La prescription chez la femme enceinte
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La prescription chez la femme enceinte
La prescription chez la femme enceinte Nadine Sauvé, M.D., interniste spécialisée en médecine obstétricale Article tiré de la présentation « Prescrire en grossesse et pendant l’allaitement », donnée le 19 mars 2010 dans le cadre de la journée de formation médicale continue en médecine obstétricale de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Le cas de Madame Messier Mme Messier, 39 ans, vous est adressée par son médecin de famille pour une évaluation pré-conception.Voici ses antécédents médicaux et sa médication : • Hypertension – irbesartan/hydrochlorothiazide; • Diabète de type 2 – metformine; • Obésité morbide – post-chirurgie bariatrique; • Dyslipidémie – atorvastatine; • Asthme – fluticasone et salbutamol; • Dépressions majeures avec tentatives suicidaires – bupropion, quétiapine, trazodone et oxazépam; • Reflux gastro-œsophagien – ésoméprazole; • Arthrose – célécoxib. I Quelles sont vos recommandations? l existe une aversion culturelle répandue chez nos patientes, leur conjoint, leur famille, la communauté médicale, les pharmaciens et la société en général concernant la prise de médicaments lors d’une grossesse. Pourtant, il est bien démontré que jusqu’à 86 % des femmes enceintes auront au moins une prescription pendant leur grossesse, dont 50 % pendant le premier trimestre – ceci sans compter les produits naturels et les médicaments en vente libre. Le mythe de la barrière placentaire est pourtant révolu, puisqu’il est bien connu que la majorité de ces t ensont médicaments traverse le placenta. Cependant, les tératogèneseu réels rares p v onnel s e é s s (Tableau 1). r i pe t or es t i d r e lusieurs t t n h i g e i ercial r y changements p o omm sonnes auleur usage C c Les per ie pour surviennent n o i t u bée. ne coup ipharmacocinétiques b h i o au cours de isModifications r r t isée est p primer u d t im surviennent au cours de la grossesse, modifiant la quantité Plusieurs or changements laegrossesse, er et e eion non adeuvtmédicaments s t i l a n efficaces : isu V lisat lafficher•, Le volume de distribution est augmenté par l’augmentation du volume plasmatique i t modifiant u ’ L a rger, a h c et du tissu adipeux; télé quantité de • La liaison protéique est diminuée par l’hypoalbuminémie dilutionnelle; médicaments • L’absorption est variable (nausées, prise de calcium, fer, antiacides, flot intestinal efficaces [...]. augmenté, transit ralenti, etc.); P © • L’excrétion rénale est augmentée et; • Le métabolisme hépatique est variable. Dans la majorité des cas, le médicament actif est en circulation moins longtemps et en moins grande quantité. Il n’est donc pas rare que l’on doive diminuer l’intervalle entre les doses. Si disponibles, les dosages de niveaux sériques libres peuvent être fort utiles. le clinicien mai 2011 29 Prescription et femme enceinte Tableau 1 Les médicaments tératogènes prouvés • Antiépileptiques (carbamazépine, phénytoïne, acide valproïque, phénobarbital) • Androgènes • Antimétabolites (méthotrexate, léflunomide) • Cocaïne, éthanol • Agents alkylants (cyclophosphamide) • Diéthylstilbestrol (DES) • Inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) – à confirmer • Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine • Isotrétinoïne, étrétinate, acitrétine • Lithium • Méthimazole • Misoprostol • Pénicillamine • Tétracyclines • Thalidomide • Warfarine Principes fondamentaux Lorsque confronté à la prescription de médicaments chez une femme enceinte, le médecin doit se rappeler qu’un des déterminants majeurs de la santé fœtale est la santé maternelle. Il est important d’en informer sa patiente. Une mère avec une maladie très active pendant sa grossesse a beaucoup plus de risques d’issues fœtales négatives que celle qui reçoit la plupart des médicaments. De plus, il ne faut jamais oublier que plus de 50 % des grossesses sont non planifiées. Il faut donc prendre le temps d’établir un plan « en cas de grossesse » avec chaque patiente en âge de procréer qui prend des médicaments. Le premier réflexe d’une femme, dès qu’elle est enceinte, est souvent de cesser ses traitements, ce qui peut être néfaste en cas d’asthme ou d’épilepsie, par exemple. On lui conseillera donc de poursuivre ou de cesser sa médication, selon la sécurité et la nécessité de son traitement. Effets néfastes potentiels sur le fœtus