose le logo d’une société cynégétique ; dans ce cas, il est utilisé pour souligner la valeur écologique des territoires de jeu des adeptes de Diane. - Dans le discours journalistique, comme dans les propos des interlocuteurs cités dans les articles de presse, le Grand Tétras apparaît aussi en porte-drapeau d’un discours idéologique. Il peut aussi être un argument de la rhétorique d’acteurs locaux, un élément d’un argumentaire permettant de justifier les choix, les actions, les mesures entreprises, les projets en cours. - Dernières Nouv. d’Alsace, Est magazine, L’Alsace, L’Est Républicain, Liberté de l’Est, Le Pays, Vosges matin. Arborescences, La Chasse en Alsace, Le Paysan du Haut-Rhin, LPO Infos Alsace. 9 Employé dans la suite de ce texte le mot « objet » pour désigner le « grand tétras » réfère à l’opération d’objectivation et non à l’objet en tant qu’élément appartenant au règne du vivant. 10 Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. 7 8 1 Le Grand Tétras, un objet métonymique11 Au-delà de l’animal, le Grand Tétras est un symbole couramment employé pour dire la qualité de la nature, son caractère remarquable par opposition à celui d’une nature ordinaire – c’est le cas de la grande majorité des espèces protégées emblématiques12 : « Le tétras est devenu un symbole. C’est presque un phénomène d’identité collective. On pourrait avancer l’idée que le tétras est au massif vosgien ce que le panda est à la Chine… il faudrait un élan citoyen de sorte à créer toutes les conditions de reconquête des milieux naturels… cet élan a un nom, il s’agit d’une ambition qui s’appelle projet de territoire »13. Il est intéressant de souligner que, contrairement à cette citation extraite de la publication d’un débat public, les chartes II et III du parc n’évoquent pas le Grand Tétras comme un symbole identitaire mais comme un enjeu de conservation. Le Grand Tétras n’est pas uniquement employé en tant que symbole identitaire de territoire – la polysémie du terme ne permettant pas de le réduire à une simple figure symbolique14. En tant qu’élément du grand ensemble écologique, sa seule évocation informe sur l’état du tout. C’est ainsi qu’il entre en jeu dans les diagnostics de territoire. Dans ce cas, dans le langage du spécialiste, il fait office de repère, d’étalon, de mesure d’évaluation de l’état de naturalité du tout, révélant son emploi en tant que métonymie. Dans la langue de l’écologue, il devient un indice (un indicateur) notamment sous la plume des techniciens et des gestionnaires des espaces protégés pour dire le degré et l’état de conservation de la nature, la qualité écologique des milieux : « Le tétras est synonyme de biodiversité, baromètre de la qualité. Vit dans les forêts naturelles et claires. Il vit loin du bruit et de l’agitation des hommes et est très exigeant sur la qualité de son environnement. Lorsqu’il disparaît, cela signifie que la forêt se modifie, qu’elle et en train de perdre ses atouts »15. De par son comportement, son régime alimentaire, ses besoins en matière d’habitat, il est érigé en bio-indicateur de la qualité et de la richesse des territoires sauvages qu’il occupe. Derrière cet indicateur se profile toute une cohorte d’espèces qui ne sont jamais nommées mais qui sont implicitement attachées à son nom et dont sa seule existence est garante de celles de toutes les autres. Pour cette raison, il est qualifié d’espèce parapluie. Le Grand Tétras, la construction d’un objet patrimonialisable L’analyse sémiologique de cette prose journalistique montre que tous les éléments constitutifs du processus de patrimonialisation sont convoqués. Rappelons que la notion de patrimoine, « Métonymie : figure de mots pour laquelle on exprime une chose au moyen d’un terme désignant une autre chose qui lui est unie par une relation nécessaire (la cause pour l’effet, le contenant pour le contenu, le lieu ou le producteur pour la production, le signe pour la chose signifiée) », Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. 12 Sophie Bobbé, 2002, L’ours et le loup. Essai d’anthropologie symbolique, Paris, MSH-INRA. 13 Débat public organisé par le PNRBV animé par Cité Projet : « Le Grand Tétras dans les Vosges : survie ou disparition ? » 14 « Le grand tétras n’est qu’un symbole. Il s’agit de ne pas laisser partir le patrimoine vosgien, soit 10.000 ans d’évolution après les glaciations ; la valeur biologique patrimoniale d’un sapin n’a pas de prix, même s’il ne vaut que 10 euros le M3 la vente ! », propos de Louis-Michel Nageleinsen, nouveau président du Groupe Tétras Vosges cité par Micheline Faliguerho, « Ne pas mettre la forêt sous cloche », L’Est républicain, 10 déc. 1992). 15 Forêt de Montagne PNRBV (plaquette), 2004. 11 2 empruntée au champ sémantique de la gestion, est ce qui peut permettre « l’exploitation sous la condition de reconstitution d’une valeur transmissible »16. Le rapport patrimonial à l’objet « Grand Tétras » l’érige en objet à patrimonialiser sous les triples points de vue de son inscription dans le temps historique, son appartenance à la communauté locale, et enfin en tant qu’objet qui relève de la responsabilité des populations humaines : « Le Grand Tétras fait partie de notre patrimoine naturel au même titre que n’importe quelle cathédrale appartient à notre patrimoine culturel »17. Patrimoine, autrement dit l’héritage des pères (pater)18, réfère également à une époque révolue dont la conservation pour les générations futures participe à l’ériger comme tel : « Symbole d’une époque, celle des massifs forestiers vieillis où, faute de voies d’accès, la sylviculture était réduite et où la fréquentation humaine demeurait faible. Ces précisément dans de tels sites que subsiste actuellement notre oiseau… »19. L’héritage des pères, à haute valeur fédérative, est censé cristalliser l’intérêt commun d’un enjeu créateur de lien social. Parler de patrimoine à propos du Grand Tétras, c’est d’une part l’objectiver mais c’est aussi instituer un autre type rapport avec l’objet, en tant qu’il est potentiellement une ressource d’un type tout à fait particulier (ressources économiques via les activités touristiques, ressources de productions intellectuelles via le suivi technique et scientifique, ressources d’une vie politique attestant d’échanges et de concertation). Le nombre des réunions et débats publics consacrés à l’animal et à son habitat en témoigne. Ainsi tout objet à « patrimonialiser » prend les attributs d’une chose vivante, non pas dans le cas du Grand Tétras parce qu’il s’agit d’un élément du vivant, mais bien parce que la chose vivante est prise dans un processus qu’il revivifie. Pour toutes ces raisons, le Grand Tétras est à la croisée des champs social, économique, environnemental et politique. Le Grand Tétras, la construction d’un objet mythique Le Grand Tétras est également évoqué comme appartenant à des réalités distinctes qui ont partie liée avec le mythe, avec le rêve, avec une réalité symbolique. On évoque tour à tour son caractère magique, sa « prestigiosité », autant de qualités qui participent à l’inscrire dans une dimension atemporelle, une cosmogonie à l’instar d’un mythe. En l’érigeant en trait d’union entre l’avant et l’après, on le soustrait à toute réalité historique tout en en faisant le témoin des erreurs passées (une gestion sylvicole musclée, une fréquentation humaine inappropriée…). C’est donc en son nom que l’on doit entreprendre une gestion qui relève de la réparation au nom des générations futures : « … Quelles forêts de montagne lèguerons-nous à nos enfants ? »20. Une opération aux allures de mythe adamique du Paradis perdu qui tend à justifier, légitimer toutes les mesures réparatrices. Cette construction discursive a toujours accompagné d’une part les opérations de réintroduction ou de renforcement de populations d’espèces (ours, lynx, vautour…) pour ne citer que les plus médiatisées, d’autre part les Denis Duclos, Les industriels et les risques pour l’environnement, Paris, l’Harmattan, 1991 : 16, note 7. Plaquette Quel avenir pour le Grand Tétras dans le Massif Vosgien ?, Groupe Tétras Vosges, octobre 2003. 18 André Micoud, « La patrimonialisation généralisée interprétée comme un symptôme : tout ce qui est à gérer doit l’être en tant que vivant », Colloque Usages sociaux de l’ethnologie dans les pays européens, Le Creusot, Mission du patrimoine ethnologique, 30 juin-3 juillet 1992 (communication orale). 