Le terrorisme international et l`Europe
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Le terrorisme international et l`Europe
Cahiers de Chaillot Décembre 2002 n° 56 Le terrorisme international et l’Europe Thérèse Delpech En janvier 2002, l’Institut d’Études de Sécurité (IES) est devenu une agence autonome de l’Union européenne, basée à Paris. Suite à l’Action commune du 20 juillet 2001, il fait maintenant partie intégrante des nouvelles structures créées pour soutenir le développement de la PESC/PESD. L’Institut a pour principale mission de fournir des analyses et des recommandations utiles à l’élaboration de la politique européenne. Il joue ainsi un rôle d’interface entre les experts et les décideurs à tous les niveaux. L’IESUE succède à l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, auquel une décision du Conseil de l’UEO avait donné naissance en 1990 afin de catalyser le débat européen en matière de sécurité. Les Cahiers de Chaillot sont des monographies traitant de questions d’actualité et écrites soit par des membres de l’équipe de l’Institut soit par des auteurs extérieurs commissionnés par l’Institut. Les projets sont normalement examinés par un séminaire ou un groupe d’experts réuni par l’Institut et sont publiés lorsque celui-ci estime qu’ils peuvent faire autorité et contribuer au débat sur la PESC/PESD. En règle générale, la responsabilité des opinions exprimées dans ces publications incombe aux auteurs concernés. Les Cahiers de Chaillot peuvent également être consultés sur le site Internet de l’Institut : www.iss-eu.org Cahiers de Chaillot Décembre 2002 n° 56 Version originale Une traduction anglaise est également disponible Le terrorisme international et l’Europe Thérèse Delpech Institut d’Etudes de Sécurité Union européenne Paris L’auteur Thérèse Delpech est directeur de la Prospective au Commissariat à l’Energie atomique (CEA), commissaire à l’UNMOVIC (commission chargée du désarmement de l’Irak auprès des Nations unies) et chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI, FNSP). Elle a également occupé la fonction de conseiller technique pour les affaires politico-militaires au cabinet du Premier ministre (1996-1997). Thérèse Delpech a publié L’Héritage nucléaire (Complexe, 1997), La guerre parfaite (Flammarion, 1998) et Politique du Chaos (Le Seuil, 2002), ainsi que de nombreux articles, notamment dans Politique étrangère, Commentaire, Politique internationale, Survival, sur des questions stratégiques et de défense. Institut d’Etudes de Sécurité Union européenne Paris Directeur : Nicole Gnesotto © Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, 2002. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. ISSN 1017-7574 Publié par l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, imprimé à Alençon (France) par l’Imprimerie Alençonnaise, conception graphique : Claire Mabille (Paris). Sommaire 1 2 n° 56 décembre 2002 Préface Nicole Gnesotto 4 Introduction 7 L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre • L’état des menaces et les réponses • Le terrorisme NRBC • Les relations euro-américaines 13 Les débats d’avenir • Terrorisme et démocratie • La seconde phase de la guerre et la question de l’Irak • Un allié qui s’éloigne • Le rapprochement avec la Russie • Les étrangers proches • Le rôle de l’Union 35 Conclusion : Dix leçons du 11 septembre 51 Annexes • Sigles • Attentats ou tentatives d’attentats sur le sol européen ou contre des intérêts européens à l’étranger 56 13 25 31 35 37 39 42 44 47 56 57 Nicole Gnesotto Préface epuis le 11 septembre 2001, un spectre hante le monde : le terrorisme international a en effet surgi dans le ciel serein de nos démocraties comme une force aveugle et meurtrière, à la fois produit direct et ennemi implacable de la mondialisation. Après les attentats de New York et Washington, l'année 2002 a vu se succéder une série d'attaques sanglantes contre des cibles à Djerba, Bali, au Yémen, au Koweit, aux Philippines, alors que les alertes se multiplient sur tous les continents, que la prolifération des armes de destruction massive reste largement hors contrôle, et que l'ombre d'Al-Qaida continue de planer sur l'une et l'autre de ces menaces. Au-delà de l'urgence de protéger des populations civiles désormais en première ligne, le terrorisme confronte les démocraties à une double difficulté. Sur le plan stratégique d'une part, les règles du jeu traditionnel ne fonctionnent plus. Face à une menace par nature anonyme, non étatique et imprévisible, il est presque impossible de construire un système de défense sur la prévision et l'anticipation des politiques de l'adversaire d'une part, la discussion et la négociation de l'autre, la dissuasion ou la menace de coercition enfin - triade qui, à l'inverse, fonctionne normalement dans des situations de conflits inter-étatiques classiques. Sur le plan psychologique d'autre part, le terrorisme international tend à nourrir des réactions extrêmes, de déni ou d'hyperbole : d'un côté un certain scepticisme quant à la réalité ou l'imminence de ces menaces, par définition théoriques jusqu'au passage à l'acte ; de l'autre, au contraire, une propension à ériger le terrorisme en grille de lecture unique de la complexité du monde, justifiant bien des amalgames et des entorses aux principes fondamentaux des démocraties ellesmêmes. Les dissonances transatlantiques - sur le degré de militarisation des stratégies anti-terroristes, sur la gestion de l'Irak, sur l'écart entre terrorisme et droit des peuples à l'autodétermination - sont directement issues de ces nouveaux défis. L'Amérique a en effet pris le leadership de la lutte anti-terroriste, souvent avec courage et clairvoyance, parfois avec excès et simplification, mais toujours en érigeant désormais le terrorisme au rang de priorité absolue de sa politique extérieure. Les Européens en revanche ont souvent marqué leurs différences, tant dans l'analyse du phénomène que dans le choix des stratégies de riposte. Pour quelles raisons ? Qu'en est-il de la menace terroriste sur le continent ? Théâtres ? Cibles ? Bases logistiques ? Enjeux ? Maillons faibles ? Les pays européens se distinguent-ils des Etats-Unis dans D 4 Préface la liste des cibles potentielles des réseaux terroristes ? Nulle autre que Thérèse Delpech, Directeur de la stratégie au Commissariat à l'Energie atomique et l'un des meilleurs experts européens des questions de prolifération, ne pouvait tenter de répondre à ces questions. A partir de sources ouvertes, ce Cahier de Chaillot dresse un bilan le plus complet possible de l'état des menaces et des défis qui concernent directement l'Europe. Certes, s'agissant de menaces par définition anonymes et imprévisibles, la juste appréciation du risque reste soumise à débat. Demeure seulement la certitude que cette nouvelle donne internationale impose aux dirigeants européens des responsabilités et des choix politiques très différents de ce que l'irénisme de l'aprèsguerre froide avait pu laisser espérer. Paris, novembre 2002 5 Le terrorisme international et l’Europe « Nous avons adressé quelques messages aux alliés de l’Amérique pour qu’ils cessent leur implication dans la croisade américaine . . . notamment un message à l’Allemagne et un autre à la France. Mais si ces choses ne sont pas suffisantes, nous sommes prêts à les augmenter » Ayman al Zawahiri, 8 octobre 2002 « Nous devons nous préparer à une nouvelle attaque, une attaque de bien plus grande ampleur. La menace est considérable, aussi en Allemagne » August Hanning, directeur BND, 5 novembre 2002 « Nous ne pouvons savoir quand, où et comment les terroristes frapperont, mais nous avons la certitude qu'ils essaieront...Ce nouveau type de terroristes recherche des effets de plus en plus dramatiques et dévastateurs » David Blunkett, ministre britannique de l'Intérieur, 7 novembre 2002 « Ben Laden menace l'Italie » (« Bin Laden minaccia l'Italia ») La Repubblica, 13 novembre 2002) 66 6 Le terrorisme international et l’Europe Introduction Une émotion forte mais passagère 1. Cette notion a été si souvent commentée après le 11 septembre 2001 qu’il faut en préciser le sens : il s’agit à la fois d’une déclaration de guerre de la part d’un réseau terroriste transnational doté d’une organisation remarquable, et de la reconnaissance aux Nations unies, pour la première fois dans l’Histoire, qu’une attaque terroriste justifiait une intervention armée. C’est le même raisonnement qui a conduit l’OTAN à invoquer pour la première fois depuis sa création la clause de défense collective du Traité de l’Atlantique nord. Les événements du 11 septembre 2001 ont ému toute l’Europe, mais n’ont jamais été compris par les Européens pour ce qu’ils étaient en fait : un retour de la guerre1 au sein des sociétés les plus développées. L’émotion a donc assez vite fait place au sentiment qu’il s’agissait là d’un événement isolé, ou du moins qui ne se reproduirait pas à cette échelle. L’entrée des Américains et de leurs alliés afghans à Kaboul un peu plus d’un mois après le début des frappes a conforté ce sentiment2. Même si les opérations militaires en Afghanistan étaient alors loin d’être terminées avec l’entrée dans la capitale, les Européens, plus encore que les Américains, qui devaient encore faire face à cette date à une attaque biologique, ont commencé à relâcher leur attention dès ce moment. La raison en est d’abord que le 11 septembre, même s’il a souvent été perçu comme une attaque contre le monde occidental dans son ensemble, n’avait pas eu lieu en Europe. C’est aussi le refus, très répandu en Europe, d’accepter l’idée que le territoire européen puisse à nouveau avoir à faire face à de sérieuses menaces au XXIe siècle, en raison de l’histoire mouvementée du siècle précédent. C’est enfin le souci des dirigeants européens de ne pas « effrayer » les populations et de ne pas durcir les relations avec les minorités musulmanes résidant en Europe3. 2. Les opérations militaires contre les Taliban ont commencé le 7 octobre 2001 et l’entrée dans Kaboul a eu lieu, à la surprise de la plupart des observateurs, dès le 13 novembre. A l’automne 2002, la rapide victoire militaire de la première phase de la guerre apparaît plus fragile. Le leadership d’AlQaida semble avoir largement échappé aux frappes, lors de la bataille de Tora Bora en décembre 2001. Les regroupements du réseau terroriste sur les territoires situés à la frontière afghano-pakistanaise font l’objet de rapports concordants. Et le gouvernement d’Hamid Karzai est menacé tant par les seigneurs de la guerre auxquels les Etats-Unis ont laissé beaucoup de champ que par des luttes internes. 3. Ce souci a permis d’éviter un débat sur les nouveaux paramètres de la sécurité. Il eût été aisé de s’appuyer sur la vague de sympathie de l’automne 2001 et sur les nombreuses interrogations soulevées par les événements pour amener les Européens à poser les questions de sécurité sous un angle nouveau, en refusant la distinction traditionnelle entre l’inté- La persistance d’un terrorisme plus traditionnel en Europe En mars 2002, quelques mois après l’action terroriste la plus spectaculaire de l’Histoire, l’Europe assistait au retour inattendu d’un phénomène plus classique. L’assassinat d’un conseiller du ministre italien du travail, Marco Biagi, était revendiqué par les « Brigades rouges », que beaucoup croyaient disparues depuis le milieu des 7 Le terrorisme international et l’Europe années 1970. Cet assassinat, le deuxième commis par l’organisation dans les dernières années, révélait l’existence d’une nouvelle génération de terroristes « classiques », qui utilisaient le sigle et le prestige de leurs aînés4, toujours en prison mais peut-être capables de communiquer avec l’extérieur et de planifier des attentats. Cette génération ne comprend aujourd’hui que quelques dizaines de membres, mais la police et la justice italiennes craignent une extension du mouvement. Les documents qu’ils produisent n’ont pas évolué depuis vingt-cinq ans : il y est toujours question, dans un langage aussi confus qu’au milieu des années 1970, de faillite du capitalisme et de lutte à mort contre les Etats-Unis. Les méthodes sont aussi toujours celles de l’assassinat individuel – comme celui de Marco Biagi le 19 mars 20025 – ou de l’attentat à la bombe – comme ce fut le cas le 10 avril 2001 contre l’Istituto Affari Internazionali de Rome. Le seul changement significatif est de nature technique : les membres de ce réseau sont plus difficiles à identifier en raison des nouveaux moyens de communication6. La crainte d’un retour du terrorisme « domestique » à l’heure du terrorisme international était dans tous les esprits en Italie en mars 2002. Cette forme de terrorisme est bien connue de nombreux pays européens, qu’il s’agisse de l’Espagne (terrorisme basque7 ou terrorisme « gauchiste » du GRAPO8, de la France (terrorisme corse), de la Grèce (mouvement du 17 novembre), ou du Royaume-Uni (terrorisme irlandais)9. rieur et l’extérieur, entre les forces de projection et la défense du territoire, ou entre les opérations militaires extérieures et la défense civile. Mais il eût fallu un peu d’audace, et elle a fait défaut, même dans les deux pays européens qui connaissaient des échéances électorales (la France et l’Allemagne) et qui avaient la possibilité de faire un bilan à cette occasion. Il faudra sans doute attendre à présent qu’une catastrophe se produise sur le sol européen pour que le débat ait lieu. 4. Les premières Brigades rouges, constituées au début des années 1970, perpétrèrent un grand nombre d’attentats à la bombe et d’assassinats, dont le plus célèbre est celui de l’ex-premier ministre Aldo Moro en 1978. Ce furent les « anni di piombo », les années de plomb. 5. L’assassinat de Marco Biagi, un professeur de droit de Bologne, a été perpétré par deux motocyclistes. En 1999, les Brigades rouges avaient aussi revendiqué l’assassinat de Massimo d’Antona, autre conseiller du ministre du travail, qui travaillait, comme Marco Biagi, à une réforme du droit du travail. L’arme du crime serait la même dans les deux cas. 6. Les terroristes utilisent de plus en plus Internet et les logiciels de cryptologie disponibles. Pour les décoder et en prendre connaissance, il faudrait y consacrer des sommes souvent considérables. La génération terroriste internationaliste est connue en Europe depuis le milieu des années 1990 7. L’ETA, organisation séparatiste basque espagnole, passe pour la plus violente d’Europe. L’ETA est aussi présente sur le territoire français et achète souvent à Paris ses armes et le matériel pour la confection de ses bombes. Selon le procureur Irène Stoller, chef de la 14e section antiterroriste du parquet de Paris, « la société française continue à ne pas être très informée de la réalité du terrorisme basque », qui ne menace pas seulement l’Espagne : « Le grand débat est de savoir si ETA frappera ou non en territoire français ». Les experts européens chargés de la lutte antiterroriste10 reconnaissent aujourd’hui qu’ils ont identifié depuis une dizaine d’années une génération « internationale », sans base territoriale précise, qui partait recevoir des entraînements dans les camps afghans avant de revenir s’établir en Europe pour y préparer des attentats. Ces « terroristes errants », qui forment des groupes instables, très difficiles à surveiller pour cette raison, subsistent grâce à des activités illicites de toute nature – le trafic de cartes bancaires par exemple – et leur indépendance financière les rend encore moins aisément identifiables. A l’origine de cette génération, on trouve souvent des éléments d’origine algérienne. L’interruption du processus électoral dans ce pays en janvier 199211 et l’interdic- 8. Groupe de Résistance antifasciste du 1er octobre. 9. Une des questions auxquelles l’Europe devra répondre est d’ailleurs le lien futur possible de mouvements nationaux tradition- 8 Introduction tion du FIS (Front islamique du Salut), dont les pays européens (et la France en particulier) passent pour complices aux yeux des islamistes12, expliquent en effet la présence en Europe des premiers éléments qui formeront progressivement la génération terroriste récente avec le noyau le plus dur. Ces organisations, qui ont d’abord installé en Europe (principalement en France, mais aussi en Italie, en Allemagne et en Belgique) des bases logistiques pour alimenter les maquis en Algérie, ont ensuite été presque entièrement contrôlées par le GIA (Groupe islamique armé)13, responsable des attentats terroristes de 1995 en France14. A partir de 1996, les éléments radicaux du GIA et du Djihad islamique ont quitté leurs organisations d’origine pour rejoindre une mouvance islamiste internationale encore informe mais qui présentait déjà les caractéristiques de réseaux semblables à celui d’Al-Qaida. nels avec les nouvelles formes de terrorisme « déterritorialisé ». 10. La lutte antiterroriste est organisée en France depuis 1996 de façon centralisée, qu’il s’agisse du terrorisme interne ou externe, avec une cellule antiterroriste composée de quatre magistrats qui ont des pouvoirs considérables (pouvoirs d’enquête et judiciaire, perquisitions, saisies, écoutes, etc.). 11. Le chef du GIA (Groupe islamique armé) Antar Zouabri a été abattu le 8 février 2002 lors d’un affrontement à Boufarik. Sa tête était mise à prix en Algérie pour 64 000 euros. Les GIA ont perdu de leur influence, mais en février leurs attentats ont encore fait des dizaines de victimes. De nouveaux attentats ont eu lieu depuis la suppression de Zaoubri. Reste également le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) d’Hassan Hattab, très actif dans l’ouest et le centre de l’Algérie. Une précieuse expérience européenne 12. Voir David Ignatius, « Qaida Agents in the West Wait Quietly for Orders », International Herald Tribune, 19 novembre 2001 : « La DST a une expérience peu commune du terrorisme car la France a durant des dizaines d’années été confrontée à des attaques de divers groupes arabes, algériens notamment. Dans cette longue lutte contre le terrorisme, elle a étroitement collaboré avec les services de renseignement à la fois israéliens et arabes. Après son arrivée à la tête de la DST en 1997, M. Pascal a remarqué des Algériens rejoignaient régulièrement les camps d’entraînement de ben Laden en Afghanistan, un mouvement qu’il a appelé « néo-afghan ». En 1998, la DST a publié un premier rapport sur cette menace néo-afghane. Grâce à l’étude de ces déplacements et des réseaux, la DST a pu déjouer certains plans d’AlQaida ». Les Européens ont ainsi acquis de nombreuses connaissances dans la lutte contre le terrorisme international et, partant, des possibilités de coopération multiples avec les Américains dans le domaine du renseignement et de la justice. Après le 11 septembre, ces coopérations, souvent discrètes, se sont révélées beaucoup plus équilibrées que celles qui ont eu lieu entre les deux rives de l’Atlantique dans le domaine militaire. Certes, la capacité de prévision des événements tragiques qui se sont déroulés à New York et à Washington a été aussi faible en Europe qu’aux Etats-Unis, mais de précieuses connaissances ont pu être partagées après coup sur la nature des réseaux, leurs moyens de communication et leurs méthodes d’action. Ces échanges avaient d’ailleurs déjà commencé avant le 11 septembre. L’exemple le plus connu est celui de l’arrestation en 1999 à la frontière canadienne d’un ressortissant algérien, Ahmed Rezam15, en possession de puissants explosifs destinés à Los Angeles au moment des fêtes du millénaire. Les services français avaient sur cet individu des données précises depuis plusieurs années et ils ont indiqué qu’il s’agissait là de leur premier contact direct avec le réseau Al-Qaida16. Ils ont alors fourni aux Etats-Unis des documents qui témoignaient du caractère non pas individuel de l’épisode mais plutôt de l’ampleur de la menace. Ces mêmes services ont communiqué au FBI des informations sur Zacarias Moussaoui, ressortissant français qui sera arrêté en août 2001 aux Etats- 13. Un mouvement « salafiste », groupe fondamentaliste basé en Algérie, qui donnera naissance au GSPC. 14. En décembre 1994, un Airbus au départ d’Alger devait être détourné sur Paris et précipité sur la Tour Eiffel avec une tactique suicidaire comparable à celle qui a été utilisée le 11 septembre, même si les réseaux qui ont préparé les 9 Le terrorisme international et l’Europe deux attentats ne sont pas les mêmes. L’avion a été maîtrisé à Marseille par les forces spéciales françaises du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale). Unis17. Enfin, les Européens connaissaient également depuis plusieurs années l’intérêt des terroristes pour les armes de destruction massive, surtout chimiques et biologiques, et l’existence de camps spécialisés en Afghanistan dans ce domaine, notamment sur le site de Derunta18. Des informations sur l’entraînement donné en Afghanistan et des CD-Rom contenant des recettes pour produire ce type d’armes avaient été saisis sur le sol européen dans la deuxième moitié des années 199019. 15. Ahmed Rezam a été condamné aux Etats-Unis à 140 ans de prison pour conspiration. 16. En fait, la dénomination date de 1988 et le réseau était déjà responsable du premier attentat contre le World Trade Center en 1993. Sa responsabilité dans les attentats de Riyad (novembre 1995) et de Dhahran (juin 1996) en Arabie saoudite est aussi souvent évoquée. En outre, Al-Qaida aurait organisé le projet d’attentat contre le président Moubarak en Ethiopie en juin 1995. La réponse des Etats-Unis aux Européens Une des erreurs les plus évidentes de Washington dans la gestion diplomatique de l’après-11 septembre a été l’incapacité d’utiliser ou de maintenir le capital de sympathie qui est apparu en Europe après les attentats. Les offres européennes – notamment dans le domaine militaire – n’étaient peut-être pas à la hauteur des événements, mais elles auraient pu faire l’objet de plus de considération pour cimenter la coalition. Les connaissances des Européens dans le domaine du terrorisme auraient pu être mises en valeur. Le discours sur l’état de l’Union aurait pu comporter un mot sur les Alliés. Enfin, tout simplement, il n’était pas nécessaire d’attendre le 11 mars 2002 pour les remercier publiquement20. Des différends plus graves que des blessures d’amour-propre compliquèrent aussi rapidement la relation transatlantique après le 11 septembre. Tout d’abord, l’incapacité d’avancer vers un règlement du conflit israélopalestinien a donné lieu à une pernicieuse incompréhension de part et d’autre de l’Atlantique. Ensuite, alors que le sentiment avait d’abord prévalu, en Europe comme dans le reste du monde, que ces attaques, suivies de résolutions de soutien adoptées à l’unanimité tant à l’Assemblée générale des Nations unies qu’au Conseil de sécurité, ouvraient une nouvelle ère pour la coopération internationale et les alliances, il a vite fallu se rendre à l’évidence21. Elles ont très largement eu l’effet inverse en renforçant, après la rapide victoire de la première phase des hostilités, le sentiment – déjà présent aux Etats-Unis avant les attaques – qu’il fallait garantir à tout prix la liberté d’action et la souveraineté américaines. La faible participation européenne aux actions militaires a en outre convaincu l’Amérique qu’elle était seule capable et seule décidée (« able and willing ») à mener cette guerre longue et difficile contre le réseau AlQaida. Les Américains ont d’ailleurs fourni une preuve éclatante de 17. En particulier, la France a indiqué aux Etats-Unis que cet individu avait effectué plusieurs voyages en Afghanistan à la fin des années 1990 pour suivre des cours d’entraînement terroriste dans des camps et qu’il avait rencontré des personnalités d’Al-Qaida à Jalalabad et à Kandahar. 