Devenir fossile : une question de chance
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Devenir fossile : une question de chance
Cos69_p26-31_Fossilisation 6/02/06 10:45 Page 26 Des observations actuelles… Dans ces marais où gisent d’épaisses couches de boue, mammifères et oiseaux laissent derrière eux leurs empreintes reconnaissables dans les moindres détails. Un animal qui vient de mourir s’enfonce dans la vase. La surface boueuse devient petit à petit plus sèche, plus fine, et très dure, comme si l’argile qu’elle contient avait été cuite par le soleil. Lorsque le fleuve voisin entrera en crue, l’eau chargée de sédiments viendra recouvrir ces empreintes, d’une fine couche qui protègera ces traces. Les saisons se succédant, une multitude de pellicules boueuses riches de nombreuses empreintes s’accumuleront. …pour interpréter les traces du passé Le temps ne compte plus : quelques milliers d’années plus tard, l’eau chargée de sels minéraux, qui s’est immiscée dans l’argile, engagera une longue transformation chimique des minéraux et transformera la boue fluide en une roche parfaitement solide. Les fossiles se forment-ils tous de la même façon ? Comment y retrouve-t-on de la pyrite, de la calcite ou des cristaux géométriques ? Les connaissances actuelles permettent-elles de retracer leur histoire ? Devenir fossile : une question de chance © Kulyk/Science Photo Library © Darkin/Science Photo Library L’iguanodon est en train de fuir à l’approche d’un de ses prédateurs. Pris de panique, ce dinosaure herbivore s’élance tout droit dans les marécages qui s’étendent à perte de vue. Pris au piège de la boue, il s’enlise et ne réapparaîtra que plusieurs millions d’années plus tard… s’il est mis au jour par l’érosion ou les paléontologues. Et, bien sûr, s’il est devenu un fossile, ce qui n’est pas donné à tout le monde ! Un dinosaure de la famille des iguanodons reconstitué... ... Et ses restes fossilisés. La taphonomie, ou science de l’enfouissement, permet aujourd’hui de retracer l’histoire de notre fossile, de son enfouissement jusqu’à sa mise au jour sur son site de découverte. fossile Des circonstances favorables Après sa mort, un animal (ou un végétal) a toutes les chances d’être dégradé. Prédateurs et charognards s’appliquent à le décharner et le désarticuler, puis vient le tour des microorganismes putréfacteurs qui détruisent ce qui reste de 26 matière organique. Il ne restera pas grand-chose à découvrir pour le paléontologue ! Mais notre dinosaure, lui, a été rapidement enfoui dans un marécage. Il se trouve ainsi à l’abri de l’oxygène de l’air, donc des dégradations par les microorganismes. Dans son linceul de boue, il se décompose beaucoup moins. Mais il n’est toujours pas fossile ! Une étape cruciale doit intervenir : la minéralisation, c’est-à-dire le remplacement des molécules organiques par des molécules minérales. De l’eau chargée de sels minéraux s’infiltre dans le sédiment. Des échanges d’éléments chimiques ont lieu entre l’eau, le sol et le corps de l’animal. Ce phénomène très lent (l’épigénie) transforme notre dinosaure qui devient roche. Cela peut se produire de plusieurs façons. eau sol Les échanges de minéraux entre le fossile et le sol, grâce à l’eau. Cos69_p26-31_Fossilisation 6/02/06 10:45 Page 27 Des itinéraires différents La fossilisation est un événement rare. Prédation, putréfaction, transport et déformation des roches vont limiter la qualité de la préservation des fossiles. Pour cette raison, dans la majorité des cas, l’on ne retrouve que les parties dures des organismes, telles les coquilles ou les os. Mais très rarement, il peut arriver que l’empreinte des parties molles (la matière organique), voire des organismes entièrement mous, soit conservée dans la roche : c’est le cas des fossiles de Burgess au Canada. Penchons-nous de plus près sur les différents types de fossilisation que peut subir une coquille. Prenons l’exemple d’un bivalve (comme ci-dessous). un moulage externe (qui peut être ensuite rempli de minéraux apportés par les circulations d’eaux). • D’autres empreintes peuvent êtres créées dans le sol, rien que par le passage d’un animal. Là aussi, le fossile se fabrique par séchage rapide et moulage de la trace. • Mais la fossilisation ne se limite nullement aux squelettes minéralisés ou aux empreintes, comme on aurait trop tendance à le croire. Il existe de nombreux exemples de fossilisation des parties molles dans le monde végétal. Des matières organiques se retrouvent directement silicifiées (transformées en silice). Les cellules vivantes disparaissent bien sûr, mais la précision avec laquelle les détails du tissu sont conservés est impressionnante ! © Guichard • Le plus souvent, la fossilisation transforme la composition chimique et la structure microscopique des parties dures. Si la coquille est dissoute lors de la fossilisation, on parle de moulage : moulage interne de la coquille qui est remplie de sédiments lors de son enfouissement, moulage externe lorsque l’animal a été rapidement recouvert d’une couche épaisse de boue. Une condition toutefois pour obtenir ce type de trésor : que le sédiment ayant enveloppé la coquille (à l’intérieur ou à l’extérieur) soit un sédiment fin, avec de tout petits grains, de sorte qu’il moule avec le plus de précision possible les détails de l’ornementation de la coquille. • Le principe du moulage s’applique aussi aux organismes mous devenus fossiles : si leur décomposition est plus lente que la fixation de l’empreinte dans les sédiments, il se crée © Stammers/Science Photo Library Les différentes possibilités de fossilisation d’un organisme vivant. Dans ce bois fossilisé du Dévonien, on retrouve sans peine l’organisation du tissu végétal. Moules internes, moules externes, restes de coquilles dans un calcaire grossier. 27 Cos69_p26-31_Fossilisation 6/02/06 10:45 Page 28 Les fossiles : image fidèle ? © G d ar ch ui plies de substance minérale ? Que s’est-il réellement passé lors de la fossilisation ? Certes, certaines des loges sont restées vides, ce qui se comprend aisément : les parties molles de l’animal ont eu toutes les chances d’être dégradées à sa mort. Mais l’on voit que d’autres ont été remplies par un sédiment très fin (la micrite) ou comblées par de la calcite cristallisée. La valse des ions Ci-dessus. Coquille d’un nautile actuel. À droite. On observe dans ce fossile des loges remplies de sédiment, des loges vides et des loges avec de la matière cristallisée. La composition chimique des “parties dures” dans les êtres vivants est variée : • du carbonate de calcium pour la plupart des coquillages, • de la silice, pour les éponges et certaines formes de plancton, • de la cutine, chez les végétaux, • de la chitine chez les arthropodes, • des phosphates dans les os de mammifères. La composition chimique des fossiles est tout aussi diverse : allant du calcaire à la silice en passant par la pyrite… et cela quelle que soit la nature originelle des animaux (cf. encadré). Lors de la fossilisation, du passage de l’état de sédiments tout juste déposés sur l’animal à celui de roche, les parties dures de l’animal passent donc : • d’une composition organique à une composition minérale (c’est le cas des os), • d’une composition minérale à une composition minérale différente (pour les coquilles), ceci avec une fréquente modification de la microstructure (c’est-à-dire les formes microscopiques des cellules, des membranes et des cristallisations minérales contenues dans les coquilles et les tests). Prenons un bel exemple. Dans les profondeurs du Pacifique, vivent des céphalopodes aux grandes coquilles spiralées : les nautiles. Ces animaux ressemblent comme deux gouttes d’eau à leurs ancêtres vieux de plusieurs centaines de millions d’années, ce qui leur a fait gagner leur surnom de “fossiles vivants”. En regardant de plus près une coupe de coquille de nautile actuel, on remarque qu’elle est formée de multiples loges remplies par le corps de l’animal au fur et à mesure de sa croissance. Les parois et les cloisons de sa coquille sont formées de carbonate de calcium. Mais… ce carbonate de calcium est recouvert d’une substance organique, la conchioline, qui donne à la coquille son aspect extérieur brillant et coloré. Alors, comment se fait-il que ce nautile fossile, retrouvé à Madagascar, présente des loges rem- 28 Pour comprendre ce phénomène, il faut revenir un peu en arrière. Sous le poids des sédiments sous lesquels se trouve l’animal enseveli, la pression et la température augmentent. L’eau chargée de sels minéraux circule dans ces couches et finit par atteindre les restes de l’animal. Commencent alors des substitutions, mécanisme chimique soumis à des lois précises. Par des échanges d’éléments chimiques entre les liquides circulants dans le sédiment et le fossile, les minéraux qui constituent les parties dures de l’organisme vont être remplacés par d’autres. Ces substitutions sont régies par plusieurs facteurs. • La nature chimique des sédiments et des sels dissous dans l’eau, influence