Conférence réforme liturgique
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Conférence réforme liturgique
IDFP – pour préparer l’anniversaire du Concile Vatican II La réforme de la liturgie. Parmi les changements les plus visibles apportés par le Concile Vatican II à la vie de l’Eglise, la réforme de la liturgie tient évidemment la première place. La célébration du culte chrétien est en effet l’acte officiel le plus répandu et les modifications formelles qui ont été apportées au rite de la Messe ont eu un écho dans chaque paroisse, pour chaque fidèle. Ceci explique sans doute que le ressenti, positif ou négatif, de chacun intervient dans l’évaluation de cette réforme liturgique, et empêche parfois d’avoir un regard juste sur cet épisode de l’histoire de l’Eglise. Pour essayer d’avoir une meilleure vision, il convient de prendre un peu de recul historique et de situer la réforme liturgique dans une évolution plus longue. Car la réforme des rites catholiques latins n’a pas commencé avec le Concile, et l’œuvre du Concile n’a été, en fin de compte, que de prolonger et de tirer toutes les conséquences d’un ‘‘Mouvement liturgique’’ qui avait commencé au XIXème siècle. Le Mouvement Liturgique. Lorsque Dom Guéranger (1805-1875) fonde l’abbaye de Solesmes, en 1837, son projet est double : restaurer le monachisme bénédictin et renouveler dans toute l’Eglise une authentique spiritualité liturgique. Cette préoccupation liturgique et spirituelle s’inscrit dans un contexte où anticléricalisme et désaffection religieuse commencent à affecter les pays occidentaux, dont toutes les énergies sont happées par les exigences de la révolution industrielle. Les catholiques baissent en nombre et leur ferveur s’attiédit. La restauration d’une liturgie soignée en même temps qu’une catéchèse appropriée devraient aider le peuple chrétien à retrouver une saine pratique, à la fois sincère et profonde. Les actes du culte chrétien pourraient redevenir de substantielles nourritures de l’âme et soutenir ainsi une vie morale et spirituelle digne de ce nom. Dans la logique de cette intuition géniale, de nombreux monastères bénédictins vont entreprendre un effort sans précédent de catéchèse liturgique. Les publications se multiplient, d’ouvrages et de revues, visant à rendre accessibles, compréhensibles, des rites qui semblaient jusqu’alors lointains et austères. L’obstacle de la langue latine est surmonté par l’édition de livres liturgiques 1 bilingues : le fidèle peut suivre le texte latin que dit le prêtre, et comprendre en lisant la traduction. De véritables enseignements liturgiques sont donnés dans les paroisses. En 1910, Dom Lambert Beauduin (1873-1953) fonde la revue Questions liturgiques et paroissiales qui diffuse dans un large public de clercs et de laïcs les travaux d’érudits et de spécialistes, rendant accessibles à tous les trésors de la liturgie romaine. Cet immense effort d’explication liturgique mobilise l’attention de nombreux experts dont les préoccupations ne sont pas seulement théoriques ou abstraites ; leur premier objectif est en effet pastoral. Aussi, les études érudites d’archéologie liturgique conduites à cette époque ne tardent pas à manifester aux yeux d’un grand nombre que la liturgie catholique romaine comporte certains défauts qui réduisent son efficacité spirituelle. Ces défauts ne tiennent évidemment pas à l’essence de la liturgie ; il s’agit plutôt d’ajouts que le temps a faits qui ont introduit des redondances, des surcharges, voire des incohérences. Ainsi, la règle très stricte du jeûne eucharistique (qui exige que la communion eucharistique soit la première nourriture du jour, qu’on soit à jeun depuis minuit) a pris une importance telle que les fidèles ne communient plus et que les prêtres ne célèbrent plus la messe qu’en matinée. La conséquence absurde de cette pratique est qu’il est impossible de célébrer les offices de la Semaine Sainte selon la vérité des heures : la Messe de la Cène, l’Office de la Croix et la Vigile pascale sont de curieuses cérémonies du matin, contre toute logique biblique, historique et spirituelle. Il est en effet curieux que la célébration du mystère central de la foi catholique soit ainsi déviée à cause d’une règle juridique ; cette règle n’est pas sans