Consulter l`article du MagSacem (Mai-Août 2012)
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À la une 05 La musique destinée aux enfants est, depuis quelques années, un secteur en perpétuelle (r)évolution, dans lequel la Sacem joue un rôle actif. ••• mai-août 2012 © Delphine Perret Écrire et composer pour le jeune public Échos | à la une | décryptage | Techno | Portrait | coulisses | Agenda ••• L ongtemps, les enfants furent oubliés des créateurs de musique, n’ayant à écouter et à chanter qu’un répertoire riche mais venu de temps anciens : des berceuses transmises par les mères et les nourrices, aux comptines ou chansons traditionnelles apprises dans les écoles. Ce n’est qu’à la fin du xixe siècle que Saint-Saëns créa son fameux Carnaval des animaux, plus dans le but de casser son image de compositeur sérieux que pour un public enfantin, tandis que dans le même temps, Tchaïkovsky concevait son Album pour la jeunesse Op.39 1, un recueil de vingt-quatre pièces simples pour piano. Il fallut attendre la première moitié du xxe siècle pour que les compositeurs s’intéressent à ce public, avec le Children’s corner de Debussy (1908), L’enfant et les sortilèges de Ravel, sur un livret de Colette écrit pour sa fille (1925), et surtout Pierre et le loup de Prokofiev,en Russie (1936), puis A Young Person’s Guide to the Orchestra de Britten, en Angleterre (1946). La même année, Poulenc dédia son Histoire de Babar, le petit éléphant (d’après l’album de Jean de Brunhoff) aux onze enfants qui l’avaient inspiré. Dix ans plus tard, André Popp concevait pour les petites oreilles son fameux Piccolo, Saxo et Compagnie qui, dès sa sortie, connut le succès grâce à son ton neuf, sa fantaisie et son exigence (voir focus). Donna-t-il l’impulsion, dans les années 70, à toute une génération d’auteurs-compositeurs-interprètes comme Anne Sylvestre, Henri Dès ou Steve Waring ? Toujours est-il que, même si Steve Waring déclare : « Je n’ai jamais écrit en pensant uniquement au jeune public. Mes vraies références sont liées à la chanson traditionnelle américaine comme The Cat Came Back, que j’ai adapté en français », la chanson pour enfants était née ! Des plumes pour les enfants La place de l’enfant dans notre société a changé et on assiste, depuis une quinzaine d’années, en France, à une véritable explosion de CD, livres-CD et spectacles pour le « jeune public », avec des projets musicaux de tous styles – chanson, électro, rock ou jazz – sans oublier les musiques contemporaine et classique. Une telle production, un tel éclectisme ne se ren- magsacem # 84 © Johannes Romppanen /plainpicture/Onimage – Delphine Perret 06 À la une 07 « C’était cool de voir qu’on a aidé Lionel à créer avec nos textes. » Billy, collégien de 12 ans ayant participé à la création Slam & Cage, de Lionel Ginoux et Dissylez, avec l’Orchestre Avignon Provence, une opération du Fonds d’action Sacem. contrent nulle part ailleurs. Une exception française, donc (et belge dans une moindre mesure), même si, hors de nos frontières, quelques compositeurs œuvrent pour le jeune public, comme Tim Rescala 2, au Brésil, avec son Orchestre des rêves. Certains jeunes artistes y consacrent leur talent, comme c’est le cas d’Abel, qui a commencé à écrire parce qu’il était « animateur musical, avec un besoin de refrains pour éveiller les petits à la musique » ou du duo Amipagaille, qui se voit en « habilleur de mots ». En bref, l’écriture pour le jeune public s’est diversifiée. « Dans le passé, certains artistes ont cru qu’il fallait parler un langage “enfants” pour s’adresser à eux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : on ose le décalage, la dérision et le jeu avec les émotions », constate Anne Torrent, directrice artistique des Jeunesses musicales de France (JMF). De plus en