18. Ce site a été lourdement bombardé en octobre 2001, et figure sur l’abondant matériel vidéo saisi en Afghanistan et diffusé en août 2002 par CNN. 19. Parmi les motifs de frustration des Européens à l’égard de Washington, il y a certainement le fait que la coopération en matière de renseignement se fait presque exclusivement à sens unique en matière de terrorisme. 20. Il s’agit du discours du président Bush six mois après les attentats. Les Britanniques n’ont pas eu droit à un traitement de faveur. C’est à peine s’ils ont été remerciés pour les opérations particulièrement dangereuses auxquelles ils ont participé en décembre 2001 dans les montagnes de Tora Bora et en mars 2002 lors de l’opération Anaconda. Quant aux avions et aux navires français ou aux forces spéciales allemandes, il n’en a pratiquement pas été question dans la presse américaine. Le Pentagone a publié un bulletin d’information sur la contribution des Alliés à la guerre contre le terrorisme, avec des mises à jour régulières (Coalition Partners’ Contributions in War against Terrorism, Department of Defense, Office of 10 Introduction leur capacité à intervenir seuls, avec des alliés locaux22, et de leur volonté d’adapter désormais les alliances aux missions. Est-ce à dire que l’Amérique n’a plus d’allié privilégié ou permanent, mais seulement des alliés « de circonstance » ? Dans ces conditions, que devient l’Alliance atlantique ? Même les observateurs français, qui sont rarement des défenseurs de l’OTAN, ont commencé à poser la question. Et des commentateurs comme Anatol Lieven n’hésitent déjà plus à parler d’une OTAN « à moitié morte »23, même si d’autres voix, comme celle de Joseph Nye, expliquent que l’OTAN a traversé d’autres périodes difficiles après la fin de la guerre froide et qu’elle surmontera la crise actuelle, en développant de nouvelles capacités, en intégrant de nouveaux membres, et en entretenant de nouvelles relations avec la Russie24. Public Affairs), mais les journalistes américains n’ont pas repris les nombreux renseignements qu’il contenait. 21. Robert Kagan, dans l’article de Policy Review « Power and Weakness » qui a fait l’objet de nombreux commentaires au printemps 2002, conclut un peu vite que les Européens sont attachés aux traités et au multilatéralisme parce qu’ils n’ont pas de puissance militaire, sans même prendre la peine de remarquer que l’Union européenne disparaîtrait si elle ne consentait pas quotidiennement à des abandons de souveraineté et à des consultations multilatérales. 22. L’opération Enduring Freedom a débuté le 7 octobre par une campagne de bombardement dirigée depuis le Central Command américain à Tampa. Les Britanniques étaient les seuls Européens présents dès le premier jour. La contribution de l’OTAN (avions AWACS) n’était pas sur le théâtre d’opérations. Il apparaît aujourd’hui qu’une confiance excessive dans les chefs de guerre locaux a compromis l’opération centrale de Tora Bora ainsi que le retour à la stabilité en Afghanistan après la constitution du gouvernement autour d’Hamid Karzai. L’effet conjugué de la guerre contre le terrorisme, de l’élargissement de l’OTAN et de la priorité asiatique des Etats-Unis pour la sécurité européenne Tandis que la guerre contre le terrorisme accentue la militarisation de l’Amérique, l’élargissement de l’OTAN contribuera à réduire la dimension militaire de l’Alliance, déjà affectée par l’incapacité des Européens à tenir les objectifs de modernisation militaire et par la campagne en Afghanistan qui a été réalisée sans elle. Les nouvelles relations OTAN/Russie, qui jouent un rôle croissant dans la stratégie de l’Alliance, ne peuvent elles-mêmes s’épanouir qu’au sein d’une institution plus politique que militaire25. Cet affaiblissement militaire de l’OTAN risque de renforcer la tendance déjà forte de l’administration américaine actuelle à l’unilatéralisme. Mais peut-être y a-t-il plus grave encore dans le malaise euro-américain. Pendant dix ans, les Balkans ont maintenu l’illusion que la sécurité de l’Europe avait encore de l’importance pour les Etats-Unis. Cette illusion a volé en éclats le 11 septembre et lors de la guerre qui s’en est suivie en Afghanistan. Le théâtre d’opérations américain est désormais en Asie, une partie du monde dont l’Europe continue d’ignorer l’importance stratégique croissante. C’est de là pourtant que viennent déjà – et que viendront de plus en plus – les principales menaces auxquelles la sécurité internationale sera confrontée en ce siècle. L’Europe, comme l’Amérique, devra donc contribuer à prévenir les crises dans cette immense région, qui s’étend du Moyen- 23. Anatol Lieven, « The end of NATO », Prospect, décembre 2001. Ce sur quoi tous les observateurs s’accordent, c’est l’impossibilité pour l’OTAN de ne pas se transformer. Le processus d’adaptation engagé en 1990 connaît une nouvelle étape potentiellement décisive, comme on le verra au sommet de Prague en novembre 2002. 24. Voir Joseph Nye, « NATO remains necessary », International Herald Tribune, 16 mai 2002. 25. Depuis la signature de l’accord OTAN/Russie à Rome en mai 2002, qui a considérablement étendu la capacité de Moscou de participer aux consultations et aux processus de décision de l’OTAN hors article 5, la coopération militaire a plutôt régressé. C’est le cas en particulier dans les Balkans, où la participation russe à la SFOR et à la KFOR a été réduite à 700 hommes. 11 Le terrorisme international et l’Europe Orient au Japon, les maintenir au plus bas niveau possible si la prévention échoue et les empêcher de dégénérer en conflits. Enfin, si par malheur ces conflits éclataient malgré tout, il faudrait prévenir l’escalade et l’usage d’armes de destruction massive. La préparation des capitales européennes à ces défis majeurs, y compris au MoyenOrient, est encore très insuffisante, comme le montre la désunion des capitales européennes sur la question de l’Irak. Les critiques d’une opération militaire contre Bagdad, souvent fondées, sont parfois à juste titre interprétées comme un refus pur et simple de tout emploi de la force par les Européens. La plupart des capitales européennes ne semblent pas comprendre que seule une pression forte, concertée et constante permettra de convaincre Saddam Hussein de renoncer à ses programmes d’armes de destruction massive. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire d’être un grand expert des Etats-Unis pour savoir que la capacité d’influence des capitales européennes en l’absence d’une stratégie commune est à peu près nulle. Y a-t-il donc une pensée stratégique européenne autre que réactive ? On peut en douter. 12 Le terrorisme international et l’Europe L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre 1 L’état des menaces et les réponses 26. « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique nord. Toute attaque armée de cette nature et toutes mesures prises en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales ». La solidarité Dès le 21 septembre, le Conseil européen s’est déclaré « entièrement solidaire » des Etats-Unis, lors d’une session extraordinaire destinée à analyser la situation internationale qui a résulté des attentats. Le sentiment d’une menace commune l’emporte alors : « Ces attentats constituent une attaque contre nos sociétés ouvertes, démocratiques, tolérantes et multiculturelles ». A cette date, la référence à l’article 5 du Traité de Washington est encore subordonnée à la condition que les attaques proviennent de l’extérieur, en accord avec la déclaration du Conseil de l’OTAN du 12 septembre : « Le Conseil a décidé que, s’il est établi que cette attaque était dirigée depuis l’étranger contre les Etats-Unis, elle sera assimilée à une action relevant de l’article 5 du Traité de Washington », qui stipule qu’une attaque armée contre l’un ou plusieurs des pays alliés, en Europe ou en Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque dirigée contre tous les alliés26. Mais cette condition est vite remplie et tous les pays européens membres de l’OTAN reconnaissent l’application de l’article qui vise la sécurité collective27. Dans ce cas, le traité prévoit que chaque pays entreprend individuellement l’action jugée nécessaire, ce qui a permis d’éviter une action collective qui n’était guère souhaitée par les Etats-Unis28 et pour laquelle l’OTAN était en tout état de cause peu préparée29. Pendant la guerre froide, la solidarité de l’OTAN a toujours été supposée suffisante pour que l’URSS n’entreprenne pas d’attaquer l’Europe, mais elle n’avait jamais été mise à l’épreuve. Qu’elle le soit dans ce contexte est pour le moins surprenant. C’est en effet une bien curieuse application de la clause de défense collective, à laquelle aucun des signataires n’aurait pu songer au moment de la signature du traité créant l’Alliance atlantique. La solidarité atlantique a dépassé le cercle des membres actuels de l’Alliance : parallèlement à 27. Cette reconnaissance s’est traduite par la mise à disposition d’avions AWACS de l’OTAN pour surveiller le territoire américain avec des équipes européennes. 28. Lors de sa venue à Bruxelles le 26 septembre, Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la défense, déclarait que Washington n’avait pas prévu « une action collective de l’OTAN » en rétorsion des attentats. 29. Il n’en demeure pas moins qu’il eût été bienvenu de mettre en place à Bruxelles une cellule d’information, voire un Steering Committee pour maintenir un lien régulier entre les alliés. 13 1 Le terrorisme international et l’Europe la décision de l’OTAN, les ministres des affaires étrangères de 10 pays candidats à l’adhésion à l’OTAN (Albanie, Bulgarie, Croatie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Macédoine, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont exprimé dans un communiqué commun leur soutien à la campagne antiterroriste conduite par les Etats-Unis. La coopération Le 26 septembre 2001, le secrétaire adjoint à la Défense, Paul Wolfowitz, a suggéré que les membres de l’Alliance pourraient aider les Etats-Unis en leur donnant des renseignements et en retraçant les fonds des terroristes. Les demandes américaines, reçues le 3 octobre, furent acceptées en 24 heures : un meilleur partage du renseignement, la protection des installations alliées en Europe, la mise à disposition de ports et d’aéroports, le droit « généralisé » de survol aérien, la « possibilité » de recourir aux moyens de l’OTAN, notamment à ses 17 avions de surveillance AWACS, le déploiement de forces navales en Méditerranée orientale et, si le besoin s’en faisait sentir, le remplacement de troupes dans les Balkans, où séjournaient 10 000 soldats américains. L’OTAN a formellement accepté ces demandes le 4 octobre et le Secrétaire général a indiqué que cette décision rendait « opérationnel l’article 5 du Traité de Washington ». La plupart des requêtes, qui montrent le caractère « périphérique » du soutien que les Etats-Unis attendaient de leurs alliés, avaient déjà été acquises au niveau bilatéral. La démarche auprès de l’Alliance ne s’imposait pas du point de vue pratique, mais elle avait une forte dimension politique. Depuis lors, beaucoup prétendent que l’OTAN sera jugée en fonction de sa capacité d’être utile dans le combat antiterroriste, présenté par les Etats-Unis comme la première guerre du XXIe siècle. Paul Wolfowitz a vite souligné que ce devait être là une priorité majeure de l’Alliance et Lord Robertson, Secrétaire général de l’OTAN, est conscient de l’enjeu : le sommet de Prague a comporté des décisions aussi importantes sur le terrorisme que sur la défense antimissile ou l’élargissement et la création d’une force d’action rapide devrait permettre de pallier certains des problèmes constatés en 2001 au sein de l’Organisation. 14 1 L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre L’Europe connaît-elle un retard dans la révolution des affaires terroristes ? C’est ce que prétendent certains, en s’appuyant sur le fait que ceux des terroristes responsables de l’attentat du 11 septembre qui ont résidé en Europe n’ont précisément pas commis d’attentats sur le sol européen. L’Europe connaîtrait des formes classiques de terrorisme et serait un lieu idéal pour préparer des attentats plus spectaculaires que ceux auxquels elle est « habituée », mais ceux-ci seraient commis ailleurs, contre l’Amérique ou contre les intérêts américains. Cette conclusion n’est pas seulement fausse, elle est aussi dangereuse car elle ne permet pas de prendre les mesures qui s’imposent pour protéger les Européens d’attaques terroristes futures de plus grande envergure que celles auxquelles l’Europe a déjà fait face. La police et la justice italiennes par exemple savent bien qu’elles doivent faire face aux deux phénomènes, qui ne communiquent pas nécessairement entre eux. Aucune preuve n’existe d’un lien entre les nouvelles « Brigades rouges » et Al-Qaida, mais la présence en Italie de cellules terroristes ayant des liens avec le réseau d’Oussama ben Laden ne fait aucun doute, en particulier à Milan. Ces cellules sont présentes dans toute l’Europe. Outre Milan, les cas les plus connus sont ceux de Hambourg, de Francfort et de Madrid. Les relations du nouveau terrorisme international et de l’Europe ne se limitent pas à la présence de réseaux qui planifieraient sur le sol européen des attentats commis ailleurs contre des intérêts américains. Des cellules, identifiées et détruites ou toujours actives en Europe, ont bien préparé des attentats sur le sol européen : contre le marché de Noël à Strasbourg en décembre 2000, contre l’ambassade américaine à Paris à l’été 2001 ou, plus récemment, en mai 2002, contre la cathédrale de Bologne30. Elles auraient aussi planifié des attentats en 2001 contre Saint-Pierre de Rome et SaintMarc de Venise. Enfin, le 29 août 2002, un Suédois d’origine tunisienne a été arrêté à Stockholm alors qu’il montait à bord d’un Boeing 727 à destination de Londres, avec l’intention, selon le renseignement militaire suédois, d’écraser l’avion sur un bâtiment officiel31. D’autres pays européens ont été visés à l’étranger : l’Allemagne a été touchée en Tunisie (14 touristes allemands ont péri dans l’attentat contre la synagogue El Ghriba à Djerba le 11 avril 2002) et la France au Pakistan (onze ingénieurs de la Direction des Constructions navales ont été tués à Karachi le 8 mai 2002) et au Yémen (attentat contre le pétrolier Limburg en octobre 2002). Les 30. Quatre Marocains et un Italien ont été interpellés en août à Bologne dans la cadre de cette enquête. La cathédrale abrite une fresque du XVe siècle qui est jugée insultante pour l’Islam. 31. Cet événement est loin d’être clair et a fait l’objet de déclarations contradictoires, mais il a fortement ému la Suède surtout en période électorale. L’individu appréhendé a été relâché. 15 1 Le terrorisme international et l’Europe liens de ces trois attentats avec des éléments du réseau d’Al-Qaida semblent à présent établis32. Les Européens ont un peu vite tendance à croire que les attentats manifestent une exaspération à l’égard des seuls Etats-Unis, de leur présence au Moyen-Orient notamment, et qu’ils se limiteront donc à s’attaquer aux intérêts américains, sur leur sol ou à l’étranger33. C’est une réponse rassurante qui ne tient compte ni des faits, ni des intentions et de l’idéologie des membres des réseaux concernés. Les Etats-Unis figurent au premier plan en raison de leur centralité symbolique et de leur présence globale dans le monde, mais ils sont perçus comme le chef de file d’une civilisation occidentale qui constitue la vraie menace et dont l’Europe fait naturellement partie. Tous les entretiens disponibles avec des membres du réseau Al-Qaida en témoignent34. Certains experts européens du terrorisme pensent même que l’Europe, à présent bien engagée dans la lutte contre le terrorisme, peut devenir une cible plus tentante pour des attaques parce qu’elle est moins bien protégée que les Etats-Unis. Plusieurs caractéristiques font en effet de l’Europe une zone à certains égards plus attractive que les Etats-Unis. La géographie et la présence d’une population musulmane en expansion ne sont pas les moindres d’entre elles. 32. Les services spéciaux français ont établi le lien des attentats de Karachi et du Yémen avec AlQaida, tandis que les services allemands sont parvenus à la même conclusion pour l’attentat contre la synagogue de Djerba. Sur ce dernier attentat, un récit assez précis de l’enquête a été fait dans l’article « April bombing signaled Al Qaida is dangerous even without a head », Wall Street Journal, 20 août 2002. 33. Il n’y a pas de doute que Oussama ben Laden voit dans les Etats-Unis l’ennemi principal « qui a divisé la Ummah en de petits et faibles pays et, depuis des dizaines d’années, y crée une situation de confusion ». En fait, cette division est plutôt le fait des Etats européens. Mais « la dernière en date de ces agressions, et non la moindre, (...) consiste en l’occupation de deux Lieux saints, la Maison de l’Islam (lieu de la révélation, de paroles divines) et la place de la Ka’Ba (Mecque de tous les musulmans), par les armées américaines et leurs alliés ». Première Fatwa d’Oussama ben Laden. A côté des Lieux saints, se trouve aussi le pétrole : « La présence de forces armées américaines sur la terre, la mer et dans le ciel des Etats du Golfe Islamique est le plus grave danger pour la principale réserve de pétrole dans le monde ». Le terrorisme comme menace commune de l’Alliance ? Lors de sa tournée européenne en mai 2002, le président des EtatsUnis a déclaré à plusieurs reprises que « l’Europe faisait face aux mêmes menaces que l’Amérique ». On voit bien en quoi une telle déclaration pouvait servir les idées et les intérêts que George Bush venait alors défendre en Europe. Mais il est frappant de constater que les experts européens du terrorisme n’ont pas un discours très différent. Ils insistent tous sur la présence de terroristes en Europe, qui se renouvelle régulièrement avec de nouveaux arrivants, souvent regroupés préalablement dans les Balkans, et sur leur inquiétude de voir une attaque majeure réussir sur le sol européen. Les pays de l’Union les plus directement touchés par la présence des terroristes sont le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Depuis la vague d’attentats qui a frappé la France en 1994 et 1995, il semble parfois que la France soit moins directement menacée sur son propre territoire35 en raison des mesures antiterroristes qui ont été prises à cette date, mais cette thèse est infirmée par les déclarations des terroristes eux-mêmes. Les cellules terroristes ont été 34. Les plus récentes interviews, effectuées au Balouchistan et en territoire pakistanais, ont été réalisées par John Christopher Turner, un américain originaire du Missouri converti à l’Islam, pendant l’été 2002. Elles font état de l’hostilité vis-à-vis de l’influence corruptrice de l’argent et des mœurs occidentales sur les pays arabes : « ils ne veulent pas voir le monde pollué ». La « pollution » en question provient tout autant de l’Europe que des Etats-Unis. 35. L’attentat perpétré à Karachi le 8 mai 2002 contre des ingénieurs et techniciens français paraît être une suite de l’attentat manqué sur le vol Paris-Miami. En effet, une des personnes interpellée et expulsée de France vers le Pakistan en avril 2002, Abdul Qahar, serait l’organisateur de l’attentat. Les enquêteurs français n’ont pas manqué de rappeler à 16 1 L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre leurs interlocuteurs pakistanais ce détail gênant, surtout qu’Abdul Qahar avait été renvoyé à Karachi même. organisées sous deux mouvements principaux en Europe : le groupe égyptien « Anathème et Exil » et le groupe « salafiste » algérien « Prêche et Combat ». Plus de deux cents personnes ont été arrêtées sur le sol européen depuis le 11 septembre (en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en France, en Italie et au Royaume-Uni). L’arrestation en juin 2002 de plusieurs membres d’Al-Qaida au Maroc alors qu’ils envisageaient de faire sauter un navire de guerre dans le détroit de Gibraltar a conduit certains observateurs européens à prévoir que la Méditerranée serait probablement l’un des prochains théâtres d’opérations du réseau terroriste36. 36. Voir Yaroslav Trofimov, « Mediterranean may be next terrorist theater », The Wall Street Journal, 12 juin 2002. L’opération qui a été évitée dans le détroit de Gibraltar aurait été planifiée après le 11 septembre, dans les montagnes de Tora Bora, au moment où le leadership d’Al-Qaida a pris la décision de fuir, en décembre 2001, alors qu’il était la cible d’une attaque aérienne particulièrement violente. 