raison, certes, mais peut-être serait-il opportun de l’assouplir pour rétablir une liturgie plus conforme à la réalité ? Le rôle de Pie XII – la réforme de la Semaine Sainte. Le Pape Pie XII a le mérite de s’être attelé à cette tâche. L’œuvre liturgique de ce Pape méconnu est aujourd’hui passée sous silence, au profit d’autres aspects plus polémiques de son pontificat. Son travail en faveur de la liturgie fut pourtant de premier ordre. Le 20 novembre 1947, Pie XII donnait à l’Eglise une encyclique dans laquelle il encourageait de toute son autorité les études et les travaux des acteurs du Mouvement liturgique. Il déclare, approbateur : « Vous savez sans doute, Vénérables Frères, qu’à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, les études liturgiques furent poussées avec une singulière ardeur, par les louables efforts de particuliers et grâce surtout à l’activité zélée et assidue de plusieurs monastères de l’Ordre illustre de saint Benoît (…) Les cérémonies sacrées de la Messe ont été mieux connues, comprises, estimées ; la participation aux sacrements a été plus large et plus fréquente ; la beauté des prières 2 liturgiques plus goûtée, et le culte de la sainte Eucharistie considéré, à juste titre, comme la source et l’origine de la vraie piété chrétienne »1. Pie XII ne se contenta pas de ce témoignage de soutien aux œuvres liturgiques ; il eut à cœur de participer lui-même à la restauration d’une liturgie plus conforme à sa dignité antique. Il institua, le 26 mai 1948, une commission pour la réforme de la liturgie latine et lui confia comme première tâche de réviser le rituel de la Semaine Sainte. Pie XII souhaitait restaurer dans leurs horaires véritables les cérémonies du mystère pascal. En 1951, la Vigile pascale fut ainsi célébrée au cours de la nuit : les lectures étaient faites vers dix heures du soir, et la liturgie eucharistique débutait vers minuit ; la règle du jeûne eucharistique était sauve. Puis, le 6 janvier 1953, la Constitution Apostolique Christus Dominus modifiait la règle du jeûne eucharistique : il suffisait d’être à jeun seulement depuis trois heures avant le début de la Messe. Cet ajustement décisif permettait de célébrer la Messe de la Cène et l’Office de la Passion selon la vérité des heures. La composition d’un nouvel Ordo de la Semaine Sainte était désormais possible. En 1956, la réforme de la Semaine Sainte était achevée et l’Eglise accueillait avec joie et gratitude une nouvelle manière de célébrer, plus conforme à la vérité historique et spirituellement plus fructueuse. Le travail était-il achevé pour autant ? Pie XII lui-même reconnaissait qu’il fallait poursuivre la réforme de la liturgie et que des inconvénients subsistaient qui rendaient nécessaires de nouveaux ajustements. Lors du Congrès international de pastorale liturgique (22 septembre 1956), le Pape ouvre une perspective et indique le chemin à poursuivre : « On trouve dans la liturgie des éléments immuables, un contenu sacré qui transcende le temps, mais aussi des éléments variables, transitoires, parfois même défectueux » 2 . Le processus d’évolution de la liturgie consiste à conserver ce qui est immuable, ce qui appartient à l’essence même des rites, à accompagner les évolutions de ce qui est transitoire, ce qui dépend des circonstances culturelles d’une époque, et à corriger ce qui est défectueux, ce qui est devenu incompréhensible ou défavorable pour les fidèles. Le Concile Vatican II. La commission fondée en 1948 continua, après 1956, son travail d’étude et de recherche dans le double domaine de l’archéologie liturgique et de la pastorale. Le rythme de cette commission, tranquille et sans heurts, continua jusqu’à ce que le, 25 janvier 1959, le Pape Jean XXIII annonce la convocation d’un Concile œcuménique. Tous les organismes de l’Eglise cessèrent alors leur travail ordinaire et se transformèrent en vue d’élaborer les documents qui seraient discutés par les évêques réunis à Rome. Le 6 juin 1960 le cardinal Cicognani était nommé à la présidence de la commission liturgique préparatoire au 1 Pie XII, Lettre encyclique Mediator Dei (20 novembre 1947) ; in Documents pontificaux de Sa Sainteté Pie XII – 1947, Editions Saint Augustin, Saint Maurice (Suisse), 1961 ; p. 354-355. 