L’effet le plus souvent discuté et redouté est la possibilité de malformations congénitales. Celles-ci surviennent principalement entre 4 et 12 semaines d’aménorrhée. Un médicament hautement tératogène, comme le cyclophosphamide, l’est principalement dans le premier trimestre et est beaucoup moins dangereux lors des 2e et 3e trimestres. Ceci n’est pas pris en compte dans la classification de la Food and Drug A dministration (FDA) (Tableau 3, à la page 32). Lors des 2e et 3e trimestres, certains médicaments sont plutôt fœtotoxiques et peuvent causer un retard au niveau de la croissance et du travail préterme, une rupture prématurée des membranes et des anomalies fonctionnelles (ex. : insuffisance rénale fœtale). Proche du terme, des effets néonataux peuvent également poser problème (syndrome d’imprégnation ou de sevrage, etc.). Par ailleurs, il ne faut pas négliger les possibles effets à long terme, particulièrement les effets neurodéveloppementaux ou la carcinogénicité, qui sont beaucoup plus difficiles à reconnaître. Sécurité des médicaments Dre Nadine Sauvé pratique au service de médecine interne du CHUS. Elle est également professeure agrégée à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. 30 le clinicien mai 2011 La principale difficulté pour établir la sécurité des médicaments lors d’une grossesse repose sur la quasi absence d’études rigoureuses liées à ce domaine. En effet, pour des raisons éthiques, les études aléatoires sont quasi impossibles. Nous devons donc nous fier principalement à des rapports de cas, des séries de cas, des registres ou des études observationnelles dans lesquelles les biais (publication, rappel, sélection, etc.) sont nombreux. Quant aux études animales désormais obligatoires avant la commercialisation de tout médicament, elles peuvent parfois porter à confusion; bien que la plupart des médicaments tératogènes chez l’humain le soient également chez l’animal, plusieurs exemples classiques (ex. : thalidomide) nous rappellent que ce n’est pas toujours le cas. En contrepartie, plusieurs médicaments sont, à dose supra-thérapeutique, tératogènes chez l’animal, mais demeurent sans conséquence, à dose thérapeutique, chez l’humain. Prescription et femme enceinte Tableau 2 Classification des médicaments selon les indications cliniques Hypertension Données suggérant que l’utilisation est justifiée quand indiquée* Données suggérant que l’utilisation peut être justifiée dans certaines circonstances Données suggérant que l’utilisation n’est presque jamais justifiée OU données insuffisantes Labétalol, méthyldopa, β-bloquants (acébutolol, pindolol, autres) et hydralazine Nifédipine T1, hydrochlorothiazide et clonidine IECA, ARA, aténolol, prazosine et autres bloqueurs des canaux calciques Antiplaquettaires et anticoagulants AAS <150 mg/j et héparine/HBPM Fibrinolytiques, danaparoïde et fondaparinux vs lépirudine Warfarine et clopidogrel Antidépresseurs Amitriptyline et nortriptyline ISRS, bupropion, venlafaxine trazodone, lithium, acide valproïque T1 et benzodiazépines Clomipramine, IMAO et mirtazapine Antibiotiques Pénicillines, céphalosporines, érythro/azithromycine, vancomycine, nitrofurantoïne, aminoglycosides, clindamycine et métronidazole T1-T2 Clarithromycine, métronidazole T3, triméthoprime T2-T3, sulfonamides, fluoroquinolone et carbapénèmes Tétracycline, doxycycline, érythromycine estolate, triméthoprime T1 et linézolide Diabète Insuline (R, NPH, lispro, asparte) Glargine, glyburide et metformine Insuline détémir, méglitinides TZD, acarbose et incrétine Reflux gastro-œsophagien Antiacides, ranitidine et sucralfate Oméprazole Misoprostol Asthme/allergies Salbutamol, salmétérol ipratropium, béclométhasone/ fluticasone/budésonide, corticostéroides p.o., théophylline, chlorphéniramine, diphenhydramine et hydroxyzine Montélukast, loratadine, cétirizine et fexofénadine Céphalées Acétaminophène, métoclopramide, amitryptiline et β-bloquants AINS T1-T2, narcotiques sumatriptan et bloqueurs des canaux calciques Ergotamine, butalbital/AAS/caféine, AINS T3 et AINS COX-2 sélectifs Doxylamine/pyridoxine, métoclopramide, dimenhydrinate et prochlorpérazine Ondansétron T2-T3 et dropéridol Dompéridone et ondansétron T1 Immunosuppresseurs Corticostéroïdes, azathioprine/ 6-mercaptopurine, hydroxychloroquine, cyclosporine, immunoglobulines et sulfasalazine Tacrolimus, cyclophosphamide et Méthotrexate, léflunomide et agents biologiques MMF Vaccins