19 Labarrière, « Le grand coq de bruyère », Arborescence, 1988 : 5. 20 Quel avenir pour le Grand Tétras dans le Massif Vosgien ?, Groupe Tétras Vosges (plaquette), octobre 2003. 16 17 3 actions menées sur le territoire (augmentation de mise sous protection des territoires), autrement dit des mesures exceptionnelles pour un enjeu qui l’est tout autant21. L’objet, en tant qu’il est considéré comme une ressource à gérer patrimonialement, est ipso facto institué comme hérité, indivis, irremplaçable. Corrélativement les hommes qui en usent, qui l’utilisent dans des constructions argumentatives, s’instituent descendants, solidaires, comptables de l’objet patrimonialisé en l’occurrence le Grand Tétras. Pour réparer les erreurs passées, rétablir l’équilibre, force est de mobiliser le plus grand nombre pour s’inscrire dans une dynamique commune, pour se projeter dans l’avenir autour d’un projet partagé. C’est à cet instant qu’il faut pouvoir répondre à la question : quels choix de territoire pour demain ? Cette interrogation, reprise par tous dans le cadre de la révision de la Charte du parc, donne lieu à débats et controverses sur les choix de gestion d’un territoire partagé. Ainsi, le corpus journalistique témoigne explicitement des mécanismes d’érection du Grand Tétras en « objet » patrimonialisable. Animal, symbole, porte-drapeau, logo, bio-indicateur, témoin, garant, argument, le Grand Tétras est bien plus qu’un élément du vivant. Ses différentes acceptions sont toujours mises en avant dans la prose journalistique comme dans les propos de nos interlocuteurs. Il n’en demeure pas moins que la polysémie du terme, lorsqu’elle n’est pas maniée de façon consciente, brouille le sens des messages. Aussi serait-il judicieux de ne pas faire endosser à l’animal un vêtement trop lourd à porter surtout lorsqu’il est évoqué comme la cause de mesures de gestion comme en témoignent ces propos : « Espèce menacée, le Grand Tétras, ou Grand Coq de Bruyère, est un animal vivant au cœur des forêts vosgiennes ; véritable symbole de la faune de notre région, cet animal bénéficie depuis 2009 d’un programme de protection spécifique lancé au niveau national. Cette action permet de limiter l’accès de l’homme aux lieux de vie et de reproduction du Grand Tétras qui a besoin de calme et de tranquillité pour exister »22. Ce qui vient d’être évoqué pour le Grand Tétras vaut tout autant pour la forêt. Présentée comme un bien de grande valeur, un bien patrimonial, la forêt est souvent évoquée dans une dimension atemporelle. Son caractère originel en fait un objet patrimonialisable. Tantôt présenté sous l’angle écologique, la forêt est un habitat à préserver pour une multitude d’espèces. Sa valeur foncière en fait un objet de production, de conservation, qui a connu différentes politiques sylvicoles. Selon les activités et les centres d’intérêt des acteurs concernés, elle est tour à tour évoquée comme un paysage, un lieu récréatif, un lieu habité, un lieu support d’imaginaire, un lieu d’activité professionnelle, un lieu d’observation, un lieu d’activités de cueillette (champignons, myrtilles) et de gestion cynégétique. Tantôt appréhendée comme hostile, étouffante, accueillante, chacun s’y rend pour des activités diverses seuls ou accompagnées. Tous nos interlocuteurs ont conscience de l’importance de son existence mais peu ont une réelle connaissance de son fonctionnement intrinsèque, de sa fragilité, des incidences des différentes mesures de gestion et de production qui la concernent. Rares sont ceux qui connaissent les actions menées par les professionnels de la filière sylvicole. Il serait judicieux de mener des actions de communication et de sensibilisation, 21 Sophie Bobbé, « Une gestion durable des espèces animales est-elle possible avec des catégories naturalisées ? », Natures, Sciences, Sociétés. - Gestions durables de la faune sauvage, Pierre Migot, Marie Roué (eds), 14 (supplément), 2006 : 32-5. 22 La Gazette. Les nouvelles du grand hôtel et spa de Gérardmer, n°13, 2010 : 5. Il va sans dire que cette citation n’engage que son auteur et intéresse notre propos en ce qu’elle illustre une représentation et utilisation de la figure du Grand Tétras. 4 selon les publics visés, sur les modalités de gestion sylvicole (sur un plan scientifique, technique, économique). Parmi les représentants et membres des différentes catégories socioprofessionnelles rencontrées lors des missions de terrain, un élément remarquable doit être pointé : le Grand Tétras stricto sensu (en tant qu’élément du vivant) n’est jamais évoqué comme posant le moindre problème dans la mesure où l’animal n’est pas un prédateur des productions humaines (d’espèces végétales à gérer notamment par les sylviculteurs), ni un concurrent d’une espèce convoitée par les chasseurs par exemple. Concernant les sylviculteurs, tous intègrent la présence de l’oiseau dans les actions menées. Chez tous nos interlocuteurs, on constate un niveau de connaissances relatives à la biologie de l’animal (éthologie, effectif démographique, régime alimentaire) tout à fait remarquable – notons que la catégorie sociale des touristes n’est pas concernée par cette remarque – ceux qui furent interviewés l’ont été au hasard de nos rencontres et ne peuvent en aucun cas être représentatifs du tout23. L’analyse sémiologique des discours comme de la prose journalistique (presses généraliste et spécialisée) met au jour le caractère polysémique du Grand Tétras. Ainsi parler de Grand Tétras permet aux auteurs comme à nos interlocuteurs d’évoquer tour à tour l’animal (élément du vivant), son statut d’espèce protégée (conventions internationales), un bioindicateur (espèce parapluie), un objet patrimonialisé, un emblème d’établissement commercial, un logo d’associations (cynégétique, et de protection de la nature), le porteparole d’un discours idéologique, un symbole identitaire, un argument dans les controverses tant pour les détracteurs que les partisans des mesures de protection et de gestion du territoire du PNRBV. Il y a donc nécessité à préciser de quel objet on parle lorsque l’on utilise l’argument Grand Tétras. 2. Le Grand Tétras sur la scène locale La question de la visibilité/invisibilité concerne plusieurs champs du réel : dans un premier temps, nous verrons comment cette notion traverse les différents domaines (celui du savoir, celui des légitimités autrement des enjeux politiques), et aussi celui de l’observation in situ, chère au naturaliste. Visibilité versus invisibilité L’« invisibilité » du Grand Tétras pourrait être considérée comme problématique. Or, elle n’est jamais mise en cause car la discrétion et le faible effectif des représentants de l’espèce ne laissent guère espérer une observation qui plus est fortuite, contrairement à ce qui peut être dit parfois : « Toutefois, au détour d’un sentier, peut-être aurez-vous la chance de croiser ce coq aux ailes puissantes… »24. Plusieurs de mes interlocuteurs (originaires de la région) ont eu l’opportunité de voir l’oiseau au cours de leur enfance. Outre les scientifiques et techniciens en charge de la gestion du territoire et du suivi de l’espèce, aucune des personnes rencontrées n’a cherché à l’apercevoir au cours de ces dernières années (tous connaissent les conséquences du dérangement de l’animal). Les connaissances de cette catégorie ne semblent pas dérisoires, cf. Aprécial, Résultat de l’enquête sur le Grand Tétras, décembre 2009. 24 La Gazette. Les nouvelles du grand hôtel et spa de Gérardmer, n°13, été, 2010 : 5. 