2 Pie XII, Discours au Congrès international de pastorale liturgique (22 septembre 1956) ; in Documents pontificaux de Sa Sainteté Pie XII – 1956, Editions Saint Augustin, Saint Maurice (Suisse), 1958 ; p.563. 3 Concile. Le 20 octobre 1962, la commission préparatoire se transformait à son tour en commission liturgique conciliaire, présidée par le cardinal Larraona. Les travaux de ces commissions furent très techniques et il n’est pas utile de détailler les méandres des études et des discussions complexes entre experts. Plus important est de relever que deux objectifs, ou plutôt deux mentalités étaient en présence. Certains pensaient que la réforme liturgique concrète avait été accomplie par Pie XII et que le Concile se contenterait de proposer une sorte de théologie de la liturgie ; d’autres pensaient que la réforme accomplie par Pie XII n’était qu’un début et qu’une œuvre majeure de renouvellement de la liturgie catholique devait avoir lieu dans la suite du Concile. Entre ces deux options, les décisions du Concile laissent un certain suspens. Le 4 décembre 1963, le premier document conciliaire était soumis au vote : la Constitution liturgique Sacrosanctum Concilium était approuvée par 2147 votes favorables (contre 4 défavorables). Ce texte est d’une grande modération et envisage la réforme liturgique à accomplir comme un ajustement des rites à l’époque moderne, tout en conservant un solide ancrage dans la Tradition antérieure. L’axe de la réforme doit être de favoriser la « participation active » des fidèles (n° 11 ; 48 ; 50). Les Pères ont conscience que la Bible n’est pas assez présente dans la liturgie et demandent qu’on développe les proclamations et les commentaires de la Parole (n° 51-52) : l’homélie de la Messe doit expliquer les lectures. La très délicate question de la langue latine est elle aussi abordée dans cette perspective (n° 36). On laisse un champ d’expression assez large à la langue courante, « surtout pour les lectures et la prière commune, et, selon les conditions locales, aussi dans les parties qui reviennent au peuple » (n° 54). Cette concession est aussitôt assortie de la prudente mise en garde contre tout abandon du latin : « On veillera cependant à ce que les fidèles puissent dire ou chanter ensemble en langue latine aussi les parties de l’ordinaire de la Messe qui leur reviennent » (n° 54). Ainsi, il n’est pas nécessaire de tout dire toujours en latin, mais il n’est pas prévu pour autant que les fidèles perdent complètement l’usage du latin et la connaissance de la Messe latine. Les objectifs du Consilium. Dans la logique de ce vote conciliaire, Paul VI va instituer, en janvier 1964, un Consilium, un conseil chargé de mettre en œuvre la Constitution liturgique. Plus que le président de ce Consilium, c’est le secrétaire de cette institution qui va jouer un rôle décisif. Parfois encensé, parfois décrié, accusé de tous les biens ou de tous les maux, le Père Annibale Bugnini sera le maître d’œuvre de la réforme liturgique. Le rôle du Consilium était double : 1° préparer les décrets d’application de la réforme liturgique contenue dans la Constitution conciliaire ; 2° répondre aux questions et demandes des conférences épiscopales. Ce travail ne tarda pas à s’avérer fort délicat. Une première difficulté venait de la concurrence qui existait entre le Consilium, chargé de mettre en œuvre la réforme, et la Sacrée Congrégation des Rites, qui était l’organe habituel et autorisé pour toutes les questions liturgiques. 4 La Congrégation voyait d’un mauvais œil les travaux de cette commission qui ne dépendait que du Pape et une certaine inimitié naquit, qui ne facilitait pas la collaboration. Une seconde difficulté venait de l’immense espoir suscité par le Concile, espoir qui excédait les termes retenus dans la Constitution liturgique. Aussi, sur le terrain, les évêques étaient confrontés à des demandes qu’ils jugeaient légitimes, mais qui dépassaient ce qui avait été prévu. Ces demandes étaient formulées par les conférences épiscopales et remontaient ainsi jusqu’au Consilium qui devait répondre à des requêtes qui n’étaient pas de sa compétence. Il devait fréquemment soumettre au Pape des changements liturgiques qui n’avaient pas été envisagés par le Concile, mais dont l’initiative épiscopale méritait