Devenir fossile : une question de chance

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Devenir fossile : une question de chance
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Des observations actuelles…
Dans ces marais où gisent d’épaisses couches de boue, mammifères et oiseaux
laissent derrière eux leurs empreintes reconnaissables dans les moindres détails.
Un animal qui vient de mourir s’enfonce dans la vase. La surface boueuse
devient petit à petit plus sèche, plus fine, et très dure, comme si l’argile qu’elle
contient avait été cuite par le soleil. Lorsque le fleuve voisin entrera en crue,
l’eau chargée de sédiments viendra recouvrir ces empreintes, d’une fine couche
qui protègera ces traces. Les saisons se succédant, une multitude de pellicules
boueuses riches de nombreuses empreintes s’accumuleront.
…pour interpréter les traces du passé
Le temps ne compte plus : quelques milliers d’années plus tard, l’eau chargée de
sels minéraux, qui s’est immiscée dans l’argile, engagera une longue
transformation chimique des minéraux et transformera la boue fluide en une
roche parfaitement solide. Les fossiles se forment-ils tous de la même façon ?
Comment y retrouve-t-on de la pyrite, de la calcite ou des cristaux géométriques ?
Les connaissances actuelles permettent-elles de retracer leur histoire ?
Devenir fossile : une question de chance
© Kulyk/Science Photo Library
© Darkin/Science Photo Library
L’iguanodon est en train de fuir à l’approche
d’un de ses prédateurs. Pris de panique, ce dinosaure herbivore s’élance tout droit dans les
marécages qui s’étendent à perte
de vue. Pris au piège de la boue, il
s’enlise et ne réapparaîtra que
plusieurs millions d’années plus tard…
s’il est mis au jour par l’érosion ou les
paléontologues. Et, bien sûr, s’il est
devenu un fossile, ce qui n’est pas
donné à tout le monde !
Un dinosaure de la famille
des iguanodons reconstitué...
... Et ses restes fossilisés.
La taphonomie, ou science
de l’enfouissement,
permet aujourd’hui de retracer
l’histoire de notre fossile, de son
enfouissement jusqu’à sa mise au
jour sur son site de découverte.
fossile
Des circonstances favorables
Après sa mort, un animal (ou un végétal) a toutes les chances d’être dégradé. Prédateurs et
charognards s’appliquent à le décharner et le
désarticuler, puis vient le tour des microorganismes putréfacteurs qui détruisent ce qui reste de
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matière organique. Il ne restera pas grand-chose
à découvrir pour le paléontologue !
Mais notre dinosaure, lui, a été rapidement
enfoui dans un marécage. Il se trouve ainsi à
l’abri de l’oxygène de l’air, donc des dégradations par les microorganismes. Dans son linceul de boue, il se décompose beaucoup
moins. Mais il n’est toujours pas fossile ! Une
étape cruciale doit intervenir : la minéralisation, c’est-à-dire le remplacement des
molécules organiques par des molécules minérales. De l’eau chargée de sels
minéraux s’infiltre dans le sédiment. Des
échanges d’éléments chimiques ont lieu
entre l’eau, le sol et le corps de l’animal.
Ce phénomène très lent (l’épigénie) transforme notre dinosaure qui devient roche.
Cela peut se produire de plusieurs façons.
eau
sol
Les échanges de minéraux entre le fossile et le sol,
grâce à l’eau.
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Des itinéraires différents
La fossilisation est un événement rare.
Prédation, putréfaction, transport et déformation des roches vont limiter la qualité de
la préservation des fossiles. Pour cette raison,
dans la majorité des cas, l’on ne retrouve
que les parties dures des organismes, telles
les coquilles ou les os. Mais très rarement,
il peut arriver que l’empreinte des parties
molles (la matière organique), voire des organismes entièrement mous, soit conservée
dans la roche : c’est le cas des fossiles de
Burgess au Canada.
Penchons-nous de plus près sur les différents
types de fossilisation que peut subir une
coquille. Prenons l’exemple d’un bivalve
(comme ci-dessous).
un moulage externe (qui peut être ensuite
rempli de minéraux apportés par les circulations d’eaux).
• D’autres empreintes peuvent êtres créées
dans le sol, rien que par le passage d’un animal. Là aussi, le fossile se fabrique par séchage
rapide et moulage de la trace.
• Mais la fossilisation ne se limite nullement
aux squelettes minéralisés ou aux empreintes,
comme on aurait trop tendance à le croire. Il
existe de nombreux exemples de fossilisation
des parties molles dans le monde végétal. Des
matières organiques se retrouvent directement silicifiées (transformées en silice). Les
cellules vivantes disparaissent bien sûr, mais la
précision avec laquelle les détails du tissu sont
conservés est impressionnante !