23 5 Observer l’oiseau au cours d’une sortie programmée par un technicien est une initiative du GTV qui ne semble pas connue. Pourtant cette initiative est stratégiquement importante car elle permet de ne pas faire de l’observation de cet oiseau in situ le privilège d’une minorité : « Il ne se montre qu’à de rares privilégiés »25. Si une telle mise en garde peut sembler banale, il ne faut pas oublier que les informations diffusées par voie de presse sont celles qui sont lues, commentées par le plus grand nombre. Toutefois, il paraît raisonnable de ne pas emphatiser le plaisir produit par une telle observation, dans les outils de communication comme dans les séances de débat, de façon à éviter l’émergence de tensions entre les camps des « initiés » (ceux qui auraient eu le privilège de la rencontre avec l’animal) et les autres : « Le père et le fils arpentent le massif, aux heures où les randonneurs ont remisé leurs chaussures et leur sac à dos, pour capter des instants magiques où les paysages sont plus “nature” que jamais. Le renard sort de son terrier, le chamois s’avance sur une barre rocheuse, la chouette se risque à jeter un œil vers le photographe, le cerf hume l’air frais d’un matin automnal et le gras tétras, majestueux dans sa solitude, semble éternel »26. Cela permet également de décourager les éventuels chasseurs d’images dont le potentiel pouvoir de nuisance est connu : « Le Grand Tétras est particulièrement craintif et la présence de l’homme l’empêche de se reproduire. “Il prend peur et ne se trouve pas de poule” »27. Voir Du côté des usagers temporaires du territoire, il n’y a pas de demande pour une « sortie Grand Tétras ». Tous les accompagnateurs de montagne ancrent leurs activités autour de la découverte de la nature en général : « l’observation de chamois, de cerfs, même de passereaux et la découverte de champignons, l’observation de plantes suffit à satisfaire nos clients qu’il s’agisse d’adultes ou de scolaires »28. Les questions le plus fréquemment adressées aux professionnels concernent la présence de la faune en général ; les accompagnateurs insistent sur le plaisir que les gens ont à se promener dans une nature peuplée d’animaux qu’ils appartiennent ou non à une espèce protégée ou commune (comme les sangliers, les cerfs), car ils savent pertinemment que les opportunités de rencontre avec le Grand Tétras sont exceptionnelles. Parmi les habitués de ses sorties encadrées, une petite minorité sont des sportifs entraînés, plus motivés par la recherche du dépassement de soi et de la performance que par les questions relatives à la nature et au caractère remarquable des paysages et de la faune. Plus occupés à réaliser leur plan de chasse qu’à se lancer dans un affut au Grand Tétras, les chasseurs ne font pas de l’observation de l’oiseau un objectif, et ne le perçoivent pas comme un gibier potentiel même s’ils n’ignorent pas que l’espèce fut chassée par le passé et qu’elle l’est encore dans d’autres régions françaises et au-delà des frontières hexagonales. Concernant les forestiers, nous noterons que ceux rencontrés ont souvent plusieurs « casquettes » dont une qui les relie directement au GTV ou à toute autre association de Pascal Lainé, « Le grand tétras existe… », Le Pays, 09 février 1992. « Photographe De la brume émerge des émotions », L’Alsace, 28 septembre 2007. 27 « Le grand tétras remporte une bataille contre les skieurs », Le Pays, 18 décembre 2006. 28 « Hymne au massif vosgien », Les Dernières Nouvelles d’Alsace, 29 septembre 2007. 25 26 6 protection de la nature. C’est la raison pour laquelle, pour la clarté de notre propos, nous les assimilerons au groupe « techniciens et scientifiques », soit le groupe des « initiés » (évoqué ci-dessus). Voir et savoir. Connaître Se pose alors la question de la visibilité de ce que l’on veut protéger et faire connaître. Parmi les acteurs locaux, certains s’appuient sur l’adage suivant « On ne protège bien que ce que l’on connaît bien » - on pourrait même ajouter « ce que l’œil re-connaît ». Cet argument se rencontre chez les promoteurs du « donner à voir » qui soutiennent, après une étude sur l’intérêt et les connaissances des populations locale (professionnels de terrain) et exogène (touristes)29, la création d’un parc à vision. Outre le fait qu’il n’est pas nécessaire de voir pour connaître, d’expérimenter pour comprendre - les philosophes et psychologues le savent bien -, on peut remarquer que la question du voir n’est nullement une préoccupation de nos interlocuteurs outre les « initiés » bien sûr en ce qu’ils sont mus par un élan naturaliste. Des projections et ventes de documents audiovisuels portant sur la faune du parc naturel régional peuvent suffire à sensibiliser le grand public (celui qui ne fait jamais de sorties accompagnées) au même titre que des expositions, des ouvrages. Le projet de parc à vision, en soi tout à fait légitime sur le plan pédagogique, n’en pose pas moins un problème majeur : Comment donner à voir un oiseau aussi discret qui cherche à se faire oublier ? À moins de créer un centre d’élevage du Grand Tétras ou d’échanger avec un parc animalier, comment justifier sur un plan éthique le maintien en espace clos d’individus protégés y compris ceux qui sont issus d’une reproduction en captivité ? Les outils modernes de communication (vidéos, images de synthèse…) peuvent probablement permettre de contourner cette contradiction. Dire combien l’observation du Grand Tétras est émouvante ne risque-t-elle pas de faire des envieux, d’inciter les plus curieux à rechercher l’animal ?30. Cette question se pose lorsqu’elle est concomitamment accompagnée de messages récurrents soulignant le danger que l’homme représente pour cette espèce : « La présence de l’homme les perturbe, elle empêche leur reproduction. C’est à cause de cela que l’espèce est en danger »31. Lorsque les propos s’emballent, il ne s’agit plus de pointer la dangerosité humaine en général mais de stigmatiser une catégorie sociale en particulier ce qui diminue l’efficacité du message : « Le passage des randonneurs l’importune à tel point que sa reproduction en est compromise »32. On sait à quel point il est crucial d’être vigilant pour éviter le piège du « deux poids, deux mesures » : Questionnaire réalisé par l’Aprécial, Résultat de l’enquête sur le Grand Tétras, décembre 2009. « Les Munier père et fils sortent de préférence lorsqu’il neige, ou quand le soleil s’annonce rasant. Ils crapahutent, vont loin, discrètement. Et attendent dans la brume. Parfois “dix-huit heures d’affût” dans les pattes : “À ce moment, on perçoit très bien les émotions… les animaux me fascinent”, dit le père Michel. “Comme voir une petite mésange de vingt grammes résister à des températures de -20° ou plus”. Beaucoup d’animaux, mais de macro : “L’intérêt, c’est de les voir dans leur habitat. Nous sommes moins sensibles aux gros plans et à la photo animalière classique. On aime quand l’animal respire dans son paysage” renchérit Vincent » « Hymne au massif vosgien », Les Dernières Nouvelles d’Alsace, 29 septembre 2007. 31 Baptiste Bize, « Le grand tétras sort de l’ombre », Est magazine, 2 décembre 2007. 32 Pascal Lainé, « Le grand tétras existe… », Le Pays, 09 février 1992. 29 30 7 « Le photographe naturaliste [Michel Munier] a ensuite prévenu les preneurs de clichés amateurs : “Il faut s’abstenir d’aller le photographier, la démarche est destructrice” »33. Toute connaissance n’est pas forcément utile à tous. Par conséquent, avant toute action de communication, il est primordial et urgent d’identifier les informations qui doivent rester dans la sphère des décideurs, des spécialistes, et identifier celles que l’on souhaite diffuser. Visibilité et transparence « L’exigence de transparence naît chez les citoyens face au malaise de la représentation »34. Il n’est pas rare que, pour accroître les connaissances, pour accroître le rapport de confiance entre les groupes sociaux, la transparence soit érigée en norme35. Cette notion, loin d’être mineure, devrait nous permettre d’appréhender la scène locale les tensions et les controverses. On sait le Grand Tétras invisible pour les non-spécialistes pour toutes les raisons précédemment évoquées (et notamment les conséquences de son dérangement). Il est donc essentiel que les spécialistes puissent faire état des connaissances au-delà du cadre idéologique dans lequel ils peuvent œuvrer. Autrement dit, pouvoir reconnaître l’état des connaissances aux risques de voir leurs propos desservir leurs idéaux. Autrement dit, adopter une posture scientifique avec l’expression des doutes, des incertitudes et non un discours scientifique mis au service d’une argumentation militante. Dans le cas du Grand Tétras, le concitoyen non-spécialiste peut se trouver à mettre en doute le discours du spécialiste, expression d’une défiance face à un discours qui ne laisse aucune place à la controverse et qui doit être entendu comme une évidence (qui relèverait plutôt du discours de conviction). Or