37. Le Royaume-Uni est aussi le pays européen qui a perdu le plus de ressortissants depuis le 11 septembre avec une quarantaine de morts au moins dans le seul attentat de Bali en octobre 2002. Les estimations concernant le nombre total de tués et disparus européens à la suite de cette attaque terroriste sont de l’ordre de 70. ◗ Le Royaume-Uni est peut-être le pays européen le plus affecté par la présence de terroristes37. Il apparaît à la fois comme un sanctuaire en raison du soin avec lequel les libertés civiles y sont protégées, et comme un centre de recrutement pour toute l’Europe38. Selon leur entourage, Djamel Beghal, Nazir Trabelsi ou Zacarias Moussaoui menaient des existences paisibles avant leur traversée de la Manche. Le basculement se serait produit au hasard des rencontres dans le Londonistan, notamment dans la mosquée de Finsbury Park39. Pour le GIA algérien, le Jihad islamique égyptien et beaucoup de groupes clandestins, le Royaume-Uni était – et demeure en partie – un pays de choix. Un débat sur le terrorisme sépare depuis des années le Royaume-Uni et la France en raison de la demande d’extradition depuis 1995 de Rashid Ramda, l’un des commanditaires de la campagne d’attentats en France, que les Britanniques ont longtemps refusé d’extrader40. Des mesures ont été prises à Londres après le 11 septembre pour améliorer la coopération non seulement avec les Etats-Unis mais aussi avec les autres pays européens. Dans certains cas, Londres semble même être passé d’un extrême à l’autre. Une loi a par exemple été adoptée en décembre 2001 permettant l’emprisonnement sans jugement d’individus étrangers suspectés d’activités terroristes. Elle est fortement critiquée en raison de la discrimination introduite entre la population britannique et étrangère. Les Britanniques sont aussi ceux qui ont pris les mesures défensives et offensives les plus importantes en Europe après les attentats. Le secrétaire à la Défense, Geoff Hoon, a annoncé en juillet 2002 une longue série de mesures portant sur la surveillance aérienne, des moyens spécifiques pour faire face à des attaques NBC et la création d’une « Force de Réaction Domestique » (Domestic Reaction Force) de 6 000 réservistes pour répondre à d’éventuelles attaques terroristes41. En novembre 38. Il faut noter l’influence décisive des mosquées londoniennes, comme celle de Finsbury Park, au nord de Londres où, au lendemain du 11 septembre, l’imam Abou Hamza al-Masri a approuvé les attentats au nom de la « légitime défense », et la grande Mosquée de Regent’s Park. En octobre 2002, sheik Omar Mahmood Abou Omar, connu sous le nom de Abu Qatada, et qui passe pour un des principaux agents de recrutement d’Al-Qaida en Europe, a été arrêté à Londres. Il avait disparu en décembre 2001, avant l’adoption des nouvelles lois antiterroristes. 39. Cette mosquée passe à présent pour un centre de recrutement d’Al-Qaida en Europe. Zacarias Moussaoui et Richard Reid y sont tous deux passés. Les recruteurs chercheraient à présent de préférence des musulmans de nationalité européenne ou américaine. 40. La France elle-même vient seulement d’extrader vers l’Italie Paolo Persichetti, qui enseignait depuis plusieurs années à l’université de Paris VIII et qui était réclamé par Rome comme ancien membre des Brigades rouges impliqué dans l’assassinat du général Licio Giorgeri, le 20 mars 1987. 41. Le secrétaire à la Défense britannique a déclaré que ces mesures « ont été élaborées afin de 17 1 Le terrorisme international et l’Europe 2002, Londres a fait l’objet de menaces terroristes particulièrement sérieuses. ◗ En Allemagne, où trois des onze terroristes, y compris Mohammed Atta, ont résidé (à Hambourg42), la plus grande investigation policière de l’histoire allemande a été lancée après le 11 septembre, avec 600 policiers. Une dizaine d’islamistes ont été arrêtés, dont des proches de Mohammed Atta, et les autorités ont vite reconnu que la dimension du péril islamiste était beaucoup plus grande qu’elles ne le soupçonnaient43. Ce péril n’était pas tout à fait ignoré cependant : en décembre 2000, une cellule est arrêtée à Francfort alors qu’elle prépare des attentats à Strasbourg. Ce sont aussi les autorités allemandes qui ont découvert que les plans d’attaque du World Trade Center dataient de 1999. Enfin, en septembre 2002, un projet d’attentat est déjoué contre une base militaire américaine à Heidelberg. L’Allemagne a pris de nombreuses mesures pour éviter que des associations terroristes puissent bénéficier des libertés importantes qui sont consenties aux associations religieuses depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On observe depuis quelques mois une assez large réticence de la société allemande et des entreprises à participer à la mise en place des nouvelles mesures, celles en particulier qui permettraient l’élaboration par la police d’un fichier de suspects44. Ces mesures rappellent de mauvais souvenirs, avec lesquels la grande majorité des Allemands ont depuis longtemps décidé de rompre. garantir que notre politique de défense et nos capacités militaires répondent aux nouveaux défis que les tragiques événements du 11 septembre ont illustrés de façon aussi marquante ». Un prototype d’avion de surveillance sans pilote, le « Watchkeeper », doit commencer ses essais en 2003. Un nouveau chapitre de la Strategic Defence Review britannique a été publié le 18 juillet 2002. Il prévoit une augmentation du budget de la défense de 3,5 milliards de livres sterling d’ici 2006. 42. A l’été 2002, un des récits les plus précis sur la cellule de Hambourg a été rendu public, où il est apparu en particulier que Marwan Al-Shehi, le pilote du vol 175 de United Airlines qui a frappé la tour sud du World Trade Center, s’était vanté au printemps 2001 en Allemagne de faire bientôt des milliers de victimes. Cette révélation a été faite lors du procès de Mounir El Motassadeq, qui est détenu en Allemagne pour son rôle dans la préparation des attentats. Il a été arrêté à Hambourg en novembre 2001. ◗ L’Italie a connu une vague d’attentats terroristes particulièrement violents dans les années 1970, qui continue de faire l’objet de nombreux ouvrages45. La péninsule italienne a parfois été décrite, avec le Royaume-Uni, comme le centre européen des opérations d’AlQaida, en raison notamment de sa proximité des Balkans. Là aussi, les arrestations avaient commencé avant les attentats, en l’an 2000. Le 4 avril 2000, furent arrêtés à Milan les membres d’une cellule liée à Al-Qaida, qui préparait un attentat contre l’ambassade américaine de Rome. En mars 2001, toujours à Milan, des écoutes dans l’appartement d’un terroriste de nationalité tunisienne révèlent de nouveaux projets d’attentats, qui visent des cibles en Europe et évoquent un large réseau dans un langage outrancier (« l’Europe est entre nos mains »). Cette cellule aurait préparé des attentats chimiques avec un produit liquide décrit comme « très efficace » et destiné à « suffoquer les gens ». L’arrestation de tous ses membres a mis 43. La chaîne qatariote Al-Jazira a diffusé mardi 8 octobre une bande sonore attribuée au numéro deux du réseau terroriste, Ayman Al-Zawahiri, qui menace explicitement l’Allemagne et la France. 44. Voir Ian Johnson et David Crawford, « German Profiling Effort Wakens Ugly Memories And Employer Defiance », The Wall Street Journal, 9-11 août 2002. 45. Les deux derniers livres sur ce sujet sont : « L’affaire Moro » de Leonardo Sciascia et « Cassa Rossa » de Francesca Marciano. 18 1 L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre fin à ces projets, mais non aux inquiétudes qu’ils ont suscitées. Un an plus tard, en mars 2002, au moment des fêtes de Pâques, quatre villes italiennes, Florence, Milan, Venise et Rome, sont mises en état d’alerte par crainte d’attentats contre les personnes et les intérêts américains. Enfin, les menaces qui pèsent sur la cathédrale de Bologne ont mobilisé la police italienne pendant plusieurs mois. Comme en Allemagne, les arrestations postérieures au 11 septembre sont limitées en Italie : vingt-cinq suspects environ ont été arrêtés depuis cette date. ◗ En Espagne, l’infiltration de terroristes a commencé très tôt, au début des années 1990. Après le 11 septembre, le juge madrilène Baltazar Garzon lance en novembre 2001 « l’opération Datte » contre les réseaux d’appui à Al-Qaida sur le territoire espagnol. En un an, une quinzaine de militants islamistes ont été arrêtés, dont certains recueillaient des fonds en Europe pour Al-Qaida. La police a également mis la main en Espagne sur du matériel vidéo portant sur plusieurs monuments symboliques américains (World Trade Center, tour Sears à Chicago, pont du Golden Gate à San Francisco, statue de la liberté, etc.), destiné sans doute à repérer des objectifs terroristes. L’Espagne aurait aussi servi de base logistique pour la préparation des attentats du 11 septembre, avec la tenue d’un « sommet » de concertation, en juillet 2001, auquel auraient participé au moins deux des pilotes, dont leur chef, Mohammed Atta. La cellule qui s’est développée à partir de 1994 à Madrid a été démantelée et ses huit membres arrêtés. Il s’agissait du « Groupe des Soldats d’Allah », placé sous la direction d’un Palestinien, Anwar Adnan Mohamed Saleh, et d’un Syrien, Imad Eddin Barakat Yarkas, qui a été placé sur écoutes pendant des années, comme la cellule de Milan, fournissant ainsi de nombreux renseignements sur les activités du réseau en Europe. Les contacts de cette cellule avec Mohammed Atta ont été établis. L’Espagne doit en outre faire face à une radicalisation de l’ETA qui est aujourd’hui dirigée par ses éléments les plus extrêmes et les plus violents46. 46. Voir Leslie Crawford, « Divided by Violence », Financial Times, 2425 août 2002 : « Selon un ancien séparatiste qui a quitté l’ETA il y a des années, la violence est devenue la logique de l’ETA. La pratique de la violence rend plus fort. Les membres de l’ETA supportent de mieux en mieux des actes de barbarie inimaginables jusqu’ici : torture de conseillers, massacres d’enfants, d’agents de la circulation, de policiers. L’ETA est désormais dirigée par des personnages extrémistes, prêts à se surpasser dans des tueries insensées ». ◗ En France, la sérénité de la population n’est justifiée ni par les déclarations d’Al-Qaida, qui a menacé explicitement la France et l’Allemagne, ni par les événements des dernières années. Plusieurs attentats ont été prévenus, dont l’un dans la ville de Strasbourg à Noël 2000 et le second contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris pendant l’été 2001 – Djamel Beghal a été appréhendé à l’aéroport 19 1 Le terrorisme international et l’Europe de Dubai le 28 juillet 2001 alors qu’il préparait ce dernier attentat. C’est aussi en France que Richard Reid a embarqué avec des explosifs dans ses chaussures pour le vol Paris-Miami d’American Airlines du 22 décembre 2001. Depuis le 11 septembre 2001, deux attentats contre des personnes et des intérêts français à l’étranger méritent attention : il s’agit d’abord de l’attentat dont onze ingénieurs et techniciens français de la Direction des constructions navales de Cherbourg ont été victimes à Karachi le 8 mai 2002. Il semble qu’il ait été perpétré par un des contacts de Richard Reid sur le territoire français et qu’il y ait donc un lien avec le réseau AlQaida. Puis, quelques mois plus tard, le 6 octobre, le pétrolier français Limburg a été victime d’une attaque, au large de la côte sud-est du Yémen, qui a été attribuée à de forts explosifs. Ceux-ci ont vraisemblablement été apportés par une petite embarcation aperçue par un membre de l’équipage juste avant l’explosion, alors qu’elle s’approchait à vive allure du pétrolier, sur le modèle de l’attentat contre l’USS Cole47. Le 8 octobre, la chaîne Al-Jazira diffusait des menaces proférées à l’endroit de la France par le numéro deux d’Al-Qaida, Ayman Al-Zawahiri. Certains experts du terrorisme considèrent que la France est menacée à la fois comme le maillon faible par rapport aux Etats-Unis et en raison des nombreux éléments algériens qui se trouvent dans les réseaux AlQaida48 Le dispositif antiterroriste était déjà pour une grande part en place avant septembre 2001. La France, ayant été victime d’attentats meurtriers en 1995, avait adopté en 1996 des dispositions qui ont considérablement renforcé les pouvoirs de l’enquête et des juges dans les cas de terrorisme49. Après les attentats de septembre 2001, une nouvelle loi sur la sécurité intérieure a été adoptée le 15 novembre 2001, avec des dispositions additionnelles : perquisition des véhicules et de domicile, contrôles renforcés dans les aéroports et les ports, surveillance de communications sur Internet, droit de dispersion de certains regroupements. Toutes les mesures renforçant la lutte contre le terrorisme dans cette loi ont été limitées à une durée de deux ans et donneront lieu à cette date à la remise au Parlement d’un rapport d’évaluation sur leur application. Les moyens du ministère de la Défense et du ministère de l’Intérieur destinés à la lutte contre le terrorisme ont aussi été augmentés en 2002. Enfin, le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 précise qu’en cas d’attaque terroriste grave, « les forces 47. En septembre 2002, la marine américaine avait lancé une mise en garde sur la possibilité d’attentats du réseau Al-Qaida contre des pétroliers dans le Golfe et la mer Rouge, où transite chaque jour un tiers du trafic mondial d’hydrocarbures. Le groupe d’assurance maritime Lloyds, dont les conclusions ont été rendues publiques le 10 octobre, a vite accrédité la thèse de l’attentat. 48. C’est en particulier la conviction du juge antiterroriste JeanLouis Bruguière. C’est aussi celle de la Direction de la surveillance du territoire. Voir l’interview accordée le 12 septembre dernier au journal Le Monde par Pierre de Bousquet, patron de la DST : « Le danger, c’est qu’il y a aujourd’hui un vrai rapprochement entre le groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui agit sur le territoire algérien, et les gens d’Al-Qaida ». 49. Loi du 23 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme. 20 1 L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre de sécurité peuvent être renforcées par des moyens issus des armées » et que « toutes les formations avec leurs moyens militaires doivent être en mesure d’apporter leur concours en matière d’assistance aux populations civiles à l’occasion d’attaques asymétriques », notamment de caractère non conventionnel. L’effort engagé pour la défense civile demeure cependant insuffisant en raison des besoins considérables de rattrapage dans les domaines plus conventionnels des forces armées. ◗ La Belgique50 connaît depuis les années 1980 un développement d’activités islamiques liées à l’Afghanistan et à la lutte contre l’URSS avec l’ouverture à l’Ouest de Bruxelles d’un « bureau des moujahedins afghans ». Ultérieurement, dans la décennie 1990, des structures logistiques au profit des combattants des maquis algériens s’établissent également sur le sol belge. Enfin, comme dans le reste de l’Europe, les conflits en Bosnie et en Tchétchénie vont servir d’accélérateur et faciliter le développement des activités en Belgique. En mars 1998, un réseau islamiste à caractère transnational est démantelé à Bruxelles. Il comptait en son sein des activistes en provenance du Maghreb, détenteurs d’explosifs et qui proposaient aussi leurs services pour la confection de faux papiers. ◗ Effets induits sur le terrorisme domestique. A la faveur de la lutte contre le terrorisme, les pays européens ont aussi pu réduire ou mettre fin aux activités de groupes sévissant sur leur sol avec des objectifs plus étroitement nationaux. L’exemple le plus parlant est peut-être celui de la Grèce, où l’Organisation révolutionnaire du 17 novembre aurait été partiellement démantelée par la police grecque en juillet 2002 après vingt-cinq ans de traque inefficace. Cette organisation, qui trouve ses racines dans le mouvement étudiant de la fin des années 1960, est responsable de plus de vingt assassinats politiques, parmi lesquels se trouvent quatre Américains et un Britannique, au nom de la lutte contre « l’impérialisme ». Des doutes subsistent sur l’importance des arrestations et les capacités de nuisance résiduelle du groupe. L’Italie, l’Espagne et l’Allemagne ont aussi fait des progrès dans la maîtrise de leurs propres groupes terroristes à vocation « nationale ». Et la France a extradé vers l’Italie un membre des Brigades rouges qui résidait sur le sol français depuis de longues années sans être inquiété. 50. Voir les publications d’Alain Grignard (Commissaire, Division du terrorisme à Bruxelles) sur le sujet, notamment : « Brève genèse de l’islamisme radical », dans Gérard Chaliand, L’arme du terrorisme, Audibert, Paris, 2002 ; et Felice Dassetto, Facettes de l’islam belge, Academia-Bruylants, Louvain-laNeuve, 1998. 51. Le chef présumé du GRAPO a été arrêté à Paris cet été. En outre, en août 2002, le juge Baltazar Garzon a pris des mesures pour interdire le parti séparatiste basque Batsusana lié au mouvement terroriste ETA. Les gouvernements espagnols successifs ont cherché à bannir ce parti depuis sa création en 1978 en raison de ses attaches terroristes. Avant même que l’interdiction ait été décidée, le mouvement a été suspendu par les autorités espagnoles. 21 1 Le terrorisme international et l’Europe Vers l’intégration des polices et des systèmes de justice ? 52. Au sein de cet espace, créé en 1985 par l’Allemagne, la France et le Benelux, et auquel participent à présent 11 pays de l’Union européenne, les contrôles aux frontières intérieures sont abolis. L’accord a été incorporé dans le Traité d’Amsterdam. Cette « zone de sécurité » comprend des échanges d’information et une certaine coopération des polices, mais elle n’est pas à la mesure des enjeux des nouvelles formes de terrorisme. Traditionnellement, l’intégration européenne est venue de l’économie et du commerce, tandis que les questions militaires et judiciaires restaient assez étroitement contrôlées par les Etats. La situation créée par le 11 septembre 2001 a montré l’urgence de certains changements, surtout que les terroristes avaient tiré un grand parti non seulement des libertés civiles dont jouissent les pays européens, mais aussi de la juxtaposition de deux phénomènes : la liberté de circulation au sein de l’espace Schengen52 et la multiplicité des polices et des systèmes de justice. La création d’un espace judiciaire européen et d’une police européenne a donc été accélérée par les attentats du 11 septembre53. La Commission a rapidement étudié de nouvelles mesures destinées à combattre le terrorisme, y compris une définition de ce qui constitue un acte de terrorisme54 et surtout un mandat d’arrêt européen pour remplacer le lourd système d’extradition entre les Etats membres55. Sous l’impulsion de la présidence espagnole, qui s’est beaucoup investie dans ce dossier, le Conseil européen de Séville de juin 2002 a déclaré que la PESC et la PESD devaient jouer un rôle important pour lutter contre le terrorisme. Des règles de surveillance pour le blanchiment d’argent ont aussi été adoptées. Une décision législative permet de geler des fonds dans toute l’Europe aussitôt qu’un individu ou une organisation a été identifiée comme une source potentielle pour le financement du terrorisme56. Eurojust, qui va s’établir à La Haye, a fait l’objet d’un accord à Laeken en décembre 2001, comme institution permanente pour permettre la coopération entre les institutions judiciaires et les magistrats des Quinze. Les polices européennes ont aussi resserré leurs coopérations. Europol, également basée à La Haye, et opérationnelle depuis juillet 1999, a vu son démarrage accéléré par les attentats, qui ont permis de mettre en place une task force sur le terrorisme – avec des échanges d’informations avec les Etats-Unis. Une des grandes faiblesses d’Europol est qu’elle n’a aucun pouvoir en Europe centrale et orientale, où de fausses identités et de faux moyens de paiement sont fabriqués à grande échelle. Une autre faiblesse est le manque d’experts en arabe, pashtoune et urdu, essentiels pour comprendre les communications interceptées et surtout pour infiltrer les réseaux. Mais le principal problème que rencontre la création d’un espace judiciaire et policier commun en Europe est encore sans doute – comme c’est le cas chaque fois qu’une nouvelle institution commune se met en 53. Accélérée et non créée, car c’est le Conseil européen de Tampere en 1999 qui a posé les jalons d’un espace judiciaire européen. Les recommandations du Conseil portaient en particulier sur la nécessité de se prémunir contre les activités criminelles et terroristes. Elles ont été très utiles après le 11 septembre. 54. Cette question a été l’objet de débats interminables à l’ONU. Les pays membres de l’Union européenne sont parvenus à un accord en neuf points en juin 2002, avec une définition très large couvrant les enlèvements, la capture d’aéronefs ou de navires, la fabrication et la possession d’armes conventionnelles ou non conventionnelles, la destruction massive d’installations, etc. 55. Ce mandat a été adopté au sommet de Laeken en décembre 2001. Trente-deux délits et crimes (pas seulement des activités terroristes) pourront justifier une arrestation dans toute l’UE à partir de janvier 2003. Certains pays de l’Union, comme la Grèce devront engager une réforme constitutionnelle. Dans le domaine du terrorisme, les quinze ministres de la justice ont adopté en avril 2002 des pénalités communes, pour éviter que les terroristes ne profitent de régimes plus favorables au sein de l’Union. Les nations européennes reconnaissent à présent que seule l’unification au niveau européen des incriminations et des procédures constitueront une réponse adaptée à l’ampleur des défis soulevés par les formes les plus graves de terrorisme international. 