grandement ce changement. Ainsi, le carbonate de calcium d’une coquille est le plus souvent remplacé par de la silice, plus rarement de la pyrite. • l’acidité de l’eau et celle du milieu ont leur importance. Par exemple, la silice se dissout mieux dans un milieu alcalin (basique), mais les carbonates sont plus solubles en milieu acide. Ainsi, selon l’acidité du milieu, les fossiles fixeront soit du calcaire soit de la silice. • Attention : il peut arriver aussi que la fossilisation se fasse par recristallisation des minéraux déjà existants. En fonction du pH et de leur nature, la solubilité des ions varie beaucoup. Cos69_p26-31_Fossilisation 6/02/06 10:45 Page 29 Zoom au niveau des atomes Voici les représentations schématiques des mailles cristallines de quelques cristaux courants. calcite CaCO3 pyrite FeS2 S aragonite CaCO3 (seul l’arrangement géométrique est modifié) quartz SiO2 ion silicate SiO42- Quand la silice s’invite… Ce tronc d’arbre pétrifié a conservé par endroits la trace des cernes de croissance qui permettent aux paléontologues de connaître son âge à sa mort. Surface de diatomite vue au microscope électronique. Des squelettes siliceux sont aisément visibles grâce aux fausses couleurs de l’image. Et la pyrite alors ? Dans certains cas, la putréfaction de la matière organique par des bactéries particulières peut conduire à la précipitation de sulfures de fer appelés pyrite. Les structures sont alors conservées sans trop de détails. Ammonite pyriteuse de l’Aveyron. © Gui cha r d Les coquilles calcaires ne sont pas constituées de tissus de cellules vivantes mais d’une “pâte” calcaire en fines couches déposées par la croissance de l’animal. Ces coquilles se retrouvent souvent transformées en silice par la fossilisation. La conservation de la forme externe de la coquille peut être très fidèle (on le pense grâce aux formes actuelles des coquillages). Pourtant, les couches de croissance ont disparu : la silice cristallise uniformément ! Il existe pourtant des cas où la silice conserve la trace de cellules. Les diatomées sont des algues faites d’une seule cellule, qui contiennent un squelette en silice très esthétique. Dans certaines conditions, ces squelettes s’agglomèrent en formant une roche, la diatomite, où les squelettes, pas complètement dissous ni transformés sont repérables. © Gschmeissner/Science Photo Library © Hinsch/Science Photo Library La grande finesse de nombreux fossiles d’arbres a longtemps fait croire qu’ils avaient été soumis à un remplacement molécule à molécule de leur matière organique par de la silice. Or c’est impossible ! Les tétraèdres des molécules de silice ne correspondent pas à la forme des molécules organiques qu’elles ont remplacées. Certes, la structure globale est bien conservée et l’on voit clairement les cernes annuels de croissance de l’arbre, mais l’on a peu de chances de repérer le contour d’une cellule ! © Guichard Fe À l’origine calcaires, ces coquilles d’huîtres (gryphées) ont été transformées en silice lors de leur fossilisation. 29 Cos69_p26-31_Fossilisation 6/02/06 10:45 Page 30 Coupe d’ammonite où l’on observe le remplissage des loges initialement remplies du corps de l’animal par de la calcite venant des boues sédimentaires. Beaucoup des fossiles pourtant sont en calcaire. Ils correspondent à des coquilles originellement faites de calcaire elles aussi, comme chez les bivalves (tels l’huître) ou des gastéropodes (comme l’escargot). Ces dernières sont composées de carbonate de calcium qui peut prendre deux formes différentes : la calcite qui est la forme stable du carbonate de calcium ou l’aragonite, très fréquente dans les coquilles d’animaux actuels. Au cours de l’épigenèse, l’aragonite est souvent remplacée par la calcite. Du fait que ces deux minéraux ont une cristallisation différente, cette fossilisation détruit les microstructures comme précédemment. De plus, la calcite ne se contente pas de remplacer le matériau précédent là où il existait ! Voyageant dissoute dans l’eau circulant dans le sol, elle cristallise en particulier dans les espaces libres, comme les chambres ou loges des céphalopodes telles les ammonites fossiles. Pourquoi reste-t-il parfois de la nacre ? La nacre qui est formée de fines lamelles d’aragonite chez les nautiles actuels est rarement conservée à l’état fossile. Il n’existe que quelques gisements au monde où les conditions chimiques de fossilisation ont permis la conservation de la nacre. © Wiersma/Science Photo Library ©G uic ha rd Quand