l’argumentation déployée entre les discutants dans le cadre de débat organisé dans un esprit de démocratie participative où il est question du devenir du bien commun doit permettre à chacun de discuter la thèse défendue. Par conséquent, la question de la transparence est bien à l’œuvre dans la circulation des savoirs et est une des conditions d’une possible appropriation du sujet débattu. Langue, langage et traduction Tous les contenus sémantiques, on le sait, appartiennent à des discours de natures différentes référant à des disciplines et des objectifs différents. Ils renseignent sur l’ancrage disciplinaire, esthétique, idéologique du narrateur (qu’il soit scientifique, militant ou homme politique) comme sur la nature des thèses qu’ils servent (discours informatif, normatif, poétique, de conviction ou de dénonciation). Quelque soit la nature du discours de l’énonciateur, on note que dans le dossier qui nous occupe ici, la majorité des informations véhiculées se fait dans la langue des spécialistes, celle des « initiés », celle de l’écologie. Ainsi recourt-on aux notions d’« écosystème », d’« indicateur », d’« espèce parapluie », de « biodiversité » pour justifier des mesures et des actions à engager. Lorsque ce langage est employé à des fins pédagogiques, on se place dans J.F., « Le grand tétras, espère à protéger », L’Est républicain, 15 juin 2005 Pierre Rosanvallon, l’exigence de transparence. Une réponse à l’affaiblissement du politique. 35 À propos d’un domaine étranger à nos préoccupations présentes portant sur la réduction de l’exposition aux substances préoccupantes notamment en milieu professionnel et qui nécessite une meilleure information des entreprises et de leurs salariés, les états membres communautaires ont lancé la Convention de Darus relative qui vise à rendre accessibles à tous les données concernant la biodiversité. 33 34 8 un rapport éducatif. Si cette opération est payante dans un discours informatif, pédagogique, elle montre vite ses limites lorsqu’il s’agit d’un discours de conviction car il peut donner au destinataire du message le sentiment que l’ensemble du dossier est lu à travers le seul prisme écologique, excluant par là même le lecteur non spécialiste. Rappelons que la langue des spécialistes (celle de l’écologie) est totalement étrangère aux tenants du « tout-économique ». Lorsqu’il est question de concertation, de débat, il y a nécessité à employer la langue commune en laissant en coulisse le langage scientifique souvent excluant pour celui qui n’en a pas la maîtrise ; on évite ainsi les chausse-trappes du rapport entre savoir et pouvoir. L’hégémonie du discours du savoir positiviste ignore au lieu de prendre en compte la connaissance fondée sur l’empirisme, celle de l’homme de terrain. Or l’ensemble de nos entretiens menés auprès des sceptiques, voir des détracteurs des actions du du syndicat mixte du parc chargé de la mise en oeuvre de la charte (et non de l’institution parc elle-même) sont tous porteurs de connaissances qui reposent sur leurs expériences de terrain. Certains sont issus de générations de bûcherons, d’autres de chasseurs, autrement dit de locaux dont la fréquentation de l’espace sauvage fait partie de l’expérience quotidienne36. Par ailleurs, si l’intérêt du recours à telle ou telle notion est patent dans le champ du spécialiste, de l’expert, utiliser hors de son contexte peut avoir des effets pervers : - - - Il suppose une hiérarchisation dans l’ordre du vivant difficilement justifiable (pourquoi est-il toujours question du Grand Tétras et pas des autres espèces ?). Il a un effet entonnoir : il fragilise l’argumentaire qui ne repose plus que sur un seul élément en occultant la richesse de la base, passant sous silence la cohorte des autres espèces au statut tout aussi important au moins sur le plan de la législation relative à la protection de la nature (si on rejette le seul élément mis en avant en tant que métonymie, on rejette le tout). Il fait porter la responsabilité de tous les maux sur un seul et même objet, qui devient par là même le bouc émissaire produisant un discours stéréotypé : « Est-ce qu’il y a vraiment des raisons de dépenser autant d’argent pour cet animal ? ». Au cours des entretiens menés, nous avons souvent eu l’occasion d’entendre, de la part des tenants du développement touristico-économique à tout crin, le fait que le Grand Tétras est utilisé par l’institution pour contraindre, qu’il est mis en avant pour interdire. Ce type d’assertion qui pourrait se révéler contre-productive - l’animal devenant otage dans un conflit ouvert -, et dangereuse pour l’animal - s’en prendre à lui permettant d’atteindre d’un coup d’un seul les services de l’État, le PNRBV et les défenseurs de l’espèce. Il renvoie dos-à-dos des argumentaires propres à des champs distincts du réel. Il esquive les véritables enjeux du débat (une véritable approche systémique) et les points de controverse. Ce qui doit être visible, donc entendable, est ce qui émane de la traduction, c’est-à-dire de l’effort de rendre le message intelligible par un large auditoire. La cristallisation des enjeux sur une seule espèce, telle qu’exprimée dans les opérations de communication collective des 36 Certains des chasseurs rencontrés font plus de 90 sorties par an. Ceux qui se voient alloués un territoire de chasse le connaissent dans ses moindres recoins. Ceux qui furent (ou sont encore) bûcherons partag(ai)ent une connaissance fine du territoire. 9 partenaires associés dans le cadre de Natura 2000 ZPS37 – les autres espèces comme les mesures de protection dont ils sont l’objet étant peu médiatisées -, s’accompagne du risque qu’engendre la hiérarchisation du vivant, opération peu légitime aux yeux de plusieurs de nos interlocuteurs, exceptés ceux dont les actions menées en faveur de la protection de cet oiseau font partie de l’activité professionnelle ou sont le fruit de nouvelles orientations des politiques de leur établissement de rattachement (Office National des Forêts, Conservatoire des Sites Lorrains…). Bien que tous considèrent le Grand Tétras comme est un élément du patrimoine régional au même titre que le lynx, le cerf, le faucon pèlerin, la chouette de Tengmalm, la chevêchette, le Hibou grand duc, la Pie grièche-écorcheur, la gelinotte, il y a donc nécessité à le replacer dans le riche bestiaire local… La visibilité (et son contraire, l’invisibilité) du Grand Tétras sont évoqués par les acteurs locaux pour parler de leurs relations aux autres catégories. La question du visible et de l’invisibilité - Qui voit le Grand Tétras ? Qui a la possibilité de le voir ? Qui est autorisé à le voir ? – est un paradigme qui met au jour la complexité des controverses qui ont cours dans le PNRBV. Parler de la légitimité de voir l’oiseau est une façon de dire la légitimité à fréquenter des territoires, interdits à d’autres. Derrière le discours sur le voir apparaît un autre discours sur les conflits de légitimité du savoir (connaissances empiriques des uns versus savoirs scientifiques des autres) et les conflits d’usages du territoire. Le Grand Tétras est bien l’oiseau qui cache la forêt (les formes de gestion, la réglementation…), celui que l’on évoque, non pas tant pour parler de lui mais pour parler de ce qu’il cache, ce qu’il empêche ou encore ce qu’il permet de faire. 3. Conflit d’usages, conflit de gestion des territoires, conflit de légitimité A l’instar de l’ours, du loup, et de bien d’autres espèces protégées, le Grand Tétras n’est nullement considéré comme un problème ; en revanche, il est un moyen d’aborder la multifonctionnalité du territoire du PNRBV, les conflits d’usages. Ainsi posé, on voit clairement la nécessité qu’il y a à ne pas faire porter sur cette espèce les enjeux des actuelles controverses quant à la gestion des territoires. Les dangers d’un tel raccourci sont trop importants comme en témoigne cet extrait journalistique : « Serait-ce le représentant des interdits ? Pourtant, je croyais au contraire qu’il était le symbole et l’emblème de la liberté. Et toi, coq de bruyère, Grand Tétras, dont le chant d’ivresse amoureuses, dédié aux aurores, à la belle, modulé en notes artistiques. Faillirais-tu à ton symbole ? Serais-tu l’aliénateur désigné d’office afin d’empêcher l’homme d’entrer dans ce havre de paix ? »38. C’est probablement pour se démarquer d’une telle posture que le Groupe Tétras Vosges souligne que « perdre le Grand Tétras ce n’est pas perdre un oiseau mais un milieu »39. Derrière le terme « Grand Tétras », reste un autre implicite que nous n’avons pas encore abordé, celui des conflits d’usages de territoires dont il cristallise tous les enjeux. Orientation de gestion en faveur des oiseaux du massif des Vosges. Gages d’une nature préservée. OG, « Le chant du coq en question », L’Est républicain, 22 septembre 1992 39 « Trop tard pour le grand tétras ? » L’Est Républicain, 22 juin 2008. 