56. Environ un million d’euros a été gelé. Lors d’un colloque organisé à Paris en janvier 2002, un des principaux magistrats français 22 1 L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre chargés des questions de terrorisme, Jean-Louis Bruguière, a déclaré que les mesures prises pour lutter contre le financement du terrorisme étaient insuffisantes : « En effet, cette lutte ne peut toucher que les macro financements, c’est-à-dire des financements importants, qui passent ar des filières connues et des institutions financières. Or l’expérience de ces dernières années prouve que ce sont les micro financements qui permettent de financer les réseaux auteurs des frappes terroristes. De petits financements provenant en grande partie de l’aumône légale, et surtout des activités de délinquance, qui se sont développées dans un but quasi exclusif de financement des opérations ». En août 2002, un rapport des Nations unies concluant aux limites des mesures prises pour lutter contre le financement du terrorisme a soulevé une polémique avec les autorités américaines, soucieuses de défendre les résultats obtenus. Il semble en réalité à la fois que les efforts se poursuivent et même, dans certains cas, se resserrent, et que les réseaux terroristes continuent de disposer de nouvelles sources de financement (ou d’anciennes sources souvent rebaptisées). place – la relation entre Bruxelles et les Etats membres57. Malgré tout cela, il est indiscutable que l’Union européenne tend vers l’harmonisation des législations et de l’espace judiciaire et qu’elle prépare une pratique judiciaire et procédurale commune. La situation est moins mûre pour la création d’une police commune, mais des progrès ont été réalisés dans ce domaine dans les derniers mois, avec le projet d’une police européenne des frontières. La Conférence intergouvernementale (CIG) de 2004 devrait être l’occasion de faire des progrès supplémentaires dans ces différents domaines. La participation – limitée mais réelle – à l’opération militaire en Afghanistan Le Conseil européen extraordinaire du 21 septembre a reconnu la légitimité de la réponse américaine et a indiqué que les pays membres de l’Union y participeraient en fonction de leurs capacités. Pour assurer cette participation, les Britanniques avaient un triple avantage de principe : ils disposaient de forces britanniques dans la région en raison de manœuvres conjointes dans le Golfe, ils ont un niveau élevé d’interopérabilité avec les Américains et la relation spéciale qui unit les services de renseignement de l’Amérique et ceux du Royaume-Uni permettait des échanges que Washington hésitait à avoir avec d’autres Etats membres de l’Union européenne au moment où s’engageait une opération très délicate pour l’Amérique. La première caractéristique a permis de limiter le transfert de forces sur le théâtre d’opération. La seconde, de faire l’économie d’un temps précieux de préparation commune. Et la troisième, d’échanger des informations cruciales58. Mais le fait le plus important a peut-être été la façon dont le Premier ministre britannique a d’emblée décidé que ce combat était aussi celui de la Grande-Bretagne, en s’imposant comme allié indiscutable à Washington. Pour Tony Blair, dès le mois de septembre, il n’y avait « qu’une seule issue possible, la victoire » et les dangers de l’inaction étaient d’emblée présentés comme beaucoup plus importants que ceux de l’action. Dès le premier jour des hostilités, le 7 octobre, les Britanniques étaient donc présents et tiraient sur les positions des Taliban. Plus tard, on trouve leurs forces spéciales dans les combats les plus durs, qu’il s’agisse de Tora Bora en décembre 200159 ou de l’opération Anaconda en mars 200260. Londres a déployé environ 1 500 hommes pour pourchasser les troupes d’Al-Qaida. Le retrait pro- 57. Comme l’indique Anne Deighton dans une étude qui sera publiée à Montréal en 2003, « Towards a security space: internal security in the EU since 9/11 » : les événements du 11 septembre ont « galvanisé » les efforts de l’UE pour créer l’espace de sécurité, de liberté et de justice envisagé à Tampere. Cependant, les grandes évolutions politiques de l’UE sont toujours une source de problèmes pour les relations entre Bruxelles et les Etats membres, ainsi qu’entre ces derniers. L’établissement d’une politique de sécurité efficace et légitime permettra de savoir dans quelle mesure on peut conférer une plus grand pouvoir aux institutions européennes pour promouvoir les interêts des Etats en tant que tels. 58. Il semble cependant que, sur ce point, les échanges ont été d’autant plus limités que les EtatsUnis ne disposaient que de peu d’informations sur l’Afghanistan où leur dépendance des services pakistanais a été excessive au début des opérations. 23 1 Le terrorisme international et l’Europe gressif des forces britanniques à partir du mois de juillet 2002 signifiait sans doute que la menace terroriste avait alors fortement diminué en Afghanistan, même si le pays était loin d’être stabilisé. Mis à part la participation britannique61, la coopération militaire des Européens apparaît limitée mais cependant réelle. On ignore souvent, y compris en Allemagne, la présence de centaines de représentants des forces spéciales allemandes, en raison de la discrétion voulue par Berlin sur leur participation62. Ces forces ont pourtant joué un rôle important dans plusieurs zones où les chefs de guerre pouvaient menacer l’autorité du nouveau gouvernement en place à Kaboul. Quant à la France, qui a décidé la participation de forces françaises à la campagne alliée sous le nom d’opération Héraclès, elle a déployé des moyens de renseignement, deux compagnies d’infanterie de marine et, un peu tard il est vrai, la task force 473 constituée autour du porte-avions Charles de Gaulle (sur zone le 18 décembre 2001) et des forces aériennes à Manas (arrivée en février 2002 de 6 Mirage 2000D63). En tout, il s’est agi pour la France d’environ 5 000 hommes entre le 15 décembre 2001 et le 20 juin 200264. La plupart d’entre eux se trouvaient dans l’Océan indien, où ils ont interrogé près de 2 000 bateaux, mais plusieurs centaines (plus de 500), basés à Manas, au Kirghizstan, et à Douchanbé, au Tadjikistan, ont aussi participé à des bombardements sur le sol afghan, notamment au cours du mois de mars65. A l’automne 2002, les Taliban et les membres d’Al-Qaida sont une menace moins importante, mais la position d’Hamid Karzai est menacée au sein même de son gouvernement, notamment par son ministre de la Défense, Mohammed Fahim, un Tadjik qui commande quelques milliers d’hommes. La lutte recouvre une reprise des conflits interethniques qui peuvent faire rebasculer l’Afghanistan dans l’anarchie. Si tel était le cas, l’ensemble de l’opération militaire serait peut-être vue sous un autre jour, particulièrement en Europe, qui a toujours souligné les limites d’une opération militaire. Certains n’hésiteront pas alors non plus à dire, avec quelque raison, qu’une force de stabilisation limitée à Kaboul ne pouvait guère « stabiliser » l’ensemble de l’Afghanistan. Les pays européens ont, de ce point de vue, été aussi réticents que les Américains à élargir le mandat de la force de stabilisation. 59. Les forces spéciales britanniques étaient présentes au sol à Tora Bora lors de la bataille décisive contre Oussama ben Laden. L’absence des Américains et leur délégation aux troupes afghanes lors de cette bataille ont sans doute eu comme conséquence principale de permettre le départ de l’ensemble du leadership d’AlQaida, lors d’une brève trêve négociée avec les forces locales. 60. Commencée le 2 mars, l’opération Anaconda s’est déroulée à une centaine de kilomètres de Tora Bora, et a donné lieu à des combats particulièrement violents. Aux côtés des Etats-Unis, y participaient à des titres divers des éléments allemands, australiens, britanniques, canadiens, danois, français et norvégiens et des forces terrestres du nouveau gouvernement afghan (soit 2000 hommes) s’opposant à un millier de combattants d’Al-Qaida. 61. Voir la déclaration du ministère britannique de la Défense à la Chambre des Communes le 18 mars 2002 sur la participation britannique aux opérations en Afghanistan. 62. Les Français, de leur côté, ont peut-être été surpris d’apprendre, en lisant le journal Le Monde du 23 octobre 2003, que les forces spéciales françaises ont été considérées, suite à leur performance en Afghanistan, comme une « Framework nation for special operations » - un label « qui confère à son détenteur la capacité, en cas d’intervention de commandos interalliés, d’en assurer le commandement ». 63. Il est utile de noter qu’à l’automne 2002, le Danemark, la Norvège et les Pays-Bas ont tous trois déployé chacun également 6 avions en Afghanistan. 64. Du 15 décembre 2001 au 20 juin 2002, un groupe aéronaval français a permis de faire de la surveillance aérienne au-dessus du territoire afghan (16 Super Etendard ont participé à ces opérations), et de la surveillance 24 1 L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre Le terrorisme NRBC maritime au large des côtes pakistanaises (environ 2000 bateaux interrogés, dont des navires suspects ayant quitté l’Iran pour Oman). Depuis mars 2002, la présence française compte également 6 Mirage 2000, basés à Manas (Kirghizstan), qui ont participé à des opérations de bombardement en Afghanistan au mois de mars et un détachement aérien de 130 hommes à Douchanbé (Tadjikistan). A l’été 2002, il ne restait dans la région que deux bâtiments de guerre français, dans l’Océan indien, 500 militaires au titre de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) à Kaboul, le détachement aérien à Douchanbé, et 60 cadres chargés de l’instruction de l’armée afghane. La genèse des craintes de terrorisme non conventionnel Depuis une dizaine d’années, la crainte du terrorisme NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique) est présente dans les esprits des gouvernements et des experts, mais cette crainte n’était ni connue du grand public ni, à plus forte raison, partagée par lui. C’est le terrorisme de masse et son irruption dans l’Histoire le 11 septembre 2001 qui ont conduit de nombreux observateurs à souligner dans la presse que la prochaine étape pourrait être l’utilisation d’armes spécifiquement conçues pour faire de très nombreuses victimes66. Ces armes, que l’on dénomme précisément armes de destruction massive (ADM), regroupent les armes chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires. Leur dissémination à de nouveaux Etats est tenue depuis janvier 1992 pour l’une des principales menaces de la sécurité internationale (déclaration du président du Conseil de sécurité lors d’une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement). Cette conviction a joué un rôle important dans l’accord de tous les Etats pour proroger indéfiniment le TNP (Traité sur la non-prolifération des armes nculéaires) en 1995. Une nouvelle étape est franchie avec leur possible détention par des groupes non étatiques. La crainte que des terroristes s’en saisissent est étayée par l’existence, dans plusieurs réseaux terroristes, d’experts chargés d’acquérir les matières, les agents et les équipements nécessaires pour réaliser ces armes. Des camps d’entraînement, comme celui de Derunta en Afghanistan, étaient même spécialement destinés à former des terroristes à la confection d’armes chimiques ou biologiques67. Ces camps, connus des services spéciaux occidentaux avant les opérations militaires en Afghanistan, ont été visités après les hostilités68. Enfin, on ne peut guère passer sous silence que le passage à l’acte a déjà eu lieu et que le terrorisme NRBC n’est plus une fiction romanesque. Un attentat chimique, perpétré par la secte Aum, a fait 11 morts et un millier de victimes dans le métro de Tokyo en mars 199569. Cette même secte avait tenté, sans succès, d’utiliser des armes biologiques en 1990 (toxine botulique) dans la ville de Tokyo, sur l’aéroport de Narita, et sur les bases américaines de Yokohama et Yokosuka70. En juin et juillet 1993, le culte récidive avec de l’anthrax dans un quartier de 65. Cette participation à des bombardements en Afghanistan a fait l’objet d’un débat au sein de la cohabitation française finissante. Matignon y était en effet hostile et a évité pour cette raison toute publicité sur le sujet. 66. Voir, par exemple, Thérèse Delpech, « Terrorisme de masse, Acte I », Libération, 18 septembre 2001. 67. Le tabun et le sarin figurent parmi les armes chimiques qui intéressaient les camps d’entraînement. Dans le domaine biologique, des travaux ont été réalisés sur l’anthrax, mais aussi sur des fièvres hémorragiques, comme le virus Ebola. Des tests auraient été faits en Afghanistan sur des animaux. Les suspicions dans ce domaine sont encore renforcées par les cassettes vidéos du réseau AlQaida qui ont été saisies en Afghanistan : on y voit la mort de chiots après la dissémination d’un gaz, probablement de nature neurotoxique compte tenu des réactions de l’animal. Une autre crainte des experts du terrorisme porte sur la pollution des eaux. 68. Les bombardements ont complètement détruit le site de Derunta. Le vice-président des EtatsUnis Dick Cheney y a fait allusion le 7 août 2002, dans un discours à San Francisco : « Dans les décombres afghanes, nous avons 25 1 Le terrorisme international et l’Europe Tokyo, mais la souche n’était pas virulente et n’a pas fait de victimes. En revanche, peu après les attentats du 11 septembre, les premiers morts du bio-terrorisme font la une des journaux aux EtatsUnis et dans le monde entier. Des lettres piégées à l’anthrax, qui ne contenaient pas plus de dix grammes de poudre, tuaient cinq personnes, en contaminaient douze, paralysaient le Congrès pendant plusieurs mois et terrifiaient des millions d’Américains. Les dommages financiers sont évalués à plusieurs milliards de dollars, en raison de la contamination des bâtiments gouvernementaux et des bureaux de poste. Ces attentats transforment la menace jusque là très vague du bio-terrorisme en une probabilité réelle. Même si l’auteur de ces attentats est un Américain, comme beaucoup le pensent depuis l’automne 2001, il ne s’agit pas moins d’une effrayante première. Il n’y a guère de doute que les terroristes de nouvelle génération cherchent à se procurer de telles armes et qu’ils n’hésiteront pas à les utiliser. Les craintes des experts portent plus particulièrement sur les armes chimiques et biologiques La raison en est non seulement que l’Histoire n’a pas encore produit d’attentat utilisant le nucléaire, mais aussi que ces armes semblent avoir la préférence des terroristes. Plusieurs témoignages prouvent que de nombreux membres d’Al-Qaida sont d’excellents chimistes, capables de mettre au point des armes redoutables avec des produits disponibles sur le marché. Les conséquences de telles attaques seraient beaucoup plus dévastatrices que les attentats du 11 septembre, notamment au plan psychologique, qui a une telle importance dans le domaine du terrorisme. On a encore pu le vérifier aux Etats-Unis à l’automne 2001 au moment où des enveloppes contenant quelques grammes d’anthrax ont réussi à effrayer plusieurs millions d’Américains, mais aussi des ressortissants d’autres pays. En Europe, où aucun cas véritable n’a été décelé, de très nombreux incidents ont été repérés dans des locaux officiels ou privés en raison de l’apparition de différentes « poudres blanches », toutes inoffensives mais soudain vues sous un jour menaçant71. Un certain nombre de leaders européens ont d’ailleurs fait sur le terrorisme NRBC des déclarations publiques pour exprimer le sérieux avec lequel ils prenaient cette menace. En avril 2002, le Premier ministre britannique, Tony Blair, déclarait devant la Chambre des Communes : « J’attire l’attention de la Chambre sur le fait que, dans trouvé des preuves, si tant est qu’elles soient nécessaires, montrant que ben Laden et le réseau Al-Qaeda s’intéressent de près aux armes nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques ». 69. Cette attaque du 20 mars 1995 est aujourd’hui perçue comme un coup de semonce qui n’a pas été pris suffisamment au sérieux dans le reste du monde et en particulier en Europe. 70. La secte a cherché activement à acquérir des armes de destruction massive en particulier auprès de laboratoires et d’experts de l’ex-URSS pour engager une bataille apocalyptique. Elle a travaillé sur les armes biologiques (anthrax, toxine botulique et Ebola). C’est cependant un domaine où les réalisations pratiques ont été limitées. 71. En France, dans la seule journée du 19 octobre, on a compté plusieurs centaines de fausses alertes. Voir Pierre Georges, « Défense civile », Le Monde, 20 octobre 2001. 26 1 L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre ma première déclaration ici même quelques jours après le 11 septembre, j’ai affirmé que la question des armes de destruction massive devait être traitée et qu’elle le serait ». Le projet de loi de programmation militaire français souligne aussi la nécessité de mettre à la disposition du secours aux populations civiles les capacités NRBC uniques dont dispose le ministère de la Défense et en particulier le Service de santé des armées et la Délégation générale de l’Armement72. Le terrorisme nucléaire Même si l’affaire José Padilla a été maladroitement grossie par le ministre américain de la Justice John Ashcroft, le terrorisme nucléaire représente tout de même un danger réel sous sa forme radiologique. L’arme radiologique est inscrite par l’ONU dans la catégorie des armes de destruction massive depuis 1948. Elle n’a en principe jamais été développée par les Etats, mais elle pourrait séduire des organisations non étatiques en raison de la relative facilité de leur production et de l’effet psychologique dévastateur que leur utilisation entraînerait dans la population. Les matières nucléaires qui peuvent être associées à des explosifs conventionnels pour constituer une arme radiologique sont nombreuses : cobalt 60, strontium 90, césium 137, plutonium 23873, etc. De nombreuses initiatives sont en cours pour faire face à la menace terroriste nucléaire notamment à l’AIEA74. Cette institution, qui tient depuis dix ans un registre des trafics illicites de matières nucléaires, a le double souci de participer à l’effort mondial de lutte contre le terrorisme et de protéger le développement de l’énergie nucléaire dans le monde. Or les produits de fission résultant de la fission de l’uranium 235 ou du plutonium 239 dans le combustible nucléaire d’un réacteur en fonctionnement sont parmi les plus dangereuses matières radioactives (césium et strontium essentiellement). La prévention du terrorisme nucléaire a donné lieu à une nouvelle initiative de l’AIEA qui vise les sources radioactives dites « orphelines », c’est-à-dire non répertoriées, et qui peuvent donner lieu à de graves incidents, comme l’a récemment montré le cas de la Géorgie au printemps 2002. Elle doit aussi prendre des mesures pour protéger les installations nucléaires qui peuvent être l’objet d’attaques et pour prévenir le vol ou l’achat de matières fissiles, ou plus encore le vol de têtes nucléaires. Dans ce dernier domaine, les rumeurs l’ont 72. Voir Loi de Programmation Militaire, chapitre 3, p. 26. 73. La manipulation du plutonium 238 et du strontium 90 est aisée parce qu’ils n’émettent que des rayons alpha ou bêta. Le cobalt 60 et le césium 137 posent au contraire des problèmes de manipulation importants parce qu’ils émettent des rayons gamma et ce, pendant une période assez longue. En outre, le césium est soluble dans l’eau. 74. Une révision de la Convention sur la protection physique va permettre de prendre en compte le risque terroriste (sabotage par exemple) ; en outre, l’AIEA a lancé une opération de récupération des sources nucléaires orphelines, d’aide à la prévention des trafics illicites dans les pays vulnérables et de vérification des modalités de protection des installations et des matières nucléaires. 27 1 Le terrorisme international et l’Europe jusqu’à présent toujours emporté sur les faits. Mais, pour maintenir cette situation, il faudrait à présent engager des discussions sur les armes tactiques russes, qui ne font l’objet d’aucun engagement bilatéral ou multilatéral, et pour lesquelles une plus grande transparence est devenue indispensable. Celle-ci devrait aussi concerner les armes nucléaires de faible dimension (souvent dites « portables ») destinées pendant la guerre froide à la démolition des ponts sur le front européen en cas d’affrontement Est-Ouest. Le général Alexandre Lebed avait évoqué la perte de 80 environ d’entre elles. Cette déclaration n’a jamais pu être vérifiée, mais ce qui est sûr, c’est que ce seraient là de redoutables armes entre les mains d’organisations terroristes. Le risque biologique mérite une mention spécifique Si le XXe siècle a bien été le siècle de la physique, le XXIe sera celui des sciences du vivant. Les applications militaires de découvertes aussi considérables que celle du génome humain sont potentiellement dévastatrices. Certes, l’usage d’armes biologiques est interdit par une convention internationale qui date déjà de 1925 et qui a été très largement signée et ratifiée par les Etats. Certes, la production et le stockage d’armes biologiques sont interdits par la Convention de 1972. Mais l’URSS, un des pays dépositaires du Traité, n’a pas hésité à développer un empire biologique où travaillaient 70 000 personnes juste après avoir ratifié le texte, qui n’était pas doté de mécanisme de vérification, montrant ainsi l’exemple à d’autres candidats. En outre, les réseaux non étatiques ne sont pas tenus par les traités qui engagent les Etats. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que le bio-terrorisme, contre lequel les protections actuelles sont faibles, ait retenu l’attention des gouvernements. Ce fut le cas notamment en Europe. Au moment même de l’attaque contre des cibles en Floride, à Washington et à New York, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, réunis à Gand le 19 octobre 2001, ont décidé l’élaboration d’un programme de lutte contre le bio-terrorisme entre la Commission et les experts des Etats membres dans le domaine sanitaire. Il comprend la mise en place d’un mécanisme de concertation en cas de crise, d’un dispositif d’information sur les capacités des laboratoires européens en matière de prévention et de lutte contre le bio-terrorisme, mais aussi des capacités en matière de vaccins, de sérums et d’antibio28 1 L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre tiques. Des réseaux d’experts chargés de l’évaluation, de la gestion et de la communication des risques ont été mis en place, tandis que de nouveaux moyens thérapeutiques doivent être développés. Un centre de suivi et d’information a été mis en place en octobre 2001, avec des experts fournis par la Belgique, la France et la Suède75. Depuis le 1er janvier 2002, tout Etat membre peut avoir accès à ce centre d’information accessible 24 heures sur 24 sur le bio-terrorisme, où l’on trouve un recensement des équipes d’intervention nationales, un programme de formation, un système de mobilisation et coordination d’experts pré-identifiés, et un réseau dédié aux communications d’urgence entre la Commission et les autorités nationales76. Enfin, au Conseil européen de Laeken, les 14 et 15 décembre 2001, la création d’une Agence européenne pour la protection civile a été décidée. 75. Au Conseil européen de Gand en octobre 2001, les Quinze ont décidé de désigner un coordonnateur européen pour des actions de protection civile qui devra coordonner la mise en œuvre et le suivi des initiatives communautaires, comme les mesures de contrôle et de prévention épidémiologiques. La lutte contre le bio-terrorisme est une question d’intérêt commun entre Etats membres, ce qui justifie la mise en œuvre d’un programme de coopération mobilisant les moyens d’expertise et d’action des Etats et la Commission. 