plus, « nombre d’artistes confirmés comme François Hadji-Lazaro ou Michèle Bernard, qui à l’origine ne chantaient pas pour les enfants, mènent une réflexion de fond sur le jeune public. Cela devient un acte citoyen », témoigne Lilian Goldstein, responsable des musiques actuelles à la Division culturelle de la Sacem. Ce que confirme Anne Bustarret, musicologue et spécialiste de l’enfance : « Les musiciens sont meilleurs qu’auparavant, leurs arrangements plus riches, même si leurs chansons sont souvent plus difficiles à chanter ». La chanteuse et musicienne Hélène Bohy ne fait donc « aucune différence dans le fait de composer une chanson pour les adultes ou le jeune public. J’y mets la même musicalité et la même complexité. Sauf si elle est destinée à être chantée par des enfants ». Avis partagé par la compositrice Isabelle Aboulker : « Je ne compose pas la même chose pour une soprano léger ou pour un chœur d’enfants, mais mon exigence est la même : je travaille sur des textes qui ont cette capacité d’ouvrir l’esprit ». ••• > Focus Rencontre avec André Popp, compositeur de Piccolo, Saxo et Compagnie Comment est né Piccolo, Saxo ? C’est une idée de Jacques Canetti, à l’époque directeur des disques Philips. Il voulait faire un disque pour les enfants autour des instruments de musique. Avec Jean Broussolle, l’auteur de Piccolo, Saxo, nous avons compulsé un traité d’orchestration avec toutes les familles d’instruments, ce qui, pour lui, a été un véritable déclic : il a écrit une merveilleuse histoire dont je n’ai pas eu une virgule à changer. J’ai composé la musique dans l’enthousiasme, en un mois. Quel a été l’accueil du public à sa sortie ? Le disque a tout de suite bénéficié d’un grand succès populaire et a même reçu, une semaine après sa sortie, le Grand prix du disque. Piccolo, Saxo a-t-il été joué sur scène ? Beaucoup plus tard, car la maison de disque ne l’a pas beaucoup soutenu ! Mais dans les années 80, j’ai reçu un coup de fil des JMF me proposant de faire Piccolo, Saxo en concert, salle Pleyel, avec Jacques Martin dans le rôle du récitant (remplaçant François Périer sur les enregistrements). Ça a mai-août 2012 été un grand succès : ils ont refusé 10 000 enfants ! Ce n’est pas votre unique création pour le jeune public ? Non, j’ai également fait des musiques pour un feuilleton radio autour de Tintin et celle du premier Babar à la télévision. Mon Piccolo, Saxo demeure l’aboutissement de ma carrière car il m’a permis d’écrire pour un orchestre symphonique et j’ai donné, je crois, beaucoup de plaisir aux enfants. Faites-vous une différence entre composer pour les enfants ou pour les adultes ? Je ne me suis jamais posé la question ! © UNIVERSAL Compositeur visionnaire et arrangeur aux inventions brillantes, dont la finesse et l’humour sont au cœur de la création – réécoutez la délicieuse et éclectique compilation Popp Musique (Tricatel) réunissant une vingtaine d’instrumentaux et de chansons ou encore le loufoque Delirium in hi-fi –, André Popp est l’heureux et inoubliable créateur de Piccolo, Saxo et Compagnie, une suite musicale en cinq volets qui a marqué plusieurs générations d’enfants. Un classique ! Échos | à la une | décryptage | Techno | Portrait | coulisses | Agenda Les enfants vont au spectacle Carton Park, Francos Juniors 2010. ••• Catherine Vaniscotte, auteur-compositeur, abonde également dans ce sens : « Je veux que ma musique soit riche, et les enfants y sont sensibles ». Louis Dunoyer de Segonzac, qui a composé, entre autres, Les vents – Tim et Tom dans la collection de livres-CD Mes premières découvertes de la musique (Gallimardjeunesse), initiée et soutenue par le Fonds d’action Sacem, confie se remettre « sans cesse en question, car chaque nouveau projet a sa vérité propre. Chaque fois, on repart de zéro. C’est