37 38 10 Permettre de recentrer le débat sur la question des usages des territoires impose de tout mettre en œuvre pour « une prise en charge proactive de la biodiversité en patrimoine commun local d’intérêt général »40. Rappel du cadre réglementaire relatif à la protection des espèces et des habitats Pour cela, il est essentiel de rappeler les réglementations en matière environnementale, celles là même qui s’imposent aux administrés comme aux gestionnaires. Elles ont force de lois et doivent être connues. Ce rappel permettrait de légitimer les missions du PNRBV Programme LIFE + comme les décisions et actions et, plus largement, les politiques des établissements publics en les resituant dans le cadre de l’ensemble législatif européen. Une fois cette tâche entreprise, on pourra ainsi constater que seuls 0,08% du massif vosgien sont interdits d’accès temporairement ou annuellement (incluant les territoires notamment du PNRBV) au grand public ce qui, somme toute, est bien peu au regard de l’étendue de son territoire du concerné par le Programme LIFE +41. S’il existe une législation qui s’inscrit dans une logique « topdown » (descendante), il y d’autres outils qui relèvent de la logique « buttom-up » (ascendante) dans la lignée des réflexions de la démocratie participative – l’une n’étant pas exclusive de l’autre42. Ainsi, outre la normativité des réglementations, la question posée dans les débats et les lieux de concertation concernant l’usage des territoires porte sur l’accessibilité, la fragmentation et la circulation sur le territoire. Car c’est généralement en terme de consommation que les questions sont posées : « Où pouvons-nous aller ? ». S’il y a des secteurs interdits, on note que bon nombre de nos interlocuteurs ignorent les logiques à l’œuvre dans la répartition des activités (professionnelle, récréative, permanente ou occasionnelle) sur le territoire. Ainsi l’outil Natura 2000 pourra permettre de définir les rayons d’actions et d’usages en fonction des spécificités des secteurs. Son caractère contractuel, inscrit dans une concertation, offre l’avantage de la pérennité des décisions prises. Fragmentation, canalisation et gestion des flux Les questions précédemment posées concernent aussi bien la circulation des humains que celle des non-humains si l’on accepte la posture écocentrée opposée à une posture sociocentrée (cf. glossaire en annexes). Il s’agit donc bien de redessiner les itinéraires dévolus à chacun. Pour les non-humains, la sauvegarde des espèces protégées (et plus particulièrement du Grand Tétras) impose la création de corridors écologiques pour les espèces protégées43. Pour les humains, on réinterroge la pertinence des accès (qu’ils soient ou non goudronnés) pour tous les usagers de ces territoires incluant les avantages et inconvénients de chacun des moyens de locomotion existants (marche, moto, vélo, vtt, quad, voiture, raquette, ski, cheval…). 40 Henry Ollagnon, « La gestion de la biodiversité. Quelles stratégies patrimoniales ? », Responsabilité et environnement, 44, 2006 : 50-6. 41 V. Drillon, comm orale, novembre 2010. 42 Christian Castallanet, Carl F. Jordan (2002) Participatory action research in nautral resource managment. A Critic of the Method based on Five Year’s Experience in the Transamazonica Region of Brazil, Tylor and Francis, Michigan. 43 L’appareil réglementaire en matière de protection des habitats peut ici être rappelé comme celui (plus récent) qui concerne les trames vertes et bleues. 11 Par conséquent, tout l’enjeu est d’une part de maintenir ou (re)créer de la continuité dans de la discontinuité (pour désenclaver les populations d’espèces protégées isolées), d’autre part de rendre compatible les itinéraires de chacun en fonction des besoins spécifiques dans le respect d’une gestion environnementale et d’un développement durable. Il est donc nécessaire de recenser les activités professionnelles et récréatives de chacune des catégories d’acteurs de façon à identifier les zones d’actions répondant à la question posée ici un peu trivialement : qui peut aller où, et pour quelle activité ? Les réponses apportées ne pourraient l’être qu’une fois circonscrites les zones de non activités et les objectifs spécifiques de protection du territoire. - Les zones de calme supposant la suppression de tout engin à moteur utilisé dans un cadre récréatif, mesure qui n’est bien évidemment exclusive ; - Les zones d’activités humaines devant être repérées selon qu’il s’agisse d’activités économiques, ludiques, scientifiques. Cartographier les zones de circulation des humains et des non-humains et les zones où l’accès est régulé est une priorité. Pour ce faire, il est nécessaire de réaliser une typologie de l’ensemble des usagers (selon leur lieu de résidence, leurs activités de loisir) pour mieux identifier leurs rapports au territoire (professionnel, récréatif, de gestion, de « consommation »…). C’est ici l’enjeu majeur dans le cadre des ZPS (Natura 2000) et également de la nouvelle Charte du parc des territoires pour les activités humaines et celles de la faune (Trames). De la pertinence d’une typologie des usagers On a coutume de parler de catégories sociales et socioprofessionnelles pour distinguer les usages et les représentations que les différents acteurs ont du territoire. On peut aussi, comme évoqué ci-dessus choisir de sérier les acteurs en fonction de leur lieu de résidence (exogène, endogène), leurs loisirs… Concernant l’analyse de la fréquentation du territoire ces deux typologies des usagers se révèlent pertinentes. La pression touristique des « exogènes » est très importante dans le PNRBV (comme dans d’autres zones du massif des Vosges) et vient s’ajouter à celle exercée par la population locale44. L’importance de sentiers balisés par le Club Vosgien45 (2.000km environ pour le massif vosgien) permet de canaliser les usagers. En période hivernale, on le sait, ce peut être un véritable préjudice pour la tranquillité de la faune sauvage. La majorité des adhérents régionaux du Club Vosgien, dont la moyenne d’âge est élevée, cherche davantage à entretenir leur condition physique. Ils se promènent sur les sentiers (dont ils participent souvent à l’entretien) lors de « sorties nature » encadrées par des guides formés par la Fédération du Club Vosgien (basée à Strasbourg). En tant qu’association agréée « protection de la nature », il serait judicieux d’emporter l’accord du Club Vosgien pour le « débalisage » de certains tronçons de sentiers (centaines de mètres) de façon à assurer la protection du milieu. La clientèle de « touristes-promeneursexcursionnistes », peu entraînée à l’effort et l’endurance, recherche surtout la tranquillité, les points de vue, les « beaux paysages ». La situation du parc en fait un lieu d’attraction pour plus de millions d’habitants vivant dans un environnement proche. 45 Association régionale dont le siège social est à Strasbourg et qui s’est déclinée en association locale. 