considération. Enfin, une troisième difficulté, plus douloureuse, venait de groupes de laïcs ou de prêtres qui estimaient, sincèrement parfois, que tout était permis et qui intégraient à la liturgie de l’Eglise des éléments tout à fait incompatibles avec la dignité du culte chrétien. Ces élucubrations privées, parfois fortement médiatisées, ont fait beaucoup de tort à la réforme, causant de grands scandales et détournant certains fidèles de la pratique religieuse. La question de la langue liturgique. En janvier 1964 commençait donc le labeur austère du Consilium. La première réalisation de grande ampleur concerna la question de la langue liturgique. Le texte du Concile disait : « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins. Toutefois, soit dans la messe, soit dans l’administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple ; on pourra donc lui accorder une certaine place, surtout dans les lectures, les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants »3. Le rôle du Consilium fut donc de préparer un formulaire que les conférences épiscopales pouvaient utiliser pour soumettre au Saint Siège leurs demandes d’utiliser la langue vernaculaire dans les liturgies de leur zone linguistique. Ce décret fut élaboré le 21 avril 1964, selon des critères approuvés par Paul VI. Il prévoyait que les conférences épiscopales puissent demander l’usage de la langue du pays à la Messe dans : les lectures, l’épître et l’évangile ; la prière universelle ; les chants de l’ordinaire de la Messe ; les chants du propre de la Messe ; les acclamations, les saluts et les dialogues ; le Notre Père ; dans la formule de communion des fidèles ; et dans le formulaire de Messe 4 . Restaient en latin : la Préface et la Prière Eucharistique. L’entrée en vigueur de cette réforme majeure était fixée au 7 mars 1965. Les conférences épiscopales commencèrent alors à envoyer leurs demandes de concession pour l’usage de leur langue propre et beaucoup sollicitaient, en plus de tout ce qui était prévu, de pouvoir aussi chanter une préface traduite du latin. 3 4 Concile Vatican II, Constitution Sacrosanctum Concilium, n° 36, § 1-2. Cf. A. Bugnini, La riforma liturgica (1948-1975), CLV – Edizioni liturgiche, Rome, 1997 ; p. 113. 5 Devant ces demandes répétées, le Pape décida, le 27 avril 1965, que chaque conférence épiscopale pouvait décider d’adopter une préface en langue vernaculaire. Mais l’affaire ne s’arrêtait pas là ; elle continua avec la demande de l’épiscopat hollandais de pouvoir traduire aussi la Prière Eucharistique, le vénérable et antique Canon Romain. En urgence, le Consilium fit une visite en hollande, du 15 au 20 décembre 1966, pour étudier sur le terrain la légitimité de cette demande. Après de nombreuses négociations – qu’on ne peut retracer ici – le Pape décida, le 4 août 1967, qu’il était possible de préparer, pour chaque langue une traduction unique du Canon Romain qui serait utilisée validement dans la liturgie. Le 31 octobre 1967, la traduction française était approuvée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et proposée comme modèle pour les traductions futures. Désormais, la Messe pouvait être intégralement célébrée dans la langue parlée. Entre le 7 mars 1965, où l’on prévoyait un usage restreint de la langue vernaculaire, dans le cadre strict décrit par le Concile, et la fin de 1967, où l’on pouvait désormais dire la Messe sans plus aucune parole latine, il faut bien reconnaître que quelque chose s’est passé, qui va plus loin que ce que les Pères conciliaires avaient prévu. La seule vraie question est : ce mouvement était-il légitime, ou non ? La réponse est évidente : si le changement a pu paraître brutal, il était chaque fois approuvé, décidé par le Pape qui avait la compétence pour cela. En outre, chaque décision du Pape a été prise après des études très sérieuses de la part de consulteurs reconnus. Certains ont voulu parler d’un putsch du Consilium dans le but de dénaturer la liturgie, de ruiner l’Eglise. Cette théorie du complot a peu de chances d’être avérée : on ne fait pas un putsch avec autant d’experts accrédités par l’autorité même du Pape. Certains ont voulu parler d’un coup de force des conférences épiscopales ; mais là encore, elles n’ont fait que ce qu’elles avaient