le calcaire recristallise Les os concentrent le calcium Les os contiennent des molécules organiques ainsi qu’un minéral, l’apatite, une forme de phosphate de calcium. À la mort d’un animal, ses os, tout comme le reste du corps sont envahis de bactéries. • Les cristaux d’apatite élaborés par l’organisme avant sa mort ne sont pas conservés, n’étant pas assez stables dans ces nouvelles conditions. Ils sont dissous par les eaux de circulation et recristallisent sous une forme plus stable. • Toutes les molécules organiques sont petit à petit décomposées avant d’être remplacées par des matières minérales. Des ions magné- Du prisme au rhomboèdre Le carbonate de calcium peut prendre deux formes cristallines différentes (cf. page précédente) : l’aragonite (prisme) et la calcite (rhomboèdre). sium viennent remplacer les ions calcium tandis que les ions carbonates ou silicates remplacent les phosphates. Ces nouveaux minéraux prennent la place vacante laissée par la perte des matières organiques et minérales. Les bactéries peuvent elles aussi être minéralisées, et fossilisées sous forme de sidérite (un minéral qui contient du fer). Ce processus détruit la microstructure des tissus, mais préserve l’apparence externe. Si le milieu est oxydant, on peut trouver des traces brunes ou noires à la surface des fossiles, qui correspondent à des oxydes de fer et de manganèse. Quand la matière organique se fossilise © Guichard 30 Spécimens d’ammonites nacrées. La matière organique enfouie brutalement sous les sédiments est protégée de l’oxydation et peut donner les fossiles carbonés : les charbons. On y trouve préservées, des empreintes d’insectes, le détail des cuticules de certaines plantes, de leurs feuilles ou encore des graines. Nous avons vu que cette fossilisation des parties molles était plutôt exceptionnelle. Quelle est donc sa particularité ? Dès son dépôt, la matière organique de la plante subit l’action de bactéries. Les protéi- 6/02/06 10:45 Page 31 © Geirnaert Ci-dessus. Un insecte emprisonné dans une goutte d’ambre. Ci-contre. La houille fossilifère est riche en empreintes de fougères. nes des tissus végétaux évoluent en un gel qui prend en masse, devenant un solide sombre : le kérogène. Cette étape s’accompagne d’un dégagement de méthane. L’enfoncement et le poids des sédiments provoquent une augmentation de la pression et de la température : il y a perte d’eau et de dioxyde de carbone. Désormais à une profondeur de 1,5 voire 4 km, les molécules complexes du kérogène sont transformées en hydrocarbures (gaz ou pétrole). Seul subsiste un résidu carboné : la houille, qui garde la trace des fibres ligneuses et cuticules, moins sensibles aux dégradations. Depuis plus d’un siècle, des scientifiques ont pu retrouver les traces de cette préservation de la matière organique. Mais plus étonnant encore, des fragments d’ADN ont été mis en évidence dans le corps d’insectes fossiles embaumés naturellement dans l’ambre depuis 120 millions d’années. Cet ADN très dégradé n’est plus fonctionnel, pourtant cela n’a pas empêché des esprits à l’imagination fertile, de penser possible de ressusciter des animaux disparus, comme les dinosaures du film “Jurassic Park”. Fossiles et caprices de la nature Les Alpes ou la Bretagne sont des réservoirs de ces trésors pétrifiés que sont les fossiles. Mais leur apparence peut parfois surprendre. Tous n’ont pas pu éviter les fractures, les mouvements du sol, et ressortent de terre compressés ou étirés, voire en biais comme de nombreux trilobites, ou encore pliés à angle droit ! Les fossiles ne sont donc qu'une “image” des animaux vivants. À l’aide de procédés chimiques et physiques, la nature en joue pour nous en donner une représentation plus ou moins fidèle. Au paléontologue ou à l'amateur, de faire preuve de réflexion pour retrouver la véritable figure de l'animal ou du végétal. Comme indice, il observe les roches alentour : plissées, en feuillets, recristallisées… Elles font présager les contraintes que l’endroit a subi. Ce modeste exemple montre que la paléontologie, comme toutes les autres sciences, ne peut progresser seule. Les connaissances des géochimistes, minéralogistes, tectoniciens et autres géologues lui sont essentielles. Florence Guichard © Stammers/Science Photo Library © Wiersma/Science Photo Library Cos69_p26-31_Fossilisation Ces fossiles, tordus, oxydés et dégradés, mettent en évidence que la fossilisation n’est que la fabrication d’une image correspondant plus ou moins à un organisme disparu. 31