44 12 Sachant que les plus curieux et sensibilisés aux questions environnementales se tournent vers le Centre d’Initiation à la Nature (CIN) ou les Centres Pédagogiques d’Initiation à l’Environnement (CPIE), il est important d’entreprendre avec ces deux organismes des actions concertées pour (re)définir leurs lieux d’activités. Cette population d’usagers non locaux n’a généralement pas de connaissance du milieu montagnard, raison pour laquelle les prestations offertes par les Accompagnateurs en Moyenne Montagne les intéressent notamment lorsqu’elles allient découverte des patrimoines naturel et culturel (histoire, savoir-faire, productions artisanale et gastronomique). Tout en étant friands d’une nature vierge, sans trace, ils sont parfaitement conscients de leur méconnaissance du milieu, et ne cherchent jamais à s’éloigner du guide, de la trace ou du sentier par crainte de se perdre – cette observation vaut surtout pour les périodes enneigées. La plupart d’entre eux souhaite une activité de plein air à la recherche d’émotions (sortie nocturne, brame du cerf, marche par temps de brouillard…) mais toujours dans un cadre sécurisé. Le GTV a souhaité une transparence avec les associations de professionnels de l’accompagnement en montagne : « On a communiqué les lieux de vie du tétras à ces associations (ce qui est déjà un signe de grande confiance) de façon à ce qu’ils évitent de fréquenter les zones occupées par le Grand Tétras. Même les chasseurs sont inquiets »46. Le PNRBV a signé un accord cadre avec les accompagnateurs. S’appuyer sur la typologie proposée dans une récente étude universitaire des différentes catégories d’usagers temporaires du territoire semble tout à fait judicieux. Identifier les acteurs selon leurs activités – les promeneurs, les excursionnistes, les touristes et les randonneurs – offre l’opportunité d’intervenir auprès des professionnels par eux sollicités (loueurs de raquette, vtt, quad, accompagnateurs…) de façon à communiquer des informations spécifiques selon les besoins sur les règles de fréquentation du territoire. Une réflexion autour de l’utilisation des GPS (avantages et risques) pourrait s’avérer utile. Certains loueurs proposent cet appareil à leurs clients pour des raisons de sécurité sans être toujours conscients des conséquences de son utilisation - notamment la sortie des itinéraires balisés. On sait que les populations locales fréquentent l’ensemble du territoire (sur et hors sentiers) pour les cueillettes (myrtilles, champignons) et pour le ramassage du bois d’affouage… Concernant la grande famille des chasseurs, on perçoit aisément les différences de vue existant entre les praticiens d’une chasse suivant qu’ils optent pour une chasse solitaire ou en battue, qu’ils soient natifs du territoire ou pas, qu’ils soient ruraux ou urbains – autant de profils, autant de modes d’investir le territoire. Au-delà de ces différences, tous sont membres d’associations, donc adhérents à une fédération départementale laquelle a des liens structurels avec l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (en tant que gestionnaire de ladite faune). Associer cette catégorie d’acteurs à la gestion du « dossier tétras » est un signe fort de rapprochement, de mutuelle reconnaissance et de partage des connaissances. Un tel partenariat peut permettre de sortir de la stérile opposition entre les « pro-chasse »/« antichasse », « pro-tétras »/les autres (qui ne sont nullement anti-tétras). Rappelons que l’ONCFS et les fédérations départementales sont généralement associés au suivi des espèces protégées, y compris pour les dossiers conflictuels (l’ours, lynx, loup) au même titre de l’ONF. La gestion des territoires relève de deux logiques : la première (top/down) est caractérisée par une logique descendante qui s’appuie sur le respect d’un cadre juridique et réglementaire européen (traduit dans le droit français). La seconde ascendante (bottom/up) est illustrée par la mise en place d’une démarche participative de gestion des territoires 46 V. Drillon, comm orale, novembre 2010. 13 (forum de discussion et concertation, démocratie participative…). Pour tenter de fluidifier les points de tension et de conflit, il serait judicieux de repérer (cartographier) les zones de circulation des humains (selon leurs activités, les périodes) et des non-humains et les zones où l’accès est régulé. Pour ce faire, il est nécessaire de réaliser une typologie de l’ensemble des usagers (selon leur lieu de résidence, leurs activités de loisir) pour mieux identifier leurs rapports au territoire (professionnel, récréatif, de gestion, de « consommation »…). C’est ici l’enjeu majeur dans le cadre des ZPS (Natura 2000) et également de la nouvelle Charte du parc des territoires pour les activités humaines et celles de la faune (Trames). 4. Processus et conditions pour une plus grande responsabilité citoyenne Croiser la typologie des acteurs avec les itinéraires empruntés serait éclairant pour formaliser et cibler les groupes qu’il est pertinent de sensibiliser. Au sein de cette typologie d’acteurs, on peut également envisager une autre typologie fondée sur la nature et le degré d’implication que chacun des acteurs entretient avec les politiques menées par les gestionnaires du territoire. Ce faisant, il serait judicieux de différencier les acteurs en fonction de leurs degrés et formes d’engagement dans d’éventuelles associations dans les actions de communication qui devront résulter du Programme LIFE +. Ainsi pourrait-on distinguer : - les « concernés » qui se sentent responsables des diverses actions menées collégialement par les partenaires du Programme LIFE + et sont ou non disposés à s’engager comme partenaires ou détracteurs des opérations de communication de la politique menée ; - les « informés » qui sont au courant des actions mais ne sont pas dans une posture d’engagement (ils ne se sentent pas concernés par les actions menées par les gestionnaires. Ils se tiennent généralement à l’extérieur des polémiques alors même qu’ils résident dans le massif des Vosges ; - les « sensibilisés » qui sont informés mais ne sont pas prêts à s’engager dans des opérations communication (ils n’en voient souvent pas l’intérêt). L’effort de campagne de communication et d’actions participative doit prioritairement viser les catégories des « informés » et des « sensibilisés » de façon à saisir les raisons de leur positionnement. Le repérage des différents degrés d’engagement, qui doit être distingué des niveaux de connaissances, pourrait permettre : - d’identifier les partenaires à associer aux actions futures, - d’adapter la langue et les outils employés dans les messages communiqués. Outre le fait qu’il est important de distinguer les opérations selon qu’elles visent à informer, sensibiliser, fédérer, rappelons que les documents écrits sont rarement lus. Une fois circonscrites de ces trois catégories de population locale, interrogeons-nous sur les modes d’investir les lieux à partir de la perception qu’ils ont du territoire (et non seulement de la forêt). Appropriare versus prendere : le res nullius en question Dans le langage commun, on a coutume d’opposer l’espace domestique à l’espace sauvage. L’espace domestique est le lieu où se pratiquent des activités encadrées par des règles sociales, soit un espace policé. On sait que « domestique » sert à qualifier la propriété privée (domus = l’espace de la maison), l’état des animaux auxiliaires de travail ou compagnon (pets). « Domestique » désigne aussi le lieu de l’éducation des enfants, le lieu où l’action humaine pose des règles de conduite au sens large du terme. Opposé à « domestique », 14 l’espace sauvage (sylva = la forêt) est généralement considéré comme le lieu de tous, dépourvu de codes, de réglementations, de contrôle, de gestion. Le sauvage serait donc souvent perçu comme un espace res nullius où chacun pourrait librement déambuler selon son bon vouloir ; du moins c’est ce que certains se plaisent à croire. Ce point nécessite un recadrage tant il pervertit la perception de la nature et sa multifonctionnalité. Prendre, soit « capter », « prendre par surprise », peut être facilement confondu avec le verbe s’« approprier » au sens premier du terme, qui inclut une prise de possession. Il est aussi important de rappeler que ce verbe réfère aussi au fait de « prendre soin de » dans le sens de « se sentir concerné par ». L’« attention » au même titre que l’« investissement », est une forme d’appropriation au sens de responsabilité, de citoyenneté lorsqu’elle considère la chose investi comme relevant du bien commun (au sens de res communis). Gérer et entretenir des sentiers ne signifie pas devenir propriétaire d’une partie du res nullius. Gérer la forêt, l’exploiter contractuellement ne doit nullement pouvoir être perçu comme l’expression d’une appropriation du lieu. Observer des heures durant un animal sur un lieu inaccessible au plus grand nombre ne doit pas être vécu (par celui qui observe) ou perçu (par les autres) comme une appropriation du lieu. De la même façon, le caractère