Diphtérie, tétanos, influenza, pneumocoque polyvalent, polio inactivé, hépatites A+B, immunoglobulines et test PPD Antiépileptiques Phénytoïne, carbamazépine et lamotrigine Dyslipidémie Cholestyramine Nausées/vomissements RRO, varicelle, typhoïde (oral), BCG Acide valproïque, phénobarbital/primidone et gabapentine Topiramate, vigabatrine, oxcarbazépine et lévétiracétam Statines, ézétimibe, fibrates et niacine à haute dose * Un médicament de cette catégorie ne signifie pas nécessairement qu’il est sans risque, mais parfois que ce risque est justifié devant une indication clinique. Ce tableau représente un résumé de la littérature disponible avec parfois une certaine interprétation de l’auteure. Il se veut un aide-mémoire mais ne doit pas remplacer une recherche approfondie de la littérature lorsque nécessaire. Lorsque T1-T2-T3 suivent un médicament, ceci indique que celui-ci n’est dans cette catégorie que pour un trimestre précis (T1 : 1er trimestre;T2 : 2e trimestre;T3 : 3e trimestre). HBPM = Héparine de bas poids moléculaire;TZD = Thiazolidinédiones; MMF = Mofétilmycophénolate; RRO = Rougeole, rubéole, oreillons; AINS := Anti-inflammatoires non stéroïdiens; ISRS = Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine; IMAO = Inhibiteurs de la monoamine oxydase. le clinicien mai 2011 31 Prescription et femme enceinte Il est également important de tenir compte du risque de base d’environ 3 % de malformations majeures chez la population générale. Si le risque de base est très faible, un très grand nombre d’expositions est nécessaire pour démontrer hors de tout doute une augmentation du risque absolu de tératogénicité, même si le risque relatif est élevé. De façon générale, quand plus de mille patientes ont été exposées à un même médicament, nous pouvons conclure que celui-ci n’est probablement pas un tératogène majeur, bien que ce ne soit encore bien peu pour exclure les autres risques. Classification Finalement, la classification de la FDA (Tableau 2, page précédente) ne devrait pas être utilisée, puisque mise à part la catégorie A, qui est sécuritaire, les autres catégories ne fournissent pas assez d’informations pour faire un choix éclairé. Ainsi, la classe B (dans laquelle se retrouvent la majorité des nouveaux médicaments non tératogènes chez l’animal) donne une fausse impression de sécurité. Par ailleurs, la classe C (dans laquelle se retrouvent beaucoup d’anciens médicaments déjà soumis à l’épreuve du temps) semble défavorisée. À cet effet, voici une suggestion d’approche. Les cinq questions à poser lorsqu’une patiente enceinte requiert un médicament : • Cette médication est-elle nécessaire? • Si cette elle n’est pas administrée, quels sont les risques pour la mère et le fœtus? • Quelles sont les données de sécurité de cette médication en grossesse? • Y a-t-il des alternatives moins toxiques? • Comment l’opinion de la patiente et ses expériences personnelles influencent-elles la décision? À retenir • • • • Il existe très peu de tératogènes réels. L’évaluation du risque doit tenir compte du trimestre d’administration. Suspendre/retenir une médication peut être plus dangereux que la tératogénicité. Il faut se méfier de la classification de la FDA; les anciens médicaments sont souvent plus rassurants que les nouveaux. • 50 à 70 % des grossesses sont non planifiées. Un plan « en cas de grossesse » s’impose pour chaque patiente sous médication en âge de procréer, de même que la recommandation d’une dose d’acide folique. C Tableau 3 Classification de la FDA des risques de tératogénicité pour le fœtus FDA Classe A : sécuritaire • Études contrôlées humaines ne démontrant aucun risque. FDA Classe B : pas d’évidence de risque chez l’humain • Études animales négatives et pas d’études contrôlées humaines ou; • Études animales avec tératogénicité, mais non confirmée dans des études contrôlées humaines. FDA Classe C : le risque ne peut pas être exclu • Pas de données chez l’humain et effet délétère dans des études animales ou; • Pas de données animales. FDA Classe D : évidence claire d’un risque • Évidence claire d’un risque chez l’humain, mais peut être utilisé si la santé ou la vie de la mère en dépend. FDA Classe X : contre-indiqué en grossesse • Études (animales ou humaines) et/ou expérience humaine ayant démontré des risques fœtaux qui dépassent clairement les bénéfices pour la patiente. Une bibliographie pour cet article est disponible, contactez-nous : [email protected]