76. La priorité a été de mettre en place un système de communication rapide entre les 15 et la Commission en cas d’alerte. Ce réseau est actuellement opérationnel. La seconde priorité a consisté à disposer d’experts en épidémiologie, agents dangereux et diagnostic pour définir fin 2003 le risque biologique, qui est pris très au sérieux à Bruxelles. La troisième priorité a été de trouver un accord sur l’opportunité de lancer un programme pour la mise au point d’un vaccin anti-variolique de troisième génération. Sur ce point la décision n’est pas prise. La France et le Royaume-Uni disposent chacune d’environ 20 millions de doses, mais le vaccin actuel peut avoir des effets indésirables non négligeables. Enfin, la mutualisation des moyens au niveau européen (antibiotiques par exemple) est encore très difficile en dehors de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne. Un effort a aussi été fait en matière de détection précoce, essentielle pour répondre à la menace. Dès janvier 1999, un réseau de surveillance épidémiologique et de contrôle des maladies transmissibles était devenu opérationnel. Il permet d’échanger des données sur l’apparition de maladies transmissibles. Un ensemble de laboratoires d’analyses permet à présent de confirmer les données fournies par le réseau. La sûreté des matières nucléaires et des agents biologiques et chimiques Il ne s’agit pas là d’un sujet vraiment nouveau. Depuis la fin de l’URSS, la crainte que des matières nucléaires tombent entre les mains de pays ayant un programme militaire clandestin figure parmi les principaux sujets de préoccupation de nombreux Etats, au premier rang desquels se trouvent les Etats-Unis, qui ont consacré un effort financier considérable pour diminuer ce risque. Quant aux pays européens, ils voyaient souvent sa matérialisation sur leur sol, avec le développement de trafics illicites clandestins inconnus du temps de la guerre froide. La raison en est à la fois l’affaiblissement des contrôles exercés sur l’ensemble des pays qui constituaient l’Union soviétique et le développement de réseaux et de trafics clandestins qui trouvent souvent leur origine sur le territoire de l’ex-URSS. Ce risque était donc pris en compte bien avant le 11 septembre 2001. La nouveauté porte là encore sur l’acquisition possible de matières fissiles non par des Etats mais par des groupes terroristes. Elle porte aussi sur une attention beaucoup plus importante qu’auparavant à la sûreté des agents biologiques et chimiques, qui ne bénéficiait pas jusqu’alors d’un niveau de priorité comparable au nucléaire. Elle porte enfin, après que des experts ont réclamé sans succès pendant des années la mise en place d’un CTR européen77, sur une implication politique et financière plus signi- 29 1 Le terrorisme international et l’Europe ficative des pays européens. Dès l’automne 2001, l’OTAN a eu des discussions avec la Russie sur ce sujet. Mais c’est le sommet du G8 qui s’est tenu au Canada, à Kananaskis, en juillet 2002, qui a fait la percée. Il n’aurait sans doute jamais été possible d’obtenir un engagement de 20 milliards de dollars sur les prochaines dix années en l’absence de l’ébranlement causé par le 11 septembre 2001. Certes, l’engagement financier des pays du G8, notamment des pays européens, est encore loin d’être ferme. A ce jour, seuls l’Allemagne et le Royaume-Uni ont précisé leur niveau d’engagement (1,5 milliard de dollars et 750 millions de dollars respectivement sur dix ans)78. D’autres urgences financières, la croyance que les EtatsUnis continueront de se charger du problème, la méfiance à l’égard de certaines procédures russes et le manque de transparence de Moscou menacent la mise en œuvre de cette initiative. Les décisions prises vont donc requérir un suivi rigoureux pour passer dans les actes. Les projets sont discutés depuis l’automne 2002, et tiennent compte des capacités de vérification de l’utilisation des fonds consenties par les Russes. Malgré toutes les limites qui viennent d’être décrites, la participation européenne à la réduction de la menace en Russie devrait passer progressivement à un niveau qu’elle n’a pas encore connu depuis la fin de l’URSS. Elle pourra donc bientôt se comparer moins inéquitablement avec ce que font les Etats-Unis depuis plus de dix ans79. C’est un résultat appréciable. 77. CTR : Cooperative Threat Reduction. Ce programme a bénéficié depuis la fin de l’URSS de la ténacité de deux sénateurs américains, Sam Nunn et Dick Lugar, qui ont associé leur nom à cet important programme conduit avec les autorités russes. Conclusion : Une nouvelle perception du problème posé par la prolifération des armes de destruction massive 78. La France fera sans doute connaître le niveau de sa contribution en 2003, où elle assumera la présidence du G8. Les pays européens ont progressé de façon significative depuis la fin des années 1980 dans leur analyse de la prolifération et de ses implications pour la sécurité de l’Europe. Alors qu’il s’agissait d’une préoccupation mineure pendant la guerre froide, dominée par une menace soviétique plus évidente, la dissémination des armes nucléaires80, biologiques et chimiques ainsi que des vecteurs permettant de les projeter, est progressivement devenue un des premiers sujets des politiques de sécurité européenne. Les équipes d’experts qui travaillent sur ces questions dans les ministères des affaires étrangères, de la défense et dans les services spéciaux des capitales européennes ont été renforcées. Les contrôles à l’exporta- 79. L’Union européenne aurait dépensé 300 millions de dollars sur dix ans et les Etats-Unis 6 à 7 milliards de dollars pendant la même période. 80. Une mention spéciale doit ici être faite des armes nucléaires non stratégiques, qui ne font jusqu’à présent l’objet que d’engagements unilatéraux (1991-1992), et qui posent des problèmes particulièrement délicats à la prolifération, mais aussi au terrorisme nucléaire. 30 1 L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre tion ont été revus. Et si leurs conclusions diffèrent souvent par rapport à celles des Etats-Unis en ce qui concerne les solutions à apporter81, la compréhension du phénomène est à présent plus proche entre les deux rives de l’Atlantique qu’à la fin du siècle dernier, y compris sur des sujets délicats comme celui de la prolifération balistique ou des programmes clandestins de l’Iran. Divisés entre eux sur la question du désarmement nucléaire, les Européens s’accordent sur la lutte contre la dissémination des savoirs, des équipements, des technologies, et des matières qui peuvent servir à disséminer les armes de destruction massive, tout particulièrement dans les régions les plus instables. Il leur faut aussi reconnaître que les traités internationaux, qui par définition ne contraignent que les Etats, doivent être associés à d’autres mesures pour répondre au problème posé par la dissémination d’armes non conventionnelles dans des réseaux non étatiques. Il est un domaine en revanche où la question du terrorisme NRBC a ouvert un débat transatlantique difficile ; il concerne la politique à l’égard de l’« Axe du Mal », une expression malheureuse qui figurait dans le discours du président Bush sur l’état de l’Union en janvier 2002. Les Européens ne souhaitent nullement que les risques, même réels, du terrorisme NRBC conduisent à lancer des opérations militaires préventives contre des pays qui développeraient des programmes d’armes de destruction massive. De telles opérations ne pourraient en effet se prévaloir d’une légitimité internationale que si les procédures d’évaluation de la menace et les procédures de décision conséquentes avaient un caractère collectif. Sinon, elles risqueraient d’accroître l’instabilité tout comme le risque d’usage des armes non conventionnelles. Les relations euro-américaines Un retrait américain des Balkans ? Cette question fait aussi partie de celles qui ont été posées très vite après les attentats et on peut donc la tenir pour une des conséquences immédiates. Les Balkans n’ont jamais été perçus comme une région stratégique pour Washington, même du temps de la précédente administration. Les guerres qui s’y sont déroulées dans les années 1990 ont maintenu l’illusion que l’Europe et la sécurité 81. Qu’il s’agisse des défenses antimissiles, dont l’urgence et même l’utilité demeurent assez mal comprises en Europe, ou de la guerre contre les pays détenteurs de programmes clandestins. 31 1 Le terrorisme international et l’Europe européenne continuaient d’avoir de l’importance pour l’Amérique. Après le 11 septembre et la guerre en Afghanistan, cette illusion est terminée : c’est l’ère de la sécurité asiatique qui a vraiment commencé. Dans la dernière décennie, les crises à répétition en Corée du nord et autour de Taïwan, comme les essais nucléaires indiens et pakistanais, ont adressé ce message au monde. Mais la présence américaine dans les Balkans pendant toute cette période, ainsi que le maintien de 100 000 hommes en Europe, pouvaient laisser penser qu’un équilibre serait trouvé entre les deux pointes de « l’Eurasie ». Dès la fin septembre, il n’était guère possible d’avoir de doutes sur la volonté américaine de se dégager des Balkans. Paul Wolfowitz déclarait à l’OTAN le 26 septembre : « C’est un fait que lorsque nous commençons à déployer des forces autour du globe comme nous le faisons aujourd’hui, nous courons le risque de trop les étirer ». La prise en charge des Balkans par les Européens est en outre logique, surtout après les événements de septembre 2001. Les Etats-Unis ont d’abord indiqué leur intention de se retirer de Macédoine à l’automne 2002, ce qu’ils n’ont finalement pas fait. Ils se retireront des opérations de police en Bosnie en janvier 2003, et ne resteront pas non plus au Kosovo, où la question centrale de la souveraineté n’est toujours pas résolue82. Compte tenu de la présence de membres d’Al-Qaida en Bosnie, d’où ils peuvent ourdir des attentats en Europe et aux Etats-Unis, la permanence américaine subsistera encore quelque temps dans cette partie des Balkans. Plus préoccupante est la décision de retrait britannique du Kosovo, sans doute en raison d’éventuelles opérations militaires contre l’Irak au début de l’année 2003. La stabilisation des Balkans demandera encore aux Européens des années d’efforts, qu’ils risquent désormais d’être seuls à consentir. Comme l’ancien Premier ministre suédois Carl Bildt le répète à l’envi, la stabilisation des Balkans est encore loin d’être achevée. 82. Le problème du Kosovo est celui de la souveraineté de Belgrade ou de l’indépendance du Kosovo. L’administration provisoire des Nations unies et la KFOR ne pouvaient pas en modifier les données, qui sont entre les mains du Conseil de sécurité. L’Europe, contrairement à l’Amérique, n’a pas le sentiment 83 d’être en guerre Les Etats-Unis ont exprimé clairement leur volonté de faire de la lutte contre le terrorisme international le nouveau terrain de coopération avec l’Europe après la cause commune de la lutte contre le communisme pendant la guerre froide. Ils voient dans ce combat, comme dans celui qui a été conduit contre l’URSS, une 83. Ceci a encore été répété en juillet 2002 par Tom Ridge : « Nous sommes en guerre ». En Europe, seul le Premier ministre britannique, Tony Blair, s’est exprimé de cette façon. 32 1 L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre tâche de longue haleine, avec une dimension idéologique importante. Mais la plupart des Européens n’acceptent pas l’idée d’une « guerre » contre le terrorisme. Ils sont habitués à faire face à ce phénomène avec d’autres méthodes (renseignement, police, justice), sans avoir toujours intégré les conséquences du changement d’échelle apporté par les événements du 11 septembre 2001. La crainte des Européens, compte tenu de la nature même du terrorisme, est qu’il s’agisse là d’une guerre sans fin dans laquelle les Etats-Unis s’engagent sans en mesurer toutes les conséquences. Ils pensent enfin, même quand il s’agit des Britanniques, qu’il est particulièrement discutable de porter la guerre aux pays qui développent des programmes d’armes de destruction massive si ceux-ci ne se livrent pas à des provocations ou à des attaques84. Derrière ces différences d’appréciation, il y a des différences de politique budgétaire en matière de défense. Le 11 septembre n’a pas seulement conduit les Etats-Unis à se déclarer « en guerre ». Il a amené une augmentation très sensible des dépenses militaires aux Etats-Unis et il a entraîné la plus grande réorganisation du gouvernement depuis cinquante ans85. Un nouveau ministère de la sécurité intérieure, regroupant 22 agences fédérales, a été créé. La nouvelle loi a été adoptée en novembre 2002. En Europe, le Royaume-Uni et la France ont décidé des augmentations budgétaires après le 11 septembre. Un nouveau chapitre de la Strategic Defence Review a été adopté par Londres. Dans le cas français, malgré une reconnaissance du problème dans le projet de loi de programmation militaire, dont il a déjà été question, les mesures prises sont encore marginales86. L’objectif principal du projet de loi en matière d’équipements est de combler des lacunes identifiées avant les attentats (taux de disponibilité des avions et des bateaux par exemple)87 ou d’augmenter les forces de projection (avec la permanence à la mer d’un porte-avion et d’un groupe aéronaval au terme de la loi de programmation). La défense civile et les moyens spécifiquement affectés à la lutte contre le terrorisme ne bénéficient que faiblement des augmentations prévues. 84. C’est là du moins la position unanimement exprimée par les chancelleries. Il n’est pas certain que les ministères de la défense soient tous hostiles en Europe à des frappes préemptives. 85. Cette réorganisation sous la houlette de Tom Ridge est en effet comparée très souvent à la réforme engagée sous Harry Truman en 1947, avec notamment la création de la CIA et du National Security Council, qui a donné à l’Amérique les institutions de défense adaptées à la guerre froide. 86. Le Royaume-Uni semble avoir tiré des conséquences plus sérieuses du nouveau risque terroriste, avec un renforcement des moyens de surveillance aérienne, des forces spéciales, des moyens de lutte contre le terrorisme NBC et la création d’une Force de Réaction Domestique de 6 000 hommes. Quand ces mesures ont été annoncées à la Chambre des Communes au mois d’août 2002, le secrétaire à la Défense a souligné la nécessité de combiner des moyens défensifs et offensifs : « La défense à elle seule ne suffit pas. Le terrorisme comporte un élément de surprise, et un des principaux moyens de l’anéantir est de le combattre. Nous devons être capables de traiter les menaces à distance : frapper l’ennemi dans son propre camp, pas dans le nôtre, et au moment où nous le décidons, pas lui ». Malgré la réalité de la menace, la réaction en Europe est beaucoup plus mesurée qu’en Amérique 87. Un collectif budgétaire de 900 millions d’euros devrait apurer les difficultés les plus urgentes. Une nouvelle loi de programmation militaire devrait en outre permettre de réduire l’écart entre la France et le Royaume-Uni, qui sert de référence. Les sociétés ouvertes qui composent l’Europe présentent elles aussi un nombre presque infini de cibles potentielles pour des attaques terroristes. Elles sont aujourd’hui un lieu de regroupement de 33 1 Le terrorisme international et l’Europe membres d’Al-Qaida plus probable que l’Amérique. Les services spéciaux européens, dont les travaux dans le domaine du terrorisme ont accéléré leur allure, en tiennent compte. Des progrès ont été faits dans les domaines de la police, de la finance et de la justice. Mais la réaction d’ensemble au nouveau phénomène et aux menaces potentielles est lente et partielle. On ne voit pas d’appel au secteur privé pour développer de nouvelles technologies ou aux laboratoires pour accélérer la recherche médicale88. L’inventaire des infrastructures vitales des pays est engagé dans certains d’entre eux (c’est le cas en France par exemple), mais les dispositions pour en assurer la protection sont encore à définir, si l’on excepte des mesures spectaculaires comme celles qui ont été prises, à juste titre d’ailleurs, pour protéger des sites dont l’attaque aurait des résultats particulièrement dangereux comme, par exemple, l’usine de retraitement de La Hague89. La sécurité du transport maritime par conteneurs et la sauvegarde des approches maritimes font l’objet de plus de rapports que de mesures concrètes. La constitution de stocks de vaccins suffisants pour faire face aux menaces biologiques va prendre des années. Le renforcement de la sécurité des réseaux informatiques gérant les télécommunications et les approvisionnements en énergie et en eau commence seulement. Projection de forces ou défense du territoire ? Dans le langage européen, contrairement à l’Amérique, c’est la défense du territoire qui évoque le passé et la guerre froide90 et les forces de projection qui correspondent à un projet plus récent, postérieur a la guerre froide. Du côté américain au contraire, la guerre froide a toujours été liée à la capacité de projection extérieure et la découverte de la protection du territoire est beaucoup plus récente, même si le territoire américain était menacé depuis le début des années 1960 par les forces nucléaires soviétiques. Dorénavant, l’absence de division claire entre l’extérieur et l’intérieur, entre la défense du territoire et la projection de forces sera une des caractéristiques du siècle en matière de sécurité. Dans les deux domaines, l’Europe a des progrès importants à faire. 88. Le secteur privé devrait financer une partie de l’effort américain consacré à la défense du territoire. Comme l’a indiqué le président Bush, « nous devons rallier notre société toute entière pour faire face à un nouveau défi particulièrement complexe ». 89. Des missiles sol-air ont été déployés en France après les attentats autour de l’usine de retraitement. 90. La défense du territoire ne signifiait pas seulement la résistance à l’invasion mais aussi la protection de sites sensibles. 34 Le terrorisme international et l’Europe Les débats d’avenir 2 1 Terrorisme et démocratie 91 La protection des libertés 91. Les pays européens ont entrepris de renforcer leur arsenal juridique au prix parfois de ruptures avec leurs traditions en matière de libertés civiles. Fin novembre 2001, le Haut commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme, Mary Robinson, le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, Walter Schwimmer et le directeur du bureau de l’OSCE pour les institutions démocratiques, Gérard Stroudmann, ont mis en garde les gouvernements contre d’éventuels excès : « il est essentiel que les pays respectent les droits de l’homme et les libertés fondamentales » (« Mises en garde internationales devant des excès dans la lutte antiterroriste », AFP, Vienne, 29 novembre 2001). Aux Etats-Unis mêmes, des juges américains contestent la mise au secret des détenus du 11 septembre : 1 200 personnes ont été arrêtées après les attaques contre New York et Washington (750 pour infraction aux lois sur l’immigration, une vingtaine comme « témoins matériels » et la dernière catégorie comprendrait des individus accusés d’être « au service de l’ennemi »). A l’été 2002, seuls 200 d’entre eux seraient encore en prison sans garanties juridiques : leur nom même est gardé secret. En outre, 600 prisonniers sont détenus sur la base navale de Guantanamo Bay, mais il n’y a pas de divergence dans ce cas entre l’exécutif et le législatif américain car la base ne relève pas des tribunaux américains. Des avocats et des associations de défense des droits de l’homme se sont en revanche mobilisés pour poser des questions également sur le sort de ces prisonniers. Il est naturel que des nations démocratiques s’interrogent sur l’effet que des mesures prises pour faire face à une situation exceptionnelle peuvent avoir sur la protection des libertés fondamentales, qui constituent le cœur de leur identité politique. C’est la raison pour laquelle les décisions prises tant aux Etats-Unis qu’en Europe pour protéger les sociétés de nouvelles attaques ont fait l’objet de part et d’autre de l’Atlantique d’un débat vigoureux. Celui-ci a débouché sur la question plus vaste de l’équilibre à trouver entre sécurité et liberté. Les démocraties présentent, c’est bien connu, beaucoup de vulnérabilités face au terrorisme. Parmi celles-ci, on trouve leur ouverture, la façon dont elles consacrent la liberté d’expression et d’information, et la protection des minorités et des droits des accusés. Ces caractéristiques constituent assurément des faiblesses face à un adversaire déterminé à les frapper, sans avoir de scrupules sur les moyens. Mais leur préservation est aussi celle des démocraties elles-mêmes92. Le débat a été particulièrement vif au Royaume-Uni et en Allemagne. Au Royaume-Uni, l’adoption d’une nouvelle loi en décembre 200193, permettant d’emprisonner sans jugement les étrangers suspectés de terrorisme et de les garder en prison indéfiniment, a été critiquée non seulement par les défenseurs des libertés civiles mais aussi par les juges britanniques94, qui y ont vu une discrimination inacceptable entre les ressortissants étrangers résidant en Grande-Bretagne et les ressortissants britanniques. La difficulté est d’autant plus grande que ces individus, qui risquent souvent la peine de mort dans leur pays d’origine, ne peuvent pas être extradés d’un pays de l’Union européenne. Au moment même où la nouvelle loi était votée au Royaume-Uni, des documents trouvés à Kandahar, en Afghanistan, montraient qu’une attaque avait été planifiée contre Londres au cœur de la City 35 2 Le terrorisme international et l’Europe (à Moorgate). Paradoxalement, ce débat se produit alors que le Royaume-Uni est toujours taxé de laxisme en matière terroriste par d’autres pays de l’Union européenne, comme la France95. Pourtant, depuis le 11 septembre, les lois sur l’immigration et le droit d’asile ont aussi été renforcées au Royaume-Uni et l’incitation à la haine religieuse a été criminalisée. En Allemagne, dès le 7 novembre 2001, de nouvelles mesures antiterroristes ont été adoptées. Certaines seront appliquées seulement pour une période de cinq ans et seront alors à nouveau examinées par le Parlement96. Le statut de réfugié peut être supprimé en cas de risque pour la sécurité intérieure. Les organisations religieuses qui abusent de leur statut pour commettre des activités criminelles pourront être mises hors la loi – l’organisation « Le Caliphat », à Cologne, a été interdite à la suite de cette loi en raison de liens soupçonnés avec Al-Qaida. Elle avait 1 300 disciples en Allemagne. Des « sky-marshals » armés pourront se trouver à bord des avions comme aux Etats-Unis. La tradition de respect des libertés privées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale est entamée (en particulier une loi religieuse interdisait au gouvernement de bannir ou de restreindre la liberté d’un groupe religieux)97. Le principal problème allemand pour lutter contre le terrorisme est toutefois la dispersion des administrations dans l’Etat fédéral. Les polices des 16 Länder n’échangeaient jusqu’à une date récente pas d’informations régulières avec leurs collègues d’autres régions. Les enquêtes criminelles sur tout le territoire allemand étaient très rares. Depuis 2001 cependant, un groupe de travail a été créé à Wiesbaden pour confronter les informations du BND (renseignement extérieur), BFV (renseignement intérieur) et BKA (police). Après le 11 septembre, le ministre de l’Intérieur, Otto Schily, qui a été l’avocat des terroristes des années 1970, a fait adopter de nombreuses mesures antiterroristes « au nom de la sécurité et de la défense de la démocratie » : « Nous devons nous défendre et défendre les sociétés ouvertes contre nos ennemis. Ils utilisent les possibilités de la société démocratique, qu’il faut donc protéger ». La nouvelle législation allemande étend les pouvoirs de surveillance des agences de renseignement et remet en cause les lois très strictes qui protégeaient la vie privée en Allemagne. Les empreintes digitales doivent désormais figurer sur les documents d’identité. Les demandeurs de visas auront leur voix enregistrée. Les transactions financières seront soumises à examen. Les organisations religieuses qui prêchent la violence pourront être bannies. Ce sont là des changements importants pour un pays qui avait pris 92. Voir David Gompert, Terrorism and Democracy, George C. Marshall European Center for Security Studies, août 2002 : « La définition de critères raciaux, des mesures de répression sévères, la surveillance à domicile, l’immixtion dans les relations client-avocat et l’encouragement des citoyens et des représentants à signaler tout « comportement suspect » devraient permettre plus de sécurité. Mais nous devrions comprendre que ces mesures entravent nos croyances démocratiques et nos libertés . » 93. Loi du 14 décembre 2001 (Anti-Terrorism, Crime and Security Bill), qui précise dans une introduction : « La présente loi associe le respect de nos droits fondamentaux et la garantie qu’ils ne sont pas exploités par ceux qui chercheraient à leur porter atteinte ». 