© Guichard
• Le plus souvent, la fossilisation transforme la
composition chimique et la structure microscopique des parties dures. Si la coquille est
dissoute lors de la fossilisation, on parle de
moulage : moulage interne de la coquille qui
est remplie de sédiments lors de son enfouissement, moulage externe lorsque l’animal a
été rapidement recouvert d’une couche
épaisse de boue. Une condition toutefois
pour obtenir ce type de trésor : que le sédiment ayant enveloppé la coquille (à l’intérieur
ou à l’extérieur) soit un sédiment fin, avec
de tout petits grains, de sorte qu’il moule avec
le plus de précision possible les détails de
l’ornementation de la coquille.
• Le principe du moulage s’applique aussi aux
organismes mous devenus fossiles : si leur
décomposition est plus lente que la fixation
de l’empreinte dans les sédiments, il se crée
© Stammers/Science
Photo Library
Les différentes possibilités de fossilisation
d’un organisme vivant.
Dans ce bois fossilisé du
Dévonien, on retrouve
sans peine l’organisation
du tissu végétal.
Moules internes, moules
externes, restes de
coquilles dans un
calcaire grossier.
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Les fossiles : image fidèle ?
©
G
d
ar
ch
ui
plies de substance minérale ? Que s’est-il réellement passé lors de la fossilisation ? Certes,
certaines des loges sont restées vides, ce qui se
comprend aisément : les parties molles de l’animal ont eu toutes les chances d’être dégradées
à sa mort. Mais l’on voit que d’autres ont été
remplies par un sédiment très fin (la micrite) ou
comblées par de la calcite cristallisée.
La valse des ions
Ci-dessus. Coquille d’un nautile
actuel.
À droite. On observe dans ce fossile
des loges remplies de sédiment,
des loges vides et des loges
avec de la matière cristallisée.
La composition chimique des “parties
dures” dans les êtres vivants est variée :
• du carbonate de calcium pour la
plupart des coquillages,
• de la silice, pour les éponges et certaines
formes de plancton,
• de la cutine, chez les végétaux,
• de la chitine chez les arthropodes,
• des phosphates dans les os de mammifères.
La composition chimique des fossiles est tout
aussi diverse : allant du calcaire à la silice en
passant par la pyrite… et cela quelle que soit
la nature originelle des animaux (cf. encadré).
Lors de la fossilisation, du passage de l’état de
sédiments tout juste déposés sur l’animal à
celui de roche, les parties dures de l’animal
passent donc :
• d’une composition organique à une composition minérale (c’est le cas des os),
• d’une composition minérale à une composition minérale différente (pour les coquilles),
ceci avec une fréquente modification de la
microstructure (c’est-à-dire les formes microscopiques des cellules, des membranes et des
cristallisations minérales contenues dans les
coquilles et les tests). Prenons un bel exemple.
Dans les profondeurs du Pacifique, vivent des
céphalopodes aux grandes coquilles spiralées :
les nautiles. Ces animaux ressemblent comme
deux gouttes d’eau à leurs ancêtres vieux de
plusieurs centaines de millions d’années, ce
qui leur a fait gagner leur surnom de “fossiles
vivants”. En regardant de plus près une coupe
de coquille de nautile actuel, on remarque
qu’elle est formée de multiples loges remplies
par le corps de l’animal au fur et à mesure de
sa croissance. Les parois et les cloisons de sa
coquille sont formées de carbonate de calcium. Mais… ce carbonate de calcium est
recouvert d’une substance organique, la
conchioline, qui donne à la coquille son aspect
extérieur brillant et coloré.
Alors, comment se fait-il que ce nautile fossile,
retrouvé à Madagascar, présente des loges rem-
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Pour comprendre ce phénomène, il faut revenir un peu en arrière. Sous le poids des sédiments sous lesquels se trouve l’animal enseveli, la pression et la température augmentent.
L’eau chargée de sels minéraux circule dans
ces couches et finit par atteindre les restes de
l’animal. Commencent alors des substitutions,
mécanisme chimique soumis à des lois précises. Par des échanges d’éléments chimiques
entre les liquides circulants dans le sédiment
et le fossile, les minéraux qui constituent les
parties dures de l’organisme vont être remplacés par d’autres. Ces substitutions sont
régies par plusieurs facteurs.
• La nature chimique des sédiments et des
sels dissous dans l’eau, influence grandement
ce changement. Ainsi, le carbonate de calcium
d’une coquille est le plus souvent remplacé par
de la silice, plus rarement de la pyrite.
