1 pelle pas comme les autres

Transcription

1 pelle pas comme les autres
01.01.2010 - Les Alpes - no 1/2010 - p. 20-23 - v0050bi
Sécurité, médecine,
sauvetage
Sicurezza, medicina,
soccorso in montagna
Sicherheit, Medizin,
Rettungswesen
Ce que l’on doit pouvoir exiger d’une
pelle à avalanche
Une pelle pas comme
les autres
Photo : Manuel Gilgien
La pelle à avalanche fait partie à
juste titre de l’équipement d’urgence
dans les sports de montagne d’hiver.
Cependant, toutes ne méritent pas
leur nom, comme l’a révélé un test
La personne ensevelie vient
d’être localisée et il va falloir
se mettre à creuser. Si le maté­
riel venait à faillir maintenant,
la survie de la victime serait
réellement remise en ques­
tion. Le problème est que les
exercices comme celui-ci ne se
déroulent que très rarement
dans de la neige d’avalanche
dure et compacte.
20
de produits dernièrement. Passage
en revue des exigences liées à cet
important outil de sauvetage.
Une plaque de neige descend, emporte
avec elle un alpiniste et l’ensevelit. Son
compagnon d’infortune le repère facilement grâce à son détecteur de victimes
d’avalanche (DVA). La localisation fine
avec la sonde donne des indications supplémentaires décisives. Rapidement, le
sauveteur se munit de sa pelle à avalanche
et commence à creuser énergiquement
dans la neige compacte de la coulée.
Mais voilà que la lame de la pelle se casse,
rendant impossible une évacuation efficace de la neige. Les tentatives désespérées effectuées avec le matériel défectueux font perdre un temps précieux,
durant lequel les chances de survie de la
personne ensevelie s’estompent rapidement.
Rares sont celles qui sont appro­
priées à un usage en montagne
Ce scénario peut sembler improbable,
mais qu’en est-il vraiment ? Des tests ont
été réalisés dernièrement sur des pelles à
avalanche par le spécialiste de sauvetage
en avalanche Manuel Genswein, en collaboration avec sa collègue norvégienne
Ragnhild Eide, sous le patronage du
Club alpin autrichien. Les résultats de
ces tests, publiés dans la revue bergund­
steigen (édition 4/2008) sous le titre
« Zwischen Himmel und Hölle » (entre
ciel et enfer), pourraient faire peur à plus
d’un passionné de sports d’hiver. De
graves défaillances ont été constatées
pour certains produits lorsqu’ils ont été
mis à contribution de manière systématique selon la méthode de creusement en V
(voir Les Alpes, 3/2008). Les critères utilisés étaient l’ergonomie, l’efficacité lors
de l’évacuation de la neige, la durée de
vie et la sécurité. Sur la base des résultats
Photo : archives Manuel Genswein/Ragnhild Eide
01.01.2010 - Les Alpes - no 1/2010 - p. 20-23 - v0050bi
Toutes les pelles ne résistent pas
à une utilisation dans de la neige
dure d’avalanche : suite à une sur­
tension, ce manche s’est brusque­
ment rompu au niveau de la liaison
avec la lame lors du test de Manuel
Genswein.
Photo : archives Manuel Genswein/Ragnhild Eide
Photo : archives Manuel Genswein/Ragnhild Eide
Ici, le matériau trop souple de la
lame s’est fortement déformé sur
les bords supérieurs suite aux
pressions exercées par les chaus­
sures de ski en creusant dans des
blocs de neige dure.
Cette pelle n’a pas satisfait aux
exigences de Manuel Genswein.
Elle est éventrée aux endroits
les moins résistants de la lame.
LES ALPES 1/2010
21
SECURITE, MEDECINE, SAUVETAGE
01.01.2010 - Les Alpes - no 1/2010 - p. 20-23 - v0050bi
Que doit­on pouvoir exiger
d’une bonne pelle à avalanche
pour la randonnée ?
Idéalement, le tranchant de la
lame devrait être droit. Les
types 1, 2 et 3 sont appropriés.
Le type 4, en revanche, pourrait
glisser sur le côté en cas de
neige dure. Plus la forme de la
lame s’approche de celle d’un U,
plus elle sera efficace pour éva­
cuer la neige.
1
du test, les produits ont été classés dans
les catégories « ignoble », « bon pour la
plage » et « approprié à un usage en
montagne ». Manuel Genswein qualifie
même l’un des modèles de pelles
d’« ignoble », après que ce dernier a endommagé l’équipement des sauveteurs.
Six autres pelles ont été qualifiées de
« bonnes pour la plage », ayant dû être
remplacées après une courte utilisation.
Le spécialiste classe tout de même quatre
des onze pelles à avalanche testées dans
la catégorie « appropriée à un usage en
montagne ». Cependant, il n’existe pas de
« firmament des pelles ».
Les réactions des fabricants à ces résultats ont été plus ou moins violentes.
Sur le site internet de bergundsteigen,
quelques-uns d’entre eux se sont référés
à leurs propres tests, qui auraient livré
d’autres résultats. D’autres ont émis des
doutes sur la méthode utilisée lors de ce
test. Dans tous les cas, il est impossible
de dire sans analyses supplémentaires à
quel point les résultats du test ont été
Le profil du manche entre aussi
en ligne de compte. Si l’on en
croit les tests effectués par
Manuel Genswein, les manches
à section ronde opposent moins
de résistance lors du réglage de
la longueur. Cependant, la re­
cherche de la position
d’enclenchement nécessite plus
de temps, puisque le manche
tourne. En principe, on préférera
un manche télescopique à un
manche de longueur fixe.