94. Le 30 juillet 2002, la Commission d’appel pour l’immigration (« Special Immigration Appeals Commission ») a décrété que la Loi du 14 décembre établissait une discrimination inacceptable entre les Britanniques et les nonBritanniques. Cette loi a permis la détention illimitée sans jugement de 11 suspects, dont 9 appartiennent à la catégorie A (prisonniers tenus pour particulièrement dangereux) et sont détenus dans des quartiers de haute sécurité dans les prisons de Belmarsh (sud de Londres) et de Wood Hill (Milton Keynes). Curieusement, les juges ont estimé que cette loi ne poserait pas de problèmes si une dérogation à l’article 14 de la Convention européenne sur les droits de l’homme avait été demandée. Cet article porte précisément sur la discrimination raciale et religieuse. 95. En juillet 2002, Time Magazine, qui citait des sources françaises, prétendait qu’un des lieutenants européens d’Al-Qaida, Abu Qatada, bénéficiait d’une protection du MI5, le service de contre-espionnage britannique. Il a depuis été arrêté. 96. Par exemple, l’autorisation d’imprimer les empreintes digitales sur les passeports pour éviter les contrefaçons. 97. Cf Frankfurter Rundschau, novembre 2001 : « Trop de monde en Allemagne a voulu ignorer le 36 2 Les débats d’avenir tant de précautions à protéger ses citoyens de l’Etat après l’expérience nazie, et ils ne sont pas acceptés de façon passive. En fait, l’Europe toute entière doit à présent repenser l’équilibre entre les libertés fondamentales et la sécurité sans laquelle ces libertés ne pourront subsister98. Un des principaux éléments du débat démocratie/terrorisme est celui des juridictions d’exception, comme celles qui ont été mises en place aux Etats-Unis99. Elles apparaissent condamnables en Europe à deux titres : elles dérogent aux règles des pays démocratiques et elles empêchent la collaboration, essentielle dans la lutte contre le terrorisme. Les systèmes dérogatoires sont par définition un frein à la coopération internationale100. problème (…) avec la croyance erronée que l’intégration consistait à laisser tout le monde faire ce qu’il veut ». 98. Il importe en particulier de ne pas mettre en place des lois et des pratiques qui rendent impossible pour les réfugiés le dépôt de leur demande d’asile dans des pays européens. 99. Le débat sur la protection des libertés démocratiques est également très vif aux Etats-Unis depuis l’automne 2001. Le système politique américain contient un certain nombre de contre-mesures efficaces pour éviter les abus. En particulier, une cour créée en 1978 après le Watergate, chargée de surveiller les opérations de contreespionnage menées par le FBI, a identifié près d’une centaine de cas où les écoutes ou les surveillances électroniques étaient illégales et a refusé l’extension de certaines prérogatives du Bureau, autorisées par la loi « Patriot », votée après le 11 septembre. Voir Katty Kay, « US court restricts right to spy on terrorist suspects », The Times, 24 août 2002. Mais la situation des prisonniers retenus hors du territoire américain ne bénéficie d’aucune des garanties prévues par la loi. Ce débat a lieu au niveau international au moment où les moyens techniques de rassembler des données sur les individus n’ont jamais été aussi grands. Ainsi, les Japonais se sont récemment opposés, en août 2002, à la tenue de « registres de famille » par la police. Il y a aussi, naturellement, la question de l’assassinat des prisonniers en Afghanistan par les alliés des Etats-Unis, notamment ceux qui auraient été étouffés par les hommes d’Abdul Rashid Dostum dans des containers lors de leur transfert à la prison de Sheberghan près de Mazarel-Sharif en novembre 2001. La seconde phase de la guerre et la question de l’Irak Une guerre sans fin ? Washington a d’emblée défini la guerre contre le terrorisme comme une opération planétaire, qui ne pouvait de surcroît définir à priori les éléments d’une victoire. Le discours du président Bush au Congrès le 20 septembre 2001, qui indique qu’il y a « des milliers de ces terroristes dans plus de soixante pays », comprend aussi deux phrases inquiétantes : « La guerre contre le terrorisme ne finira pas avant que tout groupe terroriste à vocation mondiale ne soit trouvé, arrêté ou vaincu » et « Notre ennemi est un réseau de terroristes radical et tout gouvernement qui les soutient. Notre guerre contre le terrorisme commence avec Al-Qaida mais ne se termine pas avec elle ». Certes, ce discours a été prononcé à un moment d’émotion maximum et il a été suivi d’une période de modération, dans la préparation de la guerre contre les Taliban. Mais il s’agit tout de même à bien des égards d’une « guerre perpétuelle », dont nul ne connaît à l’avance le déroulement ou le possible dénouement. C’est une tâche presque infinie qui est ici décrite. La flexibilité donnée aux forces américaines et à la politique qui les guide ne pourrait pas être définie de façon plus large. Après la prise rapide de Kaboul, l’installation d’un gouvernement provisoire, et la tenue d’élections – trois succès certes remarquables –, la stabilisation du gouvernement d’Hamid Karzai n’est pas aisée101. Outre l’Afghanistan, les troupes américaines sont aujourd’hui présentes, pour des opérations d’ampleur différente, de la Colombie aux Philippines. Enfin, deux autres guerres s’ajoutent à la première : celle qui 100. Il convient de souligner que le rapport annuel d’Amnesty International de 2002 est très sévère sur le bilan de l’après-11 septembre. Les démocraties n’ont pas seulement pris des mesures antidémocratiques. Elles ont aussi adressé un message dangereux aux régimes autoritaires qui ont fait un usage encore beaucoup plus abusif de la guerre contre le terrorisme. Les forces armées ont ainsi repris de la 37 2 Le terrorisme international et l’Europe oppose les Etats-Unis aux Etats qui soutiennent le terrorisme et celle qui les oppose aux Etats qui développent des programmes d’armes de destruction massive. C’est là sans doute ce que les Européens ont le plus de mal à accepter, surtout quand ces guerres sont associées à la doctrine de frappe préventive exprimée par le président Bush lors de son discours à West Point, le 1er juin 2002102. De telles opérations posent en effet de sérieux problèmes de légitimité et risquent de produire au moins autant de désordre que d’ordre dans les affaires internationales, surtout si d’autres pays se sentent légitimés à en faire autant. puissance dans certains pays où elles avaient commis quantité de violations des droits de l’homme, et les oppositions de toute nature ont été réprimées au nom de la guerre contre le terrorisme. 101. Parmi les nombreux problèmes internes auxquels Hamid Karzai doit faire face, se trouvent les milliers de prisonniers qui demeurent sur le sol afghan (entre 2 500 et 4 000) que les pays d’origine manifestent peu d’empressement à récupérer. 102. « Si nous attendons que les menaces se matérialisent, ce sera trop tard (...) Nous ne vaincrons pas le terrorisme en restant sur la défensive. Nous devons lever les armes contre l’ennemi, saboter ses plans et contrer les pires menaces avant qu’elles ne se concrétisent (...) Notre sécurité a besoin de l’attention et de la résolution de tous les Américains, de leur capacité d’agir lorsqu’il sera nécessaire de défendre notre liberté et nos vies ». Il est troublant de constater que le 2 septembre 2002, le chef de la diplomatie russe, Igor Ivanov, s’est prononcé de son côté pour une action multilatérale « à titre préventif » dans la lutte contre le terrorisme international et contre d’autres menaces globales. La nouvelle doctrine de sécurité des Etats-Unis, publiée en septembre 2002, confirme l’importance du concept de « guerre préventive ». Ceci étant, si une guerre était déclarée contre l’Irak, ce ne serait pas une guerre préventive, mais la rupture du cessez-lefeu de 1991, qui avait pour condition le désarmement de l’Irak. Les services occidentaux ont tous les preuves que ces programmes ont repris depuis 1998. Dans cet ensemble, l’Irak a une place spécifique La communauté internationale et l’Irak sont toujours depuis 1991 dans une situation de cessez-le-feu, qui a été rompue à plusieurs reprises par des opérations militaires limitées, liées au refus de l’Irak de procéder au désarmement visé par la résolution 687 du Conseil de sécurité des Nations unies103. La perspective d’une opération militaire en Irak divise profondément les Européens et les Américains104 et risque de mettre en péril la coalition contre le terrorisme. Le Chancelier Schröder a déclaré que « le Proche-Orient avait besoin d’une nouvelle paix et non d’une nouvelle guerre », qu’une attaque contre l’Irak pourrait « détruire l’alliance internationale contre le terrorisme ». Il a ajouté qu’il ne participerait pas à cette « aventure », même avec un mandat de l’ONU, une position adoptée pour des raisons essentiellement électorales105. A Paris, le président de la République a reconnu, dans un entretien accordé au New York Times, la nécessité d’une pression accrue sur Bagdad pour que Saddam Hussein accepte le retour des inspecteurs, mais il a fermement défendu le rôle de l’ONU pour définir la marche à suivre en cas d’échec. Même les Britanniques ont fait connaître leurs craintes d’une intervention au Moyen-Orient dans le contexte actuel106 et une manifestation de 200 000 personnes a eu lieu fin septembre 2002 pour protester contre une guerre éventuelle contre l’Irak. La position de Tony Blair, très proche de celle de George W. Bush, selon laquelle « une des leçons du 11 septembre, c’est qu’il vaut mieux agir avant que les dangers et les menaces se concrétisent, plutôt qu’après », fait l’objet de vives critiques au sein du Parti travailliste. Les Européens craignent de voir engagée une opération militaire avec une légitimité internationale trop faible. Ils pensent qu’une utilisation d’armes de destruction massive par Saddam 103. La résolution 678 a autorisé la guerre et la résolution 687 a conditionné le cessez-le-feu au désarmement de l’Irak, qui a été interrompu depuis décembre 1998. Autrement dit, si une discussion au Conseil de sécurité s’impose, il n’est en revanche pas nécessaire juridiquement d’obtenir une nouvelle résolution du Conseil pour attaquer l’Irak. Mais la résolution 1441 est une grande victoire politique du Conseil de sécurité. 104. Voir Patrick Tyler, « US Plan to Invade Iraq Raises Alarms, Europeans Fear Consequences of War », International Herald Tribune, 38 2 Les débats d’avenir Hussein devient plus probable si aucune porte de sortie ne lui est laissée par Washington dont l’objectif principal est un changement de régime. Ils savent qu’une implication d’Israël dans la bataille sera presque impossible à empêcher et qu’elle peut avoir des conséquences imprévisibles107. Ils sont enfin conscients de la nécessité, pour des raisons de stabilité régionale, de maintenir l’unité de l’Irak et de préserver un gouvernement sunnite à Bagdad après la chute éventuelle de Saddam Hussein. La question de « l’après-Saddam » paraît au moins aussi difficile que celle de la guerre elle-même. Des questions plus vastes encore sont posées par ce projet d’intervention : si les Etats-Unis envisagent à présent de renverser par la force des régimes considérés comme dangereux108, où Washington s’arrêtera-t-il ? Ces appels à la prudence ont peut-être, surtout lorsqu’ils ont été repris au sein du Congrès, joué un rôle dans la décision du président Bush de s’adresser à l’Assemblée générale des Nations unies pour laisser une dernière chance aux inspections internationales. Cependant, à moins d’une coopération pleine et entière de Bagdad, celles-ci n’empêcheront pas Washington d’engager les opérations militaires nécessaires à un changement de régime à Bagdad, un point sur lequel la décision paraît prise109. Saddam Hussein, sous la pression conjuguée des Etats-Unis, du Conseil de sécurité, et des pays arabes, a annoncé le 17 septembre qu’il acceptait le retour des inspecteurs sans conditions. Il a aussi accepté les modalités pratiques (visas, communications, douanes, transport, etc.) des inspections lors d’une réunion technique avec Hans Blix, chef des inspecteurs de l’ONU pour le désarmement de l’Irak, le 30 septembre à Vienne. Enfin, il a dû accepter la résolution 1441 du Conseil de sécurité, adoptée à l’unanimité le 8 novembre 2002. La pression semble donc avoir payé. La seule chance d’éviter une opération militaire paraît à ce stade d’ouvrir rapidement les portes de l’Irak, sans aucune restriction d’accès, et de faire une déclaration complète des activités prohibées par les résolutions du Conseil de sécurité. jeudi 23 juillet 2002 . L’impression prévaut que les Américains sont obsédés par Saddam Hussein alors que les Européens le sont par la paix au Moyen-Orient. 105. Cette déclaration, très liée à la campagne électorale allemande, a attiré au chancelier en exercice une critique virulente non seulement du porte-parole de l’opposition pour les affaires étrangères, Wolfgang Schaüble, mais aussi de Washington. Voir Steven Erlanger, « Schroeder rebuked by US on Iraq war », International Herald Tribune, 17-18 août 2002. Voir aussi Josef Joffe, « Strong on words, weak on will », Time Magazine, août 2002. 106. Selon un sondage effectué en août 2002 par la chaîne de télévision Channel Four, 52% des personnes interrogées au RoyaumeUni se déclarent hostiles à une participation de l'armée britannique, contre 34% qui se disent favorables. Dans un article publié dans le Financial Times le 7 août 2002, Sir Michael Quinlan estime que la légitimité d'une action en Irak est « hautement discutable ». Il fait référence à la doctrine de la guerre juste pour indiquer qu'elle ne s'appliquerait pas au cas présent : « La doctrine de la guerre juste découle de siècles de réflexions et soutient la vision moderne de la guerre. Attaquer l'Irak serait une décision discutable malgré de nombreuses justifications, comme la cause juste, la proportionnalité et la juste autorité ». Il rappelle aussi la citation de Winston Churchill : « Ne croyez jamais que la guerre est douce et facile, ou que ceux qui s'embarquent pour ce voyage se rendent compte des vagues et des ouragans qu'ils rencontreront ». 107. Tout gouvernement israélien répondrait aujourd’hui à une attaque irakienne, car la leçon très générale de l’abstention de 1991 en Israël est qu’elle a diminué la dissuasion de Bagdad. Une campagne de vaccination a commencé en Israël contre la variole (pour des ambulanciers et des membres des services d’urgence) tandis que des milliers de familles se dotent de nouveaux masques à gaz. Voir Molly Moore, « Jittery about Irak threat, Israelis get masks and prepare for the worst », The Washington Post, 23 août 2002. Un allié qui s’éloigne La dimension géopolitique L’Europe se déplace vers l’Est, tandis que les regards de l’Amérique se déplacent vers l’Ouest. Avec l’élargissement, le cœur de l’Europe se déplace à Berlin. Avec la fin de la guerre froide, les regards de 108. Des commentateurs améri- 39 2 Le terrorisme international et l’Europe l’Amérique se détournent de l’Europe et se tournent vers l’Asie. Cette double réalité géostratégique, qui éloigne les deux rives de l’Atlantique, joue un rôle important dans l’évolution des relations euro-américaines. Dans un monde où les problèmes de sécurité sont de nature globale, ce peut être l’occasion pour chacun d’élargir le champ de sa vision stratégique, mais ce peut être aussi l’occasion d’un éloignement plus profond, surtout si d’autres éléments s’y ajoutent. cains recommandent parfois une attitude très ferme des Européens sur ce sujet : « Les Européens pourraient refuser que les Américains utilisent les moyens de l’OTAN pour attaquer l’Irak, puisqu’une telle attaque ne relève pas des accords sur la lutte contre le terrorisme qui ont débouché sur la résolution de septembre dernier prise dans le cadre de l’article 5 de l’OTAN ...= Les Etats-Unis ont bien plus besoin de l’OTAN que l’Europe : l’OTAN met en place les infrastructures indispensables aux déploiements stratégiques et militaires américains à travers l’Europe, l’Eurasie, le Moyen-Orient et l’Afrique. Les Etats-Unis bénéficient de la présence militaire de l’OTAN, avec généralement des privilèges extra-territoriaux dans chacun des pays membres de l’Alliance, et dans la plupart des membres du Pacte de Varsovie ainsi que dans les pays de l’exUnion soviétique appartenant au PpP ». Voir William Pfaff, « NATO’s Europeans could say ‘no’ », International Herald Tribune, 25 juillet 2002. En septembre 2002, après le discours du président Bush à l’Assemblée générale des Nations unies, le débat a considérablement évolué. Ce dont il s’agit à présent, avec l’adoption de la résolution 1441 en novembre 2002, c’est une pression de l’ensemble du Conseil de sécurité sur Bagdad. La dimension militaire Les moyens militaires, politique de sécurité, coopération internationale, traités multilatéraux, juridictions d’exception, relations avec l’OTAN, tout semble concourir à éloigner les deux rives de l’Atlantique depuis quelques mois110. L’augmentation du budget de la défense des Etats-Unis, qui dépensaient déjà environ 60 milliards de dollars de plus par an que l’ensemble des pays européens pour leur défense, est à présent de plus de 40 milliards de dollars, ce qui est supérieur au budget de défense le plus important au sein des pays de l’Union européenne. Le budget du Pentagone ainsi que la part du budget du département de l’énergie consacrée aux armes nucléaires représentait 300 milliards de dollars quand le nouveau président a pris ses fonctions. Il est de 350 milliards en 2002 et sera de 396 milliards de dollars en 2003. Quant à la projection pour 2007, elle est de 470 milliards de dollars, c’est-à-dire quinze fois le budget britannique de la défense. Même si l’augmentation prévue devra vraisemblablement être revue à la lumière des résultats économiques, entre les Etats-Unis et le reste du monde, ce n’est plus d’un « gap » qu’il faut parler, c’est d’un gouffre111. Au même moment, les Etats-Unis manifestent leur volonté de conserver la plus grande liberté d’action possible et de ne plus jamais engager d’opérations militaires en étant contraints par des « Comités »112, un rappel inexact de la guerre du Kosovo car jamais l’OTAN n’a discuté des cibles, qui ont seulement fait l’objet d’entretiens bilatéraux quotidiens avec les principaux alliés. Enfin, et en partie pour cette raison, l’OTAN apparaît de plus en plus comme une institution de sécurité collective plutôt que de défense collective et ce sentiment est encore renforcé par la perspective d’élargissement. Conscient de cette dangereuse évolution, qui risque de condamner l’institution et l’Alliance, le Secrétaire général de l’OTAN a souhaité que la réu- 109. Les dénégations de Washington sur ce point sont liées à la difficulté de justifier cet objectif du point de vue de la légalité internationale. 110. Voir l’article de Madeleine Albright, « The allies are troubled by Bush’s policies », International Herald Tribune, 23 mai 2002. 