le droit de faire, cum Petro et sub Petro, avec le Pape et sous son autorité. Certains ont crié à l’abandon de la Tradition ; mais justement, il appartient à la nature même de la Tradition d’être vivante. C’est une fausse conception de la Tradition que d’y voir un attachement au passé, si beau soit-il. La Tradition consiste, plus profondément, dans ce mécanisme de transmission qui permet à l’évangile d’être annoncé à toutes les générations. De ce point de vue, la réforme liturgique et les préoccupations pastorales qui l’inspiraient ont été pleinement traditionnelles, c’est-à-dire qu’elles avaient pour but de favoriser l’évangélisation d’un monde qui avait perdu tout contact avec la culture antique et avec la langue latine. Fallait-il s’opposer à la réforme liturgique ? Alors que ces questions étaient violemment débattues dans l’Eglise, entre théologiens, évêques, prêtres et laïcs, un jeune docteur allemand de l’Université de Tübingen, un certain Joseph Ratzinger a fait un discours éloquent, dans le cadre du Katholikentag, le 14 juillet 1966. Il dénonce avec virulence les adversaires de la réforme de la liturgie, utilisant des mots très durs et des arguments très forts. 6 « A l’utilisation de la langue du peuple on objecte qu’au mystère convient le secret d’une langue qui lui est propre, comme c’est le cas dans toutes les religions où le sacré est caché derrière le voile du secret. De plus, cette langue qui unit toute l’Eglise est le lien qui réunit les continents. Non seulement elle est dans le monde entier le signe visible de notre appartenance à l’unité catholique et nous fait expérimenter cette unité, mais elle est aussi le fil qui nous relie à la prière chrétienne de tous les temps, qui nous insère dans l’immense multitude de tous ceux qui, avant nous et après nous, ont chanté et chanteront les louanges de Dieu de la même façon, d’une seule et même voix. (…) C’est pourquoi, en purifiant la parole de son caractère rituel pour lui redonner son caractère de parole, la réforme liturgique a accompli un acte d’une importance décisive. Nous nous apercevons aujourd’hui progressivement de tout ce qu’il y avait, en fin de compte, de non-sens, de douteux, de malhonnête lorsque, avant l’évangile, le prêtre demandait à Dieu de lui purifier son cœur et ses lèvres, comme il avait purifié les lèvres du prophète Isaïe avec un charbon ardent, pour qu’il puisse annoncer la parole de Dieu avec dignité et compétence. En effet, il savait bien qu’ensuite il murmurerait pour lui seul cette parole de Dieu, sans penser à l’annoncer, tout comme il avait murmuré cette prière. Ou bien, lorsqu’il disait Dominus vobiscum, ce ‘‘vous’’ auquel s’adressait cette salutation n’existait pas. La parole s’était vidée en devenant rite, et ici la réforme liturgique n’a rien fait d’autre que de remettre en valeur le sérieux de la parole et, en même temps, du culte lié à la parole. (…) Dans ce sens, le scandale de la réforme liturgique, c’est qu’elle a eu cette naïveté de vouloir que la liturgie signifie toujours ce qu’elle était faite pour signifier, c’est-à-dire de la prendre sérieusement pour ce qu’elle est. Aussi, peut-on dire qu’aujourd’hui personne ne démontre d’une façon plus persuasive la nécessité et le bon droit de la réforme liturgique que ses adversaires. Car ce qu’ils défendent, c’est une fausse conception de la liturgie ; et par conséquent, ce qu’ils démontrent, c’est que la liturgie, dans la forme qu’elle avait jusqu’alors, risquait de faire passer cette fausse conception pour la vraie. Celui qui voit cela admettra en même temps que, jusqu’à un certain point, le scandale, l’incompréhension et le malaise font partie de la réforme liturgique. Il reconnaîtra que pour juger la réforme liturgique, il ne faut pas regarder si elle a fait augmenter le nombre des gens qui viennent à la messe, mais uniquement et seulement si elle répond au caractère fondamental du culte chrétien »5. 5 Joseph Ratzinger, Discours au 81e Katholikentag (Bamberg – 14 juillet 1966) ; Documentation Catholique n° 1478 (1966) ; col. 1557-1567. 