traditionnel d’une pratique effectuée de façon transgénérationnelle (cueillette de fruits, ramassage de champignons, promenade dans la forêt) ne peut ni la légitimer ni permettre de fonder sa pérennisation lorsqu’elle porte atteinte au bien commun. Ce bref rappel linguistique aux fortes implications idéologiques est riche d’enseignement si l’on sait que 2011 sera l’année de la forêt. Comment faire en sorte que le principe de responsabilité l’emporte ; telle est bien la question47. Parvenir à ce que les populations locales se sentent « concernées par », se sentent « responsables de », au point d’avoir envie de « prendre soin » du lieu sans pour autant s’arroger un droit de propriété. Ce droit usurpé est souvent légitimé par une appartenance au territoire, un savoir, une tradition : « On est encore chez nous, non ? », « On a toujours été chercher les myrtilles », « L’expertise impose de… », autant de propos entendus qui se veulent force de loi. Pour ce faire, il est essentiel de s’éloigner du sens de res nullius, soit la « chose de personne », pour appréhender le res communis au sens de patrimoine commun. Tel sera bien l’enjeu autour de cette année de la forêt, une carte à jouer pour la stratégie de communication à construire dans le cadre du Programme LIFE +. La notion de patrimoine renvoie explicitement à la collectivité. Envisager d’appréhender la prise en charge du bien commun sous la forme d’une contractualisation s’avère payant dans la mesure où il implique l’engagement. Cette contractualisation, dont la forme reste à inventer, se construirait sur le triptyque de non possessivité, de gratuité, de convivialité, qui constitue les fondements du patrimoine commun et du vivre ensemble48. Le principe de responsabilité a partie lié avec la prise en considération d’un « patrimoine commun local d’intérêt général » qui doit être distingué d’un « patrimoine approprié, autarcique ». Dans un second temps, pour parvenir à mettre en place les conditions d’une responsabilité partagée et citoyenne, il serait pertinent d’envisager une autre typologie (les « concernés », les « informés », les « sensibilisés ») fondée sur la nature et le degré d’implication que chacun des acteurs (et non plus des catégories d’acteurs) entretient avec les politiques menées par les gestionnaires du territoire. Cela permettrait d’identifier les acteurs en 47 48 H. Jonas, 1979, Le principe de responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Ed. Cerf. Henry Ollagnon, op. cit., 2006 : 55. 15 fonction de leurs degrés et formes d’engagement dans les actions de communication à venir (réalisées dans le cadre du Programme LIFE+). L’effort de campagne de communication et d’actions participative doit prioritairement viser les catégories des « informés » et des « sensibilisés » de façon à saisir les raisons de leur positionnement. Le repérage des différents degrés d’engagement, qui doit être distingué des niveaux de connaissances, pourrait permettre : - d’identifier les partenaires à associer aux actions futures, - d’adapter la langue et les outils employés dans les messages communiqués. Outre le fait qu’il est important de distinguer les opérations selon qu’elles visent à informer, sensibiliser, fédérer, rappelons que les documents écrits sont rarement lus. Grâce à cette méthodologie, pourra alors se mettre en place une démarche visant à responsabiliser dans une démarche citoyenne la prise en compte du « bien commun ». Envisager d’appréhender la prise en charge du bien commun sous la forme d’une contractualisation s’avère payant dans la mesure où il implique l’engagement. Cette contractualisation, dont la forme reste à inventer, se construirait sur le triptyque de non possessivité, de gratuité, de convivialité, qui constitue les fondements du patrimoine commun et du vivre ensemble. 16 Réflexions en guise de synthèse conclusive La mise en évidence du caractère polysémique du Grand Tétras permet de montrer comment le nom de l’oiseau peut permettre de désigner bien d’autres choses (que l’animal lui-même) dans les argumentaires des acteurs. Il n’est pas opératoire de mettre l’oiseau en exergue, de le maintenir dans sa seule fonction de bio-indicateur du tout (la qualité de la forêt, les enjeux de conflits…) car les controverses actuelles ne le visent pas mais portent sur les enjeux de gestion des territoires, sur la légitimité des actions des gestionnaires, sur les conflits d’usages. Rappelons qu’aucun de nos interlocuteurs n’exprime le moindre grief à l’encontre de cette espèce perçue par tous comme élément du patrimoine local. Les enjeux autour des conflits d’usages et de gestion portent plutôt sur les modalités d’appropriation et sur les modes d’investir la nature. Ces points ont été examinés à partir des paradigmes visibilité/invisibilité et gestion des flux des humains comme des non-humains qui mettent en jeu des modes d’appropriation par l’acquisition de connaissances scientifiques et les usages des lieux. Il est important d’expliciter au grand public les raisons d’être des différentes formes de gestion des territoires selon leur statut (ZPS…). L’effort devra donc porter sur l’explicitation des modes de gestion et les choix qui en découlent si l’on veut continuer à penser l’espace public comme un bien commun à conserver pour les générations futures. Un rappel des modalités de gestion du type « Top/down » (descendante) est nécessaire dans la mesure où il s’appuie sur le registre du réglementaire. Cela peut permettre de rappeler les règles du jeu en usage dans les forets du massif des Vosges, du périmètre du PNRBV ainsi que les missions de l’ensemble des gestionnaires du territoire (collectivités qui participent à l’aménagement du territoire, des propriétaires et gestionnaires qui interviennent sur les forêts et la biodiversité). Ce n’est qu’une fois ces réglementations partagées qu’une réflexion de nature participative, une gestion contractuelle (« Buttom/Up ») peut permettre de redéfinir les politiques à mener qui relèvent tout à la fois des questions environnementales, économiques et récréatives (fréquentation et circulation des flux). Redéfinir et affirmer les missions des acteurs du Programme LIFE + permettra d’éclaircir les fonctions de l’établissement (en quoi est-il un parc naturel régional et non un parc national ?), ainsi que celles de l’ensemble des partenaires locaux (élus, associatifs, services déconcentrés de l’état) impliqués. Ceci permettra d’éviter des confusions (dues à une méconnaissance) telles qu’elles peuvent actuellement s’exprimer. Informer sur les modes de gestion sylvicoles selon les objectifs écologiques, économiques attendus, sur les missions des acteurs du Programme LIFE + (PNR, ONF, CSL etc.), autrement sur les acteurs de l’économie et de la gestion de la biodiversité dans le périmètre du territoire. Informer sur l’histoire locale en termes économique (sylviculture, industries textiles, agriculture de montagne… qui constituent l’histoire économique du lieu), démographique, culturel (régions lorraine, alsacienne pour ne pas les opposer mais plutôt montrer les spécificités de chacune). Autrement dit, pouvoir communiquer pour répondre à la question « qui fait quoi et comment, pour qui ? » pour pérenniser l’indispensable équilibre du triptyque Économie-EnvironnementLoisirs et décrypter les actions passées, en cours et à venir. Communiquer sur le rôle des élus au sein de l’instance Parc (syndicat mixte) mais également dans les autres EPCI (Pays, communautés de communes) informer sur le fait que le Groupe Tétras Vosges n’est pas un service déconcentré du parc (mais bien une plateforme d’acteurs et d’observateurs), connaître les relations entre les différents gestionnaires du territoire (notamment leurs missions), autant d’éléments qui serviront une transparence du jeu politique, 17 condition sine qua non pour une mobilisation collective en faveur de l’engagement au profit du bien commun. Des actions d’information, de sensibilisation, de fédération pourraient ainsi être menées en concertation entre tous les acteurs publics tout en repérant les différents publics que l’on entend viser en fonction de leur lieu de résidence (population locale, population exogène), de leurs activités professionnelles, de leurs activités de loisir (les différentes catégories d’usagers de la nature) en vue d’une traduction du discours dans la langue commune. Repenser une prise de conscience du patrimoine commun local d’intérêt général permettra des formes d’appropriation citoyenne au vu des rôles et missions de chacune des parties concernées. Développer des actions participatives permettra des échanges et des débats citoyens. 