le travail du créateur ». C’est pourquoi la Sacem a particulièrement à cœur de soutenir cette création : chaque année, l’action culturelle attribue des bourses d’écriture à des sociétaires ayant des projets jeune public. Des aides à l’autoproduction sont également dispensées, précieuse initiative dans un secteur où les labels de disques sont peu nombreux et subissent de plein fouet la crise de l’industrie phonographique. Ainsi, Solen Imbeaud et Benjamin Ramon ont reçu ce soutien en 2011, pour leur album Bons cailloux de Crocassie. En jeune public, on ne peut dissocier le disque de la scène, une manière directe de faire vivre aux enfants la musique. Peu de médias relayant les créations de ce secteur ; le spectacle vivant permet d’en découvrir la diversité et la richesse. En famille. D’autant que les spectacles ont beaucoup évolué, et le public aussi. « Les parents sont plus motivés qu’avant pour accompagner les enfants au spectacle ou pour leur acheter un disque. À condition que cela leur plaise ! », remarque Anne Bustarret. Et, souvent, les artistes venus du répertoire adulte font le lien entre les générations. On les retrouve dans les programmations des théâtres – même s’il n’est pas toujours facile pour la musique jeune public de s’y faire une place – et des festivals, plus nombreux à s’intéresser à ce domaine. « La Sacem est partenaire de plusieurs manifestations qui développent un secteur jeune public, comme Petits et Grands, à Nantes, Mômes en Zique, à Montauban, ou les Francofolies de La Rochelle, avec lesquelles nous avons créé les Francos Juniors, il y a sept ans », explique Lilian Goldstein. « Dès qu’un artiste y est programmé, il bénéficie de la vitrine des Francofolies, mais aussi d’une aide à la production dispensée par la Sacem en complément de ce que nous donnons. Ensemble, nous avons aussi créé le Grin, un moment de rencontre entre professionnels permettant aux artistes d’avoir des retours immédiats sur leur création, mais aussi de constituer un réseau professionnel », ajoute Delphine Lagache, programmatrice des Francos Juniors. De plus, la Sacem finance également une compilation présentant deux titres de chaque artiste, remise aux programmateurs. « Dès le départ, elle a été pensée comme une collection, avec l’idée de travailler pour le public de demain », continue Delphine Lagache. L’action culturelle de la Sacem soutient également des producteurs de spectacles spécialisés dans le jeune public tels que W2, mais aussi une institution comme les JMF pour une dizaine de nouvelles créations de spectacles et dans l’organisation des tournées. « La Sacem a toujours été un soutien infaillible des JMF, nous permettant de passer des commandes d’œuvres Le ministère de l’Éducation nationale et l’association Tous pour la musique (qui regroupe des professionnels de la musique dont la Sacem) mettent les bouchées doubles pour faire découvrir la musique aux écoliers du premier degré. D’abord, en donnant la possibilité aux enseignants de télécharger, pour une écoute en classe, quatre-vingt-dix œuvres musicales représentatives de toutes les époques de l’histoire de la musique, ainsi que des fiches pédagogiques liées à ces œuvres, sur lesquelles est également proposé un accès aux offres légales de musique en ligne disponibles en France. Une astucieuse façon de faire entrer la musique dans toutes les écoles, mais aussi d’attirer l’attention des enfants sur les enjeux du téléchargement. Ensuite, afin de diffuser largement un répertoire de chants et de favoriser le travail vocal, un double CD édité par le Centre national de documentation pédagogique sera distribué dans toutes les écoles maternelles et primaires. Les partitions seront disponibles sur le site. Ce premier volume regroupera des réalisations aux styles variés, puisées dans