• l’acidité de l’eau et celle du milieu ont leur
importance. Par exemple, la silice se dissout
mieux dans un milieu alcalin (basique), mais
les carbonates sont plus solubles en milieu
acide. Ainsi, selon l’acidité du milieu, les fossiles fixeront soit du calcaire soit de la silice.
• Attention : il peut arriver aussi que la fossilisation se fasse par recristallisation des
minéraux déjà existants.
En fonction du pH et de leur nature, la solubilité
des ions varie beaucoup.
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Zoom au niveau des atomes
Voici les représentations schématiques des mailles cristallines de quelques cristaux courants.
calcite CaCO3
pyrite FeS2
S
aragonite CaCO3
(seul l’arrangement
géométrique est modifié)
quartz SiO2
ion silicate SiO42-
Quand la silice s’invite…
Ce tronc d’arbre pétrifié a conservé par endroits la
trace des cernes de croissance qui permettent aux
paléontologues de connaître son âge à sa mort.
Surface de diatomite vue
au microscope électronique.
Des squelettes siliceux sont
aisément visibles grâce aux
fausses couleurs de l’image.
Et la pyrite alors ?
Dans certains cas, la putréfaction de la
matière organique par des bactéries
particulières peut conduire à la précipitation
de sulfures de fer appelés pyrite. Les structures
sont alors conservées sans trop de détails.
Ammonite pyriteuse de l’Aveyron.
© Gui
cha
r
d
Les coquilles calcaires ne sont pas constituées
de tissus de cellules vivantes mais d’une
“pâte” calcaire en fines couches déposées
par la croissance de l’animal. Ces coquilles se retrouvent souvent transformées
en silice par la fossilisation. La conservation de la forme externe de la
coquille peut être très fidèle (on le
pense grâce aux formes actuelles des
coquillages). Pourtant, les couches de
croissance ont disparu : la silice cristallise uniformément !
Il existe pourtant des cas où la silice conserve
la trace de cellules. Les diatomées sont des
algues faites d’une seule cellule, qui contiennent un squelette en silice très esthétique.
Dans certaines conditions, ces squelettes
s’agglomèrent en formant une roche, la diatomite, où les squelettes, pas complètement
dissous ni transformés sont repérables.
© Gschmeissner/Science Photo Library
© Hinsch/Science Photo Library
La grande finesse de nombreux fossiles
d’arbres a longtemps fait croire qu’ils avaient
été soumis à un remplacement molécule à
molécule de leur matière organique par de la
silice. Or c’est impossible ! Les tétraèdres
des molécules de silice ne correspondent pas à la forme des molécules organiques qu’elles ont remplacées. Certes,
la structure globale est bien conservée et l’on
voit clairement les cernes annuels de croissance de l’arbre, mais l’on a peu de chances
de repérer le contour d’une cellule !
© Guichard
Fe
À l’origine calcaires, ces coquilles d’huîtres (gryphées)
ont été transformées en silice lors de leur fossilisation.
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Coupe d’ammonite où l’on observe
le remplissage des loges initialement
remplies du corps de l’animal
par de la calcite venant
des boues sédimentaires.
Beaucoup des fossiles pourtant sont en calcaire. Ils correspondent à des coquilles originellement faites de calcaire elles aussi,
comme chez les bivalves (tels l’huître) ou
des gastéropodes (comme l’escargot).
Ces dernières sont composées de
carbonate de calcium qui peut prendre deux formes différentes : la calcite
qui est la forme stable du carbonate de
calcium ou l’aragonite, très fréquente dans
les coquilles d’animaux actuels. Au cours
de l’épigenèse, l’aragonite est souvent
remplacée par la calcite. Du fait que ces deux
minéraux ont une cristallisation différente,
cette fossilisation détruit les microstructures
comme précédemment.
De plus, la calcite ne se contente pas de remplacer le matériau précédent là où il existait !
Voyageant dissoute dans l’eau circulant dans le
sol, elle cristallise en particulier dans les espaces libres, comme les chambres ou loges des
céphalopodes telles les ammonites fossiles.
Pourquoi reste-t-il parfois
de la nacre ?
La nacre qui est formée de fines lamelles
d’aragonite chez les nautiles actuels
est rarement conservée à l’état fossile.
Il n’existe que quelques gisements
au monde où les conditions chimiques
de fossilisation ont permis
la conservation de la nacre.
© Wiersma/Science Photo Library
©G
uic
ha
rd
Quand le calcaire recristallise
Les os concentrent le calcium
Les os contiennent des molécules organiques
ainsi qu’un minéral, l’apatite, une forme de
phosphate de calcium. À la mort d’un animal,
ses os, tout comme le reste du corps sont
envahis de bactéries.