7 En ne parlant plus que latin, la liturgie avait rendu la parole insignifiante. Mais cela s’oppose à la logique même du culte chrétien et des sacrements. Toute la théologie catholique la plus traditionnelle proclame, avec saint Thomas d’Aquin, que les sacrements sont efficaces par leur signification : « Les sacrements de la loi nouvelle sont en même temps signe et cause. C’est pourquoi on dit qu’ils produisent ce qu’ils expriment » 6 . Un sacrement célébré dans une langue qui n’exprime plus rien pour les croyants se trouve donc gravement défectueux. Priver la parole liturgique de sa signification, c’est restaurer une cérémonial magique, ce qui serait le contraire du christianisme. Empêcher le peuple de comprendre les paroles rituelles, c’est le priver de recevoir consciemment et fructueusement les grâces sacramentelles. Ainsi, si l’introduction de la langue vernaculaire dans la liturgie a été, en droit, parfaitement légitime, approuvée par toutes les autorités compétentes, cette réforme était plus légitime encore quant à la vérité intrinsèque du rite catholique qui exige d’être compris, parce qu’il s’adresse à la foi consciente des chrétiens. Dernières polémiques. Il faudrait détailler encore beaucoup d’autres aspects de la réforme liturgique : pour ce qui concerne le rite de la Messe, la concélébration, en 1966, l’introduction de nouvelles Prières Eucharistiques, en 1973 ; mais aussi la réforme du bréviaire des prêtres et des religieux, la réforme des rituels de chaque sacrement, la réforme du rite des funérailles, en 1969. En 1969 également, d’une importance majeure fut la réforme du calendrier liturgique pour une meilleure identification des cycles liturgiques et des temps privilégiés, et dans le souci d’être plus fidèle à la vérité historique en ce qui concerne les fêtes de saints. Cet immense travail liturgique et pastoral a profondément renouvelé la prière de l’Eglise, aboutissant à la liturgie sobre, compréhensible, et belle que nous connaissons aujourd’hui. Mais il faut reconnaître que, si le résultat de la réforme liturgique est une bonne chose, dont nous vivons aujourd’hui et qui nourrit notre vie spirituelle, le processus de ces changements fut marqué par de nombreuses polémiques où la charité, de part et d’autre, n’a pas toujours été illustrée avec ce qu’on pourrait attendre d’hommes d’Eglise. Disons un mot de la fin, un peu triste, de cette histoire mouvementée : lorsque tout fut achevé, Mgr Bugnini, dont la fonction avait été l’enjeu de tant de batailles, fut démis de ses fonctions, brutalement, en 1975. Après quelques mois d’inactivité, il fut nommé pro-nonce apostolique en Iran. Peu avant son départ, en janvier 1976, il écrivait à ses collaborateurs et amis, dressant le bilan de ces années difficiles qui se concluaient péniblement : « Dans un grand moment de son Histoire, nous avons cherché à servir l’Eglise, non pas à nous en servir… Nous avons travaillé avec un généreux dévouement, liberté d’esprit, loyale ardeur et prompte obéissance pour la restauration liturgique »7. La mort subite de Mgr Bugnini, le 3 juillet 1982, à la fin de la Messe, venait clore une page de l’histoire de la liturgie catholique. 6 7 Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Q. 62 a. 1 ad 1m. A. Bugnini, La Riforma liturgica ; p. 900. 8 Conclusion. Avec le recul que donne le temps, nous pouvons mieux mesurer quelle était la nécessité de la réforme liturgique. Il était devenu impossible, dans les années 1960, de continuer à imposer à tout le peuple de Dieu une liturgie en latin, devenue incompréhensible, lointaine. Et le jeune Joseph Ratzinger avait vu juste en dénonçant là une fausse conception du sacré qui dénaturait le culte catholique. Nous devons aussi reconnaître que des excès furent commis, et qu’ils furent des fautes graves. Des prêtres qui se pensaient interprètes autorisés de la volonté de l’Eglise ont troublé grandement des fidèles avec des innovations révolutionnaires. Des pays entiers ont vécu dans un relativisme liturgique qui devait désorienter durablement les catholiques. Aujourd’hui, le climat ecclésial a changé et l’heure est à l’apaisement. Les fidèles qui sont légitimement attachés à une liturgie en latin, et qui ont une culture suffisante pour avoir une réelle intelligence de la Messe tridentine, peuvent accéder plus facilement à des cérémonies célébrées selon la forme extraordinaire du rite romain. Les fidèles qui ont accueilli l’esprit de la réforme liturgique vivent dans les paroisses des cérémonies de bonne qualité, où la beauté des rites n’est pas un esthétisme creux, où la proclamation de la parole est vraiment nourriture pour l’esprit, où la communion eucharistique est le signe d’une authentique charité. Le Concile demandait « que les fidèles participent [à la liturgie] de façon consciente, active et fructueuse » (n° 11). C’est bien cela qui a été rendu possible. Ce critère est, en définitive, celui qui permet d’affirmer sans hésiter que la réforme liturgique a accompli l’intuition la plus profonde des Pères conciliaires. Matthieu Rouillé d’Orfeuil 9 La réforme de la liturgie au XXème siècle. 