les répertoires vocaux académiques ou départementaux. De quoi chanter de tout son c(h)œur ! magsacem # 84 © Marc Chesneau 08 À la une 09 Les enfants font le spectacle Lady Godiva, opéra composé par Coralie Fayolle. Créé en avril 2011, interprété par les Créa’tures (18-25 ans) du Crea d’Aulnay-sous-Bois et soutenu par le Fonds d’action Sacem. Depuis quelques années, on assiste également à l’émergence de chœurs d’enfants de haut vol avec, à leur tête, de vrais professionnels aux projets pédagogiques forts, comme l’ensemble Sotto Voce ou le Crea d’Aulnaysous-Bois 3, qui crée chaque année sur scène des œuvres contemporaines d’Isabelle Aboulker, Coralie Fayolle ou Louis Dunoyer de Segonzac. D’autres structures, telles que Tamèrantong ! ou les Serruriers Magiques, font également participer les enfants à toutes les phases de création d’un spectacle, de l’écriture à la mise en scène. Pionnier dans les opérations de sensibilisation du jeune public à la création, le Fonds d’action Sacem (Fas) est à l’origine de nombreux projets en ce sens depuis 1994. « Nous avons commencé avec l’Orchestre de Paris, puis l’Orchestre de Lille et celui de Lyon où, pendant deux ans, les enfants des classes de collège apprennent, avec un compositeur contemporain, l’acte de créer. Chaque aventure est un vrai travail d’orfèvre, d’expertise et d’expérience requérant passion et engagement », souligne Alejandra Norambuena-Skira, secrétaire générale du Fonds d’action Sacem. Ainsi, en 2011-2012, le Fas est impliqué dans des aventures aussi diverses que riches : des ateliers d’écriture pour une comédie musicale à Aix-en-Provence, une œuvre musicale itinérante reliant des enfants du pourtour méditerranéen autour de la contrebasse voyageuse de Thierry Petit, des ateliers de la création avec l’Orchestre de Lille et le compositeur Jan Krejcik, un hommage à John Cage avec l’Orchestre d’Avignon, le compositeur Lionel Ginoux et le slameur Dizzylez, et l’opération De chœur en orchestre avec le compositeur Karol Beffa et l’Orchestre de Paris. Une liste non exhaustive qui montre la richesse de ces rencontres où se croisent non seulement enfants et adultes, mais également différentes formes d’art. Les enfants changent le monde ! Dans ce paysage dynamique se constitue un nouveau répertoire familial, imaginé par des artistes de tous horizons, qui gomment les frontières entre les propositions artistiques destinées aux enfants ou aux adultes. Mais, si tout bouge plus rapidement depuis quelques années, et notamment grâce à l’action de la Sacem, ce secteur manque encore de reconnaissance et de visibilité. À quand, par exemple, une Victoire de la musique jeune public ? C’est pourtant un domaine qui fait bouger les lignes… et les esprits, comme le confie l’auteurcompositeur David Sire : « Écrire pour les enfants m’a conduit à épurer mon discours et à clarifier mes intentions, pour être au plus proche de l’émotion ». Et c’est bien là l’essentiel. • 1 Il faut également citer l’Album pour la jeunesse Op. 68 de Robert Schumann. 2 Écrit en 1995, et commandé par Rio Arte, L’Orchestre des rêves a été le premier opéra pour enfants enregistré au Brésil. Tim Rescala a également composé un second opéra pour enfants, Papagueno, sorti en 1997. Entre 1997 et 2000, il a présenté une série de concerts pour le jeune public au Théâtre Carlos Gomes, de Rio. 3 Le Fonds d’action Sacem soutient l’ensemble Sotto Voce et le Crea d’Aulnay-sous-Bois depuis leurs débuts. \ Plus d’informations sur mai-août 2012 © Sophie Chivet – Delphine Perret contemporaines avec des compositeurs tels que Graciane Finzi ou Pierre Charvet. De plus, le travail sur la diffusion culturelle que nous menons avec Lilian Goldstein a participé à notre ouverture aux musiques actuelles », témoigne Anne Torrent, directrice artistique.