111. L’Amérique n’est pas une puissance guerrière contrairement à l’image qu’elle donne aujourd’hui. Souvenons-nous de la phrase de Woodrow Wilson en 1917 : « It is a fearful thing to lead this great peaceful people into war ». Les Américains ont-ils changé ? Le Congrès n’a autorisé l’emploi de la force armée que contre les responsables des attaques, non contre toute menace potentielle, même terroriste. Une attaque contre l’Irak par exemple requiert une nouvelle autorisation du Congrès, obtenue en octobre 2002 par le président Bush. 40 2 Les débats d’avenir nion de Prague de novembre 2002 soit non seulement consacrée à l’élargissement mais aussi, encore une fois, après les étapes de 1991 et 1999, à l’adaptation de l’Alliance et aux nouvelles menaces postguerre froide. Le sommet de l’OTAN à Prague a été l’occasion de nouvelles propositions américaines dans ce domaine, mais il est loin d’être certain que l’OTAN a retrouvé sa place à cette occasion. Les questions politiques Un des changements les plus remarquables, du point de vue européen, est peut-être la façon dont certains droits civils fondamentaux ont été remis en cause aux Etats-Unis, dans la patrie de la protection de l’individu face à l’Etat. En outre, au moment même où la souveraineté américaine apparaît mieux défendue que jamais, la guerre contre le terrorisme international tend à nier la souveraineté des Etats avec un droit d’ingérence généralisé. Une partie importante des attitudes de l’Amérique sur la scène internationale est peut-être tout simplement une transposition à l’extérieur de problèmes domestiques et de la détérioration de la vie politique américaine. En même temps, les Européens ne prennent pas suffisamment en compte les vulnérabilités américaines. Comme l’indique très justement Joseph Nye, dans son ouvrage « The Paradox of American Power », les Etats-Unis sont trop puissants pour être confrontés directement, mais ils ne le sont pas assez pour régler seuls le problème terroriste, celui des armes de destruction massive, ou pour imposer une solution au Proche-Orient. Les Européens craignent tout autant la vulnérabilité que la force de l’Amérique. Mais ils demeurent trop souvent spectateurs, insuffisamment conscients des divisions de l’Amérique elle-même sur tous les grands sujets stratégiques. Unis sur l’essentiel, la lutte contre le terrorisme international, les Américains sont en effet en désaccord sur les moyens. Les critiques internes de la politique de George Bush sont souvent plus virulentes encore que celles qu’il connaît en Europe. Les différends ont commencé à s’exprimer de façon plus claire à l’approche des élections de novembre 2002113, mais la victoire républicaine en a aussi montré les limites. Ils portent moins sur la guerre elle-même que sur les moyens de la conduire et sur les risques d’isolement de Washington à un moment où la coopération internationale apparaît plus nécessaire que jamais. Parmi les critiques principales, il y a donc la politique américaine au Proche- 112. « La mission doit déterminer la coalition, la coalition ne doit pas déterminer la mission », Foreign Affairs, vol. 81, n. 3 mai-juin 2002. 113. Les élections de mi-mandat (mid-term elections) sont toujours l’occasion d’une mise en cause sévère du président en exercice aux Etats-Unis. Celles-ci l’ont au contaire consacré. 41 2 Le terrorisme international et l’Europe Orient, jugée trop partisane, et les relations avec les alliés, jugées trop désinvoltes114. Le rapprochement avec la Russie Une nouvelle ère de coopération Il s’agit là sans doute d’une évolution qui se maintiendra dans la durée, car Vladimir Poutine n’a aucun autre choix disponible pour moderniser la Russie. L’Europe bénéficie du rapprochement entre la Russie et les Etats-Unis. Le président Bush, qui ne croît plus à une menace russe, voulait dès mai 2001 établir des relations personnelles avec Vladimir Poutine, qui a de son côté un besoin vital des pays occidentaux pour relever le principal défi de sa présidence : le relèvement économique. Ce qui était engagé entre les deux hommes depuis la première rencontre en Slovénie a pris un tour décisif avec les attentats. Vladimir Poutine n’a pas seulement été le premier à appeler George Bush. Il a aussi compris très vite le parti qu’il fallait tirer de l’événement. La Russie allait redevenir à l’occasion un acteur responsable sur la scène internationale et un interlocuteur essentiel pour l’Amérique en raison de son besoin de bases en Asie Centrale et de renseignements sur le terrorisme dans la région. C’était en outre l’occasion rêvée de présenter la Tchétchénie comme un des épisodes du combat commun contre le terrorisme115. Ce rapprochement se concrétise au moment où Moscou décide à la fin du mois de septembre 2001 une coopération des services de sécurité, l’ouverture de l’espace aérien russe pour des opérations humanitaires, et l’acceptation par la Russie de la mise à disposition des bases des pays d’Asie centrale. La Russie a tout de suite saisi que, face à l’initiative très rapide des Etats-Unis, elle ne devait pas rester inactive sous peine de perdre de l’influence dans cette région. 114. Naturellement, Washington peut ajuster sa politique avec le temps ne serait-ce qu’en raison des élections au Congrès. En outre, on peut se souvenir de la phrase de Churchill : « Vous pouvez être sûr que l’Amérique fera le bon choix, une fois qu’elle aura tout essayé ». 115. De ce point de vue, les événements d’octobre 2002 à Moscou sont très significatifs. On peut noter que les capitales européennes, malgré leur souci des traités multilatéraux, ne semblent pas avoir posé beaucoup de questions à Vladimir Poutine sur la nature du gaz utilisé par les forces spéciales russes, pour mettre fin à la prise d’otages à Moscou à la fin octobre 2002. Cette pusillanimité est inquiétante. La Russie, l’OTAN et le G8 Ce rapprochement a des conséquences importantes à l’OTAN. Le Conseil conjoint permanent OTAN-Russie décide le 2 octobre 2001 que des consultations auraient lieu sur la lutte contre le terrorisme. Elles débutent dès le mois d’octobre, mais 42 2 Les débats d’avenir c’est en mai 2002 que les relations avec l’OTAN sont modifiées à Rome, avec la création d’un nouveau Conseil à 20, où toutes les questions de sécurité autres que la défense collective (trafics illicites, prolifération, terrorisme) pourront être débattues avec la Russie. L’usage pratique que fera la Russie de ce nouvel arrangement est encore incertain, mais il a une valeur politique évidente. Un autre rapprochement notable est intervenu lors du sommet du G8 à Kananaskis au Canada (26-27 juin 2002), dont la Russie est apparue comme le premier bénéficiaire : elle est devenue membre à part entière du club du G8, dont elle prendra la présidence en 2006, et elle recevra jusqu’à 20 milliards de dollars pour neutraliser et sécuriser ses stocks d’armes de destruction massive. Ceci étant, les coopérations concrètes entre la Russie et l’Occident sont encore modestes sur les questions de sécurité, surtout quand elles requièrent une plus grande transparence de Moscou. Grâce à la guerre contre le terrorisme, la Russie conserve une importance remarquable dans les relations internationales En effet, la guerre contre le terrorisme conduite par les Etats-Unis et la volonté de Moscou de poursuivre une politique de rapprochement économique avec l’Ouest renforcent les deux pays et dominent la politique mondiale. Seulement dix ans après la fin de la guerre froide, les Etats-Unis et la Russie se dirigent vers une entente globale qui réduit l’influence stratégique de la Chine et du Japon mais aussi de l’Europe. De ce point de vue, l’attitude conciliante de la Russie sur ABM, la Missile Defense, l’élargissement de l’OTAN et la présence américaine en Asie centrale est beaucoup plus astucieuse que ne le pensent les observateurs, qui y voient une marque de faiblesse. Depuis le 11 septembre, le président Bush traite la Russie comme un partenaire plus fiable que ses partenaires européens. Les différends demeurent Malgré tous ces éléments de rapprochement, les sujets de tension avec les Etats-Unis demeurent. Pendant l’été 2002, l’annonce de la vente de plusieurs réacteurs nucléaires à l’Iran, celle d’un contrat de 40 milliards de dollars avec l’Irak et la visite du président nordcoréen Kim Jong Il dans l’Extrême-Orient russe ont donné lieu à 43 2 Le terrorisme international et l’Europe une réaction très ferme de Washington116. Avec l’Europe, les difficultés ne manquent pas non plus, même si elles sont d’une autre nature. L’un des principaux écueils est la question des visas de transit demandés par l’Union européenne pour les habitants de Kaliningrad qui voudraient se rendre en Russie. Moscou demande l’attribution de corridors et l’Union européenne veut protéger la sécurité de ses frontières extérieures après l’entrée de la Pologne et de la Lituanie. Un compromis a finalement été trouvé à Bruxelles en novembre 2002. Les étrangers proches Les relations avec le monde musulman De nombreuses réactions aux attentats du 11 septembre dans le monde musulman ont été des réactions de fierté : « les Arabes sont capables d’exploits qui ne sont pas seulement sportifs » résumait un journaliste marocain à l’automne 2001. Même dans les milieux sans lien avec Al-Qaida ni avec le terrorisme, les attentats ont été reçus avec une satisfaction que seules de profondes frustrations peuvent expliquer. Dans les sociétés musulmanes, des problèmes spécifiques de nature politique et économique contribuent au développement du terrorisme, comme le récent rapport des Nations unies sur le malaise du monde arabe l’a parfaitement mis en lumière117. L’absence d’espace démocratique118 dans la très grande majorité des pays musulmans donne aux mosquées une fonction de discussion presque unique tandis que les imams se voient abandonner l’éducation, comme c’est le cas en Egypte et en Arabie saoudite. En octobre 2001, Salman Rushdie écrit dans le New York Times : « Depuis trente ans environ, des organisations motivées regroupant des hommes musulmans (que n’entend-on pas la voix des femmes du monde islamique !) développent des mouvements politiques radicaux à partir de cet humus de « foi ». Ces islamistes incluent les Frères musulmans d’Egypte, les sanguinaires combattants des Front islamique du salut et des GIA en Algérie, les chiites radicaux iraniens et les Taliban. Ils s’appuient sur la pauvreté et leurs efforts ont pour fruit la paranoïa. Cet islam paranoïaque, qui rejette sur les étrangers, les « incroyants », tous les torts des sociétés musulmanes et qui, en guise de modèle, propose de fermer ces sociétés au projet concurrent de la modernité est 116. Voir l’article de Tom Shanker, « Rumsfeld Warns that Iraq Ties Will Hurt Russian Pocketbook », New York Times, 21 août 2002. 117. Le rapport « Art Human Development Report 2002 » a été publié en juillet 2002. Il souligne que le manque de libertés publiques, la répression des femmes et l’isolement des sociétés arabes par rapport au monde des idées constituent des éléments de blocage considérables pour leur développement. 118. La politique des pays européens dans la région ne contribue d’ailleurs pas à l’établissement de la démocratie, qu’ils redoutent. 44 2 Les débats d’avenir aujourd’hui la version de l’islam qui connaît l’expansion la plus rapide de par le monde. ». Les Européens, comme les Américains, ont souhaité rallier les pays musulmans modérés à la lutte contre le terrorisme pour dissiper les craintes d’un conflit de civilisations. Une délégation composée du Haut Représentant pour la PESC Javier Solana, du ministre belge des Affaires étrangères Louis Michel, du ministre espagnol des Affaires étrangères Jose Piqué, et du Commissaire aux Affaires extérieures Chris Patten a été chargée dès la fin septembre de se rendre au Pakistan, dans le Golfe (Arabie saoudite) et au Moyen-Orient (Iran, Egypte, Jordanie, Syrie). Les discussions ont porté sur la coopération, le processus de paix, le soutien financier aux Palestiniens et les efforts pour la mise en œuvre du plan Mitchell, dont l’Union européenne est le co-auteur. En outre, l’Europe est pour des raisons tant historiques que géographiques particulièrement sensible aux relations avec les pays du Maghreb, gravement touché par le terrorisme. L’Algérie occupe dans cet ensemble une place particulière. Après l’annulation du processus électoral qui a failli porter les islamistes au pouvoir à Alger, plus de 150 000 personnes ont été tuées, et l’identité exacte des assassins est encore loin d’être claire. Le nombre total d’Algériens dans les rangs d’Al-Qaida est estimé à 2 à 3 000 et une partie d’entre eux est revenue en Algérie à la suite de la guerre en Afghanistan. C’est un élément qu’il faudra prendre en compte dans les relations avec ce pays dans les prochaines années. L’urgence d’intégration de la population musulmane est d’autant plus grande qu’elle est en expansion Un des principaux sujets d’incompréhension entre l’Europe et les Etats-Unis est la présence en Europe de quinze millions de musulmans, qu’il s’agisse de Maghrébins en France, de Pakistanais au Royaume-Uni, d’Indonésiens aux Pays-Bas ou de Turcs en Allemagne. Washington attribue volontiers à la présence de cette population ce qu’elle considère comme une réponse trop timide au terrorisme en Europe, sans reconnaître que les gouvernements européens ont pour obligation de prévenir une radicalisation de cette population immigrée, souvent beaucoup plus mal intégrée dans les sociétés européennes que ne le sont les musulmans qui vivent aux Etats-Unis. La situation actuelle, loin de se stabiliser en termes quantitatifs, est d’ailleurs sans doute appelée à évoluer dans 45 2 Le terrorisme international et l’Europe les prochaines années avec une immigration musulmane plus importante encore sous la double influence de la régression démographique en Europe et des difficultés de développement des sociétés du pourtour méditerranéen. Un rapport de la Commission européenne publié en 2002 prédit que, dans le meilleur des cas, la croissance de la population en Europe d’ici 2015 sera nulle. A cette date, un Européen sur trois aura plus de 50 ans. L’immigration est déjà responsable de 70% de la croissance de la population en Europe119. Une Europe « fortifiée » contre l’immigration clandestine n’est pas une solution réaliste. Pour ce qui est du développement des sociétés du Maghreb et du Proche-Orient, les projections pour 2015 sont toutes pessimistes : elles seront plus importantes, plus pauvres et plus urbanisées, avec des perspectives d’emploi limitées. Sous la pression de courants populistes en Europe, la tentation est grande d’adopter des politiques de plus en plus restrictives en matière d’immigration, dont on ne voit pas bien comment elles vont répondre au problème posé par la démographie européenne et par les difficultés de développement des sociétés musulmanes120. L’Afrique, un continent en faillite 119. Il y a actuellement environ 500 000 immigrants par an en Europe. Les urgences de l’élargissement ont contribué, de façon très compréhensible, à réduire l’intérêt des Européens pour le continent africain. Cela s’est produit au plus mauvais moment, l’Afrique traversant depuis dix ans de terribles convulsions. Les attentats terroristes, qui ont fourni la preuve que les Etats en faillite ne sont pas seulement un problème désagréable du monde post-moderne, mais qu’ils peuvent représenter un défi stratégique en fournissant une terre d’accueil à des formes radicales de terrorisme, devraient amener l’Europe à porter à nouveau sur le continent africain un regard plus attentif. On serait tenté de penser que l’Afrique a vu le fond de ses problèmes dans les années 1990 et le début du XXe siècle avec les massacres au Rwanda, la guerre entre l’Ethiopie et l’Erythrée et la terrible guerre qui a sévi au Congo, faisant 2 millions de morts. Il n’en est rien. Au mois de mai, un article courageux est paru dans Le Monde sous le titre « L’Afrique suicidaire », qui présente un tableau désastreux de l’avenir africain : « Aujourd’hui, les Etats sont liquéfiés dans la plupart de nos pays, les gardes prétoriennes et les milices politico-ethniques ont supplanté l’armée, la police et la gen- 120. Voir Jean Eaglesham et Michael Mann, « Europe tries to hold up the traffic », Financial Times, 11 juin 2002. La Suède pourrait au contraire, si elle adopte les mesures qui ont été annoncées par le gouvernement social-démocrate en août 2002, s’engager dans une politique d’immigration volontariste pour assurer la pérennité de la protection sociale et des retraites et garantir le développement économique dans une période de régression démographique. Pour mémoire, rappelons également que le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, dans un message du 17 juin 2002 sur la prévention de la désertification, a annoncé qu’« en Afrique, quelque 60 millions de personnes quitteront la région sahélienne pour des lieux moins hostiles au cours des vingt prochaines années si la désertification de leurs terres n’est pas enrayée ». Quelles conclusions en tirent les pays européens ? 46 2 Les débats d’avenir darmerie, qui ne sont plus que les ombres d’elles-mêmes. L’insécurité s’est généralisée, nos routes et les rues de nos villages sont devenues des coupe-gorge. La tragédie du SIDA nous rappelle dramatiquement qu’avec des administrations efficaces et responsables nous aurions pu endiguer le fléau à ses débuts. Au lieu de cela, plus de 20 millions d’Africains, dont une majorité de jeunes et de cadres bien formés, ont déjà été arrachés à la vie, victimes des tergiversations de nos Etats et d’une ambiance sociale délétère et ludique où le sens de la responsabilité individuelle et collective s’est évaporé »121. Dans les prochaines années, le seul effet du SIDA va mettre à la rue des dizaines de millions d’orphelins et détruire des unités entières des forces armées de pays aussi importants que l’Afrique du sud122. Les conséquences dans le domaine de la sécurité, et les voies ainsi ouvertes à la violence ne sont pas difficiles à comprendre. Il faut espérer qu’elles seront saisies par les Européens, qui seront aussi les premiers à souffrir de la situation créée en Afrique dans dix à vingt ans si les tendances actuelles se poursuivent. 121. Jean-Paul Ngoupandé, ancien Premier ministre centrafricain, Le Monde, 18 mai 2002 122. 12 millions d’enfants sont déjà devenus orphelins du fait du SIDA en Afrique du sud. En 2010, ce nombre sera de 42 millions dans ce seul pays. En Sierra Leone, le SIDA a fait cinq fois plus d’orphelins que la guerre civile. Certains pays africains vont perdre un quart de leur force de travail agricole d’ici 2020. Au Kenya, 75% des décès dans la police ces dernières années sont dus au SIDA. Enfin plus de 60% des forces armées sud-africaines sont porteuses du virus du SIDA. Il faudrait encore ajouter l’effet de maladies comme la tuberculose, la malaria, l’hépatite C et les fièvres hémorragiques pour saisir le risque stratégique que posent les problèmes de santé dans ce continent. Le rôle de l’Union L’influence politique de l’Europe a tendance à se réduire Avec des cartes très supérieures à celles de la Russie après le 11 septembre, il est frappant de constater que l’Europe n’a pas su jouer ses atouts. Très mauvaise dans la gestion de la propagande par manque de voix unifiée et de volonté collective123, l’Europe n’a pas su tirer parti de la crise ouverte pour mieux se situer sur l’échiquier international. Elle aurait pu faire valoir ses capacités de renseignement humain (réelles dans le domaine du terrorisme) et de coordination des informations124, ses connaissance des réseaux (surveillés en Europe depuis près de dix ans), ses forces spéciales (à certains égards supérieures aux forces spéciales américaines), ses forces de maintien de la paix entraînées pour stabiliser des zones instables, sa conception large des questions de sécurité (dont on découvre aujourd’hui en Afghanistan qu’elle a une telle importance dans le succès durable de l’opération). Mais elle continue de se trouver le plus souvent dans la situation où elle accepte ce que lui impose l’Amérique, ou rechigne en ouvrant des débats qu’elle perd. L’hostilité à l’Europe se renforce à Washington qui estime parfois que les 123. Voir François Godement, « Pas d’Europe sans l’Alliance », Libération, 28 mai 2002 : « Le problème n’est donc pas celui d’une « autre » politique européenne. C’est qu’elle n’existe pas encore assez, et cela pour trois raisons fort simples : elle n’a pas de bras armé ; elle n’a pas encore d’unité d’action ; et les Européens ne sont pas même d’accord sur les valeurs qu’elle pourrait promouvoir ». 124. Voir Marc Champion, « On Issues of Security, US needs Lessons, Some Foreign Intelligence Agencies Seem to Coordinate Better than American Counterparts Do », The Wall Street Journal Europe, 12 juin 2002. 47 2 Le terrorisme international et l’Europe relations avec les Européens sont plus délicates qu’avec les Russes. Les réels atouts de l’Europe n’ont pas seulement été beaucoup moins bien utilisés par les Européens que le petit nombre d’atouts russes par Vladimir Poutine. Dans l’année qui vient de s’écouler, les Européens se sont en outre montrés incapables de résoudre des crises d’envergure très limitée qui les concernaient au premier chef. L’exemple le plus consternant est celui de l’îlot de Perejil en juillet 2002. Le 20 juillet, la médiation des Etats-Unis est nécessaire pour parvenir à un accord entre l’Espagne et le Maroc dans le conflit de l’îlot qui les divise. Paris et Madrid avaient entre temps trouvé le moyen d’adopter des positions opposées. Etait-il normal que Rabat ait recouru à Washington pour régler ce différend ? Sur la question sensible des visas pour les résidents de Kaliningrad qui désireraient se rendre en Russie après l’entrée dans l’Union européenne de la Pologne et de la Lituanie, la cacophonie européenne en juillet 2002 a suscité des commentaires acides et justifiés125. Enfin, la dispersion des grandes voix européennes sur la question de l’Irak en septembre a montré une fois de plus que l’Europe n’avait pas de politique étrangère commune. La politique américaine pourrait cependant favoriser l’unité des 126 Européens 125. En septembre 2002, la Commission a proposé un ensemble de mesures visant à faciliter le transit après l’élargissement. Le Conseil européen des 24 et 25 octobre à Bruxelles est parvenu à un compromis. L’irritation des Européens à l’égard de l’administration Bush pourrait avoir pour conséquence utile de leur faire prendre conscience, avec d’autres éléments, que le moment de vérité approche pour l’Europe127. Une grande partie des problèmes euro-atlantiques ont leurs racines en Europe, et non aux Etats-Unis. Ceux qui considèrent qu’une politique plus ouvertement critique serait nécessaire sur des sujets aussi divers que l’environnement, le contrôle des armes biologiques où la Cour pénale internationale ont sans doute raison, mais il serait au moins aussi utile, sinon plus, de faire également un sort aux évidentes faiblesses de l’Europe, y compris dans les domaines ou elle a le plus de prétention : le « soft power » et la diplomatie. Les réactions à l’article de Robert Kagan paru dans Policy Review128 sur la puissance américaine et l’impuissance 126.Voir Steven Erlanger, « US disdain provokes new unity in Europe », International Herald Tribune, 22 juillet 2002. 127. Ce sentiment est largement partagé. Voir la déclaration de Romano Prodi, président de la Commission européenne, à Valéry Giscard D’Estaing : « Votre Convention tient entre ses mains le sort global de l’Europe ». Comme le dit Giscard lui-même : « La Convention européenne est bien, à sa manière modeste, la dernière chance de l’Europe unie ». La Convention doit faire des propositions institutionnelles et constitutionnelles. 