1910 : Dom Lambert Beauduin (Maredsous), fonde la revue Questions liturgiques et paroissiales. 20 novembre 1947 : Pie XII promulgue la lettre encyclique Mediator Dei sur la sainte liturgie. 26 mai 1948 : Pie XII met en place une commission pour la réforme de la liturgie latine. 1951 : rétablissement de la vigile pascale célébrée dans la nuit. 6 janvier 1953 : Pie XII promulgue la constitution apostolique Christus Dominus modifiant la règle du jeûne eucharistique. 1956 : Célébration de la Semaine Sainte selon le nouvel Ordo. 22 septembre 1956 : lors de son discours au Congrès International de Pastorale Liturgique, Pie XII envisage la poursuite de la réforme de la liturgie. 25 janvier 1959 : Jean XXIII convoque le Concile Vatican II. 6 juin 1960 : constitution de la commission liturgique préparatoire au Concile, présidée par le cardinal Cicognani. 20 octobre 1962 : la commission préparatoire devient commission conciliaire, présidée par le cardinal Larraona. 4 décembre 1963 : vote solennel de la Constitution conciliaire sur la sainte liturgie, Sacrosanctum Concilium. Janvier 1964 : Paul VI institue le Consilium chargé de mettre en œuvre la réforme décidée par les Pères du Concile. Le Père Bugnini est nommé secrétaire. 7 mars 1965 : Entrée des langues vernaculaires dans la liturgie latine. 27 avril 1965 : Paul VI approuve la traduction de la Préface. 14 juillet 1966 : Discours du théologien Joseph Ratzinger au Katholikentag de Bamberg. 1966 : introduction de la concélébration dans le rite eucharistique. 31 octobre 1967 : la Congrégation pour la Doctrine de la foi approuve la traduction française du Canon Romain (Prière Eucharistique). 1969 : réforme du calendrier ; réforme des rites des sacrements. 1973 : introduction de trois nouvelles Prières Eucharistiques (n° 2-3-4), en plus du Canon Romain (Prière Eucharistique n° 1). 1975 : fin du mandat de Mgr Bugnini dans les instances liturgiques. 10 « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins. Toutefois, soit dans la messe, soit dans l’administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple ; on pourra donc lui accorder une certaine place, surtout dans les lectures, les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants »8. « Mais, pour obtenir cette pleine efficacité, il est nécessaire que les fidèles accèdent à la liturgie avec les dispositions d’une âme droite, qu’ils harmonisent leur âme avec leur voix, et qu’ils coopèrent à la grâce d’en haut pour ne pas recevoir celle-ci en vain. C’est pourquoi les pasteurs doivent être attentifs à ce que dans l’action liturgique, non seulement on observe les lois d’une célébration valide et licite, mais aussi à ce que les fidèles participent à celle-ci de façon consciente, active et fructueuse »9 « Les sacrements de la loi nouvelle sont en même temps signe et cause. C’est pourquoi on dit qu’ils produisent ce qu’ils expriment »10. « Aussi, peut-on dire qu’aujourd’hui personne ne démontre d’une façon plus persuasive la nécessité et le bon droit de la réforme liturgique que ses adversaires. Car ce qu’ils défendent, c’est une fausse conception de la liturgie ; et par conséquent, ce qu’ils démontrent, c’est que la liturgie, dans la forme qu’elle avait jusqu’alors, risquait de faire passer cette fausse conception pour la vraie »11. 8 Concile Vatican II, Constitution Sacrosanctum Concilium, n° 36, § 1-2. Concile Vatican II, Sacrosanctum Concilium, n° 11. 10 Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Q. 62 a. 1 ad 1m. 11 Joseph Ratzinger, Discours au 81e Katholikentag (Bamberg – 14 juillet 1966) ; Documentation Catholique n° 1478 (1966) ; col. 1557-1567. 9 11