18 Repères bibliographiques 1996, Études rurales. Cultiver la nature, Pierre Alphandéry, Jean-Paul Billaud, (eds), n°141142. Alix Baerenwald, entretien avec Lucien Gangloff et François Tritschler, « Le grand tétras. 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Le mot « pompe » désigne tout à la fois un appareil, des chaussures et qualifie le faste, l’éclat (en grande pompe). Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Métonymie : procédé de langage par lequel on exprime une chose au moyen d’un terme désignant une autre chose qui lui est unie par une relation nécessaire (la cause pour l’effet, le contenant pour le contenu, le lieu ou le producteur pour la production, le signe pour la chose signifiée) ». Boire un verre est une métonymie dans la mesure où l’on désigne le contenu par le contenant ; avoir le bras long désigne une personne (le tout) par l’un de ses membres (la partie). Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. L’approche « top-down » est parfois nommée « autoritarian approach » en ce qu’elle désigne une savoir positiviste, une vision surplombante. Une approche dite « bottom-up » relève d’une démarche participative en ce qu’elles sont centrées sur les perspectives des populations locales (savoirs locaux sur l’environnement)49. Approches sociocentrée, biocentrée, écocentrée : Les philosophes de l’environnement interrogent la valeur intrinsèque. Celle conférée à l’homme, au vivant et à l’écosystème joue un rôle paradigmatique, donnant lieu à différentes postures idéologiques : sociocentrisme, biocentrisme et écocentrisme50. Pour les tenants du sociocentrisme, la valeur de la nature est extrinsèque dans la mesure où elle lui est conférée par l’homme (l’humain étant la valeur intrinsèque par excellence). En revanche, les biocentristes utilisent le paradigme du vivant pour prôner « l’égalitarisme biotique »51 : « Le biocentrisme pratique une extension beaucoup plus vaste, puisqu’il étend à tous les êtres vivants (plantes et micro-organismes compris) la considération morale… [Catherine Larrère poursuit en remarquant que] on peut se demander si cette extension n’est pas une déconstruction : l’humanité n’est plus le centre de la moralité, à la place, on trouve une prolifération de valeurs égales, qu’aucun schéma ne vient ordonner »52. Ceux qui, à l’instar d’Aldo Leopold53 et Baird Calicott54, reconnaissent à la nature (en tant qu’écosystème) une valeur intrinsèque défendent la thèse de l’écocentrisme. 49 Castallanet C., Jordan, C.F.,2002, Participatory action research in nautral resource managment. A Critic of the Method based on Five Year’s Experience in the Transamazonica Region of Brazil. Michigan, Tylor and Francis. 50 Bairth Callicott, 1996, « Environnement ». Monique Canto ed. Dictionnaire de philosophie morale. Paris, PUF. 51 Catherine Larrère, 1996, Les philosophies de la nature, Paris, PUF. 52 Bairth Callicott, 1996, op. cit. 53 Aldo Leopold, 1995, Almanach d’un comté de sables. Paris, Aubier. 54 Calicott, 1995 « Intrinsic value in nature : a metaethical analysis », Electronic Journal of Analytic Philosophy, 3. 24 Liste des interlocuteurs rencontrés François André, Club VTT Monsieur Baumann, Fédération Française d’Escalade du Haut-Rhin Roger Bleu, maire de la commune du Bonhomme Jean-Marie Boehly, Fédération Départementale de Chasse du Haut-Rhin Jean-Pierre Briot, chasseur, président « Commission Grand Gibier » Fédération de Chasse Cédric Brylka, chasseur, exploitant agricole Steven Cashin, Tanet Loisirs EURL Vincent Drillon, Groupe Tétras Vosges Jean-Marie Gabriel, Club Vosgien section Gérardmer Philippe Girardin, président du Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges Albert Heinrich, Club Vosgien section vallée de Munster Brigitte Herbertz, chargée de mission au Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges Monsieur Helderlé, Ski Club Manuel Lempké, chargé de mission Conservatoire des Sites lorrains Gilles Mangel, président Association pour l’Equilibre et le Développement du Massif Vosgien Jean-Luc Mercier, membre du Conseil Scientifique du PNR Claude Michel, chargé de mission au Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges Jacques Mertzeisen, Munster Escalade Alain Niquet, Compagnie d’accompagnateurs de Moyenne Montagne Damien Parmentier, ancien directeur du PNR Françoise Preiss-Levasseur, chargé de mission Groupe Tétras Vosges Jean-Luc Reiss, Cimes et Sentiers Jean-Marie Rémy, Groupe Rémy Loisirs Etienne Schaffhauser, aubergiste, Gazon du Faing Roger Toussaint, Cyclo Tourisme et Loisir Jean-Marie Valentin, Cimes et Sentiers Gérard Wey, directeur Aprécial Etienne Zahnd, directeur de l’Agence de l’Office National des Forêts 12 touristes (famille, retraités, allemands, urbains) 25 Repères historiques 1939 : plus d’un millier de couples sur le seul département du Haut-Rhin. Enquête de l’ONF sur la population de coq de bruyère. 1951-1971 : « Etant donné la surabondance des Coqs de Bruyère nuisible au repeuplement de l’espèce, les coqs en surnombre pourront être éliminés », Arrêtés ministériels. 1972 : Création du collectif « Sos Vosges ». 1957 : Rapport Eaux et Forêts secteur de Longegoutte : « les coqs de bruyère ont coupé les cimes d’au moins 50% des plants repiqués ». 1958 : Rapport Eaux et Forêts secteur de Longegoutte : « Le Grand Tétras a écimé 30 à 40.000 plants d’épicéa » 1961 : Création réserve naturelle (582ha). 1973-74 : arrêt de la chasse au Tétras dans l’Est de la France et dans d’autres départements par arrêté préfectoral (en 1972 dans le Haut-Rhin, 1973 dans le Bas-Rhin, 1974 dans les Vosges). 1976 : Au PN des Cévennes, lancement de l’élevage de Grands Tétras. 1979 : constitution du Groupe Tétras Vosges à l’initiative de l’ONC. 1978-91 : 465 tétras immatures nés en captivité sont lâchés sur le massif du Bougès et sur le Mont Lozère. 2 janvier 1980 : « Directives sylvicoles Tétras » proposée par le Groupe Tétras Vosges et approuvées par l’ONF. 1980 : adoption par l’ONF de la Directive Sylvicole. 2001 : création association « SOS-Tétras » pro réintroduction. 10 déc 1985 : Classement du Grand Tétras sur la liste des espèces protégées. 1988 : Plan de protection et de mise en valeur des Hautes Vosges (annexe de la charte du Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges). 1989 : projet européen (porté par les Conservatoires des Sites Lorrains et Alsaciens) : maitrise foncière, etc 1989 : Création du PNR Ballons des Vosges. 1989 : Effectif de tétras en fort déclin et surtout lors des 3 dernières années. 1990 : le Groupe Tétras Vosges devient association pour la sauvegarde des Tétraonidés dans le massif vosgien. 1991 : Réactualisation des « Directives Tétras ». Mission Tétras ONF & ONCFS. 26 1992 : Création de l’Association pour l’Équilibre et le Développement du Massif vosgien (AEDVM). 1993-96 : Programme Life Tétraonidés, massif jurassien. (le Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges y collabore avec l’édition de l’ouvrage « Des forêts pour le Grand Tétras). 1995 : Journées techniques Grand Tétras et Gélinotte des Bois. Bilans et perspectives pour les tétraonidés dans le Massif Vosgien, Groupe Tétras Vosges. 1998 : renouvellement du Label pour le Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges (intégration du Plan de protection dans la charte). 2000 : séminaire tétras (conseil scientifique du PNR des Ballons des Vosges) et décision du comité syndical du parc de privilégier la conservation des habitats pour la sauvegarde de l’espèce (pas de réintroduction ou renforcement). 1996-2001 mise en place du réseau Natura 2000 (directives habitats et oiseaux). 2003 : débat public organisé par le PNRBV : « Le Grand Tétras dans les Vosges : survie ou disparition ? » (animé par Cité Projet). 2003 : 100 tétras environ, soit une cinquantaine de couples et un effondrement fort depuis 5 ans 2010 : Révision des statuts de l’association Groupe Tétras Vosges. 2010-11 : Révision de la Charte du PNR Ballons des Vosges. 27