48 2 Les débats d’avenir européenne ont montré de l’irritation, et celle-ci était justifiée par la façon étroite avec laquelle la notion de puissance était définie. Mais encore faudrait-il prendre plus sérieusement la part des critiques qui paraît la plus pertinente. Si les deux côtés de l’Atlantique sont divisés sur l’usage de la force au XXIe siècle, les réserves européennes ne reposent-elles pas au moins en partie sur une forme de lâcheté qui consiste à laisser les Etats-Unis faire le gendarme, quitte à les critiquer ? La question la plus importante en effet est de savoir jusqu’où les Européens seraient prêts à aller dans la défense de leurs valeurs. Prendront-ils des risques, perdront-ils des vies ? On oppose souvent l’attitude européenne et américaine sur ce point. Est-ce toujours pertinent après le 11 septembre ? En d’autres termes, l’Europe est-elle prête à lutter contre les nouvelles formes de terrorisme ? L’Europe doit préserver ses valeurs contre des logiques sécuritaires mais aussi contre le terrorisme Le débat qui a lieu en Europe à l’occasion de la guerre contre le terrorisme a fait une place importante aux valeurs qui soutiennent les démocraties européennes. Qu’il s’agisse de la mise en place de législations d’exception, du débat sur l’application des Conventions de Genève aux prisonniers Taliban et d’Al-Qaida, de la participation à l’élaboration de fiches de police dans les entreprises, ou de la restriction des droits de certaines associations religieuses, cette discussion était nécessaire. Le respect des valeurs démocratiques est une des conditions essentielles pour l’accès à l’Union européenne et il importe donc de veiller à sa préservation. Dans un contexte où les talents populistes semblent souvent avoir l’initiative politique dans de nombreux pays européens, cette vigilance s’impose plus encore. Ce courant populiste nous rappelle en effet que les vieilles démocraties occidentales sont plus fragiles qu’on ne le croît souvent. L’utilisation à des fins malveillantes des libertés publiques est un des risques permanents des démocraties, qui doivent pouvoir y résister sans accepter de se défigurer. Mais il faut aussi protéger les sociétés européennes contre la montée de violences auxquelles elles ne pourraient pas résister sans se transformer de façon profonde, qui les rendrait également méconnaissables. 128. Robert Kagan, « Power and Weakness », Policy Review n. 113, juin-juillet 2002. 49 2 Le terrorisme international et l’Europe La situation actuelle est propice à une conversion européenne sur les questions de sécurité Cinquante ans après la Seconde Guerre mondiale, plus de dix ans après la fin de la guerre froide, il serait temps d’y songer. Cette conversion devrait d’abord consister à élargir le champ de vision stratégique de l’Europe, trop limitée encore à son environnement immédiat. Elle devrait ensuite donner une réelle priorité à la protection des populations civiles, qui risquent de plus en plus d’être menacées non seulement au sud (par les conflits interethniques), mais aussi au nord (par les conflits asymétriques). Cela signifie en particulier que la PESD devra faire une part importante à la défense civile. Enfin, si les Américains semblent avoir besoin de faire la paix avec un « soft power » qu’ils ignorent aujourd’hui trop souvent, les Européens devraient de leur côté se réconcilier avec l’usage de la force, s’ils veulent jouer un rôle dans la sécurité internationale du XXIe siècle. Cela est devenu nécessaire même pour combattre certaines formes nouvelles de terrorisme international, alors que des attaques terroristes plus classiques étaient jusqu’alors justiciables des seules opérations de renseignement et de police. C’est ce qu’a souligné à juste titre le secrétaire britannique à la Défense Geoff Hoon en juillet 2002 devant la Chambre des Communes. Les Européens doivent donc améliorer les défenses sur le front domestique et bâtir une capacité militaire offensive avec des forces plus mobiles, des moyens de projection plus performants, des capacités de surveillance accrues et des forces spéciales plus intégrées129. En Afghanistan, les pays Européens ont dû, sans trop y songer, mettre en place une force de stabilisation en seulement quelques semaines, dépassant ainsi de beaucoup les limites géographiques qu’ils avaient le plus souvent en tête avant les attentats du 11 septembre. Bien qu’ils paraissent encore peu enclins à saisir l’occasion de ces attentats pour revoir leur politique, la probabilité d’engagements loin du territoire européen augmente et la division du travail avec Washington évolue. Personne n’attend des Européens qu’ils s’occupent seuls de leur sécurité à un horizon prévisible, mais il serait temps qu’ils en assurent une part plus significative. 129. Ceci ne résoudra pas ipso facto les problèmes euro-américains, compte tenu de l’ambiguïté permanente de Washington sur les capacités militaires de l’Europe : plus l’Europe prendra d’initiatives, plus Washington deviendra soupçonneux. Mais l’Amérique ne prendra l’Europe au sérieux qu’à la condition qu’elle existe aussi sur le plan militaire et la sécurité européenne exige des Européens une contribution plus importante à l’heure où les défis asiatiques sont si nombreux pour l’Amérique. La grave crise nord-coréenne ouverte en octobre 2002 en est un nouveau rappel. 50 Le terrorisme international et l’Europe Conclusion : Dix leçons du 11 septembre 1. La privatisation de la violence a atteint un degré tel que le phénomène présente un défi de nature stratégique et non seulement sociétal ou tactique A partir du moment où des milliers de morts peuvent être victimes d’attaques terroristes dans les grandes métropoles, le phénomène du terrorisme change de nature. Il ne peut plus simplement être traité avec des agents de renseignement et des policiers, comme l’Europe l’a fait, souvent avec succès, pendant des décennies. Cela est encore plus vrai, naturellement, si les attaques peuvent inclure des armes de destruction massive, une menace réelle et très peu comprise en Europe : les attaques terroristes non conventionnelles font à présent partie non des simples possibilités, mais des probabilités. Elles s’inscrivent dans la montée de la violence que l’on observe au début du XXIe siècle. Cette novation doit être pleinement reconnue dans les capitales européennes. 2. Pour la première fois, une intervention militaire est jugée nécessaire pour répondre à une attaque terroriste C’est une conséquence de la réalité précédemment décrite. Cette nécessité a été reconnue au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2001 par l’ensemble de la communauté internationale. L’Europe n’en a pas tiré suffisamment de conséquences, au niveau collectif ou individuel. Que se serait-il passé si une attaque du même type avait eu lieu dans une capitale européenne ? Aurait-il fallu dépendre entièrement des moyens et de la volonté américaine ? Et que se serait-il passé si les Etats-Unis étaient déjà impliqués dans un conflit où des intérêts propres étaient en jeu ? Quels auraient été les moyens de rétorsion des Européens, sans capacité d’accès significative à la base même du pouvoir terroriste ? On ne peut accepter de se trouver dans la même situation d’impuissance dans dix ans. 51 Le terrorisme international et l’Europe 3. La mondialisation de l’insécurité signifie qu’on ne peut répondre à la nouvelle menace qu’avec une vision globale et avec une coopération globale L’Europe manque aujourd’hui de l’une comme de l’autre. En principe, l’élargissement de l’Union européenne, qui va rapprocher l’Europe de l’Asie, et tout spécialement de l’Asie centrale, devrait constituer l’occasion d’une révision des intérêts de sécurité européens et d’une plus grande curiosité pour les affaires asiatiques. L’Europe n’est plus au centre de l’échiquier mondial et craint sa marginalisation – par manque de capacités – mais elle doit surtout retrouver une vision du monde et de ses responsabilités globales, qu’elle a perdu dans la deuxième partie du XXe siècle en raison des événements tragiques auxquels elle a dû faire face. Depuis le 11 septembre, les crises régionales n’ont pas changé de nature, mais leur gravité potentielle a augmenté de façon exponentielle. L’Europe ne peut être insensible à cette évolution. La crise nord-coréenne est la meilleure occasion de le rappeler. 4. La puissance militaire, qui protège les pays occidentaux d’attaques directes d’autres Etats, ne les protège pas d’attaques terroristes sur leur sol Au moment même où l’Europe se dote de capacités de projection, le territoire national est à nouveau vulnérable. La guerre froide avait fait peser une menace majeure sur le territoire européen, mais en raison précisément de l’énormité de la menace, la guerre paraissait « improbable », et avait été déportée vers la périphérie. Elle tend peut-être à présent à revenir au centre. La protection des populations civiles, longtemps délaissée au profit de la protection des seuls soldats, doit devenir une priorité130. La dissuasion nucléaire a sans doute joué un rôle majeur dans les calculs de l’ex-URSS, mais quel que soit le jugement des différents observateurs sur cette question, il est sûr qu’elle n’en jouera aucun dans ceux des réseaux terroristes. La protection doit donc à présent prendre toute sa place dans les politiques de défense. Le retour de la vulnérabilité des nations occidentales est en effet surtout celle de leurs populations civiles. 130. La nouvelle loi de programmation militaire de la France, rendue publique en septembre 2002, et qui comporte une augmentation significative des crédits affectés à la défense, n’a consacré qu’une très faible part de cet effort à la défense civile, alors que la protection des forces pour faire face à des attaques non conventionnelles, est améliorée. 52 Conclusion : Dix leçons du 11 septembre 5. Les conséquences pour les politiques de défense sont nombreuses Développer les capacités de renseignement et d’alerte ; accroître le volume et la qualité des forces spéciales ; mettre en place des programmes de défense civile, particulièrement dans le domaine NRBC ; protéger les installations critiques ; accroître le volume de l’effort consenti en matière de missiles antimissiles. Dans ce dernier domaine, la défense contre les missiles de croisière, jusqu’alors secondaire, devient beaucoup plus importante qu’elle ne l’était avant le 11 septembre. C’est même un des domaines de collaboration potentiels importants avec les Etats-Unis, qui n’avaient pas mis la priorité sur ce point avant les attentats. La réalisation que les avions de ligne étaient utilisés comme des missiles de croisière a contribué à réveiller les esprits. 6. Les Européens pourraient jouer un rôle utile aux côtés des Etats-Unis, pour peu qu’ils abandonnent leur passivité Un des facteurs principaux qui encourage l’unilatéralisme américain est la faiblesse de la présence de l’Europe sur la scène internationale. Les Européens contribuent ainsi à encourager le trait qu’ils disent le plus déplorer131. Compte tenu de l’intensité du débat qui se poursuit aux Etats-Unis sur tous les grands sujets de politique internationale, y compris au Congrès, les Européens pourraient avoir une influence réelle, pourvu qu’ils proposent des solutions aux principaux problèmes de sécurité au lieu de se contenter de critiquer la politique de l’administration Bush. Un bon début pourrait être un plan crédible d’inspections internationales en Irak et une réponse concertée au chantage de la Corée du nord. 131. En outre, les déclarations du chancelier Schröder sur la « voie allemande », pendant la campagne électorale, peuvent difficilement passer pour une illustration du choix des pays européens en faveur du multilatéralisme. C’est au contraire une position clairement unilatérale de l’Allemagne, comme Alain Juppé l’a souligné. 7. Dans la guerre des idées qui est engagée, les pays occidentaux sont mal armés pour faire face à une pensée radicale Les Européens sont peut-être plus démunis encore que les Américains parce qu’ils sont plus sceptiques. L’importance des facteurs idéologiques et religieux resurgit sur la scène internationale au 53 Le terrorisme international et l’Europe moment où l’idéologie semblait avoir quitté l’hémisphère nord avec la dissolution de l’ex-URSS. Le spectre d’une menace qui échappe à toute forme de rationalisation et qui ne repose que sur l’exercice de la violence interdit en outre la mise en œuvre d’un processus de négociation auquel les Européens accordent souvent leur foi. Si la montée aux extrêmes est immédiate, sans préavis, comme le 11 septembre l’a montré, le processus politique est condamné d’avance. Par quoi le remplacer ? 8. L’intégration des communautés musulmanes en Europe doit être vue avec un degré de plus grande urgence Le nombre de musulmans est appelé à augmenter en Europe dans les vingt prochaines années sous la pression de leurs pays d’origine dont les projections économiques – et politiques – sont peu encourageantes. Seules des politiques d’intégration réussies permettront d’éviter des explosions sociales notamment dans les mégapoles européennes. L’Europe, qui a souvent considéré ses immigrés comme une force de travail temporaire, pourrait beaucoup apprendre sur ce plan des Etats-Unis, où les immigrés ont toujours été perçus comme une chance pour le pays. 9. Le 11 septembre 2001 est un symbole et un avertissement Il faut savoir comprendre le symbole et entendre l’avertissement. En juillet 2002, Peter Gridling, qui a pris la tête d’Europol, a déclaré que presque tous les pays européens avaient encore sur leur sol des membres d’Al-Qaida et que l’organisation continuait de recruter malgré dix mois de lutte intense contre le réseau. L’ennemi auquel on a affaire change sans cesse de forme et se reconstitue après la prise de Kaboul et la fin des Taliban. Il ne renonce pas pour autant à ses plans. Une partie de sa reconstitution se fait dans les Balkans et sur le territoire européen. L’Europe se trouve ainsi, volens nolens, au cœur des opérations de prévention pour les prochaines années. L’Europe est-elle prête à faire face à cette épreuve ou a-t-elle choisi de l’ignorer ? Elle devrait se souvenir que la faiblesse finit toujours par se payer, le plus souvent très cher. 54 Conclusion : Dix leçons du 11 septembre 10. Le paysage international est en train de se recomposer. Quelle sera la place de l’Europe dans cet ensemble ? La réponse à cette question ne paraît pas très optimiste aujourd’hui, malgré les atouts exceptionnels dont dispose l’Europe, en tout premier lieu d’être une des rares zones de paix et de prospérité d’un monde par ailleurs agité de convulsions. Il ne suffira pas de faire appel aux bons sentiments, à la communauté internationale et à ses forums pour résoudre les questions posées par les nouvelles formes de terrorisme. Un bon début serait d’obtenir des capitales européennes qu’elles acceptent d’analyser ensemble les conditions de la sécurité de l’Europe dans ce nouveau contexte, en acceptant d’en aborder tous les aspects. Il serait également préférable d’éviter de trop disperser les déclarations politiques des dirigeants européens à un moment où l’influence de l’Europe recule sur la scène internationale. Enfin, sur la question du terrorisme international qui fait l’objet de cet essai, il faut espérer qu’une catastrophe sur le sol européen ne sera pas indispensable pour réveiller l’Europe de son sommeil actuel. 55 annexes a1 Sigles ABM AFP AIEA AWACS CIG CTR DST ETA EU FBI FIS G8 GIA GIGN GRAPO GSPC ISAF KFOR NBC ONU OSCE OTAN SFOR TNP UNMOVIC URSS 56 Défenses antimissiles balistiques Agence France Presse Agence internationale de l’énergie atomique Système aéroporté d’alerte et de surveillance Conférence intergouvernementale Cooperative Threat Reduction Direction de la surveillance du territoire Organisation séparatiste basque espagnole Union européenne Federal Bureau of Investigation Front islamique du Salut Groupe des huit pays les plus industrialisés Groupe islamique armé Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale Groupe de Résistance antifasciste du premier octobre Groupe salafiste de prédication et de combat Force internationale d’assistance à la sécurité Force de sécurité internationale au Kosovo Nucléaire, biologique et chimique Organisation des Nations unies Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe Organisation du Traité de l’Atlantique Nord Force de stabilisation Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations unies (COCOVINU) Union des républiques socialistes soviétiques a12 Attentats ou tentatives d’attentats sur le sol européen ou contre des intérêts européens à l’étranger 24 décembre 1994 : quatre terroristes prennent les passagers d’un vol Paris-Alger en otage, avec l’intention de faire tomber l’avion sur Paris. Echec grâce à une intervention du GIGN à Marseille, où l’avion avait finalement été détourné. 25 juillet, 17 août et 6 octobre 1995 : trois attentats à la bombe à Paris, qui font au total 7 morts et 150 blessés. juin 1998 : tentative d’attentat à l’occasion de la coupe mondiale de football à Paris. Près de 100 arrestations au sein du GIA ont eu lieu en mai 1998. décembre 2000 : double tentative d’attentat à Strasbourg. janvier 2001 : tentative d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Rome. juillet 2001 : tentative d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris. 24 décembre 2001 : tentative d’attentat sur un vol Paris-Miami (Richard Reid). 11 avril 2002 : attentat contre la synagogue d’El Ghriba à Djerba (21 morts, dont une majorité de touristes allemands). 8 mai 2002 : attentat à Karachi contre un bus transportant des techniciens de la Direction des Chantiers navals de Cherbourg (14 morts dont 11 Français). mai 2002 : préparation d’un attentat contre la cathédrale de Bologne. 57 a12 Le terrorisme international et l’Europe 29 août 2002 : arrestation d’un citoyen suédois lors de l’embarquement pour un vol StockolmLondres. Son intention aurait été que l’avion s’écrase sur un bâtiment officiel. Ce cas fait l’objet de controverses. septembre 2002 : tentative d’attentat contre une base militaire américaine à Heidelberg, prévu pour l’anniversaire du 11 septembre par un partisan présumé d’Oussama ben Laden. 6 octobre 2002 : attentat contre le pétrolier français Limburg dans les eaux territoriales du Yémen. 58 Cahiers de Chaillot Tous les Cahiers de Chaillot peuvent être consultés sur internet : www.iss-eu.org n°55 Quel modèle pour la PESC ? octobre 2002 Hans-Georg Ehrhart n°54 Etats-Unis : l’empire de la force ou la force de l’empire ? septembre 2002 Pierre Hassner n°53 Elargissement et défense européenne après le 11 septembre juin 2002 Jiri Sedivy, Pal Dunay et Jacek Saryusz-Wolski ; sous la direction de Antonio Missiroli n°52 Les termes de l’engagement : le paradoxe de la puissance américaine et le dilemme transatlantique après le 11 septembre mai 2002 Julian Lindley-French n°51 De Nice à Laeken : Les textes fondamentaux de la défense européenne avril 2002 réunis par Maartje Rutten, Volume II n°50 Quel statut pour le Kosovo ? octobre 2001 Dana Allin, Franz-Lothar Altmann, Marta Dassu, Tim Judah, Jacques Rupnik et Thanos Veremis ; sous la direction de Dimitrios Triantaphyllou n°49 Elargissement : une nouvelle OTAN octobre 2001 William Hopkinson n°48 Nucléaire : le retour d'un Grand Débat juillet 2001 Thérèse Delpech, Shen Dingli, Lawrence Freedman, Camille Grand, Robert A. Manning, Harald Müller, Brad Roberts et Dmitri Trenin ; sous la direction de Burkard Schmitt n°47 De Saint-Malo à Nice : les textes fondateurs de la défense européenne mai 2001 Réunis par Maartje Rutten n°46 Le Sud des Balkans : vues de la région avril 2001 Ismail Kadare, Predrag Simic, Ljubomir Frckoski and Hylber Hysa ; sous la direction de Dimitrios Triantaphyllou n°45 L'intervention militaire et l'Union européenne mars 2001 Martin Ortega n°44 Entre coopération et concurrence : le marché transatlantique de défense janvier 2001 Gordon Adams, Christophe Cornu et Andrew D. James ; sous la direction de Burkard Schmitt n°43 L'intégration européenne et la défense : l'ultime défi ? novembre 2001 Jolyon Howorth n°42 Défense européenne : la mise en œuvre septembre 2001 Nicole Gnesotto, Charles Grant, Karl Kaiser, Andrzej Karkoszka, Tomas Ries, Maartje Rutten, Stefano Silvestri, Alvaro Vasconcelos et Rob de Wijk ; sous la direction de François Heisbourg n°41 L'Europe et ses boat people : la coopération maritime en Méditerranée Michael Pugh juillet 2000 Les événements du 11 septembre 2001 ont ému toute l’Europe, mais n’ont jamais été compris par les Européens pour ce qu’ils étaient en fait : un retour de la guerre au sein des sociétés les plus développées. L’émotion a donc assez vite fait place au sentiment qu’il s’agissait là d’un événement isolé, ou du moins qui ne se reproduirait pas à cette échelle. La raison en est d’abord que le 11 septembre, même s’il a souvent été perçu comme une attaque contre le monde occidental dans son ensemble, n’avait pas eu lieu en Europe. C’est aussi le refus, très répandu en Europe, d’accepter l’idée que le continent puisse à nouveau avoir à faire face à de sérieuses menaces au XXIe siècle, en raison de l’histoire mouvementée du siècle précédent. C’est enfin le souci des dirigeants européens de ne pas « effrayer » les populations et de ne pas durcir les relations avec les minorités musulmanes résidant en Europe. Pourtant, les tentatives d’attentats n’ont pas manqué depuis le milieu des années 1990 en Europe ou contre des intérêts et des citoyens européens à l’étranger. Ces attentats témoignaient de l’apparition d’une nouvelle génération de terroristes, différents de ceux dont l’Europe était familière jusqu’alors. Des réseaux terroristes de ce nouveau type continuent de résider en Europe et d’y préparer des attentats malgré quelques centaines d’arrestations effectuées depuis septembre 2001. Ces réseaux bénéficient de la grande liberté de circulation et d’expression propre aux pays européens. Ils profitent également de l’absence d’un système judiciaire et policier unique. La réaction européenne après les attentats de New York et Washington a permis des améliorations réelles dans des domaines clés, mais cellesci sont encore trop lentes par rapport aux progrès effectués par les terroristes et à la sophistication croissante de leurs connaissances et de leurs moyens, y compris dans le domaine des armes de destruction massive. En novembre 2002, plusieurs grandes capitales ont cru nécessaire d’alerter la population sur des risques d’attentats de grande ampleur, comme pour rappeler que, contrairement à une opinion reçue, l’Europe est désormais aussi exposée que l’Amérique. publié par l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne 43 avenue du Président Wilson 75775 Paris cedex 16 tél.: +33 (0) 1 56 89 19 30 fax: +33 (0) 1 56 89 19 31 e-mail: [email protected] www.iss-eu.org