22
LE S ALPE S 1/2010
2
influencés par le nombre réduit de trois
pièces par modèle et par les charges
éventuellement inégales auxquelles les
pelles ont été soumises.
Courbe de survie alarmante, statis­
tiques des accidents rassurantes
Quoi qu’il en soit, le fait de savoir que les
pelles à avalanche peuvent être défaillantes n’est pas rassurant, car on sait que
l’espoir de survie d’une personne ensevelie s’amenuise très rapidement après
vingt minutes déjà. Jusque-là, les chances
de survie sont encore de 90 %, selon une
étude datant de l’année 2007 parue dans
la revue Notfall+Rettungsmedizin. Un
essai sur le terrain mené par le guide
français spécialiste des avalanches Dominique Stumpert a montré en 2002
combien il peut être important d’avoir
une pelle à avalanche en bon état : sans
pelle, mais avec un DVA et une sonde, le
sauvetage durait en moyenne 50 minutes.
La situation semble être sérieuse,
puisque des pelles se rompent alors
qu’elles sont indispensables pour un sau-
3
vetage efficace. Une question s’impose
toutefois : combien de personnes pratiquant les sports d’hiver ont effectivement subi les conséquences d’une pelle
rompue. Ueli Mosimann, responsable de
la statistique des accidents de montagne
au CAS, relativise et se montre rassurant.
« Durant les dernières années, aucun cas
de conséquences graves dues à la défaillance d’une pelle dans une situation
d’urgence n’a été relevé », constate l’expert. Il attire l’attention sur le fait que le
dégagement d’une personne ensevelie
prend souvent plus de temps que la localisation elle-même. « Les pelles de mauvaise qualité ou une mauvaise technique
de creusement ne sont pas seules en
cause. C’est souvent la texture du cône
d’avalanche qui empêche un travail de
dégagement efficace », explique Ueli
Mosimann. Pierres, branches et broussailles compactées donnent à la neige du
cône d’avalanche une consistance comparable à du béton armé. Il semble
même que les sauveteurs aient dû dans
un cas avoir recours à une scie à chaîne.
01.01.2010 - Les Alpes - no 1/2010 - p. 20-23 - v0050bi
Ueli Mosimann en arrive donc à la
conclusion suivante : « Les pelles appropriées pour ce genre de conditions sont
simplement trop lourdes et trop peu
pratiques pour être emmenées dans un
sac à dos. »
Une bonne pelle n’a pas de prix
Faut-il donc en déduire que la potentielle perte de temps due à des pelles
inappropriées ne doit plus être un sujet
de discussion ? A cette question, Bruno
Hasler, responsable Formation au CAS,
répond par la négative. Selon lui, il est
impossible de dire combien de victimes
d’avalanche auraient survécu si on les
avait dégagées cinq minutes plus tôt.
« Avec une bonne pelle, un gain de temps
de cinq minutes est tout à fait concevable », affirme-t-il encore. Comme les
pelles sont relativement bon marché en
comparaison d’autres pièces de l’équipement de l’alpiniste, Bruno Hasler recommande de ne pas chercher à économiser
dans ce domaine et de ne pas se contenter de « pièces de musée » telles qu’on en
trouve encore dans nos galetas.
5
6
Exigence en matière de pelles à avalanche
• La lame de la pelle devrait être en aluminium (6061) résistant et traité thermiquement (T6). Les pelles en plastique vieilles de quelques années peuvent rompre à très basse température et en cas de neige très dure.
• Au niveau de la liaison entre la lame et le manche, les éléments de blocage doivent être munis d’un dispositif d’enclenchement facile à trouver. Le simple emboîtement du manche dans la lame s’est avéré inadéquat.
• Bien que plus lourd, un manche télescopique est recommandé. Un manche court n’est pas ergonomique, pas confortable et infl ue négativement sur le rendement.
• Le manche de la pelle devrait être pourvu d’une poignée en forme de T ou, mieux en-
core, de D. Sans cette poignée, le sauveteur ne peut pas travailler effi cacement dans de la neige dure ou avec des gants mouillés.
• Pour un travail effi cace avec la pelle, une lame incurvée et pas trop petite sera un avantage.
•
La meilleure des pelles n’est effi cace que lorsqu’on l’emmène avec soi !
Infos supplémentaires : www.bergundsteigen.at, rubrique « Archiv », «Ausgaben », puis « 04/08 », « Zwischen Himmel
und Hölle ».
Littérature : Winkler, Brehm, Haltmeier, Sports de montagne d’hiver, Editions du CAS 2008 a
Christoph Meier, Coire (trad.)
La forme de la poignée du
manche est cruciale. La
poignée en forme de T s’est
avérée inadaptée. On par­
vient à une prise en main
optimale avec une poignée
en forme de D. La taille de la
poignée devrait être adaptée
à la taille de la main recou­
verte d’un gant.
Graphiques : Les Alpes/Manuel Genswein
4
Le bord supérieur de la lame
devrait être plutôt horizontal
(type 5). De cette manière, il est
possible de s’aider du pied pour
découper les blocs de neige dure.
Le type 6 s’avère peu adapté,
puisque le pied pourrait glisser.
En principe, la taille de la lame
devrait être adaptée à la taille de
la personne qui creuse. Une lame
plus petite exige moins d’efforts,
mais s’avère moins efficace lors
du découpage de blocs et de
l’évacuation de la neige. Une
grande lame permet quant à elle
d’évacuer beaucoup de neige rapi­
dement, mais elle nécessite des
bras costauds.
LES ALPES 1/2010
23