• Les cristaux d’apatite élaborés par l’organisme avant sa mort ne sont pas conservés,
n’étant pas assez stables dans ces nouvelles
conditions. Ils sont dissous par les eaux de
circulation et recristallisent sous une forme
plus stable.
• Toutes les molécules organiques sont petit à
petit décomposées avant d’être remplacées
par des matières minérales. Des ions magné-
Du prisme au rhomboèdre
Le carbonate de calcium peut prendre deux formes cristallines différentes
(cf. page précédente) : l’aragonite (prisme) et la calcite (rhomboèdre).
sium viennent remplacer les ions calcium tandis que les ions carbonates ou silicates remplacent les phosphates. Ces nouveaux minéraux prennent la place vacante laissée par la
perte des matières organiques et minérales.
Les bactéries peuvent elles aussi être minéralisées, et fossilisées sous forme de sidérite (un
minéral qui contient du fer). Ce processus
détruit la microstructure des tissus, mais préserve l’apparence externe. Si le milieu est oxydant, on peut trouver des traces brunes ou
noires à la surface des fossiles, qui correspondent à des oxydes de fer et de manganèse.
Quand la matière organique
se fossilise
© Guichard
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Spécimens d’ammonites nacrées.
La matière organique enfouie brutalement
sous les sédiments est protégée de l’oxydation
et peut donner les fossiles carbonés : les charbons. On y trouve préservées, des empreintes
d’insectes, le détail des cuticules de certaines
plantes, de leurs feuilles ou encore des graines.
Nous avons vu que cette fossilisation des parties molles était plutôt exceptionnelle. Quelle
est donc sa particularité ?
Dès son dépôt, la matière organique de la
plante subit l’action de bactéries. Les protéi-
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© Geirnaert
Ci-dessus. Un insecte emprisonné dans une goutte d’ambre.
Ci-contre. La houille fossilifère est riche en empreintes de fougères.
nes des tissus végétaux évoluent en un gel qui
prend en masse, devenant un solide sombre :
le kérogène. Cette étape s’accompagne d’un
dégagement de méthane. L’enfoncement et le
poids des sédiments provoquent une augmentation de la pression et de la température : il
y a perte d’eau et de dioxyde de carbone.
Désormais à une profondeur de 1,5 voire
4 km, les molécules complexes du kérogène
sont transformées en hydrocarbures (gaz ou
pétrole). Seul subsiste un résidu carboné : la
houille, qui garde la trace des fibres ligneuses
et cuticules, moins sensibles aux dégradations.
Depuis plus d’un siècle, des scientifiques ont
pu retrouver les traces de cette préservation
de la matière organique. Mais plus étonnant
encore, des fragments d’ADN ont été mis en
évidence dans le corps d’insectes fossiles
embaumés naturellement dans l’ambre depuis
120 millions d’années. Cet ADN très dégradé
n’est plus fonctionnel, pourtant cela n’a pas
empêché des esprits à l’imagination fertile, de
penser possible de ressusciter des animaux
disparus, comme les dinosaures du film
“Jurassic Park”.
Fossiles et caprices de la nature
Les Alpes ou la Bretagne sont des réservoirs
de ces trésors pétrifiés que sont les fossiles.
Mais leur apparence peut parfois surprendre.
Tous n’ont pas pu éviter les fractures, les mouvements du sol, et ressortent de terre compressés ou étirés, voire en biais comme de
nombreux trilobites, ou encore pliés à angle
droit ! Les fossiles ne sont donc qu'une “image”
des animaux vivants. À l’aide de procédés chimiques et physiques, la nature en joue pour
nous en donner une représentation plus ou
moins fidèle. Au paléontologue ou à l'amateur,
de faire preuve de réflexion pour retrouver la
véritable figure de l'animal ou du végétal.
Comme indice, il observe les roches alentour :
plissées, en feuillets, recristallisées… Elles font
présager les contraintes que l’endroit a subi.
Ce modeste exemple montre que la paléontologie, comme toutes les autres sciences, ne
peut progresser seule. Les connaissances des
géochimistes, minéralogistes, tectoniciens et
autres géologues lui sont essentielles.
Florence Guichard
© Stammers/Science Photo Library
© Wiersma/Science Photo Library
Cos69_p26-31_Fossilisation
Ces fossiles, tordus, oxydés et dégradés, mettent en évidence
que la fossilisation n’est que la fabrication d’une image
correspondant plus ou moins à un organisme disparu.
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